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rencontre 2La
de deux univers
3Un outil pour
écrire, oraliser et jouerLe amishibaïK
Le carnet de voyageP.8
Sommaire
septembre
272012
juin202013
Avant-propos
p.4
déclenchement le1
p.8
p.10
p.14
le plaisiren route vers des mots
4
p.16
en cours
5Une
histoire
p.29
février
252013
mai
212013
mai142013
juin262013
février 8
2013mai
282013
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Qu’est-ce que c’est ? Initiée et accompagnée par Anis Gras, Labelle Ecole est une école
qui s’imagine et s’expérimente en permanence avec et par des artistes, des professionnels de l’éducation et des acteurs culturels. En partenariat avec l’Education Nationale, elle tente de créer à
l’intérieur du système éducatif et par la rencontre avec l’art « des chemins de traverse » propices à dénouer les nœuds rela-
tionnels et réactiver le plaisir d’être et d’apprendre
Un processus de travail qui conjugue art, école et cultureLabelle Ecole peut s’implanter n’importe où, sur un plateau de
théâtre, dans la classe, dans la rue, qu’importe… Impliqués dans un même processus créatif, enseignants, artistes et enfants se
rassemblent, dialoguent, jouent pour réinventer un espace social original d’expression et d’apprentissage individuel et collectif.
Au-delà de tout clivage intergénérationnel, social ou culturel, les participants s’approprient des langages sensibles qui modifient leur manière de percevoir et de penser le monde. Contrairement
aux savoirs objectifs d’ordinaire enseignés à l’école, chacun apprend à se tromper, à chercher, à faire, à éprouver pour se fabri-quer son propre chemin d’accès à une meilleure connaissance de
soi et de l’autre.
Une école du désir. Le préalable, c’est le désir. Désir de faire quelque chose ensemble pour mieux aider l’enfant à grandir, désir de poser un autre regard sur sa pratique professionnelle qu’elle soit éducative ou artistique, désir de transmettre ce qui fait « sens », désir de se sentir plus libre
et plus autonome…
Un chantier qui se réfléchit et s’expérimente en binôme ensei-
gnant-artisteTout projet de Labelle Ecole répond à la demande d’un enseignant. Selon la teneur, une rencontre est organisée avec un artiste pour qu’ils imaginent en complicité des voies nouvelles d’apprentissage qui vont les obliger à se déplacer de leur rôle habituel. Dans une écoute attentive, ils expérimentent pas à pas dans la classe des séan-ces de travail ou « modules » qui amènent les élèves par un travail du corps, des émotions et de l’intellect à une meilleure affirmation d’eux-mêmes dans une inscription communautaire. Ici, pas de pé-dagogie descendante du maître ou de l’artiste vers l’élève, ni d’outils d’apprentissage adaptables « clé en main » à tous les contextes, Labelle Ecole est un laboratoire où la pratique de l’art, sans être une finalité, est un moteur de vie qui s’apprend, se partage, s’éprouve et se transforme dans une égalité d’échange et dans la surprise de ce
que chacun peut venir apporter ou révéler.
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6 7
La question de la qualité de la relation à l’autre est au cœur du projet de Labelle Ecole, l’autre qui fait peur, l’autre qui est différent, l’autre qui ne parle
pas la même langue, l’autre qui est étranger …Labelle Ecole tente de créer une aire intermédiaire,
une « zone de respiration » hors menace, hors hiérarchie, qui puisse permettre la naissance d’une nouvelle alchimie des relations humaines.
Dans le respect des directives du Bulletin Officiel du ministère de l’Education Nationale, elle déclenche un processus de travail qui ne perd jamais de vue la notion de progression pédagogique. Néanmoins, avec humilité, sans certitude, elle revendique le droit au tâtonnement en laissant toute la place à l’émergence de l’imprévisible
et de nouveaux possibles…
Episodes d’une aventure « en cours »
Sur ces principes et ces objectifs, 6 artistes, 8 enseignants ont dé-siré dans une volonté conjuguée s’impliquer dans cette dynamique
constructive d’apprentissages multiples. Au départ, une page blanche à rêver et à écrire ensemble dans le contexte contraint de l’école. Le programme du Bulletin Officiel du Ministère de l’Education Nationale est la référence commune sur
laquelle tous les participants s’appuient avant de « prendre la route ».
