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Droit et non-droit dans les sentences arbitrales CCI: une perspective historique

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13ICC INTERNATIONAL COURT OF ARBITRATION BULLETIN VOL 25/NUmBER 2 – 2014

L’arbitrage CCI a longtemps été caractérisé par l’application d’un raisonnement non-juridique par les arbitres afin de résoudre les litiges qui leur étaient soumis. Dans cette mesure, l’arbitrage CCI se distinguait des procédures juridictionnelles étatiques auxquelles il visait à offrir une alternative. L’objectif initial de la CCI était de résoudre les litiges par des solutions équitables qui étaient compatibles avec les besoins des acteurs économiques et qui limitaient le contrôle exercé par les tribunaux étatiques sur les sentences arbitrales. Cet article adopte une approche nouvelle concernant la distinction entre droit et non-droit dans les sentences arbitrales CCI. Dans une perspective historique fondée sur l’étude des archives originales et des versions successives du Règlement d’arbitrage de la CCI, cet article montre que l’arbitrage CCI a subi une évolution remarquable liée à l’apparition du raisonnement juridique dans le texte des sentences arbitrales. Même s’ils n’ont pas complètement disparu des sentences arbitrales, les motifs non-juridiques y occupent désormais une place secondaire et ont été occultés par le développement des motifs juridiques. Le tournant de cette évolution semble pouvoir être situé dans les années 1930, quand une crise inédite de l’économie mondiale a suscité un besoin accru de sécurité juridique parmi les usagers de l’arbitrage.

ICC arbitration was for a long time characterized by the fact that arbitrators resolved the merits of a dispute by applying reasoning that was not based on law. As such, it stood in contrast to litigation, to which it was intended to offer an alternative. Its original purpose was to resolve disputes through equitable solutions that made business sense and, in doing so, limit the exposure of arbitral awards to review by state courts. This article examines the distinction between legal and non-legal reasoning in ICC arbitral awards from a new perspective. Adopting a historical approach, relying on a study of original archive material and successive versions

of the ICC Rules of Arbitration, it shows that ICC arbitration underwent a remarkable shift with the introduction of legal reasoning into arbitral awards. Although not entirely cast aside, non-legal reasons became secondary in arbitral awards, overshadowed by the ascension of legal reasoning. The turning point seems to have occurred in the 1930s, when an unprecedented crisis in the world economy led to an increased call for legal certainty among arbitration users.

Durante mucho tiempo, el arbitraje de la CCI se caracterizó por el hecho de que los árbitros aplicaban un razonamiento no jurídico para resolver el fondo de la controversia. De este modo, el arbitraje de la CCI se diferenciaba del litigio judicial y tenía la intención de ofrecer una alternativa a este último. Su objetivo inicial era resolver las controversias mediante soluciones equitativas que tuvieran sentido desde el punto de vista comercial y, con ello, limitar el control de los tribunales estatales sobre los laudos arbitrales. Este artículo examina la distinción entre el razonamiento jurídico y no jurídico en los laudos arbitrales de la CCI desde una nueva perspectiva. Adoptando un enfoque histórico, basado en un estudio de los archivos originales y de las versiones sucesivas del Reglamento de Arbitraje de la CCI, el artículo muestra que el arbitraje de la CCI experimentó un extraordinario cambio con la introducción del razonamiento jurídico en los laudos arbitrales. Aunque no se han dejado completamente de lado, los motivos no jurídicos actualmente ocupan un lugar secundario eclipsados por el desarrollo del razonamiento jurídico. Todo parece indicar que el momento crucial de esta evolución fueron los años 30, cuando una crisis sin precedentes de la economía mundial condujo a una mayor necesidad de seguridad jurídica para los usuarios del arbitraje.

Droit et non-droit dans les sentences arbitrales CCI : une perspective historique

Par Florian Grisel*

* Chargé de recherche (CNRS) ; Senior Lecturer in Transnational Law (King’s College London).

Les sources utilisées pour l’écriture de cet article sont les suivantes : archives de la CCI consultées au siège de la CCI (Paris), archives Etienne Clémentel (Clermont Ferrand), archives de la CCI consultées à l’Université Yale (New Haven). L’auteur adresse ses plus vifs remerciements aux personnes suivantes, qui lui ont apporté une aide précieuse pour l’écriture et la publication de cet article: Charlotte Collin, Laetitia de Montalivet, Thomas Granier, Virginia Hamilton, Maria Hauser, Emmanuel Jolivet, Sylvie Picard Renaut, Damien Schoenstein, Alec Stone Sweet, Anne Marie Whitesell. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur.

14 ICC INTERNATIONAL COURT OF ARBITRATION BULLETIN VOL 25/NUMBER 2 – 2014

L’étude du droit et du non-droit dans les sentences arbitrales soulève deux questions en apparence distinctes, qui ont néanmoins fait l’objet d’un lien très fort dans l’histoire de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) : celle de l’existence de motifs dans les sentences d’une part, et celle de la nature de ces motifs – juridiques ou non – d’autre part. En particulier, un débat ancien et fondamental a porté sur l’application de l’équité par les arbitres CCI et sur la motivation des sentences par ces derniers. En effet, l’arbitrage CCI a longtemps été conçu comme un mode alternatif de règlement des différends, qui se distinguait de la justice étatique par l’application du non-droit (plutôt que du droit) au fond du litige et par la limitation des motifs figurant dans les sentences.

