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Affections iatrogènes : information, aspects médicolégaux et responsabilité du rhumatologue Denis Daupleix 1 *, Thierry Farman 2 , Agnès Ulmann 3 1 Médecin-chef du groupe CCAMA-GAN, 12, rue Renault, 94160 Saint-Mandé, France ; 2 médecin coordinateur MACSF, 20, rue Brunel, 75856 Paris cedex 17, France ; 3 médecin conseil du Sou Médical, 130, rue du Faubourg- Saint-Denis, 75010 Paris, France responsabilité / faute / dommage / information / perte de chance / expérimentation / loi Huriet–Sérus- clat / infection nosocomiale responsability / malpractice / information / damage / experimentation / legal issues / nosocomial infection La responsabilité du praticien repose sur la notion d’une faute. Cependant de plus en plus, l’évolution des mentalités se fait vers une exigence de sécurité de pres- cription, les patients acceptant de moins en moins la possibilité de ces accidents iatrogènes. Ceci a pour corollaire le caractère croissant des mises en cause de la responsabilité des médecins et des établissements hos- pitaliers publics ou privés. Un patient mécontent ou déçu des soins mis en œuvre par un praticien dispose, rappelons-le, de multi- ples voies pour faire valoir ses arguments et obtenir, le cas échéant, satisfaction. S’il souhaite obtenir exclusivement une indemnisa- tion pour le préjudice qu’il pense avoir subi, il va se tourner vers la juridiction civile, judiciaire s’il s’agit d’un praticien libéral, administrative s’il s’agit d’un praticien de l’hôpital public. Il dispose de 30 ans pour faire valoir ses droits auprès d’une juridiction civile (et même de 48, s’il s’agit d’un enfant nouveau-né par exemple, qui ne prendra conscience du dommage qu’il a subi qu’à l’âge de 18 ans). La prescription est de quatre ans en matière administrative. Si les frontières entre les deux systèmes tendent à s’estomper, voire à disparaître avec le temps, force est de constater que les chances pour le patient de voir prospérer sa plainte sont diffé- rentes dans les deux cas. Si le patient souhaite à la fois une sanction, c’est-à- dire une punition de son praticien, en même temps qu’une indemnisation, il va se tourner vers la justice pénale, la situation étant la même pour un praticien libéral et un praticien du service public. Le délai de prescription est alors de trois ans. S’il souhaite enfin exclusivement une sanction disci- plinaire, il va se tourner vers le Conseil de l’Ordre qui peut intervenir dans les deux situations, qu’il s’agisse d’un praticien libéral ou hospitalier, les conditions de saisine étant différentes, plus complexes dans le deuxième cas 1 . En matière ordinale, il n’y a pas de délai de prescription. Ces différentes responsabilités peuvent très bien s’agencer d’une façon cumulative. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (D. Daupleix). 1 Art. L. 4124-2 du code de santé publique. Les médecins, les chirurgiens–dentistes ou les sages–femmes chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’ordre ne peuvent être traduits devant le conseil régional ou interrégional, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’État dans le département ou le Procureur de la République. Rev Rhum [E ´ d Fr] 2002 ; 69 : 349-54 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1169833002003083/SSU

Affections iatrogènes : information, aspects médicolégaux et responsabilité du rhumatologue

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Affections iatrogènes : information, aspectsmédicolégaux et responsabilité du rhumatologue

Denis Daupleix1*, Thierry Farman2, Agnès Ulmann31Médecin-chef du groupe CCAMA-GAN, 12, rue Renault, 94160 Saint-Mandé, France ; 2médecin coordinateurMACSF, 20, rue Brunel, 75856 Paris cedex 17, France ; 3médecin conseil du Sou Médical, 130, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris, France

responsabilité / faute / dommage / information / perte de chance / expérimentation / loi Huriet–Sérus-clat / infection nosocomiale

responsability / malpractice / information / damage / experimentation / legal issues / nosocomialinfection

La responsabilité du praticien repose sur la notiond’une faute. Cependant de plus en plus, l’évolution desmentalités se fait vers une exigence de sécurité de pres-cription, les patients acceptant de moins en moins lapossibilité de ces accidents iatrogènes. Ceci a pourcorollaire le caractère croissant des mises en cause de laresponsabilité des médecins et des établissements hos-pitaliers publics ou privés.

