Upload
galatasaray
View
2
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
La Laïcité en Turquie. Le poids de l’héritage Ottoman.
La laïcité en Turquie est un sujet qui suscite depuis longtemps la passion et
l’inquiétude. L’analyse sociologique de la laïcité évoque souvent la structure et le
fonctionnement de l’État. La sociologie de la laïcité turque est alors intimement liée à
la sociologie de l’État. Dans le cadre de cette réflexion sur la laïcité en Turquie nous
allons donc situer la question dans un rapport d’interdépendance entre la religion et le
politique, (dont le lieu principal est l’institution étatique) ceci dans une approche de
sociologie historique. La compréhension de la laïcité républicaine n’est possible qu’en
saisissant certains éléments plus anciens qui constituent l’héritage d’une tradition
« laïque ».* Cette approche nous donnera la possibilité de nous démarquer des
discours « pour » et « contre » la laïcité en Turquie.** La production de ce type de
réflexion rédigée souvent de manière polémique est abondante. Rares sont les
politologues et sociologues qui s’intéressent à ce sujet sans engagement politique
préalable.
Par ailleurs, depuis son introduction au début de la République, il n’y a pas
de consensus sur la définition de la notion de la laïcité. Şerif Mardin souligne cette
absence de conceptualisation : « Pour les partisans du projet républicain, la laïcité
acquiert son contenu dans l’optique d’une confrontation symétrique avec le "peuple
réactionnaire" et non dans un contenu ou un argument philosophique clair. »1 Nous
pouvons formuler, deux définitions simplificatrices : Pour les républicains, la laïcité
signifie la séparation du politique et du religieux, alors que pour les islamistes elle
renvoi à l’éradication de l’islam et la propagation de l’athéisme. La laïcité est donc
perçue souvent comme un enjeu politique à la fois par ses partisans et ses adversaires.
Elle ne constitue pas un objet de réflexion objectif mais plutôt un sujet d’actualité
débattu d’une manière émotionnelle.
Dans son ouvrage sur l’héritage de la laïcité Jean Bauberot privilégie comme
piste de réflexion « la manière dont (la laïcité française) s’est située face au statut de
* L’historien Ömer Lütfi Barkan est un des premiers à évoquer l’aspect « laïque » de l’Etat ottoman pour le moins dans la période classique.
** Les partisans et les adversaires de la laïcité sont souvent affiliés à des mouvements politiques. Il
s’agit des intellectuels engagés dont les idées sur la question s’inscrivent dans une logique de combat politique.
1 MARDİN (Şerif)- « Laïcité en Turquie et en France. Propositions pour une meilleure
compréhension », CEMOTI, no : 19, janvier-juin 1995, p.294
la religion dans la société »2. Depuis l’Empire ottoman, en l’absence d’une institution
concurrente comme l’Eglise en Occident face à l’État, dans le cas turc, le statut de la
religion islamique dans la structure étatique demeure essentiel. Autrement dit, tout
questionnement relatif à la laïcité en Turquie doit impérativement s’interroger sur
l’institution étatique et le mode de gouvernement.
L’opinion courante concernant la particularité de l’islam par rapport aux
autres religions monothéistes, selon laquelle l’islam « intéresse la vie tout entière,
exerçant une juridiction non point limitée, mais globale. Dans une société de ce type,
l’idée même d’une séparation de l’Église et de l’État est dénuée de sens, pour autant
qu’il n’y a pas deux entités susceptibles d’être disjointes, l’Église et l’État, le pouvoir
religieux et le pouvoir politique ne font qu’un »3. Partant de cette idée d’une
séparation impraticable entre le spirituel et le temporel au sein de l’islam, de
nombreux sociologues et politologues turcs de tendance kémaliste légitiment la
soumission de la religion à l’État. Ils présentent ainsi la laïcité turque comme une
spécificité incontournable, nécessitée par la « substance » de la religion islamique.
L’héritage Ottoman
Les débats portant sur le caractère « laïque » ou islamique de l’État ottoman,
sur les plans social, administratif et politique ont donné lieu à de nombreux travaux.
Pour certains historiens turcs, l’État ottoman a les traits d’une « laïcité » particulière,
résultant de l’organisation de l’État et de la juridiction selon des lois coutumières.4
Pour d’autres, il s’agit au contraire d’un État théocratique marqué par la « priorité
absolue de la religion sur le politique ». Beaucoup de politologues turcs le qualifient
d’État théocratique5 par opposition à la République laïque. Doğu Ergil affirme que
« le sultanat (ottoman) est un gouvernement monarchique constitué sur les principes
islamiques »6. Selon cette approche, le sultan ottoman doit toujours agir
conformément à la charia et soumettre ses décisions aux autorités religieuses avant de
2 BAUBEROT (Jean)- La laïcité, quel héritage ? Genève, Labor et Fides, 1996, p. 9.
3 LEWIS (Bertrand) - Le retour de l’islam. Gallimard, 1985, p. 374.
4 BARKAN (Ömer Lütfi) - « Türkiye’de din ve devlet ilişkilerinin tarihsel gelişimi », in Cumhuriyetin
50. yıldönümü semineri. Ankara, TTK, 1975, p. 53.
