70
Œuvres sur papier 1850 - 1950 Mathieu Néouze Tableaux – Dessins - Sculptures 16, rue de la Grange-Batelière Dans la cour à gauche – 75009 Paris 00 33 (0)1 53 34 84 89 – [email protected] www.mathieu-neouze.fr

Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Œuvres sur papier

1850 - 1950

Mathieu Néouze Tableaux – Dessins - Sculptures

16, rue de la Grange-Batelière

Dans la cour à gauche – 75009 Paris

00 33 (0)1 53 34 84 89 – [email protected]

www.mathieu-neouze.fr

Page 2: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Mars 2017

Nous remercions Antoine Béchet, Ambroise Duchemin, Julie Ducher, Anna Gabrielli, Virginia Gamna, Christine

Génin, Jean-David Jumeau-Lafond, Corinne Letessier, Ian Millman, Rose-Marie Napolitano, Pascal de Sadeleer,

Nicole Tamburini, Dominique Vitart, Pascal Zuber ainsi que le service de documentation du musée d’Orsay pour

l’aide qu’ils nous ont apportée dans la conception et la rédaction de ce catalogue.

Textes : Virginia Gamna et Mathieu Néouze.

Photographies: Bertrand Hugues et Studio Art Go.

Page 3: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Catalogue

Les dimensions sont exprimées en centimètres,

la hauteur précédant la largeur.

Page 4: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

George Sand (Paris, 1804 – Nohant, 1876)

1. Paysage aux dindons

Aquarelle sur papier

12,5 x 15,8 cm

George Sand nait Aurore Dupin, fille de Maurice

Dupin de Francueil et de Sophie-Victoire Delaborde.

Si elle est, du côté de son père, l’arrière petite-fille de

Maurice de Saxe, maréchal de France, elle a pour

grand-père maternel un maître oiselier. Le père

d’Aurore meurt alors qu’elle n’a que quatre ans.

L’enfant est alors confiée aux soins de sa grand-

mère paternelle, Marie-Aurore de Saxe. Aurore

passe la majeure partie de l’année à Nohant dans

le Berry. La campagne forme le regard d’Aurore dès

l’enfance et son éducation, soignée par sa grand-

mère paternelle, lui permet de découvrir Rousseau,

Chateaubriand, Montesquieu, Montaigne mais aussi

Aristote, Virgile, Dante et Shakespeare. Comme

toute jeune fille de bonne famille, Aurore apprend le

dessin, la peinture à l’aquarelle et la musique.

A la mort de sa grand-mère, Aurore est brièvement

placée sous la tutelle de sa mère avant d’épouser

en 1822 le baron François Casimir Dudevant. Mais

l’équilibre du couple est précaire et les disputes

fréquentes. Aurore multiplie les relations pour

échapper à la violence de son mari, jusqu’à leur

séparation au cours de l’année 1830. Elle voyage à

Paris et, habillée en homme, mène une vie de

bohème dans les théâtres, musées et bibliothèques.

La pension que lui verse son mari n’est pas suffisante

pour subvenir aux besoins de la vie parisienne. Il

devient urgent pour Aurore de s’inventer un métier,

gage d’indépendance économique et donc de

liberté. La traduction et le journalisme constituent

une première tentative mais ne la satisfont pas. Elle

se tourne alors vers une carrière artistique, grâce au

dessin qu’elle pratique depuis toujours. Elle décore

des boîtes en bois et les vend avec un certain

succès, puis elle prend des cours pour devenir

portraitiste professionnelle.

Mais les évènements en décident autrement. Sa

rencontre avec Jules Sandeau est déterminante,

c’est avec lui qu’elle écrit le roman Rose et Blanche

publié sous le pseudonyme J. Sand. Le roman

obtient un certain succès, un deuxième est attendu

par l’éditeur. Aurore propose Indiana, qu’elle a écrit

pendant l’hiver 1831-1832. Pour distinguer cet

ouvrage qu’elle a conçu seule du précédent écrit à

deux mains elle signe pour la première fois George

Sand. Indiana paraît et obtient un grand succès,

George Sand se consacre désormais pleinement à

l’écriture. L’aquarelle devient dès lors une pratique

intime, à laquelle elle tient beaucoup et qu’elle

n’abandonnera jamais. Elle griffonne papillons et

fleurs en compagnie de son fils Maurice et dessine

régulièrement à l’aquarelle des souvenirs de visages

ou des paysages imaginaires. Au début des années

1860 elle se met à fabriquer des « dendrites », un

procédé pictural alliant taches de couleur à la

gouache à un pressage avec du carton ou du verre,

qui produit des dessins arborescents, rappelant ceux

qui figurent à la surface de certaines roches.

Femme aux multiples intérêts et toujours entourée

d’artistes, que ceux-ci soient peintres, musiciens,

sculpteurs, écrivains, George Sand trouve dans la

pratique du dessin une activité complémentaire à

l’écriture. Son enfance passée à la campagne a

sans aucun doute eu une grande importance dans

la formation de sa sensibilité plastique. Curieuse de

la structure et de l’histoire géologique du paysage,

George Sand a une approche savante de la nature,

omniprésente dans son œuvre, qu’elle ne considère

jamais comme un simple objet de contemplation.

Elle l’observe pour ensuite savoir la reproduire de

mémoire ou encore mieux, l’inventer. Malgré la

source imaginaire de ces éléments paysagers, elle

tente toujours de leur donner une apparence

plausible quelle que soit l’importance relative de

l’eau, du ciel, du minéral et du végétal.

Les paysages légèrement oniriques comme le nôtre,

faits de grandes plaines, de montagnes bleues et

lointaines et peuplés d’animaux pour le moins

surprenants, constituent une partie très importante

de l’œuvre graphique de l’écrivain. George Sand ne

recherche ni étrangeté ni symbole, mais elle invente

un réel imaginaire. Fidèle à la vision de Jean-

Jacques Rousseau dont la lecture a formé sa

jeunesse et au climat romantique de son époque,

l’idéal artistique de Georges Sand est un écho de la

nature et de son harmonie universelle.

Page 5: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 6: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Adolphe Alcan (1836 – 1922)

2. Chimères, 1872

Aquarelle sur carton fin

12 x 32,5 cm

Signé et daté en bas au centre : Alcan 1872

Peintre, miniaturiste et enlumineur, Adolphe Alcan

est le descendant d’une famille d’origine juive

sépharade convertie au catholicisme, implantée à

Metz sous l’Ancien Régime et émigrée à Paris dès le

début du XIXème siècle.

Dès le début de sa carrière, Adolphe Alcan se

spécialise dans les sujets religieux. C’est ainsi qu’en

1866, Napoléon III, à l’initiative de l’écrivain Galoppe

d’Onquaire, commande au jeune artiste une série

de peintures à l’huile constituant un chemin de croix.

Ces œuvres, destinées à la décoration de l’église du

Vésinet, obtiennent un tel succès populaire que

l’Empereur en acquière différentes séries auprès de

la Maison Alcan, spécialisée dans l’édition

d’estampes religieuses, pour les offrir à de

nombreuses paroisses dans toute la France.

Egalement passionné par la décoration et

l’ornement, Adolphe Alcan décore des objets

liturgiques tels des plats, des châsses ou encore des

vases. La boutique de la Maison Alcan regorge

d’articles religieux en bronze et autres métaux, de

médailles, de chapelets, de statuettes en biscuit.

Adolphe Alcan collectionne également les petits

objets métalliques, en particulier clefs et serrures.

L’artiste est l’un des membres les plus actifs de la

Société des Miniaturistes et Enlumineurs de France.

Décorateur de livres de messe et de coffrets, s’il fait

de l’art religieux sa profession, il réalise tout de même

par goût personnel des enluminures aux sujets

profanes. Fasciné par la finesse de la dentelle, il

recrée la délicatesse des entrelacs des fils grâce à

un trait habile et délicat.

Fidèle à sa passion pour l’ornement des objets,

Alcan réalise notre dessin dans le but de le placer sur

le couvercle d’un coffret en bois ouvragé. Loin des

thématiques religieuses, il représente ici un paysage

fantastique fait de couleurs éclatantes qui restituent

l’ambiance féérique d’un sous-bois. L’aquarelle est

d’une extraordinaire subtilité et donne l’aperçu d’un

monde chimérique peuplé d’animaux mystérieux,

oiseaux, insectes, serpents et d’une créature mi-

homme, mi-chien dont la peau aux reflets gris-verts

mime la nuance de la mousse sur les parois de la

grotte qui l’entoure. Les motifs végétaux d’une

extraordinaire variété révèlent le talent du

miniaturiste, comme ces lianes délicatement fleuries

qui ornent le fond et écartent définitivement la

scène de toute vraisemblance.

Page 7: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 8: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Albert Lynch (Gleisweiler, 1860 – Paris, 1932)

3. Portrait d’homme, 1881

Fusain sur papier

35,2 x 31 cm

Signé et daté vers le bas à droite : A. Lynch / 1881

Les dates ainsi que les lieux de naissance et de mort

d’Albert Lynch sont sujets à controverses. Natif de

Lima selon ce que le peintre lui-même déclare dans

les catalogues des Salons pendant toute sa carrière,

il est en réalité né à Gleisweiler en Allemagne,

comme l’atteste son certificat de mariage avec

Victoria Bacouël daté de 1896. Plusieurs raisons

peuvent justifier sa volonté d’entretenir le doute. Les

relations difficiles entre France et Allemagne au

lendemain de la guerre franco-prussienne n’incitent

pas Lynch à révéler son véritable lieu de naissance,

de peur sans doute qu’on lui prête une nationalité

qui n’est pas la sienne et qui serait difficile à

défendre dans ce contexte international. La

deuxième raison peut paraître superficielle mais elle

prend toute son importance si on considère la

personnalité d’artiste que Lynch souhaite se

construire. Peintre mondain dont les sujets de

prédilection sont des jeunes femmes à la beauté

raffinée et délicate, il fait le choix d’entretenir une

image légèrement exotique en se présentant

comme un artiste péruvien. Le charme de l’étranger

opère et son succès amène de nombreux critiques

à évoquer un talent prodigieusement précoce qui

aurait justifié le grand voyage du peintre jusqu’à

Paris, capitale des arts, dès sa première jeunesse.

Albert Lynch étudie dans les ateliers de Jules Noël,

d’Henri Lehmann et de Gabriel Ferrier à l’Ecole des

Beaux-Arts de Paris. Très jeune, il expose au Salon. Ses

scènes de genre décoratives, à l’élégance

sophistiquée et très fin-de-siècle rappellent les figures

féminines de Helleu ou de Stevens. Son style

sentimental et nostalgique met en scène de belles

jeunes femmes apprêtées selon la mode de

l’époque. Ses toiles évoquent bien le goût de la

période et il ne tarde pas à recevoir des

récompenses officielles, notamment lors des Salons

de 1890, de 1892 et de l’Exposition universelle de

1900 où il obtient une médaille d’or.

Il illustre La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas

fils, Le Père Goriot de Balzac et La Parisienne d’Henry

Becque. Ses sujets féminins délicats et sensuels

prennent forme grâce à des techniques légères

comme le pastel et la gouache. Elles introduisent le

spectateur dans un monde bourgeois qui se veut un

reflet d’élégance et de sentiments courtois, à

l’image d’une époque qui a fait de la grâce

féminine son emblème.

Si Lynch est principalement connu pour ses portraits

féminins, il réalise au début de sa carrière des

portraits dessinés, très finis, qu’il expose au Salon.

Elève de Lehmann, celui-ci donne au jeune artiste

de solides bases de dessin et l’oriente vers le portrait.

Lynch au début de sa carrière reste proche de

l’enseignement du maître, il a vingt-et-un ans

lorsqu’il réalise notre dessin.

Ce portrait d’homme fait partie d’une série de

portraits masculins, dessinés au fusain, que le jeune

homme réalise au début de sa carrière et qu’il

expose aux premiers Salons auxquels il prend part. Il

expose en effet un Portrait d’homme dans la section

Dessins du Salon de 1881, date de notre dessin, ainsi

qu’un second portrait en 1882. Malheureusement,

l’intitulé du catalogue du Salon, trop succinct, ne

permet pas de vérifier l’identité du modèle et

d’affirmer avec certitude que notre dessin fut l’une

des deux œuvres exposées en 1881 ou en 1882, bien

que cela paraisse fort probable.

Le trait y est déjà précis et le goût pour la posture

élégante et le détail narratif, ici la cigarette que le

modèle tient à la main, annoncent déjà les choix

des années à venir.

Page 9: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 10: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Hubert Vos (Maastricht, 1855 – New York, 1935)

4. Autoportrait, 1885

Mine de plomb sur papier

22,4 x 15 cm

Signé et daté en haut à droite : H Vos / 85

Néerlandais de naissance, Vos étudie la peinture à

l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles et à

l’Ecole des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de

Fernand Cormon. Pendant les années 1880, il expose

à Paris, Amsterdam, Bruxelles, Dresde et Munich en

prenant comme sujet des scènes observées dans

des hospices, des asiles et hôpitaux de Bruxelles. Ses

œuvres se situent dans la continuité du réalisme

social. En 1887 il installe son atelier à Londres et son

intérêt évolue vers le portrait mondain, une pratique

sans doute plus lucrative.

En 1883, le gouvernement hollandais le désigne en

tant que commissaire délégué pour représenter son

pays à la Chicago World’s Fair. Vos y découvre pour

la première fois des ouvrages d’ethnologie et se

passionne pour le sujet. Il ne peut cependant

s’empêcher de remarquer la pauvreté des images

utilisées pour illustrer les textes. Il entame alors des

recherches qui vont changer le cours de sa carrière :

Vos se spécialise dans le portrait de types ethniques

et ne cesse dès lors de voyager. Ayant divorcé de sa

première femme, il installe son atelier à New York et

à Newport et se marie une nouvelle fois en 1897

avec Eleanor Kaikilani Graham de la famille royale

hawaïenne. C’est elle qui l’accompagne dans la

plupart des voyages qu’il entreprend à partir de

cette date.

Vos entame son étude picturale et ethnographique

par le North Dakota, habité par les natifs américains.

Il découvre ensuite Hawaii, l’Indonésie, la Corée, le

Japon, Hong Kong. Les portraits réalisés pendant ces

voyages révèlent deux extrêmes sociaux, faisant

d’une part écho aux débuts réalistes de Vos avec

des sujets issus de la classe ouvrière et rappelant

d’autre part la carrière mondaine de l’artiste avec

des portraits de personnalités aristocratiques.

En 1899 il voyage pour la première fois en Chine. Il

souhaite exécuter le portrait de l’Impératrice

douairière Cixi mais il n’en obtient pas l’autorisation.

De retour aux Etats-Unis, il expose environ quarante

portraits à l’Union League Club de New York et à la

Corcoran Gallery of Art à Washington. Ce n’est que

six ans après, en 1905, qu’il obtient enfin le droit de

peindre le portrait de l’Impératrice. Très impressionné

par la personnalité de Cixi, Vos réalise deux tableaux

qui sont un mélange de réalisme académique

occidental et de contraintes traditionnelles liées à la

pratique du portrait impérial en Chine. Le premier

tableau, portrait officiel aujourd’hui conservé au

Palais d’été de Pékin, est réalisé selon les traditions

picturales chinoises. Le deuxième tableau,

actuellement dans la collection des Harvard Art

Museums, renoue au contraire avec le style

académique occidental.

Autoportrait de jeunesse, ce dessin a été réalisé par

l’artiste à l’âge de trente ans. En 1885 Vos vient de

participer à la Chicago World’s Fair où il a représenté

la Hollande et si il est particulièrement attaché à

l’histoire artistique de son pays natal, sa vie est déjà

partagée entre l’Europe et les Etats-Unis. Notre

autoportrait met donc en lumière le lien de Vos avec

la tradition hollandaise du portrait à un moment clé

de son évolution personnelle et professionnelle. En

effet, bien qu’il s’agisse d’une image intime très

différente des productions liées à sa carrière

officielle, Vos parait tout de même préoccupé par

la perception globale de son image.

Le choix de se représenter de profil détourne la

frontalité classique de l’autoportrait et instaure une

forme de distance. L’artiste n’est pas dans une forme

classique d’introspection mais donne l’illusion d’une

observation extérieure. La posture du corps semble

lui importer plus que les traits de son visage dont le

regard est dirigé en dehors du cadre. Pourtant le

coup de pinceau, certainement la dernière action

de l’artiste sur ce dessin, brouille les traits de son

visage et opère un retour vers un regard intérieur. Ce

geste apparaît comme une réappropriation de son

image auparavant mise à distance, comme une

signature qui dégage désormais une aura de

mystère symboliste.

