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La Laïcité en Turquie. Le poids de l’héritage Ottoman. La laïcité en Turquie est un sujet qui suscite depuis longtemps la passion et l’inquiétude. L’analyse sociologique de la laïcité évoque souvent la structure et le fonctionnement de l’État. La sociologie de la laïcité turque est alors intimement liée à la sociologie de l’État. Dans le cadre de cette réflexion sur la laïcité en Turquie nous allons donc situer la question dans un rapport d’interdépendance entre la religion et le politique, (dont le lieu principal est l’institution étatique) ceci dans une approche de sociologie historique. La compréhension de la laïcité républicaine n’est possible qu’en saisissant certains éléments plus anciens qui constituent l’héritage d’une tradition « laïque ». * Cette approche nous donnera la possibilité de nous démarquer des discours « pour » et « contre » la laïcité en Turquie. ** La production de ce type de réflexion rédigée souvent de manière polémique est abondante. Rares sont les politologues et sociologues qui s’intéressent à ce sujet sans engagement politique préalable. Par ailleurs, depuis son introduction au début de la République, il n’y a pas de consensus sur la définition de la notion de la laïcité. Şerif Mardin souligne cette absence de conceptualisation : « Pour les partisans du projet républicain, la laïcité acquiert son contenu dans l’optique d’une confrontation symétrique avec le "peuple réactionnaire" et non dans un contenu ou un argument philosophique clair. » 1 Nous pouvons formuler, deux définitions simplificatrices : Pour les républicains, la laïcité signifie la séparation du politique et du religieux, alors que pour les islamistes elle renvoi à l’éradication de l’islam et la propagation de l’athéisme. La laïcité est donc perçue souvent comme un enjeu politique à la fois par ses partisans et ses adversaires. Elle ne constitue pas un objet de réflexion objectif mais plutôt un sujet d’actualité débattu d’une manière émotionnelle. Dans son ouvrage sur l’héritage de la laïcité Jean Bauberot privilégie comme piste de réflexion « la manière dont (la laïcité française) s’est située face au statut de * L’historien Ömer Lütfi Barkan est un des premiers à évoquer l’aspect « laïque » de l’Etat ottoman pour le moins dans la période classique. ** Les partisans et les adversaires de la laïcité sont souvent affiliés à des mouvements politiques. Il s’agit des intellectuels engagés dont les idées sur la question s’inscrivent dans une logique de combat politique. 1 MARDİN (Şerif)- « Laïcité en Turquie et en France. Propositions pour une meilleure compréhension », CEMOTI, no : 19, janvier-juin 1995, p.294

"La laïcité en Turquie: le poids de l’héritage ottoman"

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La Laïcité en Turquie. Le poids de l’héritage Ottoman.

La laïcité en Turquie est un sujet qui suscite depuis longtemps la passion et

l’inquiétude. L’analyse sociologique de la laïcité évoque souvent la structure et le

fonctionnement de l’État. La sociologie de la laïcité turque est alors intimement liée à

la sociologie de l’État. Dans le cadre de cette réflexion sur la laïcité en Turquie nous

allons donc situer la question dans un rapport d’interdépendance entre la religion et le

politique, (dont le lieu principal est l’institution étatique) ceci dans une approche de

sociologie historique. La compréhension de la laïcité républicaine n’est possible qu’en

saisissant certains éléments plus anciens qui constituent l’héritage d’une tradition

« laïque ».* Cette approche nous donnera la possibilité de nous démarquer des

discours « pour » et « contre » la laïcité en Turquie.** La production de ce type de

réflexion rédigée souvent de manière polémique est abondante. Rares sont les

politologues et sociologues qui s’intéressent à ce sujet sans engagement politique

préalable.

Par ailleurs, depuis son introduction au début de la République, il n’y a pas

de consensus sur la définition de la notion de la laïcité. Şerif Mardin souligne cette

absence de conceptualisation : « Pour les partisans du projet républicain, la laïcité

acquiert son contenu dans l’optique d’une confrontation symétrique avec le "peuple

réactionnaire" et non dans un contenu ou un argument philosophique clair. »1 Nous

pouvons formuler, deux définitions simplificatrices : Pour les républicains, la laïcité

signifie la séparation du politique et du religieux, alors que pour les islamistes elle

renvoi à l’éradication de l’islam et la propagation de l’athéisme. La laïcité est donc

perçue souvent comme un enjeu politique à la fois par ses partisans et ses adversaires.

Elle ne constitue pas un objet de réflexion objectif mais plutôt un sujet d’actualité

débattu d’une manière émotionnelle.

