VariationsSyntaxiques

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Marc Wilmet

Dans la jungle de la phrase franaise : mauvais sujets, travestis et entremetteursSous un intitul videmment ludique, le prsent article remet en cause certains acquis grammaticaux parmi les plus consensuels. Le srieux de la rflexion devrait apparatre au fur et mesure .

. Les mauvais sujets Des phrases comme () et () sont souvent imputes au franais familier (exemple ), voire enfantin (exemple ), bref la conversation courante. Considrez pourtant les exemples littraires (3) et (4), lun du registre encore populaire de la chanson (3) mais lautre du niveau lev de la philosophie (4).. . 3. 4. La Normandie, il pleut tous les jours. Ma mre, son vlo, il est bleu. Moi, mes souliers ont beaucoup voyag (Flix Leclerc). Le nez de Cloptre, sil et t plus court, toute la face de la Terre aurait chang (Blaise Pascal).

Le problme tient au statut des squences initiales dtaches : les syntagmes nominaux la Normandie (exemple ), ma mre (exemple ), le nez de Cloptre (exemple 4) et le pronom moi (exemple 3). Des prpositions en, pour ou les apparents quant , concernant, touchant, en ce qui regarde, (du) ct (de) leur confreraient la fonction de complment circonstanciel. Quel circonstanciel par ailleurs ? Le complment ambiant de Damourette et Pichon (97 : 0), qui ne fait pas partie de ldifice logique de la phrase, mais qui sy prsente comme un organisme indpendant dans un milieu qui lenveloppe et le soutient ? Le complment de cadre de Danon-Boileau et alii (99) ? Nous y reviendrons.

niversit Libre de Bruxelles Texte rcrit de la confrence prononce elsini le mai 00.

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Remarque additionnelle, les phrases (), (3), (4) comportent une reprise anaphorique ma mre son, moi mes ou le nez de Cloptre il, absente de (). ors de tout rappel, la grammaire latine parlait de nominativus pendens nominatif en suspens, observant quil alterne ou contraste avec de + ablatif (Lavency 95 : 07). Le Querler (006 : 393) emprunte Serbat (9) lexemple suivant dorace (5).5. Altera. Nihil obstat. [Le satiriste vient de dtailler la vture sinueuse de la matrone romaine, vritable fin de non-recevoir au dsir des mles, puis il change de perspective : lautre comprenez : la courtisane, enveloppe de voiles transparents , aucun barrage (littralement : rien ne fait obstacle ).]

Nominativus altera, oui, mais pendens , vraiment ? Nous avons affaire deux blocs. Leur succession nest pas sans voquer les intertitres des journaux ou les lgendes de photographies : Superbe feu dartifice sur la grand-place. Les badauds en restent bouche be, etc. Alors, deux entits aussi dans les exemples liminaires (), (), (3), (4) ? Ou une seule ? Ou tantt deux et tantt une ? Avant de dcider, appuyons-nous sur une srie de pralables. Notre dfinition personnelle de la phrase figure au 55 de la Grammaire critique du franais (4007) 3.La phrase correspond la premire squence quelconque de mots ne de la runion dune nonciation et dun nonc qui ne laisse en dehors delle que le vide ou les mots dun autre nonc.

On procde de l une dichotomie en phrase unique (P) et phrase multiple ( P + P + P3 + Pn), chacune des phrases P ou P, P, P3, Pn de se rvlant lexprience simple (si lnonc nintgre aucune sous-phrase) ou complexe (si lnonc intgre au minimum une sous-phrase). Appliquons ce principe aux exemples (), (), (3), (4). Pour une phrase unique P simple ou complexe, il faut et il suffit que la squence initiale dtache trouve une fonction au sein de lensemble. Dans le cas contraire, on aura une phrase multiple . Demeure une hypothque : o arrter la phrase multiple une fois lance ? Le beau gros point rond (Cavanna apud Delbart paratre), rsultant dune dcision souveraine de lcrivain, rige en tout tat de cause une

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e remercie Anne-Rosine Delbart pour lavoir en son temps concocte et mise au point avec moi. Dans la Grammaire rnove du franais, la formulation devient : On appelle phrase la premire squence, etc. (007a : 53).

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borne infranchissable 4. Lexemple (5) aligne donc deux phrases P (non pas P + P). Lnonciation ancre lnonc dans une situation de communication en stipulant qui nonce (accessoirement qui) 5, quand (accessoirement o) et la modalit que slectionne lnonciateur (assertive = je prtends que , interrogative = je demande si ou injonctive = je veux que ). Lnonc installe une prdication trois termes ou, mtaphoriquement exprim, lance un pont dont le premier pilier forme le thme, le second pilier le rhme et le tablier la copule, visible en cas de rhme non verbal, nom ou adjectif : Pierre est un avocat ou Marie est fute, etc., invisible et subductivement les mots subduction et subductif sont de Gustave Guillaume, qui revivifie ainsi la thorie du verbe substantif = sous-jacent de Port-Royal inscrite au verbe en cas de rhme verbal : Pierre plaide ou Pierre demande la parole 6. La prdication complte trois termes sexpose perdre en discours un ou deux termes : Au feu ! (omission du thme). Vous ici ? (omission de la copule). Qui chante ? Pierre (la rplique se dispense de rpter le rhme), etc. Cette prdication incomplte nen reste pas moins une prdication 7. Le thme concide avec le sujet grammatical et non, attention, comme on le prtend gnralement (et comme la Grammaire critique du franais la soutenu mea culpa jusqu sa troisime dition de 003, abuse par lacception banale de thme = sujet, ide, proposition quon dveloppe [daprs le Petit Robert] vs lacception technique de fondation, socle, soubassement [daprs le Dictionnaire grec-franais de Liddell et Scott]), le sujet logique (celui, suivant la doxa, dont on parle, dont il est dit quelque chose, etc. ). Sont lun et lautre sujets grammaticaux, outre le syntagme nominal mes souliers de (3), le il rfrentiel

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Cavanna, Mignonne, allons voir si la rose (Paris, Albin Michel, 00 : 47-4) : Quand tu taperois que tu te perds en un labyrinthe tortillant, que les incidentes, les mises en apposition, les subordonnes conjonctives et les relatives semmlent et ne mnent rien quau galimatias, alors, arrte-toi. Ferme les yeux. Respire un grand coup. Deux, trois grands coups, bien profonds. Et distribue des points. De beaux gros points ronds. Les questions pour qui ? et pour quoi ? ouvrent les vannes de la pragmatique. Guillaume (969 : 74) : [tre] apparat subductif, idellement antcdent, par rapport au reste de la matire verbale. Ne faut-il pas dabord tre pour pouvoir ensuite se mouvoir, aller, venir, marcher, manger, boire, dormir, jouir, souffrir, voir, regarder, entendre, couter, sentir, penser, etc., etc. ? Pour le dtail et les justifications, cf. Wilmet 007a : 59 sv.

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de (), (4) et le il non rfrentiel de (), cette diffrence prs que () et (4) superposent comme (3) le sujet grammatical et le sujet logique pour produire la voix ou, mieux, la voie active, tandis que le sujet grammatical de (), vacuant tout sujet logique, emprunte la voie impersonnelle. Bien quon en dise quelque chose , en loccurrence quil y pleut tous les jours, la Normandie de lexemple () nest pas non plus sujet logique mais sujet psychologique (quivalant, daprs le Petit Robert, ce dont il sagit dans la conversation, dans un crit ) i.e. la matire dont lnonciateur dcide de traiter en la dissociant par une focalisation dautres candidats potentiels . Au rang des focalisateurs, les gallicismes cest qui, il y a qui, le soulignement intonatoire et ce dtachement qui, commun aux exemples () et (), (3), (4), fait de ma mre, moi et le nez de Cloptre de nouveaux sujets psychologiques sans prjuger de leur fonction grammaticale (le sujet psychologique tant par exemple un complment circonstanciel de lieu dans Cest cet endroit de la sombre rue des Juifs, au premier tage dune maison aujourdhui disparue, que naquit le chevalier Franois-Ren de Chateaubriand). Le rhme concide avec le prdicat (inconnu en grammaire franaise, seulement baptis attribut pour peu que la copule soit apparente : bleu dans lexemple (), court dans lexemple (3), mais ni pleut tous les jours de lexemple , ni ont beaucoup voyag de lexemple (3), ni aurait chang de lexemple (4)). Sur la prdication, complte ou incomplte mais obligatoire, vient facultativement se greffer une prdication secondaire. Le thme en est lappos et le rhme lapposition. Nous dfendons de lapposition une conception plus large quil nest habituel, car les grammairiens ont accumul au fil du temps des exigences nes pour la plupart daccidents pistmologiques (cf. Neveu 99) : la corfrence (do la limitation de lapposition des noms, avec le pnible corollaire de l pithte dtache , donnant une fonction prdicative une tiquette de fonction dterminative) 9, la pause (entranant une rupture mlodique) et 3 le caractre dexcroissance supprimable ( et 3 expliquant notamment les survivances de la grammaire latine que sont les subordonnes infinitives : Jentends un enfant pleurer, etc., appos un enfant et infinitif apposition pleurer aussi lis que lantcdent et la subordonne relative appositive de Jentends un enfant qui ne caractrisation moins intuitive du sujet logique serait celle-ci : le ou les mots propos desquels un nonciateur asserte, interroge ou enjoint pour autant que le contenu assert, interrog ou enjoint ne forme pas une prdication complte (cf. Wilmet 007a : 60, 4). On vrifiera que la prcision disqualifie la Normandie de lexemple (). Autre corollaire, lannexion abusive des qualifiants nominaux Paris ou Louis de la ville de Paris, le roi Louis, etc.

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pleure, et les subordonnes participes : Le chat parti, les souris dansent, etc., au participe apposition parti li lappos le chat et non supprimable, sauf retrouver le modle de lexemple () : Le chat, les souris dansent ; cf. Wilmet 007c). Le verdict aprs les attendus ? Primo, la phrase () est une phrase multiple P + P, soit P la Normandie prdication incomplte, rduite au thme (la copule et le rhme avorts) et P il pleut tous les jours juxtapose P. Secundo, les phrases (), (3), (4) sont des phrases uniques, (3) complexe et (), (4) simples. Avec quelle fonction ds lors pour les squences projetes en tte ? Prenez les avatars (3a) et (3b) de (3), la phrase (3a) de syntaxe classique, antposant la sous-phrase syntagme nominal le nez de Cloptre sujet (grammatical + logique), la phrase (3b) pronom il cataphorique sujet, annonant le syntagme nominal le nez de Cloptre.3a. 3b. Si le nez de Cloptre et t plus court, toute la face de la Terre aurait chang. Sil et t plus court, le nez de Cloptre, toute la face de la Terre aurait chang.

