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POPULISME ?

Répresentation, association, participation

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POPULISME ?

REPRÉSENTATION, ASSOCIATION, PARTICIPATION

Jerónimo Molina

La représentation s'est indéniablement imposée comme la figure rationaliste atta-chée á l'Etat de droit et induite par le régime constitutionnel, du moins á partir de son émergence en Europe sous la forme du representative government. De méme, la parti-cipation constitue á sa facón le reflet des transformations contemporaines de l'Etat culturel ou Kulturstaat, jusqu'á sa conversión en Etat total (totaler Staaf), voire, lors-que qu'il eut dépassé certaines limites, en cité totalitaire (totalitare Stadf). Entre la représentation, concept medieval d'origine théologique reformulé par la philosophie politique des Lumiéres 1, et la participation, corollaire tardif des lois du « mouvement social » révélées par Lorenz von Stein2, on trouve la notion intermédiaire d'associa-tion, l'un des apports sans doute les plus remarquables de la pensée politique du XIX C

siécle á 1'histoire des idees, mais dont l'influence resta cependant tres vite limitée á la démocratie sociale des libéraux et des socialistes francais du milieu du siécle, mais aussi, avec des variantes, au guildisme anglais, au coopérativisme de H. Schulze-Delitzsch3, au mouvement corporatif allemand á partir d'Otto von Gierke - y compris,

1. L'empire romain ne connut pas une forme de représentation politique á la hauteur de sa structure géopolitique, son génie étant orienté plutót vers la politique extérieure. Cf. José Ortega y Gasset, Las Atlántidas y Del Imperio romano, Alianza, Madrid 1985. Cf. aussi Hanna Arendt, ¿Qué es la política?, Paidós, Barcelona 1997 [trad. fr. : Qu'est-ce que la poli­tique ?, Seuil, París 1995].

2. Cf. Lorenz von Stein, Geschichte der soziale Bewegung in Frankreich nach 1789 bis auf unsere Tage, 3 vol., Olms, Hildesheim 1959. On trouve dans cette ceuvre une sorte de condensé de l'époque contemporaine. I I en existe une traduction espagnole partidle : Movimientos sociales y monarquía, trad. E. Tierno Galván, CEC, Madrid 1981.

3. Cf. Ferdinand Lasalle, Manifiesto obrero y otros escritos políticos, trad., présentation et notes de Joaquín Abellán, CEC, Madrid 1989.

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mutatis mutandis, Y industrial democracy anglo-saxonne4 - , au socialisme russe des conseils d'ouvriers et de soldats (Soviets), á la « démocratie organique » de Femando de los RÍOS, au socialisme espagnol5 et au corporatisme fasciste6.

« Représentation », « association » et « participation » ne sont done ríen d'autre que les trois étapes successives par lesquelles l'esprit européen s'engagea dans le sié­cle socialiste ou l'« époque de la politique sociale » 7. Dans l'avancée de chacune de ees notions, on suit l'évolution du centre de gravité de la pensée politique européenne, qui passe du principe de la « question constitutionnelle » (1789-1848) á celui de la « question sociale » (1848-1871) pour aboutir fmalement á la « question culturelle » (1871-1919)8. Les pages qui suivent présentent une interprétation historico-politique

4. Cf. par exemple Sidney et Beatrice Webb, Democrazia industríale. Antologie degli scritti, EDIESSE, Rome 1994 ; Ramesh Mishra, El Estado de bienestar: pensamiento y cam­bio social, Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, Madrid 1992.

5. L'oeuvre suivante de Gonzalo Fernández de la Mora présente sur ce point un grand inté-rét : Los teóricos izquierdistas de la democracia orgánica, Plaza & Janes, Barcelona 1985. Pour des références plus recentes, cf. A. L. Sánchez Marín, « Representación orgánica », in Razón Española, 112, mars-avril 2002.

6. Cf. Mihail Manoilescu, Le siécle du corporatisme. Doctrine du corporatisme integral et pur, Félix Alean, París 1935. La pensée de Manoilescu, économiste politique et journaliste roumain, présente un enorme intérét pour comprendre de quelle maniere les idees du XIX e sié­cle se projetérent sur les méthodes du XX". Des préjugés idéologiques, aujourd'hui dénués de tout fondement, continuent d'empécher l'accés á cette importante figure intellectuelle des années 1930 qui mériterait bien une présentation monographique en espagnol, ne serait-ce qu'en raison de l'attention que lui accordérent les juristes politiques hispaniques de Fimmé-diat aprés guerre. Cf. á ce propos S. Fernández Riquelme, « Mihail Manoilescu en España », in Empresas políticas, 3, 2e sem. 2003 ; et, en collab. avec A. Harre, « Mihail Manoilescu : biografía política de un economista nacional », in Empresas políticas, 6, l" sem. 2005.

7. L'« époque de la politique sociale » se situé idéalement entre 1839, date de la publication du fameux opuscule de Louis Blanc, Organisation du travail (Bureau de la Société de l'Industrie fraternelle, París), et 1944, année de parution de Camino de servidumbre (Alianza, Madrid 1985) de Friedrich A. von Hayek [trad. fr. : La route de la servitude, PUF, París]. On doit prendre cette expression comme une catégorie de 1'interprétation historique, comme un terme comparable á celui de « question sociale » utilisé par certains sociologues et économistes, ou á celui de « mou­vement constitutionnel » utilisé par de nombreux historiens politiques, ou encoré de « codification » tel que l'entendent la majorité des civilistes. Pour plus de détails, cf. Jerónimo Molina, La política social en la historia, Isabor, Murcia 2004, particuliérement le chap. 1.