Dans son ouvrage sur l’héritage de la laïcité Jean Bauberot privilégie comme

piste de réflexion « la manière dont (la laïcité française) s’est située face au statut de

* L’historien Ömer Lütfi Barkan est un des premiers à évoquer l’aspect « laïque » de l’Etat ottoman pour le moins dans la période classique.

** Les partisans et les adversaires de la laïcité sont souvent affiliés à des mouvements politiques. Il

s’agit des intellectuels engagés dont les idées sur la question s’inscrivent dans une logique de combat politique.

1 MARDİN (Şerif)- « Laïcité en Turquie et en France. Propositions pour une meilleure

compréhension », CEMOTI, no : 19, janvier-juin 1995, p.294

la religion dans la société »2. Depuis l’Empire ottoman, en l’absence d’une institution

concurrente comme l’Eglise en Occident face à l’État, dans le cas turc, le statut de la

religion islamique dans la structure étatique demeure essentiel. Autrement dit, tout

questionnement relatif à la laïcité en Turquie doit impérativement s’interroger sur

l’institution étatique et le mode de gouvernement.

L’opinion courante concernant la particularité de l’islam par rapport aux

autres religions monothéistes, selon laquelle l’islam « intéresse la vie tout entière,

exerçant une juridiction non point limitée, mais globale. Dans une société de ce type,

l’idée même d’une séparation de l’Église et de l’État est dénuée de sens, pour autant

qu’il n’y a pas deux entités susceptibles d’être disjointes, l’Église et l’État, le pouvoir

religieux et le pouvoir politique ne font qu’un »3. Partant de cette idée d’une

séparation impraticable entre le spirituel et le temporel au sein de l’islam, de

nombreux sociologues et politologues turcs de tendance kémaliste légitiment la

soumission de la religion à l’État. Ils présentent ainsi la laïcité turque comme une

spécificité incontournable, nécessitée par la « substance » de la religion islamique.

L’héritage Ottoman

Les débats portant sur le caractère « laïque » ou islamique de l’État ottoman,

sur les plans social, administratif et politique ont donné lieu à de nombreux travaux.

Pour certains historiens turcs, l’État ottoman a les traits d’une « laïcité » particulière,

résultant de l’organisation de l’État et de la juridiction selon des lois coutumières.4

Pour d’autres, il s’agit au contraire d’un État théocratique marqué par la « priorité

absolue de la religion sur le politique ». Beaucoup de politologues turcs le qualifient

d’État théocratique5 par opposition à la République laïque. Doğu Ergil affirme que

« le sultanat (ottoman) est un gouvernement monarchique constitué sur les principes

islamiques »6. Selon cette approche, le sultan ottoman doit toujours agir

conformément à la charia et soumettre ses décisions aux autorités religieuses avant de

2 BAUBEROT (Jean)- La laïcité, quel héritage ? Genève, Labor et Fides, 1996, p. 9.

3 LEWIS (Bertrand) - Le retour de l’islam. Gallimard, 1985, p. 374.

4 BARKAN (Ömer Lütfi) - « Türkiye’de din ve devlet ilişkilerinin tarihsel gelişimi », in Cumhuriyetin

50. yıldönümü semineri. Ankara, TTK, 1975, p. 53.

5 Pour un bon exemple, cf., ARSEL (İlhan) - Teokratik devlet anlayışından demokratik devlet

anlayışına. Şeriat devletinden laik Cumhuriyet’e) Ankara, AÜHF., 1993, p. 159, mais aussi le reste de

l’ouvrage.

6 ERGİL (Doğu) - « Laiklik üzerine düşünceler. Türkiye örneği », AÜSBF. dergisi, 1989, n° 34, p .3.

les mettre en pratique. Cependant, l’histoire est plus complexe en ce qui concerne la

place et l’influence de la religion dans l’organisation de l’État, du droit et dans la

manière de gouverner.

Dans une situation d’éparpillement du pouvoir aux mains de plusieurs bey

turcs, en Anatolie, « l’idéologie religieuse de la « maison ottomane » au XIVe siècle

reste encore simple et populaire n’ayant pas encore été encadrée par un islam

dogmatique, inflexible de madrasa. Cette conception idéologique de l’État ottoman en

phase de construction est marquée par la tolérance religieuse des communautés soufis

d’Anatolie qui jouent un rôle considérable dans la formation de cet État.7

Selon Şerif Mardin, « les conditions générales qui régissent les relations

entre l’État et l’islam acquièrent certaines caractéristiques propres à l’État ottoman.