Page 11: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 12: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Albert Anker (Anet, 1831 – 1910)

5. Paysan du Valais

Plume, encre de Chine et encre brune, lavis sur papier

25,5 x 17,5 cm

Au verso : Etude d’homme assis

Albert Anker nait à Anet, village suisse situé à la

frontière entre deux cultures, l’une francophone et

l’autre germanique. Il étudie à Neuchâtel et à Berne

puis poursuit des études de théologie à Halle en

Allemagne. Pourtant, l’idée d’une carrière religieuse

ne le satisfait pas. Anker est résolu à consacrer sa vie

à la peinture. En 1854, à Paris, il fréquente l’école de

Charles Gleyre dont la grande renommée attire

Whistler et, quelques années plus tard, Renoir, Sisley

et Monet. Inscrit également à l’Ecole Impériale et

Spéciale des Beaux-arts, il pratique assidûment le

dessin de nu. Au Louvre, il copie les tableaux des

maîtres anciens.

Malgré ses années de formation parisiennes, Anker

ne renonce pas à sa Suisse natale. Dès 1860 il installe

un atelier dans sa maison à Anet où il passe de longs

mois pendant l’été. L’hiver, il est à Paris et expose

régulièrement au Salon. L’Italie est la destination de

voyage favorite par l’artiste, qui profite de la lumière

du sud pour se consacrer à la peinture de paysages

et à la technique de l’aquarelle.

Ses douces représentations de la vie quotidienne

paysanne ne tardent pas à lui apporter une grande

renommée. Si ses choix picturaux parfois précieux

l’éloignent d’un pur réalisme, sa tendance à

l’idéalisation et sa délicatesse recherchée rendent

ses toiles accessibles à un très large public et

durablement emblématiques de la société rurale

suisse. Peintre humaniste très attaché à la vie simple

des petites gens, il choisit de représenter des

personnages qui incarnent une sérénité lumineuse :

des jeunes filles tricotant ou cuisinant, des écoliers et

des enfants occupés à jouer. Son quotidien

correspond d’ailleurs parfaitement aux scènes qu’il

aime peindre. Il mène une vie sobre et ordonnée,

qu’il partage entre la famille et la peinture. Alors que

ses contemporains s’attachent à donner une image

de la vie moderne, de la ville, de l’univers bourgeois

et mondain, Anker continue d’aimer son village

avec ses maisons rustiques et une vie affective faite

de forts liens familiaux. Le rapport entre les âges est

une de ses thématiques favorites et il n’est pas rare

de voir des scènes de famille qui réunissent autour

d’une activité paisible, sage ou ludique, enfants et

grands-parents. Répétitif dans le choix des thèmes,

capable d’émouvoir grâce à des images

d’inspiration ordinaire mais sublimées par une

composition irréprochable, par de savants

contrastes de clair-obscur et par une palette

délicate, Anker devient de son vivant et malgré sa

discrétion une véritable célébrité. Bien qu’il ait moins

cultivé le genre du paysage, il y revient à travers la

technique de l’aquarelle à partir de 1901 quand,

suite à un accident vasculaire cérébral, il est

paralysé de la main droite. Cette technique plus

légère, déjà choisie auparavant pendant ses

voyages en Italie, lui permet de continuer à peindre

jusqu’à la fin de sa vie les images de la vie rurale qu’il

affectionne.

Dans ses tableaux mais aussi dans ses dessins, Anker

est toujours très attentif au détail, d’une tenue, d’un

geste, d’une attitude. Dans la lignée de peintres

comme Nicolaes Maes, Vermeer, Pieter de Hooch, il

s’attache à représenter la poésie des lieux. Comme

Alphonse Legros et Jules Breton, il saisit l’aura

sensible de la vie paysanne.

Très bon dessinateur depuis l’enfance, c’est cette

technique qui introduit Anker à l’art et qui justifie, dès

ses débuts, son ambition de devenir peintre. Croquis

rapides ou œuvres sur papier plus élaborées, Anker

ne cesse de dessiner. Il fournit des dessins et

aquarelles voués à illustrer les œuvres du pasteur

évangélique et écrivain Jeremias Gotthelf pour

l’éditeur neuchâtelois Frédéric Zahn. Encre, crayon,

fusain, sanguine ou pastel, Anker explore toutes les

techniques. Pour notre dessin, il revient à l’un de ses

sujets favoris en faisant le portrait d’un jeune paysan

du Valais à l’allure fière. Avec sa cigarette à la main,

son costume des jours spéciaux et son regard qui

révèle une attente tranquille, le jeune homme

semble poser dans une attitude certainement bien

différente de celle qui le voit occupé au quotidien à

des travaux éreintants. La figure du paysan, réalisée

grâce à un trait délicat et à des hachures fines qui

définissent les détails de l’habit et des gestes, se

détache sur un fond travaillé à la plume avec des

lignes croisées et des taches presque abstraites qui

confèrent un accent de modernité à notre dessin.

Page 13: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 14: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Félicien Rops (Namur, 1833 – Essonnes, 1898)

6. Le Péché mortel

Fusain, aquarelle et pastel sur papier

32,5 x 21 cm

Signé en bas à droite : F. Rops

Œuvres en rapport :

Le Péché mortel, gravure en couleur au repérage par A. Bertrand d’après F. Rops, Paris, G. Pellet éditeur,

1905 (Exteens n°438).

Né à Namur dans une famille d’industriels aisés,

Félicien Rops débute son apprentissage à

l’Académie des Beaux-Arts de la ville. En 1851, il

s’inscrit à l’Université libre de Bruxelles et fréquente

les cercles estudiantins. Il fait la connaissance de

l’écrivain Charles de Coster avec lequel il fonde en

1856 un journal satirique, Uylenspiegel, Journal des

ébats artistiques et littéraires, dans lequel il publie des

lithographies qui sont fort appréciées. Par ailleurs, il

achève sa formation dans l’atelier libre Saint-Luc, qui

rassemble des artistes d’avant-garde comme le

sculpteur Constantin Meunier.

Rops entame alors une carrière d’illustrateur et

contribue à l’édition des œuvres de son ami Charles

de Coster. Au début des années 1860, Rops se rend

fréquemment à Paris où il perfectionne sa technique

de gravure auprès de Félix Braquemond. Avec

l’écrivain et journaliste Alfred Delvau, pour les

ouvrages duquel il réalise plusieurs frontispices,

l’artiste fréquente les bas-fonds parisiens dont il livre

une vision noire et grinçante dans ses eaux-fortes.

Par l’intermédiaire de Delvau, Rops fait la

connaissance de l’éditeur Poulet-Malassis, alors en

exil à Bruxelles, qui le présente à Charles Baudelaire.

L’entente entre l’artiste et l’écrivain est parfaite,

Rops ayant fait sienne la conception baudelairienne

de la Femme et de la Chute. Il grave en 1866 un

frontispice pour Les Epaves, publiées par Poulet-

Malassis à Bruxelles avec les pièces censurées des

Fleurs du Mal.

En 1874, Rops s’installe définitivement à Paris. Il est

l’illustrateur le mieux payé de la capitale et travaille

pour de nombreux écrivains, parmi lesquels

Mallarmé, Péladan, Barbey d’Aurevilly. Cette

période particulièrement féconde voit naître de

nombreux chefs-d’œuvre tels Pornokratès (1878), Les

Sataniques (1882) ou encore la suite pour Les

Diaboliques de Barbey d’Aurevilly.

Rops est alors un artiste reconnu et consacré. Il est

invité à exposer au premier salon des XX en 1884 et

rejoint officiellement le groupe en 1886. En 1896,

1 Eau-forte et aquatinte (Exteens n°364).

deux ans avant sa mort, la revue symboliste La Plume

lui consacre un numéro spécial, et le salon de la

Libre Esthétique organise une rétrospective de son

œuvre en 1899.

La fin des années 1870 et le début des années 1880

marquent sans doute la période la plus féconde de

l’artiste, au cours de laquelle il réalise ses plus grands

chefs-d’œuvre. Ses œuvres, incisives et inquiétantes,

sont alors directement liées à la production littéraire

des « descendants » de Baudelaire : Huysmans,

Villiers de l’Isle-Adam, Barbey d’Aurevilly ou encore

Joséphin Péladan.

Jeune écrivain remarqué, futur fondateur de l’Ordre

et des Salons de la Rose+Croix, Péladan publie en

1884 Le Vice suprême, premier volume du cycle de

romans intitulé La Décadence latine, qui en compte

vingt-et-un. Préfacé par Barbey d’Aurevilly, le texte

est illustré d’un frontispice de Félicien Rops1. Rops en

effet, qui choisit les auteurs pour lesquels il travaille,

partage la vision pessimiste de Péladan, pour lequel

la femme est à l’origine du déclin de l’humanité.

Rops poursuit sa collaboration avec Péladan et

réalise également le frontispice de L’Initiation

sentimentale2 en 1887 et d’A cœur perdu (fig. 4) en

1888, troisième et quatrième volumes du cycle de La

Décadence Latine.

Notre aquarelle, inédite jusqu’alors et uniquement

connue par la gravure réalisée par Albert Bertrand

(fig. 1), fait partie des recherches entreprises par

l’artiste pour le frontispice d’A Cœur perdu.

Rops, dans ce qui est sans doute la composition

originelle du sujet, met en scène Eve, adossée à

l’arbre de la Connaissance, non plus tentée mais

réellement pervertie par le serpent qui lui fait

découvrir les plaisirs de la chair en lui léchant le sexe.

L’artiste fait ensuite évoluer sa composition dans sa

gravure, Le Péché mortel (fig. 2), pour laquelle un

dessin préparatoire est connu (fig. 3), en

abandonnant la symétrie de l’image. Eve cueille

désormais la pomme de sa main gauche.

2 Dessin préparatoire conservé au musée du Louvre, inv. RF5265.

Page 15: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 16: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Le hurlement d’Eve, accentué par ses mains en

porte-voix dans la première version du sujet, perd

sans doute un peu d’intensité, mais la position du

serpent conserve son caractère obscène.

Cependant, cette image trop provocatrice n’est

pas retenue pour l’édition du frontispice de

l’ouvrage de Péladan. Rops remanie alors une fois

de plus sa composition pour aboutir à la version

définitive finalement publiée (fig. 4). Le Péché n’est

plus que suggéré, Eve cueille le fruit, le serpent

tentateur s’enroule toujours autour de son corps,

mais la tête de l’animal se trouve désormais sous le

sein de la femme, et non plus entre ses jambes.

Notre aquarelle, beaucoup plus libre que la version

finale, est également plus monumentale. L’artiste

représente en effet, dans une vision toute érotique,

« le point culminant du rite, le moment (…) de la

profanation. La verticalité hiératique de l’image,

organisée selon une disposition frontale et

symétrique, (…) la création d’un décor

pornographique produisent le trouble d’autant plus

efficacement que la vérité anatomique et

expressive est maîtrisée »1.

Comme à son habitude dans ses œuvres en

couleurs, Rops met en place sa figure principale

d’un contour ferme au fusain, puis détaille à

l’aquarelle le modelé, avec une subtilité et une

perfection rare. Quelques touches de pastel

viennent ensuite donner du relief à l’ensemble.

Œuvre définitive, perdue jusqu’alors, c’est cette

aquarelle qui a sans doute servi à Albert Bertrand

pour la réalisation de sa gravure en couleur,

exécutée après la mort de Rops, comme semblent

l’attester les deux repères situés en haut et en bas

vers la droite, utilisés par le graveur pour fixer son

papier report afin de reprendre la composition.

Nous remercions Monsieur Pascal de Sadeleer pour

l’aide qu’il a bien voulu nous apporter dans la

rédaction de cette notice.

1 R. Rapetti, Le Symbolisme, Paris, 2005, p. 80.

Page 17: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Figure 1

Le Péché mortel, gravure en couleur au repérage

par A. Bertrand d’après F. Rops, Paris, G. Pellet

éditeur, 1905 (Exteens n°863).

Figure 2

Le Péché mortel, héliogravure et vernis mou,

(Exteens 438).

Figure 3

Le Péché mortel, fusain, craie blanche, pointe et

estompe, 21 x 16,1 cm, Namur, musée Rops.

Figure 4

A cœur perdu, 1888, frontispice pour l’ouvrage de

J. Péladan, vernis mou, (Exteens 520).

Page 18: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Léon Frédéric (Bruxelles, 1856 – 1940)

7. Intérieur de Paysan

Fusain sur papier beige

62,3 x 47,8 cm

Signé à l’encre en bas à droite : Léon Frédéric

Annoté au dos à l’encre brune : Intérieur de Paysan / Etude du panneau n°11 du Blé / Le Lin et le Blé

Provenance :

Collection Georges Frédéric, fils de l’artiste (son cachet au verso).

Œuvre en rapport :

Le Blé, panneau n°11, fusain sur papier, 1889, localisation actuelle inconnue.

Après une formation à l’Académie Royale des

Beaux-Arts de Bruxelles, puis dans l’atelier libre de

Joseph Portaels, Léon Frédéric découvre l’art italien

lors d’un séjour de deux ans dans la péninsule, entre

1876 et 1878. Exposant à Bruxelles dès son retour en

1878, ses premières œuvres sont alors influencées par

un naturalisme proche de l’art de Bastien-Lepage.

Les marchands de craie1, triptyque dont la partie

centrale est exposée au Salon d’Anvers en 1882,

constitue son premier succès important.

En 1883, lors d’un séjour dans les Ardennes belges,

l’artiste découvre le village de Nafraiture dans lequel

il reviendra fréquemment. La nature et le monde

rural deviennent de plus en plus présents dans son

œuvre, chargés d’une dimension symbolique. Les

Ages du paysan2, suite de cinq tableaux exposés au

salon de Bruxelles de 1887 marquent cette évolution.

À partir de 1890, l’art de Frédéric se tourne

résolument vers le symbolisme. Il expose dans

l’Europe entière, en Belgique bien sûr, mais aussi à

Paris, où il remporte une médaille d’or à l’Exposition

Universelle de 1900, à Munich et à Berlin. Il se

rapproche également de Jean Delville et expose au

premier Salon d’Art Idéaliste en 1896. Ses œuvres

foisonnantes, même lorsqu’elles représentent des

sujets à caractère social comme Les Âges de

l’Ouvrier3, acquis par l’État français lors du salon de

la Société Nationale des Beaux-Arts en 1898,

contiennent une forte charge allégorique. Il est alors

considéré comme l’un des peintres les plus

importants du courant symboliste belge.

1 Huile sur toile, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts. 2 Huiles sur toile, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts. 3 Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay. 4 Georges Lafenestre, « Le Salon du Champs de Mars », in La

Revue des Deux Mondes, tome 106, 1891, p. 192.

Au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de

1891, Léon Frédéric expose sous les numéros 1071 et

1072 deux séries de onze cartons, Le Lin et Le Blé qui

sont aussitôt remarqués par la critique. « Ces scènes

champêtres, qui accumulent souvent, à la façon

des vieilles gravures, beaucoup de figures dans un

petit espace, renouvellent, par la sincérité puissante

de l’observation et la fermeté virile du dessin, toutes

sortes de sujets qu’on pouvait croire épuisés depuis

que Millet, Jules Breton et tous les auteurs de

paysanneries modernes y avaient passé »4.

A la fin des années 1880, Frédéric s’inscrit encore

dans la continuité des artistes réalistes français, tels

Bastien-Lepage ou Dagnan-Bouveret. Lors de ses

séjours à Nafraiture, Léon Frédéric découvre en effet

le monde rural qui lui inspire une grande partie de

ses œuvres de la période. Il y passe la belle saison,

« faisant peu à peu entrer dans ses tableaux toute la

population du village, peignant, dessinant,

partageant la vie de ses amis les paysans »5.

Les cartons définitifs du Lin et du Blé exposés au Salon

sont précédés de nombreuses études, dans

lesquelles l’artiste campe tout d’abord le décor,

avant de mettre en place ses personnages. Notre

dessin, traité vigoureusement au fusain avec une

réelle économie de moyen, appartient à cette série

d’études qui dégagent un certain mystère. On se

demande en effet qui habite cet intérieur décrit

comme une nature-morte, abandonné par toute vie

humaine.

5 M. Sulberger, préface du catalogue de l’Exposition rétrospective Léon Frédéric, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 1948.

Page 19: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 20: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Armand Rassenfosse (Liège, 1862 – 1934)

8. Visage de femme

Fusain, craie blanche et sanguine sur papier préparé blanc

31,1 x 23,2 cm

Monogrammé et annoté en bas à gauche : A.R /Etude

Destiné à reprendre le commerce familial d’objets

d’art, Armand Rassenfosse ne reçoit aucune

formation académique et c’est en autodidacte qu’il

entame son éducation artistique, dessinant le soir

après sa journée de travail au magasin. Auguste

Donnay, engagé par le père de Rassenfosse pour

effectuer un décor dans une maison, se lie alors

d’amitié avec le jeune artiste et le présente à

d’autres élèves de l’Académie des Beaux-Arts de

Liège. Rassenfosse fait alors la connaissance de

Gustave Serrurier et des frères Berchmans.