5 Pour un bon exemple, cf., ARSEL (İlhan) - Teokratik devlet anlayışından demokratik devlet
anlayışına. Şeriat devletinden laik Cumhuriyet’e) Ankara, AÜHF., 1993, p. 159, mais aussi le reste de
l’ouvrage.
6 ERGİL (Doğu) - « Laiklik üzerine düşünceler. Türkiye örneği », AÜSBF. dergisi, 1989, n° 34, p .3.
les mettre en pratique. Cependant, l’histoire est plus complexe en ce qui concerne la
place et l’influence de la religion dans l’organisation de l’État, du droit et dans la
manière de gouverner.
Dans une situation d’éparpillement du pouvoir aux mains de plusieurs bey
turcs, en Anatolie, « l’idéologie religieuse de la « maison ottomane » au XIVe siècle
reste encore simple et populaire n’ayant pas encore été encadrée par un islam
dogmatique, inflexible de madrasa. Cette conception idéologique de l’État ottoman en
phase de construction est marquée par la tolérance religieuse des communautés soufis
d’Anatolie qui jouent un rôle considérable dans la formation de cet État.7
Selon Şerif Mardin, « les conditions générales qui régissent les relations
entre l’État et l’islam acquièrent certaines caractéristiques propres à l’État ottoman.
Cet État se différencie de ses prédécesseurs islamiques par son organisation
sophistiquée et son emprise sur les oulémas ».8 Cependant, la fusion entre le politique
et le religieux résultant de la conception d’une religion étatisée ne doit pas cacher le
rapport de force ambigu, existant au sein de l’État : Dans l’État ottoman, « la
différence entre le droit/tradition administratif et la charia était un voile sur une lutte
socio-politique entre la bureaucratie, les oulémas et la classe militaire-dirigeante. »9
Le droit ottoman est constitué par trois éléments essentiels de poids inégal et en
conflit : la charia, la coutume et le kanun. Le rapport entre ces trois facteurs constitue
en quelque sorte la dynamique intellectuelle de l’Empire ottoman.10 Cependant,
comme le souligne Huricihan İslamoğlu İnan, « la possibilité de mise en place et la
légitimité des normes à la fois religieuses et coutumières dépendent largement la
formulation de ces normes par l’État ottoman.11 Pour les Ottomans, l’appartenance à
l’école juridique hanafite facilite non pas une stricte séparation du politique et du
religieux, mais plutôt une autonomie, voire une domination du politique sur le
religieux. L’école juridique hanéfite donne à l’État la possibilité de développer des
7 OCAK (Ahmet Yaşar)- « Osmanlı Beyliği topraklarındaki sufi çevreler ve Abdalan-ı Rum sorunu.
(1300-1389) », in ZACHARIADOU (Elisabeth)- Osmanlı Beyliği. (1300-1389). Tarih vakfı yurt
yayınları, İstanbul, 1997, p.172
8 MARDİN (Şerif)- Art.cit., p. 293
9 İNALCIK (Halil)- “Osmanlı imparatorluğunda islam. I.”, Dergah, n° 30, p.15
10 Le discours de Cemal KAFADAR. Debat : Osmanlı’da din-devlet ilişkisi. « Türkiye’de din-devlet
ilişkisi sempozyumu », mayıs 1994, Helsinki yurttaşları derneği, in AKYÜZ (Vecdi)- ed. Osmanlı’da din devlet ilişkisi. İstanbul, Ayışığı, 1999, pp.122-123
11 Ibid.,Le discours de Huricihan İslamoğlu İnan. p. 131
mesures extra-religieuses pour résoudre des problèmes nouveaux. Les décisions du
sultan prises en toute liberté, notamment dans le domaine du droit islamique/charia,
créent un certain équilibre entre la raison d’État et les exigences de la religion.12
Dans son ouvrage « Osmanlı », Ümit Hassan trace minutieusement la
transformation des comportements, des croyances et de l’organisation administrative
vers une idéologie officielle et un cadre juridique élaboré au fil de l’histoire de l’État
ottoman. Dans le processus de la construction de l’État les coutumes et les
interdictions turques préislamiques qui constitue le fondement de juridiction sont
renforcées par la charia. A la même époque, les oulémas prêts servir à l’État sont
inclus dans la structure étatique. L’État se transforme en un État pour-soi et se
différencie de plus en plus par rapport à la société (particulièrement il s’éloigne des
nomades turcs en Anatolie qui veulent garder la tradition turque préislamique malgré
leur conversion à l’islam). Les interdictions découlant des coutumes anciennes
déterminent le comportement des agents de l’État et elles constituent progressivement
le cadre juridique de l’État. Les interdictions préislamiques « yasak » se transforment
dans l’institution étatique en lois « yasa ». Ce processus d’étatisation prend une
tournure radicale avec la prise de Constantinople par le sultan Mehmet II, qui marque
la formation d’un État impérial.