A chaque projet, autant de paramètres différents : élèves, établis-sements, enseignants, parents, artistes, attentes, problématiques, environnements… et autant de questions à résoudre : comment poser des objectifs communs de travail, comment définir sa place respective, comment se glisser à l’intérieur de la temporalité et de
l’espace scolaire, comment être dedans et dehors à la fois…
Dominique Duthuitjournaliste, regard extérieur de labelle école
6 7
Enfants, artiste et enseignants ont participé pendant l’année scolaire 2012-13 à un projet-
laboratoire initié par Labelle Ecole. Tous ont ressenti le besoin de témoigner de cette expérience pour en garder une trace et
la transmettre à tous ceux qui désirent aujourd’hui imaginer et construire ensemble de nouveaux chemins d’apprentissage dans
le cadre de l’école. Cet ouvrage est un outil de réflexion qui, sous la forme d’un carnet de voyage illustré, restitue les séances et les
commente pour qu’artistes, enseignants, parents, acteurs culturels puissent s’en nourrir et poursuivre l’invention d’ espaces singuliers
d’expression et d’émancipation.
8 9
Alors que Labelle-Ecole n’en est en-core qu’à ses balbu-tiements, l’équipe d’Anis Gras le lieu de l’autre se rend dans les éco-les d’Arcueil pour parler du projet et recueillir des avis d’enseignants.
Après un très bon premier contact avec la directrice de l’école élémentaire qui trouve que « Ça donne du sens aux apprentissages de les voir autrement » nous nous retrouvons à l’école en septembre 2012, pendant une pause déjeuner, avec cette dernière et quelques enseignants.
Après l’exposition de notre projet, et devant le mutisme de notre assemblée nous deman-dons si quelqu’un a des questions, si cette démarche leur semble intéressante au sein de leur établissement, si certains aimeraient tenter l’aventure.
Malgré l’enthousiasme de leur directrice, les enseignants ne parlent pas beaucoup, ils ne voient pas en quoi un artiste pourrait les aider. Ils sont pressés car c’est la pause du midi et ils ont encore beaucoup à faire. Certains nous avouent ne voir dans notre proposition qu’une charge supplémentaire de travail et ne sont pas du tout tentés par cette aventure.Alors que nous nous apprêtions à rentrer un peu déçus, une enseignante vient nous trouver dans le couloir.Elle n’a pas osé parler devant ses collègues mais l’aventure l’intéresse. Elle est enseignante dans une classe de CE1.
Le projet Labelle-Ecole est officiellement lancé. Des enseignants et
des artistes sont prêts à tenter l’expérience.
Nous retournons donc vers l’enseignante de CE1qui a pris le temps
de réfléchir au projet.
février
82012
Dans ce carnet de voyage, nous allons suivre Anne-Sophie enseignante de CE1 et Charles conteur. Pour la première fois l’un et l’autre
expérimentent Labelle-Ecole.
Carnet de voyage
Au départ, mon envie était de travailler la production
d’écrit d’une manière inhabituelle. J’avais la chance d’avoir une classe facile et enthousiaste qui aimait les séances de poésie. Je voulais qu’ils apprennent à jouer avec les mots pour mieux réussir à expri-mer leurs émotions, leurs idées et leur imaginaire
Comme nous l’avons stipulé en amont, le projet de Labelle-Ecole se réfère aux pro-grammes scolaires et au socle commun de connaissances et de compétences. Il est donc indispensable que notre action corresponde aux critères de compétences que doit acquérir un élève de CE1.Dans cet atelier nous travaillerons :z la compétence 1 : La maîtrise de la langue française du socle communz la compétence 7 : L’autonomie et l’initiative
Voilà les critères de compétences à travailler que nous avons retenues pour
ce module
déclenchement le1
septembre 272012
Anne-sophie : Compétence 1
En CE1, l’élève est capable de :z s’exprimer clairement à l’oral en utilisant un vocabulaire approprié z lire seul, à haute voix, un texte comprenant des mots connus et inconnus z dégager le thème d’un paragraphe ou d’un texte court z copier un texte court sans erreur dans une écriture cursive lisible et avec une pré-sentation soignée z utiliser ses connaissances pour mieux écrire un texte court z écrire de manière autonome un texte de 5 à 10 lignes
Compétence 7
En CE1, l’élève est capable de : z écouter pour comprendre, interroger, répéter, réaliser un travail ou une activité z échanger, questionner, justifier un point de vue z travailler en groupe, s’engager dans un projet
10 11
Dans ce projet innovant, rien n’est établi, tout est à construire par tous avec néanmoins un propos très clair, celui de faire ensemble dans le cadre de l’école et en répondant aux
objectifs de l’école! Ce qui me plaît là-dedans, c’est l’idée de rencon-tres entre artiste, enseignant et enfant. Sans avoir de recettes, notre boulot c’est de réfléchir encore et encore pour que l’enfant soit à même de s’approprier son apprentissage, qu’il soit en mesure de dire, de verbaliser, de ressentir.
février
252013
Afin de répondre à la demande de l’ensei-gnante, nous avons rencontré un conteur : Charles.