Un patient mécontent ou déçu des soins mis enœuvre par un praticien dispose, rappelons-le, de multi-ples voies pour faire valoir ses arguments et obtenir, lecas échéant, satisfaction.

S’il souhaite obtenir exclusivement une indemnisa-tion pour le préjudice qu’il pense avoir subi, il va setourner vers la juridiction civile, judiciaire s’il s’agitd’un praticien libéral, administrative s’il s’agit d’unpraticien de l’hôpital public. Il dispose de 30 ans pourfaire valoir ses droits auprès d’une juridiction civile (etmême de 48, s’il s’agit d’un enfant nouveau-né parexemple, qui ne prendra conscience du dommage qu’ila subi qu’à l’âge de 18 ans). La prescription est de quatreans en matière administrative. Si les frontières entre lesdeux systèmes tendent à s’estomper, voire à disparaîtreavec le temps, force est de constater que les chances

pour le patient de voir prospérer sa plainte sont diffé-rentes dans les deux cas.

Si le patient souhaite à la fois une sanction, c’est-à-dire une punition de son praticien, en même tempsqu’une indemnisation, il va se tourner vers la justicepénale, la situation étant la même pour un praticienlibéral et un praticien du service public. Le délai deprescription est alors de trois ans.

S’il souhaite enfin exclusivement une sanction disci-plinaire, il va se tourner vers le Conseil de l’Ordre quipeut intervenir dans les deux situations, qu’il s’agissed’un praticien libéral ou hospitalier, les conditions desaisine étant différentes, plus complexes dans ledeuxième cas1. En matière ordinale, il n’y a pas de délaide prescription.

Ces différentes responsabilités peuvent très biens’agencer d’une façon cumulative.

*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (D. Daupleix).

1 Art. L. 4124-2 du code de santé publique. Les médecins, leschirurgiens–dentistes ou les sages–femmes chargés d’un servicepublic et inscrits au tableau de l’ordre ne peuvent être traduitsdevant le conseil régional ou interrégional, à l’occasion des actes deleur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, lereprésentant de l’État dans le département ou le Procureur de laRépublique.

Rev Rhum [Ed Fr] 2002 ; 69 : 349-54© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1169833002003083/SSU

FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITÉ MÉDICALE

Le régime juridique de la responsabilité du praticiendécoule d’un arrêt de la Cour de cassation du 20 mai1936 (arrêt Mercier), établissant une relation contrac-tuelle entre le patient et son médecin au terme delaquelle ce dernier doit prodiguer des soins conscien-cieux, attentifs et conformes aux données actuelles de lascience.

La triple condition d’une indemnisation en réponse àla plainte formulée est caractérisée par l’existence d’unefaute, d’un dommage, et d’un lien de causalité direct,certain et exclusif entre la faute et le dommage.

L’indemnisation, lorsque la faute et le dommage sontcertains, peut néanmoins relever d’un lien de causalitéqui n’est que partiel. C’est le cas d’un traitement inap-proprié qui n’a généré pour le patient qu’une perte dechance d’une évolution plus favorable.

Prenons deux exemples :– une jeune femme sous contraception orale, ne fumantplus depuis un an, est prise en charge pour le traitementd’une entorse de cheville de moyenne gravité. La che-ville est immobilisée par strapping, avec appui soulagépar l’usage de deux cannes anglaises. Le pied en légeréquin ne permet pas un appui réel. L’évolution estmarquée par une phlébite surale. L’absence de préven-tion par traitement anticoagulant a constitué une pertede chance en favorisant la survenue d’une phlébite ;– une prescription médicamenteuse adaptée va entraî-ner après quelques jours des manifestations cutanéo-muqueuses inaugurales d’un syndrome deStevens–Johnson, dont l’évolution sera grave avec delourdes séquelles. Le diagnostic n’est suspecté qu’autroisième jour après l’apparition des premiers symptô-mes. Le traitement avait été interrompu la veille etl’hospitalisation est immédiate. Il peut être retenu uneperte de chance d’évolution plus favorable s’il n’y avaitpas eu de retard au diagnostic, donc de retard autraitement. Il n’est en revanche retenu aucun rôle de ladate d’interruption du médicament en cause.