Cet État se différencie de ses prédécesseurs islamiques par son organisation

sophistiquée et son emprise sur les oulémas ».8 Cependant, la fusion entre le politique

et le religieux résultant de la conception d’une religion étatisée ne doit pas cacher le

rapport de force ambigu, existant au sein de l’État : Dans l’État ottoman, « la

différence entre le droit/tradition administratif et la charia était un voile sur une lutte

socio-politique entre la bureaucratie, les oulémas et la classe militaire-dirigeante. »9

Le droit ottoman est constitué par trois éléments essentiels de poids inégal et en

conflit : la charia, la coutume et le kanun. Le rapport entre ces trois facteurs constitue

en quelque sorte la dynamique intellectuelle de l’Empire ottoman.10 Cependant,

comme le souligne Huricihan İslamoğlu İnan, « la possibilité de mise en place et la

légitimité des normes à la fois religieuses et coutumières dépendent largement la

formulation de ces normes par l’État ottoman.11 Pour les Ottomans, l’appartenance à

l’école juridique hanafite facilite non pas une stricte séparation du politique et du

religieux, mais plutôt une autonomie, voire une domination du politique sur le

religieux. L’école juridique hanéfite donne à l’État la possibilité de développer des

7 OCAK (Ahmet Yaşar)- « Osmanlı Beyliği topraklarındaki sufi çevreler ve Abdalan-ı Rum sorunu.

(1300-1389) », in ZACHARIADOU (Elisabeth)- Osmanlı Beyliği. (1300-1389). Tarih vakfı yurt

yayınları, İstanbul, 1997, p.172

8 MARDİN (Şerif)- Art.cit., p. 293

9 İNALCIK (Halil)- “Osmanlı imparatorluğunda islam. I.”, Dergah, n° 30, p.15

10 Le discours de Cemal KAFADAR. Debat : Osmanlı’da din-devlet ilişkisi. « Türkiye’de din-devlet

ilişkisi sempozyumu », mayıs 1994, Helsinki yurttaşları derneği, in AKYÜZ (Vecdi)- ed. Osmanlı’da din devlet ilişkisi. İstanbul, Ayışığı, 1999, pp.122-123

11 Ibid.,Le discours de Huricihan İslamoğlu İnan. p. 131

mesures extra-religieuses pour résoudre des problèmes nouveaux. Les décisions du

sultan prises en toute liberté, notamment dans le domaine du droit islamique/charia,

créent un certain équilibre entre la raison d’État et les exigences de la religion.12

Dans son ouvrage « Osmanlı », Ümit Hassan trace minutieusement la

transformation des comportements, des croyances et de l’organisation administrative

vers une idéologie officielle et un cadre juridique élaboré au fil de l’histoire de l’État

ottoman. Dans le processus de la construction de l’État les coutumes et les

interdictions turques préislamiques qui constitue le fondement de juridiction sont

renforcées par la charia. A la même époque, les oulémas prêts servir à l’État sont

inclus dans la structure étatique. L’État se transforme en un État pour-soi et se

différencie de plus en plus par rapport à la société (particulièrement il s’éloigne des

nomades turcs en Anatolie qui veulent garder la tradition turque préislamique malgré

leur conversion à l’islam). Les interdictions découlant des coutumes anciennes

déterminent le comportement des agents de l’État et elles constituent progressivement

le cadre juridique de l’État. Les interdictions préislamiques « yasak » se transforment

dans l’institution étatique en lois « yasa ». Ce processus d’étatisation prend une

tournure radicale avec la prise de Constantinople par le sultan Mehmet II, qui marque

la formation d’un État impérial.

L’élaboration de Kanunname-i Al-i Osman* sous l’ordre du Sultan Mehmet

II, la réorganisation de la bureaucratie étatique, la redéfinition du statut du sultan (le

sultan se retire dans le divan derrière une grille), l’affirmation de la raison d’État sont

autant de signes d’un État de plus en plus centralisé et différencié.13 Le sultan

Mehmet II, considéré le fondateur de l’État impérial centralisé, renforce les principes

des coutumes en les transcrivant comme loi et encourage l’autonomie du droit

séculier. Dans le cadre de Kanunname-i Al-i Osman le sultan intègre officiellement

les oulémas dans les institutions étatiques. Ce qui étonne l’historien Cemal Kafadar,

c’est que les islamistes de l’époque contemporaine apprécient le sultan Mehmet II

12 CAYMAZ (Birol)- Les mouvements islamiques Turcs à Paris. Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 39-40. * Kanunname-i Al-i Osman : Le corpus de loi séculière rassemblant les anciennes lois et l’ordre du

Sultan Mehmet II. Une des conséquences de mise en place intensive des Kanun et leur application sans

partage par le pouvoir politique est l’attitude conformiste des oulémas qui n’arriveront pas à se mettre à

une distance nécessaire par rapport au pouvoir du sultan.

