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LoLVAlN Mi l> 106 ; 355-36C,.1987. ADENOCARCINOME DU CORTEX SURRENALIEN METASTATIQUE PR ÉSENTATION D'UN CAS DE RÉMISSION SOUS TRAITEMENT À L'0,P'DDD AVEC GYNECOMASTIE, HYPERGONADOTROPISME ET TESTOSTÉRONE PLASMATIQUE ÉLEVÉE A. BoRKowsKi ' etjT.J. BoDv4 Mots clefs : carcinome corticosurr énalien, o,p'-DDD, gj-nécomastie, hypergonadotropisme INTRODUCTION Le cancer du cortex surrénalien est une af fection rare : environ deux nouveaux cas par an par million d'habitants (1). Le pronostic en est mauvais : en effet, 80 à 85 % des formes opérables récidivent après chirurgie (2, 3). Par ailleurs, au moment du diagnostic, 52 °c des malades présentent déjà des métastases à distance (4) et la survie moyenne sans trai tement n'est alors que de 2,9 mois (5). La chimiothérapie conventionnelle paraît peu efficace bien que des réponses partielles à l'association de cyclophosphamide, adria mycine et cisplatine aient été décrites (6). L'o,p'DDD (Mitotane ou Lysodren) dont l'action adrénolytique fut découverte en 1949 par Nelson et Woodard (7) e^t utilisé dans le traitement du cancer corticosurréna lien généralisé depuis 1959 (1, 8, 9) et 14 cas de rémissions complètes deux ans après l'ins tauration de ce traitement ont été rappor tés (3, 10). Nous présentons ici un autre cas de rémission complète, persistant plus de deux ans après l'instauration d'un traitement à ro ,p'DDD suivi de chirurgie complémen taire. Ce malade a par ailleurs développé sous o,p'DDD une gynécomastie considé rable avec hypergonadotropisme et concen trations élevées de testostérone plasmatique totale. HISTOIRE MÉDICALE DU MALADE Le malade, âgé de 51 ans, enseignant, con sulte en janvier 1982 pour varicocèle. L'in terrogatoire et l'examen physique sont non contributifs sauf au niveau de l'hypochondre gauche où l'on palpe une volumineuse masse irrégulière, occupant le flanc gauche jusqu'à l'ombilic. Il existe en outre un varicocèle à gauche. Le malade est en excellent état géné ral : pas de signe de Cushing, pas de gynéco mastie, TA 120/70. Tomographie computérisée (TC) de l'ab domen : volumineuse masse dans l'hypo chondre gauche, refoulant le rein vers le bas, les vaisseaux spléniques et le tronc cœliaque vers la droite. La masse est grossièrement ovalaire, à centre hétérogène mais à pour tours plus nets. Elle se raccorde à la lèvre an térieure du pôle supérieur du rein gauche. Artériographie rénale : le produit de con traste se concentre relativement en périphé rie de la tumeur alors que le centre, d'aspect hétérogène, présente des densités intermé diaires. L'examen plaide en faveur d'une ori gine surrénalienne et confirme le refoule ment des vaisseaux spléniques et du tronc ' Service de Médeane hitertie et UilMirMoiredltKX'iti^jtnm Cli- mf/ite H.J. Tjguon, hiititut Jules Bordet, Ccfitre dcî Tin?icim, I,rne Hégcr-Honlel, B-lOOC Bncxcllei. - Chitrgé de Rechenhei Jii F\RS. Tirés à part : A. Bt>rkowski. 355

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LoLVAlN Mi l> 106 ; 355-36C,.1987.

ADENOCARCINOME DU CORTEX SURRENALIEN METASTATIQUE PRÉSENTATION D 'UN CAS DE RÉMISSION

SOUS TRAITEMENT À L '0 ,P ' ­DDD AVEC GYNECOMASTIE, HYPERGONADOTROPISME ET TESTOSTÉRONE PLASMATIQUE ÉLEVÉE

A. BoRKowsKi ' etjT.J. BoDv4­

M o t s c lefs : c a r c i n o m e cort icosurrénal ien, o , p ' - D D D , g j - n é c o m a s t i e , h y p e r g o n a d o t r o p i s m e