Le praticien n’est tenu que d’une obligation de moyenet non de résultat. Néanmoins, il peut être tenu pourresponsable d’un dommage, même sans faute dès lorsqu’il n’a pas satisfait à son obligation d’information dupatient sur le résultat de ses constatations, les alternati-ves aux investigations ou aux traitements qu’il lui pro-pose et le rapport bénéfice/risque de chacune de cesalternatives.

OBLIGATION D’INFORMATION

Cette obligation d’information est constante depuis unarrêt de la Cour de cassation de 1951 (une informationloyale, claire et appropriée). En fait l’arrêt de la Cour decassation du 25 février 1997, qui a beaucoup ému lesprofessionnels de la santé, ne faisait qu’inverser la chargede la preuve de cette information, la faisant peser sur lepraticien, celui-ci restant libre du moyen utilisé.

Dans les suites de cet arrêt, de multiples solutionsjurisprudentielles illustrent les limites de ce devoird’information qui s’impose devant des risques mêmesexceptionnels lorsqu’ils sont graves, même lorsque letraitement proposé ne comporte pas d’alternative.

Les seules exceptions sont :– l’urgence absolue ;– la volonté démontrée du patient de ne pas êtreinformé ;– la nécessité thérapeutique, c’est-à-dire celle où il estde l’intérêt démontré du patient de ne pas l’informer dela gravité du diagnostic ou du pronostic.

Devant la réalisation d’un dommage sans aucunefaute médicale autre que le manquement au devoird’information, l’indemnisation du préjudice sera seule-ment partielle, proportionnelle à la perte de chanced’échapper au dommage qui en résulte.

Le juge, pour indemniser isolément ce préjudice deperte de chance, va tenir compte de l’évolution natu-relle que l’on pouvait attendre de la maladie d’origine,en l’absence du geste qui a généré le dommage, ou dufait d’un autre geste qui aurait été possible mais àmoindre risque, et en définitive de la conviction qu’il sefera du choix qu’aurait fait le patient s’il avait éténormalement informé.

OBLIGATION DE SECURITÉ–RÉSULTAT

Depuis 1997, la volonté indemnitaire des juges, influen-cée très certainement par l’échec des démarches faitessur le plan économique pour une prise en charge desaléas médicaux, s’est illustrée à travers des décisions,certes conformes à l’équité, mais étrangères au droit.

En effet, si la Cour de cassation, dans un arrêt récentdu mois de novembre 2000, a bien considéré qu’un aléamédical certain, sans aucune faute du praticien, nepouvait engager celui-ci à réparer le dommage qui enétait résulté, l’obligation de moyen a évolué vers ce queles juges ont appelé « l’obligation de sécurité/résultat ».

Cette notion, d’abord née des problèmes engendréspar la chirurgie esthétique et la prothèse dentaire, atrouvé son extension dans tous les domaines de la

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médecine, donnant matière à indemnisation dès lorsque le dommage qui s’était produit, même sans fautecaractérisée du praticien, répondait à l’atteinte d’unorgane qui n’était pas la cible de la thérapeutique et quine correspondait pas à une difficulté ponctuelle, à la foisimprédictible et imprévisible.

Trois arrêts de la Cour de cassation du 29 juin 1999ont étendu cette notion d’obligation de sécurité derésultat à l’indemnisation solidaire par l’établissementde soins et le praticien des infections dites « nosocomia-les » dès lors que cette dernière était prouvée, mêmesans faute de l’un ou l’autre des intervenants.