En 1882, il commence à fournir des dessins au journal

satirique Le Frondeur, qu’il signe d’un pseudonyme,

et s’essaie à la technique de l’eau-forte. Encouragé

par Adrien de Witte, alors professeur de dessin à

l’Académie des Beaux-Arts de Liège, Rassenfosse

persévère dans son apprentissage de la gravure et

travaille, à partir de 1887, pour l’imprimeur Bénard.

Lors d’un voyage à Paris en 1888, l’artiste fait la

connaissance de Félicien Rops. Cette rencontre est

déterminante pour l’évolution de son art. Une

longue amitié se crée entre les deux artistes, qui

expérimentent en commun de nouvelles pratiques

de gravure. Cette collaboration aboutit à la

création d’une technique inédite de vernis mou

qu’ils baptisent ropsenfosse.

En 1890, Rassenfosse quitte définitivement le

commerce familial pour se consacrer uniquement à

son art. Les travaux qu’il réalise pour l’imprimerie

Bénard lui procurent une relative aisance financière.

En 1896, il participe pour la première fois au Salon de

la Libre Esthétique à Bruxelles, et commence à

acquérir une certaine renommée. On lui confie alors

de nombreuses commandes, dans le domaine de

l’édition pour la plupart. C’est alors qu’il réalise son

œuvre majeure : l’illustration complète des Fleurs du

Mal de Charles Baudelaire pour l’édition des Cent

Bibliophiles.

Au début du XXème siècle, l’artiste travaille de plus

en plus à la peinture à l’huile, tout en continuant ses

recherches dans le domaine de la gravure. Ses

œuvres, plus intimes, sont cependant moins fortes.

Ce visage de femme semblant émerger d’un nuage

aux contours vaporeux représente particulièrement

bien l’idéal féminin de Rassenfosse qui se distingue,

au sein du symbolisme, par des canons de beauté

plus terriens qu’éthérés. L’artiste réalise ce dessin

autour des années 1885-1890, il est alors au tout

début de sa carrière et commence à mettre au

point ses techniques et son esthétique. L’expression

intense et mystérieuse des grands yeux du modèle,

son regard asymétrique cerclé par des sourcils fins,

sont des caractéristiques qu’on peut retrouver parmi

ses modèles féminins privilégiés de l’époque. Détail

peu visible au premier abord, les lèvres closes et

légèrement pincées sont discrètement colorées par

une touche de sanguine. Celle-ci réchauffe

imperceptiblement l’expression du visage et semble

suggérer la présence d’un hypothétique secret.

Rassenfosse choisit pour ce dessin une technique très

particulière. Il prépare le papier en définissant un

cadre qu’il blanchit à la craie et dans lequel il inscrit

le dessin au fusain. La teinte presque grisée qu’il

obtient par ce moyen contraste avec la couleur

naturelle du papier et entoure le visage d’une aura

de mystère. Traité comme un masque et sans

contours définis, le visage transcende sa condition

de simple étude pour devenir emblématique d’un

thème symboliste.

Page 21: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 22: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Carlos Schwabe (Altona, 1866 – Avon, 1926)

9. Vision, 1890

Encre de Chine sur papier beige

31 x 22,2 cm

Signé et daté verticalement vers le bas à droite : CH. SCHWABE 90

Provenance :

Collection Pierre Demarne (1924 – 1999), peintre surréaliste.

Né en Allemagne, Carlos Schwabe vit tout d’abord

en Suisse, dont il obtiendra la nationalité en 1888,

avant de s’installer définitivement à Paris en 1884.

Autodidacte, il ne suit aucun cursus académique. Sa

seule formation artistique lui est dispensée par

Joseph Mettey à l’École des arts industriels de

Genève jusqu’en 1884. Il y développe son goût pour

la nature en apprenant à dessiner les plantes, et

pour la stylisation du décor.

Schwabe expose pour la première fois au Salon de

la Société Nationale des Beaux-Arts en 1891. Bien

que solitaire, il se lie avec les cercles littéraires et

artistiques parisiens et devient proche du Sâr

Péladan. Son art mystique et symboliste résonne

avec la philosophie ésotérique du fondateur de

l’ordre de la Rose+Croix. L’artiste réalise l’affiche

pour le premier Salon de la Rose+Croix, qui se tient

chez Durand-Ruel en 1892, et les œuvres qu’il y

expose, particulièrement remarquées, sont autant

de manifestes du symbolisme idéaliste.

La perfection de son dessin et son sens du décor

valent à l’artiste de compter parmi les plus

importants illustrateurs de la période. Il fournit alors

des dessins pour des textes de Mallarmé,

Baudelaire1, Maeterlinck ou encore Hérédia et

Loüys. Schwabe est également très proche des

cercles musicaux. Il fait en effet la connaissance de

Vincent d’Indy et de Gabriel Ysaye, ainsi que du

compositeur belge Guillaume Lekeu. Il réalise

l’affiche pour l’audition d’œuvres de Guillaume

Lekeu en 1894, ainsi que celle de Feerval, drame

lyrique de Vincent d’Indy, en 1898.

S’il est très actif en France, Schwabe expose

également régulièrement en Europe. Ses œuvres

sont présentées à la Sécession de Munich en 1893, à

Bruxelles, à Genève, et l’artiste devient membre de

la Sécession viennoise en 1897.

Jusqu’à sa mort en 1926, l’artiste reste fidèle à son

idéal, même s’il est désormais incompris de la

nouvelle génération qui assiste aux bouleversements

provoqués par la naissance de l’art moderne.

1 Schwabe illustre l’édition des Fleurs du Mal de Charles Meunier

en 1900.

Ce dessin, sans doute le plus ancien connu de

Schwabe actuellement, témoigne de l’originalité de

son art dès ses premières productions. C’est en 1888

que, venant de Genève, Carlos Schwabe s’installe

définitivement à Paris ; si l’on connaît mal ses tout

débuts dans la Capitale, ses premiers dessins

autonomes identifiés datent de 1890. C’est aussi en

1890 ou au commencement de 1891 qu’il peint la

toile Les Cloches (Rio de Janeiro, Museu Nacional de

Belas Artes) que Joséphin Péladan remarque au

Salon avant de l’inviter à exposer en 1892 à la

Rose+Croix dont il dessine l’affiche. Ce qui apporte

une reconnaissance précoce à l’artiste durant ces

années est toutefois l’illustration, commencée au

même moment, de L’Évangile de l’enfance, texte

apocryphe traduit par Catulle Mendès, puis celle du

Rêve de Zola. Dans ces travaux abondants et

extrêmement originaux (une « révolution dans

l’histoire de l’illustration » écrit Octave Uzanne en

1892), le jeune homme, âgé seulement de 24 ans,

livre d’emblée un art reconnaissable entre tous. Un

dessin précis et anguleux, des lignes archaïsantes,

des déformations expressives et une sorte de

primitivisme à la fois voulu et résultant de quelques

maladresses : tout cela s’accorde parfaitement aux

sujets que Schwabe traite alors (visions mystiques,

merveilleux, miracles et rêves). Le succès de ces

œuvres s’explique aussi par son contexte, celui d’un

renouveau de l’idéalisme et de l’apparition d’un art

qu’on qualifiera bientôt de « symboliste », en

réaction au naturalisme de Zola et à

l’impressionnisme.

La très nombreuse illustration de L’Évangile de

l’enfance comprend des pleines pages et des

ornements décoratifs, à l’encre de Chine et à

l’aquarelle. On y trouve des scènes complexes et

naïves à la fois, dans l’esprit d’un merveilleux

chrétien inspiré des missels et des enluminures

médiévales. Les nuages y sont des guirlandes

stylisées, les personnages ont des regards d’extase

et des gestes hiératiques, des corps allongés et des

Page 23: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

vêtements aux plis recherchés. Le graphisme en

rappelle l’art de Dürer ou de Schongauer, et

suggère les origines germaniques de l’artiste, né à

Hambourg.

En marge du travail considérable de L’Évangile de

l’’enfance, commencé à la fin de 1890 et publié en

série dans la Revue illustrée pendant plusieurs

années, puis en volume chez Armand Colin,

Schwabe conçoit des dessins à la plume et des

aquarelles, travaux indépendants parfois peu

connus mais proches de son œuvre d’illustrateur ;

ainsi de plusieurs couvertures pour les numéros de

Noël de L’Illustration, mais aussi des pages séparées

dont on ignore si elles avaient une destination

précise ou si elles relevaient de la pure inspiration de

l’artiste. C’est le cas de ce magnifique dessin à

l’encre de Chine parfaitement inédit. Daté de 1890,

il porte une signature singulière. On sait que le

peintre qui s’appelait « Émile Martin Charles » optera

bientôt pour le pseudonyme de Carlos Schwabe,

après avoir toutefois signé « Carloz Schwabe » et

même « SCH CARLOZ ». La signature du présent

dessin, « CH. SCHWABE » permet de penser qu’il

s’agit vraiment d’une des toutes premières œuvres

de l’artiste aujourd’hui localisées.

Son sujet, mystique, et en même temps très éloigné

de tout académisme saint sulpicien, contient déjà

ce qui fera l’originalité du peintre par la suite. Vision

très personnelle, symbolique parfois transparente,

parfois obscure, graphisme acéré, construction de

l’espace totalement libre quoique éminemment

structurée, et association d’éléments symbolico-

décoratifs à la scène principale. Il résulte de cet art

très spécial une sorte de rébus qu’il n’est pas toujours

aisé de décrypter.

La figure de Jésus occupe l’espace central du

dessin ; elle reprend les traits du visage de Schwabe

lui-même, assez reconnaissable. Cette identification

est tout autant due à une dimension symbolique,

celle du sacerdoce de l’artiste, qu’à la facilité de se

prendre pour modèle plutôt que de payer un

professionnel, encore trop cher pour ce très jeune

peintre.

Le Christ se situe dans un espace céleste, entouré de

nuages aux volutes stylisées, et regarde vers le haut,

tandis que sa tête est auréolée de petites flammes.

Au-dessous de lui, un orbe, ou globe crucifère,

représente son « règne » terrestre. En bas de l’image

on distingue un paysage qui donne, par sa forme

arrondie, l’impression de représenter la terre, dont

l’orbe apparaît alors comme un double formel et

symbolique. Cet « horizon » courbe accentue en

effet le sentiment de mouvement du Christ vers un

monde supérieur. Dans de nombreuses œuvres,

Schwabe utilise cette vision « d’en haut »,

extrêmement originale à l ‘époque, pour déployer

sous les yeux du spectateur un paysage comme « vu

du ciel » : c’est déjà le cas des Cloches, déjà citées

et ce sera celui de La Vierge aux lys (Amsterdam,

Van Gogh Museum). Il s’agit de situer d’emblée la

scène dans un monde spirituel et sacré tout en

suggérant la vie terrestre et une dualité significative

entre les deux espaces.

Le paysage urbain choisi pour le présent dessin,

parsemé de constructions et de monuments,

représente sans doute Jérusalem. On y décèle en

effet des dômes et des minarets. Schwabe ne

souhaite donc pas figurer une représentation de la

ville antique, contemporaine du Christ, mais

représente bien, la terre sainte « moderne », fût-ce

de manière symbolique. La disposition des coupoles

ne correspond en effet pas à une topographie

réaliste. Il s‘agit surtout pour le peintre de donner à

sa représentation de Jésus une signification

actualisée et non pas académique ou

archéologique.

Deux mains de prière, dont on retrouve l’utilisation

dans L’Évangile de l’enfance, montent vers Jésus au

premier plan. Symétriquement, et un peu plus haut,

deux autres mains tiennent des verges, renvoyant à

l’épisode de la flagellation du Christ, qui précède la

montée au Golgotha et la Crucifixion. Encadrant la

scène, deux motifs à la fois symboliques et

décoratifs, dont on trouve là aussi des versions dans

L’Évangile de l’enfance, forment comme les piliers

d’un temple imaginaire qui accompagnent la figure

du Christ dans son ascension. Coiffés d’une croix

pattée et de mains aux doigts bénissant, chacun de

ces motifs, parfaitement identiques, se compose

d’une bande représentant un entrelacs de

couronnes d’épines et de cœurs saignants et

surmontés d’une flamme, symboles du Sacré-Cœur

alors en plein renouveau dans la dévotion populaire.

Une branche de lys à trois fleurs surmonte ces motifs

et mène vers un rouleau manuscrit à manches,

représentant sans doute le nouveau testament, sous

la forme usuelle des thoras. Le texte, qui est supposé

décrire l’épisode saint, est constitué de caractères

manifestement fantaisistes évoquant peut-être le

grec, le syriaque ou l’araméen. Là encore l’artiste ne

vise pas à la réalité documentaire mais à un sens

symbolique et ornemental. L’illisibilité des textes

participe d’ailleurs de ce mystère impénétrable des

faits théologiques. Les bandeaux décoratifs sont

bordés de palmes.

En associant la figure de Jésus à des nuages, dans

une sorte de lévitation céleste au-dessus de la terre,

et de la terre sainte, Schwabe synthétise divers

épisodes pour fixer sa vision. Les textes sacrés

évoqués par les rouleaux sont censés révéler qu’il

s’agit bien d’une « illustration » de l’Évangile, mais le

peintre constitue sa propre iconographie. En

associant les outils de la flagellation, un espace qui

est plutôt celui de l’ascension, et les flammes de la

pentecôte, il ignore délibérément les règles

iconographiques traditionnelles. La tête tournée et

Page 24: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

levée de Jésus vers le ciel et son expression fixe et

profonde, qui n’est ni doloriste, ni celle d’un crucifié,

l’absence des apôtres ou de toute anecdote,

montrent bien que Schwabe n’illustre ici aucun

texte, mais livre sa dévotion personnelle. Le Christ y

apparaît à la fois triomphant et interrogatif. Les

verges expriment la souffrance et le martyre, le

visage et les mains du prophète désignent le

questionnement métaphysique du peintre lui-

même, dans une sorte d’autoreprésentation. On sait

que toute l’oeuvre de Schwabe est faite d’un regard

porté sur la condition humaine et, singulièrement, sur

celle de l’artiste. En s’identifiant au Christ, à la fois

glorieux et souffrant, le peintre opte pour l’idée

baudelairienne de la création, dont l’aboutissement

ne se fait pas sans sacrifice. Dans ce que l’on peut

considérer comme une ascension symbolique,

Schwabe représente non pas un épisode de

l’histoire religieuse mais « sa » vision du Christ, sorte

de saint patron de l’artiste en quête de sa propre

voie.

Jean-David Jumeau-Lafond

Page 25: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 26: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Lucien Lévy Dhurmer (Alger, 1865 – Paris, 1953)

10. Portrait de jeune femme rousse, 1891

Sanguine et craie blanche sur papier

45 x 30 cm

Daté en bas à droite : 1891

Au verso discrète esquisse de fessier et quelques poils pubiens retenus par un papier bleu collé

Lucien Lévy commence des études à l’Ecole

Communale de Dessin et de Sculpture à Paris en

1879 et, dès 1882, envoie au Salon sa première

œuvre. A ce début tout académique font suite, en

1887, les premiers pastels : une technique qu’il va

employer tout au long de sa vie. Malgré ses premiers

véritables succès, Lucien Lévy décide de quitter Paris

pour s’installer en Côte d’Azur où il devient directeur

artistique de la manufacture de faïences d’art de

Clément Massier à Golfe-Juan. Il présente alors des

faïences qu’il signe Lévy Dhurmer à partir de 1896 :

un nom qu’il choisit pour se différencier des autres

artistes homonymes. Reconnu comme l’un de ceux

qui ont contribué à la création de l’Art Nouveau et

au renouveau de l’art de la poterie, Lévy-Dhurmer

n’abandonne pas son intérêt pour la peinture et

voyage en Italie. L’art de la Renaissance, surtout

celui de Vinci, le marque profondément et il fait le

choix de rentrer à Paris en 1895 pour se consacrer

entièrement à la peinture et au dessin.

Gustave Moreau lui présente alors George

Rodenbach. Lévy-Dhurmer peint un portrait qui

immortalise l’écrivain en icône du symbolisme

littéraire. Définies par le critique d’art Polak come

« symbolistes, mystiques ou romantiques », les

œuvres de Lévy-Dhurmer rappellent aussi bien la

Renaissance italienne que l’œuvre d’Armand Point,

celles de Gustave Moreau ou d’Aman-Jean.

Nous remercions monsieur Jean-David Jumeau-Lafond

d'avoir bien voulu éclairer cette œuvre dans le

paragraphe qui suit.