8. Ces trois moments se rattachent significativernent á la recherche de la sécurité politique, de la sécurité sociale et de la sécurité collective totale ou « salut» séculier. En outre, i l ne s'agit pas de moments dialectiques, mais plutót de parcours historiques ou de vecteurs qui ne dispa-raissent pas, mais voient leur ordre de primauté changer selon la situation politique. De fait, dans les nations á la formation étatique tardive, ces moments sont intervenus de maniere simultanee á travers des refondations politiques successives : c'est le cas notamment de l'Espagne entre 1931 et 1978, deux situations politiques bien différentes dans certains aspeets, mais pas dans d'autres.

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de la problématique qui justifie le titre de cet essai. Le lecteur sentirá peut-étre dans notre contribution le tour d'esprit propre au juriste, mais i l y découvrira aussi, dans un second temps, la perspective de l'historien des idees et des formes politiques ; i l ne nous restera plus, enfin, qu'á reconnaitre les méthodes et les travers de la sociologie politique ou de la politologie9. En tout cas, tel aura bien été notre intention.

Deux postuláis sur l'intelligence du politique et sa réalité

L'examen de n'importe quelle doctrine, idee ou concept politique doit partir, au moins, de deux prémisses épistémologiques élémentaires. La premiére renvoie á la relation de dépendance qui les lie inexorablement á une forme politique concrete ; la seconde, á la dimensión polémique inherente á tout concept politique10.

a) Les concepts politiques sont des entités rationnelles ; leur rationalité, pourtant, n'est pas celle des objets mathématiques, mais celle des réalités historiques, c'est-á-dire de la « raison vitale ». La singularité historique du type de concepts qui nous occupe explique l'inexistence d'un « Etat ideal », d'une « forme de gouvernement idéale » ou d'une « Constitution idéale »". De la méme maniere, on peut diré aussi que tout concept politique s'avére inintelligible s'il est détaché du contexte historique dans lequel i l se développe. Par conséquent, i l est absurde de traduire un concept politique en dehors de l'horizon de la forme politique en vigueur á son époque, comme de faire abstraction des déterminations spécifiques de celle-ci - projet, espace et droit12. Avec l'épuisement de la vitalité d'une forme politique, s'éclipse aussi son répertoire concep-tuel. Quelques unes de ces idees survivront peut-étre á leur forme caduque, mais leur destinée ne sera plus alors que fantomatique - telle l'« institution dictatoriale » au temps de l'Etat souverain, plus particuliérement dans ses formes tardives13.

9. Sur les limitations de ces disciplines dans leur configuration actuelle, voir les observa-tions succinctes de Jerónimo Molina, « La ideología politicológica », in Veintiuno, 55, automne 2002, pp. 25-36.

10. Ce sont justement les deux présupposés de Fessai de Cari Schmitt sur la « Situación histórico-intelectual del parlamentarismo de hoy ». Cf. son livre, Sobre el parlamentarismo, Tecnos, Madrid 1990 [trad. fr. : Parlementarisme et démocratie, Seuil, París 1988].

11. Cf. Gonzalo Fernández de la Mora, Del Estado ideal al Estado de razón, Real Academia de Ciencias Morales y Políticas, Madrid 1972.

12. Sur les trois déterminations du politique, cf. Javier Conde, Teoría y sistema de las for­mas políticas. IEP, Madrid 1953, pp. 77-80.

13. Sur la dictature, son exploitation par l'Etat et, finalement, sa dépréciation et son épui-sement politique irreversible, le livre de Cari Schmitt, La dictadura, Alianza, Madrid 1985 [trad. fr. : La dictature, Seuil, Paris 2000], demeure pour sa ciarte toujours d'actualité. Replacée dans l'optique des cycles politiques, la dictature n'est rien d'autre que l'expression du moment monocratique du commandement, ce qui la rend en principe compatible avec n'importe quelle forme politique ; cependant, sa dévalorisation actuelle, y compris comme « expédient constitutionnel », la fait apparaitre comme une institution du passé, rejetée de maniere irrationnelle par Lapolitisme. Cf. Gianfranco Miglio, « La monocracia », in Hespérides, 20, 2000, pp. 337-345. Cette impossibilité de toute dictature marque la deteriora-

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b) De méme, on ne peut passer sous silence le fait que les concepts politiques sont toujours polémiques. C'est une des opinions les plus caractéristiquement européennes, ainsi que l'ont soutenu, d'une maniere ou d'une autre, des auteurs et des juristes politiques allemands (Cari Schmitt, Günter Maschke), francais (Raymond Aron, Julien Freund, Alain de Benoist), italiens (Gianfranco Miglio, Antonio Caracciolo, Marco Tarchi) ou espagnols (Javier Conde, Jesús Fueyo, Gonzalo Fernández de la Mora ou Dalmacio Negro). Cependant, i l existe des divergences notables entre ces derniers et les précédents du point de vue du fonde-ment d'une telle assertion et de ses conséquences. Cela vaut sans doute la peine de s'y arréter un moment.

