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Communication

PMSI et Classification française des troubles mentauxde l’enfant et de l’adolescent

J.C. Chanseau*

Psychiatre, chef de service de l’enfant et l’adolescent, centre hospitalier, 33500 Libourne, France

Résumé – La pertinence espérée du système PMSI en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sera, en grande partie,tributaire de la qualité du recueil des informations. Dans cette discipline, ces éléments ne sont pas réductibles àquelques critères abusivement érigés en signifiants de troubles isolésmais s’inscrivent dans la complexité du sujet dansson histoire au cœur des actions et démarches de soins conduites. Dès lors, le recours à une classification visant àdéfinir les pathologies doit exiger de cette classification des qualités respectant rigueur clinique, complexité etsingularité des situations décrites. Les classifications actuelles s’inspirant de modèles nosographiques descriptifs nepermettent pas de prétendre à cette précision dans la saisie des informations complexes, à l’exception notable de laClassification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Par les agencements de ces axes, la placeréservée à la compréhension psychopathologique au sein d’une clinique rigoureuse, la référence à l’environnement età l’histoire d’un sujet constituent une construction référentielle respectueuse de la clinique tout en préservant l’originalitéet la complexité des situations © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

classification / CFTMEA / complexité clinique / PMSI / singularité des situations

Summary – PMSI and French Classification of Child and Teenage Mental Disorders. The awaited relevance of the« PMSI » system in Child and Teenage Psychiatry will rely, for a great (the main) part, be dependant (reliant) on thequality of the collection of the pieces of information. As a as this subject is concerned, these elements can’t be reducedto some criterious abusively set up as (raised to the status of) signifiants of isolated disorders. However, they comewithin (fit with) the complexity of the subject in his own story at the heart of the actions and procedures undertaken.Consequently the resort to a classification aiming at defining pathologies requires from this classification some qualitiesconcerning the clinical strictness complexity and singularity of the described situations. The present classificationsinspired by descriptive nosographical models patterns can’t claim too this precision in the data acquisition of complexpieces of information, with the notable exception of the French Classification of Child et Teenage Mental Disorders(Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent). With the ordering of these axes, the placereserved to psychopathological understanding among a strict clinic, the reference to the environment and to thesubject’s story constitue a referential construction respectful of the clinic preserving the originality and complexity ofsituations. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

classification / clinical complexity / FCCTMD (CFTMEA) / PMSI / singularity of situations

La loi de réforme hospitalière de 1991, avec les ordon-nances du 24 avril 1996, établit que : « Les établisse-ments de santé publique ou privés procèdent à l’analyse

de leur activité. Dans le respect du secret médical et desdroits du malade, ils mettent en œuvre les systèmesd’information qui tiennent compte notamment despathologies, des modes d’activité et des modes de priseen charge en vue d’améliorer la connaissance et l’éva-luation de l’activité et des coûts et de favoriser l’optimi-sation de l’offre de soin. »*Correspondance et tirés à part.

Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 227-32© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS0003448702001634/FLA

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L’ordonnance de 1996 (art. 16 à 21) soulignel’objectif de réduction des disparités des ressources entreles régions, les départements et les établissements.

L’outil mobilisé pour cet objectif est le projet (quideviendra programme) de médicalisation des systèmesd’information (PMSI). L’arrêté du 20-09-1994 instituele PMSI dont l’application à visée générale et standar-disée sera initialement mise en place au niveau desspécialités MCO, puis des disciplines de rééducation,de la psychiatrie générale et de la psychiatrie infanto-juvénile, pour devenir obligatoire en janvier 2002 eteffective en juillet 2002.

Nous ne traiterons pas des différentes démarches quise sont succédé pour la promotion de cet outil enpsychiatrie générale puis en psychiatrie infanto-juvénile.Rappelons la formation en 1990 du groupe dit « destreize » avec la mise au point de la grille EDGARD.

