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L'alimentation de complement du jeune enfantapres la devaluation du franc CFA: deux etudesde cas en milieu urbain, au Congo et au SenegalF. Delpeuch,1 Y. Martin-Prevel,2 T. Fouere,3 P. Traissac,4 F. Mbemba,5 C. Ly,6A. Sy,6 S. Treche,7 & B. Maire7

Le 12 janvier 1994, quatorze pays africains ont devalu6 simultanement leur monnaie de 50%. Pour tenterd'appr6cier un an apres l'impact de cette mesure sur l'alimentation des jeunes enfants, deux approchesont ete mises en ceuvre en milieu urbain, l'une quantitative basee sur deux enquetes 6pidemiologiques auCongo, I'autre qualitative utilisant une m6thode d'evaluation rapide de type RAP (Rapid AssessmentProcedure) au Senegal. L'age d'introduction des aliments de complement n'a pas change mais laconsommation de bouillies pr6parees avec des farines import6es a fortement diminu6 au profit depreparations locales de moins bonne qualite nutritionnelle, surtout chez les familles les plus pauvres;1'enrichissement de ces pr6parations avec du lait ou des corps gras est egalement moins fr6quent. Lagestion 6conomique et nutritionnelle des repas est plus difficile et les meres remettent en cause certainsmessages d'education nutritionnelle. Plusieurs consequences ont et6 tirees en termes d'action, notammentpour l'amelioration de la qualite nutritionnelle.des aliments de complement fabriques localement et pour lesuivi regulier de l'evolution de la situation nutritionnelle afin de reagir a toute d6gradation eventuelle.

IntroductionLe 12 janvier 1994 a ete mise en application unemesure de devaluation de 50% du franc CFA(Communaute financiere africaine). Comme l'ontsouligne Perrot et al.,a cette devaluation a connu ungrand retentissement en raison de la specificite de lazone franc et du fait qu'elle touche simultanement 14pays, dont 9 d'entre eux figurent sur la liste des paysles moins developp6s etablie par le Programme desNations Unies pour le developpement (PNUD). Lesconsequences de cette devaluation sur le secteur dela sante ont e tres rapidement envisagees,notamment en matiere de cofit des medicaments,

I Nutritionniste, Unite de Recherche (UR) 44 de l'Institut fran,aisde recherche scientifique pour le d6veloppement en cooperation(ORSTOM); Directeur du Laboratoine de Nutrition tropicale, Cen-tre collaborateur OMS pour la Nutrition, 911 Avenue Agropolis,B.P. 5045, 34032 Montpellier CEDEX 01 (France). (Tires a part).2 Epidemiologiste, UR 44 ORSTOM, Brazzaville (Congo).3 Doctorant de Sante publique, UR 44 ORSTOM, Dakar(Senegal).4Statisticien, UR 44 ORSTOM, Montpellier (France).5Nutritionniste, URNAH DGRST, Brazzaville (Congo).6 Nutritionniste, UR 44 ORSTOM, Dakar (S6negal).7Nutritionniste, UR 44 ORSTOM, Montpellier (France).Tir6 a part No 5674

a Perrot J et al. La sante dans les pays de la zone franc face a ladevaluation du franc CFA. Geneve, Organisation mondiale de laSante, WHO/ICO/MESD. 15, 1994.

de financement communautaire, d'activites et defrequentation des centres de sant6, de budget del'Etat, de projets (J),a mais aussi dans le domainede la consommation alimentaire (1). La devaluationofficielle d'une monnaie fait partie des ajustementsmonetaires traditionnels auxquels ont recoursles economies nationales pour pallier les difficulteseconomiques conjoncturelles ou structurelles. Par lejeu des taux de change flexibles, nombre de pays sontegalement soumis de facon reguliere a desreajustements de la parite de leur monnaie dans desproportions variables. En depit de leur relativefrequence, l'impact reel de telles mesures 'a court oumoyen terme, en matiere d'alimentation et de nutri-tion des populations concernees, n'est pas vraimentconnu. Nous avons saisi l'occasion de cettedevaluation importante pour tenter d'apprecier seseffets sur I'alimentation des jeunes enfants; unemeilleure connaissance de ces effets est susceptibled'aider les intervenants economiques et sociaux dansleurs actions d'attenuation de l'impact negatif de cetype de mesure.