Le potentiel polémique de tous les concepts politiques est determiné, selon Cari Schmitt, par le fait qu 'á un moment donné une inflexión du cours des événe-ments - pas forcément politiques - donne lieu, par ses effets, á d'inépuisables possibilités d'accentuation du « degré d'intensité » d'une association ou d'une dis-sociation. Le raisonnement schmittien présuppose par conséquent, d'une part, l'inexorable politisation du concept litigieux, qu' i l soit au départ esthétique, théo-logique, économique, géographique, etc., et, de l'autre, le relativisme inhérent á une conception de la politique dont le formalisme transparaít dans le souci perma-nent du maítre de Plettenberg de souligner que le politique n'est pas une matiére ou une discipline nouvelle14.

La premiére affirmation améne, dans la pensée hispanique, á des conclusions totalement opposées. C'est le cas par exemple chez Javier Conde15. Pour le rénova-teur espagnol de la science du droit politique, de tels concepts sont polémiques parce qu'á travers eux s'engage une lutte pour la Vérité. En fait, la vérité « ne naít pas de

tion de la raison politique : en la rejetant psychologiquement, la raison politique se prive non seulement de la distinction entre le « droit» et les « formes de réalisation du droit», mais encoré se desarme dangereusement face au phénoméne totalitaire (le despotisme), avec lequel la dictature est á tort confondue. II est d'ailleurs signifícatif que, pour certains lecteurs, cette remarque pourrait éventuellement apparaítre comme une « apologie de la dictature ». A ce propos, cf. Néstor L. Montezanti, « Ernesto Palacio y la dictadura en la Argentina », in Empresas políticas, 1, 2" sem. 2002, pp. 123-137.

14. Cf. Cari Schmitt, El concepto de lo político, Alianza, Madrid 1991, prologue [trad. fr. : La notion de politique, Calmann-Lévy, París 1972]. Du méme auteur : « Hugo PreuB. II suo concetto di Stato e la sua posizione nella dottrina tedesca dello Stato », in Democrazia e libe­ralismo, A. Giuffré, Milano 2001, pp. 90-91. Une attitude similaire se retrouve chez Julien Freund, méme si le professeur strasbourgeois n'a pas seulement atténué le formalisme schmit­tien dans sa recherche originale de l'essence du politique, mais a aussi tenté de montrer que le politique n'est pas pour Schmitt une entité vide uniquement alimentée par la decisión radicale qui designe l'ennemi. Voir Julien Freund, L'essence du politique, Sirey, París 1990.

15. Sur la pensée de Javier Conde, cf. Jerónimo Molina, « Javier Conde y el realismo polí­tico », in Razón española, 100, mars-avril 2000, pp. 165-187. Du méme auteur : « Javier Conde y Leopoldo Ranke », in Empresas políticas, 1, 2e sem. 2002, pp. 63-82.

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la lutte ; elle est antérieure á elle. La lutte est le chemin, non pour éclairer la certi-tude, mais pour délivrer la vérité » 1 6.

L'étroite relation des concepts politiques avec la forme politique et sa dimensión polémogéne exige une conclusión catégorique : i l n'y a pas de concepts politiques « autarciques », parce que ceux-ci, étant « historiques », s'avérent toujours dépen-dants d'autres concepts, en l'occurrence ceux qu'ils complétent, développent ou combattent. I I convient done toujours d'éclairer un concept dans une optique histori­aste, dans la lignée des geschichtlichen Grundbegriffe de Reinhard Koselleck ; ou á partir d'une certaine conception de la théologie (la théologie politique catholique d'Álvaro d'Ors), de la métaphysique (les philosophies politiques de Leo Strauss et d'Erich Vógelin), mais aussi de l'idéologie (le républicanisme de Hannah Arendt, le libéralisme d'Isaiah Berlin). En fait, on peut diré que seule l'approche politique des concepts peut aspirer á les théoriser politiquement, dans leur structure ou leur cadre historique17. Le réalisme qui souhaite réfléchir sur le concept de participation doit du coup prendre en considération les évolutions de la réalité politique du XIX C siécle, les polémiques successives des idéologues de l'association et de la représentation et de ceux-ci avec les doctrinaires de la participation.

Du point de vue des formes politiques, la succession des trois étapes indiquées -« représentation », « association », « participation » - exprime le mouvement naturel de la société auto-organisée, ou qui tend á s'auto-organiser en Etat, et dont le résultat final est l'occultation du politique par le social18 et la coexistence paradoxale d'un

16. Cf. Javier Conde, Representación política y régimen español, Vicesecretaría de Educación popular, Madrid 1945, p. 93. II existe un cadre propre au politique determiné par l'idée de « destín », qui est incompatible avec toute forme de relativisme dans les principes politiques. Bien que le noyau du politique puisse s'identifier avec d'autres catégories -l'« ordre concret des libertes » réalisé selon l'« ethos national » (Dalmacio Negro, La tradi­ción liberal y el Estado, Unión Editorial, Madrid 1995) ou encoré la politique « objective » de l'« Etat rationnel » (Gonzalo Fernández de la Mora, op. cit.) - , la pensée politique espagnole a encoré maintenu au cours du dernier siécle sa prudence historique face á la conception occa-sionnaliste de la mission de la politique, liée á l'Etat comme forme politique artifícielle ; attitude compatible, d'un autre cóté, avec l'agnosticisme en matiére de formes de gouverne-ment. Ces différences, qui permettent de qualifier la tradition politique hispanique de jusnaturaliste et para-étatique, confirment au demeurant l'essentielle coi'ncidence de deux grandes familles de pensée qui se réferent á la politique comme activité renvoyant au faire et, de ce fait, á sa réalisation dans Fhistoire. Comme on l'a déjá souligné, la politique et les concepts qui prétendent la régenter sont toujours polémiques. Tous ces paramétres faisant par-tie, comme s'ils en étaient le corollaire, de la si mal nommée anthropologie politique « pessimiste ».