Dans cet article, les motifs non-juridiques désigneront les arguments des arbitres figurant dans les sentences arbitrales et fondés sur des sources extérieures au droit, comme par exemple les usages commerciaux ou l’équité 1. Les motifs juridiques désigneront au contraire les arguments fondés sur le droit. Aux marges du droit et du non-droit se sont en outre développées des règles transnationales comme les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international (les « Principes UNIDROIT ») ou la lex mercatoria, parfois assimilées à une résurgence plus ou moins codifiée de l’équité 2 et dont la juridicité peut éventuellement être établie en dehors d’un ordre juridique 3. Ce dernier développement n’a pas manqué de brouiller la distinction du droit et du non-droit dans les sentences arbitrales CCI.

Cet article cherche à clarifier cette distinction en offrant un panorama historique de l’usage du droit et du non-droit dans l’arbitrage CCI. Il sera ainsi démontré que, malgré l’usage grandissant des motifs juridiques dans l’arbitrage CCI, le raisonnement non-juridique a subsisté sous des formes variées dans la motivation des arbitres, à tel point qu’il faudrait désormais parler d’application concurrente du droit et du non-droit par les arbitres. Une dimension majeure de la réflexion tiendra à l’identification des raisons ayant favorisé cette évolution.

Dans un premier temps, l’arbitrage CCI semble s’être développé sur le fondement du principe selon lequel l’arbitre ne juge pas en droit mais en équité, ce qui excluait les motifs juridiques du texte des sentences arbitrales. Cependant, à mesure que les arbitrages CCI se sont multipliés, le droit a fait son apparition dans la motivation des arbitres. Dans un second temps, suite à cette évolution, les arbitres ont progressivement justifié

leur raisonnement par des motifs juridiques, qui ne doivent cependant pas dissimuler les considérations non-juridiques qui persistent au sein du raisonnement arbitral.

1. Les fondements équitables de l’arbitrage CCI

a) Le développement de l’arbitrage CCI s’est fondé sur le principe selon lequel l’arbitre ne juge pas en droit, mais en équité. Depuis sa création jusqu’à la fin des années 1930, la politique de la Cour d’arbitrage de la CCI concernant le mode de décision des arbitres était claire : la CCI encourageait en effet les arbitres à juger les litiges qui leur étaient soumis en équité, et non en droit. Dans les années 1920, la CCI considérait en effet que « l’esprit véritable » de l’arbitrage consistait à appliquer les règles d’équité plutôt que de droit 4.

Lors de son Congrès tenu à Londres en 1921, la CCI a adopté une résolution selon laquelle « la diffusion de l’arbitrage est essentiellement liée à la possibilité que les arbitres s’inspirent dans leurs décisions des principes d’équité plutôt que du strict droit » (résolution n° XIV). Cette faveur accordée à l’équité est également visible dans les propos d’Etienne Clémentel, l’un des pères fondateurs de la CCI, qui soulignait dans un discours prononcé lors de la création de la Cour d’arbitrage de la CCI que « […] l’arbitre décide en s’inspirant de sa conscience d’homme, de son expérience de technicien, et en respectant scrupuleusement pour la forme les conditions requises par la loi » 5. Dans un guide publié en 1935, la CCI indiquait par ailleurs qu’« aussi souvent qu’elles en ont la possibilité conformément au droit du pays concerné, les parties devraient autoriser l’arbitre à agir en tant qu’amiable compositeur, c’est-à-dire de décider l’affaire sans être lié par les règles de procédure et de droit » 6. La CCI recommandait ainsi que « l’arbitre décide du litige en équité, comme un homme d’affaires, sans être lié aux lois ou à la procédure légale » puisqu’il était « […] un expert choisi pour sa connaissance des affaires, son bon sens et son impartialité, plutôt que pour ses connaissances juridiques » 7.

Le premier Règlement d’arbitrage de la CCI, adopté en 1922, reflétait cette faveur accordée à l’équité en donnant la possibilité aux parties d’avoir recours à un premier type d’arbitrage dans

1 Nous distinguons ici l’équité de l’equity anglaise, dont la dimension juridique a été soulignée par F.S. Nariman, « L’arbitrage commercial international et le respect des règles de droit » (1991) 2 :2 Bull CIArb. CCI 7, p. 11-12.

2 Voir, infra, le débat mentionné aux notes de bas de page 31 à 36.

3 F. Grisel, L’arbitrage international ou le droit contre l’ordre juridique, LGDJ, 2011.

4 R. Arnaud, « L’arbitrage de la Chambre de commerce internationale », L’Économie internationale n° 1, janvier 1929, 123, p. 135.

5 Source : Archives Etienne Clémentel.

6 International Commercial Arbitration – Practical Hints, ICC, 1935, p. 5 (traduction de l’auteur).

7 Ibid.

15ICC INTERNATIONAL COURT OF ARBITRATION BULLETIN VOL 25/NUMBER 2 – 2014

8 Section B, article VII.

9 Section C, article XXVII.

10 « Rapport du Secrétaire général comparant l’ancien et le nouveau Règlement et indiquant les principaux amendements », Brochure CCI n° 50, 27 juin – 2 juillet 1927, p. 3.

