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Etudes orientales REVUË CU[TURELLE SEMESÎRIELLE rssN 0988-873X (1" sert]estrc 2008 ) ,tE, lI|I ç nt, r EI ,tE IF E lE' r E EI IE IF E nt' r E EI ]E u E t1g' Etudes orientâles estpubliée pâr le C.R.E,O BP225-75464 PARISCEDEX 10

Rémi Castets, « Les mutations de l'Islam chez les Uyghur du Xinjiang », Etudes orientales, 2008, n°25, pp. 185-210

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Etudes orientalesREVUË CU[TURELLE SEMESÎRIELLE

rssN 0988-873X(1" sert]estrc 2008 )

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Etudes orientâles est publiée pâr le C.R.E,OBP225- 75464 PARIS CEDEX 10

Les mutations de I'Islam

chez les Uyghur du Xinjiang

Rémi Castets,(CERI & Univ. Michel de Montaigne, Bordeaux3)

Résumé

Au cours du XXe siècle,les mouvances idéologiques qui se sont efforcées de

< moderniser > les sociétés turcophones sédentaires du Xiniiang ont remis

en quesîion un ordre et des systèmes de représentations-- traditionnels

s'anirant clans les interprétations locales de I'IsIam' Ainsi, I'enracinement

des systèmes de représentations portés par Ie diadidisme puis la mise en

placi de l'Etat com,muniste onl sensiblement modifié Ia façon de penser et de'vivre

I'islam. Cel article se propose d'étudier ces évolutions et leurs

implications. Ainsi, nous verrons comment, sur Jonà d'influences islamiques

étiangères et d'intrusion de la modernité, Ia recomposition du contexte

po tùo-idéologique au sein duquel ont vécu les Uyghur du Xinjinng a fait'évoluer le statuî de I'islam, I'architecture des courants islamiques ainsi que

Ies pratiques religieuses chez ces derniers.

Introduction

Les populations turcophones musulmanes sédentaires du Xinjiangr'

.onnue, au;ôuri'hui sous le nom d'Uyghur,2 pratiquent un islam qui se

rattache à ia branche hanafite du sunnisme. Ces populations turcisées au

toumant du premier millénaire ont longtemps vécu au sein d'entités politiques

différentes. be même, elles ont été soum.ises à des influences extérieures plus

ou moins marquées. Ainsi, les populations des oasis de I'ouest du Bassin du

Tarim, directement en contact avec le reste du monde musulman, ont été lespremières à être islamisées à partir des Xe-XIe siècles. La Kashgarie proche de

'Cf.carte.2 Sur la genèse de l'identité uyghur modetne, voir la contribution de David Brophy'

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Etudes orientules N" 25 (1"' senestre 2008)

lâ prestigieuse Boukhara mais aussi des centres islamiques d'Inde du Nordl aété le fref, au début du premier millénaire, de la dynastie islamisée des TurksKarakhanides, puis de la théocratie naqshbandie qui a régné jusque dans lebassin de Turfan entre la fin du XVtre siècle et la conquête Qing au milieu duXVItre siècle.a Sans rivaliser avec les centres du Turkestan occidental, lesoasis de I'ouest du Bassin du Tarim ont ainsi abrité pendant des siècles une viereligieuse intense largement structurée par les réseaux soufis locaux. Lespopulations turcophones sédentaires des oasis de l'est du Xinjiang, islamiséespar ces mêmes réseaux, se sont converties plus tardivement,I câr I'islam a misplus longtemps à s'imposer sur le bouddhisme et le clu'istianisme quedéfendait une aristocratie uyghur élroitement liée au monde chinois. Enfin, lespopulations turcophones sédentaires de la vallée de I'Ili et des frangeslimitrophes de I'ex-empire russe, appelés autrefois Taranchi, < agriculteurs >>,ont été installées en ces lieux à partir de l'ouest du Tarim entre les XVtre etXD(e siècle. Ces populations, déjà islamisées, ont de leur côté été plusexposées aux influences venues des steppes du monde tatar puis du mondemsse.

Néanmoins, au cours du XXe siècle, ces populations, qui ont connu deshistoires parfois découplées, ont été confrontées dans leur ensemble auxmutations générées par la diffusion des idéologies modemes dans la toutejeune province du Xinjiang.o En proposant de ., nouveaux modèles pourI'organisation des processus psychologiques et sociaux >,7 ces idéologies ontremis en question des systèmes de représentations et un ordre traditionnelqui, au Xinjiang, s'ancrait dans les interprétations locales de I'islam. En bref,la diffusion de ces idéologies a induit une évolution de la façon de penser etde vivre I'islam. Ce sont ces processus que nous nous proposons d'étudier ici :nous veffons comment, sur un fond d'influences extérieures et d'intrusion dela modernité, la recomposition du contexte politico-idéologique au sein duquelont vécu les Uyghur du Xinjiang a fait évoluer le statut de I'islam,I'architecture des courants islamiques ainsi que les pratiques religieuses aucours du XXème siècle.

'f.es oasis de Karghilik, Yarkand voire Khotân, situées sur les routes commerciales rcliantI'Inde à la région et ayant abrité des comrnunautés commerçantes venues du versantméridional du Pamir et du Petit Himâlaya sont sans doute celles qui ont été le plus ûârquéespar les influences islamiques indiennes (voir infra)." Sur cette théocratie naqshbandie, voir Papas,2005, Soufsme et Politique entre Chine, Tibetet Turkesta ets contdbution Jrlrrrd.5 Læs dernières populations sédentaires se sont convefties dâns la région au toumant du XVIesiècle.6 Créée en 1884.? C; "I<leology as a cultural system" dans Geeftz,1963, Old societies an.l New States, p.216.

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Les nutalio,ts Je I'lslun chez les Uyghur du Xiniiung

Espaces et courânts religieux chez les populations turcophonessédentaires du Xinjiang pré-moderne

Au début du XXe siècle, dans les villages et quartiers uyghur du Xinjiang, la

vie religieuse quotidienne mais aussi les rites familiaux - circoncision,mariage, cérémonies funèbres - sont comme dans le reste du monde

musulman largement encadrés par les clercs locaux (dits axun, molla etirrdm).s Parfois décriés par les voyageurs occidentaux de passage ou les

réformateurs pour leur cupidité, souvent pour leur conservatisme,' ces clercsqui mènent la prière dans les petites mosquées de quartier disposent d'une

fofte autorité sur les communautés locales. Dans les lieux de cultes plus vastes,qui attirent les croyants pour la prière du vendredi ou les grandes fêtes

religieuses, officient le plus souvent des clercs ayant suivi un cursus religieuxplus poussé. r0 Ils sont généralement issus des madrasas (rygh- mtidris\

dispensant, par ailleurs, un savoir de qualité inégale." La plupart des madrasas

les plus réputées se situent au Turkestan occidental ou dans I'ouest du bassin

du Tarim à Kashgar et Yarkand notamment. '' Ces demières attirent parfois

des Uyghur venus de la vallée de l'Ili ou de la région de Turfan, voire des

membres d'autres minorités. On y apprend à lire, à écrire, à reciter le Coran'on y étudie la loi islamique, le persan'' ou I'arabe et parfois d'autres sciences(histoire islamique, astronomie, géographie, médecine, littérature). A la sortie

de la madrasa, ces clercs peuvent bénéficier du titre (uygh.) de damolla ott çor1indm, c'est-à-dire du rang de clerc de rang supérieur, et ils peuvent mêmeaccétler à la charge de juge islamique (uygh. qttii\ avec I'accord des autorités

Qing. Il convient par la même de souligner l'influence qu'ont les grands

" aY. Aubin, 1983, pp. 253-258.evoi. par exemple Crenard, 1898, <Le Turkestân et le Tibet. Etude ethnographique et

sociologique >, pp. 235-236.r0 Une éducation islamique de base est dispensée vi,. les nashftip ct les tvikrip læs

premièrçs sont des sortes de réunions pâr classe d'âgc encadrées par des adultes inculquânt

âux plus jeuncs notâmrnent lcs règles régissant lâ vie en société et, pamri elles' un certain

nombre de principes religieux. Parallèlement, un enseignement islamique élémentaire est

dispensé dans les petites écoles généralement rattachées âux mosquées de quartier' les

,rdliftrp. Pcuvcnt y officier aussi bien des hommçs de religion locaux que des lcttrés laiques

Leur enseignernent essentiellement oral est réduit souvent âu strict minimum. On y familiarise

fcs enfants au Corân. aux prières fondamentales et aux règles de la vie sociale. Cf. Bellér'

Hann,2000, pp. 42-59.