Qui refuserait de voir dans le nez de Cloptre en (3b) une apposition lappos il ? Loriginal (3) d Pascal projetait le syntagme nominal en tte de la sousphrase afin de lui confier le statut pragmatico-stylistique de sujet psychologique. Mais la phrase (4) de Flix Leclerc ? La donne nest qu premire vue plus complique : le pronom apposition moi va chercher son appos de premire personne sous ladjectif dterminant mes, dcouper pour le sens en les (souliers) + (les souliers) miens . Quant la phrase (), elle dote le pronom appos il (sujet grammatical + sujet logique) dune apposition son vlo, le syntagme nominal offrant lintrieur de ladjectif dterminant son = le + sien une troisime personne qui reoit lapposition ma mre. Libre lnonciateur de renchrir : Moi, ma mre, son vlo, il est bleu (le pronom moi apposition lappos de premire personne inclus dans ladjectif dterminant ma = la + mienne ). Au total, les mauvais sujets conclusion rassurante sont rares. Le thme la Normandie de P en () sapparente tout au plus un mauvais sujet repenti qui cde le flambeau dans P au sujet grammatical il dune phrase prdication complte.

. Les travestis En 33, un dcret du ministre Guizot enjoignait aux instituteurs franais dassortir lanalyse grammaticale des mots dune analyse logique des phrases (cf. Chervel 977). Il en rsulte que le gros paquet des conjonctions se scinde de

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proche en proche en conjonctions de coordination (intressant principalement les mots) et en conjonctions de subordination (intressant la phrase ou du moins la phrase complexe). La douzime dition du Bon usage franchit le pas que ne stait jamais rsolu effectuer Grevisse (90) et Goosse (96) ajoute une classe ou, en langage scolaire, une nature linventaire dj copieux de son prdcesseur. Les linguistes ne sont en gnral pas prisonniers de compartimentations tablies sur des prvisions statistiques. Quon se rappelle les discussions autour et alentour de car, la conjonction de coordination la plus proche de la subordination indiquent Arriv, Gadet et Galmiche (96 : 64), qui, au demeurant, ne se bercent gure dillusions : Il ne reste donc que deux solutions : soit traiter de la coordination et de la subordination comme phnomne unique de lien entre phrases, soit, par respect de la tradition, continuer opposer ces deux notions. Cest cette deuxime solution qui est adopte ici. Voyez encore les exemples (6) et (7), o non seulement la frontire des deux sortes de conjonctions est saute mais o se noie la limite des prpositions et des conjonctions cousins cousines (Van Raemdonc 00) :6. 7. Il tait, quoique riche, la justice enclin (ugo). Bertrand avec Raton, lun Singe et lautre Chat, Commensaux dun logis, avaient un commun matre (La Fontaine).

Notons demble que la terminologie grammaticale usuelle reflte des proccupations touchant plus au fonctionnement des mots qu leur nature. Le nom et le verbe excepts (comme par hasard, les deux seules classes que reconnaissait Aristote : onoma et rhma) : adjectif = ajout (une autonomisation, initie en 747 par labb Girard, de la sous-classe des nomina adjectiva primitivement oppose aux nomina substantiva sous lgide des nomina) ; article (du latin articulus, dcalquant le grec arthron) = petite articulation ; adverbe = adjectif du verbe (de ad + verbum) et verbum signifiant en latin aussi bien mot que verbe addition nimporte quel mot ; pronom = tymologiquement (vu lambigit du prfixe latin pro) mis la place du nom ou faisant office de nom .

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La prposition (de praeponere = introduire ) et la conjonction (de conjungere = conjoindre ) sont loges la mme enseigne 0. Elles assument lexamen trois fonctions indpendantes mais compatibles : fonction de ligature (en abrg LIG) ou le pouvoir de relier un quelconque segment phrase, mot ou fraction de mot davant un segment darrire, fonction de translation (en abrg TRANS) ou la mise du segment darrire en tat dexercer une fonction vis--vis du segment davant , 3 fonction denchssement (en abrg ENC) ou linsertion dune sous-phrase dans une phrase matrice. Leffectif des mots ligateurs, translateurs et/ou enchsseurs se distribuerait aisment sur trois portions de ligne droite. En zone , les conjonctions de coordination et, ou, ni, mais, car, or, donc, etc., fonction LIG exclusive. En zone , les prpositions, fonction LIG + TRANS (p. ex. les de amenant la fonction dterminative de la femme de Jean, la fonction compltive de se contenter de peu ou la fonction prdicative de quoi de neuf ? ; le en du grondif , qui cantonne le participe dit prsent dans la fonction compltive, etc.). En zone 3, les conjonctions de subordination , fonction LIG + TRANS + ENC (p. ex. la phrase Dis-moi que tu maimes : fonction LIG de que par liaison de tu maimes dis-moi + fonction TRANS par complmentation de que tu maimes au verbe dis + fonction ENC par transformation des deux phrases simples dis-moi et tu maimes en une phrase complexe). Or le quoique de lexemple (6) et le avec de lexemple (7), purs oprateurs LIG, glissent de la zone 3 ou de la zone la zone . Le constat aboutit lclatement des vieux cadres grammaticaux. Observons les trois exemples (), (9), (0).. Pierre aime Marie comme un fou.

Officiellement catalogu conjonction de subordination , comme dlaisse ENC tout en gardant LIG + TRANS, que lon identifie en un fou une apposition au sujet

0 Le courant nest pas tari puisque la grammaire amricaine a export en Europe les dterminants (en fait, des adjectifs exerant exclusivement ou en priorit la fonction dterminative). Et Andr Goosse, dcidment grand pourvoyeur devant lternel, ne craint pas de faonner une nouvelle classe d introducteurs sous le prtexte (bizarre mais explicite) quen labsence de morphologie, pour les classes constitues de mots invariables, la rpartition ne peut se fonder que sur la fonction et que la fonction assume par les termes relevs dans ce chapitre [ntant] compatible avec aucune des dfinitions donnes pour les autres classes , on est donc contraint denvisager une classe particulire (4007 : 096). Le terme translation vient de Lucien Tesnire ; il correspond grosso modo la transposition chez Charles Bally ou au transfert chez Andr Martinet.

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Pierre (comparer Pierre aime Marie comme un frre et Marie aime Pierre comme une sur) ou un complment circonstanciel = la folie . Idem des comparatifs ailleurs, ainsi, aussi, autant, autrement, davantage, mieux, moins, pis, plus, si, tant, tellement + que non suivis de sous-phrases : Marie est plus gentille que Pierre, etc. Nul besoin daller restituer une inexistante subordonne de comparaison Marie est plus gentille que (ne lest) Pierre, etc., corriger sance tenante dune ellipse . Plus que Pierre est tout bonnement complment adverbial de la relation prdicative unissant le sujet Marie lattribut adjectival gentille (ni plus ni moins que ladverbe trs dans Marie est trs gentille). L encore, nous y reviendrons.9. Plutt souffrir que mourir, cest la devise des hommes (La Fontaine).

Plutt que entre dans la longue liste des prtendues conjonctions de subordination greffant un adverbe sur la souche que : alors que, bien que, tant que Son utilisation en (9) rsilie ENC et TRANS pour ne retenir que LIG. Ce serait aussi une solution, lgante et simple, pour la construction (0).0. eureusement que Marie est revenue.

Lchappatoire dune phrase matrice je suis/nous sommes/on est heureux raccourcie en heureusement bute sur le changement de mode (lindicatif devenu subjonctif) : Nous sommes heureux que Marie soit revenue. En rsum, les oprateurs priori triples LIG + TRANS + ENC sont capables de se dpossder dune fonction (exemple ) ou de deux fonctions (exemples 9 et 0). Les oprateurs priori doubles LIG + TRANS abdiquent la fonction TRANS dans p. ex. lauxiliaire venir de (linfinitif auxili de Pierre vient de manger, etc. justement priv de la fonction qui en ferait un terme de phrase) ou les , aprs, en, sur de goutte goutte, minute aprs minute, de rue en rue, coup sur coup, etc. ; le de initial de p. ex. De lamour (Stendhal) est par contre dpossd de la fonction LIG au bnfice de TRANS = lamour dans toutes les situations quil vous plaira . Limage des trois zones fait place celle dun continuum (cf. Pierrard 00, 005). Impossible, ce stade, de tergiverser. De quelle(s) nature(s) relveraient bien les mots spcialiss la fonction LIG ou habilits panacher les fonctions LIG, TRANS et/ou ENC ? La filire grammaticale issue dAristote ayant port le nombre de classes une dizaine, le choix est vaste. Admettons pour le rduire un peu que larticle soit un adjectif (ctait au XVIIIe sicle lavis de Beauze, et plus prs de nous, dans loptique du distributionalisme amricain, la position de Bloomfield) et que

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linterjection nait pas voix au chapitre en sa qualit de phrase (lappellation de motphrase fournit cet gard un beau tmoignage de casuistique grammairienne). La pratique scolaire, fidle ses objectifs orthographiques, divise le reliquat en quatre espces variables (nom, adjectif, verbe, pronom) et trois espces invariables (adverbe, prposition, conjonction), sept varits que les linguistes guillaumiens ventilent selon laxe de la prdicativit (en gros, la prsence ou non dans les mots dune matire lourde , dune notion , dune substance , mais le critre, passablement flou, risquerait de recrer linsaisissable dichotomie des mots pleins et des mots vides ) : dune part, le nom, ladjectif, le verbe et ladverbe ; dautre part, le pronom, la prposition et la conjonction (cf. p. ex. Moignet 9). La permutation du pronom et de ladverbe prserve quoi quil en soit la litanie des classes. On na pas beaucoup avanc. Notre rcente Grammaire rnove du franais (007a) prconise, elle, une sparation radicale en () vrais et () faux mots. () Le concept opratoire est lextension, qui dsigne lensemble des tres du monde auxquels rfre en puissance tel ou tel mot de la langue, sans intermdiaire (p. ex. le mot homme ne sapplique virtuellement qu des hommes) ou par le truchement dun autre mot (p. ex. lgant sapplique virtuellement des hommes, des comportements, etc. lgants ; marcher sapplique virtuellement des hommes, des commerces, etc. qui marchent au propre ou au figur). On obtient trois classes de mots rigoureusement dfinies : le nom, dextension immdiate ; ladjectif et 3 le verbe, dextension mdiate (ladjectif partageant de surcrot la morphologie du nom et le verbe dveloppant une morphologie spcifique). () mi-chemin du mot et de la phrase, le palier du syntagme, longtemps ignor et toujours sous-exploit, accueille les items du dictionnaire dont aucun linguiste na russi, sauf erreur, donner en termes de classe une dfinition satisfaisante ; nommment, (a) le pronom et (b) ladverbe. (a) Le pronom (en abrg PRO) est un syntagme nominal synthtique : PRO personnels je = ltre du monde parlant lui-mme de lui-mme , tu = ltre du monde qui il est parl de lui-mme , il/elle = ltre du monde masculin ou fminin de qui il est parl , etc. ; PRO indfinis qui = un tre du monde dot des traits anim par dfaut sujet , que = un tre du monde dot des traits inanim par dfaut sujet , on = un tre du monde dot des traits anim + sujet , personne = un tre du monde dot des traits anim ngatif sujet , rien = un tre du monde dot des traits inanim ngatif sujet , etc. (b) Ladverbe (en abrg ADV) est un syntagme nominal prpositionnel synthtique : ici = lendroit o je situe mon moi , l = lendroit dont jexclus mon moi , etc. (indfinition du lieu), lentement = sur un rythme lent , intensment = de faon intense , comment = de quelle faon ? , ainsi = de

