Verhaeren James Ensor

Embed Size (px)

Citation preview

  • The Project Gutenberg EBook of James Ensor, by EmileVerhaeren

    This eBook is for the use of anyone anywhere at no costand withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, giveit away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg Licenseincludedwith this eBook or online at www.gutenberg.net

    Title: James Ensor

    Author: Emile Verhaeren

    Release Date: January 31, 2011 [EBook #35124]

    Language: French

    *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JAMES ENSOR ***

    Produced by Christine Bell & Marc D'Hooghe athttp;//www.freeliterature.org

    JAMES ENSOR

  • PAR

  • EMILE VERHAERENCOLLECTION DES ARTISTES BELGES

    CONTEMPORAINS

    BRUXELLES

    LIBRAIRIE NATIONALE D'ART & D'HISTOIRE

    G. VAN OEST & CIE

    1908

    Table des matires

    title-page

    Portrait de James Ensor en 1875. Portrait de James Ensor en1875.

  • La Femme au Balai1880. La Femme au Balai1880.

    I.

    LE MILIEU

    Souvent, des vagues venant du ct de l'Angleterres'engouffrent nombreuses et larges dans le port d'Ostende.Et les ides et les coutumes suivent ce mouvement marin.

    La ville est mi-anglaise: enseignes de magasins et debars, proues hautaines des chalutiers, casquettes d'agentset d'employs y font briller au soleil, en lettres d'or, dessyllabes britaniques; la langue y fourmille de mots anglo-saxons; les gens des quais y comprennent le patois deDouvres et de Folkstone; des familles londoniennes s'ysont tablies jadis, y ont fait souche et mari leurs filles etleurs fils non pas entre eux mais aux fils ou aux filles de laWest-Flandre. Le service quotidien des malles voyageusesresserre tous ces liens divers, comme autant de cordestordues en un seul cable, si bien qu'on peut comparer lagrande le quelqu'norme vaisseau maintenu en pleine

  • mer, grce des ancres solides dont l'une serait fixedans le sol mme de notre cte.

    Cette influence d'outre-mer qui imprgne le milieu o ilnaquit suffirait certes expliquer l'art spcial de JamesEnsor. Toutefois elle se prcise encore si l'on note quel'ascendance paternelle de l'artiste est purement anglaise.Le nom qu'il porte n'est point flamand. C'est Londres,qu'il se multiplie aux devantures. Je le vis flamboyer, unsoir, dans Soho-square et plus loin il se projetaitrclamemouvantesur un trottoir d'Oxford street.

    L'uvre que nous tudierons et exalterons s'lve donc auconfluent de deux racesraces saxonne, race flamande ouhollandaiseharmonieusement mles dans le sang etdans l'me d'un trs beau peintre.

    L'erreur serait grande si l'on se figurait qu' cause de sesorigines britaniques, Ensor se soit complu rapprendrecomme certains peintres modernes l'art des Reynolds oudes Gainsborough ou se soit assimil n'importe quellemthode des prraphaelites illustres. L'anglomanie quis'est glisse jusque dans l'esthtique l'a pargn. Ce n'estpoint par des qualits extrieures et souvent artificiellesqu'il se rattache aux matres de l l-bas, mais bien,naturellement, par certains dons fonciers et rares. Il est deleur famille, sans le vouloir. Il est audacieux et harmonieuxcomme Turner, sans qu'il s'y applique, sans qu'il s'endoute. Il aime les effets tumultueux et larges de Constablesans qu'aucune de ses toiles fasse songer aux paysages

  • clbres de ce grand peintre. La parent est souterraine etcomme secrte. Elle se manifeste dans la manire decomprendre et d'aimer la nature, dans la sensibilit aigude l'il dans la franchise et l'audace des conceptions,dans la pratique du dessin pictural, dans la dlicatessemle la force, dans la plaisanterie unie la brutalit.Ds que cette dernire caractristique est atteinte, JamesEnsor rejoint non plus Constable ni Turner, mais Gillray etRowlanson plus encore que Jrme Bosch ou PierreBreughel.

    Le Christ veill par les anges (1886). Le Christ veill par lesanges (1886).

    Encore que l'influence anglaise agisse avant toute autre surelle, c'est toute l'Europe et l'Amrique qui transformentpendant l't, quand la saison balnaire s'inaugure,Ostende. Les jeux et les ftes l'exaltent tout coup. Lesfemmes du quartier Marbeuf envahissent sa digue. Lemonde qui l'hiver se groupe Monte-Carle, Menton, Biarritz s'y concentre. Des nuits de lourde et chaudevolupt s'y passent la lueur de flambeaux. La chair s'ymire et s'y pavane aux miroirs de cabarets fastueux. Et lafolie des villes frmissantes et trpidantes brle soudain cecoin de Flandre calme et foncirement sain et propage safivre nocturne et flamboyante tout au long de la mer.

    Magasins de Paris, boutiques de Vienne, comptoirschargs de coraux de Naples et de Sicile, brasseries deDortmund et de Munich, caves remplies de vins de

  • Portugal et d'Espagne vous installez votre barriolage degots et de couleurs devant les mille dsirs populaires oumondains, devant les apptits vulgaires ou rares, devantles convoitises baroques ou distingues. La flnerie despromeneurs s'en va, droite, vers le port, gauche, vers lechamp de courses, en partant de la rampe de Flandre oJames Ensor habite. A cette large voie se relie en outretoute la ville basse avec ses rues troites, les unes venantde la grand' place, les autres du thtre, celle-ci de la gareet celle-l du march. Le carillon n'est pas loin: on l'entendtricoter sa musique menue, le soir, ou bien, aux midis derjouissances, ruer de toutes ses notes et s'emporter versquelque hymne national.

    La foule et ses remous passe donc toute heure du jourdevant les fentres du peintre: foule lgante ou hautaine,foule grotesque ou brutale, cortges de la mi-carme,processions de la fte-Dieu, fanfares rtentissantes desvillages, socits chorales des villes voisines, cris,tumultes, vacarmes.

    Et ces flux et ces reflux de gestes et de pas aboutissenttous l-bas, cette ferie de verre et d'mail qu'est leKursaal d'Ostende.

    Avec ses dmes et ses pignons et ses rosaces et seslanternes, avec ses ors lancs et ses bronzes trapus,avec ses festons de gaz et ses couronnes de feux, ilapparat, toutes portes et fentres ouvertes, comme untabernacle de plaisirs clatants et sonores. Un orchestre

  • savant y fait natre, chaque jour, des floraisons de musique;des voix illustres s'y font entendreorateurs ouconfrencierset des virtuoses dont le nom meut lesmille chos y jettent vers l'applaudissement en tonnerre desfoules, les phrases les plus belles des matres clbres.Toutes les langues s'y parlent. Joueurs, financiers, gens decourse, gens de bourse, princes et princesses, dames dumonde et courtisanes, tout s'y coudoie ou s'y toise; s'ymprise ou s'y confond.

    Le soir, quand les verrires du monument flamboient face face avec la nuit et l'ocan, on peut croire que le bal ytournoie en un dcor d'incendie. Du fond de la mers'aperoivent les hautes coupoles illumines et le pharedont la lueur troue les lieues et les lieues semble ne lancersi loin son cri de lumire que pour hler vers la joie le curbattant de ceux qui traversent l'espace.

    Ainsi pendant l't tout entier Ostende s'affirme la plusbelle peut-tre de ces capitales momentanes du vice quise pare et du luxe qui s'ennuie. Et ce n'est pas en vain quechaque anne James Ensor dont l'art se plat moralisercyniquement, assiste cette rue vers le plaisir et vers laripaille, vers la chair et vers l'or.

    La chambre o il travaille ouvre, l haut, au quatrime d'unemaison banale, son unique et peu large fentre. De tous

  • les peintres modernes Ensor est le seul qui jamais ne sesoit mis en qute d'un atelier. Lui le chercheur de lumire ilcampe ses toiles en un jour mdiocre tombant non pasd'une verrire mais travers les pauvres carreaux d'unebaie verticale et parcimonieuse de clart. Pourtant que depages merveilleuses s'y laborent et que de tonsadmirablement harmoniss y juxtaposent leurs musiquesinentendues!

    Celui qui surprend Ensor, la haut, dans son travail, le voitsurgir d'un emmlement d'objets disparates: masques,loques, branches fltries, coquilles, tasses, pots, tapisuss, livres gisant terre, estampes empiles sur deschaises, cadres vides appuys contre des meubles etl'invitable tte de mort regardant tout cela, avec les deuxtrous vides de ses yeux absents. Une poussire amierecouvre et protge ces mille objets baroques contre legeste brusque et intempestif des visiteurs. Ils sont l chezeux pour que seul le peintre leur insuffle la vie, les interrogeles fasse parler et les introduise dans l'art grce lasympathie qu'il leur voue et l'loquence secrte qu'ildcouvre en leur silence.

    Le Chou1880. (Collection Ernest Rousseau) Le Chou1880. (Collection Ernest Rousseau)

    Il est opportun de se figurer James Ensor en tte ttequotidien et prolong avec ces effigies en carton et enpltre, avec ces dbris d'existance et de splendeur, avecces dfroques ternes ou violentes pour comprendre

  • quelques-unes des surprises de son caractre et quelquestraits profonds et spciaux de son art. Il est certain quepour lui, telles heures d'illusion souveraine, un telassemblage de visages, d'attitudes, d'ironies ou dedtresses a d reprsenter la vie. Elle lui est apparuemauvaise, dplorable, hostile. Elle lui a enseign lamisanthropie que seuls corrigent la farce, le rire et lesarcasme.

    L'existence d'Ensor entour d'un tel dcor familier nemanque pas de paratre nigmatique et bizarre et je necrois pas qu'il lui rpugne de maintenir autour de lui cesapparences. Ses paroles qui souvent dconcertent, sessaillies drles, ses rires soudains et furtifs, sa voix sourde,sa marche lente et l'ternel parapluie qui toujoursl'accompagne comme s'il se dfiait du plus fidle et du plusloyal soleil confirment l'trange impression qu'il produitvolontairement ou ingnment, qu'importe.

    Personne que je sache ne met moins de mise en scnedans l'accueil. Les vres qu'il montre ne toisent pas levisiteur du haut d'un chevalet comme pour lui imposer leurprsence autoritaire. Ses toiles ne sont pas mmetendues. Elles gisent roules les unes sur les autres, endes coins obscurs. Elles apparaissent la lumire ployeset gondoles et c'est avec peine qu'on leur trouve une znede clart propice afin qu'elles s'y talent sans trop se nuireentre elles. Aucun commentaire n'accompagne leurprsentation. Seul un rire menu, quand le sujet tonne et

  • froisse quelque got trop puritain. Et les vres succdentaux uvres et quand tout est montr, toujours, soit au fondd'un coffre, soit au fond pice voisine se dcouvre unemerveille oublie dont la crasse voile la fracheur et labeaut. Un coup d'ponge donn la hte rveille lasplendeur endormie.

    On dgringole l'calier raide et tournant et l'on quitterait, lapoigne de main change, la maison du peintre, sansplus, si le magasin du rez-de-chausse, avec ses largesvitrines encombres de bibelots ne retenait, un instantencore, l'attention. C'est que l, parmi les coquillages et lesnacres, les vases de la Chine et les laques du Japon, lesplumes versicolores et les crans barriols, l'imaginationvisuelle du peintre se complait composer ses plus rareset ses plus amples symphonies de couleurs. Oh les notes la fois tendres et fortes, la fois subtiles et brutales, lafois sobres et clatantes qu'il st faire vibrer en prenantcomme prtexte quelque pauvre bibelot d'orient que lamode banalisa! Et la coquille ourle dont le bourgeoismorose ornera sa chemine en marbre peint deviendragrce la magie, grce l'hermtisme de l'artiste, cemiracle de couleur triomphante dont s'blouiront les sallesles plus belles des muses modernes.