11 Ibid., p. 13, note de bas de page n° 1.

12 R. Vulliemin, De l’arbitrage commercial particulièrement en matière internationale, Rousseau & Cie, 1931, p. 17.

13 R. David, « Arbitrage et droit comparé » (1959) 11 Revue internationale de droit comparé 5, p. 12.

14 R. David, « Arbitrage du XIXe et arbitrage du XXe siècle » dans Mélanges offerts à René Savatier, Paris, Dalloz, 1965, 219, p. 233

15 R. Arnaud, « Conseils pratiques pour l’arbitrage commercial international », L’Économie internationale n° 8, octobre 1930, 408, p. 413.

16 Voir E. Loquin, L’amiable composition en droit comparé et international, Librairies Techniques, 1980, p. 39-44.

le cadre duquel les « arbitres pouv[aient] rendre leur sentence en qualité d’« amiables compositeurs » 8, par opposition à un second type d’arbitrage dit « légal » 9. La distinction entre ces deux types d’arbitrage a rapidement disparu du Règlement d’arbitrage de la CCI 10 mais montrait l’attachement de cette dernière à l’amiable composition.

La politique de la CCI visait donc à favoriser le recours à l’amiable composition, qui autorisait les arbitres à ne pas invoquer les règles de droit au sein de leurs sentences. Le Règlement de conciliation et d’arbitrage adopté en 1927 définissait ainsi l’amiable compositeur comme « […] un arbitre qui statue sans être tenu de suivre les règles de la procédure et du droit […] » 11 et, à son article 16(3), donnait à la Cour d’arbitrage la possibilité d’accorder les pouvoirs d’amiable compositeur aux arbitres (sous réserve de l’accord des parties).

Le Règlement de 1934, à son article 17(3), a relaxé les conditions enserrant les pouvoirs de la Cour d’arbitrage en autorisant cette dernière à accorder les pouvoirs d’amiable compositeur à moins que l’une des parties ne s’y oppose. Le Règlement sera à nouveau amendé en 1947, l’article 17(4) renforçant la condition liée au consentement des parties à l’amiable composition.

Cette politique de la CCI en faveur de l’amiable composition reflétait une conception générale de l’arbitrage international qui prévalait à cette époque. Par exemple, dans une thèse publié en 1931 et portant sur « l’arbitrage commercial particulièrement en matière internationale », un auteur indiquait que « l’arbitre […] agit au mieux des intérêts des parties en cause et rend la décision qui lui paraît la plus juste et la plus appropriée aux circonstances ainsi qu’il sied à un juge d’équité » 12. Cette position a été relayée par d’autres auteurs dans des écrits ultérieurs, par exemple sous la plume de René David, qui décrivait l’arbitrage international comme un processus « pré juridique » ou une « alternative au droit » :

L’arbitrage au contraire nous paraît être un phénomène permanent, qui peut bien à certaines époques et dans certains domaines préparer l’avènement du droit, mais qui, à d’autres époques et dans d’autres domaines, regagne au contraire du terrain sur le droit et s’oppose à ce dernier, en raison de défauts ou insuffisances que l’on fait valoir contre le droit. 13 

l’arbitrage n’est pas ici au service du droit ; il constitue une alternative au droit, lequel n’est pas propre à assurer de manière satisfaisante le règlement de tous ces conflits. 14

Cette politique favorisant l’application de l’équité et des usages commerciaux plutôt que du droit visait à différencier les arbitres des juges étatiques. Il s’agissait de permettre aux arbitres d’adopter des solutions plus équitables, flexibles et conformes aux pratiques du commerce international que celles découlant de l’application d’un droit étatique. Comme le conseillait en 1930 René Arnaud, un membre particulièrement actif du Secrétariat de la Cour d’arbitrage de la CCI, aux usagers : « Il est de votre intérêt que l’arbitre juge en équité, en bon homme d’affaires, sans être lié par des textes de loi écrite ou des précédents de jurisprudence. Vous attendez de lui moins la science juridique que la compétence technique, le bon sens et l’impartialité. » 15

b) Cette faveur pour l’équité est allée de pair avec une limitation des motifs juridiques figurant dans les sentences.En effet, le Règlement d’arbitrage de la CCI a longtemps passé sous silence l’obligation pour les arbitres de motiver leurs sentences. Cette obligation n’est apparue que dans le Règlement d’arbitrage de 1998, dont l’article 25(2) disposait que « [l]a sentence doit être motivée ». En pratique, certes, les arbitres motivaient déjà leurs sentences avant 1998. Le Règlement de conciliation et d’arbitrage de 1927, à l’article 16(2), donnait ainsi la possibilité à la Cour d’arbitrage de décider « si la sentence sera motivée ou non ». Cette référence à la motivation des sentences disparaîtra néanmoins dès 1932. Les premières sentences publiées par la CCI dans les années 1930 étaient d’ailleurs pourvues de motifs, comme il sera établi plus loin.

Toutefois, l’insistance de la CCI en faveur de l’équité dans les années 1920 et 1930 visait à limiter, voire à exclure, les motifs juridiques. Cette exclusion avait un objectif précis : il s’agissait de limiter la possibilité pour les tribunaux étatiques de contrôler le fond des sentences et d’exercer un appel à l’égard de ces dernières. En favorisant le recours à l’équité et en limitant la motivation juridique des sentences, la CCI réduisait par là même la possibilité pour le juge étatique de contrôler la teneur de ces motifs et leur validité à l’égard du droit. Par exemple, en droit français, la clause d’amiable composition était traditionnellement interprétée comme valant renonciation tacite à l’appel, dans la mesure où une cour d’appel ne pouvait exercer son office à l’égard d’une sentence rendue en équité 16.