On a vu au cours des mois suivants s’étendre cettenotion à la responsabilité du fait du matériel, et du faitdes produits, donc des médicaments. Le rhumatologuedispose de médicaments de plus en plus performants,mais susceptibles d’exposer à des accidents iatrogènes,pouvant générer un dommage propre, indépendam-ment de l’affection sous-jacente et de son évolution.

L’arthrite septique, faisant suite à un geste invasifarticulaire, était régulièrement considérée auparavantcomme le fait d’un aléa médical, s’il était convenu queles précautions habituelles avaient été respectées. Cescomplications, toujours graves, et d’une fréquence toutde même significative en rhumatologie, remettent biensûr en cause l’évaluation des « bonnes pratiques médi-cales », à savoir, outre les protocoles rigoureux parfaite-ment décrits, le problème du port de gants, d’unebavette, d’un calot, etc…

Le fait pour un expert de dire que toutes les règlesconsensuelles en la matière ont été respectées, mais quele port d’une bavette ou des gants aurait été une précau-tion supplémentaire, va aux yeux du juge consacrer laresponsabilité du praticien…qui n’aura pas mis enœuvre tous les moyens dont il disposait pour éviter ledommage qui s’est produit. À ce jour, on ne connaîtqu’une condamnation (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 1993) après arthrite purulente de l’épaule :l’expert avait conclu à des soins non conformes auxdonnées acquises de la science, du fait de l’absence deradiographie et d’examen biologique préalables, et del’absence du port de gants et d’un champ stérile pourréaliser l’acte, l’arrêt de la Cour se fondant sur « …unrisque d’infection non négligeable…, ce qui est uneraison de plus de prendre le maximum de précautionsd’asepsie, au demeurant peu coûteuses et peu contrai-gnantes. »

Un effet indésirable, lorsqu’il est connu et répertorié(figurant dans la fiche signalétique du dictionnaireVidalt), fait partie, avant la prescription, de l’informa-

tion théoriquement nécessaire du patient. Lorsqu’ilsurvient, il peut procéder parfois d’un manque de rigu-eur dans la prescription, d’une insuffisance de prise encompte des éventuelles contre-indications et des éven-tuelles interactions avec d’autres médicaments qui peu-vent très bien être administrés par d’autres praticiensdevant une association pathologique. Mais souvent, uneffet secondaire indésirable peut être le fait d’un aléathérapeutique, et pose le problème de la responsabilitédu fabricant.

En matière pénale, la responsabilité d’un praticienvis-à-vis d’une prescription médicamenteuse peut êtreretenue pour infraction dans le cadre de l’homicide, oudes blessures involontaires par imprudence. C’est unesituation exceptionnelle. En revanche, le champ de laresponsabilité s’est largement ouvert, nous concernant,sur les bases du nouvel article reconnaissant une infrac-tion pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

ESSAIS THÉRAPEUTIQUES ET AMM

La responsabilité du rhumatologue peut être engagée enmatière de recherche biomédicale et d’essai thérapeuti-que.

Le nouveau Code de déontologie de 1995 prévoitdans son article 15 que « le médecin ne peut participerà des recherches biomédicales sur des personnes quedans les conditions prévues par la Loi. Il doit s’assurerde la régularité et de la pertinence de ces recherches,ainsi que de l’objectivité de leurs conclusions. »

La loi Huriet–Sérusclat (N °88-1138 du 20 décem-bre 1988), qui vise à protéger le patient et à favoriserson indemnisation éventuelle, impose à tout praticienqui participe à une recherche biomédicale ou thérapeu-tique, qu’il agisse en qualité de promoteur ou d’inves-tigateur, de disposer d’une assurance spécifique à lacharge du promoteur, visant à protéger le patient. Laprescription de l’action de ce dernier est limitée à dixans, ce qui n’empêchera pas bien-sûr le patient, en casde révélation tardive d’un effet secondaire iatrogènedirect ou indirect, de se retourner jusqu’à la fin de laprescription trentenaire (responsabilité civile contrac-tuelle) contre son praticien, dont la responsabilitédeviendra donc à ce moment-là exclusive.