    GAMIN1880. (Collection Edgar Picard) Gamin1880.(Collection Edgar Picard)

  • Ensor se plat parmi ces mille riens exotiques parmi cesdpouilles luisantes ou vitreuses de la mer. Lui mmes'intresse parfois au trafic qu'en font et sa mre et satante, marchandes tenaces et exprimentes. Souvent lesoir, la causerie rassemble autour des comptoirs la familleentire. La sur du peintre et sa nice qu'il affectionnevivement sont l. Et l'on parle d'Ostende, non pas del'Ostende rue aux ftes et aux plaisirs de l't, mais del'Ostende automnale qui se plat dans la drliction et lesilence. Ensor adore celle-ci avec ses rues troites, sesplaces humbles et dsertes, ses petites boutiquesvieillottes au fond des quartiers populaires et ses propreset luisants estaminets o l'odeur de la bire se mle desrelents de poisson sec et de crevettes humides. C'est lqu'il dessina maint pcheur vareuse bleue, bouclesd'oreilles troites, pantoufles multicolores. C'est l qu'ilrencontra et qu'il interprta en des croquis larges et vivants,les vieilles femmes mantelets, avec de lourds et noirscapuchons de drap recouvrant leur intact et fragile bonnetblanc.

    La vie du port est la seule vie d'Ostende, l'hiver. Elle nepntre point la ville; elle n'anime que ses confins. C'estune vie en bordure. Oh les cbles et les amarres au longdes quais, les voiles rousses et brunes dans le brouillardgris, les proues sculptes des vieux navires s'apercevantdu fond d'une ruelle et les mouettes blanches, entrant dansles bassins et volant, dirait-on, travers les

  • entrecroisements ddaliens des haubans et des vergues!Et les petites boutiques, en plein vent, l'angle des pontset les plies et les limandes qui schent dans le courant d'airdes fentres et la marmaille grouillante parmi les caillesde moules verses en tas, sur le trottoir! O cette viecomme goudronne au contact des bateaux, des cordes etdes voiles; cette vie tranquille, ttue et dangereuse qui faitles races calmes ou violentes comme ces mers du Norddont elles vivent depuis mille ans. Elle n'a qu'un sursaut, enFvrier, aux temps du carnaval. Et combien mlancoliqueet brutal! Et combien morne et quelquefois sanglant!

    Ensor a traduit cette liesse en des uvres quasi sinistreset qui tonnent et qui font peur. Le pittoresque del'accoutrement, l'usure de la dfroque, la drlerie muette demasque, l'ennui qui semble suinter des murs tout se liguepour provoquer une impression sombre avec des lmentssoi-disant gais.

    Je me souviens d'un Mardi gras pass Nieuport, jadis,avec des amis. Jamais je ne compris mieux la folie et latristesse des masques d'Ensor.

    Des groupes ivres battaient les rues. En des salles dedanse, moiti dsertes, avec de pauvres musiciensgrelottant de froid dans un coin, la valse fouettait deux outrois couples tournoyants et muets, avec les lanires usesde sa musique banale et sifflante. Un ivrogne, orn d'unfaux nez violet, titubait prs du comptoir et sa commerredpoitraille et gisante contre une cloison, mordait,

  • machinalement, les crins de sa perruque descendue surces yeux. Un bout de bas blanc passait travers les trousde son soulier. Un hoquet lourd et profond lui scouait, detemps en temps, le ventre. Et l'ivrogne riait et pleurait tour tour devant elle.

    Lorsque James Ensor se plaisait traduire par le pinceaude telles scnes grotesques et lamentables, il tait lecompagnon falot qu'Eugne Demolder, assignait, sous ledguisement de Fridolin, au grand Saint Nicolas. JamesEnsor donnait la rplique, dans le livre du poted'Yperdamme, au joyeux et doux patron des petits enfantsde la West-Flandre. Il jouait, en ce temps l, de la flte et sepromenait, avec deux carlins boulus, renfrogns et fidles.

    Croquis. Croquis.

    L'effigie qu'Henri de Groux vient de nous donner de JamesEnsor nous le reprsente robuste et presque gras. Lescheveux grisonnent, le teint s'enlumine, l'allure est massive.L'appuie-main tenu entre les doigts fait songer vaguement quelque sceptre. Ensor semble commander son artdont une page caractristique se devine au fond de la toile.Le voici donc tel que l'ge mr le dfinit. Au surplus l'uvrecompte et s'affirme excellente.

    Toutefois j'aime me souvenir d'un tout autre JamesEnsor, celui que je connus, il y a vingt ou vingt-cinq ans,avec un corps svelte, un teint ple, des yeux clairs, desmains longues fivreuses et fines. Non pas un dandy, car

  • une mise nglige presque toujours rejetait cettecomparaison, mais une sorte de jeune parlementairebritanique qui faisait songer Disraeli.

    James Ensor parlait peu, se tenait sur la rserve, avec unair ferm et craintif. On lui prtait un caractre difficile etombrageux. Il avait certes, la pleine conscience de sa forcenaissante; il n'admettait aucune restriction sur l'entirepersonnalit de son art et se rebiffait, ds que l'ombred'une injustice l'effleurait dans la mle de la vie. La hainede la critique bouillonnait en lui, comme chez tous lesartistes vrais et imprieux. Il ne pouvait admettre qu'on nele comprit pas et que sa peinture qui lui paraissait toutesimple et nave ne s'impost point, du premier coup, grce sa sincrit absolue. Il oubliait la difficult ardue, querencontre tout esprit ds qu'il veut pntrer de sa lumire lui quelqu'autre esprit fut-il voisin du sien et combien lebaptme de l'hostilit et du dnigrement est salutaire toute originalit naissante. C'est parce qu'il fut bafou, ni,villipend jadis que sa victoire aujourd'hui nous apparat siconsolante et si belle. La gloire ne se livre pas; elle seprend d'assaut. Elle se retranche derrire une murailled'hostilits et de sarcasmes.

    Vieux Pcheur1881. (Collection Edgar Picard) VieuxPcheur1881. (Collection Edgar Picard)

    Tout artiste vrai est un hros ingnu. Il faut qu'il souffre pourqu'un jour il ait la joie d'imposer a tous sa victorieusepersonnalit totale. En ce temps-ci ou chacun est tout le

  • monde, le pote, le peintre, le sculpteur, le musicien nevaut que s'il est authentiquement lui-mme. C'est le plusrel des privilges que la nature, sans aucune interventionautre que celle de sa puissance, confre et maintient travers les sicles et seul le pote, le peintre, le sculpteur,le musicien en peut jouir pleinement.

    Oh ces dbutants choys ds qu'ils apparaissent et par lacritique et par le public! Aucune de leurs toiles ne survitaprs vingt ou trente ans. Ils n'ont jamais passionnpersonne. Ils n'ont connu ni la rvolte de leurs matres, ni lajalousie de leurs amis, ni la haine de la foule. Ils ont tbanalement heureux en attendant qu'ils soient banalementquelconques. Les Salons triennaux out accueilli leursessais la rampe mais les Muses rejetteront bientt leursuvres dans les coins. Ces peintres-l sont morts depuislongtemps quand sonne leur agonie. Et leur nom de plus enplus ple, de plus en plus teint, de plus en plus oubli netrouve plus refuge qu'aux pages jaunies d'un catalogue ou ilfinit par se confondre avec un pauvre et morne numro.

    Il importe donc d'aimer et les attaques et les batailles, lescoups ports avec enthousiasme et reus avec courage.L'ivresse suprme rside dans la conscience qu'on ad'tre une belle force humaine. Et rien ne l'exalte autant quela violence et l'injustice. L'meute autour d'une toilenouvelle est un sacre rebours. L'artiste y doit puiser nonl'abattement mais le lyrisme. Sa vraie vie commence, dscet instant. Et l'uvre doit succder l'uvre, sans

  • compromission, sans reticence, audacieusement, toujours,jusqu' l'heure o cessera le rire et se taira la hue. Etqu'importe si la colre montante ne se retire que devant letombeau. Les triomphes posthumes sont les plus srs.

    Je doute que James Ensor ait admis ces vrits aux tempsde sa jeunesse, mais je sais qu'il a toujours agi comme sileur lumire vivait en son esprit.

    II.

    LES DBUTS

    L'poque pendant laquelle dbuta James Ensor fut pour lapatrie, un laps de temps hroique et fcond. Aujourd'huiqu'il est loin, il apparat quasi lgendaire.

    Un miracle se fit tout coup. Le pays, habitu neproduire que des peintres, suscita des sculpteurs et parmieux un gnie: Meunier. Bien plus; la Belgique hostile auxlettres et voue depuis longtemps la littrature desparlementaires et des journalistes, se para d'une floraisonde potes.

    Les coutumes furent tel point bouscules, les rputationsassises tel point secoues sur leurs siges, qu'il y eut

  • comme un tremblement des cerveaux. On n'osait y croire;on n'y croyait pas. Notre sol qui se couvrait du seigleannuel des lucratives affaires et du froment rgulier desprospres ngoces ne pouvait tout coup se modifierassez profondment pour nourrir de sve et exalter vers lalumire des odes belles comme des chnes et des idyllesfragiles et jolies comme des arbustes. L'extraordinaire futtax d'impossible et des bouches autorises dclarrentqu'en tous cas le prodige n'aurait pas de suites.

    Il en eut d'admirables.

    Malgr les oppositions soit franches, soit sournoises,malgr les mille cris des feuilletonistes inquits dans leursgots et leurs habitudes, malgr la compacte et massiveinertie et la btise au front non pas de taureau mais debuf, les nouveaux crivains s'affirmrent, d'anne enanne, plus clairs, plus hauts, plus purs. Si bienqu'aujourd'hui ils sont tout et leurs dtracteurs d'antan, rien.L'opinion a t retourne comme un vtement dont onsecoue les poussires, dont on vide les poches des vieuxprjugs qu'elles reclaient, dont on brosse le drap depuisle col jusques aux pans et qu'on dsinfecte enfin en tousses plis. Aujourd'hui les gnrations littraires sesuccdent les unes aux autres, comme les gnrations despeintres; l'art d'crire est acclimat parmi nous; la presseest passe aux mains des crivains, la foule se faitattentive et le pouvoir rcompense et s'meut. C'est unevictoire qu'on ne conteste plus.

  • Or, ces prosateurs et ces potes de la vie dans la phrasese virent attaqus en mme temps que les peintres de lavie dans la lumire. Leurs ennemis se liguaient entre eux;ils se ligurent entre eux contre leurs ennemis. Cela se fitavec entrain et naturel parce que la ncessit souverainenouait elle-mme les liens d'entente. Le consentement futtacite et rapide.

    Jamais les polmiques d'art ne furent aussi vives, aussiardentes, aussi impitoyables. On frappait avec des poingssauvages; on n'avait gard ni la vieillesse ni auxsituations prises; on tait fier d'tre partial et froce. Lanorme tait franchie joyeusement, ventre terre; touterticence devenait trahison, toute justice rendue auxadversaires raison de blme et de dfiance. La tolranceest une force de l'ge mr. Elle est une tare et unefaiblesse quand on se trouve la tte de ses vingt ans.

    La Dame sombre1881. (Collection Edgar Picard) LaDame sombre1881. (Collection Edgar Picard)

    Oh l'orage des discussions autour des noms de Khnopff,de Schlobach, de Van Rysselberghe, de Dario deRegoyos, de Wytsman, de Finch, de Toorop et d'Ensor! Labelle mle de colres et sarcasmes! Les lourdesattaques et les folles dfenses! Les fiers clairs dont onfoudroyait les esthtiques vieillies et les rgles dsutes.On s'exposait avec joie, on dardait son audace partout etl'on se reprochait sans cesse de n'avoir pas t assezviolemment tmraire. Vraiment la vie passionne tait

  • belle, en ce temps-l!