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L’arbitrage CCI a toutefois fait l’objet d’une évolution importante à partir des années 1930 qui a amené ses tribunaux à enraciner leurs sentences dans le droit 20.

2. L’application concurrente du droit et du non-droit dans les sentences CCI

a) Les arbitres ont progressivement développé une motivation juridique au sein de leurs sentences.Malgré l’insistance de la CCI en faveur de l’équité, les arbitres semblent avoir eu recours au raisonnement juridique dans leurs sentences dès les années 1930. Les raisons de cette évolution étaient simples : les usagers de l’arbitrage ont progressivement exercé une pression importante sur la CCI afin que les arbitres appliquent le droit plutôt que l’équité. Cette pression s’est exercée dans un contexte de dépression économique engendrée par la crise de 1929. La raison en est certainement un besoin accru de sécurité juridique que ne pouvait garantir l’équité dans un contexte économique défavorable.

Les correspondances entre le directeur juridique d’une entreprise américaine et le Secrétariat de la Cour d’arbitrage de la CCI à la fin des années 1920 témoignent de cette pression exercée par les usagers de l’arbitrage CCI. Ainsi, en novembre 1929, le directeur juridique d’une entreprise américaine écrivait au Secrétariat qu’il « pouvait à peine croire que [la CCI] voulait dire que les tribunaux arbitraux résoudraient le litige entre deux parties sur la base de considérations vagues d’équité, et ne tiendraient aucunement compte des obligations spécifiques contractées par les parties » 21. Dans le cas d’espèce évoqué par ce directeur juridique, il semblerait que les parties se soient mises d’accord sur un droit applicable au sein de leur contrat. Pourtant, nonobstant cet accord supposé entre les parties, le Secrétaire général de la Cour d’arbitrage de la CCI répondait à la fin novembre 1929 que « […] nous préférons […] un arbitrage rendu en équité par un arbitre technicien et de bon sens qui ne s’attache qu’à dégager quelles ont été les intentions des parties et de les départager équitablement » 22.

Suite à cette prise de position en faveur de l’équité, la CCI semble avoir adapté sa politique aux besoins des usagers. Ainsi, au début des

Le lien entre la volonté de limiter le contrôle exercé par les tribunaux étatiques sur les sentences et la faveur accordée par la CCI à l’amiable composition est apparu lors de la révision du son Règlement d’arbitrage en 1932. Robert Marx, un membre de la Cour d’arbitrage de la CCI, mettait en évidence ce lien dans les termes suivants :

Parmi les éléments du compromis énumérés à l’article 14 du Règlement d’arbitrage se trouve, sous lit. h, « l’engagement par les parties d’exécuter la sentence à intervenir ». Le Congrès a décidé de compléter cette phrase par les mots suivants :

« … et de renoncer à toute voie de recours à l’encontre de cette sentence. »

Cette disposition additionnelle est en parfait accord avec la notion de tout arbitrage tendant à un règlement rapide et définitif. Elle est nécessaire en raison du fait que, selon plusieurs législations, par exemple aux termes de la loi française, on peut interjeter appel devant les tribunaux ordinaires contre la sentence arbitrale, si le recours n’a pas été exclu expressément ou tacitement. Ce consentement tacite résulte souvent du fait que les pouvoirs « d’amiable compositeur » ont été donnés à l’arbitre. Cette institution, particulière au droit latin, de l’« amiable compositeur » exclusivement guidé dans son jugement par les règles d’équité sans égard au droit écrit, est étrangère à d’autres systèmes de droit, notamment au droit anglo-saxon et au droit allemand ; il a donc paru utile et nécessaire de stipuler expressément la renonciation aux voies de recours et non pas d’essayer d’y arriver par le détour d’une désignation obligatoire de l’arbitre comme « amiable compositeur » 17.

En effet, le contrôle des sentences rendues en amiable composition portait exclusivement sur leurs « nullités formelles », qui pouvaient découler du « défaut de consentement dans la nomination des arbitres » ou « l’absence d’une condition essentielle à la sentence (date, signature, etc.) » 18, contrairement aux sentences faisant application d’un droit étatique, dont les motifs pouvaient généralement faire l’objet d’un appel devant les tribunaux étatiques. Dans le Règlement de conciliation et d’arbitrage de 1927, l’amiable compositeur était ainsi défini, dans une note à l’article 14(g), comme « […] un arbitre […] dont la sentence n’est pas susceptible d’appel ». La CCI semble donc avoir adopté une stratégie visant à favoriser l’amiable composition afin de décourager les tribunaux étatiques de contrôler le fond des sentences arbitrales. Il semblerait même qu’en accordant les pouvoirs d’amiable compositeur aux arbitres, les parties aient davantage cherché à exclure la possibilité d’un appel qu’à empêcher l’application du droit 19. 

17 R. Marx, « La révision du Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale », L’Économie internationale n° 11, août 1931, 318, p. 322 (souligné par l’auteur).