Lors de cette première prise de connaissance, on lui demande le pourquoi de son attirance pour le conte :
Je suis fasciné par le côté non artisti-que et insolent de la chose. On est ancré dans le quotidien, avec une apparente faci-lité, on bouscule les lignes avec rien, on se sent libre. Il y a une magie de la simplicité, une façon de mentir vrai et de regarder dif-féremment le monde»
Charles
C
C
A la question de son lien à l’école, il ré-pond
Je hais l’école, je suis fils de prof, mais ce n’est pas mon monde ! C’est un lieu d’apprentissage qui nous fait passer à côté de quelque chose d’essentiel, de l’ordre du partage, de l’étonnement et de la créativité. Modestement, j’ai envie de bousculer cette institution.
Cet artiste a été un des premiers à s’intéresser au projet de Labelle-Ecole.Après lui avoir exposé les envies d’Anne So-phie, il accepte de la rencontrer.
Avec Anne-Sophie, au dé-part, j’ai essayé de donner des pistes de travail, d’écou-ter ses envies, de parler de
moi et du conte, j’ai beau-coup parlé et questionné pour
me sécuriser peut-être…Notre relation a tout de suite été évi-
dente, simple, sans achoppement…En même temps, il faut se méfier de ça,
dans ce genre de laboratoire, il est nécessaire de se bousculer, de perturber l’ordre établi, de chercher les limites pour tenter de créer quelque chose de fort et d’innovant.
Cette première rencontre est très importante et doit être pensé
avec beaucoup de bienveillance. L’un et l’autre on t des compétences, des savoirs
et des envies dans leur domaine mais égale-ment des peurs, des projections et des idées
reçues sur l’autre. Il s’agit de créer un premier espace dans lequel chacun va
pouvoir faire un pas vers l’autre.
«notre boulot c’est de réfléchir encore et encore pour que l’enfant
soit à même de s’approprier son apprentissage,
qu’il soit en mesure de dire, de verbaliser, de ressentir»
12 13
ils travaillent beaucoup sur le conte ?euh, …non, non ! ah, si, on a fait un conte moderne !sans entrer dans quelque chose de trop académique, les enfants
ont le conte en eux, ils en ont largement senti les composantes, ça me paraît important de leur faire sentir qu’ils ont un bagage…
ouidans un conte, ils comprennent que s’il y a un ogre et une
petite fille, il y en a forcément un qui va se faire manger… et on sait tout de suite qui c’est…
(rires) Ils ont du mal à exprimer ce qu’ils ressentent?oui, c’est un peu compliqué pour eux, c’est toujours un peu
manichéen, j’aime bien, j’aime pas, rien de plus, je pense que c’est lié à leur âge…
c’est les mots qui leur manquent… pour exprimer la peur?non la peur ça va, être amoureux, ça, ils connaissent, mais pour
la joie ou la tristesse, ils ont du mal à saisir les nuances (…)moi, je suis conteur, donc, je travaille beaucoup sur les histoi-
res, la narration est un des outils qui permet de rentrer dans le mot et dans la phrase, il y a du dialogue ou il n’y en a pas, il y a des formulettes qui apportent de la rythmique dans les histoires, et je pense que toutes ces choses peuvent aider à donner envie…
oui, c’est ça, je trouve que c’est très important dans les petites classes de leur donner envie de lire, de découvrir, ça passe par les histoires, c’est sûr !
le fait de décomplexer l’écrit, le mot, me paraît quelque chose d’important et de complètement jouable… je ne sais pas si vous connaissez
ce que j’ai retenu dans cette histoire là, c’est le mot décomple-xer, c’est le vôtre ?
non, ce n’est pas le mien, mais c’était le même sens, c’est peut-être la directrice mais c’est exactement ça !