En effet, les taux de malnutrition restent encoreelev6s chez les jeunes enfants des pays de la zone dufranc CFA, comme dans nombre de pays en voie dedeveloppement. De par les risques de 6orbidite etde mortalite que la malnutrition entraine, tous lesprogrammes de sante de ces pays ont vocation a lareduire. Si celle-ci est beaucoup plus elevee apresl'age de deux ans, elle prend forme des la premiereannee de la vie au moment oiu la diversification de

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l'alimentation fait encourir d'importants risquesinfectieux et nutritionnels aux jeunes enfants. Lesucces des programmes d'action contre les malnu-tritions des jeunes enfants passe ainsi par l'encou-ragement a l'allaitement maternel, l'amelioration dela qualite des aliments de complement et lerenforcement des pratiques alimentaires adequates.En modifiant les revenus reels d'une partie de lapopulation, urbaine notamment, la devaluation estsusceptible de modifier, en quantite et en qualit6,l'alimentation des enfants, et de compromettre lesucces de ces programmes.

Les objectifs de ce travail etaient de docu-menter precisement les changements survenus dansles pratiques des menages a l'age critique del'introduction des premiers aliments qui viennent encomplement du lait maternel, d'identifier les groupesa risque sur un plan geographique et socio-economique, et d'en tirer un certain nombre de con-clusions pratiques en termes d'action pour I'avenirimmediat.

Pour tenter de mieux comprendre les transfor-mations qui s'operent, nous avons analyse la situa-tion au travers de deux approches diff6rentes, auCongo (Afrique du Centre) et au Senegal (Afriquede l'Ouest), en milieu urbain. D'une manieregenerale les menages urbains beneficiaient en effet,avant la devaluation, d'une meilleure qualit6d'alimentation et de sante que les menages ruraux, etil est vraisemblable que celle-ci ait ete largementalteree par les variations soudaines de prix.

MethodesCongo

Donnees recueillies. Au Congo, nous disposions desresultats d'une enquete nutritionnelle realisee enmars 1993, dans le cadre d'un autre programme,aupres d'un echantillon representatif de menages,dans deux quartiers anciens de Brazzaville,d'environ 60000 habitants chacun, se distinguant parun niveau socio-economique contraste: Poto-Poto,un quartier tres commercant et cosmopolite, etBacongo, plus homogene sur le plan ethnique et plusresidentiel. S'agissant d'une enquete d'evaluationdes strat6gies de commercialisation et d'educationdans le domaine de I'alimentation du jeune enfant,elle concernait des zones bien d6limitees, couvertespar le programme a evaluer, et fournissait desdonnees precises concernant un certain nombred'indicateurs de l'alimentation du jeune enfant.

Une nouvelle enquete a ete realisee en decem-bre 1994, soit pres d'un an apres la devaluation, surun echantillon representatif d'enfants de 4 a 12 mois

issus des memes quartiers (893 enfants en 1994,contre 1325 en 1993). Cette tranche d'age a eteretenue car elle correspond a la phase critique del'introduction des premiers aliments semi-solides,qui est aussi celle du ralentissement de la croissance;le retard de croissance en taille constitue en effet laforme la plus repandue de malnutrition.

Les questionnaires reproduisaient fidelementceux de la premiere enquete afin de preserver lacomparabilite des reponses d'une annee sur l'autre,et chaque equipe etait tour a tour accompagnee dumeme superviseur forme dans le but de garantir labonne reproductibilite des questions posees d'unefois sur l'autre et d'une equipe 'a l'autre.

Les variables prises en compte dans les deuxenqueRes cherchaient 'a caracteriser le menage aumoyen d'un questionnaire general. Pour ce quiconcerne la situation economique, on a par exemplereleve l'etat de l'habitat (nature du sol, murs, toit), lapresence d'eau courante, d'electricite et la posses-sion de biens (electromenager). Un certain nombred'autres variables ont aussi ete collectees concer-nant le menage (quartier, duree d'installationa Brazzaville, taille) et ses membres adultes (age,niveau scolaire, situation matrimoniale et professionde la mere et du chef de menage).

Dans les deux enqu&tes, le questionnairespecifique sur l'alimentation de l'enfant decrivaitplus specialement l'allaitement, la presenced'aliments de complement, le type d'alimentationcomplementaire, le type de bouillies, les ingredientseventuellement rajoutes aux bouillies et le nombrede bouillies par jour. Des questions specifiques 'a ladevaluation ont ete ajoutees en decembre 1994.