18 Brochure de la CCI n° 13, Arbitrage commercial, premier Congrès, Londres, 27 juin - 1er juillet 1921, p. 19.

19 E.J. Cohn, « The Rules of Arbitration of the International Chamber of Commerce » (1965) 14 International and Comparative Law Quarterly 132, p. 158.

20 Voir par exemple F. S. Nariman, supra note 1, p. 12.

21 Extraits de correspondance entre le « Commercial Attorney » de l’entreprise X et la CCI, Paper No. 3897: « We can hardly believe that you can seriously mean to state to us that your arbitration tribunals will interpret a dispute between two contracting parties on the basis of some vague general considerations of equity, and will totally disregard the specific written undertakings of the parties. »

22 Ibid.

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composition, c’est-à-dire qu’ils jugent ex aequo et bono, en équité, sans avoir à se référer aux règles du droit. Toutefois les parties peuvent exiger que l’arbitre juge en droit. Dès lors se pose une question : à un contrat international, sans indication aucune sur le droit qui serait appelé éventuellement à régir ce contrat, quelle sera la loi applicable ? 26

Dans cette même note, la CCI aboutissait à la conclusion suivante en se fondant sur une analyse de la jurisprudence arbitrale : « Les quelques exemples ci-dessus montrent que d’ordinaire il est aisé de déterminer la loi applicable au contrat, soit en interprétant la volonté des parties d’après les circonstances de l’espèce, soit en considérant d’où émane l’offre et à quel moment le contrat a véritablement pris naissance » 27.

La CCI a donc opéré en moins de quatre ans un renversement complet de sa position concernant le droit applicable : alors qu’elle promouvait l’équité en 1929, la CCI prodigue ses conseils aux arbitres dès 1933 afin qu’ils soient en mesure de déterminer un droit applicable au fond du litige.

La CCI a par la suite encouragé les arbitres à appliquer un droit étatique au fond des litiges qui leur étaient soumis. En 1947, le terme « règles du droit » a fait une apparition, certes temporaire, dans le Règlement de conciliation et d’arbitrage de la CCI, à l’article 15(g). En 1975, le Règlement a une nouvelle fois été amendé, afin de permettre aux arbitres d’appliquer le droit choisi par les parties ou de déterminer le droit applicable au litige sur le fondement des règles de conflits de loi applicables :

Les parties sont libres de déterminer le droit que l’arbitre devra appliquer au fond du litige. À défaut d’indication par les parties du droit applicable, l’arbitre appliquera la loi désignée par la règle de conflit qu’il jugera appropriée en l’espèce.

b) Néanmoins, les motifs non-juridiques subsistent au sein des sentences arbitrales.En effet, le Règlement d’arbitrage de la CCI a atténué l’obligation pour les arbitres d’appliquer exclusivement un droit étatique par l’intermédiaire de trois dispositions.

La première disposition donne la possibilité aux arbitres de juger en amiable composition si les parties le souhaitent :

Le tribunal arbitral statue en amiable compositeur, ou décide ex aequo et bono, seulement si les parties sont convenues de l’investir de tels pouvoirs. 28 

années 1930, la CCI a accepté de publier des extraits de sentences arbitrales portant sur des questions juridiques suscitant l’interrogation des usagers suite à la crise de 1929. Par exemple, la CCI a publié des extraits de sentences portant sur le remboursement de créances contractées en livre sterling avant la dévaluation de cette devise en 1931. La livre sterling faisait en effet preuve d’une stabilité particulière par rapport aux autres devises en raison de son indexation sur l’or (le fameux « Gold Standard ») jusqu’à la crise de 1929 qui a provoqué l’abandon de cette indexation, entraînant une dévaluation de 25 % de la devise. Par conséquent, de nombreux arbitrages ont porté sur la question de savoir si une créance libellée en livre sterling avant 1931 devait être remboursée à sa valeur pré-dévaluation ou post-dévaluation.

Sous la pression des entreprises confrontées à cette question, la CCI a choisi de publier certaines sentences arbitrales rendues en son sein. Les premières de ces sentences ne font aucune référence au droit. Par exemple, la sentence dans l’affaire CCI n° 519 se réfère uniquement à l’intention des parties 23. Mais les arbitres semblent s’être progressivement tournés vers le droit étatique afin de déterminer la valeur des créances libellées en livres sterling. Par exemple, dans l’affaire CCI n° 536, le tribunal arbitral a décidé de rejeter la demande d’une partie fondée sur l’argument selon lequel « un tribunal arbitral peut apprécier en équité plutôt qu’en droit strict » 24. Prenant le contrepied de cet argument, le tribunal arbitral s’est référé dans sa sentence au droit du pays de l’acheteur :

Attendu que le contrat litigieux est soumis au droit du pays des acheteurs, la livraison de la marchandise devant avoir lieu dans ce pays où est également le domicile des défendeurs et le lieu de paiement du prix.

En outre, les parties semblent avoir de plus en plus souvent désigné un droit étatique au sein de leurs contrats. Par la suite, les tribunaux arbitraux ont logiquement choisi d’appliquer le droit désigné par les parties au sein de leur contrat plutôt que de juger en équité.