La mise en place en MCO comme en service derééducation puis en cours en service de psychiatriegénérale et à venir de l’enfant et de l’adolescent duPMSI a généré critiques sévères, réactions, oppositions,dont des mouvements syndicaux en cours. Notre contri-bution ne se situe pas dans cette perspective.

Nous sommes engagés dans une démarche initiée parla Société française de psychiatrie de l’enfant et del’adolescent avec l’API au titre de Société savante etd’Association professionnelle pour procéder aux ana-lyses, critiques techniques, propositions justifiées parnos pratiques, notre corpus théorique, notre rechercheet la référence à ce que nous appellerons l’état de lapsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent en France,pour formuler des avis, réflexions, mais aussi exigencessur les liens entre la démarche du PMSI et l’usage, dansce cadre, des classifications, en particulier la CFTMEA.

La généralisation de l’usage du PMSI et la confronta-tion avec la réalité de la pratique et des références enFrance conduisent à tourner le regard vers le paysd’origine du PMSI, les États-Unis. On note un ques-tionnant paradoxe, à l’allure de contradiction, entre lesobjectifs ici poursuivis et les leçons de l’histoire d’unPMSI critiqué à ce jour dans son pays d’origine même,justement au nom de l’échec des dits objectifs de cePMSI. Ce regard vers les États-Unis souligne l’apparentéchec de cette démarche dans un pays où le taux decroissance des dépenses de santé reste plus élevé quedans les pays européens comparables, le pourcentagedes dépenses réservées à la santé le plus fort par rapportau PNB, alors que les résultats en référence aux indica-teurs d’activité sont qualifiés de médiocres. Il est àremarquer qu’en France, par des efforts concertés et uneréflexion des usagers, des professionnels et des instancespolitico-administratives, la part des dépenses de santé etla consommation de soins des ménages sont stabilisées

depuis 1997, seul le chapitre dépense des médicamentsétant en augmentation significative.

Les services ministériels soulignent régulièrement quele PMSI n’est pas un outil d’évaluation des besoins,qu’il traite d’information sur les pratiques dites effec-tives, qu’il ne vise en rien à créer des normes pas plusqu’à les imposer, qu’il n’évalue pas plus la qualité que lacharge de travail ; il concerne exclusivement l’analysedes coûts de prise en charge avec un objectif de standar-disation aspécifique à vocation budgétaire, voué à descomparaisons avec les conséquences qui en découlentsur l’égalisation des moyens dans leur adéquation avecla réalité des actions et les projets de soin.

La démarche classificatoire du DSM a été engagée parla volonté de pouvoir confronter les items simples d’effi-cacité issus de la recherche pharmacologique initiée parl’industrie pharmaceutique. Notre propos n’est pas decontester la nécessaire prise en compte de la dimensionéconomique et financière de l’art de soigner et de l’appa-reil de soins (nous y ajouterions de prévention) parl’ensemble des acteurs de santé, avec le tout aussi néces-saire contrôle des dites dépenses, sous la réserve d’ambi-tions pour un soin de qualité égalitaire, avec les réalitéséconomiques de l’époque. Nous ne récusons pas leprincipe de la nécessaire démarche classificatoirelorsqu’elle vise à appréhender dans sa réalité complexerespectée un sujet-objet des soins. D’ailleurs les psy-chiatres français de l’enfant et de l’adolescent, autourdu groupe conduit par Roger Misès, ont manifesté leurintérêt en construisant la CFTMEA validée à la quasi-unanimité des pédopsychiatres français, francophoneset de plusieurs autres pays, reconnaissant à cette classi-fication, dans sa capacité d’analyser les situations clini-ques dans leur complexité contextualisée, l’essencemême de leurs pratiques et de leur engagement dans lesréseaux relationnels de complémentarité. La validationpar les pays francophones et au-delà a confirmé la valeurheuristique et scientifique reconnue par les spécialistes,se disant ainsi en capacité d’évaluer leurs actions, departager les données scientifiques sans sacrifier la com-plexité et la réalité des situations cliniques. Il est sou-ligné l’adéquation entre cet outil, régulièrementactualisé et enrichi de recherches partagées et de prati-ques diversifiées et complexes, et le quotidien de leurtravail.