Bien que Lévy-Dhurmer ait acquis la notoriété à partir

de 1896 lors de sa première exposition

monographique à la Galerie Georges Petit, il

œuvrait déjà depuis plusieurs années, parallèlement

à son activité de directeur de la manufacture de

céramique de Clément Massier à Golfe Juan. On

connaît ainsi un certain nombre de dessins et de

pastels, toutefois assez rares mais parfois exposés au

Salon, réalisés à la toute fin des années 1880 et au

début de la décennie suivante. Lorsqu’elles sont

signées, ces œuvres portent encore le nom de

« Lucien Lévy » et sont plus fréquemment datées que

les pastels signés Lévy-Dhurmer d’après 1896. Ce très

beau dessin, daté mais non signé, est issu d’un

ensemble de feuilles restées depuis l’entre-deux

guerres dans la famille d’un collectionneur proche

du maître. On y retrouve à la fois la virtuosité

graphique déjà assez caractéristique de l’artiste

dans l’expression et le mouvement, mais encore

assez réaliste, tandis qu’il optera bientôt pour une

esthétique davantage symboliste. L’amour de la

femme est cependant une constante dans l’œuvre

de Lévy-Dhurmer ; spiritualisée ou ressemblante dans

le cas de portraits, elle dégage toujours une

sensualité rêveuse mais ici bien présente. Les pastels

symbolistes des années 1890, même lorsqu’ils seront

inspirés par tel ou tel modèle de prédilection

(Marguerite Moreno par exemple), offriront toujours

la même physionomie, très léonardienne. Ce dessin,

beaucoup plus réaliste, est très probablement un

portrait assez intime qui permet à l’artiste de modeler

avec subtilité ce beau visage et d’apporter un soin

particulier au traitement de la chevelure. En dépit du

fait que l’on ne connaisse pas l’identité du modèle,

le regard profond du personnage et son expression

intense permettent de s’interroger quant à ses liens

avec le peintre. Il s’agit en tout cas bien d’un portrait

« intime » plutôt qu’une œuvre de circonstance ou

une effigie de commande. Ajoutant à sa singularité,

il faut préciser que cette feuille porte, au verso, sous

un papier bleu collé d’origine, ce qui semble bien

être une petite touffe de poils pubiens, provenant

vraisemblablement du modèle. Quelques traits de

crayon semblent y ajouter une esquisse de

morphologie intime. Ce détail inattendu achève de

conférer à ce superbe dessin le caractère de ce

qu’il faut bien appeler une sorte de relique érotique

et sentimentale.

Page 27: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 28: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Charles Guilloux (Paris, 1866 – Lormes, 1946)

11. Le Canal, 1895

Fusain, pastel et aquarelle sur papier

32,5 x 24,7 cm

Signé et daté en bas à droite : C. Guilloux 95

Peintre autodidacte, employé à la Bibliothèque

Nationale, Charles Guilloux expose pour la première

fois en 1891 une série de paysages au Salon des

Indépendants, aussitôt remarqués par le critique

Claude Roger-Marx. A partir de 1892, il participe à

toutes les Expositions des Peintres Impressionnistes et

Symbolistes organisées par la galerie Le Barc de

Boutteville, qui lui consacre même, en 1896, une

exposition monographique.

Guilloux se consacre exclusivement au paysage et

souhaite transcrire les émotions qui s’en dégagent.

À l’opposé de la peinture impressionniste qui, selon

lui, se concentre trop sur l’effet, l’artiste recherche la

synthèse de la forme, qu’il associe à l’utilisation de

couleurs contrastées, suivant la théorie du contraste

simultané des couleurs énoncée par Ernest Chevreul

en 1839. Lors de son exposition monographique chez

Le Barc de Boutteville, certaines de ses œuvres sont

ainsi présentées dans le catalogue comme des

« maquettes synthétiques ».

Dès 1892, Guilloux séduit la critique et les

collectionneurs. Les huit tableaux exposés cette

année-là au Salon des Indépendants sont aussitôt

vendus. Gustave Geoffroy loue le « paysagiste (qui)

s’essaye à faire parler aux choses un langage

nouveau (…) par les eaux et les ciels qui se

répondent, les solitudes où les choses ont une

attitude mystérieuse »1.

L’artiste construit son œuvre autour de quelques

éléments simples qui structurent ses compositions :

arbres, étendues d’eau dans lesquelles se reflète le

paysage, nuées qui traversent le ciel. Il privilégie

également les heures du soir, crépuscule, ou même

lever de lune, propices aux subtils effets de lumière.

Les titres choisis par l’artiste, La Tourmente,

L’Hyperboloïde (1892), ou encore Scherzo lunaire

(1893) renforcent encore la dimension symboliste de

ces paysages.

Cette vision si personnelle et synthétique du paysage

le rapproche des Nabis et vaut à l’artiste de figurer

dans l’ouvrage de référence Le Mouvement

Idéaliste en Peinture, publié en 1896 par le critique

André Mellerio, qui voit dans les œuvres de Guilloux

« une façon nouvelle et particulière d’envisager la

nature et d’en concevoir la représentation, tout en

lui conservant son impression directe »2.

Guilloux parcourt inlassablement les environs de Paris

à la recherche de nouveaux motifs picturaux. Il

réalise alors sur le motif des études sur papier, au lavis

ou à l’aquarelle, destinées à être par la suite

retranscrites à l’huile. Il n’est pas rare qu’il indique

même sur ces études, comme dans le cas de notre

aquarelle, quelques notations de couleurs au

crayon.

Guilloux élabore son paysage en simplifiant les plans

et les couleurs, et en ramassant les formes. Usant

d’un procédé que l’on retrouve dans l’un de ses plus

célèbres tableaux3 des années 1890, dans lequel

deux rangées d’arbres se reflètent dans l’eau du

canal, l’artiste étire à l’infini son paysage.

Il s’éloigne de toute description réaliste pour

chercher à transcrire la sourde mélancolie de cette

« allée d’eau » qui nous emmène vers un ailleurs

mystérieux.

1 G. Geoffroy, « Les Indépendants », La Vie Artistique, 1893, p. 373. 2 A. Mellerio, Le Mouvement Idéaliste en Peinture, Paris, 1896, p.

43. 3 L’Allée d’eau, ca 1895, huile sur toile, collection particulière.

Page 29: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 30: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Elisabeth Sonrel (Tours, 1874 – Sceaux, 1959)

12. Un Saint en gloire

Fusain et lavis d’encre de Chine sur papier

50 x 43,5 cm

Signé en bas à droite : Elisabeth Sonrel

Artiste précoce, Elisabeth Sonrel commence à se

former auprès de son père, le peintre tourangeau

Stéphane Sonrel. Elle poursuit son apprentissage

dans l’atelier de Jules Lefebvre à l’Académie Julian

à Paris dont elle sort diplômée en 1892.

Si Elisabeth Sonrel reste en marge du courant

symboliste français, dont elle n’a jamais fréquenté

les principaux représentants, appartenant à la

génération précédente, elle incarne néanmoins,

par ses influences et les thèmes qu’elle privilégie,

l’art de ce mouvement. On peut ainsi la rapprocher

d’artistes tels Lucien Guirand de Scévola ou encore

Edgard Maxence.

Désormais installée à Sceaux, l’artiste expose au

Salon à partir de 1893 de grandes aquarelles ainsi

que des toiles représentant des femmes idéalisées,

qui s’approchent de certaines œuvres

préraphaélites. L’artiste a en effet été très marquée

par la découverte des peintres de la Renaissance

italienne, et celle de Botticelli en particulier, lors d’un

séjour en Italie au début du XXème siècle où elle

visite Rome et Florence.

Ses grandes toiles exposées au Salon telles Ames

errantes (1894), Le Cortège de Flore (1897) ou

encore Les Esprits de l’abîme (1899) sont remarquées

par la critique. Elle jouit alors d’une véritable

reconnaissance au tournant du siècle et est choisie

pour participer à l’Exposition Universelle de 1900, où

elle expose Le Sommeil de la Vierge (1895).

L’artiste poursuit sa carrière jusqu’au début des

années 1940, exposant principalement des portraits

et des paysages bretons.

Sans doute réalisé alors qu’Elisabeth Sonrel quitte à

peine l’atelier de Jules Lefebvre à l’Académie

Julian, notre dessin montre encore l’influence du

maître : Visage modelé avec précision et réalisme

au fusain et profil de médaille.

Mais l’artiste annonce déjà ses orientations à venir.

Sonrel n’a jamais exposé avec les artistes participant

aux salons de la Rose+Croix. L’entrée y est en effet

interdite aux femmes, selon la règle édictée par

Joséphin Péladan. Pourtant, ses œuvres montrent

une réelle proximité de traitement et d’inspiration

avec celles exposées sous l’égide du Sâr. Ses œuvres

sont d’ailleurs remarquées par Péladan qui qualifie

La Fée de la forêt d’« image délicate de sentiment,

précise d’exécution »1.

Cette figure de saint, ou de sainte, tant il est difficile

de déterminer son genre, au caractère androgyne

particulièrement marqué, reprend un thème cher

aux artistes de la Rose+Croix et à Péladan en

particulier. L’androgyne, tel qu’il est pensé dans les

milieux occultistes, est en effet à mi-chemin entre

l’humain et le divin. Le personnage n’a « ni tout à fait

la beauté séductrice d’une femme, ni tout à fait la

présence virile d’un homme »2. Cette représentation

trouble de la beauté se retrouve dans nombre des

futurs tableaux de l’artiste, peuplés d’anges au

caractère double et souvent ambigu.

1 J. Péladan, « Salon des artistes français », in La Revue

hebdomadaire, vol. XXII, 1er juin 1912, p. 48. 2 C. Foucher, « Elisabeth Sonrel, une artiste symboliste oubliée », in

Bulletin des amis de Sceaux, nouvelle série, n°25, p. 25.

Page 31: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 32: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Théophile Alexandre Steinlen (Lausanne, 1859 – Paris, 1923)

13. Une honnête femme, 1896

Fusain et crayon de couleurs sur papier

34,5 x 30,5 cm

Signé en bas à droite : Steinlen

Publication :

Gil Blas illustré, 6ème année, n°24, 12 Juin 1896, reproduit en couverture.

Né à Lausanne en 1859, Steinlen étudie d’abord la

théologie à l’Université de la ville avant de débuter

en 1879 son apprentissage artistique à Mulhouse où

il se forme au dessin d’ornement industriel auprès de

Louis Schoenhaupt.

Installé à Paris à partir de 1881, Steinlen fait la

connaissance d’Adolphe Willette qui lui présente

Rodolphe Salis et le groupe d’artistes qui se

rassemble au nouveau cabaret du Chat noir :

Bruant, Lautrec, Léandre, Vallotton, Verlaine, Rivière,

Allais et Forain. Steinlen emménage alors à

Montmartre et entame une collaboration régulière

avec la revue hebdomadaire du Chat noir, lancée

par Salis pour promouvoir son cabaret.

L’activité de Steinlen est alors débordante. Il fournit

de nombreux dessins pour différentes revues comme

La Revue illustrée ou Le Mirliton, illustre des romans et

réalise des affiches, notamment pour Aristide Bruant

et Yvette Guilbert. Fasciné par le monde de la rue et

des cabarets, il sait restituer de son trait vif

l’ambiance particulière du Montmartre de la fin du

XIXème siècle.

Si Steinlen expose à partir de 1893 au salon des

Indépendants, puis au Salon des Humoristes, c’est

essentiellement dans la rue que ses œuvres sont

diffusées, par l’intermédiaire des affiches, publicités

et revues qui reproduisent ses dessins. L’artiste joue

aussi un rôle capital dans le renouvellement de

l’illustration et inspire de jeunes artistes comme Jean

Peské ou Pablo Picasso.

Au tournant du siècle, Steinlen accède à une

véritable reconnaissance. Il obtient la nationalité

française en 1901, expose cent cinquante œuvres à

la Sécession de Berlin en 1903, et, la même année, le

musée du Luxembourg cherche à acquérir un de ses

tableaux, malheureusement vendu entre temps.

Jusqu’à sa mort, en 1923, l’artiste continue

inlassablement à dessiner pour la presse et à illustrer

des ouvrages littéraires. Il accorde toujours une

place importante à la dimension sociale de son

œuvre. Lors de la première guerre mondiale, Steinlen

réalise aussi de nombreuses lithographies sur la vie

au front. Trois cents œuvres sont exposées dès 1917

à la galerie La Boétie sous le titre : L’œuvre de la

guerre.

Steinlen met ici son formidable talent d’illustrateur au

service du Gil Blas Illustré, dont il est un des

collaborateurs réguliers. Fondé en 1879 par Auguste

Dumont, le Gil Blas, qui adopte pour devise « Amuser

les gens qui passent, leur plaire aujourd’hui et

recommencer le lendemain », publie des romans

feuilletons sur quatre pages. Mais le titre ne connaît

vraiment le succès qu’à la création de son

supplément hebdomadaire illustré en 1891. Le

Journal publie alors les chansons des vedettes de

Montmartre, telles Aristide Bruant ou Yvette Guilbert,

mais aussi certains des écrivains les plus illustres de

l’époque tels Emile Zola ou encore Guy de

Maupassant. Le succès du Gil Blas est tel que c’est

sur son modèle, et sur les conseils de Steinlen,

qu’Albert Langen crée la revue Simplicissimus en

1896 en Allemagne.

Obscur roman de Gaetan de Méaulne, Une femme

honnête est caractéristique des textes qui paraissent

également dans le Gil Blas Illustré, plus proches de la

littérature de gare que de la « grande littérature ».

Destinés à tenir en haleine les lecteurs d’une

semaine sur l’autre, ces romans légèrement

aguicheurs comptent sur l’illustration de couverture

du journal pour attirer la clientèle.

Steinlen se prêt au jeu avec talent, et, si le titre du

récit insiste sur « l’honnêteté » de cette femme,

l’issue de cette entrevue nocturne dans le

compartiment d’un train se laisse aisément deviner.

Page 33: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 34: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Louis Valtat (Dieppe, 1869 – Paris, 1952)

14. Scène de café

Pastel sur papier gris-brun

64 x 47 cm

Cachet en bas à gauche : certification / S. Valtat

Animé très tôt d’une vocation artistique, Valtat est

issu d’une riche famille d’armateurs. A dix-sept ans, il

entre dans l’atelier de Gustave Moreau (1826 – 1898)

à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et poursuit sa

formation en suivant les cours de Jean-Joseph

Benjamin-Constant (1845 – 1902) à l’Académie

Julian. Il y côtoie Pierre Bonnard (1867 – 1947) et

Albert André (1869 – 1954), dont il devient un ami

fidèle. Sa première exposition publique a lieu à Paris

au Salon des Indépendants en 1889. Atteint d’une

grave maladie, il doit rapidement quitter Paris pour

le sud-ouest de la France, notamment à Banyuls, où

il rencontre le sculpteur Aristide Maillol (1861 – 1944).

En 1895 – 1896, Valtat s’installe à Arcachon. Il y peint

des compositions aux couleurs éclatantes et aux

formes simplifiées qui annoncent déjà

l’effervescence du Salon d’Automne de 1905, que

Louis Vauxcelles qualifie de « fauve ». Parallèlement,

Valtat se rapproche du néo-impressionnisme de

Georges Seurat (1859 – 1891) ou du tyle Nabi de son

ami Bonnard.

Ce pastel est dessiné au milieu des années 1890,

période pendant laquelle Valtat fréquente

Toulouse-Lautrec (1864 – 1901). En collaboration

avec Albert André et Toulouse-Lautrec, il conçoit les

décors de la pièce Chariot de terre cuite, jouée au

théâtre de l’œuvre à Paris, en 1895. Valtat est alors

fasciné par la technique et les thèmes de Toulouse-

Lautrec. Son influence se manifeste surtout dans les

années 1894 – 1896, comme dans le présent pastel,

représentant une scène de café parisien.

L’authenticité du pastel a été confirmée, le 19 mai

2011, par le Comité Valtat.

Page 35: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 36: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Georges de Feure (Paris, 1868 – 1943)

15. Le Coq

Gouache sur papier

63 x 86,5 cm

Publication :

Album de la Décoration, deuxième volume, A. Calavas Edition, Paris.

Provenance :

Collection Alain Lesieutre, Paris.

Exposition :

1990, Tokyo, Osaka, Rétrospective Georges de Feure.

Bibliographie :

Ian Millman, Georges de Feure, Paris, 1992, p. 167 (repr.).

Fils d’un architecte hollandais de renom, Georges

de Feure, né van Sluÿters, grandit dans l’aisance

matérielle et dans un milieu culturel propice au

développement de ses ambitions artistiques. Il

fréquente le pensionnat d’Hilversum jusqu’à l’âge

de quinze ans puis rejoint sa famille à Amsterdam.