décomplexer… moi ce que j’en ai compris, c’est familiari-ser les enfants avec les mots, faire sortir les mots du livre, leur donner une fonction, une couleur, les rendre festifs et vivants, se marrer avec les mots…
oui, c’est ça, les enfants ont besoin de vivre le mot !voilà ! les mots doivent susciter l’envie de quelque choseexactement !bon on est d’accord là-dessusoui parce qu’on travaille beaucoup sur la littérature, sur la
production d’écrits, sur la grammaire, mais après, réussir à faire le lien entre les histoires et la syntaxe, c’est difficile ! Réutiliser le mot pour eux, réinvestir le mot, le mettre dans leurs phrases, pour eux, c’est toujours compliqué !
moi, ce qui m’intéresse, c’est de sentir, de comprendre de quelle nature sont les blocages avec l’écrit ! Qu’est-ce que vous voudriez, vous, faire de l’écrit, et eux, comment se comportent-ils par rapport à l’écrit ? … qu’est-ce que je veux dire par là…l’écrit peut avoir quelque chose d’assez froid, il peut servir à retraduire quelque chose qu’on a entendu, on peut se servir de l’écrit pour dire quelque chose ou pour faire faire quelque chose, là, ça devient un outil…voilà, je ne sais pas si on peut travailler sur tous les objets en même temps
(rire) : non !oui, en trois séances, on ne pourra pas tout faire
Charles compulse ses notes…on peut peut-être trouver un axe…
C
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AS
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CAS
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Extrait de l’échange entre Charles, Anne-Sophie et Maroussa (chargée de mission
Labelle-Ecole)
Nous reviendrons souvent sur des échanges entre les différents protagonistes aussi
convenons de ce code couleur z Bleu pour l’artiste
(Charles)z Orange pour l’enseignant
(Anne-Sophie) z Vert pour les enfants
z Noir pour les personnes extérieures.
Je savais que Charles allait m’apporter sa fa-çon de voir les choses, moi, je suis très cadrée
dans ma manière de faire, mes séances sont toujours dans le même style, je savais qu’il allait m’aider à découvrir et à transmettre autrement le dire, le lire, le raconter.Sa venue ne répondait pas une nécessité, mais plutôt à une envie de sortir de mes habitudes
Anne-sophie
14 15
3Un outil pour
écrire, oraliser et jouerLe amishibaïK
Le kamishibaï est un petit théâtre d’images d’origine japonaise. Des années 20 aux années 50, les conteurs de rues le posaient à l’arrière de leur vélo et se déplaçaient de ville en ville pour raconter des histoires aux enfants. Il a la forme d’un mini-castelet en bois à deux ou trois portes, appelé « butaï », littéralement « scène ». Utilisé encore aujourd’hui dans les écoles maternelles nippones, il se rapproche du théâtre de Guignol, mais avec des images à la place des marionnettes
Chaque planche cartonnée représente un épisode du récit. Le recto de la planche, tourné vers le public, est entièrement couvert par l’illustration, alors que le verso est réservé au texte. Au fil de la narration, le ou les conteurs font coulisser les planches.
Les images sont empilées dans l’ordre des numéros des textes. On lit (ou on improvise) le texte n°1, puis on enlève l’image que l’on glisse derrière les autres et derrière laquelle se trouve le texte de l’image suivante... Et l’on revient ainsi au point de départ.
Parfois le passage d’une image à l’autre se fait très lentement pour créer du suspense, parfois l’image est retirée rapidement, créant un effet de surprise1. Cette technique, particulière au kamishibai, donne du mouvement à l’illustration, comme dans un dessin animé.
Anne-Sophie et Charles se sont retrouvés
une deuxième fois pour préciser le contenu des interventions et leur manière
de travailler en binôme à partir de cet outil. L’un et l’autre ont des compétences, des savoirs et des envies dans leur domaine mais également des peurs, des projections et des idées reçues
sur l’autre.Le kamishibaï est un axe de travail qui les
rassemble et qui va leur permettre de pouvoir faire un pas vers l’autre.
tz Atelier de construction
et d’art plastiquez Atelier d’écriture
z Atelier d’éducation à l’imagez Atelier de sensibilisation
à l’art du contez Représentation théâtrale interclasses ou
à l’extérieur du cadre scolaire
Pistes de travail interdisciplinaire
à partir du kamishibaï
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mai142013
le plaisiren route vers des mots
423 enfants de CE1 attendent patiemment l’arrivée du conteur
Pour sa première intervention, Charles est en retard. Ce n’est pas grave, en enseignante organisée Anne Sophie demande de sortir le cahier Bleu afin qu’ils collent une feuille en attendant. Elle explique comment coller la feuille. Une distributrice donne les feuilles aux enfants.