L’élaboration de Kanunname-i Al-i Osman* sous l’ordre du Sultan Mehmet
II, la réorganisation de la bureaucratie étatique, la redéfinition du statut du sultan (le
sultan se retire dans le divan derrière une grille), l’affirmation de la raison d’État sont
autant de signes d’un État de plus en plus centralisé et différencié.13 Le sultan
Mehmet II, considéré le fondateur de l’État impérial centralisé, renforce les principes
des coutumes en les transcrivant comme loi et encourage l’autonomie du droit
séculier. Dans le cadre de Kanunname-i Al-i Osman le sultan intègre officiellement
les oulémas dans les institutions étatiques. Ce qui étonne l’historien Cemal Kafadar,
c’est que les islamistes de l’époque contemporaine apprécient le sultan Mehmet II
12 CAYMAZ (Birol)- Les mouvements islamiques Turcs à Paris. Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 39-40. * Kanunname-i Al-i Osman : Le corpus de loi séculière rassemblant les anciennes lois et l’ordre du
Sultan Mehmet II. Une des conséquences de mise en place intensive des Kanun et leur application sans
partage par le pouvoir politique est l’attitude conformiste des oulémas qui n’arriveront pas à se mettre à
une distance nécessaire par rapport au pouvoir du sultan.
13 HASSAN (Ümit)- Osmanlı. Örgüt-inanç-davranış’tan hukuk-ideoloji’ye. İstanbul, İletişim, 2004,
pp.159-160
comme la plus grande personnalité, sans faire la moindre critique de cette
transformation radicale de l’institutionnalisation de kanunname. 14
Ahmet Yaşar Ocak désigne l’Empire ottoman comme un « État de
croyance ». Cette conception dépasse l’idée purement islamique de l’État de charia en
accentuant son caractère sacré. De même, dans le processus de l’institutionnalisation,
l’État ottoman se différencie, conformément aux coutumes turques préislamiques,
comme une institution éminente. L’étatisation de l’islam orthodoxe accompagne dans
l’Empire ottoman la sacralisation de l’État. L’autonomisation de l’État à l’égard de la
société et de la variante populaire de la religion (l’islam soufi) correspond à une mise
sous tutelle étatique de l’islam sunnite-hanafite. Le corps religieux, les oulémas en
tant que fonctionnaires d’État, assurent la reproduction de l’ordre social établi et le
bon fonctionnement des affaires étatiques. De même, ils défendent l’autorité de l’État
par l’intermédiaire des espaces qu’ils gèrent, comme le droit, la juridiction, la
religion, l’éducation et la formation. En ce qui concerne le rapport entre la religion et
le politique l’auteur évoque une fusion. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de parler de
deux entités séparées, institutionnalisés de manière autonome mais de deux cercles
qui s’entre-pénètrent au sein de l’État. Cependant, en ce qui concerne la grandeur et la
force, le cercle étatique englobe celui de la religion. En d’autres termes, bien que
l’État ottoman se présente comme un État islamique, la supériorité affirmée de la
raison d’État domine dans son fonctionnement. Pour mieux illustrer ce fait
d’intégration de la religion dans l’institution étatique, Ahmet Yaşar Ocak formule une
maxime qui nous semble valable encore de nos jours pour la période républicaine :
« Tout est pour l’État, la religion aussi »15.
Notre interprétation des questions de la modernisation et de la laïcité
républicaine diffère donc par rapport à deux points de vue opposés mais qui, tous
deux, font état d’une rupture avec l’Empire ottoman. Le premier soutient l’idée d’un
passage soudain d’un « empire théocratique »16 à un État-nation moderne grâce aux