" l-es moins renommées sont décrites à l'époque plus comme des hôtelleries que des centres

d'apprcntissage de Ia haute culture religieuse. C/. Bellér-Hann, 2000, pp 49-56.ll Les témoignagcs des clercs les plus â8és mentionnent parmi les plus réputées, les madrasa

Xunlkl ou Qazançà à Kashgâr ou bien la ço0 Mtidris ày^rkand.r3 Langue de la haute culture islanique dans la région jusqu'à la première moitié du XXe siècle'

le p€rsan a été aujourd'hui abandonné par les jeunes générâtions au profit de I'arabe.

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Etudes orientqles N" 25 ( l"' semestre 2008)

centres islamiques voisins sur la région et notamment Boukhara. En effet, lesindividus qui ont étudié dans ces centres glorieuxra disposent à leur retourd'une forte aura et véhiculent la pensée avec laquelle ils sont rentrés encontact. Sans que cela soit systématique, ils tendent au toumant du XXe siècleà promouvoir un islam relativement épuré, prenant leurs distances avec desappropriations locales trop ostensiblement contradictoires ou éloignées deI'esprit de la siarr'a. Cependant, les membres de ce clergé officiel sont loin deformer un ensemble intellectuellement homogène. De même, si les plusrigoristes n'hésitent pas à critiquer des pratiques hétérodoxes liées au soufismeou au culte des saints, beaucoup sont eux-mêmes membres de confrériessoufies.

En effet, à côté ou bien recoupant ce clergé ofhciel, on trouve des vastesréseaux mystiques transrégionaux (uygh. tiiriqiit), localement structurésautour de différentes loges (uygh. xaniqa) dirigées par des maîtrescharismatiques (ttygh. çriyx, pir ou içan). En dépit de l'élimination ou de I'exildes shaykhs soufis les phls opposés aux Qing à la suite de l'écrasement deI'Emirat de Ya'qùb Beg'' et malgré l'appauvrissement intellectuel dont estvictime un cerlain nombre de lignées d'ishans (lian), '' différentes lignéesliées à celles implantées en Asie centrale et en Inde du Nord se perpétuent etse recomposent en même temps que circulent les shaykhs et khalifas venus desrégion voisines.

Durant la première moitié du XXe siècle, la scène soufie du Xinjiang estdominée par les lignées se rattachant aux deux branches rivales de laNaqshbandiyya, Khuffiyya et Jahriyya. Dans les oasis du sud du Xinjiangabritant des communautés venues du sous-continent indien, sont implantéesaussi des lignées se rattachant à la Chishtiyya.ti Les nouvelles branches de IaNaqshbandiyya venues du Turkestan occidental au tournant du siècle ontprogressivement subsumé les réseaux locaux mais elles suivent des voies plusou moins éloignées des canons de I'orthodoxie islamique. Versés dans leshautes sphères de la connaissance islamique, les shaykhs des branches localesde la Naqshbandiyya-Khufiyya, connues au Xinjiang sous le nom de

ra Boukhara. Samarcarde mais aussi à partir de la fin du XIXe siècle Tachkent ou Kazan.l5 Comme les khodjas naqshbandis, il s'est lui aussi appuyé sur les réseaux soufis pourchasser les Qing et imposer son autorité sur la région dans les années soixante et soixante-dixdu XIXe siècle.16 Titre utilisé par certains maîtres soufis faisant appel à une généalogie qui les rattache à desshaykhs prestigieux, et notaûment aux khodjas naqshbandis." Aujourd'hui en << voie d'extinction >, elle était implantée notamment dans la région deKhotan.

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Les mutations tle l'lslan chez les Utghur tlu Xinjiang

Naqshbandiyya-Thaqibiyya, 'o appartiennent souvent au clergé officiel et

pratiquent un soufisme épuré dont les mosquées sont le cenlre (mosquée etxunila se confondant'"1. Comme le montrent les travaux de Thieny Zarcone,

ce .., ioufisme de madrasa ,, rigoriste s'implante au Xinjiang grâce à I'actionde son Shaykh fondateur, Qamr al-Din (m. 1938)'" et à celle de ses

successeurs. Cette branche a rapidement rayonné dans I'ensemble duXinjiang.2r Comme les soufis déobandis donl ils sont eux-mêmes proches, ces

a<leptes du dftrkr (nygh. zikir) silencieux réprouvent le dhikr oral,les pratiques

extatiques non-coniormes à la sharl'a,l'ishanisme et les formes prises par leculte des saints au Xinjiang. Ce soufisme sévère cohabite avec celui plus

hétérodoxe pratiqué par les branches locales de la Naqshbandiyya-Jahriyya.Les branches locales de la Jahriyya ont été elles aussi implantées entre le début

du XIXe et celui du XXe siècle par des maîtres venus ou bien, de retour, de

l'Ouzbékistan actuel. Il convient de souligner qu'elles se rattachentparallèlement souvent à la Qadiriyya,?2 voire à la Yasawiyya. Ce soufismeplus coloré gravite autour des loges soufies au sein desquelles les adeptes selivrent à des pratiques extatiques fondées notamment sur le dftlkr vocalisé, la

musique ou la danse.

En dehors des cercles lettrés de la haute culture soufie, perdurent des fbrmesdites < ishaniques rr.23 l-es maîtres de ces cercles se rattachent souvent à la

Jahriyya ou à I'Islamiyya.2a Ce soufisme héréditaire profondérnent implanté

dans les zones rurales, tend parfois à se limiter à des rappotts de type

clientéliste ou marâboutique. L'étroite relation soufie entre maître et disciple,fondée sur la transmission d'un savoir mystico-religieux, est ici remplacée par

une relation de vénération et d'allégeance entretenue par des populations

13 Sur lcs branches de lâ Naqshbândiyy.r âu Xinj iang au XXe sièclc, voir Zarcone.2002. pp.

534-53?. Les soufis isslrs de ces brâûches sont connus aussi au Xinjiang sous Ie nom de

ntixpit".re ll convicnt de souligncr que cette confusion entre clergé officiel et réseâux soufis était

t-réquente dans la région: voir par exemple lâ réédition des récits du Musa Sayrâmi'

contemporain de la fin du XIXe siècle (Sayrami.2000 lréed.l,Tarixi Aniniyti).20 Fuyant le Fergana cn 1926. i l s ' instâl le à Karghi l ik puis à Yarkamd (Voir Zârcone. 2002' p.

535 ) .2r La rnise en pface en 1945 de la Ço4 Miitlris à Yarkand par son successeur Ayub Qari et sa

renomméc ont favorisé l'extension de cette brânche.:2 Comne le souligne Thierry Zarcone dans " La Qadiriyya en Asie centrale et au Turkestan

oricntal > (2000), cctte denière ne semble pas s'être < développée d'une façon autonome au

Xinj iang "." C|. Zarcone.2OO2, pp.537-538.?o Les réseaux dits de " I'lslamiyyâ o semblent être issus à I'origine de branches locâles de

Jâhriyya (Cl Zarcone.2002, p. 538).'* Cî. Z,àrcoîe.2OO2, pp.5 37 -5 3 8.

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Etudes orientales N" 25 ( 1"' semestre 2008)

locales qui désirent bénéficier de la barakat dont se targuent des maîtrescensés descendre des grands shaykhs ou khodjas (uygh. Xoja).25 Lesdétracteurs des ishans, c'est-à-dire à cette époque les soufis rigoristes,le clergénon soufi, les djadids, puis plus tard les coûrmunistes, leur reprochentd'instrumentaliser leur généalogie et la crédulité des masses pour garder unhaut statut.

Les ishans et les shaykhs soufis jouent aussi fréquemment le rôle de maîtres decérémonie dans le culte des Saints.26 Très largement répandu chez lesmusulmans de la région, le culte des saints est révélateur des emprunts qui sesont opérés entre Islam et croyânces pré-islamiques. Il se focalise, à traverstoute la région et plus vivement dans la région de Kashgar et de Khotan, surles tombeaux (uygh. mnTar ol gumbâ?) de personnages locaux à qui I'on prêtedes pouvoirs d'intercession ou de guérison. Certains de ces saints sont desrois, héros ou madyrs qui ont contribué à l'islamisation de la région; d'autressont des religieux, shaykhs soufis ou imams shiites comme à Khotan; ouencore des intellectuels, voire des artisans révérés. Parmi les tombeaux les plusimportants, on peut citer les mausolées d'Apak Khodja,'z7 Arslan Khan. SàruqBughra Khan et Mahmud Kashgari dans la région de Kashgar, ceux d'Ordamà Yengishar, de Tuyugh Ghojam à Turfan, de I'Imam Jeppiri Sadiq à Khoran.Attirant les foules de pèlerins, certains de ces tombeâux sont encore à cetteépoque le théâtre d'une vie religieuse, sociale et économique intense. Au-delàdu corps des officiants et des gardiens des tombeaux, on trouve alentour lorsdes grands pèlerinage des commerçants et << guérisseurs islamo-shamaniques >>(uygh. baq ; biiwi pour les femmes). Ils abritent aussi souvent des dervicheserrants de passage, les qalandars,28 des mystiques qui, contrairement auxsoufis strictement organisés, se livrent à la mendicité et suivent un mode devie ascétique, à la manière des sidÀas du monde indien.