Analyse statistique. Apres informatisation etverification de ces questionnaires 'a l'aide du logicielEpi-Info (Centers for Disease Control, Atlanta,Etats-Unis d'Amerique), la gestion et l'analysestatistique des donnees on et6 realisees grace ausysteme SAS version 6.09 (SAS Institute Inc., Cary,Etats-Unis d'Amerique).

Une echelle economique synthetique a eteconstruite a partir des variables caracterisant lasituation economique du menage a moyen et longterme (etat de l'habitat, eau courante, electricite,possession d'electromenager, etc.). Pour cela, uneanalyse factorielle des correspondances (2), sur letableau des variables indicatrices codant ces vari-ables economiques, a et r6alisee avec les donneesde mars 1993. Le premier de ces facteurs, quiapparait clairement comme un gradient opposant lesmenages possedant le plus de biens et les meilleuresconditions de logement aux menages les plusdefavorises, a e retenu pour servir d'echelleeconomique synthetique. Les menages observ6s en

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Alimentation du jeune enfant et devaluation du franc CFA

d6cembre 1994 ont ensuite 6te positionn6s sur cette6chelle 6conomique en conservant les memespond6rations des variables. Enfin, cette echelle con-tinue a ete d6coup6e en terciles correspondant a unniveau de richesse croissant et la variable qualitativeordinale a trois classes ainsi d6finie a ete introduitedans les analyses ult6rieures.

L'analyse de l'evolution des pratiques alimen-taires entre mars 1993 et d6cembre 1994 a ete6tudiee sur la base des variables d6crivant l'allaite-ment maternel, la presence d'une alimentationcomplementaire en temps opportun, le type d'ali-mentation compl6mentaire (bouillie/61lments duplat familial), le type de bouillie (farines import6es/pr6parations locales) et le nombre de bouilliespar jour.

Les r6sultats des deux enquetes ont etecompares dans differentes classes d'age: 4,00-5.99mois, soit l'age oiu l'allaitement au sein pr6dominantest actuellement recommande, mais qui correspondfrequemment dans cette ville a une p6riode d'intro-duction des aliments de compl6ment (bouilliesessentiellement); 6,00-9,99 mois, periode recom-mand6e pour l'introduction d'aliments specifique-ment pr6par6s pour l'enfant,b generalement desbouillies, mais au cours de laquelle beaucoup demeres a Brazzaville introduisent d6ja des el6mentsdu plat familial; 10,00-11,99 mois, -age auquell'introduction d'elements du plat familial accom-pagne largement, voire supplante, les bouillies.

Un certain nombre de variables pouvant etredes facteurs de confusion ou des modificateursd'effet (3) pour l'evolution mars 1993 / decembre 94ont ete prises en compte une a une: age de l'enfant,activite de la mere et du chef de m6nage, niveauscolaire de la mere et du chef de m6nage, anciennetedans la parcelle, taille du menage, niveau econo-mique du m6nage. Pour cela ont ete mises en meuvredes analyses stratifi6es: calcul des odds-ratios ajusteset test de Breslow-Day d'homog6neit6 des odds-ratios (4).

Enfin, pour chacune de ces variables d6crivantles pratiques alimentaires, on a ajuste un modee der6gression logistique multivarie (5), avec l'ann6ed'enquete et les facteurs potentiels en variablesexplicatives. L'inclusion dans ces modeles de termesd'interaction entre l'ann6e d'enquete et les autresvariables dependantes a permis de tester d'6ven-tuelles 6volutions diff6rentielles des pratiquesalimentaires (modificateurs d'effet). On a utilis6des statistiques du rapport de vraisemblanceconditionnelles, testant des effets ajustes pour lesautres variables pr6sentes dans le modele.

bIndicators for assessing breast-feeding practices. Genbve, Or-ganisation mondiale de la Sante, WHO/CDD/SER/91.14, 1991.

La recherche d'une 6volution diff6rentielle pourun certain nombre de variables continues (parexemple la d6pense hebdomadaire consacr6e auxfarines infantiles), a et6 men6e par des analyses devariance.