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la faon cite , etc. (indfinition de la manire), alors, aujourdhui, dornavant = un certain moment (indfinition du temps), assez, beaucoup, combien, peu (indfinition de la quantit), primo, secundo, tertio, tard, tt (indfinition du rang), assurment, peut-tre, probablement (indfinition de la modalit) , etc. Le 0 de la Grammaire rnove du franais (007a) cdait la tentation dassimiler les prpositions et les conjonctions des ADV. Passe pour vers = dans la direction de , dans = lintrieur de , quand = au moment o , etc., la rigueur pour et = en additionnant x y ou ni = en soustrayant x et y , mais que ou si rsistent toute paraphrase (sauf en franais familier : Marie a crit Pierre quelle viendrait ou comme quoi elle viendrait) 3. Nous postulons aujourdhui une classe de mots regroupant la prposition et les conjonctions : le connecteur, dfini sur la base dune extension ni immdiate (comme le nom) ni mdiate (comme ladjectif et le verbe) mais bimdiate, en attente de deux accrochages, par lavant et par larrire. Les paires dexemples / et 3/4 montreront que la distinction de lADV et du connecteur sannonce rentable.. . Pierre a-t-il dit quand il viendrait ? Quand vous serez bien vieille, au soir, la chandelle, Assise auprs du feu, dvidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous merveillant : Ronsard me clbrait, du temps que jtais belle ! (Ronsard). Tu as vu comme Marie est coiffe ! Comme il disait ces mots, Du bout de lhorizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord et ports jusque-l dans ses flancs (La Fontaine).

3. 4.

Les deux quand de (), () et les deux comme de (3), (4) sont des oprateurs ENC (+ LIG + TRANS), mais ceux de (), (3) occupent contrairement ceux

Les syntagmes nominaux synthtiques y et en, que les grammaires taxent lenvi de pronoms adverbiaux ou d adverbes pronominaux , balancent entre les PRO et les ADV : Des livres, Pierre en dvore (PRO) vs Des livres, Pierre en est revenu (ADV), etc. 3 Dficit de cohrence aussi du moment que le syntagme nominal prpositionnel synthtique ADV se rclame dune prposition circulairement prsume ADV.

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de (), (4) une fonction lintrieur de la sous-phrase ( Pierre viendra un certain moment , Marie est coiffe ou dcoiffe dune certaine manire ) 4 et, ajouterons-nous pour couper court la glose toujours possible de quand par au moment o ou de comme par juste au moment o , au maintien de quand dans linterrogation : vous serez un jour bien vieille, mais quand ? (comme forc de cder la place comment : Marie est coiffe comment ?) et la proximit smantique de quand et du temps que au dernier vers de lexemple (ventuellement analysable en du temps + sous-phrase pronominale) , une fonction diffrente de celle que remplit la sous-phrase : complment du verbe dans et 3, complment circonstanciel dans et 4. Le hic est que tous les connecteurs ne participent pas ncessairement la fonction LIG. Cest lobjet du prochain dveloppement.

3. Les entremetteurs Les exemples (5), (6), (7), () illustrent lapparition linitiale de phrase de divers connecteurs en principe coordonnants.5. 6. 7. . Et qui sait si le Coche et mont sans la Mouche ? (Rostand). Mais o sont les neiges dantan ? (Villon). Fantomas (car ctait lui) (Souvestre & Allain). Donc tu avoues ? (Roussin).

Dchus de la fonction LIG, quoi servent ces et, mais, car, donc5 ? On nentrevoit que deux issues. Ou admettre mais il sagit presque dune drobade un segment

4 Comp. Beauze (767 : I, 563-564) : [Les conjonctions] sont la vrit des lments de lOraison, puisquelles sont des parties ncessaires & indispensables dans nos discours ; mais elles ne sont pas des lments des propositions, elles servent seulement les lier les unes aux autres. Le raisonnement vaut pour le que connecteur homonyme du PRO : On sait que Pierre aime Marie (que = LIG + TRANS + ENC) vs Marie est la femme que Pierre aime (que = LIG [lantcdent anim la femme neutralisant le trait inanim par dfaut] + TRANS + ENC + complment du verbe aime). 5 Les conjonctions de subordination ne manquent pas non plus linitiale de phrase, mais, dpossdes des fonctions ENC et LIG, elles conservent la fonction TRANS de nominalisation (ou de dverbalisation). Exemples avec que : Quil sen aille ! (le que dit parfois bquille du subjonctif, que la pratique scolaire introduit dans les paradigmes de conjugaison : que je marche, que tu marches, quil marche) =

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davant implicite ( dans lesprit ). Ou leur supposer une fonction syntaxique. Le moment est ainsi venu de rflchir lentier du systme fonctionnel. Si lextension du chapitre prcdent concernait les mots du dictionnaire , virtuellement habilits des applications immdiates, mdiates ou bimdiates, la notion guillaumienne revisite de lincidence dcrit les rapports rels qui stablissent entre les mots (cf. Wilmet 006, 007c). Ils sont de deux ordres : incidence externe quand un mot apport trouve un support extrieur, incidence interne dans le cas contraire. Repartons prsent de la liste des classes en montant par degrs du niveau () des mots celui () des syntagmes et (3) de la phrase. () Les connecteurs assurent la fonction connective, qui consiste mettre en relation rciproque un segment davant et un segment darrire se servant mutuellement dapport et de support. Elle recouvre trois fonctions LIG, TRANS et ENC sparables ou cumulables. () Aux trois classes du nom, de ladjectif et du verbe correspondent autant de syntagmes : (a) le syntagme nominal, centr sur un nom (ou un mot plac en incidence interne : voir ci-dessous), (b) le syntagme adjectival et (c) le syntagme verbal, respectivement centrs sur un adjectif et sur un verbe (pour rappel, ladjectif et le verbe dextension mdiate, tourns vers le dehors et vocation exportatrice, le nom, dextension immdiate, donc tourn vers le dedans, ayant vocation importatrice). (a) Le syntagme nominal se constitue dun noyau nominal et de dterminants mis en incidence externe. Ces dterminants exercent la fonction dterminative. Ils se subdivisent (i) en quantifiants (dclarant lextensit du noyau i.e. la quantit dtres du monde auxquels le noyau est appliqu), (ii) en qualifiants (dclarant lextension du noyau i.e. lensemble des tres du monde auxquels le noyau est applicable), (iii) en quantiqualifiants (dclarant conjointement lextensit et lextension du

ouste ! ou dehors ! . Moi, hron, que je fasse si pauvre chre ! (La Fontaine) = faire si pauvre chre !. Quun prtre et un philosophe sont deux (ugo) = o lon voit quun prtre nest pas un philosophe (intitul de chapitre soustrait au prsent dit de vrit gnrale ). Pendant huit jours, matin et soir, et que je te prie, et que je te prie (Troyat) = et de prier et de prier. Exemple avec parce que : Ah ! parce que vous tiez l ? (Sarrazin) = une prsence combien tonnante !. Exemple avec quand : Quand cela serait ? (abay) = et alors ?. Exemple avec si : Mais, monsieur, mettez la main la conscience : est-ce que vous tes malade ? Comment, coquine ! si je suis malade ! si je suis malade, impudente ! (Molire) = me supposer en bonne sant, quelle insolence !. Exemple comparable avec un pronom relatif sans antcdent : Qui vivra verra = le survivant .

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noyau) 6. Les quantifiants et les quantiqualifiants ont la proprit dattribuer au noyau une incidence interne, indpendamment de son origine catgorielle : une automobile (adjectif), le manger et le boire (verbe), son je ne sais quoi (PRO), un profond jadis (ADV), le quen dira-t-on ? (phrase), etc. (b) Le syntagme adjectival se constitue dun noyau adjectival et de complments de ladjectif (p. ex. Pierre est fier de lui). Des complments adverbiaux dune relation incluant un adjectif (p. ex. La femme de Pierre est la trs jolie Marie : complmentation par trs de la qualification allant de jolie Marie) stendent loccasion dun syntagme nominal une phrase copulative (p. ex. Marie est trs jolie : complmentation par trs de la prdication allant de Marie jolie). (c) Le syntagme verbal se constitue dun noyau verbal et de complments du verbe traditionnellement dits complments dobjet direct et complments dobjet indirect . Les complments adverbiaux dune relation incluant un verbe, traditionnellement dits complments circonstanciels , montent ltage suprieur de la phrase. Quelle que soit leur dnomination, ces complments exercent ensemble la fonction compltive. (3) La phrase hberge (a) en totalit la fonction prdicative et (b) en grande partie (le complment adverbial de p. ex. la trs jolie Marie except) la fonction compltive adverbiale. (a) Rappelons pour mmoire les fonctions sujet et prdicat de la prdication premire et les fonctions appos et apposition de la prdication seconde. (b) Les manuels scolaires empilent les complments de lieu , de temps , de cause , de manire , de moyen , de condition , de consquence , dopposition , de comparaison , de but , daccompagnement , dinstrument , de prix , de poids , de mesure , etc. (3 spcimens chez Grevisse !). De la smantique en prolifration anarchique la syntaxe restructurante, on ne garderait que cinq complments de la prdication (en abrg CP), qui schelonnent de droite gauche du schma phrastique selon quils prennent avec le verbe des pans de plus en plus larges de la phrase.