Les difficultés financières alors rencontrées par son

père obligent le jeune homme à exercer divers

métiers parmi lesquels accessoiriste et acteur de

théâtre. Il travaille dans le commerce de livres à La

Haye et découvre le symbolisme. À dix-huit ans il est

admis à l’Académie royale des Beaux-Arts

d’Amsterdam où il ne passe que très peu de temps,

convaincu du fait que l’enseignement académique

ne peut pas lui apporter les connaissances qu’il

aspire à acquérir. Il visite Bruxelles, puis s’installe à

Paris en 1889. Il fréquente la bohème montmartroise,

devient l’élève de Jules Chéret et dessine des

affiches pour le Salon des Cent et Loïe Fuller. Il

expose pour la première fois à la Société Nationale

des Beaux-Arts en 1894, participe aux Salons de la

Rose+Croix de 1893 et 1894 et à la Sécession de

Munich de 1896. Il produit des caricatures pour les

journaux, des illustrations de livres mais aussi des

aquarelles symbolistes. Son œuvre, inspirée par les

poèmes de Baudelaire, par les romans de

Rodenbach ainsi que par les œuvres de Steinlen et

Forain développe un regard personnel sur les thèmes

décadents de l’art de cette fin du siècle. La figure

de la femme fatale, femme nouvelle et

indépendante, triomphante et distante, est à la fois

le type à la mode et la représentation décadente

d’une séductrice sans pitié.

Tout en continuant sa pratique de la peinture, de

Feure s’oriente dès 1894 vers des domaines aussi

divers que la reliure, la tapisserie et le mobilier. Sa

rencontre en 1899 avec Siegfried Bing le conduit

définitivement vers les arts décoratifs. Bing confie à

de Feure la décoration de la façade et de deux

intérieurs du Pavillon de l’Art Nouveau à l’Exposition

Universelle de 1900. Ses chaises et fauteuils, ornés

des mêmes motifs floraux délicats et linéaires qui

entourent ses figures de femmes fatales, établissent

sa renommée d’artiste Art Nouveau.

Dans l’œuvre de de Feure, influencée par le

japonisme, l’Art Nouveau décoratif dialogue avec

l’onirisme symboliste au sein de compositions

complexes qui donnent une grande importance au

dessin, la couleur intervenant ensuite.

Notre dessin fait partie des projets de tentures ou de

papiers peints que de Feure conçoit au début de sa

collaboration avec Bing. Sa réputation d’artiste

décorateur déjà bien établie, il participe avec ce

dessin au deuxième volume de l’Album de la

Décoration qui présente sous la forme de planches

en chromotypie des modèles ornementaux pour la

décoration. Directement inspiré par les décors

floraux japonais, De Feure apprécie aussi

particulièrement la Manga d’Hokusai et ses

représentations plus ou moins imaginaires de

végétaux et d’animaux. Ici comme dans de

nombreux autres projets de l’artiste pour des

décorations Art Nouveau, le motif floral est organisé

en deux parties symétriques qui se répètent en miroir

autour d’un axe central. Seule exception à

l’équilibre parfait de la composition, le coq introduit

une note d’originalité et devient le sujet du dessin.

Placé aux quatre limites de la feuille, en haut et en

bas à droite et à gauche, il apparaît et disparaît

devant ou derrière les feuillages, en montrant sa

crête ou son panache de plumes bleues.

Page 37: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 38: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Charles Doudelet (Lille, 1861 – Gand, 1938)

16. Paysage italien

Encre de Chine, aquarelle et gouache sur papier

21,4 x 26,5 cm

Signé en bas à droite : CH. DOUDELET.

Provenance :

Collection Paul Eeckhout, conservateur au musée des Beaux-Arts de Gand (acquis auprès de la fille de

l’artiste).

Charles Doudelet quitte Lille à la mort de son père

en 1877 et s’installe à Gand avec sa mère, d’origine

flamande. Âgé de seize ans, il tente de poursuivre

ses études mais est contraint de travailler pour

subvenir aux besoins de la famille. Il suit les cours du

soir à l’Université de Gand, où il rencontre le

photographe Edmond Sacré, qui lui trouve un

emploi au sein de l’Université auprès de l’éminent

bactériologue Emile Van Ermengem. Doudelet

reproduit en de microscopiques dessins les

découvertes du professeur. Il expose ses dessins à

Paris en 1884 puis à Bordeaux où il est décoré d’une

médaille d’or.

La ville de Gand offre au jeune artiste une bourse

pour voyager en Italie et à Paris. Doudelet part

accompagné de Constant Montald, élu du Prix de

Rome pour l’année 1897. De retour, il expose des

dessins d’étude rendant compte de son voyage

italien, puis participe sans succès au Prix de Rome.

La compétition, qui se tient à Anvers, lui permet

toutefois de rencontrer Constantin Meunier qui lui

enseigne le dessin de la figure humaine. En visite au

salon de 1892 de Gand, il fait la connaissance de

Louis De Busscher, fils d’un éditeur de renom. Celui-

ci l’invite à une réunion des jeunes écrivains

fondateurs du Réveil (1892-1895), qui deviendra

l’une des plus importantes revues symbolistes belges.

Grégoire Le Roy, Charles Van Leberghe et Maurice

Maeterlinck sont parmi les nouvelles connaissances

de l’artiste. Maeterlinck en particulier, dont Doudelet

admire depuis longtemps les écrits, lui fournit une

source d’inspiration inépuisable. Il découvre chez

l’écrivain un esprit parent. Il illustre les Douze

Chansons en 18961, Pélléas et Mélisande en 1893,

Serres chaudes 1889.

Il adhère au groupe des XX et en 1894 il participe à

l’exposition de la branche belge du Groupe

indépendant d’études ésotériques avec Jean

Delville, Auguste Donnay, Auguste Leveque, Léon

1 M. Maeterlinck/ Ch. Doudelet, Douze Chansons, Paris 1896.

Éditeur P.-V. Stock, Palais-Royal, Paris. Imprimeur : Louis Van Melle,

Gand. 1896.

Frédéric, Constant Montald, Fernand Knopff et

Carlos Schwabe. A Paris, il participe à L’Estampe

Moderne dirigée par Masson et Piazza pour lesquels

il réalise la lithographie La Châtelaine en 1897. Ayant

obtenu une bourse d’études de la ville de Gand,

Doudelet part à Florence et participe, en 1904, à

l’Exposition Sécessionniste du Palazzo Corsini et

collabore avec les revues Leonardo et Hermès. À

Livourne, il fréquente le milieu artistique du café

Bardi puis il publie, auprès du lithographe Gino Baldi

en 1918 La Guerre et la Paix, un ensemble dédié à

son ami Maeterlinck. Il illustre également, pour

l’éditeur Argentieri de Foligno, une édition des

Fioretti di Sancto Francesco.

Si Doudelet nous met souvent face à des scènes

tourmentées où des personnages en proie à la

terreur sont confrontés à la mort, avec notre dessin il

écarte temporairement le sentiment d'angoisse et

nous présente une image singulièrement sereine. Le

sujet est plausible, réel en quelque sorte à la

différence des paysages qu’il nous donne souvent à

voir. L’image de la montagne avec ses sommets

enneigés devient pourtant un paysage imaginaire,

le synthétisme des formes contribuant à sa

dimension fantastique. Le graphisme qui semble

confiner à la naïveté est en réalité très élaboré.

Doudelet mêle les techniques, plume et gouache

pour mieux définir les contours là où c’est nécessaire,

comme il le fait souvent dans ses dessins. Avec le plus

simple des moyens, le contraste des textures, il met

en valeur l’écart entre la matière de la montagne

réalisée avec une gouache diluée, et celle de la

neige et des nuages dont la blancheur épaisse,

appliquée avec un pinceau sec, donne de la

profondeur à l’image et en accentue l’aspect

aérien.

Page 39: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 40: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Juan Cardona Llados (1877 – 1957)

17. La Lettre, 1902

Fusain, encre de Chine, aquarelle et gouache sur papier

47,5 x 36,2 cm

Signé et numéroté en bas à droite : J. Cardona / 25

Publication :

Le Rire, n°428, 17 janvier 1903.

Juan Cardona nait à Barcelone et poursuit à partir

de 1895 une formation artistique à l’Ecole des Beaux-

Arts de la Lonja. L’année suivante, il voyage pour la

première fois à Paris. Il y fait la rencontre des

caricaturistes Cappiello, Sem, Steinlen, Roubille et

commence à s’intéresser à l’illustration. Tandis qu’il

expose au Salon de la Société Nationale des Beaux-

Arts et au Salon d’automne, il collabore avec des

revues catalanes comme El Gato Negro et Hispania,

françaises comme Le Rire et allemandes comme

Jugend et Simplicissimus.

Parmi ses sujets favoris se trouve la femme, toujours

présente dans ses compositions. Espagnoles aux

robes bariolées dont les couleurs sont exacerbées

par la lumière artificielle, ou femmes du monde

parisien qui fréquentent les cafés-concerts et autres

lieux de récréation galante, Juan Cardona observe

et commente certains types féminins bien

particuliers. De la Catalogne à Paris, il sonde les

comportements pour créer des images qui reflètent

son époque. Il inscrit ainsi son œuvre au sein de la

production de cette communauté espagnole,

surtout catalane, qui a apporté sa contribution au

post-impressionnisme tout en développant les bases

du modernisme espagnol. Entre l’Exposition

Universelle de Barcelone de 1888 et l’Exposition

Universelle de Paris de 1900, un échange très fécond

se met en place entre artistes parisiens et catalans.

Paris devient un passage obligé pour les artistes et

intellectuels catalans, en commençant par Ramon

Casas et jusqu’à Xavier Gosé qui est un ami proche

de Cardona dont l’œuvre d’inspiration espagnole

prend forme grâce à une technique sans aucun

doute française.

Paris est le modèle de la ville cosmopolite, d’un

environnement nouveau qui se matérialise à travers

les atmosphères des cafés, le fourmillement des

milieux mondains, les ambiances lumineuses

produites par l’arrivée de l’électricité. De ce

foisonnement général émerge la notion nouvelle

d’anonymat qui dégage par contraste des figures

récurrentes, sans précédent, dont se saisissent les

artistes pour en faire les symboles d’une époque.

Dans notre dessin, publié dans Le Rire en janvier

1903, Cardona exploite le thème de la femme seule

au verre d’absinthe. Le visage à peine visible sous un

grand chapeau, elle est absorbée par l’écriture

d’une lettre. A l’arrière-plan, deux personnages assis

au comptoir animent la scène. Commentateur des

mœurs de son époque, Cardona nous livre une

image caractéristique de l’atmosphère fin-de-siècle

où la femme a, comme souvent, le rôle principal.

Page 41: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 42: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Théophile Alexandre Steinlen (Lausanne, 1859 – Paris, 1923)

18. Projet d’enveloppe

Encre de Chine sur papier

9 x 13 cm

Signé du monogramme au milieu à droite

Depuis ses débuts à Paris, Steinlen a toujours été

fasciné par les chats. Tout au long de sa carrière,

l’artiste les dessine dans toutes les positions, les

représente sur des affiches et des lithographies, les

sculpte même parfois. C’est sans doute à

Montmartre, lors de sa collaboration régulière avec

la revue du Chat Noir, qu’est née cette passion. Les

affiches réalisées par Steinlen, comme celle conçue

en 1896 pour la Tournée du Chat Noir, sont devenues

des icônes.

Steinlen développe sa passion pour les félins dans la

continuité de Champfleury, qui publie déjà en 1869

Les Chats : histoire, mœurs, observations, anecdotes,

publié par J.Rothschild et illustré entre autres par des

dessins de Delacroix, Viollet-le-Duc, Mérimée, Manet

et Hokusai. Cet ouvrage, désormais considéré

comme un classique, retrace l’histoire du félin depuis

l’Antiquité et en souligne l’influence artistique et

poétique.

Champfleury fait du chat l’attribut symbolique de

l’artiste en cette fin de siècle de plus en plus urbaine,

et Steinlen s’en approprie l’image en la diffusant

largement à travers ses illustrations montmartroises. Si

il n’ignore sans doute pas les animaux

anthropomorphes de J.-J. Granville, il privilégie dans

la plupart de ses dessins un chat presque naturel,

dont il observe les déambulations urbaines et les

poses quotidiennes.

Il nourrit alors son amour des félins grâce à une autre

lecture, Les Chats de Baudelaire, un sonnet paru

dans Les Fleurs du Mal qui définit l’animal, déjà icône

artistique, comme un être voluptueux et amant des

ténèbres, noble et fier, mystérieux et parfois

mystique. La vague japoniste qui s’empare de

Montmartre et du milieu culturel parisien pendant la

seconde partie du siècle ne laisse pas Steinlen sans

enthousiasme : il emprunte à Hiroshige l’esprit des

chats qui peuplent ses estampes, et se laisse inspirer

par les cachets marquant les gravures japonaises

pour concevoir une marque qui lui soit absolument

personnelle.

En 1894, l’affiche de sa première exposition

personnelle à la Bodinière montre un monogramme

clairement inspiré par les traits fluides de pinceau de

la peinture japonaise. Un S très arrondi dans la partie

inférieure entoure les lettres A et T, initiales du nom

de l’artiste. Steinlen expérimente ensuite différentes

possibilités, à la recherche de celle qui sera la plus

représentative : tour à tour iconiques,

alphabétiques, japonistes ou graphiques, ses essais

témoignent de l’importance que l’artiste accorde à

la signature de ses œuvres.

Notre dessin a été utilisé par l’artiste, avec quelques

variantes, pour l’impression d’enveloppes et de

cartes postales destinées à son courrier personnel

(fig. 1).

Petit clin d’œil supplémentaire, Steinlen habite alors,

comme il l’indique sur notre dessin, au 73, rue

Caulaincourt, à Montmartre, dans le pavillon de

Bavière remonté à cette adresse après l’exposition

universelle de 1900. Rebaptisé le Cat’s Cottage, la

maison abrite une bande de chats recueillis par

l’artiste dans le maquis, qu’il croque inlassablement.

Figure 1

Page 43: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 44: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Achille Laugé (Arzens, 1861 – Cailhau 1944)

19. Une Toulousaine, Mary Jane, 1904

Fusain et pastel sur toile

38,5 x 48,5 cm

Signé et daté en haut à gauche : A. Laugé / 1904

Annoté au crayon, sur le châssis : Une toulousaine / Mary Jane par A. Laugé

Né à Arzens dans l’Aude, Achille Laugé passe son

enfance à Cailhau et fréquente le lycée de

Carcassonne où il se fait remarquer par ses bonnes

dispositions pour le dessin. Il peint dès l’adolescence,

fabriquant lui-même à partir d’ingrédients naturels

les couleurs qu’il ne peut acheter. Il fréquente

ensuite l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse en

compagnie d’Antoine Bourdelle et d’Henri Martin

avant de s’installer à Paris à l’âge de vingt ans. Il y

retrouve son ami Bourdelle avec qui il partage une

chambre rue Bonaparte et fait la rencontre

d’Aristide Maillol dans les ateliers de Cabanel et de

Jean-Paul Laurens. Les trois jeunes artistes

deviennent vite inséparables, dans la vie comme

dans leurs recherches artistiques. Maillol fait alors

quelques tentatives d’inspiration pointilliste, mais on

ne sait si Laugé s’est également livré à de tels essais

pendant cette période de jeunesse. Il a pourtant

sans aucun doute eu l’occasion, pendant ses sept

années parisiennes, de découvrir les nouvelles

tendances picturales liées au néo-impressionnisme.

Si on ne retrouve pas de traces formelles d’un

contact entre Laugé et Seurat, Signac, Angrand,

Luce, Cross, il est à peu près certain qu’il ait eu

l’occasion de voir leur œuvres à plus d’une occasion

lors des expositions des impressionnistes, à la galerie

Durand-Ruel, à la galerie Georges Petit, au salon de

la Société des Artistes Indépendants et bien sûr la

présentation de Un dimanche après-midi à l’Ile de la

Grande Jatte de Seurat pendant la 8ème exposition

des impressionnistes en 1886.

Si Laugé observe et retient les principes des

évolutions picturales qui lui sont contemporaines, il

ne réagit pas tout de suite comme ses amis Maillol et

Henri Martin. Il n’entame sa véritable production

divisionniste que quelques années plus tard, lorsqu’il

rentre dans sa région natale. C’est là, dans la forte

lumière du sud de la France, qu’il retrouve les lois de

la décomposition du ton. Loin des règles et des

théories trop strictes, son approche empirique allie

beaucoup de délicatesse à une certaine naïveté,

une intemporalité et un dépouillement qui

rappellent parfois Puvis de Chavannes. Son refus du

pittoresque et de l’anecdote va de pair avec un

souci de la composition qui le situe bien sûr dans la

continuité de Seurat.