14 AKYÜZ (Vecdi)- ed. Osmanlı’da din devlet ilişkisi. İstanbul, Ayışığı, 1999, p. 125
15 OCAK (Ahmet Yaşar)- Zındıklar ve Mülhidler. İstanbul, Tarih vakfı yurt yayınları, p.73.
16 L’Empire ottoman diffère du modèle classique de l’État musulman. Selon la théorie classique, « le dirigeant peut seulement être un juge et un administrateur ; son pouvoir est exécutif, administratif et
juridique mais non législatif. Dieu seul est le Grand Législateur puisqu’il a déjà donné la Loi divine,
parfaite, suffisante, immuable et écrite pour l’éternité dans le Coran, l’ultime révélation nécessaire à
l’humanité. Il ne saurait donc y avoir de place ni de nécessité pour un État législateur, et gouverner
n’est pas légiférer mais administrer et interpréter. Le dirigeant n’est ni émanation de la Loi ni un
créateur de lois mais un instrument de celle-ci », in ZARTMAN (William) - « Pouvoir et État dans
réformes kémalistes, sans prendre en considération les efforts de modernisation
réalisés au cours du XIXe siècle. Le second, formulé par les conservateurs et les
islamistes, suit la même logique de rupture historique mais est critique à l’égard du
kémalisme, auquel il reproche d’avoir opéré la laïcisation de façon autoritaire au sein
d’une société musulmane attachée à son héritage culturel, notamment islamique. Pour
les uns comme pour les autres, l’État ottoman est un État de charia. Ces deux
approches, historiquement réductrices, mais longtemps -et encore de nos jours-
populaires, opposant les kémalistes aux islamistes, peuvent être dépassées par une
vision critique de l’histoire qui rend compte de la complexité d’un long processus de
modernisation.
Certes, en ce qui concerne sa représentation l’État ottoman se veut un État
islamique dont la religion constitue l’une des grandes institutions. Mais en réalité dans
le fonctionnement de l’État les affaires sont soumises à l’autorité religieuse en la
personne du şeyhülislam** afin d’avoir un appui de légitimité religieuse. Dans certains
contextes historiques conflictuels nous constatons l’expulsion voire l’exécution de
şeyhülislam, accusé de pratiques subversives de son autorité, sous l’ordre du sultan.
Les raisons principales de l’expulsion sont évoquées par l’historien İsmail Hakkı
Uzunçarşılı : le désaccord avec le Grand-vezir, l’accusation du Grand-vezir auprès du
Sultan, l’organisation d’un soulèvement contre l’autorité politique, le vieillissement,
le favoritisme et finalement l’intervention de lui-même et de ses proches dans les
affaires étatiques.17 Jusqu’au XVIIIe siècle, le şeyhülislam qui est la plus grande
autorité spirituelle de l’État ottoman n’est consulté par le Sultan que pour les
questions relatives à l’islam et ne fait pas partie du divan***, ce qui montre sa place
secondaire dans les affaires étatiques ottomanes.18 Ce rapport de force l’amène de fait,
l’islam », Pouvoirs, 1980, nº12, p. 6. On observe par contre dans l’Empire ottoman l’existence d’une
législation indépendante de la charia.
** Şeyhülislam : Désigne le principal dignitaire religieux de l’État des Ottomans. SOURDEL (Janine et
Dominique) - Dictionnaire historique de l’islam. Paris, PUF, 1996, p. 200.
17 UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK, Ankara, 1988, p. 192
*** Divan : Instance consultative rassemblant tous les hauts fonctionnaires d’État sous la direction du
sultan.
18 MUMCU (Ahmet)- Divan-ı Hümayun. Birey ve Toplum yay., Ankara, 1986, pp.55-56. Pour la même affirmation voir aussi UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK,
Ankara, 1988, pp. 178, 189. YAKUT (Esra)- Şeyhülislamlık. Kitap yay., İstanbul, 2005, p. 16. Selon
l’auteur; “Sauf les nominations des fonctionnaires de l’administration juridique et éducative le
şeyhülislam n’a pas de responsabilité ni le pouvoir administratif.
en tant que conseiller religieux et par ses fatwa****, à attester la conformité des
décisions du sultan à l’islam. Afin d’éviter tout conflit éventuel, le şeyhülislam se
prononce généralement en usant d’une formule devenue classique : « Ce n’est pas une
affaire de charia, il faut agir selon l’ordre donné », ce qui atteste de nouveau
l’autonomie des affaires étatiques par rapport à la religion.
A partir du XVIe siècle, sous le Şeyhülislam Ebusuud Efendi (†1574), le
statut de şeyhülislam dans l’organisation étatique se renforce. Il devient l’instance
supérieure des affaires religieuses et le chef de tous les oulémas. « Par la suite, on
consulta le şeyhülislam non seulement pour les questions d’éducation et de religion,
mais aussi pour celles relatives aux affaires étatiques, administratives et politiques »19.
Malgré son pouvoir élargi, le şeyhülislam ne fait toujours pas partie du divan, où se
prennent les grandes décisions concernant l’État, mais, à partir de cette époque il
« joue un rôle important dans la politique intérieure du gouvernement »20.
Le rapport entre l’autorité politique et les religieux, marqué par la soumission
des seconds à la première, est pertinent dans la mesure où l’autorité du sultan est
incontestable. L’intérêt de l’État, sa détermination politique et sa raison d’État
dominent la conduite et l’organisation étatique dès l’émergence de l’État ottoman21.