    Les peintres novateurs s'taient d'abord cantonns l'Essor, socit d'art o se mlaient des talents avancs etrtrogrades. Une scission eut lieu. Elle tait fatale. Les plushardis s'en allrent, laissant vgter le cercle os'teignaient, une une, toutes les flammes des forces etdes ardeurs.

    Les XX furent cres. L'ide en est due, m'assure-t-on, Charles Van der Stappen qui s'en ouvrit Octave Maus et Edmond Picard. Cela se passait, au temps desvacances, Famelette, prs de Huy, o chaque anneEdmond Picard accueillait les artistes comme des htesde choix. Peintres et sculpteurs se runiraient au nombrede vingt, organiseraient une exposition annuelle etinviteraient vingt autres artistes dj consacrs. Ceux-ciseraient choisis parmi les matres dont l'art tait fier, libreet encore combatif.

    Quand l'exposition s'ouvrit en fvrier 1884, tout le monde,partisans et adversaires, taient sous les armes. Desrevues de combat taient nes: l'Art Moderne, la JeuneBelgique, la Socit Nouvelle, la Basoche. Mmecertains journauxtelle la Rforme et le National belgese montraient attentifs et bienveillants. Quelques peintresparmi les ans, les Heymans, les Smits, les Baron,quelques sculpteurs, les Meunier, les Van der Stappen, lesVinotte avouaient, par leur prsence et leur parole nette,combien la tentative et l'audace des vingtistes leur

  • combien la tentative et l'audace des vingtistes leuragraient. On les comptait; dix-sept peintres: PericlsPantazis, Guillaume Vogels, Willy Finch, Dario deRegoyos, Tho Van Rysselberghe, Frantz Charlet,Rodolphe Wytsman, Frans Simons, Piet Verhaert,Thodore Verstraete, Guillaume Van Aise, Jean Delvin,Charles Goethals, Guillaume Van Strydonck, FernandKhnopff, James Ensor et trois sculpteurs: Achille Chainaye,Paul Dubois, Jef Lambeaux. Parmi les invits sesignalaient Israls, Rops, Stobbaerts, Maris, Rodin. Aucunnom d'impressionniste franais ne figurait au catalogue.Monet et Renoir n'exposrent qu' la troisime expositiondes XX, en 1886.

    Squelettes musiciens (1888). Squelettes musiciens(1888).

    C'est cette date que, l'animosit ayant cr d'anne enanne, le critique d'art de la Jeune Belgique s'exprima dela sorte,nous citons l'extrait qui n'est certes pas unmodle de got, uniquement pour montrer la rudesse despolmiques:

    Oh la triomphale journe que celle du 6 fvrier! Les XXsont ouverts. Dsormais la btise belge a sa date! Ondirait qu' cette premire artistique le cerveau bourgeoisse dgorge par toutes ses circonvolutions. Il en jaillit desexcrments de sottise. Cela rappelle des oprationsd'abattoir. Le porc est tu: il est suspendu, ventre ouvert, de grossires tringles, les boyaux sont jets sur l'tal,fumants et flasques.

  • Les avez-vous vu vider? La btise belge et bourgeoise,c'est cela.

    Ce qui se dbite d'neries en ces quelques heuresdevant ces quarante exposants ferait un fumiermonumental. Dames lgantes bouche pince de sourisprude, fourrures confortables avec un ventre officieldedans, gommeux monocls, acadmiciens rances,peintres deshonors de rubans rouges, rputations tuesdepuis longtemps dans leur propre Bataille de Lpante etleur propre Peste de Tournay , prud'hommes normes,collectionneurs d'eux-mmes, tout cela potine, commre,hausse les paules, passe et fuit devant ces quelquescentaines d'uvres d'art qui hurlent l'avenir. Et des rages!Voici un Monsieur qui s'arrte devant les Toorop et jurecomme un porte-faix et trpigne et remue les poings ... qu'iltient en poche. Tel autre s'affale sur un banc et crie qu'il fautbrler tout.

    Les annes prcdentes il y avait i et l un tableau laporte du premier venu un tableau sauveur ... aujourd'hui,rien.

    Oh les pauvres oiseaux qui se cognent aux murs d'unecave obscure! Pas un coin o se tenir tranquille sur unperchoir d'admiration bon-enfant. Pas un coin o dbiter lemonologue d'amateur clair devant un auditoire demamans et de fillettes. Pas d'opinion juste-milieu possible.Ou la haine ou l'emballement.

  • C'tait le ton. On le prenait, sans le savoir. L'atmosphrede bataille est grisante. On la trouve trop chaude quand onen est sorti. Quand on la respirait, elle tait vraiment etbellement violente, exaltante et fivreuse.

    L'histoire des XX devrait, un jour, se faire, anne paranne. On y insisterait sur les successives et graduesvictoires des peintres du plein-air en Belgique. On ypourrait mettre galement en relief la manire nouvelle dontles uvres y furent prsentes. Pour la premire fois on yjuxtaposait toutes les pages d'un mme peintre. Et toutess'talaient la rampe. Des tentures de fond harmonieusestaient choisies. Des chiffres d'or dcoraient discrtementles murs.

    Peu peu les confrences s'inauguraient et bientt lesauditions musicales. Le directeur des XX, Octave Maus,s'y employait avec zle et got. Les XX qui plus tardabandonnrent leur titre au profit de celui de LibreEsthtique devinrent ainsi un milieu de lutte prcieux. Lemois de fvrier ou de mars qu'ils choisissaient,annuellement, pour se grouper, combattre et triompher futun mois de joie violente et pre. Bruxelles interrompait ouplutt clturait par une fte intellectuelle l'ennui et lasomnolence du morne hiver. L'art mettait avant, leprintemps, une ardeur de renouveau dans les ttes. Etbientt dans toutes les capitales de l'Europe des salons,organiss d'aprs celui qui s'ouvrait, chaque anne, cheznous, multiplirent les batailles et les triomphes des

  • peintres et des sculpteurs hardis et rvolutionnaires.Munich, Vienne, Berlin, La Haye, Paris, toutes ces villeseurent des Libres Esthtiques dont elles changeaientsimplement le nom.

    Ensor est le premier de tous nos peintres qui fit de lapeinture vraiment claire. Il substitua l'tude de la formepandue de la lumire celle de la forme emprisonnedes objets. Cette dernire est violente par lui, hardiment.Tout est sacrifi au ton solaire, surtout le dessinphotographique et banal. A ceux qui, devant ses uvres,vaticinent: ce n'est pas dessin, Ensor peut rpondre:c'est mieux que a.

    Son influence fut notable sur ses amis. A part FernandKhnopffet encore dans sa toile En coutant duSchumann a-t-il peint le tapis en se souvenant de l'Aprs-midi Ostendetous subirent plus ou moins la fascinationde son art. Ceux qui s'en garaient le plus, VanRysselberghe, Schlobach, de Regoyos, Charlet parlaientde lui avec une admiration aigu. Ils sentaient sa force; ilsne tarissaient point sur les dons qu'il manifestait, ethautement le proclamaient le plus beau peintre du groupeentier.

    Mais d'autres, tels que Finch et Toorop, se montrrentattentifs, non pas son enseignementJames Ensor n'endonna jamaismais sa faon nouvelle de traiter et devivifier les couleurs. Il fut leur matre sans qu'il le voult etpeut-tre sans qu'ils le sussent. Ils taient compagnons, se

  • rencontraient sans cesse, se montraient l'un l'autre letravail du jour, causaient de l'uvre en train, discutaient,s'exaltaient. Finch, flegmatique et silencieux, observait,certes, plus qu'il ne parlait, mais ses yeux prenaient partmieux que ne l'et fait sa langue aux entretiens du soir enface de la toile, humide encore.

    La nature complexe et curieuse de Toorop s'assimilafacilement les procds et les techniques. Sa Dame enblanc fut un magnifique hommage rendu l'art merveilleuxde son ami.

    Faut-il ajouter que, depuis ces temps lointains, Toorop etFinch se sont dgags de l'amicale influence et que leur artd'aujourd'hui est eux seuls. A part cette dominationtemporaire, James Ensor n'en a gure exerce. On lecomprend du reste. Sa personnalit n'est pas assezpurement flamande pour influencer longuement etdcisivement les artistes d'ici. Et Finch et Toorop taienteux-mmes l'un Anglais, l'autre Javanais.

    III.

    LES TOILES

    C'est de 1880 1885 que James Ensor produisit ses

  • toiles les plus belles. Son uvre n'est point une moissond't ni une vendange d'automne; c'est avant tout unegermination de printemps. Sa force libre jusqu' l'excs, sapersonnalit violente jusqu' l'exaspration, sonindpendance superbe et outrancire lui ont fait unejeunesse admirable. Il crait abondamment,surabondamment mme, avec acuit. Avant que la critiquenombreuse se ft acharne sur lui, il avait produit, dj, toutce qui plus tard devait susciter la bienveillance ou la haine.Il n'a donc pu donner ni la louange ni au blme le tempsd'avoir prise sur lui ni de modifier en quoi que ce ft sontravail. L'closion de son talent fut comme une explosion.D'un coup, il apparut presque en toute sa stature.

    Il dbute en 1879 par peindre son Propre portrait; il y jointdeux compositions: Judas lanant l'argent dans le Templee t Oreste tourment par les Furies; puis ds 1880apparaissent le Lampiste (expos l'Essor en 1883 etaux XX en 1884) et la Coloriste, deux toiles o tout son artest affirm, et ce merveilleux Flacon bleu qui demeurepeut-tre la plus tonnante nature-morte qu'il ait signe. Ohle merveilleux morceau! Une table grossire supporte unpoulet plum, minable, douloureux, dont le cou pend dansle vide et dont la chair aux tons verdtres inquite.Largement, par ci, par l, coups de couteau, la couleurest tendue. La main qui construit et peint avec une tellesolidit, avec une telle prestesse semble dj celle d'unmatre. Et l'il qui voit et qui prcise le ton magnifique etchoisi de la bouteille connat dj toute la force et la raret

  • d'un ton. Certes, la composition est absente: ce n'est qu'unmorceau amoureusement trait; ce n'est qu'un coin decuisine montr sous un clairage propice, mais que de vielumineuse, que de splendeur, que d'clat! Aucune nature-morte clbre ne s'interpose ici entre l'uvre etl'admiration du passant. Tout est neuf, spontan, patent,dfinitif. O donc a-t-il t duqu le regard qui voit cespauvres et quotidiens objets comme personne ne les a vusjamais? Renferme-t-il en lui mme une subtilit, unedlicatesse inconnues ou bien le spectacle de la mer quele peintre a sans cesse devant les yeux et qui s'offre luiavec ses dsinences infinies de teintes chaque heure dujouraubes, midis et soirsa-t-il dou l'artiste d'un sensextraordinaire?

    Lampiste1880. (Muse de Bruxelles) Lampiste1880.(Muse de Bruxelles)

    Le lampiste qui dcore, cette heure, le Muse modernede Bruxelles est trs simple d'arrangement. Sur fond gris,un gamin, tout entier habill de noir, tient en main unelanterne de cuivre. Il la regarde et le verre et le mtalbrillent. On pourrait dire que le sujet du tableau existe dansla couleur elle-mme. Ces larges masses grises et noiresqu'animent les quelques dtails jaunes du lumignonralisent comme un conflit apais. Du reste tout tableaun'est-il pas une sorte de combat? Les tubes se prsententavec leur violence et leur diversit de couleurs commechargs de mitraille dangereuse. Si le peintre n'en calculepoint la force, s'il les laisse dtonner, sans discipliner leur

  • vacarme, s'il ne les contient d'un ct pour leur mieuxdonner carrire de l'autre, la bataille qu'il livre serairrmdiablement perdue. Il faut qu'il prvoie ce que lesorangs voisinant avec les bleus, ou les verts avec lesrouges, ou les jaunes avec les violets, donneront d'clat. Ilfaut qu'il juge comment les teintes transitoires attnueronttel ou tel choc de couleurs trop hardies. Il faut qu'il sache cequ'un ton franc pos tel endroit apporte de dsordre oude vie dans l'ensemble. Il existe une faon lche depeindre, grce au blaireautage, qui escamote les difficultset affadit l'art. Ce procd veule et funeste, Ensor ne leconnatra jamais.