C’est dire que tout praticien qui participe à uneexpérimentation doit être certain que le promoteur asouscrit une garantie couvrant la responsabilité civile deses investigateurs et doit aussi en informer son assureurpersonnel.

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En outre, le protocole d’expérimentation répond àdes règles extrêmement précises qui doivent être scru-puleusement respectées, à charge pour l’investigateurdans cette situation de porter à la connaissance dupatient les documents d’information nécessaires et des’assurer à la fois de leur compréhension et du consen-tement écrit et signé.

Entre la prescription classique d’un médicament dontl’efficacité est démontrée, qui a l’AMM pour l’usage quien est fait, et l’expérimentation bien cadrée par ledispositif de la loi Huriet–Sérusclat, se situe le vastechamp des prescriptions médicamenteuses qui, sansêtre expérimentales puisqu’elles répondent à des publi-cations scientifiques valables déjà faites, n’ont néan-moins pas l’AMM pour la pathologie concernée, oupour toute utilisation.

Soyons clairs : la prescription d’un médicament nonreconnu, non autorisé dans une indication précise,pourrait être en soi un délit pénal, même s’il n’a pasentraîné d’effet délétère. Dans ce cas, l’assureur deresponsabilité civile n’est pas tenu d’accorder sa garan-tie pour un acte ainsi contraire au règlement.

Cependant, s’il s’agit de l’utilisation d’un produithors AMM, mais dont l’usage est déjà consacré par despublications à valeur scientifique indiscutable, la garan-tie est habituellement acquise, mais la présomption deresponsabilité du praticien est naturellement renforcéedevant la survenue de toute complication quelle qu’ensoit la nature. Dans cette indication hors AMM, lepraticien devra tout particulièrement veiller à l’infor-mation éclairée du patient.

L’EXPÉRIENCE DES ASSUREURS SPÉCIALISÉS ENRESPONSABILITÉ MÉDICALE

En matière de rhumatologie, si la fréquence des plaintesaugmente, comme dans les autres disciplines, il fauttout de même remarquer que le risque reste relative-ment modeste, référence faite à d’autres spécialités.

L’étude rétrospective faite au GAMM (MACSF etSou Médical), sur les dix années qui viennent de s’écou-ler, identifie 242 dossiers de déclarations de sinistres pardes rhumatologues. Il s’agit là de déclarations de toutenature, d’ordre diagnostique ou thérapeutique, dontcertaines seulement sont assorties d’une plainte dupatient, et dont 30 % environ ont eu des suites judiciai-res…

Dans certains cas, l’analyse du dossier ayant orientéles médecins et juristes spécialisés vers l’appréciationd’un reproche susceptible de prospérer, l’issue judi-

ciaire a été évitée à chaque fois que cela était possible, enrecherchant un terrain amiable.

On ne peut manquer d’être frappé dans ces déclara-tions par la fréquence des complications thérapeutiquesqui surviennent dans les suites des traitements infiltra-tifs (34 dossiers sur 101 à la MACSF). Dans les com-plications infectieuses, le rôle du produit, donc dumédicament, ne peut pas être éliminé, même si lemécanisme n’est pas clair, dans la mesure où aucuneplainte n’a été enregistrée en rhumatologie (commedans les autres disciplines) pour les complications d’ungeste de ponction qui ne s’accompagnait pas de l’intro-duction d’un produit.

L’infection apparaît fréquemment (six fois dans lesdossiers MACSF, 20 fois au Sou Médical), alors que legeste est celui d’un praticien rodé. On observe ainsi, surles 20 cas colligés par le Sou Médical, cinq spondylo-discites, un cas de méningite purulente, 11 arthritesseptiques, deux septicémies (dont une gravissime à sta-phylocoque, avec atteinte ophtalmique et cérébrale), unchoc infectieux après une arthrite, chez un homme âgéqui va décéder au décours d’une hémiplégie.