Une des originalités de notre pratique est la contex-tualisation de son déploiement avec les relations, ren-contres, travail en commun, partage des projets et despratiques au quotidien dans des initiatives concertéesavec nos habituels et indispensables partenaires de nom-breux champs dont le champ familial, scolaire, social etassociatif. Cette réalité contextuée de nos pratiques setrouve contestée par certaines démarches classificatoires

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ignorantes de ces réalités, en ramenant à quelques itemsérigés en dits critères « scientifiques » stérilisant la com-plexité du soin dans la démarche thérapeutique concer-nant « le fait humain » ; nos pratiques impliquent lerespect de ce travail interstitiel dans l’aire de vie du sujettoujours singulier. Ces actions conduites pour le sujetdans la complexité de son histoire et la réalité mouvantede son espace de vie induisent, par effets collatérauxnombreux et substantiels, des infléchissements, trans-formations, mutations de son environnement, de safamille, de l’école (dans ses capacités et possibilitésd’accueil), actions de mobilisation et de requalificationqui sont constitutives du soin et de son essence même.En même temps les équipes de soins sont ainsi soute-nues et enrichies dans la créativité de leurs actions par lerenforcement de leur efficacité mutatoire assurée par cesinfléchissements positifs de la qualité de l’environne-ment du sujet. Il s’agit d’un tissu vivant maintenu en viepar la dynamique de la mise en commun, de l’ajuste-ment et du partage ; cela n’implique aucun sacrifice decompétence mais ouvre à la capacité de se départir, pournos équipes comme pour nos partenaires, des volontésd’hégémonie et d’impérialisme d’un savoir fermé surl’isolement avec des pairs.

L’objectif qui organise nos actions en matière de santémentale des enfants et des adolescents est de favoriser etsoutenir le mouvement de maturation d’un sujet versson épanouissement comme sujet relationnel inscritdans la réalité d’un contexte et engagé dans une histoiresingulière. L’acte de soins dans notre spécialité est aussi,toujours et parallèlement, acte de prévention. Ce travaildu présent sur le futur, à partir d’une histoire, dans uncontexte réintroduit et toujours évalué, se démarqued’une collection stérilisante de symptômes désinsérésde leur contexte élargi qui voudrait plaquer un modèleexclusivement médical (ou abusivement qualifié ainsi)réducteur sur une ambition de soins pour la promotiond’un sujet avec ce que cela signifie d’inscription dansl’obligatoire communication avec et parmi les autres.Dans ces démarches réductrices et excluantes, ils’insinue comme « une lame d’opacité technocratique »,selon l’expression de B. Odier, entre les acteurs de lasanté mentale et leur objet.

Dans une perspective historique, la démarche PMSI,initiée à partir des années 1980, s’inscrit alors dans unepériode économique difficile d’inflation, où la maîtrisedes dépenses de santé, pour légitime et nécessaire qu’ellesoit, va devenir prévalente et au-delà. Le budget global,mis en route en 1983, quels qu’en soient par ailleurs àtravers la comptabilité analytique les apports positifspour la saisine du contexte et des répercussions finan-cières de nos actions, ne permet pas d’oublier que cettedémarche a entraîné un retour, parfois prévalent dans

certaines institutions, à un hospitalo-centrisme rédui-sant à une peau de chagrin les objectifs dynamiques dedésaliénation de la politique de secteur muselée dans sesambitions créatrices d’ouverture vers la vie. Cette poli-tique de secteur associait, rappelons-le, sans les opposerou les mettre en concurrence, les actions de prévention,de soins et de réhabilitation, était engagée dans ladélocalisation vers l’usager des lieux et projets de soins,politique largement dégagée d’une hégémonie hospita-lière au profit de la souplesse et de l’adaptativitéd’institutions compliantes et fluides dans leur fonc-tionnement. On évoquait une aire de vie possible pourun sujet.