Enfin, les élites islamiques disposent parallèlement d'un pouvoir économiqueconséquent. Certes, depuis la reconquête par les Qing et le passage deI'ensemble de la région sous l'administration chinoise en 1884, I'autorité desélites islamiques a étê limitée?e et leurs biens de mains morte fiygh. vaq;f)

25 Leaders politico-religieux puisant leur légitimiré dans des généalogies les rattâchant à lafois au Prophète, aux grands saints soufis, voire à cengis Khan (CT. Papas, 2005, et japra).jiCJ.Zarcone,2O0l,

" Le culte des saints de 1949 à nos jours >.'' Fondateur de la théocratie naqshbândie évoquée en introduction, il est à la fois révére parles turcophones et les Hui car il a été un des principaux introducteurs de I'islam et dusoufisme dans le nord-ouest de la Chine. Cl Pap s,supra,28 Sur la Qalandariyya au Xinjiang au rlébut du siècli, voir Janing, 1985-86, ( Dervish andQalandar >.2e Bien que les cours islamiques aient été maintenues par les Qing, lcur compétence était limitée

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Les muotions de I'lslan chez les Uyghur du Xinjiang

réduits. Cependant, les institutions gravitant autour du clergé officiel(mosquées, miikt{ip, mldlasa...),les xaniqa mais aussi les mazar continuentde faire l'objet de donations de sorte que les élites peuvent bénéficier de lagestion des biens de main morte rattachés à ces institutions. Parallèlement, leclergé officiel s'appuie sur différentes contributions, dont la principale estI'l.rsre. Ces revenus leur permettent d'asseoir leur puissance écônomique et derenforcer aux côtés des fonctionnaires de I'administration Qing (uygh. ôeg)leur autorilé sur des sociétés encore essentiellement agraires.

Djadidisme et phénomènes de recomposition religieuse au Xinjiang

Au XXe siècle de nouvelles idéologies sont venues remettre en question lesmodèles traditionnels de légitimité et d'organisation des sociétés musulmanes.Chronologiquement, le réformisme djâdid a été la première de ces idéologiesmodernes à prendre pied au Xinjiang. Ce courant réformateur né chez lesTatars de Russie durant la seconde moitié du XIXe siècle est poneur denouveaux systèmes de représentations mettant en cause tout ce qui estsusceptible de freiner la modernisation des sociétés locales. Cette diffusions'effectue notamment vra la multiplication d'écoles dites <scientifiques >(uygh. ptinni), qui, contrairement à I'enseignement religieux traditionnel,garantisse une ouvenure sur le monde modeme en proposant I'enseignementde la littérature et de I'histoire du monde turk, des matières scientifiques, deslangues étrangères, du spoft. Mais les nouvelles écoles et les réseaux djadidssubissent une double pression.'" Les gouvemeurs autocrates chinois qui sesuccèdent à la tête de la province entre l9l I et 1942 craignenr, âvec raison,que ce mouvement ne favorise I'apparition d'une scène ânticoloniale, alorsqu'une partie des élites islamiques craint de voir I'ordre traditionnel sur lequelrepose leurs prérogatives se dissoudre.

En effèt, en même temps que se constitue une opp-osition anticolonialenationaliste/panturquiste influencée par le djadidisme,'' la pénétration desprincipes modernisateurs poftés par les djadids (uygh. itidit) provoque uneévolution des mentalités. Les débats qui s'amorcent entre les intellectuelslaiques et les oulémas progressistes contribuent à faire évoluer les conceptionsconcernant le rôle que doit jouer I'islam dans une société modeme. Car desclercs érudits rentrant de séiours d'étude à Boukhara ou dans d'autres hauts

à la résolution des conflits d'ordrc lnâtrimoniâux.ro C/. Hamada, 1990.

" Ces |rrilitants nâtionalistes anticoloniaux ont joué un rôle clé dans l'éphémère RépubliqueTurk Islanrique du Turkestan orientâl (RTITO). Dirigéc par les énlirs de Khotan et des djadidsanti communistes, elle était centrée sur la région do Khotân et de Kashgar (nov. 1933 - îév.t q . r4 ) .

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Etudes orienteles N" 25 ( l" semestre 2008)

lieux de I'islam dans l'empire russe en rapportent une^pensée marquée par leréformisme djadid et aussi parfois le réformisme salafi." Comme dans le restedu monde musulman, s'opère une synthèse entre le projet modemiste, qui enAsie centrale est porté par le djadidisme, et le principe d'un retour à un islampurifié. Au Xinjiang, des personnalités comme l'Uyghur Abd al-QadirDamolla (1881-1924) jouent en Kashgarie " un rôle imporlant dans ladiffusion de ces syncrétismes.

Ainsi, intellectuels la'rques et théologiens réformistes critiquent en choeur desformes d'instrumentalisation de l'islam guidées par des logiques malhonnêtes,rétrogrades ou superstitieuses. On dénonce volontiers les ishans ou les mollasillettrés qui maintiennent une autorité abusive sur les populations locales pours'enrichir ou s'opposer à la modemisation des sociétés locales. Au même titre,on critique les << superstitions > et les détournements de richesses liés au cultedes saints. Quant à la philosophie de << renoncement au monde > prônée parles Qalandars, elle est plus que jamais incompatible avec le positivismescientifique et la valorisation du travail promus par les djadids. Leur retraitde la société et le fait qu'ils se livrent à des pratiques extatiques non-conformes ùla sharl'a les soumet désormais non seulement à I'opprobre duclergé orthodoxe, des autres soufis mais aussi à celle des djadids, puis descorffnunistes (ce qui a conduit à leur quâsi-extinction de nos jours).

L'ensemble de ces critiques est repris par les milieux communistes qui seconstituent, notamment dans le nord de la province. Durant les années 1930,I'influence soviétique se renforce en effet, notamment à Urûmchi et dans lesterritoircs frontaliers. Alors que [e nouveau gouverneur, Sheng Shicai, serapproche de I'URSS, des jeunes issus des minorités ethniques locales sontenvoyés étudier en URSS.3a A leur retour, beaucoup sont de ferventsdéfenseurs de la société socialiste lai:que." Même si les purges lancées par legouvemeur en 1937, dans le fil des purges staliniennes, conduisentparallèlement à l'élimination d'un cerlain nombre de personnalités religieuseset d'intellectuels anti-conmunistes, I'influence de I'athéisme communiste

32 Sur les liens entre djadidisme et salafisme en Asie centrale, voir Dudoignon, 1996,( Djadidisme, Mirasisme, Islamisme >, et Zarcone, 1996, << Un aspect de la polémique autourde du soufisme dans le monde tatâr, au début du Xxè'*siecle : mysticisme el confrérisûe chezMûsâ Djarallâh Bîgî >." læs clercs de la génération suivante comme Sabit Damolla à Artush ou bien le remuantMehmet Emin Bughra à Khotan, influencés par ses idées,joueront un rôle actifdans I'histoirede l'éphémère RTITO." Voir par exemple Ab drilah,2O02, Taçkin çil.ir ['Ceux qui ont étudié à Tachkent']." C/. Saifudin, 1993 ; Burhan Shâhidi, 1986.

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Les nwtqtions de I'lslam chez les Uyglur du Xinjiang

reste cependant cantonnée aux cercles communistes du nord du Xinjiang'"^

Les mise en place de la nouvelle société socialiste : contrôle de l'islam etphénomènes de déstructuration

Comme ce fut le cas en Asie centrale soviétique, I'arrivée au pouvoir du Particommuniste chinois (PCC) au Xinjiang après 1949 est suivie de réformessociales et politiques qui vont contribuer à séculariser la société, modifierl'éventail des activités religieuses tolérées et, par la même, faire évoluer lescourants et praticlues structurant la vie religieuse.

Au début des années 1950,le PCC adopte une attilude relativement conciliantevis-à-vis de la religion afin, notamment, d'obtenir le soutien populairenécessaire à l'établissement de son autorité. Au Xinjiang, dans la plupart desoasis, les autorités permettent encore l'éducation islamique, les pratiquesreligieuses dans les mosquées,les xanitla et les _mazdr, tant que les clercs neremettent pas en question leur âutorité suprême.''