13 HASSAN (Ümit)- Osmanlı. Örgüt-inanç-davranış’tan hukuk-ideoloji’ye. İstanbul, İletişim, 2004,

pp.159-160

comme la plus grande personnalité, sans faire la moindre critique de cette

transformation radicale de l’institutionnalisation de kanunname. 14

Ahmet Yaşar Ocak désigne l’Empire ottoman comme un « État de

croyance ». Cette conception dépasse l’idée purement islamique de l’État de charia en

accentuant son caractère sacré. De même, dans le processus de l’institutionnalisation,

l’État ottoman se différencie, conformément aux coutumes turques préislamiques,

comme une institution éminente. L’étatisation de l’islam orthodoxe accompagne dans

l’Empire ottoman la sacralisation de l’État. L’autonomisation de l’État à l’égard de la

société et de la variante populaire de la religion (l’islam soufi) correspond à une mise

sous tutelle étatique de l’islam sunnite-hanafite. Le corps religieux, les oulémas en

tant que fonctionnaires d’État, assurent la reproduction de l’ordre social établi et le

bon fonctionnement des affaires étatiques. De même, ils défendent l’autorité de l’État

par l’intermédiaire des espaces qu’ils gèrent, comme le droit, la juridiction, la

religion, l’éducation et la formation. En ce qui concerne le rapport entre la religion et

le politique l’auteur évoque une fusion. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de parler de

deux entités séparées, institutionnalisés de manière autonome mais de deux cercles

qui s’entre-pénètrent au sein de l’État. Cependant, en ce qui concerne la grandeur et la

force, le cercle étatique englobe celui de la religion. En d’autres termes, bien que

l’État ottoman se présente comme un État islamique, la supériorité affirmée de la

raison d’État domine dans son fonctionnement. Pour mieux illustrer ce fait

d’intégration de la religion dans l’institution étatique, Ahmet Yaşar Ocak formule une

maxime qui nous semble valable encore de nos jours pour la période républicaine :

« Tout est pour l’État, la religion aussi »15.

Notre interprétation des questions de la modernisation et de la laïcité

républicaine diffère donc par rapport à deux points de vue opposés mais qui, tous

deux, font état d’une rupture avec l’Empire ottoman. Le premier soutient l’idée d’un

passage soudain d’un « empire théocratique »16 à un État-nation moderne grâce aux

14 AKYÜZ (Vecdi)- ed. Osmanlı’da din devlet ilişkisi. İstanbul, Ayışığı, 1999, p. 125

15 OCAK (Ahmet Yaşar)- Zındıklar ve Mülhidler. İstanbul, Tarih vakfı yurt yayınları, p.73.

16 L’Empire ottoman diffère du modèle classique de l’État musulman. Selon la théorie classique, « le dirigeant peut seulement être un juge et un administrateur ; son pouvoir est exécutif, administratif et

juridique mais non législatif. Dieu seul est le Grand Législateur puisqu’il a déjà donné la Loi divine,

parfaite, suffisante, immuable et écrite pour l’éternité dans le Coran, l’ultime révélation nécessaire à

l’humanité. Il ne saurait donc y avoir de place ni de nécessité pour un État législateur, et gouverner

n’est pas légiférer mais administrer et interpréter. Le dirigeant n’est ni émanation de la Loi ni un

créateur de lois mais un instrument de celle-ci », in ZARTMAN (William) - « Pouvoir et État dans

réformes kémalistes, sans prendre en considération les efforts de modernisation

réalisés au cours du XIXe siècle. Le second, formulé par les conservateurs et les

islamistes, suit la même logique de rupture historique mais est critique à l’égard du

kémalisme, auquel il reproche d’avoir opéré la laïcisation de façon autoritaire au sein

d’une société musulmane attachée à son héritage culturel, notamment islamique. Pour

les uns comme pour les autres, l’État ottoman est un État de charia. Ces deux

approches, historiquement réductrices, mais longtemps -et encore de nos jours-

populaires, opposant les kémalistes aux islamistes, peuvent être dépassées par une

vision critique de l’histoire qui rend compte de la complexité d’un long processus de

modernisation.

Certes, en ce qui concerne sa représentation l’État ottoman se veut un État

islamique dont la religion constitue l’une des grandes institutions. Mais en réalité dans

le fonctionnement de l’État les affaires sont soumises à l’autorité religieuse en la

personne du şeyhülislam** afin d’avoir un appui de légitimité religieuse. Dans certains

contextes historiques conflictuels nous constatons l’expulsion voire l’exécution de

şeyhülislam, accusé de pratiques subversives de son autorité, sous l’ordre du sultan.