6 On aura reconnu en gros (i) les articles, les adjectifs numraux cardinaux et la majorit des adjectifs indfinis de la tradition, (ii) les adjectifs qualificatifs, les adjectifs numraux ordinaux et les adjectifs indfinis autre, mme, quelconque de la tradition, mais aussi les complments dterminatifs, mal nomms complments , bien nomms en revanche dterminatifs , (iii) les adjectifs dmonstratifs, les adjectifs possessifs et les indfinis rsiduels certain, tel, quel de la tradition, plus les compositions lequel, lun et lautre, une sorte de, une espce de ou ce fripon de

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Marc Wilmet

(i) Complment infraprdicationnel ou CP. Exemple : Pierre vit Paris. Le complment Paris est fixe et obligatoire. Sa suppression rend la phrase agrammaticale : *Pierre vit, ou assigne au verbe un autre sens : Pierre vit = P. a chapp la mort ou P. vgte Il sinstitue complment adverbial de la relation allant de la copule sous-jacente est ( Paris) au verbe vit 7. (ii) Complment intraprdicationnel ou CP. Exemple : Pierre travaille Paris. Le complment Paris pouse de lintrieur la relation prdicative. On le reconnat son aimantation de la ngation : Pierre ne travaille pas Paris = P. travaille peut-tre, mais pas Paris ( P. ne travaille pas ). (iii) Complment extraprdicationnel ou CP3. Exemple : Longtemps, je me suis couch de bonne heure (Proust). Le complment longtemps apprhende la relation prdicative de lextrieur, chappant limpact de la ngation : Longtemps, je ne me suis pas couch de bonne heure = jai longtemps t un couche-tard avant de me transformer en couche-tt (vs Je ne me suis pas longtemps couch de bonne heure = je suis vite devenu un couche-tard ). (iv) Complment supraprdicationnel ou CP4. Exemple : mon avis, Pierre travaille. Le complment mon avis dborde de la prdication sur lnonciation. Lui et ses pareils procurent toute sorte dinformations en rponse aux questions qui nonce et qui ? (p. ex. De toi moi, Pierre est un nigaud = entre nous ), quand et o ? (p. ex. Maintenant, vous ferez comme il vous plaira = cela dit ) et comment ? (par apparentement avec lassertion, linterrogation ou linjonction : coup sr, nest-ce pas ?, allons). Ils incluent les complments ambiants et les complments de cadre des phrases () (), (3), (4) accrues dune prposition : Quant la Normandie, il (y) pleut tous les jours. En ce qui regarde ma mre, son vlo (il) est bleu, etc. (v) Complment transprdicationnel ou CP5. Exemple : Dabord, Pierre ne vit plus Paris. Le complment dabord (= p. ex. je tiens dautres arguments votre disposition ) sort de la prdication et de lnonciation pour dboucher sur la phrase et tisser une trame textuelle. Se rangent ici les paradigmatisants avant toute chose, ensuite, primo, secundo, tertio ; par contre, en revanche ; aussi, galement, mme, en outre ; except, seulement, uniquement, et, parmi eux, les connecteurs non LIG qui invitent construire ou reconstruire les rapports

7 Encore faut-il, videmment, adhrer au postulat de la copule sous-jacente. Les linguistes qui sy refusent (ou ny ont pas pens) en sont rduits choisir entre la peste dun complment circonstanciel immobile et le cholra dun complment dobjet indirect .

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logiques appropris . Aux phrases (5), (6), (7), (), joindre les exemples (9), (0), () :9. 0. . Occupe-toi un peu. Mais je lis (Simenon) [mais de protestation]. Yalloud lui braille daller se faire niquer. Car Yalloud tait l (Forlani) [= pour tenir de tels propos, encore fallait-il que Yalloud ft l ]. Ainsi dit le Renard, et flatteurs dapplaudir (La Fontaine) [infinitif dit de narration , soulignant la soudainet convenue de la flagornerie].

Peut-tre () ouvre-t-il cependant une dangereuse bote de Pandore. Quel motif aurions-nous de laccepter au titre de CP5 sous prtexte de virgule avant et tout en cartant le syllogisme () ?. Tous les hommes sont mortels, Or Socrate est un homme, Donc Socrate est mortel.

La problmatique redevient celle des dmarcations de la phrase unique et de la phrase multiple. Comparez (3), (4), (5).3. 4. 5. Si vous votez Tartempion, je ne vous parle plus. Votez Tartempion et je ne vous parle plus. Que vous votiez Tartempion, je ne vous parle plus.

La phrase (3) est une P unique complexe sous-phrase si vous votez Tartempion CP4 (la vrit de je ne vous parle plus en dpendant). De son ct, (4) est une multiple coordonnant P votez Tartempion et P je ne vous parle plus. Mais (5) ? ne P unique complexe linstar de (3) ? Ou une multiple connecteur zro restituable : Que vous votiez Tartempion et je ne vous parle plus, modification interdite (3) : *Si vous votez Tartempion et je ne vous parle plus ? Faisons-nous une raison. Le jour nest pas venu et viendra-t-il jamais ? o la jungle de la phrase se muera sous les coups de scateur des linguistes en un clair jardin la franaise.

La subordination inverse met ou mettrait en uvre une sous-phrase CP5 (cf. Wilmet paratre). P. ex. Le cardinal navait pas gagn la porte, que ses larmes, violemment retenues, dbordrent (Chateaubriand) ouvre une prdication ngative dans lattente daliment concret ; le cent fois de Vous minterrogeriez cent fois que je vous ferais toujours la mme rponse (Beaumarchais) veille lcho toujours, etc.

Marc Wilmet

BibliographieArriv, M., Gadet, F. & Galmiche, M. 96 : La grammaire daujourdhui. Guide alphabtique de linguistique franaise. Paris : Flammarion. Beauze, N. 767 : Grammaire gnrale. Paris : Barbou. Chervel, A. 977 : Et il fallut apprendre crire tous les petits Franais. Histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot. Damourette, . & Pichon, . 97 : Des mots la pense. Essai de grammaire de la langue franaise. Paris : dArtrey. Danon-Boileau, L., Meunier, A., Morel, M.-A. & Tournadre, N. 99 : Intgration discursive et intgration syntaxique. Langages 04. -. Delbart, A.-R. paratre : La grammaire selon Cavanna ou de la rose aux pines. Les fonctions grammaticales : histoire, thories, pratiques. d. A. Ouattara. Berne : Lang. Grevisse, M. 90 : Le bon usage. Grammaire franaise avec des Remarques sur la langue franaise daujourdhui. Gembloux : Duculot. Grevisse, M. & Goosse, 96, 4007 : Le bon usage. Grammaire franaise. Paris Gembloux : Duculot. Guillaume, G. 969 : Langage et science du langage. ParisQubec : Nizet-Presses de Laval. Lavency, M. 95 : Grammaire latine. Paris-Gembloux : Duculot. Le Querler, N. 006 : Lanaphore associative et le nominativus pendens en franais contemporain. Aux carrefours du sens. ds M. Riegel, C. Schnedecer, P. Swiggers & I. Tamba. Louvain : Peeters. 39-403. Moignet, G. 9 : Systmatique de la langue franaise. Paris : Klincsiec. Neveu, F. 99 : tudes sur lapposition. Paris : Champion. Pierrard, M. 00 : Grammaticalisation et restructuration fonctionnelle : comme et la subordination. Reprsentation du sens linguistique. Munich : Lincom. 93-30. Pierrard, M. 005 : Les proformes indfinies : connexion de prdications et subordination. La syntaxe au cur de la grammaire. ds F. Lambert & . Nle. Rennes : Presses universitaires. 35-44. Serbat, G. 9 : Le nominativus pendens. Cuadernos de Filologa Clsica . 359-366. Van Raemdonc, D. 00 : Adverbe et prposition : cousin, cousine ? Travaux de Linguistique 4-43. 59-70. Wilmet, M. 006 : Piti pour lincidence. LInformation Grammaticale 0. 49-57. Wilmet, M. 3003, 4007 : Grammaire critique du franais. Bruxelles : De Boec. Wilmet, M. 007a : Grammaire rnove du franais. Bruxelles : De Boec. Wilmet, M. 007b : Comment peut-on tre guillaumien ? Psychomcanique du langage et linguistiques cognitives. Limoges : Lambert-Lucas. 69-7. Wilmet, M. 007c : Sic transit gloria mundi : propos de quelques survivances latines en grammaire franaise. Reprsentation du sens linguistique. ds D. Bouchard, I. Evrard & E. Vocaj. Bruxelles : De Boec. 35-46. Wilmet, M. paratre : peine avions-nous pouss un cri de surprise, quil en arriva une seconde : Considrations sur la subordination inverse. Actes du colloque sur la parataxe. Neuchtel.

Liesbeth Degand et Pascale adermann

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde. ObjectifsLancrage temporel, aspect essentiel de la communication verbale, contribue dans une large mesure la mise en place dune cohrence discursive. Dautres facteurs, tels que lexpression de relations logiques, les phnomnes rfrentiels, la manire dont les phrases sagencent au sein du discours, y participent galement. Il nest donc pas tonnant que ltude de la cohrence, de mme que ses diffrentes manifestations textuelles, se trouve au centre dun grand nombre dtudes linguistiques. Dans le domaine de lapprentissage de langues secondes ou trangres, plusieurs tudes dcrivent limpact de la matrise de traits inhrents la cohrence textuelle sur la qualit des productions langagires dapprenants : par exemple lemploi de structures relatives (Kirchmeyer 00) ou de connecteurs logiques (Benazzo 004) ou lensemble des marques cohsives. Plus rares semblent tre les travaux qui relient complexit phrastique et emploi de connecteurs. Notre contribution vise explorer lorganisation discursive de textes narratifs, crits en franais par des apprenants nerlandophones, au travers dune analyse de la connexion et de lintgration phrastique dune part et de lemploi de connecteurs (en particulier, les marqueurs temporels) dautre part. Afin dinterprter correctement les donnes, nous analyserons un corpus de narrations analogues rdiges par des natifs francophones et nerlandophones.

Auteurs cits par ordre alphabtique (niversit catholique de Louvain, Gent). L. Degand est chercheur qualifi au FRS-FNRS. Cette recherche a t partiellement soutenue par un financement Action de Recherches concertes de la Communaut franaise de Belgique (Convention n 03/0-30). Par connecteur, nous entendons toute marque cohsive explicitant une relation smantique entre deux propositions, savoir les conjonctions de coordination, de subordination et les adverbes conjonctifs.