L’affaiblissement à la fois économique mais aussi politique de l’État ottoman à partir
du XVIIIe siècle modifie le comportement des sultans concernant la place de l’islam
dans les affaires étatiques. Par la suite, on constate un relatif élargissement de
l’influence du religieux touchant à l’organisation et au fonctionnement de l’État, sans
que la tradition politique soit bouleversée. Dans cette période de régression, les
sultans ottomans essayent de se conformer, souvent de façon formaliste, aux normes
islamiques, et recourent de plus en plus à leur titre de « khalife de tous les
musulmans » pour consolider leur influence sur les peuples musulmans.
L’histoire ottomane présente de nombreux exemples qui démontrent
l’attitude conformiste des oulémas et le pouvoir absolu du sultan. Dans les rares
situations conflictuelles entre l’autorité supérieure religieuse, le şeyhülislam et le
**** Fatwa : Réponse rendue sur une question juridique par un juriste chargé de présenter, pour ce cas précis, une interprétation qui facilite l’application de la Loi. SOURDEL (Janine et Dominique) - op.cit.,
p. 288
19 UZUNÇARŞILI (İsmail-Hakkı)– Osmanlı tarihi. p. 449.
20 Ibid., p. 449.
21 BARKAN (Ömer Lütfi) - art.cit., p. 52.
sultan ottoman, c’est ce dernier qui impose sa décision. Cependant, comme le
souligne l’historien Uzunçarşılı, il existe des circonstances particulières de crise
politique ou l’autorité religieuse du şeyhülislam lui donne la possibilité d’exercer un
pouvoir concret. Pour un Sultan impuissant l’instance de şeyhülislam devient une
source d’inquiétude. Celui-ci peut parfois légitimer par son fatwa un soulèvement
militaire contre le pouvoir en place.22
Le conflit se cristallise très souvent entre l’autorité religieuse de şeyhülislam
et le Grand-vezir incarnant le pouvoir « temporel ». Ces deux grandes autorités dans
l’échelon supérieur de l’État veulent exercer leurs influences sur le Sultan. Nous
constatons à travers l’histoire ottomane la prise de position du Sultan qui s’allie, selon
le contexte, á l’un contre l’autre. A partir du XVIIe siècle on constate non seulement
l’expulsion mais aussi l’exécution de certains şeyhülislam sous l’ordre du Sultan. A
cette époque le pouvoir central subit un affaiblissement et le conflit opposant
différentes parties de la bureaucratie rend le statut du şeyhülislam assez important. Le
pouvoir du şeyhülislam pour légitimer les actions politiques lui donne la possibilité
d’exercer une autorité dans les affaires étatiques mais en même temps il entraîne le
risque d’être exécuté. Uzunçarşılı indique plusieurs cas d’expulsion et d’exécution des
şeyhülislam à travers l’histoire ottomane : le Şeyhülislam Ahizade Hüseyin Efendi
sous le règne du Sultan Murat IV a été exécuté en 1633 sous prétexte de détrôner le
Sultan. En 1656 le Sultan Mehmet IV ordonne l’exécution de Şeyhülislam Hocazade
Mesut Efendi, un personnage imposant qui intervient dans les affaires étatiques
jusqu'à la nomination du Grand-vezir. Il a été accusé de préparer un soulèvement de
janissaires contre le palais. Le Şeyhülislam Seyyit Feyzullah Efendi, accusé d’exercer
trop d’influence sur le Sultan Mustafa II (qui était son ancien élève) et de son appât du
pouvoir a été emprisonné à Edirne en 1703 et lynché par une masse mécontente.23
Dans l’Empire ottoman, le domaine du droit privé, le mariage et l’héritage,
ainsi que le droit civil sont officiellement réglés par la charia24. Toutefois, dans la
pratique, les normes du droit administratif, notamment en matière de finances
publiques, la bureaucratie, l’administration et certaines affaires de droit pénal sont
directement organisées par les kanunname résultant des ordres et firmans des sultans.
22 UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK, Ankara, 1988, p. 178
23 Ibid., pp. 223-226
24 BARKAN (Ömer Lütfi) - art.cit., p. 55.
Comme le montre İnalcık25, cette tradition est institutionnalisée par le sultan Mehmet
II le conquérant, fondateur de l’Empire centralisé, premier gouvernant dans la
civilisation islamique à avoir élargi son pouvoir législatif en créant un véritable
corpus juridique fondé sur l’autorité politique.
De plus, la toute-puissance du sultan apparaît à travers ses interventions en
matière de droit pénal, domaine réservé de la charia. Dans certains cas, les Ottomans
ont modifié les normes de la charia par l’entremise directe des kanunname, alors
même que les lois islamiques prévoyaient déjà des sanctions à appliquer. Ainsi, alors
que, selon la loi islamique, on tranchait la main d’un voleur, l’usage ottoman en la
matière a substitué des peines économiques aux sévices physiques.