Ces éléments, parmi d’autres, ont conduit les acteursdes soins en santé mentale à formuler des critiquesquant aux conditions, sinon le principe, de la mise enplace du PMSI. Le groupe de travail de la SFPEA, avecses partenaires dont l’API, dépassant les critiques, ontformulé des propositions constructives visant à adapterla démarche PMSI pour la rapprocher d’une manièreplus satisfaisante d’objectifs préservant ces principesessentiels de notre activité diversifiée et pluridiscipli-naire de soins au sens large dans laquelle nous la situons.

S’inscrivant dans cette journée où ces différents aspectssont développés par les intervenants, nous centreronsnotre réflexion sur quelques points essentiels.

La démarche de maîtrise des dépenses de santés’impose d’évidence dans son principe. Il apparaîtraitpour le moins contestable de se dégager arbitrairementde cette obligation. Dans cette démarche, beaucoupd’errances, de réflexions, avec des effets négatifs sur lessoins, se sont produites. Nous en citons une articuléeautour de projets de « désaliénation » soutenus par le« Livre blanc » des années 1970… Pour être bref, il s’estagi, sous prétexte de libérer les enfants déficitaires pro-fonds par déficience ou psychoses déficitaires non trai-tées, des asiles, de la création des « maisons d’accueilspécialisées »… Cette opération a alors consisté à rem-placer le potentiel des équipes psychiatriques pluridis-ciplinaires engagées dans des actions ambitieuses desoins par des structures d’accueil dépourvues des per-sonnels spécialisés et compétents en nombre suffisant.Ainsi ont été créées des chimères institutionnelles sansles moyens nécessaires en personnels formés qui auraientpu soutenir des ambitions de soin en équipes élargies.La tendance, en cours, de l’exclusive nourriture despsychiatres en formation au DSM n’infléchira pas posi-tivement la promotion de soins correspondant auxbesoins d’un sujet dans son histoire singulière, en lieu etplace de la traque symptomatique.

La démarche PMSI comporte le recueil des informa-tions et leur traitement informatisé. Cette doubledémarche implique qualité, validité et légitimité du

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recueil des données avec un traitement qui requierttemps, personnels et organisation logistique. Tellequ’elle se profile, on peut redouter que le recueilapproximatif et réducteur ne livre à l’exploitation infor-matisée des données partielles exposées à être constam-ment déviées de l’objectif annoncé. Le professeurB. Golse évoque le risque de passer du « programme demédicalisation des systèmes informatiques » à un « pro-gramme d’informatisation des systèmes médicaux » quin’a pas les mêmes objectifs, loin de là.

Un aspect de cette réflexion sur la place et le rôle desclassifications portera sur le recueil des informations.On le sait, le choix imposé est l’utilisation de la CIM-10.Plusieurs auteurs, dont notre collègue Martine Caron-Lefèvre dans son remarquable exposé d’une positionmédicale respectueuse de nos ambitions de soins, ontanalysé les impasses de cette décision, critiques repriseset développées par N. Quemada et Roger Misès avec lesacteurs engagés dans l’élaboration et la validation de laCFTMEA. Parmi ces éléments, retenons que dans cer-taines démarches de recherche axiologique en quête del’or scintillant de « l’acte médical pur » qui serait désaf-férenté des scories de « considérations humanitaires »qui l’entourent et le polluent dans sa qualité d’actemédical scientifique est-il dit, des démarches classifica-toires qui se déclarent athéoriques et standardisées,procèdent à la stérilisation de la complexité et de lacontextualité de l’acte de soin dans nos spécialités.Ladite médicalisation exclusive et réductrice s’accom-pagne de l’insuffisance de la CIM-10 lorsqu’il s’agit enparticulier des âges extrêmes de l’enfance. Les observa-tions sont difficilement reproductibles dans des situa-tions identiques par les différents acteurs ; l’absenced’items fondamentaux non pris en compte, comme parexemple les incidences et le polymorphisme des consé-quences des dépressions maternelles, la complexité nonévaluée dans leur réalité des prises en charge réduites àquelques actions ponctuelles est notoire. La seule éva-luation quantitative des actes répétés, là où la contex-tualisation doit permettre que la qualité et la complexitéde l’acte soient perçues dans leur intégralité et en parti-culier dans la nécessaire complémentarité des différentsniveaux d’intervention, chacun dans son originalitémais aussi dans ses afférences interactives avec les autres,entre les plans d’action individuel, familial, social etscolaire, a été soulignée. P. Jeammet en dénonce leseffets réducteurs dans les analyses du travail chez lesadolescents dans des termes identiques à ceux del’ensemble de nos équipes en accord avec les analyses deRoger Misès.