Parallèlement, le nouveau pouvoir s'attache à placer l'islam sous le contrôlede I'Etat. Pendant longtemps, les khodjas ont invoqué I'islam pour justifier

l'établissement de théocraties indépendantes i et durant la périoderépublicaine, I' islam a continué à être utilisé, dans le sud du Xinjiang, à la foispar les élites islamiques et les militants djadids, pour mettre en plâce un-erépublique islamique anticommuniste apte à leur rendre les rênes du pouvoir."Dans la ligne de cette tradition, au début des années cinquante, les élitesislamiques opposées au nouvel ordre socialiste ont contesté, au nom del'islam, la souveraineté de la Chine communiste sur la région. Dès 1950, lesud du Xinjiang est alors le terrain de troubles impliquant des personnalitésreligieuses ainsi que des individus proches des réseaux séparatistes de droite.Les plus importants sont ceux initiés par Bardidin Makhsum'" et le shaykhAbdimit Damolla. o0 Ils capitalisent le mécontentement généré chez les

'n Ces cadrcs souvent formés en URSS pârticipent à l'établisscùcnt de Ia Répllblique duTurkestan oriental (19.14-1949). Soutenue par les Soviét iques, i ls ont maintenu son autori tésur les trois districts du nord du Xinjiang le long de la frontière avant d'être amenés par

Stal inc à sc ral l ier aux communistes chinois en 1949.r7 Entretiens nrenés au Xinjiang et dans les nrilieux exilés, 1998-2007 .'n Cf Andrerv D. Forbçs, 1986, pp.63-121.re Proche du leader séparatiste exilé Mehmct Enrin Bughra.- Abdimit Damollâ était un disciple du puissant Ayub Qari: ce shaykh de Yarkand était à latête de la Naqshbandiyya-Thaqibiyya du Xinjiang: anti-communiste, proche de MehmetEnrin Bughra. il s'cst opposé aux autorités chinoises jr-rsqu'à sa mort en 1952 dans descirconstânces mal élucidées. Quelques mois plus tard. Abdimit Damollâ et BardidinMilkhsun nettrcnt en placc I'orgânisâtion dénonrmée <Sd/dn>, dont I'objectif est deprépârer le soulèvcnrent du Turkestan oriental et d'étâblir un régime islamique. Sur ccs

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Etudes orientales No 25 ( l"' sencstrc 2008)

notables par le mouvement de collectivisation et mobilisent une pa(ie desréseaux soufis et des masses contre les autorités locales entre 1954 et 1957.

Craignant, avec raison, que I'Islam ne soit à nouveau instrumentalisé afin decontester la politique instaurée dans la région, les autorités communistestentent donc de placer sous leur contrôle la scène religieuse locale. Le pouvoiréconomique des élites islamiques est progressivement annihilé par les mesuresdestinées à redistribuer le patrimoine foncier.o'Avec la loi sur la Réformeagraire dejuin 1950, puis avec le mouvement de collectivisation du milieu desannées cinquante, les vaq;f des mosquées, des xaniqa, des mazar et les biensprivés des élites locales sont peu à peu collectivisés. Le prélèvement de taxespar les institutions religieuses est interdit dès le début des années cinquante.Peu à peu, les élites religieuses deviennent dépendantes économiquement d'unEtat chinois qui ne rémunère que les clercs les plus conciliants. Désormais,comme dans le reste de la Chine, ils sont placés sous I'autorité del'Association Islamique de Chine (AIC, chin. Zhongguo Yisilanjiao Xiehui,établie en 1953). La mise en place de cette demière doit nomalementpermettre de coopter des personnalités musulmanes susceptibles d'encadrer lesclercs et les fidèles tout en relayant les politiques du PCC.

Parallèlement, les autorités communistes entament un important travail deréinterprétation de I'histoire liant le destin des populations locales à la nationchinoise tout en stigmatisant les personnages historiques, les pratiquesreligieuses, ou les lectures de l'islam ayant une dimension subversive ouréactionnaire. Elles évaluent les acteurs et événements historiques à traversdes grilles de lecture qui analysent leur dimension < séparatiste/loyaliste > oubien < féodale/modemiste >>. Cette approche de I'histoire conduit à dénoncerles courants religieux qui ont légitimé I'autorité de personnalités séparatistes etdes tenânts de " l'ordre réactionnaire >>. Ainsi les histoires officiellesassimilent le soufisme et le culte des saints aux khodjas du siècle dernier,présentés comme les incarnations d'un séparatisme fanatisé et d'un ordresociopolitique féodal et rétrograde. A partir des années quaûe-vingt, lespublications des chercheurs chinois et uyghur relaient cette lecture critique. l,esoufisme et les < superstitions > telles le culte de saints sont présentéscomme des distorsions de l'islam ayant se^rvi aux khodjas à maintenir leurautorité et leur domination économique.*' Ces critiques diffusées par les

personnalités soufies et la relecture des insurections par les autorités chinoises, voir Zhang,1994 ;Zarcone,2002, p. 535 ; Li, 2006, pp. 297-301.*'Selon une enquête menée dans le sud dr-t Xinjiang en 1950, les propriétaires fonciers quireprésentaient 77o de lâ pop'rlation locale possédaient plus de 72Vo de la surface agricole(enquête citée pâr Jack Chen, 1977, p.205).a2 Sur la critique du soufisme et du culte des saints par les intellcctucls communistes, voir

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Les mutations de l'lslant thez les Uyglrur du Xinjiang

nouveaux systèmes de socialisation communistes (école, médias...) vontcontribuer à détourner de telles praliques les élites et les populations urbaineséduquées.

Cependant, les politiques mises en place par le PCC se durcissentprogressivement. Ce raidissement est dans une large mesure lié à la pened'influence des cadres pragmatiques au sein du PCC au bénéfice desmaoïstes radicaux, lesquels prônent l 'éradication de la religion etI'assimilation à court terme des minorités nationales. Ce raidissements'amorce dans le cadre du mouvement anti-droitier consécutif à celui desCent Fleurs en 1956. A la relative tolérance du début des années cinquantesuccèdent des politiques ouvertement répressives durant le Grand Bond enavant (1958-1962) et la Révolution culturelle (1966-197 6). Les attaquesdirigées contre la politisation de l' islam ou bien les pratiques rétrogradescèdent Ie pas à la critique de I'islam en lui-même. Les madrasas et les lieuxde culte sont ferrnés les uns après les autres. Parallèlement, le mouvement decollectivisation suscité par le Grand Bond en avant modifiefondamenlalement les modes de vie. L'islam est désormais exclu de la viequotidienne au sein des communes populaires. En dépit d'un intermèderelatif après le Grand Bond en avant, les politiques répressives s'aggraventdurant la Révolution culturelle. La promotion de I'athéisme et l'inlerdictionde I'islam deviennent la règle. Beaucoup de lieux de culte sont détruits oureconvertis. Toute personne faisant état de ses croyances religieuses ou ayantprécédemment occupé une charge religieuse risque désormais d'être classéedans la catégorie des contre-révolutionnaires. Comme les intellectuels ou lescadres larques suspects de < nationalisme local > (chin. difang minau zhuyi),de nombreux clercs, shaykhs, ishans ou simples croyants suspectés d'êtredéloyaux sont molestés. envoyé en camps (laog,ai), voire exécutés. Quandles pratiques religieuses au sein de la familles ou des cercles soufis nes'interrompent pas, elles deviennent secrètes et sont réduites à leur strictminimum.

Revitalisation et politisation de l' islam

Cette période de marginalisation puis de répression de I'islam ne prend finqu'avec la période de réforme et d'ouvefture des années quatre-vingt. Sanspour autant renoncer à réprimer les idées ou activités menaçant lasouveraineté chinoise, le contrôle sur la société et la religion se relâche. Cemouvement bénéficie en môme temDs de l'anitude bienveillante de certainscadres issus des minorités.a3 Le principe de la libené des religions est à

Zarcone.200 l . pp . 160- 164." En cffct durant lcs annécs quatrc vingt, dans unc logique visant à contrebalancer les excès

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Etudes orientales N" 25 (1"' senestre 2008)

nouveau inscrit dans la constitution de 1982 et la branche de I'AIC auXinjiang, dissoute est rétablie. Ainsi, la relative détente qui suit I'anivée aupouvoir de Deng Xiaoping ouvre la voie à un vaste mouvement derevitalisation culturelle et religieuse chez les Uyghur. Ce mouvement va depair avec une quête de spiritualité qui les amène à redécouvrir I'islam. Lesmosquées sont reconstruites et se multiplient grâce aux fonds des fidèles etau financement étranger.oo L'ampleur du mouvement de reconstruction dansla préfecture de Kashgar est révélateur de I'engouement suscité par lareligion dans le sud du Xinjiang: à la fin de la Révolution culturelle, lapréfecture ne comptait plus que 392 lieux de cultes utilisables; à la fin deI'année 1981, elle en compte environ 4700 et plus de 9600 en 1995.45 Lemouvement se poursuit à l'échelle du Xinjiang jusqu'au milieu des annéesquatre-vingt-dix, ao période à partir de laquelle les autorités chinoisesadoptent des politiques religieuses plus restrictives.