La CCI semble avoir rapidement pris conscience de cette évolution. En mars 1933, elle publiait ainsi une note intitulée « Détermination de la loi applicable au contrat international » 25. Dans cette note, la CCI décrivait la tendance consistant à appliquer un droit plutôt que l’équité dans les termes suivants :

Le plus souvent l’arbitre ou les arbitres désignés par la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale reçoivent les pouvoirs d’amiable

23 « Une sentence récente sur un contrat en livres sterling », L’Économie internationale, décembre 1932, p. 11. Voir également les sentences publiées dans « Sentences arbitrales concernant la dépréciation de la livre sterling », L’Économie internationale, octobre 1932, p. 10.

24 « A propos d’un contrat en sterling sans clause d’or », L’Économie internationale, mai 1933, p. 11.

25 L’Économie internationale, mars 1933, p. 9.

26 Ibid.

27 Ibid.

28 Règlement de 2012, article 21(3).

18 ICC INTERNATIONAL COURT OF ARBITRATION BULLETIN VOL 25/NUmBER 2 – 2014

29 « 2013 Statistical Report » (2014) 25:1 ICC ICArb. Bull 5.

30 Il faut noter à cet égard que le terme « règles du droit » avait fait une apparition subreptice dans le Règlement d’arbitrage de la CCI en 1947 avant d’en disparaître en 1955. Voir le Règlement de conciliation et d’arbitrage de la CCI (1955), article 18(g).

31 Sur ce point, voir E. Jolivet, « La jurisprudence arbitrale de la CCI et la lex mercatoria », Cahiers de l’Arbitrage – Gazette du Palais, n° 119-123, 2001/1.

32 J.-D. Bredin, « La loi du juge » dans Le Droit des relations économiques internationales – Etudes offertes à Berthold Goldman, Litec, 1982, 15, p. 27.

33 J.-D. Bredin, « A la recherche de l’aequitas mercatoria » dans L’Internationalisation du droit – Mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, 109.

34 P. Sanders, « Recent Developments in International Commercial Arbitration » (discours prononcé en 1967), § 8 (disponible sur le site internet de l’ICCA).

35 Voir par exemple J.-P. Ancel, « La Cour de cassation et les principes fondateurs de l’arbitrage international » dans Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2000, 161, p. 167.

36 E. Loquin, L’amiable composition en droit comparé et international, Librairies Techniques, 1980, p. 331-336.

l’influence de l’équité à une époque où les parties désignaient de plus en plus souvent une loi applicable au sein de leur contrat :

international arbitrators have more freedom to arrive at equitable solutions than do national judges. Here we come to the difficult question of the applicable law. What international trade is looking for are decisions based on the contract, international trade usages and principles common to the law of civilised nations. All those, engaged in drafting international contracts, know how difficult it is to make parties agree on a specific national law to which their contract should be submitted. International trade seems more qualified to develop such a new lex mercatorum, international in essence, than national judges are. 34 

D’autres membres de la doctrine considèrent au contraire que les nouveaux modes de production normative sont désormais consacrés en droit 35 et qu’ils se distinguent de l’équité par leur contenu normatif 36.

L’analyse des motifs employés par les tribunaux arbitraux de la CCI depuis 1998 donnent-ils raison à l’une ou à l’autre de ces positions ?

L’étude des sentences arbitrales publiées par la CCI semble témoigner d’un jeu plus subtil entre motifs juridiques et motifs non juridiques que celui suggéré par le débat doctrinal. En effet, un rapprochement semble avoir été opéré entre motifs juridiques et motifs non juridiques, à tel point que leur contenu semble parfois interchangeable. Nous entendrons par rapprochement la pratique des arbitres consistant à superposer les deux types de motifs, dont la similarité matérielle apparaît à la faveur de ce rapprochement.

Ce rapprochement peut être observé dans les trois hypothèses suivantes :

- La première hypothèse est celle où les parties donnent aux arbitres le pouvoir de juger en amiable composition, c’est-à-dire de juger selon l’équité plutôt que conformément à un droit étatique. Comme indiqué précédemment, cette hypothèse est largement minoritaire aujourd’hui dans la mesure où les parties évitent généralement de donner ce pouvoir aux arbitres. Dans cette hypothèse, les arbitres peuvent néanmoins faire référence à des règles de droit étatique dans leurs sentences, qui se superposent ainsi aux motifs d’équité. Certains auteurs distinguent ainsi l’amiable composition, qui autoriserait les arbitres à se référer au droit étatique dans la mesure où ce droit est compatible avec l’équité, du jugement ex aequo et bono, qui se cantonnerait à un raisonnement

En pratique, cette possibilité est rarement utilisée 29.

La seconde disposition a été introduite par le Règlement de conciliation et d’arbitrage de 1975, dont l’article 13(5) a soumis les arbitres à l’obligation de prendre en compte, outre les dispositions du contrat en cause, les « usages du commerce ».

La troisième disposition a été introduite dans le Règlement d’arbitrage de la CCI en 1998 et a remplacé le terme « droit » applicable (qui était apparu dans le Règlement de 1975, à l’article 13(3)) par « règles de droit » applicables 30, consacrant ainsi la possibilité pour les parties de choisir un droit autre qu’étatique 31. L’article 17(1) du Règlement d’arbitrage de 1998 dispose ainsi que « [l]es parties sont libres de choisir les règles de droit que le tribunal arbitral devra appliquer au fond du litige. À défaut de choix par les parties des règles de droit applicables, l’arbitre appliquera les règles de droit qu’il juge appropriées. » Le Règlement d’arbitrage de la CCI autorise dès lors les parties à choisir des règles de droit autres que celles émanant d’un État, reconnaissant ainsi la possibilité que des « règles de droit » émanent d’autres sources formelles, par exemple la jurisprudence arbitrale, la codification de pratiques commerciales internationales ou la lex mercatoria.