17. A propos du point de vue politique « machiavélien » ou « réaliste », cf. Jerónimo Molina, Julien Freund, lo político y la política, Sequitur, Madrid 2000, pp. 59 ff.

18. Cf. Jacques Donzelot, L'invention du social. Essai sur le déclin des passions politi­ques, Seuil, París 1994.

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régime de participation militante avec une totalitare Herrschaft19. C'est ce que per-cut avec ciarte Lorenz von Stein, mais aussi un socialiste comme Louis Blanc, qui voyait dans l'Etat, de maniere critique, l '« expression puré de la société qui agit comme telle », ajoutant méme dans un passage clef que « l'Etat n'est pas autre chose que la société, adoptant sa qualité dans tout ce qui revét un caractére social » 2 0. Schmitt lui-méme, et ce au XX" siécle, s'appuya sur les mémes postuláis pour déve-lopper son idee d'« Etat total » 2 1. Or, l'« auto-organisation de la société en Etat», selon la célebre formule schmittienne, est bien le signe de l'Etat total au sens quanti-tatif, l'Etat comme forme imposée á la société. En lui se réalise le dépassement des principes représentatif - Etat de droit bourgeois - et associatif - démocratie sociale pluraliste - au bénéfice de l'activisme de la participation, activisme qui donna son caractére aux régimes de la mobilisation totale dans l'Europe de l'entre-deux guer-res. On ne peut ignorer que le concept á la mode de « participation », surtout dans la versión naíve et bon enfant oü le néorépublicanisme prétend puiser une « tradition » politique22, conserve encoré certaines afflnités avec sa formulation totalitaire initiale, l'« esprit militant» qui se dégage de la mobilisation totale - du moins au sens de la

19. Sur ce point, on peut consulter un ouvrage intéressant, quoique légérement décalé : Martin Jánicke, Totalitare Herrschaft. Anatomie eines politisches Begriffes, Duncker und Humblot, Berlín 1971.

20. Cf. Louis Blanc, « De l'Etat et de la Commune », in Questions d'aujourd'hui et de demain, vol. 1, E. Dentu, París 1873, pp. 260 et 279. L'histoire de la pensée n'a pas encoré rendu vraiment hommage au socialisme non étatique. Bien qu'il devrait étre revisita á partir de ses propres sources, on continué de l'étudier á l'aune du cadre intellectuel issu de l'histo-riographie sociale-démocrate. Le socialisme originel ou non étatique, dont l'« utopisme » ébranlait la tactique marxiste, a finalement fait partie de la réaction contre les excés du jacobi-nisme révolutionnaire. II existe á cet égard une certaine confluence, qui n'a ríen d'étonnant, entre le socialisme associatif et ses dérivations guildistes, corporatistes ou syndicalistes dans certains pays et, d'autre part, la pensée traditionaliste européenne, cette derniére étant, i l est vrai, elle aussi tres délaissée par les historiens des idees politiques. Dans l'histoire de la pen­sée espagnole, cette thése trouve déjá sa justifícation dans l'oeuvre de Gonzalo Fernández de la Mora, particuliérement dans son livre sur Los teóricos izquierdistas de la democracia orgá­nica (op. cit.). Cf. aussi, dans la méme ligne, sa breve note posthume « Araquistaín y su democracia orgánica », in Razón española, 112, mars-avril 2002, pp. 197-199.

21. Cf. Cari Schmitt, « Hacia el Estado total », in Revista de Occidente, XXXII, avril-mai-juin 1931 [trad. fr. in Parlementarisme et démocratie, op. cit.]. Cf. aussi Julien Freund, vista de conjunto sobre la obra de Cari Schmitt, éd. par J. C. Corbetta, Struhart y Cía, Buenos Aires 2002, pp. 87-89 [trad. fr. : « Vue d'ensemble sur l'oeuvre de Cari Schmitt » in Revue euro­péenne des sciences sociales, XVI, 1978, 43]. L'anarchique « mélange de gouvernement et d'Etat» fait qu'il est aujourd'hui tres difficile pour les intellectuels européens de se prononcer sur la réalité historique politique sous-jacente au totalen Staat. Cf. Dalmacio Negro, Gobierno y Estado, Marcial Pons, Madrid 2002.

22. Sur la « tradition » politique républicaine, cf. surtout Philip Pettit, Republicanismo. Una teoría sobre la libertad y el gobierno, Paidós, Barcelona 1999 [trad. fr. : Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement, Gallimard, París 2003].

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politisation des relations sociales et de leur subordination á l'accomplissement d'un devoir envers l'Etat. La générosité de la « participation citoyenne » constitue d ié ­nteme, en premiére approche, une vertu d'une nouveau genre qui se refere toujours á des considérations utilitaires dont beneficie la forme politique de l'Etat tardif, pen-dant supportable de l'Etat totalitaire. I I convient d'avoir présent á l'esprit qu'en termes de théorie organiciste de l'Etat, c'est la méme chose de parler de la « citoyen-neté » comme d'un outil que de poser la « participation » comme une fonction. Néanmoins, cette ligne d'argumentation échappe au plan que nous nous étions tracé, concentré sur un schéma historique et non sur la transformation d'un concept.