Le travail dans l’autour, dans l’interstitiel, les actionsen réseau longuement préparées par la régularité desrencontres et des séances de travail en commun,

l’influence des apports originaux des différents acteurs,la remise en cause des positions ouvrant à la relance dessituations, les effets induits mutuellement entre le sujetobjet du soin et son environnement qui en participe eten subit les infléchissements positifs, sont les élémentsqui constituent la trame et la réalité de notre travail.

La prise en compte d’un tel travail nécessite, commele souligne Martine Caron-Lefèvre, une observation autrès long cours avec une réflexion évaluative dans l’aprèscoup, là où on voudrait programmer des actions par-tielles, stérilisant cette ambition ainsi définie du soin.

Christian Vasseur, avec la belle vivacité de sa plume,montre que le langage unificateur et réducteur du « par-ler » identique et unique DSM est porteur de penséemortifère, stérilisante qui relève, dans ses conséquences,du fonctionnement « psychotisant ». En évoquant avecpoésie la rêverie de l’impératrice Sissi, dans l’EmpireAustro-Hongrois, de réussir à unifier, réduire au mêmepar la séduction qu’elle exerçait, il constate que celal’avait conduite à ignorer que le polymorphisme del’histoire, des langues, des attitudes et situations, lanécessaire présence de l’autre tiers dans toute transac-tion humaine, figurée par « son être différent » étaientles vraies forces de vie ( ?). Leur disparition conduit àl’échec et à la mort de la pensée et à celle du sujetpensant. Serait ainsi explicable, selon lui, l’éclatementde l’Empire et en particulier la faillite de son armée dontles soldats, contraints de ne connaître que les seulsquatre-vingts mots nécessaires aux échanges techniquesau feu, furent dans l’incapacité, à partir de cette languesquelettique, de se souder, de communiquer, de sedélivrer, par-delà les considérations techniques, les motsd’appartenance, de fraternité d’arme, des émotions res-senties… ils furent mis en débandade. On doit redouterquelque chose de ce PMSI séduisant de vouloir toutréduire à un savoir univoque et anticipable qui enlèvetout avenir, toute surprise, toute construction originalenécessaire. Cette originalité mal anticipable est fille descirconstances jamais prévisibles, confrontée au fantasmed’une tour de Babel unifiante où la langue uniquedésafférentée des originalités de la vie empêcherait ledialogue ouvrant à la connaissance de l’autre et à la vie.

Ce choix de la CIM-10 apparaît comme unedémarche réductrice de la compréhension et la recon-naissance de la complexité des situations et de nosactions.