    L'clat de la lanterne que le lampiste tient en ses mainsrayonne franchement mais sans brutalit; les noirs surlesquels l'objet lumineux se dtache le soutiennent par leurvigueur sombre; il n'y a aucun heurt, il n'y a que de l'audaceheureuse.

    La Coloriste est d'un jeu de couleurs plus abondant que leLampiste. Une femme en blanc est assise dans un atelierclair par une fentre. Des toffes, des vases et descrans l'entourent. Cette toile fut montre la Chrysalideen 1881. Ce Cercle dj ancien et dont le lieu d'expositions'ouvrait salle Janssens (rue du Gentilhomme, alors rue duPetit cuyer), avait sa tte des matres: Louis Dubois,Artan, Vogels, Rops, Pantazis et d'autres. On y cultivait unepeinture aux qualits solides, faite au couteau et qu'onprtendait sortie ou plutt drive de la puissante et

  • rayonnante esthtique des anctres. Cette opinion, certes,n'tait point mensongre, encore qu'il fallt convenir queces puissants peintres qui, juste titre, se rclamaient deleur origine avaient tous regard avec trop d'insistance lestoiles du Franc-Comtois Courbet. Il est vrai que ce dernieraimait s'arrter longuement devant celles de Rubens, deSnyders et de Jordaens et que la peinture puissante ettruculente, ferme et savoureuse, qu'il prnait n'tait autreque la peinture flamande elle-mme.

    CROQUIS. Croquis.

    Dans la Coloriste la couleur n'est plus comme dans leLampiste distribue par larges plans. Au contraire. Elle sedivise, se dissmine, se parsme. Sans le tact d'Ensor lamultiplicit des verts, des rouges, des bleus, des jaunesaboutirait quelque papillotage. Les crans peints neseraient qu'un assemblage de fuses et le tableaumentirait son titre. Mais le peintre a voulu que la Coloristeenseignt ce que doit tre une toile bien venue. Sur unfond, o les roux et les gris tablissent leurs accordsprofonds et solides, les tons clairs et multicolores chantent,avec justesse et varit, leurs notes hautes et vives etchacune d'elles s'appuie, avant de s'lancer vers la joie,sur le tremplin des vigoureuses sonorits fondamentales.L'ensemble tient de l'un l'autre bout de la toile, les lienssubtils, qui unissent les teintes entre elles comme les notesd'un page de musique heureusement crite, se serrent etse nouent partout.

  • La Musique russe (Salon de Bruxelles, 1881 et les XX,1886)reprsente le peintre Finch assistant quelqu'audition musicale qu'une pianiste lui donne. L'uvreest plus qu'un portrait. L'auditeur, assis sur une chaise, secroise les jambes, rejette lgrement le corps en arrire,dtourne aux trois quarts la tte et, dans cette poseattentive et tendue, coute. Ce sont des gris dlicatsrehausss ci et l d'une couleur plus vive qui constituentl'harmonie en demi-teinte du tableau. Aucun accentviolemment sonore, mais une succession de nuances et detouches assourdies comme si la musique frle, trange,attnue qu'on est sens entendre commandait lapeinture. La difficult consistait raliser, sans nuire l'intrt ni la joie des yeux, cet art comme demi-voix. Ilfallait qu'on sentit le silence de cet appartement quetroublent seuls quelques accords ou quelques chants etqu' l'exemple de l'unique auditeur on y ft attentif.

    Musique Russe1880. (Collection A. Boch) Musique Russe1880. (Collection A. Boch)

    Et comme contraste cet art discret et mesur, voici qu'unpeu plus tard, en 1883, Ensor, sous le titre: Chinoiseriespeint en pleine clart sonore quelques potiches rempliesde pivoines. On ne sait ce qu'il faut louer le plus, ou bien lacouleur laiteuse des tons bleus et blancs du vase, ou bienle dessin large et sr de son dcor. Que ce soit le dessincette fois, car jamais, me semble-t-il, l'artiste n'a mieuxaffirm ce qu'est pour lui dessiner en peignant. La ligne, en

  • cette uvre franche et belle, est la couleur elle-mme. Ellene vit pas d'une vie indpendante, elle cre en mmetemps la forme et le ton et, si j'ose dire, l'ossature et lachair. Ceux qui prtendent qu'Ensor ignore la formeoublient sans cesse que le dessin de Rubens et deDelacroix est l'oppos du dessin d'Ingres et de Raphal.Ceux-ci ne font que remplir par des couleurs le vide laissentre les lignes traces d'avance; ceux-l peignent d'abordet leur dessin rsulte de la justesse des valeurs entre elles,ou si l'on veut, n'est que le rsultat du jeu des ombres etdes clarts. C'est le coup de brosse, et non pas le crayonou le fusain, qui crit les formes si bien que dans leurstableaux rien n'est dur, rien n'est dcoup, rien n'est sec,rien n'est spar soit du fond, soit de l'objet voisin. Ils necernent pas des images; ils traduisent la vie.

    Bien plus. Les artistes linaires tels qu'Ingres et Raphalne s'embarassent ni des ombres ni surtout des reflets.Pour eux, les tres et les choses semblent n'exister quedans une sorte de vacuit atmosphrique. La lumire quiles baigne est toute artificielle et le vide semble seul lescontenir. Chaque objet existe d'une vie solitaire. Il ne subiten rien la loi des interinfluences. Il apparat, s'il est beau,d'une grandeur presque toujours strile. Il est jailli duraisonnement et de la pense; il ne l'est jamaissi je puisdired'une motion sensuelle. Or, c'est prcisment cettejoie de voir le monde entier s'panouir dans la relle etmouvante lumire, qui suscite en quelques tres de choixle dsir et bientt l'art de peindre. Ensor se range parmi

  • eux. Nous verrons comme il tient compte de ces ombres etde ces reflets que ddaignait M. Ingres et comme il lesrend navement, scrupuleusement, de peur d'enlevern'importe quel lment de vie et de splendeur la ralit.

    Les sujets les plus humbles le requirent. Voici qu'il peintpoissons, bouteilles, pommes. Et voici qu'un simple chouvert (1880) pos sur une table rouge lui fait faire un chef-d'uvre. Une lumire nouvelle, qui s'affranchit soudain desoppositions violentes entre les avant-plans et les arrire-plans, baigne cette merveilleuse nature-morte. Elle futexpose en 1884 au Cercle artistique de Bruxelles et l'andernier (1907) au Salon d'automne de Paris. Elle n'y perditrien de ces prestiges d'autrefois. Elle tonna et charmaautant que quelques superbes Czanne rassembls enune salle voisine. Elle apparut tous avec ses qualits debelle sagesse et de matrise. C'tait l'uvre devantlaquelle on s'arrte et l'on revient. Le rouge de la tablesonnait en mme temps que le vert du lgume. Ces deuxcouleurs complmentaires n'taient spares que par unenappe blanche qui attnuait la violence qu'aurait produiteleur immdiat voisinage. Chaque objet tait peint saplace, avec une sret parfaite. Rien ne violentaitl'attention, mais chaque coup de pinceau la retenait. Et l'onsongeait que le signataire de cette merveille fut qualifi,jadis, par la critique, d'artiste iconoclaste et sauvage et l'onne comprenait pas. C'est, du reste, le propre des uvresvraiment fortes d'tonner leur apparition par leur soi-disant audace et de s'imposer aprs quelques annes par

  • leur absolue convenance.

  • Le Salon bourgeois1881. (Collection Ernest Rousseau)Le Salon bourgeois1881. (Collection Ernest Rousseau)

    Elles droutent d'abord, elles ameutent et rvolutionnent.Mais, le jour qu'elles entrent dans les muses et qu'ellesvoisinent avec les pages solennelles des matres et setrouvent enfin chez elles, en lieu sr, dans la compagnie quileur convient, on est surpris, chaque fois, de les voir trssimplement continuer et rajeunir l'histoire de la beaut.

    C'est dans le Salon bourgeois (1881) autant que dansMusique russe (1880) et plus tard dans la Mangeused'hutres (1882), qu'on peut constater combien l'art deJames Ensor tient compte du rle, dans un tableau, desombres et des reflets. La lumire mange les objets dit-il.Et en effet rien ne dforme le contour et la ligne commeune brusque clart frappant les surfaces. Ds que vousprtendez rendre ce que l'il voit et non pas seulement ceque le raisonnement prouve, un meuble (table, piano,armoire, chaise) apparat en perptuelle dformation. Quela lumire s'accentue ou s'affaiblisse, qu'elle change ou sedplace, aussitt la ralit visuelle se modifie, alors que laralit palpable demeure. Or c'est la ralit visuelle, c'est latromperie et l'erreur de l'il qu'il faut peindre puisque vousvous adressez aux yeux des spectateurs et non pas leurtoucher. Ce jeu sans cesse mouvant des ombres et desreflets, ces influences rciproques des chosesinterrompant soudain soit la ligne perpendiculaire d'un piedde table, soit les droites parallles d'un panneau d'armoire,

  • soit les courbes d'un dossier de chaise et drangeant ainsitout le dcor gomtrique d'un appartement, sduit lepeintre moderne plus qu'il ne sduisait les peintresanciens. Il ne s'en dissimule point la difficult et l'affronte,dt son dessin paratre vacillant et incertain, dt sacomposition chavirer dans un apparent desquilibre. Qu'onexamine l'Aprs-dner Ostende ou la Musique russe, oula Mangeuse d'hutres, l'on se rendra aisment compte decombien de dangers picturaux l'art d'Ensor est sortivainqueur. Ce n'est, en ces trois toiles, qu'unentremlement de lueurs et d'ombres, d'objets frapps declart soudaine ct d'autres rests voiles et la lumirequi glisse sur l'acajou, se rpand sur les marbres, atteintles lustres, descend sur les tapis et se dissmine partout.Si la clart provoquait l'cho, on n'entendrait, ici, que desrpercussions et des voix qui se rpondent.

    Je me souviendrai toujours de l'tonnement que jeressentis, il y a quelque vingt-cinq ans, l'exposition del'Essor (1882), devant un portraitc'tait celui de son prequ'Ensor y exposait. La toile tait accroche la rampeprs d'une porte dans un des halls du Palais des Beaux-Arts, rue de la Rgence. Au milieu des uvres jeunes quisollicitaient par leur tapage et leur inexprience, celle-ciprofrait on ne sait quoi de grave, d'appais et de svre.Elle tait conue par grands plans: des bleus, des noirs,des blancs ralisaient sa trs simple harmonie. A droite, laclart, tombant d'une fentre travers des rideaux ples,baignait le front d'un homme qui lisait. Une chemine en

  • marbre occupait le fond, gauche. La figure tait attentive sa lecture. Et le silence rgnait. La profondeur du ton, sasolidit, sa force commentait seule l'intensit de cettescne. C'tait donc par des moyens uniquement picturauxque l'attention tait fixe et l'impression produite. Aucunedistraction n'tait permise. C'tait de la vie nue montredans sa ralit quotidienne, sans plus.

    Dame en dtresse1882. Dame en dtresse1882.