Un cas d’arthrite septique, après une arthrographiedu genou, a pour originalité d’avoir été prescrite par unrhumatologue expert, dans un but d’évaluation du dom-mage corporel et non pas dans une intention diagnos-tique et thérapeutique, ce qui lui a été à juste titrereproché.

Nous citerons le cas dramatique du décès d’une jeunefemme d’une septicémie à pneumocoque ayant débutéquelques jours après une banale infiltration péri-articulaire de l’épaule, sur un terrain éthylique.

On relèvera en outre diverses complications ayantdonné lieu à des déclarations :– une arthropathie nécrosante de la cheville après syno-viorthèse à l’acide osmique, qui a eu des suites prolon-gées et a laissé persister des séquelles significatives ;– trois malaises vagaux et deux crises d’épilepsie géné-ralisée, l’une après infiltration de la cheville, l’autreaprès infiltration de la région sacrococcygienne ;– il faut également relever deux ruptures achilléennes,dont l’une avec sepsis, une arthropathie destructriced’une interphalangienne après infiltration d’un dérivécortisoné, des exacerbations douloureuses transitoires.

Concernant le seul geste, on relève assez fréquem-ment dans les déclarations (13 fois sur l’ensemble desdossiers GAMM) un syndrome postponction lombaire,dont l’un a été suivi d’une thrombose veineuse cérébraleet l’autre d’une nécrose hypophysaire puis d’un acci-dent vasculaire cérébral ayant conduit au décès.

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Nous citerons à part un cas de sciatique hyperalgiqueaprès injection d’un anti-inflammatoire non stéroïdienen intramusculaire du côté sciatalgique.

Les dossiers qui ne concernent que les effets iatrogè-nes des médicaments prescrits sont peu nombreux.Nous en relevons 18 sur les 242 dossiers du GAMM.Nous en citerons quelques-uns qui appellent à réflé-chir :– la survenue chez un patient au terrain allergique d’unœdème de Quincke après une injection intramusculairede kétoprofène alors que la tolérance antérieure à cemédicament était bonne ;– la survenue chez une patiente âgée de 55 ans, traitéepour une sciatique hyperalgique par une corticothéra-pie brève classique de douze jours, d’une pancréatitenécrosante avec un diabète et une évolution finalementfavorable ;– chez une patiente âgée de 80 ans, en traitement pourune polyarthrite rhumatoïde sous dialyse depuis troisans, la survenue d’un accident hypertensif sévère sousindométhacine qui sera interrompu et substitué par duméthotrexate, une agranulocytose intervenant à j5 etentraînant le décès ;– reprise du traitement de fond par les sels d’or injec-tables d’une polyarthrite rhumatoïde après quelquesannées de quiescence, sur les conseils du rhumatologue.Des contrôles hématologiques sont prévus chaquesemaine. Après la première injection de 2,5 cg, l’injec-tion suivante est autorisée par le généraliste, le taux deplaquettes étant supérieur à 100 000 (118 000/mm3),et le taux de leucocytes supérieur à 3 000/mm3. Aprèscette seconde injection, un taux de plaquettes à85 000/mm3 fait interrompre le traitement (5 000GB/mm3, 56 % PN) et une prise en charge hospitalièreest mise en œuvre. La patiente va décéder de cetteaplasie médullaire ultérieurement. Une procédure civilepour indemnisation sera débutée du vivant de lapatiente : les experts dans leur rapport ont jugé « l’atti-tude du médecin imprudente en n’arrêtant pas l’Allo-chrysinet du fait des résultats franchement anormauxpar rapport au bilan préthérapeutique (232 000 pla-quettes, 6 500 GB, 72 % PN). Il a ainsi directementcontribué au développement de l’aplasie médullaire. »Pour les juges « l’imprudence du praticien est fautive, ilsera en conséquence responsable du préjudice subi etcondamné à le réparer à proportion des deux tiers. »– Un traitement corticoïde inadapté dans le cadre d’uneerreur diagnostique de plusieurs praticiens ayantméconnu une arthrite de hanche dans le postpartum.