Les concepteurs de la CFTMEA, conscients par leurexpérience de ces éléments, ont voulu, dès le début etensuite par les régulières révisions, permettre un exi-geant ajustement à ces réalités cliniques en maintenantdes écarts significatifs entre les données cliniques etdiagnostiques, et en élargissant, aussi souvent que cela aété possible, comme la révision 2000 le montre, son

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champ d’exploration et de formulation. En cherchant àétablir aussi souvent que possible, en gardant l’espacecritique fondamental, les corrélations avec la CIM-10,en les incluant dans le cadre même du glossaire, elleaffirme son souci d’une démarche à visée scientifique decommunication des données qui, d’ailleurs, implique-rait la réciprocité. Cependant cette volonté agie decomprendre et communiquer laisse entier le champ del’hétérogénéité entre les principes mêmes des deux clas-sifications qui ne relèvent pas des même objectifs et desmême démarches. Chacune garde ses particularités eten particulier la CFTMEA, dans son souci de conserverdes catégories nettement différenciatrices et mutuelle-ment exclusives. La CIM-10 qui va jusqu’à récuser lesdifférences irréductibles névrose-psychose ou crée desconfusionnements dans le vaste et complexe chapitredes dépressions, bien différenciées dans la CFTMEA,ne peut pas rendre compte de l’état du travail, de larecherche et des résultats de notre discipline. La classi-fication française est forte de sa validation exhaustivepar l’ensemble des praticiens français, francophones etau-delà, qui en ont établi la pertinence et l’adéquationavec la réalité des situations cliniques. La volonté d’éta-blir des corrélations est tempérée par l’exigence defidélité à la complexité des faits cliniques.

Notre démarche se veut constructive et positive. Legroupe de travail que nous avons constitué œuvre avecconviction avec les services du ministère et a proposédes avancées dont la prise en compte par nos partenairesdu ministère ont ajusté de façon intéressante l’outilPMSI, en particulier dans les modes de saisine etl’exploitation des données. Nos remarques, réserves etcritiques ont été entendues et, au-delà, reconnues dansleur pertinence. L’utilisation de la CFTMEA est désor-mais reconnue dans sa légitimité à côté de la CIM-10.

Les éléments positifs ayant permis de passer des plansdu simple diagnostic (qui pose le problème dans l’appré-ciation des caractéristiques des situations, de la part dela réalité retenue et celui du choix des mots pour décrireet qualifier ces situations) au plan élargi des situationscliniques prédominantes ou associée expriment la priseen compte des complexités décrites, de la contextualitéet de la singularité des situations d’un individu dans sonhistoire, son environnement et ses aptitudes évolutives.Ainsi les modifications apportées au niveau de l’axe dela CFTMEA, les passerelles (plus qu’équivalences) éta-blies avec la CIM-10, avec les réserves que nous avonsexposées, l’introduction de l’axe bébé 0-3 ans, pourévoquer les dernières modifications, figurent la classifi-cation française en situation d’exprimer sans dénatura-tion la complexité des actions thérapeutiques déployéesen psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Ainsi laréduction dite médicalisée, en prétention d’objectivité

et de rigueur dite scientifique, cède devant l’accès auplan élargi des situations cliniques prédominantes etassociées avec, dans l’appréhension du diagnostic lon-gitudinal, le recours dorénavant reconnu à la CFTMEAau côté de la CIM-10. Cette avancée est notable, parmid’autres, dans la démarche PMSI, pour se départir descaractéristiques adultomorphes des fiches initiales, pourintroduire dans la saisine des données les référencesélargies à nos pratiques au quotidien, à nos actions dansle communautaire, à l’aspect global des situations àsaisir, l’importance du collectif, à la place de l’institu-tionnel libéré des menaces d’une vague reconnaissancesubalterne, avec l’accent mis sur l’interstitiel décrit plushaut. Quand le facteur scolaire a été analysé, nous avonsmontré qu’entre les situations « scolarisées et non sco-larisées », notre pratique, conformément à notre volontéde soignants, traite de l’accompagnement de ces scola-rités complexes, de l’importance des moyens à déployer,de l’importance des liens existants et entretenus avecl’institution scolaire et les enseignants…, démarchesessentielles dans les résultats à espérer et qui doivent êtreappréhendées dans leur exigence de temps, de disponi-bilité, de régularité des contacts et de la confianceréciproque établie. Ce montage du fait scolaire estdémonstratif de ces situations qui exigent que ces condi-tions de la réalité et l’efficacité des soins dispensés soientrespectées. C’est cette réalité-là qui doit être saisie.