A Cailhau il peint des portraits, des natures mortes et

beaucoup de paysages en jouant des effets de

lumière suivant les heures du jour et les saisons. Il fait

le choix d’une palette restreinte et de couleurs

terreuses, ocre et brun, qu’il associe à des couleurs

pures, vert et rouge.

Réservé et solitaire, Laugé est pourtant un des rares

peintres néo-impressionnistes ayant produit un grand

nombre de portraits.

Parmi tous les portraits réalisés par l’artiste, notre

dessin est le seul connu montrant une jeune femme

élégante et gracieuse à l’exception des huiles

représentant Jeanne Sarraut et Madame Astre.

L’image de cette belle jeune femme tranche en

effet avec les nombreux portraits de paysannes que

Laugé faisait habituellement poser. Le modèle de

notre dessin, Mary Jane, prête une première fois son

image à Laugé pour la publicité des vins de l’Aude,

parue en 1900. Notre dessin est postérieur à ce fait

mais Marie Jane continue de fréquenter le milieu

artistique et littéraire qui entoure l’artiste, Albert

Sarraut et notamment Achille Astre qui apprécient la

beauté de la jeune femme. Marie Jane devient la

maitresse d’Achille Astre après son divorce de Marie

Salvan qui fut sa première épouse. Une lettre de la

seconde épouse d’Achille Astre au chanoine

Sarraute, érudit et amateur d’art ayant regroupé

une précieuse documentation sur les artistes de sa

région, atteste de cette relation et du fait que Mary

Jane, jeune femme d’origine espagnole, ait bien été

le modèle pour la publicité des vins de l’Aude.

Sensible à l’environnement lumineux, Laugé donne

ici moins d’importance au jeu des tons et des

couleurs qu’aux rapports de lumière et d’ombre en

choisissant le fusain qu’il anime de quelques touches

de craie de couleur. Il utilise le point à la manière de

Seurat et de Signac, mais aussi les hachures, les traits

entrecroisés, les virgules fines. Le divisionnisme se

conjugue alors à l’épure des formes, à la

simplification des volumes traités par grandes

masses. Sa touche caractéristique en croisillons lui

permet de ne pas délimiter les contours et révèle

ainsi une aura de mystère et de douceur qui

contraste avec le statisme monumental de cette

figure de femme.

Page 45: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 46: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Carlos Schwabe (Altona, 1866 – Avon, 1926)

20. Portrait de Maria Schwabe, fille de l’artiste, âgée de sept ans, 1907

Pastel sur papier

50,7 x 43,2 cm

Signé et daté vers le milieu à droite : Carlos Schwabe / 1907

Dès les premières années du 20ème siècle, Carlos

Schwabe met ses talents de dessinateur au service

d'une pratique plus intime, le portrait. Ce retour aux

sources du dessin marque le désir de l’artiste de

rénover sa recherche de l’excellence technique.

Sensible à l’évolution des goûts, Schwabe est aussi

en quête de sujets qui puissent apporter un souffle

nouveau à son art. La figure de l’enfant, souvent

présente sous la forme de portraits dans ses dessins

d’après 1900, reflète cette volonté de changement.

Avec notre portrait de sa fille Maria, dite Yaya,

l’artiste apporte sa propre contribution à la mutation

de l’image de l’enfant emblématique de tout le

19ème siècle. Cette évolution sociale majeure qui

représente le projet moderne de bouleverser les

sensibilités peut déjà être aperçue à travers les

portraits de Greuze, Gainsborough et Reynolds et

sera définitivement incarnée par la figure de

l’enfant-peuple empreinte de réalisme dans les toiles

de Bastien-Lepage et de Dagnan-Bouveret. Après la

femme, l’enfant semble être devenu l’archétype de

l’énigme symboliste et des artistes tels que Léon

Frédéric, qui mêle l’influence du naturalisme à celle

des primitifs flamands, ou Franz Von Stuck saisissent

l’enfant dans toute son impénétrable étrangeté

parfois menaçante, sans pureté ni idéal, quelques

années avant le début du 20ème siècle qui sera Le

siècle de l’enfant selon le célèbre essai de l’écrivain

féministe Ellen Key.

Schwabe est parfaitement conscient de toute la

complexité contenue dans une image d’enfant

lorsqu’il décide de représenter Yaya dans une robe

rose orangé qui accentue l'effet troublant de son

regard et la malice de son sourire. Le caractère

espiègle de Yaya est déconcertant dans son

apparente naïveté et entre jeu, défi, minauderie,

Yaya se met en scène et Schwabe s’en amuse. Le

rapport entre peintre et modèle est ici aussi celui

entre père et fille. Ce dessin, un surprenant inédit (on

ne connaissait jusqu’alors qu’un portait de Maria

moins achevé, exécuté deux ans plus tard, figure 1),

éclaire le lien entre la pratique symboliste de l’artiste

et l'intimité de sa vie familiale à travers laquelle

l'artiste semble bien poursuivre sa perpétuelle quête

de l’étrange.

Figure 1

Maria Schwabe à l’âge de neuf ans, 1909

Collection particulière

Page 47: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 48: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Gabriele Galantara (Montelupone, 1865 – Rome, 1937)

21. Le Laboratoire de la Liberté

Encre de Chine et gouache blanche sur papier

30,5 x 23,5 cm

Signé en bas à droite : Galantara

Gabriele Galantara nait à Montelupone, en Italie

centrale, dans une famille de la noblesse déclassée.

A la mort de son père, la condition économique de

la famille devient précaire et le jeune Gabriele se

voit contraint d’entreprendre des études

scientifiques malgré un don certain pour le dessin.

Installé à Bologne, il fréquente la faculté de

mathématiques mais n’y trouve que peu d’intérêt.

En 1887 il s’inscrit aux cours de nu de l’Académie des

Beaux-Arts de la ville. Ses relations avec le milieu

intellectuel universitaire le poussent à prendre parti

pour les mouvements républicains et anti-cléricaux.

A la recherche d’une manière efficace pour

exprimer ses idées, Galantara se tourne vers le

journalisme et le dessin satirique. Disciple du poète

Giosuè Carducci dont il partage les idées, le jeune

artiste fait la rencontre d’un étudiant en littérature,

Guido Podrecca, avec qui il débute une proche

relation d’amitié renforcée par une vision politique

commune. Ecriture pour l’un, caricature pour l’autre,

les deux jeunes gens créent en 1888 le journal

satirique Bononia Ridet. Egalement collaborateur

régulier du périodique humoristique bolonais La

Rana, Galantara ne tarde pas à être considéré

responsable d’une révolte étudiante ainsi que de

l’incitation à la grève ouvrière. Expulsé de l’université

bolonaise, le duo Galantara-Podrecca est invité à

Rome où il collabore à la rédaction de Il Torneo et

entre en contact avec de nombreux groupes

socialistes, républicains et anarchistes. En 1892

Galantara et Podrecca créent la revue L’Asino

(L’Âne) en référence à une célèbre phrase de

l’homme politique F.D. Guerrazzi : « le peuple est

comme l’âne : utile, patient et malmené ». L’Asino

diffuse de manière très efficace les idées socialistes

et son succès est immédiat. Dans la même

démarche, Galantara collabore à partir de 1896

avec le quotidien Avanti !, organe officiel du parti

socialiste italien. A la suite de plusieurs arrestations

pour propagande et participation à des

mouvements sociaux, Galantara décide de

voyager en Europe pour échapper à la censure. Il

collabore avec le journal satirique Der Wahrer Jacob

en Allemagne, puis en France avec L’Assiette au

Beurre pour lequel il réalise Le Vatican en 1905, Vive

la Russie ! et Chronique russe en 1906, La paix à la

Haye en 1907. A Paris, il participe en 1909 au Salon

des Humoristes et au Salon d’Automne dans la

section italienne d’art moderne. De retour en Italie,

Galantara voit son amitié avec Podrecca troublée

par une divergence d’opinions politiques. Pendant

la première guerre mondiale, il se range contre

l’Allemagne et en faveur de la Triple Entente de

Grande Bretagne, France et Russie. Une fois la

guerre terminée, l’opposition au fascisme devient

son nouveau cheval de bataille. Arrêté et

condamné à cesser toute activité journalistique, il

consacre ses dernières années à la peinture à l’huile

et sur céramique et à la confection de marionnettes

pour le cinéma.

Passionnément impliqué dans la vie politique de son

temps, Galantara met sa forte personnalité au

service des principes sociaux auxquels il croit. Avec

son hebdomadaire L’Asino, il sait avoir entre les

mains une arme idéologique de masse.

Dans notre dessin, la liberté pour laquelle Galantara

lutte quotidiennement grâce à la satire est assimilée

à la nécessité d’une prise de position radicale et

parfois violente. L’artiste va encore plus loin dans la

métaphore et met ici en scène un groupe

d’individus occupés à une tâche bien singulière, car

celui qui apparaît au premier abord comme un

laboratoire scientifique est en réalité un atelier pour

la fabrication d’une bombe. Cette scène, aux

allures de film noir avant l’heure, joue son aspect

dramatique dans les contrastes de blanc et de noir.

L’économie des moyens employés par Galantara

est aussi rigoureuse que le résultat est étonnant et le

suspens palpable. Les profils blancs des comploteurs

se détachent nettement par rapport à l’obscurité du

fond et le seul élément éclairé par la lumière qui

pénètre par la fenêtre est la table avec les

éprouvettes.

Galantara suggère ainsi que la liberté doit faire

l’objet d’un travail et d’une recherche constants. Si

elle n’est jamais acquise d’avance, tous les moyens

doivent être pris en considération en vue de sa

réalisation qui dépend, avant tout, de la volonté de

chacun d’en faire l’expérience.

Page 49: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 50: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Georges Goursat, dit Sem (Périgueux, 1863 – Paris, 1934)

22. Portrait de Giovanni Boldini, 1912

Mine de plomb sur papier

31,5 x 24 cm

Signé en bas à droite : Sem

Exécuté au revers d’un menu du restaurant Maxim’s, en date du 22 janvier 1912

Originaire de Périgueux, Sem quitte sa ville natale en

1889 et s’installe à Bordeaux où il poursuit son travail

de caricaturiste pour la presse locale. Il y fait la

rencontre de Paul Berthelot, l’une des principales

figures de la presse bordelaise, journaliste et

rédacteur en chef de la Petite Gironde, qui l’introduit

dans son cercle intellectuel et mondain.

Bordeaux représente un terreau fertile pour la

construction de la future carrière de l’artiste.

Pendant ces années de jeunesse il met en place un

mode de travail qui lui est propre et qu’il conservera

pendant toute sa vie. Sem cherche en effet de

nouveaux supports pour ses œuvres et entreprend la

création d’ « albums » qui réunissent ses dessins en

ensembles cohérents. Ceux-ci deviendront sa

marque de fabrique. Il s’éloigne alors peu à peu du

ton de la caricature, ses choix stylistiques et de sujets

évoluent en même temps que le support de ses

œuvres. Il se rapproche du portrait et du portrait

charge, puis renouvelle son vocabulaire personnel

en prenant comme modèle la ville moderne,

Bordeaux, qui devient le théâtre de scènes de rue

saisies sur le vif. Le langage plastique que Sem

développe pendant ces années bordelaises, entre

aplats de couleurs vives et contours noirs rappelant

des ombres chinoises, s’attache à révéler non

seulement la vie de la ville mais plus largement

l’énergie d’une époque.

Sem s’installe à Paris en mars 1900, au moment de

l’ouverture de l’Exposition Universelle. Il poursuit la

création des albums qui ont inauguré son succès et

se consacre cette fois-ci à la représentation des

figures de la mondanité. Si la presse confirme son

assise parisienne, Sem fournit des caricatures à

plusieurs revues sans s’attacher exclusivement à une

publication. Habitué de Maxim’s, des courses, des

casinos et des lieux de villégiature à la mode, il

connait toutes les célébrités de son époque. Proust

fait partie de ses admirateurs, tandis que Boldini et

Helleu sont ses amis les plus proches et contribuent à

faire de lui un symbole de la vie artistique et

mondaine de la Belle-Époque. Dans ses critiques

mondaines, Jean Lorrain ne cite jamais l’un sans les

deux autres : Boldini, Helleu et Sem. Sur l’avenue du

Bois de Boulogne, à Longchamp, Auteuil et

Deauville sur le Yacht de Helleu, pendant vingt-cinq

ans les trois artistes ne se quittent quasiment jamais.

Parmi les personnages qu’il croque à longueur de

journée sur ses feuilles de carnet, son ami Boldini fait

certainement partie de ses sujets préférés.

Le visage du peintre est ici rapidement esquissé à la

mine de plomb mais le ton du dessin ne manque pas

d’affectueuse malice. Boldini, sous son chapeau

melon qui cache partiellement son visage, s’est

vraisemblablement assoupi, à la suite, peut-être,

d’un dîner chez Maxim’s, comme pourrait le

suggérer le verso de notre dessin. Affalé sur un siège

invisible, son ventre rond en premier plan, le grand

artiste n’apparaît pas tout à fait à son avantage

alors qu’il prend un instant de repos entre un rendez-

vous mondain et l’autre… et c’est bien cela que le

caricaturiste apprécie le plus.

Notre dessin cristallise le ton franc et assuré de Sem

qui maitrise alors parfaitement son style.

Page 51: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 52: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Alexis Mérodack Jeaneau (Angers, 1873 – 1919)

23. Le Clown, 1913

Plume et encre brune sur papier

14 x 10 cm

Signé et daté en haut à droite : merodackjeaneau 13

Elève de Gustave Moreau, camarade de Matisse,

Manguin, Marquet, Toulouse-Lautrec et du Douanier

Rousseau, Mérodack Jeaneau a eu un rôle central

dans l’actualité artistique de son époque. Membre

en 1896 du Salon des Indépendants, il adopte le

pseudonyme rosicrucien de Mérodack qu’il

emprunte à un héros de Joséphin Péladan. Il voyage

ensuite en Belgique, Hollande et en Angleterre. Sa

première exposition personnelle a lieu en 1899 à la

galerie La Bodinière où se mêlent des œuvres

encore réalistes à d’autres plus franchement

inspirées du symbolisme. Cette période correspond

avec le début d’une prolifique activité d’illustrateur

de livres, comme le roman L'Homme-fourmi de Hans

Ryner (1901) publié par les Éditions de la Maison d'art,

et de revues comme Les Partisans et la Revue

Verlainienne.

Fin 1901, Mérodack-Jeaneau entreprend un voyage

en Espagne qui l’éloigne du réalisme et du

symbolisme. Ses recherches picturales deviennent

plus radicales, il va vers « la simplification et

l’harmonie simultanée de la ligne et de la couleur »1.

En avril 1902, il expose le résultat de ses nouvelles

recherches à la galerie Clovis Sagot. La couleur, le

trait et l’expression du mouvement annoncent déjà

la Danseuse jaune de 1912. De caractère

intransigeant et parfois polémique, en 1904 l’artiste

déclare « la guerre aux marchands de tableaux ». Il

ouvre une boutique rue Le Peletier où les artistes

exposent et vendent sans intermédiaire. Sa première

exposition réunit des peintres symbolistes français,

des fauves et des expressionnistes allemands. Parmi

ceux-ci se trouvent Duchamp-Villon, Delaunay,

Feininger, Kandinsky et Archipenko. Il crée cette

même année la revue les Tendances nouvelles ainsi

que l’Union Internationale des Beaux-Arts, des

Lettres, des Sciences et de l’Industrie dont les

présidents sont Paul Adam, Auguste Rodin et

Vincent d'Indy. Au Salon des Indépendants où il

expose en 1904, un critique remarque ses figures

féminines rêveuses et fatales : « il y a dans ces

femmes une lassitude, une aristocratie épuisée qui

suggère beaucoup, car elles correspondent à

certains états moraux de nos sociétés décadentes ;

ces faces souffrent d’être inutiles et de rêver en vain

à d’antiques et défuntes splendeurs »2. Mérodack

Jeaneau évolue par la suite vers une peinture

proche du fauvisme et du synthétisme de Gauguin,

dont il se veut le théoricien. En 1907, il organise à

Angers Le Musée du peuple, une exposition qui

comprend d’importantes toiles de Cézanne, du

douanier Rousseau et de Kandinsky. Vers 1910, la

pratique de la sculpture vient compléter son travail

pictural de la ligne et de la couleur, avec une

prédilection pour la recherche de l’expression

vivante qui caractérise absolument et depuis

toujours son œuvre.