– La prescription quotidienne (et non hebdomadaire)de méthotrexate dans le traitement de fond d’une poly-arthrite rhumatoïde, à l’origine d’une aplasie médul-laire heureusement régressive.– À part, un accident dramatique après infiltrationd’une banale tendinite de la patte d’oie chez un hommede 45 ans, sans antécédent médical : survenue quelquesminutes après l’injection de cortivazol (sans adjonctiond’un anesthésique local), d’un malaise avec paresthé-sies, nausées et collapsus : décès rapide malgré l’arrivéetrès rapide des secours sur place (pompiers et SAMU) etles premières mesures de réanimation (massage cardia-que, corticoïde injectable) malheureusement sans effi-cacité. L’autopsie ne retrouve aucune anomalie etl’hypothèse d’un choc allergique à l’Altimt est retenu.Une plainte pénale pour homicide involontaire aboutità un non-lieu, motivé par « l’absence de cas connumortel, et de référence dans les ouvrages de rhumatolo-gie du traitement par l’adrénaline des chocs allergi-ques. » Poursuite de la procédure devant une juridictioncivile.

Pour chacun de ces dossiers, concernant des compli-cations exceptionnelles mais classiques, la discussionporte sur les indications thérapeutiques, les alternativesaux propositions qui ont été faites, l’information dupatient sur le risque qui s’est réalisé et la prise en chargebien entendu de la complication une fois celle-ci surve-nue.

Il ne paraît pas inutile de citer pour en terminer, undossier de même nature où le praticien mis en cause estophtalmologiste et non rhumatologue : il s’agit d’unepatiente atteinte d’une polyarthrite rhumatoïde, soustraitement au long cours par chloroquine, que sonpraticien traitant adressait régulièrement, tous les sixmois environ, à l’ophtalmologiste pour une surveillancerétinienne. La découverte d’une atteinte maculaire pos-sible débutante avait conduit l’ophtalmologiste à alerterle rhumatologue. Cependant le traitement ne sera pasinterrompu rapidement et l’atteinte iatrogène se com-plètera, conduisant à la cécité, et à la mise en cause del’ensemble de l’équipe traitante, le rhumatologue étantbien sûr considéré comme le maître d’œuvre.

Cette affaire dont l’issue médicolégale ne nous est pasconnue permet d’insister sur l’importance de l’informa-tion du patient, de la surveillance du traitement, de lacommunication entre praticiens et de la traçabilité par-faite d’un dossier médical. À chaque fois qu’un spécia-liste considère qu’il a besoin pour poursuivre lathérapeutique de l’avis d’un collègue d’une autre spé-cialité, il doit par écrit le noter dans son dossier, garder

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une trace de sa correspondance, obtenir la réponse écritede son confrère, et s’il ne l’obtient pas, manifester d’unefaçon documentée son attente des résultats… avant depoursuivre.

CONCLUSION

Toute prescription médicale, tout geste thérapeutiquepeut entraîner, en rhumatologie comme ailleurs, descomplications iatrogènes. Leur fréquence demeurecependant relativement peu élevée en rhumatologie.

Néanmoins, la jurisprudence en matière de responsa-bilité médicale a évolué rapidement au cours des der-

nières années, tant en matière civile qu’administrative,permettant l’indemnisation de complications chez despatients, même en l’absence de faute prouvée, par unemise en défaut d’une obligation de sécurité–résultat(infection nosocomiale, par exemple après sepsispostinfiltration) ou d’une information claire et loyale.

Cette évolution doit conduire plus que jamais lepraticien, quel que soit son statut professionnel, à unepratique réfléchie de toute prescription ou geste, à unebonne information préalable de son patient, à sa dispo-nibilité en cas de complication, et à veiller, pour enapporter la preuve, à la tenue d’un dossier médicalcorrect.

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