Cette réislamisation s'appuie sur un bourgeonnement des écoles coraniques.Le contrôle des autorités locales s'étant relâché, les écoles coraniques semultiplient à travers le Xinjiang (et l'ensemble de la Chine). De nombreuxjeunes garçons suivent des cours de religion auprès des vieux imams locaux.Selon une enquête du début de I'année 1990 citée par James Millward,ai leXinjiang comptait alors 938 écoles coraniques accueillant environ 10 000étudiants. Cependant ce mouvement qui profite d'un certain vide juridiqueest désorganisé et anarchique. Après plus de vingt ans de fermetures desécoles coraniques et à la suite de la disparition d'une partie des élitesislamiques, le manque de livres mais aussi de professeurs compétents estsouvent souligné par les anciens élèves des années quatre-vingt.a8 Aussi,après une initiation rudimentaire dans leur oasis d'origine, de nombreuxétudiants en religion tentent de rejoindre les écoles dirigées par les clercsformés dans les écoles coraniques les plus prestigieuses de la périoderépublicaine: dans cette province qui ne commence alors qu'à s'ouvrir sur lereste du monde islamique, ceux-ci sont considérés comme les dernierstenants de la haute culture islamique. Les madrasas qui se reconstituent enKashgarie et dans les oasis avoisinantes jouent un rôle prééminent. Selonune << enquête officielle incomplète > citée par Zhang Yuxi, en 1989, les

de Ia Révolution culturelle, les auto tés centrales prcmeuvent le recrutement de cadres issusdes minorités.s Notamment grâce aux riches Uyghur d'Arabie saoudite." Cll. Bovingdon,2004, p. 33.* La région compte ainsi au tournant des années 2000 environ 24 000 mosquées, soit les 2/3des mosquées de toute la Chine.47 Cl Miilward,2007 ,pp.324-325.a3 Entretiens, 1998-2007.

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Les mutations de I'lslam chez les Uyghur du Xinjiang

quatre préfectures du sud du Xinjiang à majorité uyghur comptaient, à ellesseules, plus de 665 classes d'études en religion accueillant 7081 talip(étudiants en religion). James Milhvard cite, lui, pour 1990 le chiffre de 350écoles dans la seule oasis de Kashgarle Karghilik et Yarkand redeviennentaussi des centres majeurs d'enseignement. Selon l'étude citée par Zbang, en1979 Karghilik comptait 150 talip pour cinq écoles coraniques ; et en 1989,I'oasis comptait près de 700 talip dans 33 écoles.'u A Karghilik, cetengouement est lié au fait que certaines de ces écoles sont supervisées par lerévéré molla Ablikim Makhsum Hajji, membre de I'AIC et diplômé de lamadrasa Xanliq de Kashgar. Selon les chiffres cités par James Millward, lemême phénomène est observable à Yarkand: dans ce centre islamiqueautrefois réputé, en 1990, 722 étudiants, soit les 2/3 des talip étudiant dansles 33 écoles de la ville, étaient originaires du reste du Xinjiang.

Plus préoccupant pour I'Etat chinois, certaines de ces madrasas deviennentdes pôles d'activisme politique.5rLa lecture que fait Zhang de cette périodeest révélatrice des préoccupations que ce phénomène suscite auprès desautorités centrales :

< Récemment [dans les années 19801, une force religieuse réactionnaire s'estfbrmée et s'est développée dans le sud du Xinjiang [...].Ils tentent d'usurperles hiérarchies religieuses et transforment certains établissement en terraind'activités contre-révolutionnaires [...] En plus, de nombreux clercs menantla prière dans les mosquées n'ont pas passé les contrôles; cela donne lapossibilité à des éléments nuisibles de se mélanger aux autres et de fairedépasser les limites normales des services religieux, voire même detransformer les mo5quées en bas(ions contre-révolutionnaireb ..51

En effet, le relâchement du contrôle des autorités chinoises sur I'islam ouvre.comme c'est << traditionnellement > le cas,la voie à une politisâtion de I'islamqui se nourrit des frustrations générées par le contexte socio-politique local.51

4e Cî. |/.illw^rd,2007 . op . cit."'CJ. Zhang, 1994, op. cit. Ces chilfres sont légèrencnt minorés par lçs ancicns /n/1,/, deKarghi l ik aujourd'hui instal lés à l 'étraû8er (entret iens, 2006).'' Ces madrâsa ont été fermées à la suite de règlements mis en plâce cn 1988 (voir inÊd).'-1^ C7. Zhang, lgg4 , op . cit ." L'on en trouve une interprétiition bicn sûr différente. selon que l'on se situe dans laperspective des autorités chinoises ou bien dans celle des militants .. séparâtistes > /< anticoloniaux ". Sclon les premièfes. l'Etât chinois injecte des investissements massifs dansl'économie du Xinjiang âfin d'accroître les revenus des populations localcs tout en essayantde l imiter ies int luences subversives. Pour lcs seconds. I 'Etat chinois exerce une dominationcoloniale sur la région en s'appuyant sur un o systènre politiqùe régional inféodé à Pékin >,une " colonisation dérnographiquc massive o et un " contrôle policier ',. Sur la perception duprobfème par les mil i tants uyghur. voir Câstets. 2006; et infr 'a l^ coûtr ibution d' lsabelle

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Etudes orientales N" 25 ( l" scnestre 20081

Alors que sur les campus étudiants monte un discours anticolonial, commecela s'était déjà produit auparavant dans le sud du Xinjiang, I'islam est ànouveau invoqué afin d'instaurer un nouvel ordre social et politiquedésormais < dirigé par les musulmans pour les musulmans >. Alors que lesmilieux islamo-séparatistes se régénèrent dans le sud du Xinjiang, plusieursévénements confortent les autorités chinoises sur la nécessité d'encadrer plusétroitement I'islam au Xinjiang. Les troubles impliquant de jeunes ralrp semultiplient, notamment lorsque les madrasas de Karghilik sont fermées en1988 et celles de Yarkand en 1990.

Cependant, la force d'opposition la plus sérieuse émerge à la fin des annéesquatre-vingt avec le Parti islamique du Turkestan oriental (PIIO).54 En ftitson fondateur, Zeydin Yusuf, est un jeune cultivateur diplômé du secondairequi n'a reçu aucune éducation religieuse particulière. A l'origine,I'organisation, dénommée le Parti de Libération du Turkestan oriental, avaitune orientation plutôt nationaliste qu'islamique. Cependant, entre 1988 et1990, la fermeture des écoles coraniques de la région et la décision derenvoyer les rclrp dans leurs oasis d'origine génèrent parmi ceux-ci un fortmécontentement. Zeydin Yusuf le capitalise et rebaptise son organisation< Parti islamique du Turkestan oriental >>. En noyautant le milieu des talip,lediscours de I'organisation prend une teinte plus religieuse, à la croisée entrenationalisme et islamisme. Le PITO profite parallèlement du renvoi des talipchez eux pour étendre ses réseaux par le biais des mosquées du reste duXinjiang. Organisation souterraine, elle apparaît au grand jour lorsqu'en avril1990, elle tente de lancer un djihad de libération à partir de Barin près deKashgar. Cette insurrection est rapidement écrasée par les forces de sécuritéchinoises. Néanmoins, l 'événement, qui a lieu quelques mois après _lesviolentes manifestations contre le livre Xin g fengsu ('Coutumes sexuelles')'" àUrùmchi en mai 1989, fait I'effet d'un électrochoc. Les craintes de Pékin sontconfirmées par la détection fréquente de discours anti-gouvernementaux dansles mosquées et écoles coraniques et par l'émergence, dans les années quatre-vingt-dix, de groupuscules radicaux dont les programmes s'inscrivent dansune logique islamo-nationaliste. Certes, ils sont isolés'o mais ils sont adeptes

Attane.'-a- tJy gh. $arq iy Tiirki stan t s I ami! Part is i." I-es manifestations contre cet ouvrage contenant des propos dénigrant les musulmansdémarrent dans les provinces à forte minorité Hui du Shaanxi et du Qinghai avant de s'étendreà l'ensemble de la Chine et bien sûr au Xinjiang. Alors que dans le reste de la Chine ellcsn'étaient pas dirigées contre le régime. elles prennent à Urùmchi un lour vlolernmentantigouvememental (alors que fusent les slogans hostiles, le bâtiment du gouvernementrégional est caillassé)." L'opposition politique uyghur majo.itairement nationaliste et laique est aujourd'hui