A la fin du XVIIIe siècle, des efforts de réformes se mettent en place afin
d’établir une nouvelle machine étatique, tout en maintenant la structure ancienne,
traditionnelle. Ce processus de reconstruction d’un État inspiré par le despotisme
éclairé de l’Occident dévalorise les structures religieuses. Dès le milieu du XIXe
siècle, un nouveau système d’administration s’établit où les oulémas perdent
progressivement leur place dans l’enseignement et dans les tribunaux au profit de
nouveaux bureaucrates. On assiste alors à l’émergence de nouveaux courants
islamiques, créés par ces oulémas de plus en plus exclus du système. Dans ce
processus, l’équilibre social islamique entre sultan, oulémas et ordres mystiques
disparaît progressivement.
La relecture républicaine du modèle ottomane
Au cours du XIXe siècle, les dirigeants de l’Empire ottoman tentèrent de
consolider la structure étatique par le moyen de réformes partielles. Les nombreuses
réformes qui se succèdent pendant cette époque d’affaiblissement politique présentent
deux caractéristiques majeures : une modernisation progressive façonnée par l’État
qui constitue le début d’une sécularisation et une centralisation étatique. Cependant, la
politique d’occidentalisation de l’État ottoman reste sectorielle, touchant
principalement les domaines militaire, administratif et législatif, et s’appuie sur une
légitimité traditionnelle restaurée. A ce propos Bertrand Badie évoque une
modernisation conservatrice, car l’importation du modèle occidental « correspond à
des périodes au cours desquelles se conjuguent un affaiblissement militaire à l’égard
25 İNALCIK (Halil) - art.cit., p. 15.
de l’Occident et une détérioration des conditions d’exercice de la domination
sultanique à l’intérieur de l’empire »26.
Dans le cadre de ce processus de modernisation cherchant à rétablir l’ordre
ancien et l’autorité de l’État, les changements portent d’abord sur le domaine
militaire. Ils sont suivis de réformes administratives, éducatives et juridiques.
L’influence occidentale se fait également sentir dans l’institutionnalisation étatique à
travers une bureaucratie relativement sécularisée. Dans le cadre d’une réorganisation
administrative, la mise en place des ministères spécialisés renforce l’autonomie du
pouvoir politique par rapport à l’autorité religieuse de plus en plus affirmée du
şeyhülislam. De même, un droit laïque apparaît, couvrant certains secteurs de la vie
sociale, tels que le commerce ou l’organisation judiciaire. Enfin, les efforts de
reconstitution touchent en profondeur le domaine éducatif.
Dans ce processus de modernisation et de sécularisation on constate un
certain dualisme entre le droit coutumier « devenu un vrai corpus de droit public »27 et
la charia, et entre l’éducation laïque et l’éducation religieuse. À cet égard, les
réformes kémalistes accompagnant la création de la République apparaissent comme
une intensification et une radicalisation de cette tendance réformatrice ; autrement dit
le kémalisme28 ne peut pas être considéré comme une rupture totale avec le passé
ottoman. Comme le souligne Danièle Hervieu-Léger à propos d’une fausse opposition
entre tradition et modernité : « Il s’agit en fait de deux dynamiques intriquées, l’une
privilégiant l’ordre, l’autre le mouvement. L’aventure humaine témoigne de la
dominance progressive du mouvement sur l’ordre, et de l’autonomie humaine sur
l’hétéronomie. Mais ce processus ne se résout pas tout entier dans la destruction et la
disparition du monde ancien : il est de dé-structuration et re-structuration, dé-
composition et re-composition, dés-organisation mais aussi ré-aménagements et ré-
emplois des éléments issus de l’ordre ancien, dans le dispositif mobile de la société
26 BADIE (Bertrand) - L’État importé. Paris, Fayard, 1992, p. 334.
27 YERASIMOS (Stéphane) - « Le Coran et la loi », Les cahiers de l’Orient, n° 27, 1992, p. 75.
28 On interprète le kémalisme, lié fortement à la personnalité de Mustafa Kemal, comme une entité idéale. Cependant, le kémalisme dont le sens change dans les différentes périodes de l’histoire
républicaine, apparaît plutôt comme un phénomène historique. « les six flèches figurant dans le
programme du PRP [...] constituent la présentation la plus complète du kémalisme : le nationalisme, le
républicanisme, le laïcisme, le réformisme, le populisme et l’étatisme. », JEVAKHOFF (Alexandre) -
« Le kémalisme, cinquante ans après », CEMOTI, nº 8, 1989, pp. 119-121.
moderne. »29 Bien que dans la construction nationale Mustafa Kemal veuille effacer
l’héritage ottoman, il est resté attaché à la tradition ottomane de ne pas mettre en
relation la sphère politique et la sphère religieuse.30
Dans ce contexte, il est important de rappeler les remarques d’Ali
Kazancıgil : « En réalité, Mustafa Kemal et ses partisans n’ont pas directement
importé ces idées d’Occident ; ils les ont souvent héritées du patrimoine intellectuel
accumulé par plusieurs générations de réformateurs et de nationalistes ottomans. Le
kémalisme a renforcé ces mouvements de réforme qui remontent au début du XIXe
siècle et il les a portés jusqu’à leur conséquence ultime : la création d’un État
moderne turc. Il s’enracine profondément dans un processus séculaire qui a répondu à
des stimuli internes et externes »31.