Les compositions vives et contrastées de Mérodack

Jeaneau tendent, à partir des années 1910, vers une

stylisation de plus en plus prononcée qui va de pair

avec l’intérêt qu’il porte au futurisme italien. Ce sont

sans doute ces choix esthétiques et sa fascination

pour le mouvement qui ont amené l’artiste à

s’intéresser à l’univers du cirque. Dans la lignée de

Seurat, Chagall, Picasso, Léger, Degas et Renoir, il

peint des personnages colorés dont la silhouette est

définie par des lignes nettes au tracé volontaire.

En 1913, année de la réalisation de notre dessin,

l’artiste a déjà entamé des recherches visant à

développer les qualités décoratives de son art. Avec

Le clown à la boule exposé au deuxième Salon

Unioniste des Beaux-Arts et des Lettres, l’artiste

résume son évolution récente en un tableau qui est

aussi un dessus de porte, partie d’un projet décoratif

plus complexe. Pour notre personnage, mi-clown,

mi-Pierrot, Mérodack Jeaneau renonce à la couleur

mais définit d’un trait presque continu, en « fil de

fer », un acteur de cirque saisi dans une pose

symétrique qui en exalte le potentiel décoratif. Le

dessin réduit à l’essentiel permet à la ligne noire,

semblable à celle de Matisse, de devenir motif.

Emblématique de la condition de l’artiste et en

particulier de tous ceux qui rejettent l’académisme

des Beaux-Arts, le Pierrot esseulé évoque le

caractère farouche de notre artiste.

1 « L’Ecole synthétique », Angevin de Paris, 28 novembre 1913. 2 Gabriel Boissy, Chronique des livres, mars 1904.

Page 53: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 54: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Alfred Kubin (Leitmeritz, 1877 – Zwickledt 1959)

24. Circé

Encre de Chine et aquarelle sur papier

21,6 x 26 cm

Signé en bas à droite : Kubin

Né en Bohème, Alfred Kubin passe son enfance à

Salzbourg et Zell am See avec son père, géomètre

et ancien officier de l’armée impériale, et sa mère,

pianiste, qui lui transmet son goût pour l’art mais

meurt prématurément alors que Kubin n’a que dix

ans. Cette expérience bouleversante et le manque

d’attentions de la part de son père influencent de

manière décisive la personnalité de l’enfant. Kubin

ne s’intéresse qu’au dessin et privilégie les sujets

imaginaires à tendance morbide. Il commence à

fréquenter l’école des arts appliqués de Salzbourg

mais supporte peu l’autorité et est renvoyé en 1892.

Il est alors placé en apprentissage chez son oncle

photographe à Klagenfurt mais se passionne peu

pour le travail. Cette période de détresse culmine

avec sa tentative de suicide sur la tombe de sa mère

en 1896 et par une grave dépression nerveuse

pendant son service militaire en 1897.

A la suite de ces évènements, Kubin décide de

reprendre le dessin et s’inscrit dans l’atelier de

Schmid-Reutte puis à l’académie des Beaux-Arts de

Munich chez Nikolaos Gysis. A cette époque,

Nietzsche, Schopenhauer et Kant sont parmi ses

auteurs favoris tandis que Goya, Bosch et ses

contemporains Ensor, Klinger, Munch, de Groux,

Beardsley et Redon influencent sa production

plastique.

En 1902 a lieu sa première exposition personnelle

chez Bruno Cassirer à Berlin, où il rencontre l’écrivain

Thomas Mann qui lui demande d’illustrer une

sélection de ses nouvelles. Lorsque Kubin doit encore

faire face à la mort de sa jeune fiancée, le dessin

devient une nécessité intérieure, un procédé de

libération de visions agressives et opprimantes. La

subjectivité constitutive de son œuvre se matérialise

à travers un monde fantastique fait de visions

surnaturelles, de rêves où se mêlent réalité et fiction.

Grâce à ses dessins, Kubin n’exprime pas seulement

ses propres détresses, mais celles de toute une

génération qui fait l’expérience de changements

historiques, sociaux et scientifiques sans précédents,

qui bouleversent entièrement les anciens modèles

de pensée.

En 1904 Kubin rencontre une jeune veuve, Hedwig

Gründler, dont la compagnie lui apporte un peu de

répit. Il voyage en France et en Italie avant de

s’installer avec elle à Zwickledt vers 1906 où il connait

une période de grande créativité. Son œuvre

littéraire Die Andere Seite (L’Autre côté) rédigé en

1908 éclaire les bases psychologiques de son art.

Kubin illustre lui-même son roman et inaugure ainsi

une florissante activité d’illustrateur. Il intègre

désormais la couleur et sa production se fait moins

sombre. Invité par Kandinsky, il fait partie en 1911 du

Blaue Reiter puis participe en 1913 au premier Salon

d’Automne de Berlin. Après la Grande Guerre a lieu

à Munich une grande exposition de son œuvre et

l’Albertina de Vienne lui organise une rétrospective

en 1937. Une grande sélection de ses œuvres est

enfin présentée à la Biennale de Venise de 1952.

Pour faire face à une crise prolongée, Kubin se

plonge dans l’écriture de son roman L’autre côté.

Cette étape littéraire marque le début de la

deuxième période créatrice de l’artiste qui semble

avoir appris à prendre le recul nécessaire sur ses

souffrances. Il n’abandonne pas ses thèmes de

prédilection mais se consacre au perfectionnement

de sa technique et associe son travail

d’introspection à une observation du monde qui

l’entoure. Il cherche alors à l’extérieur de lui-même

des thèmes qui puissent incarner ses préoccupations

intimes.

Avec ses traits enchevêtrés et la présence subtile de

la couleur, notre dessin réalisé moins de dix ans après

l’écriture de L’autre côté est un exemple de la

nouvelle démarche de Kubin. Celui-ci se sert du

mythe de Circé pour représenter le paysage de son

esprit peuplé de chimères et de monstres

grotesques, qui rappellent son admiration pour

Bosch plus qu’ils n’illustrent le mythe de la

magicienne. Avec Kubin nous nous trouvons dans un

monde enchanté, où tout paraît advenir sans but

apparent. Une étrange créature mi femme, mi-

poisson, se tient au centre de trois animaux fabuleux.

Étaient-ils hommes avant le sortilège? Dans la scène

représentée ici la magie a déjà opéré et nous en

voyons le résultat sans en connaître l’histoire. Kubin

sélectionne dans le mythe un instant représentatif de

ses angoisses car ce sont de fait celles-ci qui

engendrent toutes les transformations qu’il traduit

en dessin.

Page 55: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 56: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Armand Rassenfosse (Liège, 1862 – 1934)

25. Jeune femme nue au turban

Mine de plomb et aquarelle sur papier

29,5 x 24,5 cm

Signé vers le bas à droite : Rassenfosse

Œuvre en rapport :

C. Farrère, Shahrâ sultane ou les Sanglantes Amours authentiques et mirifiques de sultan Shah’Riar, roi de

la Perse et de la Chine, et de Shahrâ sultane, héroïne. Illustrations d’A. Rassenfosse, Paris, 1923.

Armand Rassenfosse poursuit sa carrière active

d’illustrateur dans le premier quart du XXème siècle.

Il parvient à renouveler son style, sans rester attaché

au caractère symboliste de ses compositions de la

fin du XIXème siècle, à la différence d’un bon

nombre de ses confrères.

Son trait se fait alors plus léger, et il utilise de façon

particulièrement subtile l’aquarelle pour rehausser

ses compositions.

En 1923, Il entreprend l’illustration complète du conte

oriental de Claude Farrère, qui comprend soixante-

six compositions entières, un titre, soixante-trois

compositions dans le texte et de nombreuses

ornementations typographiques.

Inspiré du succès des Contes des Mille et une nuits,

dont les éditions illustrées fleurissent au début du

XXème siècle, le conte de Farrère emmène le

lecteur dans un univers exotique évocateur,

légèrement provocant et un brin licencieux.

Rassenfosse est ici chez lui. Le corps féminin est en

effet l’un des thèmes prépondérants de son œuvre,

depuis ses premières compositions et sa

collaboration avec Félicien Rops.

Mais la noirceur de ses œuvres symbolistes laisse ici

la place à une vraie légèreté, jusque dans le

traitement du sujet, délicatement modelé à la mine

de plomb rehaussée d’aquarelle. La sultane

dévêtue n’a plus rien d’une femme fatale et

vénéneuse, mais invite à un tout autre voyage.

Page 57: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 58: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

George Desvallières (Paris, 1861 – 1950)

26. Jeanne d’Arc prend le drapeau de la France, 1914

Huile, essence et encre sur papier marouflé sur papier

72 x 51,5 cm

Exposition :

2016, Paris, musée du Petit-Palais, George Desvallières, La peinture corps et âme, n°62.

Bibliographie :

C. Ambroselli de Bayser, Georges Desvallières et la Grande Guerre, Paris, 2013, p. 98 (repr.).

George Desvallières découvre l’art grâce à son

grand-père Ernest Legouvé, académicien, poète,

dramaturge et critique. Il est tout d’abord formé par

Élie Delaunay qui privilégie la pratique du dessin, la

visite des musées et les voyages. En 1884, le maître et

l’élève visitent ensemble le Tessin. Desvallières

poursuit ses études à l’académie Julian, puis

Delaunay le présente à Gustave Moreau. La

rencontre est décisive et marque profondément le

jeune artiste qui a la chance de faire ses premières

découvertes artistiques loin du système académique

des Beaux-Arts. Lorsqu’il s’y inscrit enfin et fréquente

les ateliers de Tony Robert-Fleury et de Jules

Valadon, il a déjà une indépendance qui lui permet

de saisir très librement l’enseignement qui lui est

dispensé.

Il débute avec succès au Salon en 1883, où il expose

des portraits d’amis et de parents saisis sur le vif. Son

voyage en Italie en 1890 lui permet d’approfondir sa

connaissance des maitres italiens. Ses œuvres de

l’époque mettent en avant le choix de sujets

symbolistes et une certaine conception dramatique

de la religion. Son grand pastel Les Tireurs d’arc,

montrant des athlètes maniant des arcs bleus

devant un vol de grues japonaises, lui vaut une

médaille à l’exposition universelle de 1900. Les

qualités décoratives de la composition sont

soulignées par la puissance des corps en

mouvement, témoignage d’une tension entre le

corps et l’esprit, le charnel et le spirituel, qui restera

présente dans tout son œuvre.

A la mort de Moreau, Desvallières débute une

correspondance avec Georges Rouault. Il voyage

en Sicile, à Naples, au Portugal et au Maroc, puis

expose à Munich et Düsseldorf. Son style évolue vers

un naturalisme critique qui dépeint les nuits

cosmopolites et modernes de Londres et de

Montmartre. En 1903, il est parmi les fondateurs du

Salon d’automne avec Adler, Carrière, Vallotton,

Vuillard. Il préside la section peinture et soutien les

avant gardes, les Fauves en 1905 et les cubistes en

1912. En 1904 et sous l’influence de Léon Bloy, il

opère un retour à la foi et défend avec George

Roualt un christianisme militant et social. A partir de

1905, il affirme un style expressionniste dans les

décors que lui commande l’industriel Jacques

Rouché, successivement directeur du théâtre des

Arts et de l’Opéra de Paris. Celui-ci associe

Desvallières au réaménagement de son hôtel

particulier à Paris avec Denis et Besnard, puis à celui

de son château de Saint-Privat dans le Gard.

Au retour de la grande guerre, Desvallières met en

images l’expérience des combats. Il expose Douze

études de guerre 1914-1918 à la galerie Druet. Ayant

perdu un fils au combat, son expérience

douloureuse et sa quête spirituelle personnelle le

poussent à créer en 1919, avec Maurice Denis, les

Ateliers d’art sacré dont l’ambition est celle de

former une nouvelle génération d’artistes chrétiens.

L’Exposition internationale d’art sacré à Rome, sa

présence au pavillon français de la Biennale de

Venise de 1934 et à l’Exposition internationale de

New York en 1939 consacrent la renommée d’un

peintre qui a su marquer son temps.

Chrétienne luttant pour la France, Jeanne d’Arc est

béatifiée en 1909 puis canonisée en 1920. Peu avant

le déclenchement de la première guerre mondiale,

la figure de la martyre fait l’objet d’un véritable

engouement. Symbole du patriotisme et du sacrifice

pour la France, son image est politisée et liée tantôt

à la gauche, tantôt à la droite dans un processus de

récupération souvent contradictoire. Entre

philosophie, politique et religion, Jeanne d’Arc

devient un personnage officiel représentatif d’une

France qui tente de définir sa place dans un

contexte international bouleversé.

Paul Déroulède, regarde alors vers les provinces

perdues d’Alsace et de Lorraine. Animateur de la

Ligue des Patriotes, il se saisit du personnage de

Jeanne d’Arc qui représente le sommet de

l’héroïsme. A sa mort le 31 janvier 1914, Desvallières

le représente étendu sur un linceul, dans les bras de

l’Alsace et aux pieds de Jeanne d’Arc en armure.

Page 59: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 60: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Maurice Langaskens (Gand, 1884 – Schaerbeek, 1946)

27. L’Anglais, 1915

Mine de plomb et aquarelle sur papier

23 x 15 cm

Titré en haut à droite : L’anglais.

Signé en bas à gauche : Langaskens

Daté et situé en bas à droite : 17 avril 1915 munsterlager

Né à Gand en 1884 dans une famille d’artisans,

Maurice Langaskens s’inscrit en 1901 à l’Académie

des Beaux-Arts de Bruxelles. Sous la direction de

Constant Montald, il se consacre à la peinture

décorative, dans un style encore très influencé par

le symbolisme de son maître.

Ses études achevées en 1905, il part en voyage

avec son ami le peintre Edgar Tytgat et parcourt la

France, étudiant les fresques italiennes et Rubens au

Louvre, allant jusqu’à Lyon avant de revenir par

Amiens, Lille et Bruges.

A partir de 1909, Langaskens expose régulièrement

en Belgique et devient membre du cercle Pour l’Art

où il expose jusqu’en 1941 et pour lequel il réalise

plusieurs affiches. Montald affirme alors que

Langaskens « est aujourd’hui le plus remarquable

parmi les décorateurs de notre époque ». Ses

premiers succès auprès de la critique lui permettent

d’obtenir des commandes publiques comme celle

de la décoration de l’Hôtel de Ville de Léau en 1912,

dont la réalisation sera interrompue par la première

guerre mondiale.

Mobilisé en août 1914, Langaskens est aussitôt fait

prisonnier par les Allemands et séjourne d’abord au

camp de Mu ̈nsterlager, puis à Göttingen jusqu’en

1918, date à laquelle il est libéré pour invalidité.

Durant son emprisonnement, l’artiste ne cesse jamais

de dessiner et de peindre, usant pour cela de

matériaux de récupération. In Memoriam, l’un des

tableaux les plus marquants de la période, est ainsi

peint sur deux morceaux de toile de jute cousus

ensemble.

Après la guerre, une importante exposition

personnelle lui est consacrée à Bruxelles, exposant

ses œuvres de guerre. Un album de douze

lithographies, Au seuil du camp, est édité pour

l’occasion. Son style évolue alors et l’artiste délaisse

les sujets inspirés du Symbolisme pour s’attacher à

dépeindre des scènes de la vie quotidienne et du

monde du travail. Il continue à exposer

fréquemment en Belgique et réalise, en 1934 – 1935,

le décor du foyer du théâtre de Louvain. Langaskens

meurt le 23 décembre 1946, et deux expositions

rétrospectives présentant l’ensemble de son œuvre

sont organisées à Bruxelles en 1949 et à Schaerbeek

en 1959.

Langaskens a passé ses quatre années de captivité

à dessiner et à peindre ses camarades captifs dans

leurs occupations quotidiennes. Il livre un

témoignage aussi inattendu qu’émouvant sur la vie

du camp. S’il décrit avec force les évènements

souvent poignants qui ont lieu à Münsterlager et à

Göttingen, il s’attache également à représenter les

autres prisonniers en une série de portraits aquarellés

traités avec beaucoup d’humanité.

Sans jamais délaisser l’aspect décoratif l’artiste

traduit avec finesse l’ennui et la mélancolie de ces

jeunes gens réduits à l’inactivité, qui cherchent à

tromper l’attente comme ils peuvent.

Page 61: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 62: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Jan et Joël Martel (Nantes, 1896 – Bois-de-Céné, 1966)

28. Pleureuse

Fusain sur papier beige

18,5 x 18,8 cm

Signé en bas à droite : J. Martel

Provenance :

Collection Henry Frugès (1879 – 1974), Bordeaux.

Jan et Joël Martel naissent dans un milieu cultivé et

stimulant qui encourage très tôt leur éveil artistique.

Leur père, Léon Martel, est un mécène éclairé et un

esthète anticonformiste qui transmet à ses deux fils le

goût des arts.