SenegalAu Senegal, en l'absence de donn6es de referencecorrespondant a la situation avant la d6valuation,une approche qualitative, utilisant des methodesd'evaluation rapide de type RAP (Rapid Assess-ment Procedure) (6, 7), a e utilisee dans deux villesde la region du Cap-Vert: Pikine, une importantebanlieue proche de la capitale Dakar, comptantenviron 700000 habitants, et Rufisque une ville demoyenne importance (environ 100000 habitants)distante de pres de 25 km de la capitale. Troisquartiers ont ete choisis dans chaque ville selon deuxcriteres d'anciennete de creation et de regularite dutrace des rues. Au sein de chaque quartier, unegrappe d'une dizaine de concessions a ete enquetee,la premiere etant choisie de facon aleatoire.

Deux techniques complementaires ont ete misesen oeuvre afin de croiser les informations recueillieset de valider la qualite des donnees. Un entretiensemi-structur6 portant sur les modifications del'alimentation des menages a d'abord ete realiseindividuellement aupres de dix femmes responsablesde la depense alimentaire, dans chaque quartierenquete, soit 60 entretiens au total; puis une discus-sion de groupe a e menee sur l'alimentation desjeunes enfants, dans chaque quartier egalement,avec la participation collective de femmes delHechantillon ayant un enfant de moins de troisans. Afin de garantir une expression libre desparticipantes, ces six groupes de discussion ontrassemble des femmes de milieu socio-economiquerelativement homogene.

Enfin, 25 entretiens semi-structures decommercants de l'alimentaire portant sur lademande des menages dans ce domaine ont eteorganises dans les quartiers selectionnes, apres unchoix selon la technique <<du transect de rues>> (7).Les entretiens de ces vendeurs, couples aux en-tretiens des femmes, ont permis de recouper lesinformations recueillies sur les depenses alimen-taires des menages aupres de ces differentes sourceset de les valider.

ResultatsCongoLa comparaison des deux enquetes realisees aBrazzaville, montre que les pratiques en matiere

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Tableau 1: Evolution des taux d'allaitement maternel et d'alimentation de complement entre mars 1993 etdecembre 1994 a Brazzaville

Taux d'allaitement Taux d'alimentationClasse d'age (mois) Ann6e Effectif maternel (%) pa de complement (%) pa

04,00-05,99 1993 317 97,2 94,01994 228 98,2 0,41 90,4 0,11

06,00-09,99 1993 651 92,5 89,11994 433 94,9 0,11 90,8 0,38

10,00-11,99 1993. 356 90,5 87,91994 162 90,1 0,91 83,3 0,16

04,00-11,99 1993 1324 93,0 89,91994 823 94,9 0,09 89,1 0,57

a Test du chi-deux A 1 D.D.L.

d'allaitement maternel ont peu evolue: le tauxd'allaitement au sein par la mere, est reste comme 'al'habitude tres eleve, toujours superieur a 90%, atous les ages consideres (tableau 1). L'utilisation dubiberon varie selon les quartiers, mais n'a pas einfluencee par la devaluation: le taux d'utilisationentre 0 et 12 mois est de 12,2% en moyenne sur les2 enquetes (intervalle de confiance 10,8%-13,6%,p = 0,95).

De meme l'age d'introduction des premiersaliments de complement n'a pas ete retarde pour desraisons d'economie comme on aurait pu le penser, etreste precoce. Plus de 90% des enfants recoivent une

Fig. 1. Evolution de la part des bouillies (enpourcentage) dans l'alimentation de complement(Brazzaville).

100 -

80-

a) 60 -

cnCD

0

iL 40

20 -

0-Z

199311994

4-5 6-9Classe d'age (mois)

10- 11

alimentation de complement des 4-5 mois (tableau1). En revanche, si on introduit essentiellement dela bouillie 'a 4-5 mois (>95%), un changement ap-parait a 6-9 mois, plus d'enfants recevant direc-tement des elements du plat familial, et moinsd'enfants recevant de la bouillie, soit 48% en 1994contre 57% en 1993: text du chi-deux, p = 0,006(Fig. 1).

Chez les enfants recevant de la bouillie, onconstate par ailleurs une diminution de la part desbouillies preparees a partir de farines commercialesimportees: de 32% en mars 1993 elle passe a 18%en decembre 1994 (p < 0,0001), au profit despreparations artisanales locales, majoritairement abase de mais fermente, le <<potopoto>>. Le tableau2 pr6sente les resultats de la regression logistique ouila consommation de bouillie (importee/locale) estla variable dependante (sont pris en compte 1145enfants pour lesquels on dispose des valeurs pourtoutes les variables introduites dans le modele).Les termes d'interaction avec l'annee d'enquetepermettent de tester les facteurs ayant un eventueleffet modificateur sur l'evolution 1993/1994 de laconsommation de bouillie importee. On constateque si la diminution est relativement uniforme quelque soit l'age (p = 0,14 et Fig. 2), elle diffre forte-ment selon le niveau 6conomique du menage(p = 0,002, Fig. 3): elle est de 19% pour le niveaueleve, de 48% pour le niveau moyen et de 70% pourle tercile inferieur.