    L'aprs-midi Ostenderefus en 1884 au Salon deBruxellesqui fut peint dans la mme anne que le Portraitde mon pre (1881) nous attire, par contre, grce soncharme abondant de tons varis. L'toffe multicolore d'untapis de table, les clats mtalliques d'un foyer, ladcoration des lampes de la chemine, les jupes et lescorsages des deux personnes assises face facepermettent au peintre le jeu d'une admirable harmoniesourde et comme touffe, malgr la violence locale desobjets, hauts en couleur. Tout ici est en sourdine. Ladistinction des tons est parfaite. Un authentique peintreflamand aurait fait sonner comme une fanfare et les cuivreset les aciers et les toffes. Il y aurait eu heurt, choc ettintamarre. C'et t une exaltation dans la force. Ensor aralis un apaisement dans la dlicatesse. Mais pour quetout ft maintenu, avec pourtant son clat et son ardeurpropres, dans une sorte de paix gnrale et brillt etscintillt comme sous un voile, de quelle finesse, de quellejustesse, de quelle acuit d'observation ne fallait-il point

  • faire preuve?

    Au fur et mesure que son uvre se poursuivait et queses intrieurs bourgeois, ses aprs-dners Ostende, sesportraits lui assignaient comme tche d'tudier la lumirecirculant dans les maisons travers la baie des hautesfentres, l'il trs subtil du peintre ne pouvait s'empcherde s'mouvoir aussi de la clart du dehors et surtout nepouvait s'abstraire de la contemplation de la mer. Lepaysage marin le requit ds ses premiers travaux. Et voicil'Estacade et la Mer grise et la Dame au brise-lame(1880); et voici Marine (effet de soleil), la Dune noire(1881); et voici les deux Marines et le Brise-lame (1882);et voici Dune et Mer et Marine (l'aprs-midi) (1883) et lesBarques et la Marine (1884). Cette dernire se distinguepar sa belle teinte verdtre et par son aspect de simplicitet de grandeur. Un seul navire en sillonne l'tendue etl'impression de l'immensit se dgage toute entire.Supposant la Marine (1884) voici le Coucher de soleil(1885) dont l'horizon dchiquet de lueurs saumones etde nuages violets multiplie le ton et fait songer quelqu'norme oiseau de flamme qu'on dplumerait, aubord de l'espace. La mer fut pour l'il d'Ensor uneadmirable ducatrice. Rien de plus tenu et de plus frleque la coloration d'une vague avec ses infinies dsinences,avec sa mobilit lumineuse et myriadairement changeante.Quand elle s'pand au soleil sur le sable micass de lagrve, les tons les plus purs et les plus clairs des toiles lesplus clbres semblent grossiers et troubles.

  • Les soudards dbands (1892). Les soudards dbands (1892).

    En 1882, James Ensor achve le Pouilleux, la Dame endtresse, la Dame au chle bleu et la Mangeused'hutres.

    La premire de ces quatre uvres fut expose en 1883 l'Essor et fut acquise pour le muse d'Ostende. Elleindique une orientation nouvelle dans le choix des sujets.L e Pouilleux sera suivi bientt par les Masquesscandaliss (1883), et ceux-ci ouvriront l'artiste une voietrange o pendant longtemps son imagination secomplaira. Le Pouilleux est pris dans la ralitquotidienne. Il a tran son corps et sa guenille sur lesquais. Il se peut que jadis il ft pcheur: son teint basan etson il vif furent certes lustrs par la mer. Le voici dans unmorne logis, assis prs d'un pole, les sabots rapprochsdu feu. Il regarde et ses traits profrent on ne sait quellevague goguenardise.

    La Dame en dtresse qu'on admirait en 1886 l'exposition des XX reprsente une femme couche sur unlit. Un jour ardent pntre travers des rideaux fauves.L'affaissement du corps, son abattement, estadmirablement rendu. Cette longue ligne horizontalecommande au tableau. Quelque chose d'inquitant manede la scne. Certes peut-on songer quelque drame. Maisil est toujours facile et trop facile de faire, propos desuvres picturales, des rflexions gratuitement littraires. Il

  • s'en faut garder, quand l'vidence ne les fournit point.

    Oh l'admirable tche que celle du chle de la Dame auchle bleu. Dj dans le Flacon bleu (1880) cette couleurfut propice au peintre. Elle lui a confi, peut-on dire, sessecrets les plus cachs. Certes, aucune couleur n'existepar elle mme. Elle emprunte sa sonorit soit l'ambiance,soit directement au ton voisin. Qu'importe! Certainesprofondeurs, certains clats, certaines violences heureusesde ce fragment du spectre n'auront t connus et rendusque par Ensor.

    Voici une page capitale: la Mangeuse d'hutres. C'est laseule uvre dont il ait fait une rplique. Elle fut en 1882refuse au Salon d'Anvers; en 1883 elle ne fut pointadmise l'Essor. Ce n'est qu'en 1886 qu'elle s'panouit, la cimaise, aux XX. Elle y fit scandale. Je me souviensencore des colres qu'elle dchana. On ne voulut voir encette merveille que les dfauts, ncessaires, peut-tre, entous cas secondaires; et chacun, comme s'il tait heureuxde blmer, d'clabousser et de nier, pitinait dans le parti-pris, se refusait toute louange et tournait le dos la pluslmentaire justice.

    Et pourtant ce tableau imposera sa date dans notre cole.Comme le peintre s'y affranchit des fonds sombres etquelquefois opaques pour hardiment n'employer que destons francs et quasi purs! Quelle joie, quelle fte, quelleliesse de couleurs rpandues sur la table o la mangeuse

  • a pris place! Bouteilles, verres, assiettes, citrons, vins,liqueurs s'influencent, se pntrent de lueurs, entrent pourainsi dire les uns dans les autres et maintiennent quandmme, triomphantes, la solidit et la rigueur de leursformes. Et cette admirable note rouge que jette la reliured'un livre plac sur une tablette dans le fond de la toile! Etla belle chair vivante des mains et du visage. Et les plisbleutres de la nappe et tout enfin.

    Certes, depuis qu'il peignait, James Ensor avait banni desa palette la terre de Sienne brle et le noir de vigne;certes, depuis toujours, il s tait dfi de ce qu'on appelaitles vigueurs obtenues par l'abus des mauvaises etfuligineuses couleurs; certes enfin, il s'tait soucid'atmosphre, d'air ambiant et de relle et authentiqueclart, mais jamais comme en cette tonnante Mangeused'hutres ses efforts n'avaient abouti, ni sa victoire port laflamme de ses drapeaux aussi haut, ni aussi loin. L'uvrerevt je ne sais quel caractre historique. C'est le premiertableau, vraiment clair, qu'on fit chez nous.

    La Mangeuse d'hutres, sur l'escalier tournant de l'artd'Ensor, semble s'taler sur un large et triomphal palier.Aux yeux du peintre pourtant, elle est moins encore un pointd'arrive qu'un point de dpart. Comme le chou datant de1880, elle lui ouvre l're de la peinture tons purs ou quasipurs. Mais Ensor est celui qui cherche toujours. Il suit, peut-on dire, plusieurs chemins la fois. Il ne se dtourne ni dela mer, ni du paysage, ni de la nature-morte. Le voici qui

  • parachve, en 1883 et 1884, les Toits d'Ostende, Grandevue d'Ostende, le Nuage blanc, le Houx, la Dune, Vue deBruxelles. Et les Pochards et les Masques scandaliss etle Meuble hant le retiennent en mme temps au royaumede la fantaisie et de l'hallucination.

    Pouilleux indispos se chauffant1882. (Mused'Ostende) Pouilleux indispos se chauffant1882. (Muse

    d'Ostende)

    Et voici dans la toile le Christ marchant sur la mer qu'unevoie nouvelle semble s'ouvrir encore. Un souci decomposition particulier s'accuse. Prenant comme thmesquelques sujets bibliques, le peintre se hausse soudainjusqu'au rle de visionnaire. Les personnages n'occupent,dans mainte de ses toiles tonnantes, qu'un place minime.A premire vue on ne les y distingue gure. Il les y fautchercher. Ils paraissent faire partie des lments: vents,nuages, flots, soleils. Les matres anciens donnaientinvariablement dans leurs uvres la place prpondranteaux actions humaines. Dans le dploiement des lgendes travers la peinture universelle, les Dieux et les hommesexistent seuls. Mais au fur et mesure que l'ide de forces'est dplace et modifie et que l'humanit comprend quel'tre humain n'est qu'un tourbillon de pense emportedans le vertige des puissances cosmiques, l'importance deses gestes a dcru.

    Le Christ marchant sur la mer est conu d'aprs lesmmes penses. C'est la mer, c'est le ciel qui remplissent

  • de leur immensit la toile entire. A peine une aurole, peine une lueur se dgageant d'une forme vague, indique-t-elle le prodigue.

    D ans Adam et Eve chasss du Paradis (1887) cesprcdentes remarques se vrifient mieux encore. La pageest merveilleuse. Les cieux remus de miracles tonnants etfoudroyants occupent peu prs toute la toile. Destrombes de vents passent, des lueurs formidablesapparaissent, tout le vertige de l'atmosphre est rendu.Vraiment, c'est une colre cleste qui se gonfle, qui voyageet qui clate. L'ange exterminateur semble tre lui seultoute la nue. A droite, avec des mouvements de fuite et deterreurs et comme brls par l'pe vengeresse,apparaissent Adam et Eve. Ils sont l, dans le coin de latoile, presque indistincts, rouls comme des paves, tandisque seul l'orage que leur misre et leur fragilit ont suscit,occupe les quatre points de l'espace.

    L'effet surnaturel est produit sans que la couleur semlodramatise de violentes oppositions de noirs et declairs. La tonalit gnrale reste lumineuse,magnifiquement. On y surprend quasi de la dlicatesse.Mais les lignes tumultueuses sont bien appropries ausujet et la fougue des touches merveille.

    En 1891 le Christ apaisant la tempte continue la sriedes uvres lgendaires. Le ciel et la mer, qui se rejoignent l'horizon, se prsentent en cette toile comme un normecoquillage bivalve qui serait entr'ouvert et dont les deux

  • parois internes contiendraient les nues et les eaux. Lepersonnage, invariablement droite du tableau, commedans le Christ marchant sur les eaux et dans Adam et Evechasss du Paradis, indique chez le peintre un souci decomposition presque uniforme. La science, l'quilibre, leprolongement heureux des arabesques, tout ce quiconstitue la combinaison tudie et heureuse nel'inquitent gure. Il voit d'un coup, comme si quelquebrusque rideau s'ouvrait, et il rend ce qu'il voit, sans plus.C'est ainsi que procdent les voyants.

    On peut rattacher ce cortge de paysages anims delgende et d'histoire quelques autres pages: le Feud'artifice (1887) et le Domaine d'Arnheim (1890).

    Une gerbe jaune, immense se projette sur un ciel bleufonc comme si tout coup s'ouvrait un cratre. Effet trssimple. On dirait que la fureur des temptes calmes par leChrist marchant sur les eaux ou la colre des cieux sedchanant sur Adam et Eve subsistent encore dans l'espritdu peintre.

    Le Terrassier1882. Le Terrassier1882.

    Quant au Domaine d'Arnheim il suscite devant les yeux unbois profond que baigneraient des flots calmes. Unebarque les sillonne. Le titre, fourni par Edgar Poe importe,bien qu'on l'ait trouv inutile. Il nous transporte hors de laralit, vers quelque lieu illusoire et magnifique orgnerait un calme d'or parmi des les d'ombre

  • majestueuse, touffue et silencieuse. Quand il composa leDomaine d'Arnheim, l'esprit du peintre s'tait de plus enplus retir de la contingence quotidienne; il commenait vivre en plein monde imaginaire; il tait dj hant. C'est ces dispositions spirituelles qu'est due la manire detraiter ce paysage. On peut croire en effet que ce morceaude nature est tout entier arrach l'imagination ou bienque, l bas, quelque part au bout du monde, sous un cielinconnu, il s'tale et fleurit, sans que jamais quelqu'un, part son mystrieux visiteur, ne l'ait parcouru. Plus tard,bientt, ces les, ces eaux et ces jardins seront, grce aurve de James Ensor, peupls de masques et de pierrotset d'arlequins et de colombines. Ils s'intituleront alors leThtre des masques. Et ce seront ses Ftes galantes lui, certes moins charmantes que celles de Watteau, maisplus folles, plus fusantes, plus papillotantes et plusfivreuses.