Tentés par des études d’architecture, ils entrent à

l’École des Arts décoratifs de Paris en 1912 mais

s’orientent vite vers la sculpture en suivant les cours

de Pierre Vigoureux. La première guerre mondiale les

sépare, Jan étant mobilisé en 1915 alors que Joël est

réformé. Éloignés l’un de l’autre jusqu’en 1919, leurs

retrouvailles fraternelles prennent la forme d’une

alliance artistique. Bien qu’ils aient commencé leurs

recherches de jeunesse comme deux individualités

distinctes, leurs œuvres semblent avoir été réalisées

par un seul et même artiste. Ils décident alors très vite

de signer leurs travaux de leur seul patronyme parfois

accompagné de la première lettre identique de

leurs prénoms. Du domestique au monumental, leur

œuvre embrasse tous les domaines de la vie de ce

début de XXème siècle. La diversité de leurs pôles

d’intérêt se reflète dans la variété des domaines et

thèmes qu’ils abordent, architecture, décoration,

publicité, graphisme, photographie. Jamais à court

d’idées innovantes, les sculpteurs n’hésitent pas à

faire produire leurs pièces par des sociétés privées

dont ils font ainsi la publicité. Sans abandonner le

plâtre, la pierre et le bronze ils explorent les

possibilités offertes par le ciment, le plastique, le

métal et le verre. Les arbres en béton armé de

l’Exposition des arts décoratifs et industriels

modernes de 1925 choquent et surprennent un

public encore peu habitué à une telle audace.

Toujours ouverts à de nouvelles expériences, ils

s’intéressent vivement aux créations de leurs

collègues artistes, quelles que soient leurs pratiques,

et les reçoivent dans leur atelier ultra-moderne

conçu par Robert Mallet-Stevens, avec lequel ils

entretiennent une profonde relation amicale.

L’amitié avec Mallet-Stevens débute au Salon

d’Automne, lieu privilégié d’échange pour la jeune

génération dès les premières années ’20. D’abord

camarades, les sculpteurs et l’architecte

commencent à collaborer. Mallet-Stevens offre aux

jeunes artistes la possibilité de développer la

monumentalité de leur art en dehors des nombreux

hommages aux morts de la grande guerre qui

avaient marqué leurs premiers succès de

commande. Les Martel n’hésitent alors pas en 1926

à abandonner leur premier atelier pour une nouvelle

construction conçue spécialement pour eux par

l’architecte d’après le thème moderniste de la villa-

atelier. La maison devient un manifeste de l’Union

des Artistes Modernes (U.A.M.), association conçue

avec l’ambition de porter les formes nouvelles et

pures de la modernité au-delà des notions

décoratives traditionnelles. De la monumentalité au

portrait, de l’affiche en volume à l’objet, Joël et Jan

Martel possèdent un sens de l’espace qui s’étend du

mouvement musical des corps dansants vers la

solidité innovante des matériaux modernes.

Dès 1919, les frères Martels sont pressentis, en lien

avec Jean Burkhalter, le beau-frère architecte de

Joël Martel, pour la réalisation d'un monument à

Claude Debussy à Saint-Germain-en-Laye, la ville

natale du compositeur.

Après une première idée encore marquée par le

symbolisme, à laquelle se rattache sans doute notre

dessin, les Martel et Burkhalter avaient présenté, au

Salon d'Automne de 1923, la maquette d'un projet

intermédiaire très ambitieux. L'état définitif de 1932

revit à la baisse et sans doute aussi à l'économie une

implantation et une conception qui bénéficiaient

alors d'un dessin plus volontairement moderniste.

Lors du Salon d'Automne de 1923, à la grande

maquette paysagée, les sculpteurs avaient associé

une série de dessins de détails, retenus ou

abandonnés, pour les bas-reliefs qui ponctuaient le

monument central et les deux massifs latéraux

placés au-delà de la pièce d'eau appelée à jouer

les miroirs ondulants pour les panneaux sculptés et à

faire écho allégorique à l'oeuvre de Debussy. Il est

probable que notre dessin y figurait, sans que l’on

puisse toutefois en être certain.

Page 63: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 64: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Jules Pascin (Vidin, 1885 – Paris, 1930)

29. Germaine

Fusain et lavis gris sur papier

60,7 x 45,8 cm

Cachet de la signature en bas à droite

Titré au verso de la main de Lucy Krogh : Germaine

Provenance :

Collection du Docteur Albert Tzanck

Sa vente, Hôtel Drouot, Paris, 23 mai 1949, n°21.

Julius Mordecai Pincas nait dans une petite ville

bulgare. Fils d’un riche marchand de grain d’origine

juive et d’une italienne, Pascin se rebelle assez tôt

contre l’autorité parentale. Son père, sévère et

traditionnaliste, se montre hostile aux velléités

artistiques du jeune homme, d’autant plus que

celles-ci se déclenchent dans des conditions soi-

disant peu respectables : en 1901, Pascin rencontre

la tenancière d’une maison close passionnée par

l’art de Toulouse-Lautrec et de Degas qui

l’encourage à dessiner. Dès lors, décidé à former son

regard d’artiste, Pascin se rend à Vienne où il

rencontre Georges Grosz qui influence durablement

son style. Il voyage ensuite à Budapest, Munich,

Berlin tout en entretenant des contacts avec Klee,

Kandinsky et Kubin. Il collabore aux revues Jugend

et Simplicissimus de Munich, ce qui lui permet très tôt

de vivre de sa production artistique.

Pascin arrive enfin à Paris le 24 décembre 1905.

Accueilli par le groupe d’artistes germanophones du

Dôme et de la Rotonde, il se fait vite connaître du

tout Montparnasse. Fêtard jusqu’à l’excès, fascinant

et parfois inquiétant, l’artiste à la personnalité hors

du commun ne passe pas inaperçu. Le marchand

Henri Bing lui présente Hermine David, alors élève de

Jean-Paul Laurens à l’académie Julian, qui devient

sa compagne. Pascin fréquente le Louvre où il est

particulièrement sensible aux œuvres de Watteau,

Fragonard, Greuze et Boucher. Il loue un atelier à

Montmartre et participe au Salon d’Automne de

1908 à 1912. Il fait la rencontre, en 1909, de Cécile

« Lucy » Vidil, modèle de Marquet et de Matisse, qui

devient sa maitresse. En 1914 il est contraint de

quitter le territoire français à cause de sa nationalité,

la Bulgarie étant une nation hostile à la France. Il

rompt alors ses contrats avec les éditeurs allemands

et quitte l’Europe pour s’installer à New-York. Il avait

en effet déjà établi un contact avec cette ville

l’année précédente, par l’envoi de quelques-uns de

ses dessins à l’Armory Show. Les dessins de nus qu’il

emporte avec lui en 1914 choquent, mais il obtient

un certain succès au sein de l’avant-garde new-

yorkaise.

En octobre 1920, citoyen américain et marié à

Hermine, Pascin rentre à Paris. Il retrouve Lucy, qui

s’est entretemps mariée à Per Krohg, et expose chez

Berthe Weill et au Salon des Indépendants. En 1924,

les frères Loeb inaugurent leur galerie avec une

exposition de Pascin dont le catalogue est préfacé

par Mac Orlan. Il voyage en Afrique du nord, en

Italie et produit une grande quantité de dessins. Il ne

peut cependant éviter de douter de la légitimité de

son art encore figuratif face à l’abstraction et au

surréalisme. Un nouveau contrat signé avec la

galerie Bernheim ne suffit pas à le rassurer et,

alcoolique et dépressif, il se suicide le 2 juin 1930.

Le dessin est essentiel pour Pascin, il structure ses

toiles et constitue la plus grande partie de sa

production. Si dans ses peintures l’artiste affectionne

les valeurs chromatiques éteintes, gris perle et rose

pâle, dans ses dessins il privilégie le trait tremblant,

l’estompe et l’aquarelle très diluée. Ici, le trait rapide

et esquissé appuie le pouvoir de suggestion de

l’image.

Pascin doit sa renommée à sa vision subtile et

audacieuse, parfois impudique du corps féminin. Fin

observateur, malicieux et nostalgique, il sait mettre

en avant l’aspect grotesque sans jamais renoncer à

l’érotisme. Parmi ses modèles favoris figurent sa

femme Hermine et sa maitresse Lucy mais aussi les

prostituées des maisons closes et des lieux mal famés

de Montmartre. Germaine est l’un de ses modèles

habituels et notre dessin dégage un clair sentiment

de familiarité. Entre volupté et sens de la pose,

Germaine apparaît presque difforme dans une

invraisemblable tenue composée de grosses

pantoufles et d’un débardeur mal ajusté qui révèle

ses seins nus. Si ces accessoires accentuent

l’étrangeté du dessin c’est aussi parce qu’ils

l’ancrent dans une réalité parfois disgracieuse.

Pascin parvient ainsi à saisir le charme et le

caractère effronté de son modèle.

Page 65: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 66: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Alexander Mason Trotter (Dumfries and Galloway, 1890 – Ravenshall, 1946)

30. Odd Things

Aquarelle et encre sur papier

54,5 x 37 cm

Signé vers le bas à droite : Trotter

Né dans l’ancienne région écossaise Dumfries and

Galloway, Alexander Mason Trotter entreprend une

carrière artistique en suivant le parcours alors

classique à l’époque.

Il suit tout d’abord les cours de l’Edinburgh College

of Art, puis expose à la Royal Scottish Academy, à la

Royal Society of Watercolors et devient membre de

ces deux importantes institutions. Il expose

également au Royal Glasgow Institute of Fine Arts

puis travaille pendant de nombreuses années sous la

direction de l’illustrateur Walter C. Grieve pour la

Thomas Nelson & Sons. Trotter devait sans doute

fournir des illustration pour la Collection Nelson,

ancêtre du livre de poche issue d’un partenariat

avec un éditeur français et qui regroupait une

sélection de livres de petit format, cartonnés, toilés

et recouverts d’une jaquette illustrée.

Trotter réalise aussi des décors peints pour la cantine

de la base navale de Rosyth, ville située sur l’estuaire

de la rivière Forth au nord-ouest d’Edimbourg, et

pour le croiseur de bataille HMS Renown de la Royal

Navy. Une de ses études dessinées des dykers de

Ravenshall, les constructeurs de murs en pierre sans

mortier utilisant la technique appelée drystone, a

été utilisée pour la couverture de la première édition

de Dry Stone Walling par le Colonel F. Rainsford

Hannay.

Excellent dessinateur à la carrière classique, soignée

et féconde, Trotter sait surprendre lorsqu’il sort des

sentiers battus. Si notre dessin met en avant les

qualités d’illustrateur de l’artiste c’est aussi pour

souligner sa capacité à se situer dans un étonnant

entre-deux. De l’illustration, Trotter conserve une

qualité narrative qu’il réussit à attribuer à une nature

morte. La composition de l’image, très étudiée, ainsi

que le rapport très contrasté entre ombre et lumière

confèrent une certaine théâtralité à la scène où les

objets deviennent des sortes de fétiches qui

semblent témoigner d’une histoire, d’une action

passée mais récente. Celle-ci a lieu ailleurs que dans

l’image et pourtant ce sac, ces chaussures et ces

bottes semblent avoir été abandonnés depuis peu.

Leur forte présence, accentuée par un travail

graphique d’une incroyable virtuosité technique,

aux accents hyperréalistes, souligne avant tout

l’absence des principaux protagonistes.

.

Page 67: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 68: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

Scottie Wilson (Glasgow, 1888 – Londres, 1972)

31. Autoportrait

Plume, encre noire et aquarelle sur papier

37 x 27,5 cm

Signé en bas à droite : cottieS

Né à Glasgow dans une famille nombreuse avec

peu de ressources, Scottie Wilson quitte l’école à

l’âge de huit ans. Il vend des journaux pour aider sa

famille, puis s’engage dans l’armée à l’âge de seize

ans. Il voyage en France, en Inde et en Afrique du

Sud avant de servir sur le front de l’Ouest pendant la

première guerre mondiale. Il travaille ensuite dans

des fêtes foraines et des cirques, vivant d’une

échoppe ambulante qu’il promène dans les

marchés. Il s’expatrie à Toronto vers la fin des années

1920 et ouvre une boutique de revendeur où il

collectionne des stylos à plume.

Un de ces stylos, surnommé ‘bulldog’ le fascine tout

particulièrement. Scottie se sent contraint de

l’essayer. Sans raison apparente, il commence à

recouvrir la surface en carton de sa table de travail.

Prennent alors forme de petites et étranges figures

représentant la lutte éternelle entre le bien et le mal.

En deux jours à peine toute la surface de la table est

recouverte. C’est le début d’une activité créatrice

féconde qui ne cessera plus jusqu’à la mort de

l’artiste.

Aux dessins inquiétants et sombres des débuts

succèdent des figures d’inspiration animale et

végétale, colorées et d’un ton plus serein, qui font

sans doute référence à la passion d’enfance de

Scottie pour les arbres, les animaux et surtout les

oiseaux. Le cirque est également présent à travers

une note de joyeuse folie qui apparaît dans la

juxtaposition de formes insolites, comme des

compositions de corps d’acrobates ou des totems,

des châteaux, des fontaines. Scottie construit ses

dessins au fur et à mesure qu’il occupe l’espace de

la feuille, ses compositions ne sont jamais

préméditées. Il commence dans un angle et ses

figures extraordinaires prennent forme à partir d’une

stricte juxtaposition de traits qui finissent par envahir

tout le vide du papier. Un marchand canadien,

Douglas Duncan, expose ses dessins qui obtiennent

un succès immédiat. Bien que Scottie ne veuille pas

se séparer de ses productions, il trouve la

perspective d’une carrière artistique plus séduisante

que celle de revendeur de seconde main. Il trouve

alors une solution toute personnelle et installe des

expositions ambulantes et payantes, un système qui

serait censé résoudre ses problèmes économiques

sans qu’il doive se séparer de ses œuvres. De retour

à Londres après la seconde guerre mondiale, Scottie

ne peut se soustraire plus longtemps à l’intérêt que

lui portent les marchands. Il leur cède quelques

œuvres mais vend simultanément ses dessins dans la

rue à un prix dérisoire. Exposé à l’Arcade Gallery

avec Picasso, De Chirico, Klee et Miró, il attire

l’attention de Dubuffet qui l’invite à lui rendre visite

en France et lui présente Picasso.

Au cours des années 1960, Scottie commence à

dessiner sur céramique. Il produit alors un ensemble

de dessins pour les collections de vaisselle de la

Royal Worcester. En 1970, son dessin Bird Song

décore la carte de Noël de l’Unicef.

Obsessionnelle, fantasque, autobiographique et

colorée, l’œuvre de Wilson reste externe à tout

mouvement clairement défini et illustre parfaitement

le terme d’art brut créé par Dubuffet dès les années

1940. Si le style de Wilson a très peu évolué au cours

de sa carrière, ses minutieuses hachures en sont la

marque très personnelle. Grâce à cet unique

élément graphique émergent des silhouettes

imaginaires comiques, tragiques et poétiques, dont

la morale singulière fait référence à la figuration du

bien et du mal et défend la pure authenticité de

l’acte artistique face au marché. Wilson a le goût de

l'ornement où domine la symétrie, mais c'est

pourtant la puissance d'évocation poétique de son

monde intérieur qui s'impose dans ses dessins

colorés. On comprend dès lors l’importance de

l’auto-représentation, autour de laquelle sont

construits ses dessins. C’est le cas ici, où l’autoportrait

de l’artiste constitue l’élément central de la

composition. Il se représente comme à son habitude

avec un gros nez tandis que les traits de son visage

se transforment sous nos yeux pour devenir poissons,

oiseaux et autres bêtes issues d’un bestiaire

fantastique. Visionnaire anti-conformiste et marginal,

Wilson espère créer, à la manière de son idole

William Blake, un « royaume de paix ».

Page 69: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr
Page 70: Œuvres sur papier - mathieuneouze.fr

INDEX

Alcan (Adolphe)

Anker (Albert)

Cardona Llados (Juan)

De Feure (Georges)

Desvallières (Georges)

Doudelet (Charles)

Frédéric (Léon)

Galantara (Gabriele)

Guilloux (Charles)

Kubin (Alfred)

Langaskens (Maurice)

Laugé (Achille)

Lévy-Dhurmer (Lucien)

Lynch (Albert)

Martel (Jan et Joël)

Mérodack Jeaneau (Alexis)

Pascin (Jules)

Rassenfosse (Armand)

Rops (Félicien)

Sand (George)

Schwabe (Carlos)

Sem (Jean Goursat, dit)

Sonrel (Elisabeth)

Steinlen (T. Alexandre)

Trotter (Alexander Mason)

Valtat (Louis)

Vos (Hubert)

Wilson (Scottie)

2

5

17

15

26

16

7

21

11

24

27

19

10

3

28

23

29

8 – 25

5

1

9 – 20

22

12

13 – 18

30

14

4

31