Cette evolution s'explique bien evidemmentlorsqu'on compare l'evolution de la d6pensehebdomadaire selon la nature de la bouillieconsommee par l'enfant: augmentation de 90% en1994 pour une bouillie import6e par rapport a 1993,contre 25% pour une bouillie locale (Fig. 4).L'analyse de la variance realisee sur la variabledepense hebdomadaire pour la bouillie et le test del'interaction entre l'ann6e d'enquWe et le type debouillie mettent clairement ce fait en evidence (testde Fisher, p < 0,0001).

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Alimentation du jeune enfant et devaluation du franc CFA

Tableau 2: Utilisation de bouillies importees a Brazzaville en fonction dedifferentes variables socio-economiques et de l'ann6e; effets ajustes parregression logistique

InteractionEffet simple avec l'ann6e

Variables D.D.L. Chi-deux p Chi-deux p

Ann6e d'enquete 1 14,8 0,0001 - -

Classe d'age 2 15,6 0,0004 3,9 0,14Quartier 1 4,4 0,036 5,9 0,015Niveau 6conomique du menage 2 43,9 0,0000 12,4 0,002Profession du chef de m6nage 2 0,8 0,68 0,6 0,73Profession de la mere 2 5,9 0,049 4,9 0,085Scolaritedu chef de menage 3 9,2 0,026 1,2 0,76Scolaritede la mere 3 3,2 0,36 0,6 0,89Lien avec le chef de menage 3 9,5 0,023 1,8 0,61Nombre d'enfants du menage 2 0,6 0,74 4,2 0,12AncienneteaBrazzaville 2 2,8 0,24 0,1 0,92

Les meres savent pertinemment que lesbouillies locales de mais ne sont pas necessairementde qualite comparable, et elles tentent en general deles <<enrichir>> avec du lait ou du sucre. Si l'ajout desucre aux bouillies locales est devenu un peu plusfrequent, passant de 82% a 90% (test du chi-deux,p < 0,0001), celui de lait, plus onereux, a par contrediminue: ajoute dans 43% des cas en 1993, il ne l'estplus que dans 28% en decembre 1994 (test du chi-deux, p < 0,00001). On ne dispose malheureusement

Fig. 2. Evolution de la part des bouillies importees (enpourcentage) selon la classe d'Age (Brazzaville).

1993

- 1994

0-~~~~~_4 , 64-5 6-9

Classe d'Age (mois)

Fig. 3. Evolution de la part des bouillies importees (enpourcentage) selon le niveau economique du menage(Brazzaville).

Elev4 Moyen BasNiveau 6conomique du m6nage

10-11

pas 'a l'heure actuelle de donnees quantitatives plusprecises permettant de savoir si la quantite moyenneajoutee est rest6e identique ou si elle a egalementdiminue. On observe cependant que le lait en

poudre, moins cher, est plus frequemment utilise quele lait concentr6.

Le nombre de repas par jour a varie, se situantplus souvent en moyenne autour de deux; il est

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100

,, 80-._._0-a- 60-co0

00

mto40 -

10a-

20-~

71

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Fig. 4. Evolution des depenses hebdomadaires con-sacrees aux bouillies (Brazzaville).

2000

Bouilies importe 782 F1500 .--.

938 F

5000Bouillies locales

226 F 283FF

1993 1994

toutefois difficile de dire 'a quoi correspond cechangement, et s'il peut etre attribue 'a une tentativede compensation lorsque la nature de la bouilliechange, ou 'a toute autre raison, telle que lefractionnement des achats quotidiens par certainesmeres.