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Les nutations de I'lslam chez les Uyghur du Xinjiang

de modes d'action politique parfois violente. Ainsi, le Parti réformiste duTurkestan oriental)/, puis le Pani d'Allah du Turkestân oriental et enfin lefameux Mouvement Islamique du Turkestan Oriental58 font parler d'eux dansles médias. Avant d'ôtre démantelés, ils se livreront à des sabotages, incendies,attaques de casernes, de bases militaires, et même à des actes terroristes(assassinats d'officiels Han, de dignitaires et fonctionnaires Uyghur, attentatsà la bombe).5e

Le resserrement du contrôle étatiqu€ sur les activités religieuses

Alors que I'aile conservatrice reprenait en main le PCC après 1989, Pékinmettait en place au Xinjiang un contrôle étroit sur la société et les activitésreligieuses et tentait de stabiliser la région par la politique bien connue de lacarotte et du bâton. Un premier axe visait à promouvoir le développementéconomique au Xinjiang,m un second axe à assainir le PCC, la société et lascène religieuse de la région en purgeant les éléments ou influencespotentiellement subversifs. Cette reprise en main, qui s'est approfondie toutau long des années quatre-vingt-dix, s'est systématisée à la suite de la grandecampagne nationale < Frapper fon ', lancée en 1996. Au Xinjiang, elle a viséle séparatisme et I' islam antigouvernemental. Les directives fixées par leComité permanent du bureau politique du PCC lors de la tenue d'uneréunion spéciale au mois de mars 1996 sur la stabilisation du Xinjiang sontrévélatrices des stratégies que privilégie le PCC. Elles insistent sur lanécessité d'épurer le PC et I'administration locale de leurs éléments lesmoins fiables, de renforcer la propagande contre le séparatisme et<< I'extrémisme religieux '>, de renforcer le contrôle sur les populationsautochtones, d'encourager l'afflux de cadres et de colons Han dans le cadredes Corps de construction et de production du Xinjiang afin de mieuxcontrôler la région, de limiter sévèrement la construction de nouvellesmosquées, de donner les positions dirigeantes dans les mosquées ou lesorganisations religieuses à ceux qui aiment la << mère patrie >, d'enregistrer

principalenrcnt activc dans la diaspora. Son action tend à se coûcentrer autour d'un lobbyingen faveur de la défense des Droits dc I'Hommc destiné, sur le modèle tibétain. à mobiliser lcsoutien des oâvs occidentaux.5t Ce groupuscule a été mis en place quelques mois après les événements de Barin par unnoyau dur de militânts proche du PITO.'"Uygh.

frir4il Tiirkistan Islamiy Htirktili. Contr.rirement aux deux prerniers groupusculesbasés au Xinjiang et scmblc-t-il dépourvus dc soutiens extérieurs, celui-ci était basé enAfghânistan avant d'être dénantelé à lâ suite de I'offensive américaine contre les talibânsdurânt I 'autonne 200|.t ' Sur ces groupes. voir Castets, 2004..n" Ccttc politique est promue depuis les années 2000 par le fameux Programme cledéveloppement du Grand Otest (:tibu dakaifa).

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Etudes orientoles No 25 (1" semeste 2008)

et de surveiller toute personne ayant suivi une formâtions dans une écolereligieuse non aulorisée, de prendre des << mesures fortes > pour éviter que lareligion n'intervienne dans les affaires sociales et politiques, etc...o'

Cette stratégie s'appuie sur une juridicisation (chrn. fazhihua) des activitésreligieuses, tendance nouvelle par rapport aux décennies précédentes: iln'existâit en effet jusqu'alors pas de véritable législation en la matière, ledegré de contrôle découlant avant tout des consignes politiques fixée par Iepolitburo du PCC. Dès 1988, le gouvernement de la Région autonomeUyghur du Xinjiang (RAOX) met en place < Les règlements temporaires surI'administration des lieux de culte de la RAOX >>. En octobre 1990, six moisaprès les événements de Barin, sont appliqués << Les règlements temporairessur I'administration des activités religieuses de la RAOX >> et << Lesrèglements temporaires sur l'administration des personnels religieux de laRAOX >. En juillet 1994, les activités religieuses sont encadrées pâr unenouvelle série de prescriptions : < Les réglementations sur I'administrationdes affaires religieuses de la RAOX ,'62 puis par une nouvelle-réglementationnationâle plus stricte définie en 2001 et promulguée en 2004."

Ainsi, pour être légale et donc autorisée, une activité religieuse doit êtrerattachée à l'une des cinq religions officielles,o" être menée par des religieuxaccrédités officiellement, se dérouler dans des lieux enregistrés par legouvernement et respecter les cadres idéologiques fixés par le Parti.Toujours dans une logique visant à enrayer la montée de formes subversivesou radicales de l'islam, à partir de mars 2001,Ie gouvernement de Pékin alancé une campagne de < Rééducation patriotique des imams >. Les imams,déjà placés sous l'étroite surveillance des bureaux locaux des Affairesreligieuses et de I'AIC, suivent désormais des cours d'éducation patriotique,afin de recadrer leurs discours et rectifier leurs éventuels comportements< déviants >. Les sanctions assorties à ce contrôle ont contribué à éliminerles discours anti-gouvernementaux de I'enceinte des mosquées. De même, lapratique de I'Islam ayant pris une connotation parfois un peu sulfureuse, lescomDortements des individus dont la carrière dépend de l'administration ont

o' Voir ., Guanyu weihu Xinjiang wending de huiyi jiyao, zhongyang zhengzhiju weiyuaùhui > [A propos de la séance confidentielle du Comité permanent du Bureau politique du PCCsur le maintien de lâ stabilité au Xinjiangl, 19 mars 1996,www.taklamakan.org/guidebook/Doc7.htm62 ces règlements découlent de la promulgation d'une la nouvelle législation nationale sur lecontrôle des activités religieuses.o'Voir Human Rights Wâtch, 2005; pour une < lecturc plus olficielle ,' de cette législation,voir Ma, 2005.s C'est-à-dire le bouddhisme,le taoisme, le câtholicisme, le protestantisme et I'islan.

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Les mutations (le l'lslqm chez les Uyglur du Xinjiang

évolué. Ainsi, beaucoup de membres du PCC, de fonctionnaires,d'enseignants et d'étudiants limitent par prudence leur pratique religieuseafin de ne pas nuire à leur carrière.

En ce qui conceme I'enseignement de I'islam, la nouvelle législation proscrit

les écoles coraniques non enregistrées.n'Sans autorisation, les imams n'ontplus la possibilité de donner de cours de religion en forme de << catéchisme >>,

même durant Ies mtishrrip, sous peine d'être sanctionnés. Pour êtreaccrédités, les jeunes imams doivent être diplômés des Instituts islamiques(chin. Yisilanjiao jingntexiao, :uygh. islam dini inistitLtti) de la région.'" Lecursus de trois ans encadré par I'AIC est ouvertement destiné à former desclercs respectueux des lignes fixées par le PCC.

Parallèlement, les autorités chinoises encadrent très striclement la traductionet la publication d'ouvrages islamiques, les activités des étrangers de passageainsi que les séjours d'études à l'étranger afin d'éviter la diffusiond'infl uences religieuses extérieures.

Influences islamiques étrangères au Xinjiang

Durant la période des réfotmes, les musulmans chinois sont entrés denouveau en contact avec le reste du monde islamique: I'ouvertureprogressive des frontières leur a permis de circuler et la soif de spiritualité,notamment dans cenaines franges de la jeunesse, les a poussés à s'intéresseraux courants de pensée propagés par les visiteurs étrangers et les Uyghurvivant hol's du pays. Avant l 'avènement de I'Internet, les visiteursmusulmans apportaient souvent dans leurs valises des ouvrages religieux,qui étaient pârfois traduits sur place et, recopiés, circulaient sous le manteau.Des commerçants, des prêcheurs, des étudiants, des parents, venus del'étranger, profitaient alors du relatif relâchement du contrôle chinois pourfaire du prosélytisme religieux. En particulier, les marchands pakistanais qui

se rendent dans le sud Xinjiang et à Ûrûmchi après I'ouverture de la route duKarakoram bénéficient d'une aura importante auprès d'Uyghu_r ayant lesentimenl d'avoir été coupés del'Ummah pendant des décennies."' En même

ot Bi.n que ccrtaincs branches locales de I'AIC s'efforcent de mettre en plâce des classesd'initiation à I'islarn ou à la littérâture islamique, les médias locaux font encore étatd'enseignants ou d'imams sanctionnés pour avoir tenll des cours de catéchisme sansautorisation. Voir par exemple. < Uygur held for teaching the Koran