Les raisons principales de l’expulsion sont évoquées par l’historien İsmail Hakkı

Uzunçarşılı : le désaccord avec le Grand-vezir, l’accusation du Grand-vezir auprès du

Sultan, l’organisation d’un soulèvement contre l’autorité politique, le vieillissement,

le favoritisme et finalement l’intervention de lui-même et de ses proches dans les

affaires étatiques.17 Jusqu’au XVIIIe siècle, le şeyhülislam qui est la plus grande

autorité spirituelle de l’État ottoman n’est consulté par le Sultan que pour les

questions relatives à l’islam et ne fait pas partie du divan***, ce qui montre sa place

secondaire dans les affaires étatiques ottomanes.18 Ce rapport de force l’amène de fait,

l’islam », Pouvoirs, 1980, nº12, p. 6. On observe par contre dans l’Empire ottoman l’existence d’une

législation indépendante de la charia.

** Şeyhülislam : Désigne le principal dignitaire religieux de l’État des Ottomans. SOURDEL (Janine et

Dominique) - Dictionnaire historique de l’islam. Paris, PUF, 1996, p. 200.

17 UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK, Ankara, 1988, p. 192

*** Divan : Instance consultative rassemblant tous les hauts fonctionnaires d’État sous la direction du

sultan.

18 MUMCU (Ahmet)- Divan-ı Hümayun. Birey ve Toplum yay., Ankara, 1986, pp.55-56. Pour la même affirmation voir aussi UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK,

Ankara, 1988, pp. 178, 189. YAKUT (Esra)- Şeyhülislamlık. Kitap yay., İstanbul, 2005, p. 16. Selon

l’auteur; “Sauf les nominations des fonctionnaires de l’administration juridique et éducative le

şeyhülislam n’a pas de responsabilité ni le pouvoir administratif.

en tant que conseiller religieux et par ses fatwa****, à attester la conformité des

décisions du sultan à l’islam. Afin d’éviter tout conflit éventuel, le şeyhülislam se

prononce généralement en usant d’une formule devenue classique : « Ce n’est pas une

affaire de charia, il faut agir selon l’ordre donné », ce qui atteste de nouveau

l’autonomie des affaires étatiques par rapport à la religion.

A partir du XVIe siècle, sous le Şeyhülislam Ebusuud Efendi (†1574), le

statut de şeyhülislam dans l’organisation étatique se renforce. Il devient l’instance

supérieure des affaires religieuses et le chef de tous les oulémas. « Par la suite, on

consulta le şeyhülislam non seulement pour les questions d’éducation et de religion,

mais aussi pour celles relatives aux affaires étatiques, administratives et politiques »19.

Malgré son pouvoir élargi, le şeyhülislam ne fait toujours pas partie du divan, où se

prennent les grandes décisions concernant l’État, mais, à partir de cette époque il

« joue un rôle important dans la politique intérieure du gouvernement »20.

Le rapport entre l’autorité politique et les religieux, marqué par la soumission

des seconds à la première, est pertinent dans la mesure où l’autorité du sultan est

incontestable. L’intérêt de l’État, sa détermination politique et sa raison d’État

dominent la conduite et l’organisation étatique dès l’émergence de l’État ottoman21.

L’affaiblissement à la fois économique mais aussi politique de l’État ottoman à partir

du XVIIIe siècle modifie le comportement des sultans concernant la place de l’islam

dans les affaires étatiques. Par la suite, on constate un relatif élargissement de

l’influence du religieux touchant à l’organisation et au fonctionnement de l’État, sans

que la tradition politique soit bouleversée. Dans cette période de régression, les

sultans ottomans essayent de se conformer, souvent de façon formaliste, aux normes

islamiques, et recourent de plus en plus à leur titre de « khalife de tous les

musulmans » pour consolider leur influence sur les peuples musulmans.

L’histoire ottomane présente de nombreux exemples qui démontrent

l’attitude conformiste des oulémas et le pouvoir absolu du sultan. Dans les rares

situations conflictuelles entre l’autorité supérieure religieuse, le şeyhülislam et le

**** Fatwa : Réponse rendue sur une question juridique par un juriste chargé de présenter, pour ce cas précis, une interprétation qui facilite l’application de la Loi. SOURDEL (Janine et Dominique) - op.cit.,

p. 288

19 UZUNÇARŞILI (İsmail-Hakkı)– Osmanlı tarihi. p. 449.

20 Ibid., p. 449.

21 BARKAN (Ömer Lütfi) - art.cit., p. 52.

sultan ottoman, c’est ce dernier qui impose sa décision. Cependant, comme le

souligne l’historien Uzunçarşılı, il existe des circonstances particulières de crise

politique ou l’autorité religieuse du şeyhülislam lui donne la possibilité d’exercer un