On peut ainsi resumer les changementsobserves au cours de l'annee ecoulee: si I'aged'introduction des bouillies n'a pas fondamen-talement change, leur consommation a par contrediminue; il s'agit plus frequemment d'unepreparation artisanale locale et elle est moinssouvent enrichie de lait. Or, des etudes menees avantla devaluation avaient dej'a montre que la teneurenergetique des bouillies d'origine locale n'excedaitpas en moyenne 60 kcal/I00 ml (contre 100 pour lesbouillies d'importation); de meme la teneurproteique etait de 5 g/l00 ml contre 10 pour lesbouillies importees. A l1'videncec, une perteimportante de qualite des bouillies se produit lorsd'une substitution telle que celle observee depuis unan a la suite de la devaluation. Encore n'est-ilpas impossible que les bouillies, locales commeimportees, soient maintenant davantage diluees parles meres.

SenegalAu Senegal l'analyse des entretiens avec les meresconfirme que la aussi la pratique de l'allaitementmaternel, en milieu urbain, ne semble pas avoire beaucoup modifiee. La decision des femmes desevrer l'enfant est essentiellement guidee par

c Treche S, Massamba J. Modes de preparation et valeurnutritionnelle des bouillies de sevrage au Congo. Seminaire-atelier<<Les bouillies de sevrage en Afrique centrale 21-24 mai 1991>>.Rapport ORSTOM non publie, 1991.

1'exp6rience acquise avec les enfants precedents oula survenue d'une 6ventuelle grossesse. Des modifi-cations semblent etre apparues toutefois dansl'usage de I'allaitement mixte pratique par un cer-tain nombre de femmes: celles qui disent avoirdonn6 le biberon avant sont aujourd'hui plusnombreuses 'a dire qu'elles ne donnent que le seinen raison du prix des laits artificiels pour nourris-son; ce qui, en soi, est un point positif sur le plannutritionnel.

La date d'introduction de I'alimentation decomplement est tres variable, et ne semble pas avoire modifiee par les meres, le poids de la traditionl'emportant sur toute autre consideration: ellesfont, disent-elles, ce qu'elles ont fait pour les en-fants precedents et comptent bien refaire la memechose pour les suivants. On note cependant dansquelques groupes, parmi les femmes les pluspauvres, que certaines ne donnent que le sein aI'age des bouillies, pour des raisons strictementeconomiques.

Pour la meme raison que precedement, 'a savoirle respect de la tradition, la fr6quence avec laquellesont donnees ces bouillies ne semble pas avoirchange depuis la devaluation. Le changement leplus manifeste reside, ici comme au Congo, dansla qualite des bouillies: elle semble bien, la en-core, s'etre alteree. Les meres sont plus nombreusesa ne donner que de la bouillie de mil sucre, sansajouter de lait en poudre, de lait caille ou de corpsgras.

En ce qui concerne l'age d'introduction despremiers elements du plat familial, il ne se degagepas non plus d'evolution nette: il depend toujoursde l'experience acquise precedemment, et de l'avisdu mari; aussi est-il tres variable d'une femme al'autre. Mais un certain nombre de changementsont affecte recemment la nature et le mode de dis-tribution du plat familial, qui ne sont pas sansconsequences sur l'alimentation du jeune enfant.Ces modifications concernent la plupart des m6-nages de l'echantillon, 'a l'exception des familles decadres; il n'y a pas de difference entre les villes nientre les quartiers enquetes. Une partie de ceschangements 6taient dej"a perceptibles avant ladevaluation au dire des personnes interrogees,mais ils se sont acceleres depuis. La tendance estau maintien de plats culturellement acceptables;aussi servira-t-on des plats aussi riches qu'avanten huile et legumes chaque fois que possible; maisle repas du soir sera plus souvent compose de platscuits a l'eau, a la place des plats en sauce ou desfritures. Ainsi la quantite globale de riz consomm6epar jour est-elle maintenue, tandis que les quan-tites quotidiennes d'huile, de legumes et de poissonont diminue. De meme il y a remplacement du

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Fig. 5. Evolution du prix de quelques ailments auSenegal (Pikine et Rufisque).

* Bouillie importde (paquet)

* Lait en poudre (kg)

* Huile d'arachide (litre)

Huile vAgdtale (litre)

Riz bris4 importi (kg)

Riz long importd (kg)

Mil non ddcortiqud (kg)

Arachides (kg)0 200 400 600 8001 12001400 1600 1800

FCFAPrix FCFA 93 M AugmentatIon fin 94

poisson <<noble>> comme le <<thiof>> (meroubronze) par le <<yaboye>> (sardinelle), poissonriche en aretes, voire par du poisson seche-fume ousale. Enfin le petit dejeuner a vu diminuer le laitet le pain, tandis que les infusions traditionnellescomme le quinqueliba sont generalisees. Leschangements sont d'autant plus frequents que lesfamilles sont pauvres; elles sont tout particu-lierement affectees quand le mari est decede ouchomeur, ou quand la femme est separee. Ceschangements se traduisent meme parfois par unenon preparation du repas du soir, le diner etantconstitue des restes du repas precedent un peu plusetoffe.