La lutte pour la représentation

La représentation a mis un terme au combat constitutionnel et a donné lieu en Angleterre au régime parlementaire. Curieusement, un probléme local qui renvoyait au départ á la prise de position politique d'une dynastie par rapport á son Parlement fut exporté sur le continent - en vérité sans grandes précautions, malgré l'important travail de mise au point auquel invitait l'oeuvre de Montesquieu - par les révolution-naires francais, en adoptant á partir de cette époque des formes spécifiques selon chaqué nation : le conflit des légi t imités dynastiques, la souveraineté des Constitutions, la généralisation de formes politiques de négociation2 3. La lutte pour une Constitution á l'anglaise, c'est-á-dire la défense des venerables coutumes politi­ques de la nation et de son gouvernement, se transforma alors en combat pour une Constitution écrite 2 4. Une fois celle-ci élaborée, par le biais de la mentalité construc-tiviste et de l'imprégnation mythique qu'opére généralement le droit positif sur les profanes25, la Révolution s'est réalisée sur le continent, prenant pour la premiére fois, en 1792, un sens utopique, pas seulement réformateur, mais aussi refondateur de la coexistence politique. Ici, i l n'était plus question de remettre en valeur la tradi­tion, corrompue par l'incurie, l'ignorance et les abus séculaires, mais d'éradiquer son souvenir pour édifier une société nouvelle. Un des principaux aspects du projet révolutionnaire originel fut précisément la formation de ce qu'on appela le régime

23. Nous ne nous occupons ici que de la représentation comme question idéologico-politique, et non comme question théologico-politique. Sur la seconde approche, cf. l'étude d'Alvaro d'Ors (concernant l'hypothése de l'origine canonique de la « représentation commu-nautaire » envisagée du haut vers le bas), « El problema de la representación política (1978) », dans Ensayos de teoría política, Eunsa, Pamplona 1979, plus particuliérement pp. 224 et 238-240.

24. L'activisme constitutionnel a produit á l'occasion des cas pathologiques comme celui de la « manie constituante » examinée par Gonzalo Fernández de la Mora, El Estado de obras, Doncel, Madrid 1976, pp. 23-27

25. C'est particuliérement vrai chez les intellectuels. Cette disposition d'esprit maladive est responsable de la révolution subjectiviste, d'oü resulte notamment la destruction de l'idée objective du droit, c'est-á-dire la prolifération des prétendus « droits sociaux » et le remplace-ment du droit naturel par les « droits de l'homme ». Sur toutes ces questions, cf. Michel Villey, Le droit et les droits de l'homme, PUF, París 1990.

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ou gouvernement représentatif, régime qui fut á partir de ce moment la amalgamé aux idees démocratiques rousseauistes26.

La « question constitutionnelle » se trouva provisoirement résolue en France sous les gouvemements libéraux de la Monarchie de Juillet. C'est l'époque oü Guizot brillait comme jamáis, plus qu'aucun de ses compatriotes. Les révolutionnaires libéraux abouti-rent en effet, en 1830, á un compromis entre la nation et la dynastie régnante, compromis dont profitera ensuite toute une génération d'Européens. L'émancipation juridique de l'individu et l'égalisation de ses statuts politiques s'opéra au départ au bénéfíce de la Propriété, qui parvint assurément ainsi á conclure une alliance sacrée avec le principe de la représentation libérale bourgeoise. Son expression la plus célebre fut le suffrage censi-taire. Mais ce qui est certain, c'est que le mouvement constitutionnel - qui est en toute rigueur un mouvement constituant, et aussi « estatificador », comme on le dit dans des pays comme l'Espagne - sauta rapidement les différentes étapes de sa formation. Ce fut l'heure de Saint-Simon et du triomphe posthume de ses idéaux sur la fin des révolutions politiques, mais aussi l'époque de Lorenz von Stein et de son opposition dialectique entre l'« Idee » de l'Etat et sa « réalité », ou encoré celle de son compatriote Karl Marx, avec sa critique du formalisme juridique des déclarations libérales des droits.

La lutte pour I'association

Au cours de l'année 1848, les événements se précipitérent. Le doctrinarisme, l 'un des derniers atouts politiquement efficaces du libéralisme européen, ne put défendre en France la quasi illégitimité des fictions constitutionnelles de 183027. Dans cet effondrement éclata la structure méme de l'ordre continental et se prepara la révolution socialiste. La Propriété, renforcée par la Déclaration des droits, ceda la place au Travail, dont les porte-parole, sans méme étre conscients de leur originalité, exigérent pour commencer, dans la terminologie d'usage, un nouveau « mode de représentation ». Cela ne paraissait pas seulement nécessaire, mais aussi véritable-ment urgent. C'est pourquoi Louis Blanc improvisa des « Etats-Généraux du Travail » et appela á París á s'organiser corporativement en « ateliers sociaux » 2 8. La

26. Sur ce qu'on appelle improprement la « représentation démocratique », Alvaro d'Ors s'est exprimé avec ciarte : « Le recours au mythe du contrat social, ou á quelque autre artífice similaire, n'est ríen de plus qu'un expédient utile pour justifier cette contradiction incompre­hensible que le mandataire puisse commander au mandant» (op. cit.). De la vient «l'idée qu'un représentant [possédant] un pouvoir de gouverner ne peut s'inscrire dans l'analyse du gouvernement politique qu'en partant de la notion de pouvoir delegué, dans laquelle le peuple n'est pas á proprement parler un mandant representé. De fait, c'est ainsi qu'a procede la doc­trine catholique lorsqu'elle a fondé Fautorité du pape sur sa représentation institutionnelle, en tant que "vicaire du Christ" » (ibid., p. 238).