pouvoir concret. Pour un Sultan impuissant l’instance de şeyhülislam devient une

source d’inquiétude. Celui-ci peut parfois légitimer par son fatwa un soulèvement

militaire contre le pouvoir en place.22

Le conflit se cristallise très souvent entre l’autorité religieuse de şeyhülislam

et le Grand-vezir incarnant le pouvoir « temporel ». Ces deux grandes autorités dans

l’échelon supérieur de l’État veulent exercer leurs influences sur le Sultan. Nous

constatons à travers l’histoire ottomane la prise de position du Sultan qui s’allie, selon

le contexte, á l’un contre l’autre. A partir du XVIIe siècle on constate non seulement

l’expulsion mais aussi l’exécution de certains şeyhülislam sous l’ordre du Sultan. A

cette époque le pouvoir central subit un affaiblissement et le conflit opposant

différentes parties de la bureaucratie rend le statut du şeyhülislam assez important. Le

pouvoir du şeyhülislam pour légitimer les actions politiques lui donne la possibilité

d’exercer une autorité dans les affaires étatiques mais en même temps il entraîne le

risque d’être exécuté. Uzunçarşılı indique plusieurs cas d’expulsion et d’exécution des

şeyhülislam à travers l’histoire ottomane : le Şeyhülislam Ahizade Hüseyin Efendi

sous le règne du Sultan Murat IV a été exécuté en 1633 sous prétexte de détrôner le

Sultan. En 1656 le Sultan Mehmet IV ordonne l’exécution de Şeyhülislam Hocazade

Mesut Efendi, un personnage imposant qui intervient dans les affaires étatiques

jusqu'à la nomination du Grand-vezir. Il a été accusé de préparer un soulèvement de

janissaires contre le palais. Le Şeyhülislam Seyyit Feyzullah Efendi, accusé d’exercer

trop d’influence sur le Sultan Mustafa II (qui était son ancien élève) et de son appât du

pouvoir a été emprisonné à Edirne en 1703 et lynché par une masse mécontente.23

Dans l’Empire ottoman, le domaine du droit privé, le mariage et l’héritage,

ainsi que le droit civil sont officiellement réglés par la charia24. Toutefois, dans la

pratique, les normes du droit administratif, notamment en matière de finances

publiques, la bureaucratie, l’administration et certaines affaires de droit pénal sont

directement organisées par les kanunname résultant des ordres et firmans des sultans.

22 UZUNÇARŞILI (İsmail Hakkı)- Osmanlı devletinin ilmiye teşkilâtı. TTK, Ankara, 1988, p. 178

23 Ibid., pp. 223-226

24 BARKAN (Ömer Lütfi) - art.cit., p. 55.

Comme le montre İnalcık25, cette tradition est institutionnalisée par le sultan Mehmet

II le conquérant, fondateur de l’Empire centralisé, premier gouvernant dans la

civilisation islamique à avoir élargi son pouvoir législatif en créant un véritable

corpus juridique fondé sur l’autorité politique.

De plus, la toute-puissance du sultan apparaît à travers ses interventions en

matière de droit pénal, domaine réservé de la charia. Dans certains cas, les Ottomans

ont modifié les normes de la charia par l’entremise directe des kanunname, alors

même que les lois islamiques prévoyaient déjà des sanctions à appliquer. Ainsi, alors

que, selon la loi islamique, on tranchait la main d’un voleur, l’usage ottoman en la

matière a substitué des peines économiques aux sévices physiques.

A la fin du XVIIIe siècle, des efforts de réformes se mettent en place afin

d’établir une nouvelle machine étatique, tout en maintenant la structure ancienne,

traditionnelle. Ce processus de reconstruction d’un État inspiré par le despotisme

éclairé de l’Occident dévalorise les structures religieuses. Dès le milieu du XIXe

siècle, un nouveau système d’administration s’établit où les oulémas perdent

progressivement leur place dans l’enseignement et dans les tribunaux au profit de

nouveaux bureaucrates. On assiste alors à l’émergence de nouveaux courants

islamiques, créés par ces oulémas de plus en plus exclus du système. Dans ce

processus, l’équilibre social islamique entre sultan, oulémas et ordres mystiques

disparaît progressivement.