", South China Morning

Post- l5108/2005.6 celui d'Urùmchi â été lnis en placc en 1987i celui de Kashgar en l99l puis agrandi en2002 ( i l accueil lai t à cette époque environ 150 étudiants).67 Cornpte tenu des relâtions amicales que la Chine et le Pakistan s'efforcent de mâintenir,lesujet reste encore tabou ; mais les allées et venues de prédicâteurs pakistânais, apÈsI'oltvcrture de la route du Karakoram au cornnlerce trânsfrontalier, ont iûité les autorités

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Etudes orientales N" 25 (1"' semestre 2008)

temps, un nombre croissant d'Uyghur, commerçants ou étudiants, se renddans le monde musulman. Jusqu'à la fin des années 1990, beaucoupd'Uyghur aisés contournent la procédure officielle soumise à autorisation etquota pour réaliser le Hajj. Enfin, certâins jeunes profitent des connexionsque ces flux de visiteurs leur ont permis de tisser pour aller étudier l'islam àl'étranger.68 . Ainsi, jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix, descentaines de jeunes, voire des milliers selon les sources officielles, sontpatis étudier I'islam au Pakistan,6e en Égypte,to en Turquie,T' en ArabieSaoudite et dans une moindre mesure au Yémen, au Qatar ou en Malaisie.Ceux qui sont revenusT2 ont souvent été influencés par les interprétationsdéobandies, salafies ou wahabbies auxquelles ils avaient été exposées durantleur cursus religieux.

Des organisations se rattachant la mouvance néo-fondamentalistecommencent à la même époque à prêcher discrètement sur place. Quelquesprédicateurs du Tabligh-e Jamaat pakîslanais font au cours des annéesquatre-vingt-dix du prosélytisme dans le sud du Xinjiang et à Ùrûmchi.Cependant, I'extension du Tabligh est entrâvée par les banières linguistiqueset culturelles séparant les Uyghur des Pakistanais et le contrôle étroit

chinoises. En signe de protestation, la Chine a fermé sa frontiè.e avec le Pakistan entre 1992et 1994. Quelques mois après sa réouverture, la Chine a anêté près de 450 Pâkistanais qui seseraient livrés <. à des actions illégales ) au Xinjiang. Les diplomates chinois ont rcfusé depréciser si certâins d'entre eux avaient été arrêtés pour cause de prosélytisme religieux oupolitique, mâis ce silence semble bien indiquer que c'était le cas (Nawai Wac1t,4 juin 1996),68 Certains d'entre eux vont en Chine intérieure étudier dans les écoles coraniques Hui où lesrcstrictions sont beaucoup moins fortes. Cependant, I'investissement linguistique en mandârinque ces séjours impliquent et la moindre renomme des madrasa chinoises par rapport à cellesdu reste du monde islamique en font pour beaucoup de talip des cursus de second choix(entretiens, 2002).6e Des chercheurs chinois ont évoqué le chiffre de l0 000 Uyghur partis étudier au Pâkistan(lnternational Herald Tribune, 15 octobre 2001). Parmi ces Uyghur, beaucoup ont étéscolarisés à l'Université islamique d'Islamabad. A partir de la fin des ânnées quafie-vingt-dix,tout en extradant les talrp en situation inégulière,lcs âutorités pakistanaises ont commencé àcontmindre les écoles coraniques locales à ne pas scolariser d'étudiant venus de l'autre côtédes Pamirs.70 A I'Université âl-Azhar notamment. Aujourd'hui, pour être autorisés à y entrer, lesétudiants uyghur doivent bénéficier d'une autorisation de I'ambassade locale chinoise.7r L'Université de Marmarâ â reçu des étudiants uyghur jusqu'en 2000-2001, âvant de liûiterleurs effectifs. Des anciens de Marmara restés à Istamboul à la suite du durcissement desannées 1990 ont âlors créé en 2006 I'Association pour la Culture et la Solidarité au TurkestanOriental (turc: Dogu Tûrkistan Maarif ve Dayauçma DerneÉi). Cette association promeutnotamment une lecture épurée de l'islam chez les Uyghur.72 Cependant,les étudiants qui ont quitté le Xinjiang sans autorisation s'exposent désormais àdes sânctions de plus en plus dures à leur retour, ce qui en dissuade beaucoup de rentrer unefois leurs études achevées.

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Les mutations de I'lslam chez les Uyglur du Xinjiang

qu'exercent les autorités chinoises et pakistanaises sur les déplacements depart et d'autre de la frontière. Depuis quelques années, I' implantation decellufes du Hizb-ut Tahrtr semble préoccuper les autorités chinoises. Auprintemps 2007, elles ont réagi en lançant une campagne spécifiqued'éradication de ce mouvement dans la région de Kashgar et de Yarkand. Ledéveloppenient de cette organisation implantée dans la région par desUyghur et des Uzbek du Kirghizstan et d'Ouzbékistan fait en effet craindrequ'e l le ne connarsse le méme succès que dans ces pays. t '

Vers un islam épuré ?

La diffusion de ces influences extérieures, mais aussi le ressenement ducontrôle de I'Etat et ses stratégies de cooptation, ont-elles aussi favorisél'évolution des pratiques religieuses vers des formes plus épurées. Cefiesdans un premier temps, au début des ânnées quatre-vingt, le culte des saintset les réseaux soufis renaissent de leurs cendres, mais les entretiens que nousavons menés au cours de la dernière décennie indiquent un relatif déclin deces pratiques notamment chez les jeunes. Le fait que ceux-ci se tournent versdes versions < plus pures > de I'islam est lié, semble-t-il, à plusieurs facteurs.Comme nous le soulignions précédemment, le prestige des interprétationsétrangères critiquant souvent sévèrement le soufisme et le culte des saintssemble avoir joué.

< Dulant les années quatre-vingt. les soufis étaient nombreux, mais nousavons mené un travail important afin de d'expliquer ce qu'était le véritableislam. L'enseignement religieux était de mauvaise qualité à cause du manquede professeurs qualifiés. Cependant, nous nous sommes opposés à la montéeen puissance des soufis. Nous avons traduit des ouvrages venant de lrétrangeret ceci nous a aidé à convaincre les populations locales que notre voie étaitcelle à suivre. À la fin des années quatre-vingt, I'influence des soufis étaitdevenue marginale. ,> 7a

Au-delà de ces influences étrangères qui, en réalité, ont systématisé lescritiques des vieux mollas réformistes, les politiques mises en place parI'Etat chinois ont-elles aussi joué un rôle ? L'arrestation, voire le décès decertains shaykhs, durant les années de répression de la Révolution culturellea conduit à appauvrir les connaissances des successeurs des grands maîtres,voire à briser des chaînes de transmission. Parallèlement, la critique du

' ' Voir par excn,pic. " Kashidiqu j izhong kaizhan j iepi 'Yisi lan j iefang dang' fandong benzhixuanjiao huodong " [Lâ Égion de Kashgar multiplie les activités d'information sur la natureréactionnaire de I'Hiz.b-ut Tahir en vre de son érâdicâtionl, Xinjiang Piûgan Wang,08/06/2007, http:/^vww.xj.xinhuânet.corn/pingan/2007-06/08/content l025l470.htm'" Enrret iens avec un molla uyghur exi lé, diplômé de l 'Université al-Azhar,2006.

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soufisme réalisée dans le système éducatif, les médias, lâ littérature acontribué à en détourner les élites et les jeunes éduqués. De même, I'imagenégative dont souffre le soufisme auprès des autorités chinoises a souventconduit I'Etat a à coopter des clercs non soufis considérés en général comme<< plus sains > et plus progressistes.

S'y ajoute le fait que le soufisme et les pratiques populaires, telles que leculte des saints, ont souffert de la juridisation des activités religieuses : lanouvelle législation mise en place au cours des deux dernières décenniestend à faire passer dans I'illégalité les activités qui ne sont pas prérues par lecadre strict de la loi. De telle sorte qu'une large partie des activités soufiesest illégitime, car, dans la région, de nombreux shaykhs qui ne sont pasimams ne sont pas accrédités. Pour les autorités locales, les pratiques<< saines > de I'islam au-delà de leur engagement pro-gouvernementaltendent à se limiter aux pratiques orthodoxes s'exerçant dans l'enceinte desmosquées. Ainsi, même si les pratiques soufies et le culte des saintsT5 ne sontpas explicitement interdits, le fait qu'il ne bénéficient pas de la mêmereconnaissance légale que le culte pratiqué dans les mosquées les expose àdes interdictions lors des périodes de tensions ou bien lorsqu'un discoursanti-gouvernemental est détecté.76

Conclusion: L'Islam uyghur du Xinjiang entre recompositions etconfrontations

La diffusion du réformisme djadid, de la pensée communiste, puis, après1949, le passage du Xinjiang sous l'autorité du PCC ont fondamentalemenrmodifié les modalités d'appropriation de I'islam, le rapport des individus àI'islam mais aussi les formes prises par ce dernier.