27. Cf. Guglielmo Ferrero, El poder. Los genios invisibles de la ciudad, Tecnos, Madrid 1991. 28. Cf. Louis Blanc, Organisation du travail. Cinquiéme édition revue, corrigée et aug-

mentée d'une Polémique entre M. Michel Chevalier et l'Auteur, ainsi que d'un Appendice indiquant ce qui pourrait étre tenté des á présent, pp. 102-118.

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délégitimation du gouvernement représentatif de la bourgeoisie des propriétaires, auxquels on imputait alors tous les maux, facilita le passage á la démocratie sociale, forme nouvelle de gouvernement qui aspirait, en partant du point de vue de la repré­sentation, á remplacer un atomisme individualiste inorganique á peine corrige par la presse, les clubs politiques et les crypto-partis des notables.

Les associations s'étaient reconstituées spontanément en Europe aprés la persé-cution révolutionnaire (loi francaise de Le Chapelier en 1791), et une fois mises en veilleuse les précautions administratives prises contre la politisation du mouvement ouvrier (Combinations Laws anglaises de 1799 et 1800). Ce processus coincida en outre avec l'expansion du systéme industriel et le développement de la figure du Travailleur29, de sorte que le socialisme et, en deuxiéme instance, le traditionalisme purent offrir une visión rénovée de la politique, méme si, au départ, ils accusaient tous deux une certaine tendance archaísante, qui n'était d'ailleurs pas forcément réactionnaire. On oublie en fait souvent, et á dessein, le caractére antiprogressiste du socialisme originel, car la démocratie sociale, en se fondant sur le principe associa­tif, auquel le socialisme prémarxiste avait ajouté tres vite le « droit au travail », devint source d'agitation et de troubles, germes d'une nouvelle conception de la citoyenneté (celle du citoyen-producteur)30.

I I sembla alors quelque temps que la république sociale proclamée en France par le poete Lamartine réaliserait finalement la mission révolutionnaire ; au passage, la ruse de la raison politique aurait aussi voulu résoudre la « question sociale », en associant travail et association et en parrainant une nouvelle activité étatique, la poli­tique sociale de Bismarck31. Cependant, les esperances ne furent pas au rendez-vous. D'une part, le traditionalisme ne reconnut pas toujours l'Etat comme son ennemi, et i l lui arriva méme de s'allier avec lui , ne serait-ce que comme un moindre mal. Quant au socialisme non étatique, son histoire prit fin avec la Commune de Paris. Ce

29. Ernst Jünger en fit un archétype en 1932. Cf. El Trabajador. Dominio y Figura, Tusquets, Barcelona 1993 [trad. fr. : Le Travailleur, Christian Bourgois, Paris, 1989].

30. Cf. les discours prononcés á ce sujet devant l'Assemblée Nationale constituante fran­caise : Le droit au travail au Luxembourg et á l'Assemblée nationale, par MM. de Lamartine, Thiers, Louis Blanc, Dufaure, Duvergier de Hauranne, de Tocqueville, Wolowski, Ledru-Rollin, etc., etc. ; avec une introduction, par Emile de Girardin, 2 vol., Michel Lévy fréres, Paris 1849.

31. La méme remarque vaut pour la reforme sociale avortée que Frédéric Le Play inspira au fin politique Napoleón II I jusqu'á FExposition universelle de 1867. On notera qu'en ce qui concerne la politique sociale gouvernementale ou la politique intérieure des Etats continen-taux européens du dernier tiers du XIX e siécle - Socialpolitik (droit ouvrier, reforme sociale, socialisme juridique) - jusqu'á nos jours - social welfare (droit social, bien-étre social, socia­lisme fiscal) - , son contenu n'a pas été elaboré par des penseurs politiques, mais plutót par des économistes et plus particuliérement par des économistes libéraux. Cf. Wilhelm Ropke, La crisis social de nuestro tiempo, Revista de Occidente, Madrid 1947.

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á quoi contribua la trahison du collectivisme étatique par un ancien socialiste, Ferdinand Lasalle, ennemi du principe associatif, des coopératives ouvriéres et de la démocratie sociale32, et précurseur oublié des soda/es-démocraties modernes de partis de masse. Le prestige du principe associatif, pourtant á peine esquissé, n'en survécut pas moins au XIX e siécle, sous les formes politiques les plus diverses33.

La démocratie associative nous apparaít aujourd'hui comme un doux réve du X I X e siécle. En son temps, pourtant, elle se présentait polémiquement comme la condition requise indispensable á tout régime véritablement démocratique. Seule une forme de gouvernement basée sur le principe associatif pouvait étre considérée comme vraiment « démocratique », selon les membres des partis socialistes, ou comme « représentative », selon les traditionalistes. Personne ne s'étonnait alors de cette stratégie réductionniste, puisque le libéralisme bourgeois la défendit aussi pour laminer la légitimité de l'Ancien régime 3 4.