Les meres signalent une gestion plus d6licatedes repas d'une maniere generale; la contribution dumari est restee stable ou a diminue et pour tenter defaire face aux augmentations du prix des denrees, lesfemmes sont mises davantage a contribution, acharge de multiplier les petites sources de revenuscomme la vente de vetements et de pr6parationsculinaires devant la porte: elles se debrouillentdisentelles, pour combler l'augmentation de ladepense. Pour pallier ces difficultes et les refus decredit opposes par les commercants, ellesfractionnent davantage les quantites acheteesquotidiennement. Nombre de familles qui achetaientcertains aliments (riz, huile, sucre) a la semaine ouau mois, les ache-tent maintenant quotidiennement.Un dernier mode de compensation consiste a reduirediscretement le nombre en commensaux, en invi-tant plus irr6gulierement certains habitu6s auxrepas.

En consequence de cette gestion plus difficiledes repas familiaux, les meres disent frequenter

de moins en moins les seances d'educationnutritionnelle dans les centres de sante, car lesconseils tels que l'ajout de lait et de corps gras dansles bouillies ne leur apparaissent plus du tout adaptesau contexte actuel. Si l'on observe l'evolution du prixde quelques denrees releve aupres des commercantsenquets, on constate effectivement que les augmen-tations les plus fortes portent sur les farinescommerciales import6es, le lait en poudre et l'huile(Fig. 5).

DiscussionQuelles sont les implications nutritionnellesmajeures des changements observes? Les resultats,au Congo comme au Senegal, indiquent unedegradation de la qualite nutritionnelle des premiersaliments de compl6ment donnes aux jeunes enfants.Les bouillies locales, dont la consommation estdevenue plus frequente, ont une densite nutrition-nelle plus faible que celle des bouillies commercialespreparees a partir de farines importees. De plus,bouillies locales comme plats familiaux ont souventune qualite nutritionnelle diminuee depuis ladevaluation. A Brazzaville, cette degradation n'estque partiellement compensee par l'adjonction plusfrequente de sucre aux bouillies locales et par le faitque certains enfants recoivent plus souvent deuxbouillies quotidiennes au lieu d'une. Les deuxenquetes confirment que ce sont les familles les pluspauvres qui sont touchees par le phenomene,tendant a renforcer le lien existant souvent entrepauvrete et malnutrition.

Quelles implications ces resultats peuvent-ilsavoir en termes d'action pour les services sociaux etsanitaires? La diminution de la consommation deproduits importes au profit des produits locaux etaitun des effets attendus de la d6valuation; cet effet estici confirme de maniere nette pour les aliments decomplement de l'enfant et touche toutes les couchesde la population, mais surtout les couches desniveaux economiques inferieurs comme on l'a vu. Leprobleme de la faible densit6 energetique etnutritionnelle des bouillies fabriquees a partir defarines infantiles locales touche l'ensemble des paysconcernes par la devaluation.

I1 y a donc urgence a renforcer les programmesqui visent, soit a la production locale d'aliments decomplement ameliores, soit au transfert de technolo-gies a la port6e des menages. Au dela desconsid6rations nutritionnelles, il y a la 6galementune possibilit6 d'investissement dans le secteur del'artisanat et de la petite industrie locale pour laproduction de farines infantiles fabriquees a partirde produits locaux et selon des methodes permettant

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la preparation de bouillies 'a haute teneur en energieet en nutriments.

Cependant, dans l'immediat, c'est une refonteappropriee des messages d'education qui est arealiser, afin que les meres puissent tirer le meilleurparti des produits dont elles dispos_nt dans lenouveau contexte economique, compte tenu desvaleurs culturelles - on a vu le poids de la tradition

, des exigences nutritionnelles et des limitesfinancieres. Les augmentations de prix les plus fortesconcernent non seulement les farines importees,mais les sources de calories et de proteines de bonnequalite utiles pour la croissance des enfants, commele lait en poudre et l'huile vegetale. On peut notercependant, qu'il reste des possibilites de substitutionpar I'arachide, dont le prix a peu varie, meme si celaoblige 'a des preparations culinaires plus longues. Letemps n'a pas ete cite par les meres comme unecontrainte particuliere, contrairement au cofit. I1subsiste donc des possibilites d'adaptation des mes-sages d'education nutritionnelle, mais ils doiventcertainement etre reajust6s en fonction du couftmoyen de la calorie ou du gramme de proteine, selonles denrees disponibles.