    Continuant, aprs la Mangeuse d'hutres, sa marche versla clart et s'attardant non plus dans le rve et la lgendemais dans la ralit vcue et quotidienne, Ensor propose notre admiration les Enfants la toilette (1886). Et c'estdans une chambre, deux enfants nus, l'un debout, l'autreassis, que la lumire, tamise travers les rideaux,baigne. L'atmosphre est ambre, frle, douce, chantante.Les chairs roses, dlicatement, s'talent dans un jour dorsans qu'aucune brutalit, aucun heurt, aucune dissonancene dissipe l'impression de calme et de fracheur etd'innocence qui mane de la toile. La Mangeuse d'hutres

  • profrait des tons pleins, entiers, majeurs; les Enfants latoilette n'mettent au contraire que des tons attnus,assourdis et mineurs. Mais si l'on tient compte de l'aigudifficult que les peintres rencontrent faire jaillir, non pasde l'opposition ni du contraste, mais d'un assemblage deteintes voisines, la lumire, les Enfants la toilettetonneront plus encore que la Mangeuse d'hutres. Laclart apparat diffuse, elle ne s'accroche rien, elle ne faitaucune saillie; elle glisse sur les meubles, les tapis et leschairs. La transparence des stores baisss est parfaite.Jadis avec des tons profonds et noirs, Ensor rsolvait dansl'Aprs midi Ostende un problme analogue. Tout y taitfort et discret, dans l'ombre. Ici tout est fort et discret, dansla clart.

    Enfin voici une toile, toute en tons purs cette fois et toute enviolence, o la ralit se mle la fantaisie, o les deuxroutes suivies par l'artiste se rejoignent. La page estintitule Le Christ faisant son entre Bruxelles. Elle nefut jamais expose. La date?1888. C'tait le temps oles no-impressionnistes ameutaient les ateliers parisiens.Georges Seurat avec sa thorie de la dcompositionlumineuse ou de la division du ton apportait vraiment dansl'art de son temps un procd indit. On l'invitait aux XX.Ses toiles y faisaient scandale. L'volution lente del'impressionnisme semblait comme suspendue au profitd'une rvolution soudaine. De nombreuses conversionsesthtiques eurent lieu. Ce fut une sorte de cataclysmemagnifique.

  • Croquis. Croquis.

    La grande part de vrit que Seurat apportait ne put laisserinsouciant un esprit aussi attentif et aussi inquiet que celuide James Ensor. Toutefois, aprs rflexion, il n'adoptapoint les thories nouvelles et voici les raisons qu'il endonne.

    Les recherches des pointillistes m'ont laiss indiffrent: ilsn'ont cherch que la vibration de la lumire. En effet ilsappliquent froidement et mthodiquement leurs pointillagesentre des lignes correctes et froides. Ce procd uniformeet trop restreint dfend d'ailleurs d'tendre les rechercheset de l rsulte une impersonnalit absolue dans leursuvres, si bien que les pointillistes n'atteignent que l'undes cts de la lumire: la vibration, sans aboutir donnersa forme. Mes recherches et ma vision moi s'loignentde la vision de ces peintres et je crois tre un peintred'exception.

    Ne retenons de ces lignes que la dernire affirmation.Qu'Ensor soit un peintre d'exception, rien n'est plus juste.Sa nature est trop spciale pour que jamais elle luipermette d'tre d'un groupe. Le no-impressionnismeexigeait une discipline, portait en lui un enseignement,laborait un programme. Ds ce moment le peintre ne lepouvait admettre. Ce qui caractrise la personnalitd'Ensor c'est le libre-vouloir. Sitt qu'un dsir lui vient, il lesatisfait. Sa tte est une chambre ouverte o tantt les

  • ides, tantt les rves, tantt les folies, s'installent. Et leno-impressionnisme lui apparaissait comme une prison.

    Mais, tout en tournant le dos l'esthtique de Seurat, ilvoulut, lui aussi, se signaler par de trs nettes audaces. Ilne pouvait nier d'ailleurs que la nouvelle cole, plusqu'aucune autre, ne purifit la vision. Les couleurs dont elleprconisait l'emploi taient les couleurs mmes du prisme,les couleurs vierges, primitives, intactes. Toute l'anciennepalette tait comme abolie et le spectre solaire prenait saplace. La virginit totale du ton devint un objet de conqute.Dj Turner, et sa suite tous les impressionnistes,s'taient essay crer cette virginit et l'imposer leuruvre; ils s'y taient pris empiriquement, en se fiant lasubtilit et la dlicatesse de leur il. Les nouveaux-venus, jugeant cette conqute incomplte, purifirent enquelque sorte cette puret hsitante et ttonnante et grceaux dcouvertes scientifiques la proclamrent certaine etsre. Et leurs toiles taient en effet lustrales plus que nulleautres. On et dit qu'elles portaient en elles la grce d'unclatant et violent baptme.

    La Sorcire1883. (Collection Edgar Picard) La Sorcire1883. (Collection Edgar Picard)

    Dans son Entre du Christ Bruxelles on peut croire qu'son tour, comme pour dfier le no-impressionnisme,Ensor ait voulu rebaptiser sa peinture. Il en a augmentencore et vivifi la clart. Et les principales tapes qu'ilsuivit pour aboutir cette victoire furent, comme nous

  • l'avons dit, le Chou (1880), la Mangeuse d'hutres (1882)et les Enfants la toilette (1886). Son volution entire futdonc longuement prpare, logique et personnelle.

    Le sujet du Christ faisant son entre Bruxelles peutcertes dplaire. On y voit l'homme-Dieu mlgrotesquement nos pauvres, froces et actuellesquerelles. Il assiste au dfil mouvant et tumultuaire desrevendications politiques et sociales, comme un banal lubourgmestre, chevin, dputun jour de manifestationdchane. Il voit passer les fanfares doctrinaires, lescharcutiers de Jrusalem et des banderoles et desdrapeaux se droulent et inscrivent en leurs plis Vive laSociale et vive Anseele et Jsus.

    A ne juger que la plastique et la forme, l'uvre fourmille dedfauts, mais la couleur en est triomphante. Les bleus, lesrouges, les verts, soit juxtaposs, soit diviss entre eux pardes blancs larges, sonnent comme une charge de tonspurs et leur bariolage audacieux, parfois brutal,impressionne la rtine lyriquement. Au surplus l'ironie dupeintre se donne, ici, libre carrire. On ne peut exiger de luiqu'il prenne au srieux n'importe quelle dmonstrationpopulaire. La rue du peuple travers les places seboursoufle, pour ainsi dire, de visages tumfis, de ventresformidables que les masques et les oripeaux revtent deleur invraisemblance. Mais, grce cette exagrationsavoureuse, grce l'exaltation des tons crus qui parfoisse rapprochent des tons d'une affiche, grce peut-tre au

  • dsordre mme de la composition, l'ensemble donne unepre, farouche et tintamarrante sensation de vie. Ensor seplat d'ailleurs ces caractristiques vocations de foules.Il les multiplie travers toute son uvre. Il les rvecompactes, serres, formidables. Elles apparaissentcomme touffes dans les rues et trangles auxcarrefours. Les maisons, les monuments, les balcons, lestoits semblent subir l'entranement de la pousse unanimeet dans une eau-forte clbre on pourrait croire que lamultitudesi dense qu'un caillou jet sur elle ne trouveraitpoint un interstice assez large pour choir terreporte,comme une chasse, une cathdrale entire sur sespaules.

    Cette manire de peindre grands tons plats et clairs queJames Ensor adopta dans l'Entre du Christ Bruxelles, illa gardera longtemps et l'emploira souvent dans sestudes baroques et macabres de pierrots et de bouffons.Mais avant de parcourir cette province large et pittoresquede son art, qui lui fit donner le nom de peintre demasques, il importe d'insister sur son talent de portraitisteet de nature-mortier.

    DAME AU CHLE BLEU1882. Dame au Chle bleu1882.

    Il serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au mondeson art et par consquent chrissant surtout celui qui le fait,c'est dire lui-mme, n'et multipli l'infini sa propreeffigie. Ajoutons qu'en se regardant, en un miroir, il atoujours porte de main, de brosse et de palette, un

  • modle complaisant et gratuit.

    Ds ses tout premiers dbuts, aux temps lointains etmaudits o il s'garait l'acadmie, il traduit ses traits(1879); en 1880 il se repeint; en 1883 encore et en 1884 ilse dessine. En 1886 il fixe au crayon quatre fois sonimage; en 1888 il se dguise et se reproduit au pinceau.Dans l'Ecce-Homo, c'est lui qui apparat flanqu de sesdeux bourreaux MM. Fetis & Sulzberger; en 1891 parmises dessins fantasmagoriques il prend place; en 1899 ils'entoure de masques et dans nombre de compositionsson visage tantt hilare, tantt mlancolique, tanttangoiss et piteux, s'impose. Il est en quelque sorte lafigure centrale de tous ses rves. Et c'est logique et c'esthumain qu'il en soit ainsi. On pourrait serrer de prs sapsychologie, rien qu'en analysant ses portraits auxdiffrentes saisons de son art et l'tre insaisissable qu'ilest se dvoilerait peut-tre mieux, grce cette mthode,que par l'examen de ses gestes quotidiens dans la vie.

    De ses reprsentations si varies et si nombreuses, jeretiens la premire. En veston havane, sa palette la main, l'atelier, il se campe devant son chevalet. Il est jeune, l'ilclair, l'allure attentive et nave. La vie hostile ne l'a pointencore touch. L'uvre est comme joyeuse; de bellestaches claires s'y rencontrent. On y devine le coloriste qu'ilest.

    En 1882, Tho Hannon et Willy Finch, deux de ses amis, luiservent de modles. Le dernier de ces deux portraits est

  • d'une solidit belle. Les tons clairs font place aux tonsprofonds et fermes; le visage est traduit avec une franchiseet une sret de facture remarquables; aucune mise enscne, aucune recherche, si ce n'est la recherchefondamentale des beaux peintres en face de l'architecturehumaine traduire avec souplesse et force.

    Suit l'effigie de la Mre de l'artiste. Robe noire et col endentelles. Trois roses groupes, comme ornement.Simplicit absolue dans la pose; les traits sont prementcaractriss. De loin, le modle fait songer quelquedame qu'aimait peindre d'une manire brusque,scrupuleuse, aigu, le grand Goya.

    En 1891, James Ensor voulut bien consacrer quelquessances mon propre portrait. Je n'insiste sur cette uvreque pour noter le faire spcial qui la distingue. Elle estplutt crite que peinte. Le trait est insistant, il creuse lachair, il traduit le caractre. Vers cette poque JamesEnsor introduit ce procd graphique, tout coup, dans sapeinture. La ligne qu'il dissimulait et noyait jadis y prend lapremire place, non pas la ligne ornementale et pure, maisla ligne caractristique et rompue. Ces brusques sauts,ces rapides volte-face, ce changement incessant deprocd indiquent la fois les recherches incessantes deson art et les inquitudes journalires de son caractre etde son esprit.

    La Mre du Paintre La Mre du Paintre

  • Trois ans plus tard s'achve le portrait d'Eugne Demolderet en 1895 celui de M. Culus. Enfin voici le dernier portraiten date (1907). Il reprsente Mme Lambotte, d'Anvers.