La lutte pour la participation

La défaite infligée en 1871 aux Communards emporta le réve d'une démocra­tie associative tant i l est vrai, comme on le souligna quelque temps aprés, que « la Commune n'est au fond rien d'autre que l'association » 3 5 . Survint alors en quel-ques années le renversement copernicien operé par le marxisme, résolu á souscrire allégrement aux attitudes politiques constituées depuis en modele, que ce soit sous la forme de l'activisme electoral - la sociale-démocratie révisionniste - ou de la religión sécularisée - le marxisme-léninisme voire, plus tard, sous la forme de la politique culturelle - le communisme gramscien - ou méme, á la fin du XX" siécle, du pragmatisme conservateur - la « troisiéme voie ». A cet égard,

32. Nonobstant 1'inimitié « sociale » de ce doctrinaire de l'étatisme, les régimes politiques socialisants surgís de la Deuxiéme Guerre mondiale - les démocraties de Potsdam - ont consacré le type de Constitutions qu'il avait contribué á faconner en en reprenant l'irispiration sans le mentionner, cas insolite dans l'histoire du constitutionnalisme occidental. Son influence sur le droit constitutionnel positif s'est avérée par la infiniment plus grande que celle qu'a pu avoir Rousseau au temps des révolutions libérales. Cf. Jerónimo Molina, « Mixtificaciones políticas », in Razón Española, 110, novembre-décembre 2001, pp. SIS-SI 9. Peu d'écrivains européens ont percu cela aussi clairement que l'historien des idees politiques Dalmacio Negro, qui s'est récemment référé á plusieurs reprises á l'« Etat social-démocrate », non comme notion juridico-constitutionnelle ou idéologique, mais comme modalité conceptuelle de la staatliche politische Form. Cf. á ce sujet ses arricies : « La utili­dad de la religión », in La Razón, 14 mai 2002 ; « Agonía de la socialdemocracia », in La Razón, 4 juin 2002 ; « Los dos poderes », in La Razón, 11 juin 2002 ; « La era socialdemó-crata », in La Razón, 2 juillet 2002.

33. Cf. plus haut, notes 3-6. 34. On peut ici renvoyer á Cari Schmitt, Teoría de la Constitución, Alianza, Madrid 1992,

notamment le § 16 [trad. fr. : Théorie de la Constitution, PUF, Paris 1993]. 35. Voir Louis Blanc, « De l'Etat et de la Commune », in op. cit., p. 304.

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on doit considérer comme significatif le tournant socialiste qu'Engels recomman-dait lui-méme en 1895, pour orienter son mouvement vers l'« utilisation efficace du suffrage universel », puisque, selon lui , « la rébellion d'ancien style, le combat de rué avec barricades, qui jusqu'en 1848 emportait partout la decisión, avait considérablement vieil l i » 3 6 . Au-delá des intéréts des vainqueurs de la Deuxiéme Guerre mondiale et de leur politique de contention, le succés inou'f de la sociale-démocratie, dans la seconde moitié du X X e siécle - succés sans lequel on ne comprend pas la vogue actuelle de l'illusion participative - , est probablement dü á l'exploitation de la méme tradition idéologique en vue de construiré une nou­velle culture politique3 7.

La compréhension du mouvement des idees sociales du XIX C siécle ne serait pas complete si l 'on ne clarifiait pas la raison d'étre de certains grands paradoxes lies aux concepts que nous venons d'exposer. Deux en particulier méritent parti­culiérement d'étre elucides : a) l'étatisation du socialisme et b) le remplacement de la démocratie sociale par l'Etat social3 8. Bien qu ' i l ne soit pas possible de développer ici cette thématique, ces deux processus ont suivi des cours paralléles, le premier aboutissant á l 'Etat totalitaire et le second á l'Etat-Providence. Décisive fut précisément ici l'influence qu'exerca la sociale-démocratie, car elle sut s'adapter á l'Etat culturel3 9, pour se présenter comme le régime émancipateur de l 'aprés-guerre civile européenne, comme le véritable political system dont

36. Préface de Friedrich Engels á Karl Marxn Las luchas de clases en Francia de 1848 a 1850, Espasa-Calpe, Madrid 1985, pp 91-92 [trad. fr. : « Les luttes de classes en France de 1848 á 1850 », in Karl Marx, (Euvres, vol. 4 : Politique, 1, Gallimard, Paris 1994, p. 1133).

37. La sociale-démocratie s'est adaptée comme aucune autre idéologie du XIXC siécle á la situation politique du XX e. L'explication de sa capacité de changement bien connue reside dans son « opportunisme » - le « kautskysme », pour reprendre la terminologie cynique de Lénine. Cf. Lénine, « La revolución proletaria y el renegado Kautsky », in Obras escogidas, vol. 3, Akal, Madrid 1975, pp. 61-146. La diffusion du pragmatisme social-démocrate a bene­ficié du processus de dépolitisation ou de désidéologisation du monde occidental décrit par Gonzalo Fernández de la Mora {El crepúsculo de las ideologías, Espasa-Calpe, Madrid 1986). Cependant, la sociale-démocratie ne s'est jamáis présentée comme une anti-idéologie - réa-lisme politico-libéral -, mais bien plutót comme la derniére des idéologies - pensée unique, consensualisme -, dont le statut annonce déjá le livre equivoque et confus de Daniel Bell, El fin de las ideologías. Sobre el agotamiento de las ideologías políticas en los años 50, Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, Madrid 1992 [trad. fr. : La fin de Vidéologie, PUF, Paris 1977].