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. ProblmatiqueNotre tude sarticule autour dun double constat. Dune part, selon Cosme (007), le franais serait une langue hypotaxique, l o le nerlandais aurait une structure plus parataxique. Dans la conception de Cosme, la parataxe dsigne un assemblage de prdications sans lien hirarchique (coordination/juxtaposition) alors que lhypotaxe couvre les cas o les prdications sont hirarchises les unes par rapport aux autres3. Il sensuit que le nerlandais devrait faire un usage plus massif de phrases coordonnes et juxtaposes, alors que le franais devrait montrer une prfrence pour les phrases enchsses et les constructions subordonnantes. Dautre part, Bartning & Kirchmeyer (003 : 7) dmontrent que la structuration du rcit est plus linaire et analytique chez les apprenants que chez les natifs, qui synthtisent plusieurs vnements dans un seul nonc en hirarchisant et nuanant linformation . Cette double observation nous conduit formuler deux hypothses gnrales : : La structure discursive des narrations en franais langue premire (FRL) devrait tre plus hypotaxique que celle des narrations en nerlandais langue premire (NLL) : La structure discursive des narrations en FR L devrait tre moins hypotaxique que celle en FR L.

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Outre ce caractre linaire et analytique, le discours des apprenants se distinguerait de celui des natifs par un suremploi de connecteurs (cf. Crewe 990, inel 00, u et al. 9, Perrez & Degand 005) mais aussi par une moindre variation lexicale des marqueurs cohsifs (Connor 94), ce qui nous conduit formuler deux nouvelles hypothses tester sur nos donnes : 3 : Les narrations en FRL prsentent plus de connecteurs que celles en FRL ; 4 : le FRL prsente moins de diversit lexicale dans lemploi des connecteurs.

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ne autre conception consiste dfinir la parataxe comme rfrant labsence de nimporte quel rapport syntaxique (y compris la coordination) ; lhypotaxe, quant elle, marque alors la prsence dun tel rapport (entre autres Lehmann 9).

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde

3. DonnesAfin de raliser notre tude et de confirmer ou infirmer les hypothses cites, nous avons runi trois corpus comparables de textes narratifs licits sur base de la squence Alone and ungry (C. Chaplin, Modern Times). Pour le FRL, notre tude exploite 33 narrations produites en franais par des apprenants nerlandophones inscrits en premire anne en Langues et Littratures romanes lniversit de Gand. Ces tudiants sont supposs avoir atteint le niveau B et pour certaines comptences le niveau B. Les donnes du FRL et du NLL ont t respectivement rcoltes auprs de 34 tudiants en Langues et Littratures romanes lniversit Libre de Bruxelles et de tudiants en Philosophie et Lettres lniversit de Gand. Ces corpus ont tous t dpouills de la mme faon : pour mesurer la complexit syntaxique, nous avons fait appel lunit de mesure T-unit (4..) qui nous a permis danalyser le rapport entre complexit syntaxique et longueur dune part (4..) et intgration dautre part (4.3.). Pour ce qui est de lemploi des connecteurs nous avons, dans un premier temps, compar les corpus franais (5..) pour approfondir dans un deuxime temps le fonctionnement des connecteurs temporels (5..).

4. Complexit syntaxique4.. Connexion et intgration de phrases : la T-unit Afin de mesurer la complexit syntaxique de nos textes, nous faisons appel la notion de T-unit (ou minimal terminable unit). unt (965) introduit la notion de T-unit pour valuer la complexit des crits denfants en ge primaire. Il montre ainsi que la longueur des T-units saccrot en fonction de lge des enfants. Il dfinit la T-unit comme exactly one main clause plus whatever subordinate clauses happen to be attached to or embedded within it (970 : 96). Depuis lors, la T-unit a t utilise dans un grand nombre dtudes en langue seconde et trangre (voir entre autres, Cosme 007, Bardovi-arlig 99, Larsen-Freeman & Strom 974, Brown & Bailey 94). Lavantage principal de la T-unit est quelle permet de dterminer plus objectivement la complexit discursive en uniformisant la mesure de la longueur et de la complexit syntaxique4. Ainsi, la T-unit divise les phrases indpendantes coordonnes (cf. ex. 5 : T-units versus phrase avec

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Cet avantage constitue galement son principal dsavantage puisque des units phrastiques, projetes en tant que tel par le scripteur, sont dcomposes en units plus petites (Bardovi-arlig 99).

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propositions coordonnes dans lanalyse traditionnelle), mais regroupe la principale et ses subordonnes (cf. ex. : T-unit versus phrase avec propositions). Nous dirons donc avec Cosme (007 : 0-04) que la T-unit rend mieux compte de la maturit syntaxique du locuteur que la phrase mais que, pour avoir une ide plus nette du degr de complexit syntaxique, il faut galement analyser le degr dintgration au sein des T-units, cest--dire le nombre de propositions par T-unit, que nous signalerons entre parenthses aprs lexemple. Dans notre tude seront considrs comme reprsentant une T-unit les exemples suivants :. . [A ce moment l, le fourgon fait un accident.] (:) [Mais derrire eux, on voit que le policier les a retrouv] (:)

Lexemple () reprsente une phrase indpendante sans proposition enchsse. Dans le deuxime cas, nous avons une principale et une subordonne. cela sajoutent les mots-phrases, les squences ponctues comme des phrases et les impratifs :3. Merveilleux ma chatte ! (FR L ; :)

Quant au discours direct, il est considr comme intgr la T-unit construit autour du verbe de dire.4. [Zou jij oo niet met mij in zon huis willen wonen? vraagt Charlie aan het meisje.] (NL L ; :) Tu ne voudrais pas habiter avec moi dans une maison pareille? demande Charlie la fille.

Les noncs suivants comportent deux T-units :5. 6. [La tmoin occulaire dment] [et la jeune fille est alors rattrappe par la police.] (FRL ; :, :) [Charlot ordonne la fille, encore un peu sonne de senfuir,] [il assome lagent entrain de reprendre connaissance avant de la rejoindre.] (FRL ; :, 3:)

En (5) figurent deux T-units simples (cf. :)5 ; en (6) les T-units sont plus complexes : la premire se caractrise par la prsence dune principale et dune

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Les propositions coordonnes sont traites comme des T-units indpendants. En revanche, si la coordination se ralise dans le cadre de propositions subordonnes, elle

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde 3 compltive infinitivale, la deuxime est constitue dune principale et de deux subordonnes infinitivales. 4.. Complexit syntaxique et longueur des T-units Le point de dpart de notre analyse est une slection alatoire de 50 phrases dans les trois corpus notre disposition. Le comptage des T-units mne lobservation suivante : en FRL, on compte 3 T-units pour 50 phrases ; en FRL, on compte 73 T-units pour 50 phrases et en NLL, on compte 79 T-units pour 50 phrases. Ces diffrences ne sont pas significatives (FR/FR : t(9) = .35, p =.0 (NS) ; FR/NL : t(9) = 0.5, p = 0.55 (NS)). En dautres mots, aucun des groupes ne semble se diffrencier des autres quant lorganisation de la phrase en termes de coordination ou de juxtaposition. Partant du postulat que la longueur dune unit est une mesure de sa complexit (cf. supra), nous prsentons ci-dessous un tableau reprenant la longueur moyenne des T-units en franais langue premire et langue seconde, et en nerlandais langue premire. longueur moyenne de la T-unit (# mots) 0,7 9.37 9.97 longueur mdiane 0

FRL FRL NLTableau 1

Ces diffrences ne sont pas non plus significatives (FR/FR : t(54) = .967, p=.335 (NS) ; FR/NL : t(60) = .0, p=.36 (NS)). Pour ce qui est des T-units, les trois varits de langue en prsence ne diffrent donc pas en termes de complexit syntaxique. Sans doute, le niveau atteint par les apprenants est-il dj suffisant pour ne plus tre marqu par des diffrences au niveau de la syntaxe locale. Ceci ne nous permet par contre pas encore de trancher la question de lorganisation hypotaxique souleve par les hypothses et mentionnes.

nentranera pas la scission en plusieurs T-units : on voit que le policier les a retrouvs et quil les emmne dans sa fourgonnette.

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4.3. Complexit syntaxique et degr dintgration des T-units Rappelons que, selon Cosme (007), le franais et le nerlandais se situeraient des deux cts opposs sur un continuum allant de la parataxe lhypotaxe, do notre hypothse de dpart : la structure discursive de FR L est plus hypotaxique que celle de NL L.Organisation horizontale Parataxe (juxtaposition, coordination) NERLANDAIS ANGLAIS Organisation verticale Hypotaxe (subordination) FRANCAIS

Fig. 1 : Position du nerlandais et du franais sur le continuum parataxe-hypotaxe (daprs Cosme 007 : 6, fig. 3.)

Afin de vrifier cette thse, nous avons regroup les T-units en deux catgories : simple et complexe. La catgorie simple regroupe toutes les occurrences de T-units de type : ; la catgorie complexe reprend les T-units plus intgres de type :, 3 :, 4 :, 5 :. La diffrence FR L / NL L pour cette opposition simple/complexe nest pas significative dans notre corpus : X = 0.794; df(); p > .05 (NS), voir Figure :

Fig.2 : Distribution des T-units simples et complexes en franais et nerlandais langue premire

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde 5 Daprs nos donnes, le franais et le nerlandais ne diffrent pas en termes de complexit syntaxique ou du moins pas en termes de degr dintgration. Les tableaux ci-dessous montrent que mme au sein des T-units plus intgres, il est difficile de dgager un cart entre les trois corpus : seul le FR L semble plus facilement recourir des T-units construites sur le modle 3 :.FR L 49 59,03% 6,5% 3,5% 0,0% NL L 65,% ,7% 5,06% 3,0% ,53% FR L 64,94% 5,97% 9,09%

total : total : total 3: total 4: total 5:

5 4 3

50 0 7

Tableau 2 : Distribution des T-units dans les trois sous-corpus 7. En courant elle se heurte contre Charlie qui marche paisiblement sur le trottoir. (FR L; 3:)

premire vue, il est tonnant que nos analyses ne rvlent pas les mmes tendances que celles de Cosme, dautant plus que les calculs ont t effectus de la manire la plus similaire possible, en adoptant les mmes critres. Pourtant, il y a un certain nombre de facteurs qui peuvent tre avancs pour expliquer les carts. Le premier concerne le type de texte. Cosme a travaill avec des textes argumentatifs, dont lorganisation discursive se distingue peut-tre de celle du texte non-argumentatif. Ainsi, Le Draoulec & Pery-Woodley (00) montrent que lorganisation temporelle diffre dans les textes narratifs et non narratifs. De mme, les principes dorganisation sous-jacents aux deux types de textes seraient diffrents (Berman & Nir-Sagiv 007). Enfin, Crowhurst (90) a montr que dune part la complexit syntaxique, mesure en longueur de T-units, est systmatiquement plus grande dans les textes argumentatifs que dans les textes narratifs dcoliers (et ce quelle que soit leur anne dtude), et que dautre part la longueur des T-units naugmente plus dans les narrations aprs la 0me anne. Si lon ajoute cela que certaines constructions linguistiques sont lies des types de textes (Biber & Finegan 96), les divergences entre la prsente tude et celle de Cosme (007) pourraient sexpliquer par lemploi de types de textes diffrents. Le second facteur explicatif concerne le type de tche. Linstruction donne aux participants tait de dcrire la scne comme si vous tiez tmoin . Les participants ont pu prendre des notes pendant quils visionnaient la squence et ont ensuite dispos dune heure pour faire leur rcit. Il se pourrait que ce type