La reconnaissance de ces nouvelles sources de droit a suscité des divisions importantes au sein de la doctrine. Certains de ses membres ont considéré que la consécration de « règles de droit » par les arbitres ne masque qu’imparfaitement le retour de l’équité dans l’arbitrage commercial international. Jean-Denis Bredin a ainsi soutenu dans un article fameux que le débat sur la lex mercatoria masque la persistance de l’équité dans le raisonnement arbitral :

Il [l’arbitre] n’est plus « amiable compositeur » - métier sommaire qui consiste à découvrir l’équitable, ce que chacun peut faire s’il est humain et raisonnable – mais il applique la lex mercatoria, ensemble des « règles de droit appropriées ». De juste, l’arbitre devient juriste. Le voici hissé à la pleine dignité. Le voici vrai juge. Il se pourrait ainsi que la meilleure fonction de la lex mercatoria soit de flatter l’arbitre. Changeant de nom, l’équité ne change pas de nature. Mais elle gagne en autorité, en sérieux, et l’arbitre avec elle. 32

Dans un autre article, le même auteur préférait la notion d’aequitas mercatoria à celle de lex mercatoria 33. Comme en témoigne un discours prononcé par Pieter Sanders en 1967, il semble que la genèse intellectuelle de la lex mercatoria ait été marquée par une volonté de préserver

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et pouvaient éventuellement prévaloir sur un droit étatique choisi par les parties. Dans l’affaire CCI n° 13954, l’arbitre unique a rejeté cette possibilité en insistant sur la dimension non-juridique des usages du commerce :

Trade usages are clearly important for the interpretation and application of international contacts [sic]. However, the fact that such practices must be taken into account in all cases does not enable one to ignore the applicable law, whether it is chosen by the parties or the arbitrators. Trade usages do not constitute rules of law and cannot take precedence over the applicable law or dispense with the necessity of identifying it. 44

- La troisième hypothèse est celle où les parties n’ont pas choisi d’appliquer un droit (étatique) à leur contrat, soit qu’ils aient omis un tel choix de leur contrat, soit qu’ils aient choisi d’appliquer un ensemble de règles transnationales à ce dernier (par exemple, les Principes UNIDROIT ou la lex mercatoria).

Si le litige était soumis à un tribunal étatique, dans la première sous-hypothèse, ce dernier appliquerait les règles de conflits de loi du for permettant de déterminer le droit (étatique) s’appliquant au fond du litige. Néanmoins, dans la même hypothèse, l’arbitre semble jouir d’une liberté plus grande que le juge étatique puisqu’il peut appliquer de manière directe les règles de droit – étatiques ou transnationales – qui lui semblent pertinentes, nonobstant toute règle de conflits de loi 45. Par exemple, dans l’affaire CCI n° 10114, le tribunal arbitral a choisi d’appliquer de manière concurrente le droit chinois et les Principes UNIDROIT de 1994, en tant que reflet des pratiques internationales :

The Arbitral Tribunal therefore decides, that the Chinese law and international practices including Unidroit Principles are applicable to the merits of the dispute. 46

Dans la seconde sous-hypothèse, les arbitres font application des règles transnationales désignées par les parties. Ce cas de figure ne se présente néanmoins que très rarement 47. Par exemple, dans l’affaire CCI n° 7110, les parties avaient choisi de soumettre une série de contrats à des règles de « droit naturel », qui ont été interprétées par le tribunal arbitral comme indiquant l’intention des parties d’exclure l’application du droit étatique :

Through references to « natural justice » and the like, the parties indicated their intention that their Contracts be governed by substantive rules not belonging to any discrete national legal system and appropriately responding to their concerns about neutrality in the applicable law. 48

strictement équitable 37. La CCI a d’ailleurs intégré la distinction entre jugement ex aequo et bono et amiable composition au sein de son Règlement de 1998, à l’article 17(3) 38. Cette conception de l’amiable composition témoigne du rapprochement entre raisonnement juridique et raisonnement non-juridique dans les sentences arbitrales. Par exemple, dans l’affaire CCI n° 12070, le tribunal arbitral a décidé que son pouvoir de décider en amiable composition ne lui interdisait pas de se référer à un droit étatique sans qu’il soit pour autant lié à ce dernier :

The Tribunal concludes therefore that it has the power to decide this dispute ex aequo et bono according to Article 17.3 of the ICC Rules and that in using its power it does not have to determine any specific applicable law. However, it may refer to the applicable law without being bound to apply it. 39 

Dans certains cas de figure, les parties choisissent même, au sein de leur contrat, d’accorder aux arbitres le pouvoir de juger en amiable composition tout en désignant un droit dans leur contrat. Par exemple, le tribunal arbitral dans l’affaire CCI n° 13509 a été confronté à une situation où les parties l’avaient investi des pouvoirs d’amiable compositeur tout en ayant soumis leur contrat au droit français 40. Dans une pareille hypothèse, dans l’affaire CCI n° 11934, le tribunal arbitral a invoqué à la fois l’équité et l’article 1289 du Code civil français afin de compenser les « dettes réciproques » résultant de la décision arbitrale 41.