C’est dans cette atmosphère calme que Char-les arrive comme une tornade avec deux sacs dans chaque main.
Témoignage des enfants « Charles il est grand, il a une voix forte, il est mar-
rant c’est un conteur, son métier, c’est de raconter des histoires.! »
Grand, imposant avec une voix forte et grave, Charles est assez impressionnant. D’autant plus que cette école ne compte que des ensei-gnantes et un seul maitre assez discret.Anne Sophie est tout l’opposé du conteur: plutôt petite avec une voix calme et douce qu’elle n’élève presque jamais. Elle nous confiera plus tard qu’elle a une faible tolé-rance au bruit.
Les sacs à peine posés sur le sol, et encore en train d’enlever son manteau, Charles s’adresse aux enfants et les invite à répondre à ses multiples questions. Il aimerait notamment savoir ce qu’on leur a dit sur sa venue.
Pendant trois mardis à une semaine d’intervalle, Charles intervient dans la
classe de CE1 pendant 1h30. 13 30
le mot
Et si onouj ait
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Les enfants se lancent, Charles commente les nomsLa maîtresse a dit qu’on allait travailler
Ensemble, j’ai dit qu’on allait travailler ensemble
La maîtresse a dit que quand on allait raconter des histoires à des gens on allait être plus à l’aise
Que tu allais nous apprendre des mots
On lève le doigt, on dit son prénomLuce, on a dit que tu venais raconter
des histoiresElle a dit qu’on allait faire quelques
activitésLa maîtresse nous a dit que tu allais
nous apprendre à être bien quand on écritQuand on est bien assis on écrit bien ?
Pour raconter des histoires, on est mieux debout ou assis ?
ASSIS, DEBOUT
C
AS
AS
RidiculiséComment il serait habillé ? Comment
il s’appellerait ?Jean Michel, Monsieur Saxophone,
Paul, Maxophoniste, Mister Orchestre, Pierre, Robert Saxo
C
Qu’est ce que c’est ?Un téléphoneUn saxophoneOk c’est un saxophone Quel genre de
musique on fait ?La musique enregistréeUn saxophone qui ferait une sonnerie
de téléphoneIl y a des règles dans la classe
Reprend la maîtresse quand il y a trop d’ex-citation
C
C
AS
Charles demande d’imaginer la personne qui arrive dans un orchestre avec ce saxophone là comment serait-il ?
Robert Saxo, il est marié ?Oui, avec Mademoiselle Xylophone
qui ressemble à une sourisAvec un garsÇa fait penser à quoi xylophone ?Ça fait penser à gligliCe que monsieur Saxo aimait faire avec
Madame Xylophone c’était des gligli. Un Xylophone ça ressemble à quoi ?
Comme une branche avec des bananesIl a des enfants ?Non pas encoreIl habite où ? Sa maison ressemble à
quoi ?Sa maison ressemble à un gros Saxo-
phone
C
C
C
C
C
Le premier jour quand ils ont dit
que mon dictaphone était un saxophone, on a commencé à jouer, on est sorti de ce qui était prévu. J’ai besoin de ces imprévus, de ces pro-positions inopinées qui nous emmènent là où on ne sait pas…
Charles
Voici un extrait de leurs fantaisies.
C’est dans cette atmosphère et dans une adresse constante aux enfants que se dérou-lera cette première intervention.Chaque mot prononcé peut devenir un nouveau terrain de jeu pour toute la classe. Certains enfants peu habitués à cette prise de parole intempestive restent très sages, d’autres petit à petit se libèrent et ont du plaisir à jouer avec les mots.Dans cette première heure et demi, Char-les introduit également le travail avec le
Kamishibaï, sous forme de devinette et en travaillant avec les images, il invite petit à petit les enfants à apprivoiser cet outil à raconter.
le plaisiren route vers des mots
4
Devant cet enthousiasme et tout en continuant de parler, Charles sort un dictaphone et demande ce que c’est. Un enfant répond qu’il s’agit d’un saxophone.Est-ce qu’il s’agit d’une erreur, d’un trait d’humour? Peu importe.Cette intervention veut travailler sur un rapport au mot décomplexé et si on jouait au mot ? À partir de ce moment-là, Charles décide que le dictaphone est un saxophone et il invite les enfants à pousser plus loin leur imaginaire.