Durant la guerre d’indépendance, (1919-1923) on constate le poids encore
considérable du fait religieux dont « la force unifiante »32 exerce une influence
sensible sur le mouvement nationaliste. Grâce à la coopération des fonctionnaires
civils, des notables et des religieux, des oulémas et des cheikhs***** locaux en
Anatolie, Mustafa Kemal réussit à mobiliser la paysannerie pourtant épuisée par les
défaites militaires depuis presque deux siècles. Mais, après la guerre d’indépendance,
les élites modernisatrices mettent en œuvre une politique de laïcisation radicale de
l’État. Dès 1924, le gouvernement commence à prendre des mesures afin de
réorganiser les institutions religieuses officielles de la République turque. Le sultanat
et le califat sont supprimés par la Grande Assemblée Nationale, tandis que les
oulémas cessent de faire partie de la nouvelle élite politique. Les députés mettent
également fin à l’existence du Ministère des Affaires religieuses et des waqf******. Le
ministère est remplacé par « direction des affaires religieuses » rattachée directement
au service du Premier ministre. A la même époque, les députés votent une « loi sur
l’unification de l’instruction » qui supprime les anciens établissements
29 HERVIEU-LEGER (Danièle)- La religion pour mémoire. Paris, Cerf, 1993, p. 124
30 ÖĞÜN (Süleyman Seyfi)- « Politik kültürün şekillenmesinde tarihin konumu », in Sosyal bilimleri
yeniden düşünmek. İstanbul, Metis, 1998, p. 191.
31 KAZANCIGİL (Ali) - « Türkiye’de modern devletin oluşumu ve kemalizm », in KALAYCIOĞLU
(Ersin), SARIBAY (Ali Yaşar) éd.- Türk siyasal hayatının gelişimi, İstanbul, Beta, 1986, p. 171.
32 DESROCHE (Henri) - Sociologies religieuses. Paris, PUF, 1968, p. 158.
***** Cheikh : chef spirituel d’un ordre religieux.
****** Waqf : fondation pieuse.
d’enseignement religieux, les madrasas, et précise que toutes les structures éducatives
turques sont regroupées au sein d’une seule organisation, le Ministère de l’Éducation
Nationale.
L’État républicain veut à la fois ré-organiser et encadrer la bonne religion au
service de la construction nationale tout en interdisant l’islam confrérique
incompatible avec son projet d’élaborer une nouvelle identité. Cette ré-organistion de
la religion consiste à restreindre son champ d’activité, c’est-à-dire qu’elle n’a plus le
pouvoir ni le droit de prétendre organiser les activités juridique et éducative.
Rattachée à la bureaucratie étatique la « direction des affaires religieuses » assure
exclusivement des services religieux, un service public reconnu, protégé, financé et
surveillé directement par l’État. L’État républicain est obstinément « laïque » tout en
organisant et favorisant une religiosité particulière de majorité, l’islam sunnite de
l’école hanafite. Ainsi, alors que vers la fin de l’Empire ottoman, le religieux avait
gagné une certaine autonomie et intervenait plus intensivement dans les affaires
étatiques, constituant la force principale d’opposition aux réformes étatiques, les
réformes kémalistes, notamment en matière politique, religieuse et éducative, veulent
réinstaurer le pouvoir de l’État, mais cette fois-ci sous une nouvelle forme moderne,
républicaine et « laïque ».33
Les réformes républicaines peuvent être interprétées à la fois comme une
continuité par rapport à celles de l’Empire ottoman et comme une rupture
révolutionnaire dans la mesure où elles visent à transformer non seulement l’État,
mais aussi la société. En Turquie le désenchantement du monde ne signifie pas un
processus de sortie de la religion, mais plutôt la marginalisation de celle ci dans la
machine étatique et progressivement dans la vie sociale. Nous affirmons que la laïcité
qui ne concerne que le contrôle de l’islam orthodoxe par l’État ne couvre pas le long
processus de modernisation et sécularisation commencé déjà à la dernière époque de
l’Empire ottoman, précisément dans la période de Tanzimat*. La question posée par la
sécularisation ne se réduit pas à celle de la séparation entre religion et Etat ou
politique et religion, elle va de l’éducation à la santé, de la politique au droit, de la
question vestimentaire au mode de vie. L’affrontement entre les partisans et les
33 Pour ce qui est le debat sur la laicite dans la periode de la construction de la Republique voir :
CAYMAZ (Birol)- « Türkiye Cumhuriyeti’nin kuruluş sürecinde laiklik tartışmaları », Bilgi ve Bellek,
no : 4, 2005, pp. 173-185.