- Dans la seconde hypothèse, un droit étatique est applicable au fond du litige, soit en raison d’un accord entre les parties, soit en raison d’une décision du tribunal arbitral désignant ce droit. Dans cette hypothèse, les arbitres choisissent parfois de prendre en considération les usages du commerce, forme de résurgence de l’équité, en plus de ce droit étatique. Cette référence aux usages du commerce se fait sur la base du Règlement d’arbitrage de la CCI, dont la version de 2012 dispose à l’article 21(2) que « [l]e tribunal arbitral tient compte des dispositions du contrat entre les parties, le cas échéant, et de tous les usages du commerce pertinents », ou sur la base du droit applicable au fond du litige. Par exemple, dans l’affaire CCI n° 5713, le tribunal arbitral a choisi de prendre en considération, outre le droit turc qui s’appliquait au fond du litige, les usages pertinents du commerce sur la base du Règlement d’arbitrage de la CCI 42. Dans l’affaire CCI n° 7091, l’arbitre unique a choisi d’appliquer, outre le droit italien, les usages du commerce international aux termes de l’article 1374 du Code civil italien 43. La question s’est en outre posé de savoir si les usages du commerce avaient un contenu juridique

37 Voir par exemple la discussion dans la sentence finale dans l’affaire n° 12772, (2007) 18 :1 Bull. CIArb. CCI 116.

38 Sur ce point, voir L. Kiffer, « L’amiable composition et l’arbitrage CCI » (2007) 18 :1 Bull. CIArb. CCI 54.

39 Sentence finale dans l’affaire n° 12070, (2007) 18 :1 Bull. CIArb. CCI. 111, § 48.

40 Sentence rendue dans l’affaire n° 13509 en 2006, dans J.-J. Arnaldez, Y. Derains, D. Hascher, dir., Collection of ICC Arbitral Awards/ Recueil des sentences arbitrales de la CCI 2008-2011, Wolters Kluwer/ICC, 2013, 739

41 Sentence finale dans l’affaire n° 11934, (2007) 18 :1 Bull. CIArb. CCI 108, § 88.

42 Sentence finale dans l’affaire n° 5713, (1990) 1:2 Bull. CIArb. CCI 24.

43 Sentence finale dans l’affaire n° 7091, (2010) 21:2 Bull. CIArb. CCI 66.

44 Sentence finale de 2007 dans l’affaire n° 13954, dans J.-J. Arnaldez, Y. Derains, D. Hascher, dir., Collection of ICC Arbitral Awards/ Recueil des sentences arbitrales de la CCI 2008-2011, Wolters Kluwer/ICC, 2013, 519, p. 535.

45 Sur ce point, voir E. Jolivet, « La détermination du droit applicable au fond du litige », Cahiers de l’arbitrage – Gazette du Palais, n° 184-185, 2008/2.

46 Sentence finale dans l’affaire n° 10114, (2001) 12:2 Bull. CIArb. CCI 105, p. 107.

47 Voir E. Jolivet, « La jurisprudence arbitrale de la CCI et la lex mercatoria », Cahiers de l’Arbitrage – Gazette du Palais, n° 119-123, 2001/1.

48 Sentences partielles dans l’affaire n° 7110, (1999) 10:2 Bull. CIArb. CCI 40.

20 ICC INTERNATIONAL COURT OF ARBITRATION BULLETIN VOL 25/NUMBER 2 – 2014

Le tribunal arbitral a donc choisi d’appliquer les Principes UNIDROIT :

this Tribunal finds that general legal rules and principles enjoying wide international consensus, applicable to international contractual obligations and relevant to the Contracts, are primarily reflected by the Principles of International Commercial Contracts adopted by Unidroit (the « Unidroit Principles ») in 1994 […] In consequence, without prejudice to taking into account the provisions of the Contracts and relevant trade usages, this Tribunal finds that the Contracts are governed by, and shall be interpreted in accordance [with], the Unidroit Principles with respect to all matters falling within the scope of such Principles, and for all other matters, by such other general legal rules and principles applicable to international contractual obligations enjoying wide international consensus, which would be found relevant for deciding controverted issues falling under the present arbitration. 49

En conclusion, l’arbitrage CCI a fait l’objet d’une évolution remarquable liée à l’apparition progressive des motifs juridiques dans les sentences arbitrales. S’ils n’ont pas complètement disparu des sentences arbitrales, les motifs non-juridiques ont été rétrogradés d’un rôle central à une place subsidiaire au sein de ces sentences. En parallèle, les motifs juridiques ont progressivement acquis une place centrale dans la pratique de la CCI. Le tournant de cette évolution semble pouvoir être situé dans les années 1930, au moment où les usagers de la CCI exprimaient un besoin accru de sécurité juridique suscité par une crise inédite de l’économie mondiale. La CCI a su répondre à ce besoin en encourageant le développement des motifs juridiques au sein des sentences arbitrales, tout en préservant une place aux motifs non-juridiques. Cet équilibre entre prévisibilité et flexibilité a sans nul doute contribué au succès majeur de l’institution, qui ne s’est pas démenti par la suite.

49 Ibid.

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