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dinstruction mne une criture immdiate, descriptive, moins planifie, qui se rapprocherait plus du script que du vritable rcit . Alors que le script retient seulement linformation essentielle et quil accorde une priorit lordre chronologique des vnements (udson & Shapiro 99 : 94), le rcit est plutt considr comme a coherent account of unified, culturally appropriate actions in which the teller controls linguistic devices to convey character, setting, rising action, conflict and resolution (Donato et al. 000 : 390). Le rcit et encore plus largumentation se distinguent du script par une planification plus diversifie o lavant-plan est clairement diffrenci de larrire-plan. Or, plus lcriture est planifie, plus sa structure est complexe (Alamargot & Chanquoy 00 : 33). Cette planification plus labore est par ailleurs troitement lie au niveau dexpertise des scripteurs (Bereiter & Scardamalia 97, Torrance 996). Il va sans dire que les ditoriaux analyss par Cosme (007) tmoignent dune expertise rdactionnelle plus leve que nos donnes, ce qui devrait conduire une criture plus complexe, plus hirarchise et plus intgre. Puisque nos donnes pour le FR L et le NL L ne rvlent aucune diffrence en complexit, nous liminons la possibilit que le NL L influence le FR L dans ce domaine. En (5), nous nous concentrerons par consquent seulement sur lemploi des connecteurs en FR L et en FR L. Mme si les apprenants semblent avoir dvelopp une bonne matrise syntaxique, il ne va pas de soi quils aient atteint la mme comptence dans le domaine de la structuration narrative.

5. Emploi des connecteurs5.. FR L versus FR L Dans les tudes sur lapprentissage de langues trangres, lon rfre rgulirement lemploi abusif que les apprenants tendraient faire des connecteurs (Degand & Perrez 004). Selon Ellis (994) ce suremploi serait un phnomne interlangagier qui sexplique par les difficults de planification et de structuration quprouve lapprenant lorsquil crit en L. Afin de vrifier cette hypothse du suremploi, nous avons comptabilis tous les connecteurs causaux, contrastifs et temporels rencontrs dans les crits en franais langue premire et langue seconde et il ressort de notre dpouillement que le FR L prsente plus de connecteurs que le FR L : les apprenants utilisent en moyenne un connecteur tous les , mots, alors que les natifs y font appel tous les 4,5 mots (t(65)=-3,03 ; p < .05.) Lhypothse 3 susmentionne se trouve donc confirme.

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde 7 # connecteurs/mots 0,04 0,0347

FR L FR L

Tableau 3 : Occurrence moyenne de connecteurs en FR L et en FR L

linstar de Ellis (994), nous estimons que cette tendance au suremploi de connecteurs dans linterlangue est mettre en rapport avec le cot cognitif de lcriture en langue trangre, de mme quavec une moins bonne matrise par les apprenants de moyens lexicaux et grammaticaux autres que les connecteurs pour rendre le texte cohsif. ne explication alternative est propose par Schleppegrell (996) : selon elle, les apprenants ne recourraient pas au registre adquat dans leur criture, ils adopteraient un style trop oral empreint de marques oralisantes, telles que les marqueurs discursifs. Cette explication est sans doute valable pour le type de textes sur lequel Schleppegrell travaille, cest--dire le discours acadmique. Il nous semble nanmoins quelle est moins pertinente pour nos donnes qui, la suite de linstruction donne (cf. supra), sont caractrises par une planification moindre. En outre, il se pourrait que la L exerce une influence sur la mise en place et lexploitation du paradigme des connecteurs en L. Dans cette optique, le suremploi ne serait pas un phnomne universel en L, mais dpendrait de la L de lapprenant (Granger & Tyson 996). Afin de vrifier cette hypothse, nous rintgrerons, dans ce qui suit, les donnes du NL L nos calculs. Nous nous limiterons toutefois au domaine des connecteurs temporels, qui sont les plus frquents dans nos donnes. 5.. Influence du NL L : les connecteurs temporels Des trois corpus, cest celui du NL L qui se caractrise par lemploi proportionnellement le plus lev de connecteurs temporels, suivi du FR L et FR L. Lanalyse statistique (log-lielihood ratio) confirme que les locuteurs natifs du nerlandais utilisent plus de marqueurs temporels dans leurs narrations que les locuteurs natifs du franais et que les apprenants (nerlandophones) du franais. Ces derniers emploient leur tour plus de marqueurs temporels que les natifs francophones.

Liesbeth Degand et Pascale adermann# connecteurs temporels 7 35 94 # mots 76 3909 640 % temporels/ sous-corpus .59% .34% 3.03% log-lielihood ratio G() = .9 ; p < 0.00 G() = .0 ; p < 0.0 G() = 44.9 ; p < 0.000

FR L FR L NL L

Tableau 4 : Distribution des marqueurs temporels

Pour ce qui est de nos narrations, le nerlandais et le franais se situent cette fois bel et bien aux deux extrmits dun continuum de connexion temporelle (Figure 3) :Fig. 3 : Continuum de lexpression de la temporalit en nerlandais et en franais marquage + explicite de relations temporelles Nerlandais marquage explicite de relations temporelles Franais

Fig. 3 : Continuum de lexpression de la temporalit en nerlandais et en franais

Nos apprenants FR L occupent une position mdiane sur ce continuum. Bien quils semblent se rendre compte des divergences en ce qui concerne lexpression de rapports temporels entre leurs langues cible et source, ils ne sont pas encore capables dorganiser leur narration sur le modle de celui du natif. Outre la morphologie verbale, le franais dispose de tout un paradigme de connecteurs pour tablir des relations temporelles. Plusieurs tudes ont montr quen contexte naturel, les apprenants dbutants, pour exprimer lancrage temporel, ne recourent pas la morphologie verbale mais des expressions lexicales (voir Granget 003 : 77 pour un aperu)6. Or, le suremploi de connecteurs lors de la phase lexicale nimplique pas ncessairement que lapprenant sapproprie une large gamme de connecteurs (Connor 94 ; Granget 003), do notre dernire hypothse dans le domaine des connecteurs de temps :4 : le FRL prsente moins de diversit lexicale dans lemploi des connecteurs.

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Il serait intressant de vrifier longitudinalement si le suremploi, relev dans notre corpus, est interprter comme un vestige dun stade antrieur dans linterlangue des apprenants.

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde 9 5.3. Les connecteurs et la varit lexicale en FR L et en FR L Le tableau 5 reprend les marqueurs temporels relevs dans nos corpus. Nous les avons scinds en deux sous-groupes : les subordonnants et les non subordonnants. premire vue, il nexiste pas de diffrence entre FR L et FR L pour ce qui est de la varit demploi des marqueurs temporels.Marqueurs temporels subordonnants au moment o, avant que, alors que, lorsque, pendant que, quand, tandis que, au moment de, avant de, aprs Marqueurs temporels non subordonnants ce moment(-l), prsent, alors, aprs qqs temps/ moments, par/peu aprs, juste/tout de suite, aprs, peu de temps aprs, au mme moment, aussitt, dans la seconde, dans le mme temps, de nouveau, depuis longtemps/des lustres, ds lors/que possible, dsormais, en ce temps-l, dabord, en mme temps, encore, encore / fois, cette fois (encore), dt fois, enfin, ensuite, entretemps, finalement, maintenant, pendant ce temps, (x) plus tard, puis, soudain, tout dun/ coup ce moment(-l), alors, aprs, aprs qqs temps/ moments, par/peu aprs, juste/tout de suite, aprs, peu de temps aprs, au mme moment, aussitt, de nouveau, depuis longtemps/des lustres, ds lors/que possible, dabord, en fin de compte, en mme temps, encore, encore / fois, cette fois (encore), dt fois, enfin, ensuite, entretemps, finalement, maintenant, pendant ce temps, (x) plus tard, puis, soudain, tout dun/ coup

FR L

FR L

au moment o, avant que, alors que, aprs que, une fois que, lorsque, pendant que, quand, tandis que, avant de, aprs

Tableau 5 : marqueurs temporels

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Liesbeth Degand et Pascale adermann

La distribution des marqueurs subordonnants est reprsente dans le graphique ci-dessous :aprs avant de au moment de tandis que quand pendant que lorsque une fois que aprs que alors que avant que au moment o 0,0% 5,0% 10,0% 15,0% 20,0% 25,0% 30,0% 35,0%

FR L2 FR L1

Fig. 4 : les subordonnants temporels en FR L et en FR L

Les subordonnants prfrs des apprenants ainsi que des natifs sont quand et aprs suivi dun infinitif. L o les deux corpus scartent plus, cest dans lemploi de alors que peu exploit en L et de au moment de non attest en L. Pour ce dernier connecteur, il est intressant de noter que les apprenants emploient plus souvent la variante rgissant un verbe fini : au moment o. La rticence utiliser des infinitifs ou plus gnralement des structures verbes non finis7 nest pas sans rappeler les stades acquisitionnels dfinis par Bartning et Kirchmeyer (003 : 9) : les structures verbes non finis tmoigneraient dun haut degr dintgration phrastique, lequel ne serait matris quen fin de parcours dapprentissage. Quant aux connecteurs non subordonnants, nous en avons relev une trentaine dans les deux corpus (voir tableau 5). Nos donnes infirment la thse dune diffrence de variabilit lexicale entre L et L. Il serait cependant intressant de vrifier si les connecteurs non subordonnants appartiennent tous une seule et mme catgorie. Rappelons que selon Granget (003 : 7) il y a lieu de distinguer,

7

Voir aussi la faible frquence de avant de.

Structure narrative et connecteurs temporels en franais langue seconde 3 du moins au sein des adverbes temporels, entre les adverbes qui portent sur lnonc ( adverbes de position ) et ceux qui portent sur le prdicat verbal ( adverbes de frquence, de dure ou de contraste ). Dans ce contexte, il est intressant de soulever que les deux groupes ne partagent pas les mmes prdilections :FR L : alors (5%), ensuite (0%), soudain (7%) FR L : alors (6%), de nouveau (6%), puis (0%)

Le rapport temporel le plus frquemment exploit dans les deux corpus est celui de la successivit (alors, ensuite, de nouveau, puis), ce qui correspond la nature des rcits, proches du script et organiss selon le principe de lordre naturel (Klein 994). Seul le FR L semble accorder une certaine importance au contraste avec soudain, ce qui nous amne formuler une nouvelle hypothse qui mriterait dtre vrifie : les apprenants organisent leur discours plus sur laxe chronologique du temps de lvnement, ou temps topical, que du temps de la situation (Klein 994).