La relecture républicaine du modèle ottomane

Au cours du XIXe siècle, les dirigeants de l’Empire ottoman tentèrent de

consolider la structure étatique par le moyen de réformes partielles. Les nombreuses

réformes qui se succèdent pendant cette époque d’affaiblissement politique présentent

deux caractéristiques majeures : une modernisation progressive façonnée par l’État

qui constitue le début d’une sécularisation et une centralisation étatique. Cependant, la

politique d’occidentalisation de l’État ottoman reste sectorielle, touchant

principalement les domaines militaire, administratif et législatif, et s’appuie sur une

légitimité traditionnelle restaurée. A ce propos Bertrand Badie évoque une

modernisation conservatrice, car l’importation du modèle occidental « correspond à

des périodes au cours desquelles se conjuguent un affaiblissement militaire à l’égard

25 İNALCIK (Halil) - art.cit., p. 15.

de l’Occident et une détérioration des conditions d’exercice de la domination

sultanique à l’intérieur de l’empire »26.

Dans le cadre de ce processus de modernisation cherchant à rétablir l’ordre

ancien et l’autorité de l’État, les changements portent d’abord sur le domaine

militaire. Ils sont suivis de réformes administratives, éducatives et juridiques.

L’influence occidentale se fait également sentir dans l’institutionnalisation étatique à

travers une bureaucratie relativement sécularisée. Dans le cadre d’une réorganisation

administrative, la mise en place des ministères spécialisés renforce l’autonomie du

pouvoir politique par rapport à l’autorité religieuse de plus en plus affirmée du

şeyhülislam. De même, un droit laïque apparaît, couvrant certains secteurs de la vie

sociale, tels que le commerce ou l’organisation judiciaire. Enfin, les efforts de

reconstitution touchent en profondeur le domaine éducatif.

Dans ce processus de modernisation et de sécularisation on constate un

certain dualisme entre le droit coutumier « devenu un vrai corpus de droit public »27 et

la charia, et entre l’éducation laïque et l’éducation religieuse. À cet égard, les

réformes kémalistes accompagnant la création de la République apparaissent comme

une intensification et une radicalisation de cette tendance réformatrice ; autrement dit

le kémalisme28 ne peut pas être considéré comme une rupture totale avec le passé

ottoman. Comme le souligne Danièle Hervieu-Léger à propos d’une fausse opposition

entre tradition et modernité : « Il s’agit en fait de deux dynamiques intriquées, l’une

privilégiant l’ordre, l’autre le mouvement. L’aventure humaine témoigne de la

dominance progressive du mouvement sur l’ordre, et de l’autonomie humaine sur

l’hétéronomie. Mais ce processus ne se résout pas tout entier dans la destruction et la

disparition du monde ancien : il est de dé-structuration et re-structuration, dé-

composition et re-composition, dés-organisation mais aussi ré-aménagements et ré-

emplois des éléments issus de l’ordre ancien, dans le dispositif mobile de la société

26 BADIE (Bertrand) - L’État importé. Paris, Fayard, 1992, p. 334.

27 YERASIMOS (Stéphane) - « Le Coran et la loi », Les cahiers de l’Orient, n° 27, 1992, p. 75.

28 On interprète le kémalisme, lié fortement à la personnalité de Mustafa Kemal, comme une entité idéale. Cependant, le kémalisme dont le sens change dans les différentes périodes de l’histoire

républicaine, apparaît plutôt comme un phénomène historique. « les six flèches figurant dans le

programme du PRP [...] constituent la présentation la plus complète du kémalisme : le nationalisme, le

républicanisme, le laïcisme, le réformisme, le populisme et l’étatisme. », JEVAKHOFF (Alexandre) -

« Le kémalisme, cinquante ans après », CEMOTI, nº 8, 1989, pp. 119-121.

moderne. »29 Bien que dans la construction nationale Mustafa Kemal veuille effacer

l’héritage ottoman, il est resté attaché à la tradition ottomane de ne pas mettre en

relation la sphère politique et la sphère religieuse.30

Dans ce contexte, il est important de rappeler les remarques d’Ali

Kazancıgil : « En réalité, Mustafa Kemal et ses partisans n’ont pas directement

importé ces idées d’Occident ; ils les ont souvent héritées du patrimoine intellectuel

accumulé par plusieurs générations de réformateurs et de nationalistes ottomans. Le

kémalisme a renforcé ces mouvements de réforme qui remontent au début du XIXe

siècle et il les a portés jusqu’à leur conséquence ultime : la création d’un État

moderne turc. Il s’enracine profondément dans un processus séculaire qui a répondu à

des stimuli internes et externes »31.