Manifestement les enfants ne manquent pas d’imagination
l’imagination, quand elle est stimulée oralement mais
Qu’en est-il lorsqu’ils passent à l’écrit ?
Comment garder ce même plaisir ?Et si on écrivait le mot ?
20 21
Après l’oral, il s’agit désormais d’aborder l’écrit. Le Kamishibaï s’appuie sur des images et un récit qui les met en relation. Charles veut que les enfants créent leurs contes, avec leurs mots. Il confie donc à Anne-Sophie la mission de leur faire écrire ces contes par petits groupes de quatre ou cinq : chaque groupe se voit attribuer quelques images du Kamishibaï distribuées aléatoirement, sans lien logique apparent. A eux à présent de faire parler ces images, de nouer des liens entre elles avec les mots, et d’écrire une histoire commençant par « il était une fois ».
le mot écrivaitEt si on
le plaisiren route vers des mots
4
Anne-SophieCharles a été le principal acteur pendant les trois ate-
liers. Je n’ai été que spectatrice et « incitatrice » auprès des élèves. J’ai complété le travail de Char-les entre les ateliers un et deux puis deux et trois. Il s’agissait de séances de productions d’écrit pen-dant lesquelles les élèves devaient se mettre d’accord pour écrire un court texte sur chaque image du conte (trois ou quatre images par groupe). Le texte du conte était in-connu et les images distribuées au hasard afin que les enfants puis-sent inventer leur propre histoire sans être influencés par le récit initial. Charles et moi avons donc eu un travail complémentaire.
...travailler en-semble, s’écouter; trouver une co-hérence entre des images qui n’en ont a priori pas, faire naître du sens...
22 23
le plaisiren route vers des mots
4
Aujourd’hui personne n’est en retard, Charles et Anne Sophie prennent un temps pour échanger autour des tex-tes des enfants avant que ces derniers ne rentrent de récréation.
Une fois les élèves installés, Charles com-mence à déambuler dans la classe. Devant le regard interrogatif des enfants, il dit
« je marche pour me donner des idées. J’essaye quelque chose pendant deux secondes »Puis il court et se fige dans une position, dans cette position il commence à penser à une situation et l’énonce.
« J’essaye de voir si quand je fais une posture, un mot me vient. Je marche, je m’arrête et je vois. J’essaye. Il ne faut pas que je réfléchisse, il faut que j’y aille. »Il s’élance et s’arrête.
« Je vois qu’il y a une météorite »Il recommence et change de posture
« Il y a un ver de terre non deux et je les pointe du doigt. »
mai212013
je marche pour me donner des idées. J’essaye quelque chose
pendant deux secondes
C
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Après cette étrange démonstration, Charles invite les enfants à venir s’installer dans la pièce à côté. Aujourd’hui il a une petite idée dans la tête. La dernière fois il a tenté de décomplexer le rapport au mot en utilisant les jeux de langage, là il aimerait tenter de décomplexer le mot avec le corps.
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Et sinotre corpsnous donnait
de direenvie
?motsdes
le plaisiren route vers des mots
4 Marchez. Stop. Qu’est-ce que tu fais ?Je regardeJe coursJe chanteJe ne sais pas, je...T’es en train de pousser une montagne?Je voleJe fais peurQu’est ce que tu fais ?Je tiens un caddyMarchez, marchez, marchez, marchez.
StopJe me donne une baffeStatue de la libertéJe me défendsaJe tire à l’arcJe croise les brasJe suis un lion J’ai froidD’accord, marchez. Là ça va être un
mot.Je vous demande de ne pas trop réfléchir. Il y a des mots qu’on a envie de dire des fois quand on est dans certaines positions. Ecoutez ce que vous dit votre corps. Marchez.
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L’exercice est simple. Alors que le reste des camarades est assis sur des chaises à observer, dix élèves marchent dans l’espace. A n’importe quel moment Charles peut dire “stop” et les enfants doivent se figer en statue dans une position choisie. Charles passe ensuite autour de ces statues, leur demande ce qu’elles sont en train de faire, ce qui leur vient à l’esprit et sans réfléchir les enfants répondent.Voilà ce à quoi peut ressembler cet exercice.