6. ConclusionNotre tude a permis de montrer que le nombre et la longueur des T-units ne sont pas des traits pertinents pour diffrencier nos trois corpus FR L, FR L et NL L et quil nexiste pas dcart significatif dans les corpus quant au degr dintgration phrastique. De plus, le type de texte (narration versus argumentation par exemple) est un paramtre important pour dterminer le type dorganisation discursive, de mme que le type dinstruction qui dbouche sur une certaine mise en forme : nous avons montr que, dans notre cas, les narrations prennent plus lallure dun script que dun rcit. A cela sajoute que les apprenants recourent plus aux connecteurs que les natifs franais. Ce suremploi pourrait sexpliquer de deux faons : par le cot cognitif ncessit par la tche ou par le transfert du NL L o les connecteurs sont galement trs frquents. Seule lanalyse dun corpus NL L permettrait de vrifier laquelle de ces deux explications est la plus plausible. Et finalement, nous avons not quil nexiste aucune diffrence importante au niveau de la richesse lexicale du paradigme des connecteurs temporels entre le FR L et le FR L.

Si la seconde explication est correcte, le corpus NL L devra attester un nombre de connecteurs plus lev quen NL L.

3

Liesbeth Degand et Pascale adermann

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Pascale adermann Michel Pierrard Dan Van Raemdonc Valerie Wielemans

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies? Lemploi de aussi, autant, si et tant en contexte ngatif. Introduction : objectifs et mthodologiePour exprimer lgalit dans des structures comparatives, le franais dispose entre autres des adverbes de degr aussi et autant. en croire certains grammairiens, si et tant se substitueraient aussi et autant dans des contextes ngatifs et interrogatifs (voir entre autres Le B.U. 007 : 95b). La question qui se pose est de savoir si cette substitution est automatique ou sil existe une certaine variation dans les emplois de aussi/si et de autant/tant en contexte ngatif ou interrogatif. onas (973 : 330-33) avance des lments de rponse pour lalternance aussi/si dans des comparatives nies deux termes. Selon lui, si sy substitue aussi lorsque ladverbe est incident au deuxime lment dune locution verbale (faire beau, avoir peur, ), [] ladjectif qualificatif lment dune locution impersonnelle du type il est adjectif formulant une apprciation (il est facile, ), [] ladjectif qualificatif attribut du sujet, [] ladverbe portant sur le verbe du premier terme . Dans leur tude du couple aussi/si, adermann e.a. ( paratre) prennent galement en considration les structures sans comparant exprim ainsi que toutes celles qui dclenchent une interprtation intensifiante. Ils montrent que la substitution de si aussi dpend essentiellement du type de ngateur (ne pas versus ne jamais), de la prsence ou non dun comparant et du sens quatif ou intensif quassumerait ladverbe. Cest galement le rapport intensit/comparaison qui est pris en compte par Combettes & Kuyumcuyan (007) dans leur tude diachronique de si et de aussi. Ils en arrivent la conclusion suivante :

Auteurs classs par ordre alphabtique. Pascale adermann, niversiteit Gent ; Michel Pierrard, Vrije niversiteit Brussel ; Dan Van Raemdonc, Vrije niversiteit Brussel et niversit Libre de Bruxelles. Cette contribution sinscrit dans un projet de recherche financ par le FWO Flandres (projet G.034.05). Valerie Wielemans, chercheuse, est engage sur ce projet.

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P. adermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans Si, globalement, il est donc possible de considrer que aussi prend le relais de si, ce nest cependant pas dune faon uniforme. Lopposition des deux adverbes sopre dans le cadre dune opposition plus large, celle des deux types de contextes [actualisants ou non actualisants]. [] [Les propositions non actualises] constituent alors le seul contexte qui accepte lemploi des deux formes, alors que llimination de si est dj ralise dans les propositions actualises . (Combettes & Kuyumcuyan 007 : 9)

Lobjectif de la prsente tude est de complter les recherches prcdentes et de vrifier quelles sont les convergences et les divergences entre le fonctionnement de aussi (que) / si (que) et de autant (que) / tant (que) dans des noncs ngatifs. Dans un premier temps, nous dcrirons les conditions demploi des quatre formes dans des structures assertives laffirmatif et nous dterminerons ensuite ce que rvle lusage rel en contexte ngatif. Nous analyserons plus spcifiquement les emplois de autant et tant pour les confronter avec les tendances dcrites pour aussi/si par adermann e.a. ( paratre). Pour raliser notre analyse, nous avons runi des occurrences littraires et journalistiques. Les tableaux ci-dessous dtaillent leur rpartition sur les diffrents tours possibles :Tableau 1 3 Frantext (90-997)3 Compar ni Avec comparant Sans comparant Total marqueur Aussi que Si que Aussi Si total 4 76 56 4

3

Il serait intressant dlargir cette analyse aux autres contextes non actualisants, tels que linterrogation, ce qui permettrait de vrifier, en franais contemporain, les hypothses formules par Combettes & Kuyumcuyan (007) partir de leur tude diachronique. En outre, il serait utile de reprendre la problmatique du morphme ne dans la partie comparant des comparatives dgalit nies : Laurence nest pas si simple quelle napparaissait (Vzquez Molina) (voir ce sujet entre autres Muller 93, Vzquez Molina 006). Nous avons dabord runi 300 occurrences par tour. Des 00 exemples ainsi obtenus, 4 attestent lemploi dun des adverbes, aussi ou si, avec un ngateur.

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies?Tableau 2 4 Le Monde (99 et 005)4 Compar ni Avec comparant Sans comparant Total Tableau 3 5 Frantext (90-997)5 marqueur Avec comparant Autant que Autant de que Tant que Tant de que Sans comparant Autant Autant de Tant Tant de Total total 5 7 0 9 9 37 47 marqueur Aussi que Si que Aussi Si total 56 65 0 4

37

4 5

Nous avons procd une interrogation analogue dans Le Monde. Des 00 exemples, 4 illustrent lemploi de aussi ou de si, avec un ngateur. Nous avons nouveau rcolt, dans Frantext et dans Le Monde, 300 exemples de autant (de N), 300 exemples de tant (de N), 300 exemples de autant (de N) que et 300 exemples de tant (de N) que, ce qui nous a permis de runir respectivement 47 et 90 occurrences en contexte ngatif.

3

P. adermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans

Tableau 4 Le Monde (004 et 006)5 marqueur Avec comparant Autant que Autant de que Tant que Tant de que Sans comparant Autant Autant de Tant Tant de Total total 50 6 53 3 4 7 90

Afin de dterminer si lalternance entre aussi et si et entre autant et tant en contexte ngatif est motive ou non, nous tiendrons compte de plusieurs paramtres, susceptibles de favoriser lemploi de lun ou lautre adverbe (cf. onas 973) : - paramtres syntaxiques : nature du ngateur nature du comparant - paramtres smantiques : smantisme du comparant valeur du marqueur (quatif, intensif ou autre) - paramtres discursifs : limportance du co(n)texte possibilit de restitution du comparant Mais avant de procder une inventorisation de ces diffrents facteurs, nous donnerons en () un bref aperu des emplois possibles de aussi, si, autant et tant dans des assertions affirmatives. Ensuite, nous rsumerons en (3) les principales tendances qui caractrisent les emplois de aussi et de si en contexte ngatif, telles quelles ont t mises en vidence par adermann e.a. ( paratre). En (4), nous procderons une analyse dtaille de autant et tant en contexte ngatif, ce qui nous permettra dinsister dans la conclusion sur les volutions qui touchent le systme des quatre adverbes et plus gnralement aussi lexpression de lgalit en contexte ngatif.

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies?

39

. Emplois laffirmatifAussi (que) est un marqueur dgalit ) ; employ sans que, il en arrive parfois vhiculer une valeur intensive ) et il entre alors en concurrence avec le morphme si. 3) Dans les cas o si-intensif sassocie que, nous voyons leffet conscutif prendre le dessus 4) :. . 3. 4. Marie est aussi intelligente que son frre. Avec une voiture aussi chre, tu vas impressionner. ai si mal dormi cette nuit. ai si mal dormi cette nuit que je me sens une vritable pave.

Autant (que) exprime lgalit (5) et la frquence (6). Autant que (avec un que obligatoirement prsent) en arrive tablir un rapport dadjonction. Deux cas de figure sont alors envisageables: X autant que Y (7) et autant X que Y (). Sans que, autant peut galement vhiculer un effet intensif (9) ou marquer la corrlation lorsque autant est rpt (0).5. 6. 7. . 9. 0. Marie travaille autant que son frre. Cest a, meurs donc encore et encore, autant quil te plaira, - tu es si belle quand tu meurs ! (S. Germain) Ebranl par la nouvelle de Trafalgar autant qupuis par la lente agonie de sa mre, il finit par cder. (M. de Grce) [Il] tait pour moi autant un pre quun matre. (A.. Ba) En travaillant autant, tu vas impressionner ton pre. Autant il est charmant avec elle, autant il est dsagrable avec nous. (Le Petit Robert)

En combinaison avec de, autant est un quantifiant compos6 qui marque lgalit () ou la frquence () :. Il a autant de livres que Pierre.

6

Nous empruntons ce terme Wilmet (007).

40.

P. adermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. WielemansCe dont je suis le plus reconnaissant cet orgueilleux, et ses allis, cest davoir, autant de fois quils lont pu, accommod leur longue-vue sur les bantoustans des Blancs (LM)

Tant employ avec que introduit avant tout une relation de consquence (3.a) mais en prsence dun comparant grammaticalis, il est un simple marqueur intensif (3.b). Il assume galement des emplois plus grammaticaliss o il signifie aussi longtemps que (3.c). Il en arrive parfois prendre une valeur adjonctive (4). Sans que, cest leffet intensif qui lemporte (5) et lorsque tant est rpt nous avons nouveau faire une comparaison corrlative (6).3. a. Nil avait tant fait son deuil quil nimaginait pas que ces visites fussent le signe de sa proche victoire. (Matzneff) b. Elle porte des tresses ! Si tu les aimes tant que a, [...] je tapparatrai galement avec des tresses ! (Schreiber) c. Tant quil y a de la vie, il y a de lespoir. (Le Petit Robert) 4. 5. 6. Le nombre de bottes que jai eues tant la coupe de Strbole quau verger audessus de lalle (Simon) e taime tant. Tant valait linstituteur primaire, tant vaudrait lenseignement. (Zola ; Le Petit Robert)

Le quantifiant compos tant de traduit le haut degr de la quantit (7) et en combinaison avec que, il tablit un rapport conscutif entre les deux parties de lnonc ().7. . Puisque, ailleurs, il y a tant dlves qui passent en section scientifique, jen veux autant dans lAcadmie de Crteil. (LM) On avait traduit tant douvrages que les lecteurs russes ou urainiens sarrachaient les ditions (LM)

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies?