Durant la guerre d’indépendance, (1919-1923) on constate le poids encore

considérable du fait religieux dont « la force unifiante »32 exerce une influence

sensible sur le mouvement nationaliste. Grâce à la coopération des fonctionnaires

civils, des notables et des religieux, des oulémas et des cheikhs***** locaux en

Anatolie, Mustafa Kemal réussit à mobiliser la paysannerie pourtant épuisée par les

défaites militaires depuis presque deux siècles. Mais, après la guerre d’indépendance,

les élites modernisatrices mettent en œuvre une politique de laïcisation radicale de

l’État. Dès 1924, le gouvernement commence à prendre des mesures afin de

réorganiser les institutions religieuses officielles de la République turque. Le sultanat

et le califat sont supprimés par la Grande Assemblée Nationale, tandis que les

oulémas cessent de faire partie de la nouvelle élite politique. Les députés mettent

également fin à l’existence du Ministère des Affaires religieuses et des waqf******. Le

ministère est remplacé par « direction des affaires religieuses » rattachée directement

au service du Premier ministre. A la même époque, les députés votent une « loi sur

l’unification de l’instruction » qui supprime les anciens établissements

29 HERVIEU-LEGER (Danièle)- La religion pour mémoire. Paris, Cerf, 1993, p. 124

30 ÖĞÜN (Süleyman Seyfi)- « Politik kültürün şekillenmesinde tarihin konumu », in Sosyal bilimleri

yeniden düşünmek. İstanbul, Metis, 1998, p. 191.

31 KAZANCIGİL (Ali) - « Türkiye’de modern devletin oluşumu ve kemalizm », in KALAYCIOĞLU

(Ersin), SARIBAY (Ali Yaşar) éd.- Türk siyasal hayatının gelişimi, İstanbul, Beta, 1986, p. 171.

32 DESROCHE (Henri) - Sociologies religieuses. Paris, PUF, 1968, p. 158.

***** Cheikh : chef spirituel d’un ordre religieux.

****** Waqf : fondation pieuse.

d’enseignement religieux, les madrasas, et précise que toutes les structures éducatives

turques sont regroupées au sein d’une seule organisation, le Ministère de l’Éducation

Nationale.

L’État républicain veut à la fois ré-organiser et encadrer la bonne religion au

service de la construction nationale tout en interdisant l’islam confrérique

incompatible avec son projet d’élaborer une nouvelle identité. Cette ré-organistion de

la religion consiste à restreindre son champ d’activité, c’est-à-dire qu’elle n’a plus le

pouvoir ni le droit de prétendre organiser les activités juridique et éducative.

Rattachée à la bureaucratie étatique la « direction des affaires religieuses » assure

exclusivement des services religieux, un service public reconnu, protégé, financé et

surveillé directement par l’État. L’État républicain est obstinément « laïque » tout en

organisant et favorisant une religiosité particulière de majorité, l’islam sunnite de

l’école hanafite. Ainsi, alors que vers la fin de l’Empire ottoman, le religieux avait

gagné une certaine autonomie et intervenait plus intensivement dans les affaires

étatiques, constituant la force principale d’opposition aux réformes étatiques, les

réformes kémalistes, notamment en matière politique, religieuse et éducative, veulent

réinstaurer le pouvoir de l’État, mais cette fois-ci sous une nouvelle forme moderne,

républicaine et « laïque ».33

Les réformes républicaines peuvent être interprétées à la fois comme une

continuité par rapport à celles de l’Empire ottoman et comme une rupture

révolutionnaire dans la mesure où elles visent à transformer non seulement l’État,

mais aussi la société. En Turquie le désenchantement du monde ne signifie pas un

processus de sortie de la religion, mais plutôt la marginalisation de celle ci dans la

machine étatique et progressivement dans la vie sociale. Nous affirmons que la laïcité

qui ne concerne que le contrôle de l’islam orthodoxe par l’État ne couvre pas le long

processus de modernisation et sécularisation commencé déjà à la dernière époque de

l’Empire ottoman, précisément dans la période de Tanzimat*. La question posée par la

sécularisation ne se réduit pas à celle de la séparation entre religion et Etat ou

politique et religion, elle va de l’éducation à la santé, de la politique au droit, de la

question vestimentaire au mode de vie. L’affrontement entre les partisans et les

33 Pour ce qui est le debat sur la laicite dans la periode de la construction de la Republique voir :

CAYMAZ (Birol)- « Türkiye Cumhuriyeti’nin kuruluş sürecinde laiklik tartışmaları », Bilgi ve Bellek,

no : 4, 2005, pp. 173-185.

* Les Tanzimat, (réorganisation en Turc) : Une période de reformes étatiques dans l’Empire Ottoman

qui dure de 1839 à 1876.

adversaires de la modernité est encore à l’ordre du jour, et aujourd’hui, bien que la

sécularisation ait un passé quasi-bicentenaire, le processus continue encore. Pour

sortir de l’impasse créée par la confrontation entre les monologues pour ou contre la

laïcité, au lieu de lire la modernisation turque comme une tradition à conserver, il

faudrait peut-être chercher à la concevoir comme un point de départ dynamique vers

une société plus démocratique.

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