    Le personnage est assis au centre de la toile, vtu d'unerobe bleue et d'un grand chle vert. Admirable accord quecelui de ces deux tons principaux. A gauche une table. Lamain droite du modle s'y appuie sur un bibelot japonais.Au fond, mais bien leur plan malgr la vivacit de leursteintes, apparaissent les Masques scandaliss et quelquescne du conservatoire de Bruxelles o le matre Gevaertdirige les churs. L'uvre est intressante prciser. Lafigure est traite, dlicatement; le chapeau est d'unefracheur comme florale. On dirait que le personnage estrentr d'une excursion aux champs et qu'il retient sur luiquelque chose de la limpidit et de la bonne odeurchamptres. Les yeux vivent d'une vie charmante; les cilssont peints, hardiment, en bleu. Et cette couleur si loignedu ton local est d'une justesse admirable dans l'ensemble.Tout ainsi revt une vibration aigu et subtile qui sait voirles objets non plus dans leur ralit plate, mais dans leursrapports avec un rve de couleur et de lumire. Il faut qu'unartiste vrai ne tienne presqu'aucun compte de la vue banaledes choses et qu'il ne les voie que comme prtexte interprtation belle. Tout se peut transposer d'une vie dansune autre, de la vie commune dans la vie de l'art. Lacouleur unique dont il faille se soucier est celle qui fait biensur la toile et affirme et soutient et rehausse son harmonie.Ensor a nettement obi cette loi dans le portrait de Mme

  • Lambotte.

    Deux trs belles natures-mortes datent de 1893, la Raie etle Coq mort. Sur fond blanc le coq au plumage argent sedtache et tout un frisson de lumire semble courir sur sonventre et ses ailes. Je me souviens aussi et des Viandes(Muse d'Ostende) et de l'admirable Coin de cuisine duMuse de Lige. Le pinceau semble avoir gliss sur cesvictuailles comme s'il tait empreint non de couleurs maisde clart. Si la forme des objets tait plus prcise et plusarrte, ce bain de lueurs o le mercure et le soleilsemblent fusionner n'aurait certes pu aussi bellement,envelopper la toile. Qu'on voie la couleur, affirme Ensor,aussitt on ne voit qu'elle; de mme, qu'on tudie la formeet l'il n'est plus sensible qu' la ligne. Unir dans unemme uvre le ton et le dessin, leur donner la mmeimportance n'est possible qu'aux demi-natures qui nesentent rien fortement. Il faut choisir. Ensor a choisi lacouleur ou plutt la lumire.

    On peut donc lui reprocher parfois que ses morceaux deviande, ses choux, ses fruits, ses pots, ses vaissellesmanquent de fermet ou de poids. Il en conviendra certes.Mais que lui importent ces remarques terre terre. Il existeune sorte de ralit esthtique plus haute que la ralitauthentique. Cette ralit ou plutt cette vie est atteinte parde purs moyens d'art. Ils ralisent les harmoniesimpeccables et glorieuses du ton, les sensibilitsmerveilleuses des ombres et les joies de la calme ou

  • triomphante lumire. Quand ce haut rsultat est atteint ileffacesurtout qu'il s'agit, en ce cas-ci, de simplesnatures-mortestoute critique vtilleuse et tatillonne. On nesait quel trophe choisir parmi tant d'clatantes conqutesdu pinceau. Vases de Chine aux tons laiteux, statuettesesquisses en quelques coups de brosse, soies, linges,toffes, crans, ventails fins et lgers, tout le magasinfamilial de la Rampe de Flandre a travers l'imagination del'vocateur.

    Voici les Coquillages peints en 1889. A ct d'caillesroses et lustres, en voici d'autres blanches comme de lacraie et d'autres encore jaspes comme des dos de scheet d'autres enfin creuses et rayes comme des branchies.La structure de poissons improbables, diables de mer ourougets, se retrouve comme ptrifie dans telles formesminrales. Ensor en saisit les analogies, les traduit, lesaime et peut-tre, au fond de lui, relie-t-il, par des lienspsychiques, ces architectures marines avec leurssilhouettes baroques et compliques, au monde trangede ses masques et de ses squelettes. Tout cela peuple sammoire et fixe et dtermine son dsir presqu'au mmetitre.

    La Vierge aux navires (1893). La Vierge aux navires(1893).

    Sur tel panneau, on croit surprendre la vie des mollusquesau fond mme de la mer. Il date de 1895. Un grandcoquillage bistre domine, la pointe en l'air, comme enpyramide, d'autres coquilles, les unes vertes, les autres

  • roses, et cet arrangement comme maladroit semble le faitmme de ces btes lentes et visqueuses. Le dessin en esttrs ferme et comme crit. Il insiste sur chaquecirconvolution et sur chaque spirale. Et voicicontrastebrusquedeux bulbeuses et lgres grappes de raisin,l'une bleue et l'autre rose-cerise, avec un oignon, une noixet une poire, la queue dresse. Ensemble presquetransparent. Il est si frais, si lucide, si dlicat qu'on le diraitcomme baign de rose.

    L'entre dans le royaume des masques dont James Ensorest roi, se fit, lentement, inconsciemment, mais avec unesre logique. Ce fut la dcouverte d'un pays, province parprovince, les lieux pittoresques succdant aux endroitsterribles et les parages tristes prolongeant ou sparant lesdistricts fous. Grce ses gots, mais aussi grce soncaractre, James Ensor n'a vcu pendant longtempsqu'avec des tres purils, chimriques, extraordinaires,grotesques, funbres, macabres, avec des railleries faitesclodoches, avec des colres faites chienlits, avec desmlancolies faites croque-morts, avec des dsespoirs faitssquelettes. Il s'est improvis le visiteur de lamentablesdcroche-moi-a, de malodorantes arrire-boutiques demarchandes la toilette, de piteux bric--brac en pleinvent. Il a vagu par des valles de misre o luiapparaissaient des pierrots malades, des arlequins engoguette, des colombines soles. Parfois, comme unmntrier fantasque, il montait sur un tonneau et sur laplace de je ne sais quelle ville du pays de Narquoisie, il

  • agitait, au son d'un rebec invisible, en un trmoussementsoudain, toute cette joie lugubre et bariole. Il pleurait peut-tre lui-mme en peignant tel masque hilare ou souriait endessinant telle tte de mort. Les contrastes les plus aigusdevaient lui plaire et il les ralisait en oppositions violentes,les rouges, les bleus, les verts, les jaunes se donnantcomme des coups de poings sur la toile. L'art d'Ensordevint froce. Ses terribles marionnettes exprimaient laterreur au lieu de signifier la joie. Mme quand leursoripeaux, arboraient le rose et le blanc, elles semblaientrevtir une telle dtresse, elles semblaient incarner un teleffondrement et reprsenter une telle ruine qu'elles neprtaient plus rire, jamais. J'en sais d'une angoisse decauchemar. Et la camarde se mla la danse. Lesquelette lui-mme devint tantt pierrot, tantt clodoche,tantt chienlit. Masque de vie ou tte de mort s'identifiaient.On ne songeait plus quelque carnaval lointain d'Italie oude Flandre, mais quelque ghenne ou les dmons secoiffaient de plumes baroques et s'affublaient de draps-de-lit uss, de bicornes invraisemblables, de bottes creves etde tignasses multicolores. C'est pendant les mauvais joursde sa vie que James Ensor donna cette significationpessimiste ses fantoches.

    Dans ce pays imaginaire, d'o la farce classique semblebannie, voluent le masque Wouse et Saint Antoine, lesdiables Dzitss et Hihahox, les pouilleux Dsir et Rissol,les soudards Ks et Pruta et l'on y rencontre la ville de Biseet le territoire de Phnosie. Rien que ces appellations et ces

  • noms, venus d'on ne sait quelle rgion d'un cerveau hant,renseignent sur la trs spciale imagination d'Ensor. Aureste, pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussigrouillant d'tres chimriques et les douer d'unepsychologie aussi tonnamment varie, fallait-il que lemonde de la dmence ft naturellement pour le peintre unmonde de prdilection et de choix. Certes, croyait-il toutl'invraisemblable, tout le baroque, toute la folie et nerecouvrait-il la lucidit qu' l'heure o il s'asseyait devant satoile et choisissait ses couleurs et harmonisait ses tons. Il aralis admirablement cette vie double.

    Le Masque Wouse (1889) apparat un des premiers. Il estvtu d'un schall discrtement et magnifiquement bariol derouge, de vert, de jaune, de bleu, il tient en main un parasol,est coiff d'un bonnet et le nez de son visage en cartons'agrmente d'une pendeloque lgre. Il regarde, gisantsdevant lui comme autant de marionnettes flasques, d'autrestres semblables lui et l'on dirait quelqu'un visitant soitune morgue de pantins, soit, aprs un combat, le champd'une dfaite. L'uvre o s'pand une clart diffuse estdlicatement peinte, les toffes sont flottantes et lgres,l'atmosphre jolie. Elle contraste et voisine, dans l'atelierde l'artiste, avec les Masques singuliers (1892) mis enrangs, comme s'ils s'attendaient tre passs en revuepar les soudards Ks ou Pruta. Ils reviennent, Dieu sait dequelle parade, les vtements lches et veules, maisgardant encore on ne sait quelle fiert vague. Le plus grandde tous porte un chapeau militaire dont la frange se

  • dtache lugubrement. En cette toile, presque tous les tonssont forts, puissants, hardis. Ils ralisent comme unegamme descendante et ne deviennent fins et subtilsqu'autour d'un Pierrot boursoufl qui dissimule, en desblancheurs roses, sa carcasse falote. Oh la piteusemascarade et comme la dtresse d'une gloire abolie etd'une gaiet dfunte s'y marque! Fini l'orgueil, le triomphe,la gloire. Toute fanfare s'est tue. On rit et l'on est triste.Acteurs fltris d'un drame chimrique, les fantoches sont ln'ayant plus mme un bout de bton pour simuler un vague:portez-armes.

    Les Pochards1883. Les Pochards1883.

    Maintenant voici les Masques devant la mort (1888) et lesSquelettes voulant se chauffer (1889) et le Squelettedessinant (1889) et les Squelettes se disputant un penduet les Masques regardant une tortue (1894) et un Duel demasques. Le drame morne ou froce commence seprciser. Dans les Masques voulant se chauffer uneimpression de nant s'affirme. Rien de plus pauvre, de plusnavrant, de plus lugubre que cette ide de chaleur et debien-tre voque devant ces tres flasques et vides. Ilss'approchent, se pressent, s'inquitent autour de ce feuinutile, de cette flamme sans vertu, de ce foyer qui les railleet qui n'est pas. Les Masques regardant une tortueangoissent tout autant. L'caille qui couvre l'animalcontempl est, elle aussi, une sorte de masque dissimulantle mouvement et la vie. Ce rapprochement baroque suffit

  • faire comprendre pourquoi les tranges spectateurssemblent comme s'tudier eux-mmes en voyant bougerlentement et pesamment la bte torpide et douce. Enfindans un Duel de masques l'ide de lutte, de fureur et defrocit est raille son tour.

    Toutes ces petites toiles sont franches, sincres,nerveuses. L'ostologie des squelettes estamoureusement tudie. Parfois sur leur crne lisse sedistinguent des lignes pareilles celles des cartes degographie et l'on peut croire que le peintre se plat inscrire le monde sur l'os d'un front. Le trou des yeux estapprofondi. On y surprend, dans le vide, on ne sait quellefixit qui donne l'illusion d'un regard. Ce n'est certes plus lesquelette tel que le comprenait le moyen-ge. C'est pluttcelui qui sort des cabinets d'anatomie, des laboratoires etdes hpitaux. Il ne fait pas songer tel macabrephilosophe qui moralise dans la danse de Holbein ou dansles fresques de la Chaise-Dieu; il n'est pas chrtien. Il s'estrenouvel; il est de notre temps. Il reprsente non plus lescroyances, mais les ides et les sentiments.