Cet exercice est intéressant car le corps est assez peu mis en jeu pendant la classe qui est davantage le lieu de la tête, le reste du corps étant réservé aux heures de sport.Pourtant ce type d’exercice peut se faire dans l’espace classe et permet aux enfants de tous les niveaux de réinventer leur rapport au mot.
z Par exemple, les enfants se mettent en ligne dos au reste de la classe, l’artiste ou l’enseignant disent un mot et frappent dans leurs mains, au clap les enfants se retournent et traduisent le mot
avec leur corps.Si c’est la première fois que ce type de travail est fait dans la classe, commencer avec des personnages plus faciles à interpréter comme “sorcière”, pour aller vers des concepts lorsque les enfants
trouvent leurs marques comme “printemps”.
D’autres exercices peuvent être
imaginés.
26 27
FootAnimauxVoitureEntraineurBallonMaman
Charles change d’instrument, de mélodie, de tempo cherchant si d’autres mots appa-raissent.Il cherche un rythme avec son instrument et c’est parti.
Est ce qu’il y a un mot que vous aimez vraiment dire ?
BleuUn mot qui vous met vraiment en joieTrampolineAh oui on dirait que tu le manges, que
tu le dégustes. Moi je vais vous en donner un en espagnol. Il y en a qui parle espa-gnol? Oui, mais y en a qui viennent vrai-ment de partout. Je dis le mot Mariposa. Avant de dire ce mot j’ai envie de faire ça.
Charles fait une figure. Il y en a qui savent ce que ça veut dire ?Je ne sais pas ce que ça veut dire. Mais
je l’ai déjà entendu.Ça veut dire papillon. Un mot que
vous aimez bien, je mets de la flûte. Un mot qui vous fait du bien.
TrampolineDormirCavalou
C’est pourtant sous cet angle que va commen-cer la séance. Après avoir jeté les
mots sans se soucier de leur sens, après les avoir passé par le corps, si on les passait par la bouche? Si on les goutait?
Afin de nourrir les didascalies travaillées en classe avec Anne Sophie, ils vont aujourd’hui chercher le plaisir de dire leur mot.
Encore une fois dans la salle attenante à la classe, les élèves font deux groupes. un groupe sera spectateur, l’autre fera l’exercice.
Drôle de question à
8 30
Accompagné de ces instruments de musique, Charles cherche avec eux le plaisir de dire les mots.
C
C
C
C
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le plaisiren route vers des mots
4
Est ce qu’il y a un mot que vous aimez vrai-ment dire ?
mai282013
Ces exercices de corps sont suivis par la lecture des histoires des différents groupes, accompagnés par divers instruments de mu-sique apportés par Charles.Charles et Anne-Sophie ont pu alors ob-server que le passage à la lecture était as-sez laborieux. Alors qu’ils commençaient à prendre des libertés dans les exercices avec le corps les enfants semblent pour la plupart coincés dans leur lecture sans liberté, ne laissant aucune place à la fantaisie.Anne Sophie décide donc de reprendre les textes et de retravailler en groupe dans la se-maine à l’écriture de didascalies afin de per-mettre aux enfants de s’exprimer davantage.
28 29
Fort de cette expérience les enfants vont maintenant raconter de nouveau leurs histoires avec le Kamishibaï.
Le même travail est effectué avec les mots de leur texte. Est ce qu’il y a des mots dans leur texte qui leur plaisent vraiment et comment les dire pour que ce plaisir transparaisse?Des enfants s’y essaient, ce n’est pas facile mais encouragés par Charles et Anne-Sophie, certains timidement se lancent.
Les histoires commencent à prendre vie sur quelques mots chez les plus téméraires.En effet, c’est un travail de longue halei-ne et nous ne sommes qu’au début. C’est maintenant à Anne-Sophie et aux enfants de continuer cette recherche sans la présence de Charles.
Anne-Sophie Les séances de production en classe se sont bien déroulées. Les élèves ont eu quelques difficultés à lier les images entre elles lors de la première séance. L’introduction de
remarques supplémentaires aidant à la lecture du texte a été un peu plus difficile à mener car les enfants ne voyaient pas bien comment apporter des précisions sans changer l’histoire. Les ateliers se sont conclus sur le récit du conte en entier par Charles, un moment vraiment captivant pour tout l’auditoire.
Cet arrêt dans notre carnet de voyage n’est pas une conclusion, mais au
contraire le début d’un nouveau voyage dans lequel nous avons
invité enfants, enseignant et ar-tiste à s’exprimer autour de cette
expérience.Nous avons également eu besoin de ce
temps pour observer le chemin parcouru, les endroits de rencontre du binôme enseignant-artiste mais éga-lement les endroits où ils n’ont pas osé.