Nous sommes-là au cœur de cette complexité quin’est pas réductible à quelques actes isolés. Ainsi main-tenir une scolarité correspond à un projet plus com-plexe et ambitieux qu’une orientation… or, en termed’apparence, le sujet déscolarisé pourrait apparaître plusconsommateur de soins !

De même le concept de « l’isolement » en psychiatried’adulte nous a conduit à montrer que la décision trèsquestionnante d’isolement chez l’enfant correspond enfait à un moment fort de sa présence de fait parmi lesautres en ce que cette décision veut signifier et organiserune modification organisée et accompagnée du rapportà l’autre, et non pas une situation géographique impo-sant une expérience d’abandon au sujet.

Le considérable travail réalisé avec la direction deshôpitaux a permis de soutenir une dynamique de co-opération critique, ouverte et exigeante sur les pointsessentiels de notre repérage théorique et pratique. Desconvergences en sont nées ; le bien-fondé de nos criti-ques qui sous-tendent nos attitudes est compris d’autantque la notion des spécificités de l’application du PMSIen psychiatrie avec la prise en considération de la diver-sité des outils de prise en charge, l’importance de la partextra-hospitalière des soins, la nécessaire continuité desactions de soins sur une longue durée était admise. Desmodalités adaptées du recueil des données en ont

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découlé avec le recours aux situations cliniques et nonau simple diagnostic par exemple. Nous travaillons à laprise en compte différenciée de la contextualité quin’est pas réductible à quelques repérages de certainessituations isolées de leur contexte. Un tel élargissementcomplexifiant s’oppose à la collecte de symptômeségarés, partiels et informes traitant exclusivement dufonctionnement interne des services au lieu de la priseen compte du développement en réseau envisageant lesbesoins des populations et du concours nécessaire desdifférents plans d’intervention en actions complexesorganisées et régulières (famille, social, scolaire et indi-viduel).

Ainsi, le débat à poursuivre se libère du « Que soigne-t-on ? » au profit du « Qui soigne-t-on ? ». Ainsi, lacontextualisation restera, à côté de la prise de cons-cience de l’irréductible humanité du sujet en soin, deséléments de recherche des rencontres à venir. Par leseffets « induits », la recherche de cet acte médical « pur »,dit « noble », marqué de l’airain du scientifique, estsous-jacente, voulant opposer des actions de soinsréduites à la « médicalisation » des prises en compte dessituations à des actions dites « sociales et d’héberge-ment » décrites comme des éléments étrangers au champpsychiatrique. Ces aspects de la souffrance psychique,

au cœur de la problématique des sujets, seraient dès lorsconsidérés comme relevant non plus de soins et d’assis-tance, mais de la « sollicitude sociale » avec le change-ment d’objectif que cela représente. Cette entreprisesimplificatrice, dénoncée par Hartmann lui-même, ins-crite dans l’impérialisme du symptôme, psychiatrie sanstiers, enfermée dans la certitude de son discours voulu« scientifique pur », avec les guillemets requis, pourrait,si nous baissons notre vigilance, miner la démarchePMSI par ses effets réducteurs et décontextualisants.

La Classification française, dans ses objectifs et réali-sations, veut donner à la démarche axiologique la com-plexité de la prise en compte de faits complexes,évolutifs, nécessitant la convergence de niveaux, deplans d’abord et d’approches convergents dans leurdifférence en restant au plus près de la clinique dans sesaspects évolutifs et non figés. Les adaptations régulièresde la CFTMEA, qui devraient induire la réciprocité,fondent une part de la légitimité d’une référence, dansl’esprit d’une prise en compte du sujet souffrant dans lasingularité de son histoire, à une classification qui s’ins-crit dans le souci humanisant du soin par la reconnais-sance de la place irréductible de l’autre et des autres,organisant leur savoir et leur savoir-faire autour de lasouffrance d’un sujet.

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