* Les Tanzimat, (réorganisation en Turc) : Une période de reformes étatiques dans l’Empire Ottoman
qui dure de 1839 à 1876.
adversaires de la modernité est encore à l’ordre du jour, et aujourd’hui, bien que la
sécularisation ait un passé quasi-bicentenaire, le processus continue encore. Pour
sortir de l’impasse créée par la confrontation entre les monologues pour ou contre la
laïcité, au lieu de lire la modernisation turque comme une tradition à conserver, il
faudrait peut-être chercher à la concevoir comme un point de départ dynamique vers
une société plus démocratique.
BIBLIOGRAPHIE
AKYÜZ (Vecdi)- ed. Osmanlı’da din devlet ilişkisi. İstanbul, Ayışığı, 1999.
ARSEL (İlhan)- Teokratik devlet anlayışından demokratik devlet anlayışına. Şeriat devletinden laik Cumhuriyet’e) Ankara, AÜHF., 1993.
BADIE (Bertrand)- L’État importé. Paris, Fayard, 1992.
BARKAN (Ömer Lütfi)- « Türkiye’de din ve devlet ilişkilerinin tarihsel gelişimi », in Cumhuriyetin 50. yıldönümü semineri. Ankara, TTK, 1975.
BAUBEROT (Jean)- La laïcité, quel héritage ? Genève, Labor et Fides, 1990.
CAYMAZ (Birol)- Les mouvements islamiques turcs à Paris. L’Harmattan, 2003.
CAYMAZ (Birol)- « Türkiye Cumhuriyeti’nin kuruluş sürecinde laiklik tartışmaları », Bilgi ve Bellek, no : 4, 2005.
DESROCHE (Henri)- Sociologies religieuses. Paris, PUF, 1968.
ERGİL (Doğu)- « Laiklik üzerine düşünceler. Türkiye örneği », AÜSBF. dergisi, 1989, n° 34.
HASSAN (Ümit)- Osmanlı. Örgüt-inanç-davranış’tan hukuk-ideoloji’ye. İstanbul, İletişim,
2004.
HERVIEU-LEGER (Danièle)- La religion pour mémoire. Paris, Cerf, 1993.
İNALCIK (Halil)- “Osmanlı imparatorluğunda islam. I.”, Dergah, n° 30.
JEVAKHOFF (Alexandre)- « Le kémalisme, cinquante ans après », CEMOTI, nº 8, 1989.
KAZANCIGİL (Ali)- « Türkiye’de modern devletin oluşumu ve kemalizm », in
KALAYCIOĞLU (Ersin), SARIBAY (Ali Yaşar) éd.- Türk siyasal hayatının gelişimi, İstanbul, Beta, 1986.
MARDİN (Şerif)- « Laïcité en Turquie et en France. Propositions pour une meilleure
compréhension », CEMOTI, no : 19, janvier-juin 1995.
MUMCU (Ahmet)- Divan-ı Hümayun. Birey ve Toplum yay., Ankara, 1986.
LEWIS (Bertrand)- Le retour de l’islam. Gallimard, 1985.
OCAK (Ahmet Yaşar)- « Osmanlı Beyliği topraklarındaki sufi çevreler ve Abdalan-ı Rum
sorunu. (1300-1389) », in ZACHARIADOU (Elisabeth)- Osmanlı Beyliği. (1300-1389). Tarih vakfı yurt yayınları, İstanbul, 1997.
OCAK (Ahmet Yaşar)- Zındıklar ve Mülhidler. İstanbul, Tarih vakfı yurt yayınları, İstanbul,
1999.
ÖĞÜN (Süleyman Seyfi)- « Politik kültürün şekillenmesinde tarihin konumu », in Sosyal
bilimleri yeniden düşünmek. İstanbul, Metis, 1998.
UZUNÇARŞILI (İsmail-Hakkı)- Osmanlı tarihi. TTK, Ankara, 1986.
UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK, Ankara, 1988.
YAKUT (Esra)- Şeyhülislamlık. Yenileşme döneminde devlet ve din. İstanbul, Kitap
yayınevi, 2005.
YERASIMOS (Stéphane)- « Le Coran et la loi », Les cahiers de l’Orient, n° 27, 1992.
ZARTMAN (William)- « Pouvoir et État dans l’islam », Pouvoirs, nº12, 1980.