38. Cf. Jerónimo Molina. La política social en la historia, op. cit, pp. 39-45. 39. Sur la relation entre ces formes d'étatisme tardif, cf. Dalmacio Negro, op. cit., particu­

liérement le chap. 10. D'un autre cóté. i l convient de distinguer entre l'Etat culturel comme expression politique d'une tradrtion nationale valorisée (cf. á ce propos la note synthétique de Klaus Hornung, « Kulturstaat». in Junge Freiheit, 23 mai 1997) et l'Etat culturel comme forma ecclesiae d'une religión sedujere. Cf. Michel Fumaroli, L'Etat culturel. Essai sur une religión moderne. LGF. París 1999.

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s'occupe la science politique". Bien évidemment, i l n'est pas facile de délimiter conceptuellement les trois formes d'étatisme tardif mentionnées ici , méme si cha-cune d'entre elles renvoie á un ordre de solution de la « question culturelle ». D'un point de vue gnoséologique, cette derniére peut se comprendre comme le défi impliqué par l 'éclatement du savoir, mais aussi comme le besoin de lu i apporter une structure, á l 'ére de l '« opinión publique » 4 1 . Mais d'un point de vue politique, la «lut te pour la culture » n'est rien d'autre que l'entreprise visant á garantir une sécurité collective totale par n'importe quel moyen, car si le pouvoir spirituel - auctoritas, le savoir socialement reconnu - a dispara, alors tout se vaut. En ce sens, le Kulturkampf bismarckien n'était qu'un jeu d'enfant comparé á l 'apogée de ce processus, la « mort de l'ignorance » 4 2 .

En derniére analyse, dans la perspective de la philosophie et de la critique de la culture que nous avons ici schématisée s'affirme la décomposition d'un monde politique, contexte auquel se refere toute mutation des concepts, selon les princi­pes que nous avons énoncés au debut. C'est le cas tout particuliérement de la représentation, car en tant que concept concret elle s'est trouvée laminée par ses propres présupposés - l'alternative associative - , en méme temps qu'elle se per-dait dans un mode de pensée coupé de la réa l i té , l '« abstractionnisme ». Traditionnellement, le réalisme historique de la représentation se caractérisait par son objectivité, celle-ci résidant dans la propriété ou dans une définition stricte de la nationalité. C'est ainsi que le principe de la représentation organique supposait encoré une visión objective des qualités de ce qui était representé. Mais celles-ci ont fini par se dissoudre dans les mystifications du racisme, dans l'ultranationa-lisme fasciste ou dans l'internationalisme bolchevik. La participation a pu, de ce point de vue, se présenter comme une forme de représentation originaire á laquelle l'irrationalisme permettait de toute évidence de faire retour. Bien que ses objectifs aient été différents, Cari Schmitt a introduit une grande ciarte dans ce débat en se référant á deux des principes fondamentaux ou constitutifs de toute forme politique {politische Form-Prinzipien), l ' identité et la représentation 4 3 .

40. Sur le possible anachronisme de ce régime - l'« archáisme constitutionnel » -, cf. Eustaquio Galán, « El porvenir del Estado en Europa », dans l'ouvrage collectif Homenaje a D. Nicolás Pérez Serrano, vol. 1, Instituto Editorial Reus, Madrid 1959, pp. 360-361.

41. Cf. Gabriel Tarde, L'opinión et lafoule, Félix Alean, Paris 1910, pp. 23, 28, 37, 58 et 60. 42. Ce qui s'est passé depuis 1871 a été possible « parce que l'irruption des masses com-

binée á la renaissance de la démocratie impliquait la mort de l'ignorance, á commencer par l'idée que tout le monde est assez compétent pour juger de n'importe quoi ». Cf. Dalmacio Negro, « La muerte del ignorante », in La Razón, 16 avril 2002. II se peut que, comme l'avait un jour suggéré Julien Freund, le libéralisme purement idéologique ou antipolitique ait á cet égard une grande responsabilité. Cf. Julien Freund, « Die industrielle Konfliktgesellschaft », in Der Staat, XVI, 1977, 2, 1977, pp. 153-170.

43. Cf. Cari Schmitt, Teoría de la Constitución, op. cit. [trad. fr. : Théorie de la Constitution] : « L'Etat repose comme unité politique sur l'articulation de deux principes de

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Mais comme la participation se présentait en ces années la comme une alternative radicalement démocratique aux régimes socialisants, méme si elle était toujours un peu en retrait par rapport aux attentes des intellectuels, i l était encoré trop tót pour prendre en compte la représentation pro teiforme de l'élément constitutionnel due á Schmitt. Depuis les années 1930, le principe participatif révolutionnaire a done été constamment rapporté á l'intégration totale des individus, non dans des communautés organiques, submergées par le monde totalitaire du travail, mais directement dans la fonction étatique, que ce soit activement - par le plebiscite, le suffrage universel élargi, l'administration consultative - ou passivement - par le Daseinvorsorge (le souci existentiel)44. C'est pourtant de la que doit partir toute contemporaine qui s'intéresse á la reforme de la participation, mais aussi á sa réinstitutionnalisation.

Jerónimo MOLINA (traduit de Vespagnol par Michel Lhomme)

formation opposés, le principe de l'identité (du peuple présent á lui-méme comme unité politi­que lorsque, gráce á sa propre conscience politique et á la volonté nationale, i l est apte á distinguer l'ami de l'ennemi), et le principe de représentation, en vertu duquel l'unité politi­que est représentée par le gouvernement» (p. 213).

44. Ernst Forsthoff a enquété avec une grande finesse sur ces problémes. Cf. son livre Sociedad industrial y administración social, IEAL, Madrid 1967, pp. 70 ff.