Avec le recul, je pense que nous aurions du déconstruire le cadre un peu contraignant de la classe pour mieux nous
permettre de vivre des situations de créativité et d’émerveillement. Je pense par exemple aux doigts levés, c’est un geste rituel qui met le corps dans une situation particulière. Quelle qu’en soit la raison, on lève le doigt pour demander à aller aux toilettes, pour donner une bonne réponse, pour prendre la parole… Je n’ai pas osé chan-ger ces habitudes, j’avais envie d’aller doucement et de laisser un temps de maturation, et puis la rencontre était brève, 3 fois 3 heures, c’est juste le temps de se dire bonjour…
Charles
Il ne s’agit nullement dans cette partie de stigmatiser l’un ou l‘autre mais d’observer qu’il n’est pas toujours facile de lâcher des habitudes de travail ou d’oser dire à son binôme qu’on aimerait essayer autre chose ensemble. A l’origine, bien que nous soyons d’accord qu’il s’agisse avant tout d’une ex-périence au cours de laquelle l’erreur est possible les enfants restants dans un cadre sécurisant et bienveillant, une fois les inter-ventions commencées, chacun est sans cesse tenté de retourner dans la zone de confort qu’il connaît.
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Témoignages des enfantsCharles nous a appris à inventer des histoires bien faites, des histoires qui sont dans notre tête.
Avec lui, c’est différent de l’école, on ne se rend pas compte qu’on travaille, on a l’impression de jouer, c’est beaucoup mieux ! On a très envie de continuer d’autres séances avec Charles parce qu’on apprend à faire plaisir aux autres, à écouter et à comprendre !
Anne-Sophie J’ai senti certains élèves timides plus détendus entre la première et la dernière séance. Certains ont pris assez
aisément la parole (par exemple pour mettre un mot sur le son d’un instrument) par rapport à ce qu’ils sont capables d’exprimer en classe. Je pense que c’est une expérience posi-tive pour la plupart des élèves. Elle serait évidemment plus pertinente si les séances étaient plus nombreuses.Charles : J’ai constaté une meilleure perception et compréhen-sion des exercices inhabituels que je leur proposais, progres-sivement ils réussissaient à mieux mettre leur corps et leur voix en jeu mais en restant néanmoins encore très tendus.
CharlesJ’ai été touché par la rencontre avec la maîtresse et les enfants. Même si elle a été
un peu tronquée, elle a été suffisante pour nous donner envie de poursuivre en repoussant plus loin les lignes. On est en chemin, la forme se pré-cise ! J’imagine en ce moment de nouvelles situa-tions avec un agencement différent de la salle de classe qui casse l’éternel rapport frontal. J’ai envie aussi de donner aux élèves un rôle de formateur et d’instigateur. Les adultes deviendraient les scribes, le pouvoir ne serait plus entre les mêmes mains. Ce projet est un projet de longue haleine qui doit nous donner à voir et à comprendre, essayons, constatons, modifions et continuons de construire des outils de réflexion !
Anne-SophieAujourd’hui, j’aimerais poursuivre ce travail en m’impliquant avec plus de spontanéité. Je
n’ai aucune peur, j’adore les activités qui permet-tent aux enfants de s’exprimer, j’aime jouer et me mettre en scène. J’ai la chance d’avoir des élèves avec qui il est possible de repousser les limites du cadre sans perdre pour autant perdre de vue
le respect des règles de vie. Je sais que quoique nous fassions, je resterai toujours la maîtresse, il n’y aucun danger, les enfants s’adaptent, tout est possible, j’ai envie de continuer à expérimen-ter quitte à reprendre si on se trompe! »
juin262013
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Anne Sophie Gousseau,Charles PiquionLes élèves de la classe de CE1 de l’Ecole Jules Ferry à ArcueilMme TristramDominique DuthuitElise DammarezAgathe HucaAmale Ouaqef, responsable des affaires scolaires dans la ville d’Ar-cueilNadia Brianceau , conseillère pédagogique Arts visuels de l’académie de CréteilLaurent Puig, conseiller pédagogique Musique de l’académie de CréteilJacqueline Gérard, formatrice IUFMIlham,Eve, Judith, René, Adjé, Roukia, Sandrine, Carmen, Pierre.
Directrice D’anis Gras le lieu de l’autre Catherine Leconte
Rédaction Maroussa Leclerc
Témoignages Dominique Duthuit
Crédits photographiques Mathilde Carpentier
Agathe Hurtig-Cadenel
Conception graphique Mariana Castillo López
Remerciements
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