Enfin, la degradation de l'alimentation decomplement des jeunes enfants entraine un risque dedeterioration de la situation nutritionnelle de cesenfants. I1 convient donc de mettre en place (ou derenforcer) le suivi de la situation nutritionnelle desenfants au cours des prochaines annees, de manierea pouvoir prendre rapidement les mesurescompensatoires qui s'avereraient necessaires.

RemerciementsLes premiers r6sultats de cette etude ont ete pr6sent6slors de la R6union technique OMS-UNESCO intitul6e"L'impact de la devaluation du franc CFA sur la sant6 etl'education. Un an apres: bilan pour I'action" qui s'esttenue a Geneve du 21 au 24 fWvrier 1995.

Nous remercions particulierement la Division de laCooperation intensifiee avec les Pays et l'Unite Nutritionde l'OMS, ainsi que la Mairie de Nantes (France) pour lesoutien qu'elle accorde au programme de cooperationd6centralis6e entre les villes de Rufisque et de Nantes.

SummaryNutrition for young children and thedevaluation of the CFA FrancDeveloping countries frequently see their currencydepreciated to varying degrees. The consequencesof such monetary disturbances on the nutrition of

young children are not well known, though childrenare the most vulnerable in nutritional terms. Oneyear after the 50% devaluation of the CFA Franc(communaut6 financibre africaine, "African Finan-cial Community"), which took place on 12 January1994 simultaneously in fourteen countries, nine ofwhich are on the UNDP list of least developed coun-tries, we wanted to find out the long-term effects ofthe devaluation, and the strategies that families hadadopted to cope with it. In Brazzaville, Congo, inDecember 1994, an epidemiological survey wasconducted on a representative sample of 893 chil-dren between the ages of 4 and 12 months in twodistricts, and indicators of child nutrition were estab-lished. A comparable survey had been conducted inDecember 1993, before the devaluation. In Sen-egal, in the absence of a previous survey whichcould be used in comparison, a qualitative surveyusing RAP methodology, was conducted in January1995 in two towns near the capital. In three districtsin each of these towns, a cluster of ten plots waschosen at random and surveyed, with a combina-tion of semi-structured individual interviews withmothers (n = 60) and group interviews with all thewomen together (n = 6). The information was puttogether with interviews of 25 local traders sellingfood.

In the Congo, comparison of the two surveysshows that the practice of breast-feeding had hardlychanged, nor had the age at which baby food wasintroduced (90% of children of 4-5 months takesemi-solid and solid foods); on the other hand, morechildren are being given the ordinary family mealearlier, at 6-9 months. The proportion of baby foodsbased on commercially imported flour has fallen(from 32% in 1993 to 18% in 1994), and has beenreplaced with local products based on maize; thischange is more marked among poorer families. Thelow nutritional value of such preparations is in partcompensated by the addition of sugar, though lessmilk is added (28% in 1994 as opposed to 43% in1993).

In Senegal, mothers do not seem to havechanged their breast-feeding practices either,the age at which baby foods are introduced, or thenumber of times they are provided daily. The mostimportant change is the drop in quality of food givento children, and the poorer family food for the olderchildren.

The partial switch from imported products tolocal produce was an expected consequence ofdevaluation; it is clearly confirmed here for nutri-tion of young children, with the consequent lossof nutritional quality (a reduction in energy densityand in nutrients). The first thing needed is, there-fore, an improvement in local manufacture of food

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Alimentation du jeune enfant et devaluation du franc CFA

supplements of good nutritional quality, for youngchildren. Mothers also complain of the increaseddifficulty in managing a family diet so as to takeaccount of economic needs, cultural values andnutrition. They therefore criticize a number ofnutritional education messages that are clearlyno longer appropriate to the new economic context.Finally the fact that young children are gettingpoorer quality nutrition is worrying for the future:if it lasts, the nutritional status of children willdeteriorate; whenever possible, monitoring mustbe established so that measures can be takenwhen necessary to forestall any dramatic de-terioration that would endanger the health of thechildren.

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