4

3. Emplois au ngatif: aussi (que)/si (que) + ne pas/ne jamais3.. Tableaux de frquence7 Tableau 5 : Frantext60,0% 50,0% 40,0% 30,0% 20,0% 10,0% 0,0% aussi que si que aussi si pas jamais 19,4% 2,9% 57,3% 20,4%

25,9%9,9% 21,0% 43,2%

Tableau 6 : Le Monde60,0% 50,0% 40,0% 30,0% 20,0% 10,0% 0,0% aussi que si que aussi si

pas32,4%

jamais 10,1% 6,1% 49,5% 34,3%

8,5% 11,3% 47,9%

7

Les pourcentages renvoient la frquence proportionnelle de chaque tour par rapport au nombre total doccurrences releves respectivement pour ne pas et pour ne jamais.

4

P. adermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans

Des tableaux ci-dessus se dgagent les tendances suivantes : - pour le ngateur ne pas en prsence de que : prfrence pour aussi en labsence de que : prfrence pour si - pour le ngateur ne jamais prfrence pour aussi dans les structures 3.. Influence du ngateur ne pas Lorsque le comparant est exprim, la ngation de lgalit est gnralement marque laide de aussi que (9). Pour ce qui est de leffet de sens intensif qui, sous leffet de la ngation quivaut une modration de lintensit, nos donnes rvlent une certaine concurrence entre aussi que et si que. Notons que le comparant, dans ces exemples, se limite souvent une squence avec la proforme neutre cela (0).9. 0. Il nest pas aussi actif que son frre. (LM) Tout ne va pas si mal que a. (LM)

Pour ce qui est des noncs sans comparant, nous observons un lger cart entre les deux corpus. Le langage journalistique recourt majoritairement au marqueur si pour la ngation de lgalit ainsi que pour la modration de lintensit (), alors que dans le corpus littraire aussi est un peu plus souvent attest dans les deux contextes (cf. % dans Le Monde versus ,3% dans Frantext). Pour avoir linterprtation dune galit nie, il faut que le comparant non exprim soit restituable dans le co(n)texte ().. . Son dveloppement se justifie par sa contribution la matrise de leffet de serre. Ce nest dj pas si mal! (LM) Elle devait sattendre, un jour, un truc de ce genre. Son pre a dj eu des ennuis, il y a deux ans. Ce ntait pas aussi grave, mais quand mme une trs sale histoire. (Carrre) = ce ntait pas aussi grave que maintenant.

3.3. Influence du ngateur ne jamais En prsence du comparant, Frantext privilgie aussi (cf. 9,4% versus ,9% pour si ; ex. 3), l o dans Le Monde lcart entre aussi et si est moins prononc (0,% versus 6,% ; ex. 4).3. amais les esprances nont t aussi grandes quau temps o je vivais. (Ormesson)

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies?4.

43

Il ne stait donc jamais retrouv en si bonne posture quen ce dimanche de Pentecte sur le central. (LM)

Aussi bien avec si que quavec aussi que, leffet intensif est dclench par la prsence du ngateur ne jamais. Jamais, qui rfre un moment quelconque, en arrive exclure, sous linfluence du ngateur ne, tous les moments qui sont diffrents du comparant, savoir au temps o je vivais en (3) et en ce dimanche de Pentecte en (4). Linterprtation intensifiante est gnre par ce rejet de toutes les autres circonstances possibles. Lorsque le comparant nest pas exprim, la forme la mieux atteste dans les deux bases de donnes est aussi (5), mme si les structures en si ne sont pas exclues (6). En prsence de ne jamais, cest nouveau la lecture intensive qui se dgage pour les deux marqueurs.5. 6. amais elle navait t aussi malheureuse. Et pourtant, elle ne regrettait pas ce djeuner bizarre. (Romilly) amais leuro na paru si loign des proccupations quotidiennes. (LM)

3.4. Synthse des emplois de aussi (que) / si (que)Tableau 7 : bilan aussi (que) / si (que)valeur quatif intensif affirmatif aussi que aussi comp rest (aussi) (aussi quecomp gr) si (si quecomp gr) ne pas aussi que aussi comp rest aussi (aussi quecomp gr) (si que) (si comp rest) si (si quecomp gr) aussi aussi que (si) si que ne jamais (aussi que)

aussi quatif si intensif

aussi quatif aussi/si intensif

aussi intensif

cart par rapport au discours normatif: peu de si quatifs

valeur quative secondaire

En gras: les formes les mieux attestes ; entre parenthses: les emplois exceptionnels. Comp gr dsigne un comparant grammaticalis de type que cela ; comp rest renvoie un comparant non exprim mais restituable grce au co(n)texte.

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P. adermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans

Le systme qui se dgage pour lexpression de lgalit et de lintensit laide de aussi (que)/si (que) est plus complexe que les grammaires ne le laissent sousentendre : l o laffirmatif la langue tend une distinction nette entre galit et intensit, marques respectivement par aussi et par si, au ngatif la situation se complexifie. Contrairement ce que les grammairiens prtendent, aussi reste le marqueur par excellence pour la ngation de lgalit, et pour ce qui est de la ngation (ou plutt la modration) de lintensit, si est bel et bien concurrenc par aussi. La question se pose de savoir si nous assistons ici une rorganisation du systme o la ngation de lgalit et la modration de lintensit se partageraient le marqueur aussi (que) qui aurait tendance supplanter si (que).9Affirmatif quatif Intensif Aussi Si Ngatif Si Si

Affirmatif quatif Intensif Aussi Si

Ngatif Aussi Aussi/si

Lquatif positif est explicit laide du prfixe au- (provenant de autre ?), ressenti comme inutile dans le cas de lquatif ngatif et dans le cas de lintensif9.

Lquatif positif et ngatif sont explicits laide de au- et lintensif ngatif tend saligner sur lquatif ngatif.

Afin de vrifier cette hypothse dune possible rorganisation systmique affectant lexpression de lgalit et de lintensit nies, nous analyserons dans ce qui suit le fonctionnement de autant (de N) (que) que nous comparerons celui de tant (de N) (que).

4. Emplois au ngatif: autant (que)/tant (que) + ne pas/ne jamais4.. Tableaux de frquence0

9

Morphologiquement et en tenant compte de son tymologie, aussi pourrait tre analys comme comportant le morphme si qui indique lorientation de lchelle vers le haut degr, prcd du prfixe au-, qui remonterait autre et qui bornerait lorientation en situant le compar au mme niveau que lautre (cf. onas 97). 0 Les pourcentages renvoient la frquence proportionnelle de chaque tour par rapport au nombre total doccurrences releves respectivement pour ne pas et pour ne jamais.

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies?Tableau 8 : Frantext40,0% 35,0% 30,0% 25,0% 20,0% 15,0% 10,0% 5,0% 0,0% Autant que Tant que Autant de que Tant de que Autant Tant Autant de Tant de pas jamais 8,5% 1,7% 8,5% 0,0% 35,6% 13,6% 28,8% 3,4%

45

11,4%30,7% 2,3% 0,0% 9,1% 33,0% 2,3% 11,4%

Tableau 9 : Le Monde40,0% 35,0% 30,0% 25,0% 20,0% 15,0% 10,0% 5,0% 0,0% Autant que Tant que Autant de que Tant de que Autant Tant Autant de Tant de pas13,1%

jamais 28,9% 2,6% 9,2% 0,0% 31,6% 2,6% 22,4% 2,6%

37,4% 4,2% 0,9% 13,6% 18,7% 9,8% 2,3%

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P. adermann, M. Pierrard, D. Van Raemdonck et V. Wielemans

Des tableaux ci-dessus se dgagent les tendances suivantes : - pour le ngateur ne pas prfrence pour tant (que) exception : le quantifiant compos la forme autant de N (que) lemporte, sauf dans le corpus Frantext o tant de N est plus frquent que autant de N - pour le ngateur ne jamais prfrence pour autant 4.. Influence du ngateur ne pas 4... Emplois avec comparant En prsence du ngateur ne pas, autant que, qui signifie habituellement la ngation de lgalit (7), accepte galement lexpression de la modration de lintensit (). Il faut ajouter que lemploi de autant que permet dviter linterprtation conscutive que dclencherait tant que introduisant un comparant de nature propositionnelle.7. . Ces agriculteurs ne se consacrent pas autant que leurs confrres leur exploitation (LM) Malheureusement le public ne suivait pas autant que lon aurait pu sy attendre. (LM)

Tant que exprime la ngation de ladjonctif (9-30) et, lorsquil est accompagn de la proforme neutre cela/a, la modration de lintensit (3).9. 30. 3. ... ce qui constitue une menace, pas tant pour les Etats-nis que pour ses voisins (LM) Ce qui compte, ce nest pas tant la ralit que la perception que lon peut en avoir (LM) e ncrivais que des critiques de roc, et encore, pas tant que a. (LM)

Des quantifiants composs tant de N que et autant de N que, cest la forme en autant qui lemporte pour exprimer la ngation de lgalit (3) ou la modration de lintensit (33). Pour tant de N que, nous navons relev que deux attestations dans le corpus journalistique, dont une relve du rapport conscutif (34).3. Elle ne mobilise pas autant de monde quun dfil de ean-Paul Gaulthier sur les Champs-Elyses (LM)

Que deviennent lgalit et lintensit lorsquelles sont nies?33. 34. La nouvelle ne me faisait pas autant de plaisir quelle aurait d. (Ormesson)

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Le pays, ..., na pas tant davantages comparatifs quil faille en ngliger un. (LM)

4.2.2. Emplois sans comparant Avec un comparant restituable laide du co(n)texte, autant signifie la ngation de lgalit (35). En outre, il apparat rgulirement dans des expressions lexicalises de type ne pas en faire autant, ne pas en dire autant (36-37).35. 36. 37. Dans le reste de lEurope, ces expressions du savoir-vivre ne sont pas autant prises. (LM) >... quici Zinah me sauta au cou, et si Idriss nen fit pas autant, ce fut, je crois, seuls la pudeur et le respect qui le retinrent. (M. de Grce) Nous ne commentons pas les candidatures de nos concurrents, car telle e