    Mme dans ses Tentations de Saint-Antoine , Ensor neprtend ni prcher ni vangliser. Le tohu-bohu de cesapparitions charme presque et devient, en ce sujetlgendaire, quasi bon-enfant. Le peintre adore y semerdes corps de femmes grosses et cocasses, des diablesfluets et malins, des monstres improbables et ridicules. Lepittoresque de ce cauchemar chrtien le tente plus que son

  • horreur. Et c'est en dilettante de l'impossible qu'il s'yaffirme et non pas en vengeur du vice ou en champion dela vertu. Il cultive l'angoisse, ailleurs. Il la cultive en lui-mme. Dans le Portrait du peintre entour de masques(1899), appartenant M. Lambotte, d'Anvers, il s 'affubled'un costume trange, il se couronne de plumes et defleurs, il se dguise lui-mme comme pour donner pluscongrment audience au peuple entier de ses fantmes.L'uvre est haute en couleur; toute la palette ardente etsonore est employe; la joie s'affiche; on songe untriomphe et pourtant que de cris poignants, que de violenceet de fureur ces faces impassibles n'expriment-elles pas?Tel visage morne et blme rappelle une tristesse passe,tel autre une inquitude prsente; celui-ci, avec ses jouespesantes, avec ses yeux comme pincs en des taus degraisse, rit d'un malheur qui viendra; celui-l, bonasse etrougeaud, dtaille quelque farce funbre ou pavane sasant gonfle et balourde au-devant de la maladie qu'ilannonce. Tous les sentiments humains se laissent deviner.Le plaisir, le chagrin, l'audace, la peur, l'espoir, la transe,l'orgueil, le doute, la force, l'abattement, la roublardise, laruse, l'ironie, la dtresse, le dgot. C'est un formidablebouquet dont les fleurs seraient des bouches, des nez, desfronts, des yeux et qui toutes, ou presque toutes, malgrleur beaut et leur clat seraient capiteuses etempoisonnes. Chacune a une signification nette et unlangage prcis quoique muet. Et les masques surgissentde partout: droite, gauche, du haut, du bas. Le champtout entier de la toile en est comme encombr: ils se

  • pressent, se tassent, s'enfivrent. Il faut qu'ils assigent lepeintre, qu'ils le dominent, le hantent et l'hallucinent, qu'ilsse moquent des roses et des plumes que sa tte arbore,qu'ils lui crient leur inanit et la sienne et lui fassent commela leon terrible de la mort. Lorsqu'Ensor introduisit en sapeinture un tel peuple trange et tragique de masques,peut-tre ignorait-il lui-mme qu' un certain moment ils luifausseraient tel point la notion du rel qu'il ne verrait plusqu'eux de vraiment vivants sous le soleil et qu'un jour ilprendrait place parmi leur multitude comme s'il tait lui-mme quelqu'un de leur ligne et de leur race. Car il ne sepeut pas qu'il n'ait subi, certaines heures, une telle illusiondominatrice et qu'il n'ait fini par voir, avec ses yeux ouvertsen plein jour la lumire, l'humanit entire comme unensemble de grotesques et de fantoches. Son art terribleet rveur a d l'affoler ce point, fatalement.

  • Enfants la toilette1886. Enfants la toilette1886.

    IV.

    LES DESSINS

    Ensor a nettement distingu dans son uvre le dessin dupeintre et le trait du dessinateur. J'en donnai les raisons:elles me semblent plausibles. Pointe et pinceau ne furentjamais ses yeux des instruments identiques.

    Nous voici en prsence d'un nombre infini de pages o lefusain, la plume et le crayon se sont appliqus fixer la vieou le rve. On les peut diviser aisment en catgories: lescroquis; les dessins de caractre; les dessinsatmosphrs; les dessins lignes pures et les dessinsornementaux. Il est certes piquant de constater que c'estprcisment celui parmi nos grands artistes qu'on accusepeut-tre le plus de ngliger le dessin qui surtout le cultive.S'il rassemblait tous ceux qu'il a faits, ils formeraient unebibliothque.

    Je sais des notations o quatre cinq traits nettementplacs expriment l'enveloppe, la masse et l'attitudemomentane d'un personnage; voici, d'un coup de crayon,la marche, l'inclinaison, la vitesse d'une jambe traduites; le

  • mouvement d'un dos, l'affalement d'une hanche, lebondissement d'une croupe, la tension d'un cou reproduits.Tout cela est preste, vivant, soudain. Sur une seule page,cinquante petits bonshommes se meuvent, s'agitent,passent, viennent, s'arrtent, s'assoient, s'affalent et lecrayon Cont note, dtail par dtail, leurs particularits etleurs manires d'tre et compose comme une fauneamusante des passants de la rue moderne. Je connais telscroquis o James Ensor, profitant des menus dfauts dugrain ou de la trame d'un papier, a compos une Chutedes anges rebelles en tenant compte de ces accidents dematire. Des mouvements inattendus se devinent, desgrappes de muscles et de chairs pendent et se contractent,une cataracte de dos, de ventres et de ttes se prcipite,une impression de rue est merveilleusement rendue ettout cela n'est que du hasard soulign par un crayon, ditescombien habile et preste?

    Mon Pre mort1887 Mon Pre mort1887

    Le jour o le peintre s'intressa l'existence des marins etdes gens du portplus tard ils lui fourniront et ses pouilleuxet ses masquesce fut par des tudes au fusain qu'ilmanifesta son enthousiasme. Il possde toute une suite dedessins suprieurement conduits o s'offrent en leursattitudes quotidiennes les vieilles mantelets, les moussesen vareuses, les vieux pcheurs chous comme leursbarques au long des quais et les gars solides et rbls quidemain s'en iront vers la mer. Puis se caractrisent encore

  • les ouvriers, les petits musiciens, les poissardesmlancoliques, les mangeurs de soupe, toute unepopulation de djets et de misreux. Toutes ces pagestmoignent d'une sagesse et d'une sret indniables. Dsque le peintre le veut, il ralise aussi bien que quiconque lacorrection du dessin et la proportion des diverses partiesd'un corps humain. Je ne puis m'enlever du souvenir telGamin en casquette aux lvres grosses, au nez compact, l'il lgrement triangulaire, ni cette ferme et prcisetude de Main tendue o l'ossature des doigts dans lapeau dtendue et les bosses des muscles apparaissent sinettement, ni ce Vieux cheval noueux, maigre, efflanqu etcomme diminu qui se tient avec peine debout entre deuxbrancards, ni surtout cette adorable tte d'Enfant endormidont la bouche entr'ouverte est d'une vie si vraie et dontl'il est si dlicieusement clos. Comme on sent le sommeilet non la mort!

    Croquis. Croquis.

    Rendre la matire, scrupuleusement, fut la tche qu'Ensors'assigna dans tels dessins: ferrailles, armoires, clefs,rideaux, toffes, lustres, coffrets. Il y russit, sans setromper jamais. Son crayon fouille, comme un outil sr, lesfibres et les nuds du bois ou rend avec bonheur l'usuredes bosses et des reliefs. On pourrait deviner si tel meubleest en chne ou en noyer. Assurmenttant l'exactitudeest grandes'aperoit-on s'il est plaqu d'acajou. Lesornements d'acier ou de cuivre sont creuss dans leurs

  • ombres ou caresss sur leurs lueurs; un rinceau, unecourbe, une volute est rendue avec dextrit. Autant lepinceau est lger et souple fleur de toile, autant la pointeest insistante et vigoureuse sur le champ des feuillets. Demme l'ampleur lourde et molle d'un rideau de laine qu'unegrosse cordelire retient est offerte au toucher et semblepouvoir renfermer en ses plis jusqu'aux mites et auxpoussires. Bien plus. Ces dessins, encore que littraux,sont dous d'une vie ample. Ils n'ont rien d'industriel. Sipour James Ensor certains meubles sont hants, tous lesobjets frissonnent, bougent, sentent. La cruaut sjournedans le couteau, la discrtion dans la clef et le fermoir, lerepos et la scurit dans le bois. Rien n'est mort,compltement. Chaque matire renferme en elle satendance, sa volont et son esprit. Elle est cre pour unbut. Elle doit donc avoir comme une me qui tend une finet c'est prcisment cette me qui seule nous intressedans l'inanim et qui seule constitue, aux yeux d'un artiste,la beaut des choses les plus quelconques. A ct de cesdessins trs crits, James Ensor en a russi d'autresentirement baigns d'atmosphre. Un model frle lesdistingue. Ils participent plus que les autres la vieuniverselle, aux variations de l'heure. Pour les russir il fautun tact spcial. Ils sont d'un grain menu et d'une fragilitchoisie. Certains apparaissent comme faits avec de lapoussire rassemble dans les ombres et disperse dansles clairs. Des gris tendres savamment distribus enconstituent la beaut prcieuse. Voici le Portrait deMadame Rousseau. Elle est assise l'avant-plan, parmi

  • des meubles familiers, non loin d'un bas-relief. Le jour esttamis; tout est en infimes nuances et en attnuation. Il enrsulte une impression de douceur et de calme si grandequ'une mouche survenant la troublerait,malencontreusement, du simple bruit de ses ailes.

    La Mre du Paintre1889. Dessin. (Collection RobertGoldschmidt) La Mre du Paintre1889. Dessin. (Collection Robert

    Goldschmidt)

    Mon pre mort est conu dans le mme esprit. La pageest solennelle, sobre, mue. On aperoit seulement la ttepose parmi les draps que lgrement quelques tonsblancs rehaussent. A traits fins, la barbe et les cheveuxsont rendus. Le crayon Cont et le crayon gras out introduitle jeu de leurs diffrentes accentuations dans les partiessombres. L'ombre s'anime, mais uniquement afin d'viterqu'elle ne soit opaque: il faut que la seule srnit rgnedans l'tude entire. Le dessin est du reste irrprochable.Le nez, les yeux et le front sont nets sans duret, les chairssont admirablement aplies quoique consistantes encore.

    Cette mme manire de nuancer un dessin sans l'affadir nile banaliser se retrouve dans le Portrait de ma mre,appartenant M. Goldschmidt, et dans les Squelettesmusiciens. Devant une armoire o s'tale un crne sansmchoire, apparat un squelette introduisant le bec d'uneclarinette dans sa bouche sans dents. Un manche devioloncelle s'lve non loin de lui. Ces deux crnes sonttudis avec un art parfait. Chaque relief, chaque mplat,

  • chaque partie osseuse avec ses stries et ses mandresest rendu comme un artiste gothique se serait plu lestraduire. Faire attentif, serr, scrupuleux. Impossible depousser plus loin l'attention minutieuse, ni la probitapplique. Et quelle aisance, quelle apparente facilit,quelle ductilit et quelle flexibilit prestigieuse des doigts.Et combien tout est sr et savant!

    La ligne mme, la ligne pour elle-mme, la ligne simple etjolie, la ligne belle et enveloppante sduisit son tour lamain chercheuse de James Ensor. Et voici la Vnus lacoquille dont le corps souple, limit par un trait gracieux etflexible, surgit, avec, entre ses doigts, une pomme. Lesjambes, le torse, le ventre et les bras sont suffisammentmodels pour qu'ils donnent la sensation d'exister vraimentet n'tre pas uniquement des blancs sur un papier. Maisc'est l'arabesque sinueuse sparant la Desse del'ambiance qu'on admire surtout et qui tonne par sasouplesse. On songe quelque fleur dlicate et haute.

    VNUS A LA COQUILLE1889. Dessin. Vnus la Coquille1889. Dessin.

    Les sujets ornementaux, avec leur fantaisie violente et leurparodie pique ont tent maintes reprises le crayond'Ensor. L'histoire, la lgende, les coutumes lui fournissentleurs thmes. Il les transforme selon son humeur, soncaractre, sa nature. Ils ne sont pour lui que des sortes detremplins sur lesquels sa verve