Ainsi, la continuité qui pouvait exister chez de nombreux croyânts entre lesespaces religieux que constituaient la mosquée, la xaniqa et les mazar tendpeu à peu à se déliter. En encadrant étroitement la pratique et I'enseignementde l'islam au Xinjiang, puis en promouvant l'élimination des pratiques

" Aujourd'hui, les autorités préÊrent éviter les rassemblements de foules âutour des grandsmazar. Les interdictions des pèlerinages qui ont suivi les événements de Bârin en 1990 et deGhulja en 1997 tendent à se généraliser.'o Par exemple, en 2005, un groupe soufi de la région de Ghulja (Yining), le groupe Sala,réunissant Hui et musulmans turcophones â été interdit et ses disciples arretés au motif qu'ils(mettaient en danger la stabilité sociale >. Voir "Xinjiang: How long will arrested Sufis beheld". Forum l8 News Service-26109/2O05:http://www.forum | 8.org/Archive,php?article id=659&pdf=Y. Bien sûr, la situation variesouvent en fonction des contextes locaux et notâmment en fonction du degré de tolérance desâutorités locales, mais aussi de la capacité des shaykhs ou des i.rraa à montrer patte blanche(Voir pâr exemple, Zarcone, 2002, p. 538).

204

Les mutations de I'lslam chez les Uyghur du Xiniiang

jugées rétrogrades ou potentiellement subversives, djadids' oulémâs

réformistes et autorités chinoises ont ainsi contribué à renforcer I'assise des

versions épurées de I'islam qui étaient en train de se diffuser dans les régions

voisines. En cela, I'on peut dire que la < déféodalisation > des sociétés

locales fondée sur le remodelage des systèmes traditionnels de représentation

et l'éradication du pouvoir des notables religieux a favorisé le déclin du

soufisme, de l'ishanisme et du culte des saints au Xinjiang. A partir des

années 1980, bien que superficielle, la diffusion, osmotique à travers les

frontières de la région, des lectures de I'islam qui se sont développées au

Pakistan. en Asie centrale ou dans le reste du monde musulman a aussi

alimenté ce phénomène?7.

Au-detà de cette évolution des courants et pratiques religieuses, la XXe

siècle a été le terain d'une relative marginalisation de l'islam et des élites

islamiques dans la société uyghur. Cette marginalisation est en partie liée à

la volonté des élites modernistes puis de I'Etat communiste d'éviter que

I'islam ne devienne un instrument de contestation de leur autorité et de leurprogramme de transformation sociale. Ce processus s'est âppuyée sur une

limitation du rôle de la religion à la sphère privée, sur la sécularisation du

système éducatif, la destruction du pouvoir économique des élites islamiquespuis leur strict encadrement par l 'Etat.

Nous avons pu toutefois voir que, contrairement à ce qui a pu se passer

durant la Révolution culturelle, l'objectif du gouvernement central n'est pas

de s'attaquer à l'islam en lui-même. Il veut surtout d'éviter que I'islam ne

légitime un discours séparatiste ou anti-gouvememental au Xinjiang.Ts Le

PCC a en effet en tête la relative exemplarité du monde Hui en la matière.

En reconnaissant leurs spécificités religieuses et culturelles, les autoritéscommunistes ont réussi à pacifier des rapports entre I'Etat central et les

musulmans Hui autrefois tumultueux. Grâce notamment à I'alliance que le

souvernement a scellée avec le puissant coutant Yihewani, il a pu asseoir

flus facilement son autorité.7e

Cependant, chez les Uyghur, le problème est plus complexe. D'une pat, si

les Hui regardent sans doute plus que jamais vers le reste du monde

musulman. leur proximité culturelle avec le monde chinois, I'existence d'un

7? Il convient de souligner que ces évolutions ont été favorisées le développement de

l'imprimerie modeme et puis celui de I'intemet. Ces nouveaux médias et le développement des

infiastructures de fiansport ont contribué à accroîhe I'exposition ditecte Uyghur aux influences

traversânt le reste du monde musulmân.t8 ci Li.2oot : Ma.2oo3." Cl nttet.:OOt i Glâdney.2004.

205

Etudes orientales N" 25 ( l"' semestre 2008)

clergé moderne relativement favorable au régime, I'absence de territoire depeuplement homogène et leur relâtive réussite économique favorisent leurintégration à la nation et au nouvel ordre socio-économique chinois, ce quiréduit les risques d'une politisation de l'islam chez aux. Chez les Uyghur, lesdonnées du problème sont quâsiment inversées. De nombreux facteursrendent leur complète identification à la nation chinoise moderne plusdifficile. Selon I'Etat communiste, la nation chinoise est née d'une << volontéde vivre ensemble > liée à la fois à une histoire commune et à l'adhésion àI'idéal communiste. Mais le fait que I'identité Uyghur moderne se soitconstruite autour de la revendication d'une ancestralité qui s'ancre dans unehistoire en partie détachée de la Chine complique la situation. Le sentimentd'être les héritiers d'empires ou de royaumes puissants80 parfois rivaux de laChine, le souvenir d'avoir vécu plusieurs aventures indépendantistes aucours des cent cinquante dernières années 8t suscitent parfois lesinterrogations autour de cette < histoire commune > et du < carâctèreinéluctable de I'intégration du Xinjiang au reste du pays >.82 D'autre part, lapersistânce d'inégalités économiques s'afticulant le long de lignes ethniquesau Xinjiang, sur un fond de contrôle étroit des institutions politiques, tend,par-delà le fossé culturel séparant Han et Uyghur, à faire émerger une toilede fond coloniale qui parfois éclipse les lendemains radieux promis pirI'idéal communiste. En d'autres termes, les processus deconfrontation/interaction âvec des populations Han plus présentes que jamaisdans l'économie ou I'administration locales génèrent des frustrations etrenforcent un <<processus d'altérisation politisée> o' mobilisant lesparticularismes culturels et religieux des Uyghur. Ainsi, dans les franges dela société uyghur qui ne sont pas acquises au modèle de modernisationpromu par I'Etat chinois, les frustrations suscitées par ces logiques deconfrontations tendent à faire de I'islam un canal d'opposition.

Or, au Xinjiang, I'autorité du PCC n'a pas pu s'appuyer comme chez les Huisur les clercs locaux pour relayer son autorité et simultanément désamorcerles conflits potentiels. Certes, la présence de I'AIC et le contrôle très étroitmis en place, particulièrement au cours de ces deux dernières décennies,s'inscrivent dans une telle logique. Le fait que le clergé, les lieux de culte et

80 Huns, Turks, Turks Uyghur de l'Orkhon pr,ris de Qocho, Turks Karakhanides"'Etat Khodjâ, Emirât de Ya'qub Beg, République Turk Islamique du Turkesran Oriental,République du Turkestân Oriental.82 Voir par exemple, ( L'histoire et le développement du Xinjiang >, Cahier blanc du Bureaud'information du Conseil des Affaires d'Etât de la RPC Pékin, mars, 2003,http://french.china.org.cn/fa-book/xinjiang/xinjiâng-s.htm#0o'Sur Ia " menace de l'Aulre " , le u ressentiment > et leurc répercussions socio-politiques,voir par exemple Greenîeld,1992, p.48'7 ; Jaffrelot, 2006, pp.74-78.

206

Iæs mfietions de l'lslam chez les Uyghur du Xinjiang

les nouveaux centres d'enseignement soient strictement surveillés sembleavoir éradiqué les discours anti-gouvernementaux des enceintes desmosquées et des instituts islamiques. Néanmoins, d'une part, ces politiquesne suscitent pâs l'enthousiâsme. D'autre part, I'obligation aujourd'hui duclergé de relayer strictement la politique du parti sous peine de sanctionsl'empêche de se poser en intermédiaire entre les fidèles et I'Etat comme celapeut être le cas chez les Hui. Ainsi, la position de porte-parole dugouvernement donné aux nouveaux imams et leur absence de marge demanæuvre les amène à fermer les yeux sur les frustrations vécues par unepartie de la société uyghur et tend à ce titre à les discréditer. Le contrôle misen place par les autorités risque donc paradoxalement sur le long terme defavoriser le < court-circuitage >> de membres du clergé officiel par desformations militantes souterraines olus à l'écoute de ces frustrations.

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Carte 4

Source: Réni Castets, < Nationalisme, Islam et opposition politique chezles Ouighours du Xiîiiaûg >>, las Etudes du CERI, n" ll0, Octobre 2004.

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