INTRODUCTION

Le cancer du cortex surrénalien est une af­fection rare : environ deux nouveaux cas par an par million d'habitants (1). Le pronostic en est mauvais : en effet, 80 à 85 % des formes opérables récidivent après chirurgie (2, 3). Par ailleurs, au moment du diagnostic, 52 °c des malades présentent déjà des métastases à distance (4) et la survie moyenne sans trai­tement n'est alors que de 2,9 mois (5). La chimiothérapie conventionnelle paraît peu efficace bien que des réponses partielles à l'association de cyclophosphamide, adria­mycine et cisplatine aient été décrites (6). L'o,p'­DDD (Mitotane ou Lysodren) dont l'action adrénolytique fut découverte en 1949 par Nelson et Woodard (7) e^t utilisé dans le traitement du cancer corticosurréna­lien généralisé depuis 1959 (1, 8, 9) et 14 cas de rémissions complètes deux ans après l'ins­tauration de ce traitement ont été rappor­tés (3, 10). Nous présentons ici un autre cas de rémission complète, persistant plus de deux ans après l'instauration d'un traitement à ro ,p '­DDD suivi de chirurgie complémen­taire. Ce malade a par ailleurs développé sous o,p '­DDD une gynécomastie considé­rable avec hypergonadotropisme et concen­trations élevées de testostérone plasmatique totale.

HISTOIRE MÉDICALE DU MALADE

Le malade, âgé de 51 ans, enseignant, con­sulte en janvier 1982 pour varicocèle. L'in­terrogatoire et l'examen physique sont non contributifs sauf au niveau de l'hypochondre gauche où l'on palpe une volumineuse masse irrégulière, occupant le flanc gauche jusqu'à l'ombilic. Il existe en outre un varicocèle à gauche. Le malade est en excellent état géné­ral : pas de signe de Cushing, pas de gynéco­mastie, TA 120/70.

Tomographie computérisée (TC) de l'ab­domen : volumineuse masse dans l'hypo­chondre gauche, refoulant le rein vers le bas, les vaisseaux spléniques et le tronc cœliaque vers la droite. La masse est grossièrement ovalaire, à centre hétérogène mais à pour­tours plus nets. Elle se raccorde à la lèvre an­térieure du pôle supérieur du rein gauche.

Artériographie rénale : le produit de con­traste se concentre relativement en périphé­rie de la tumeur alors que le centre, d'aspect hétérogène, présente des densités intermé­diaires. L'examen plaide en faveur d'une ori­gine surrénalienne et confirme le refoule­ment des vaisseaux spléniques et du tronc

' Service de Médeane hitertie et UilMirMoiredltKX'iti^jtnm Cli-mf/ite H.J. Tjguon, hiititut Jules Bordet, Ccfitre dcî Tin?icim, I,rne Hégcr-Honlel, B-lOOC Bncxcllei.

- Chitrgé de Rechenhei Jii F\RS.

Tirés à part : A. Bt>rkowski.

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cœliaque vers la droite alors que le calibre de veine rénale paraît normal.

Cavographie : pas d'envahissement de la veine rénale.

Biologie normale, y compris l'ionogram-me et la glycémie.

La radiographie du thorax et une radio­graphie du squelette sont normales.

Mise au point endocrinienne : Dans le plasma : cortisol à 8 h : 14,7 pg/lOO ml (N : 5- 25), estradiol : 20 pg/ml (N < 50), testos-térone : 2 950 pg/ml (N : 3 000-11 000). Uri­nes : cortisol : 26,6 iJg/24 h (N : < 100), 17-hydroxysteroides : 9,7 et 7,3 mg/24 h (N : 2-9), 17-cétosteroïdes : 11,6 et 20 mg/24 h (N : 6- 25).

Le 12.01.1982 : exérèse en bloc de la tu­meur, du rein gauche et de la rate. La tumeur surrénalienne pèse 2150 gr, mesure 22 X 1 8 X 8 cm. Anatomopathologie : « tumeur corticosurrénalienne vraisemblablement maligne vu sa taille, la nécrose et les pleimor-phismes nucléaires, mais ce ne sont pas des arguments absolus. A noter l'absence de mi­tose et d'envahissement vasculaire dans les prélèvements ».

Le malade va bien jusqu'en février 1984 : l'échographie et la TC de l'abdomen révèlent alors six lésions métastatiques dans le foie et une métastase mésentérique de 6 X 3 cm. Les TC du thorax et du cerveau sont négatives.

Le 2.03.1984, instauration d'un traite­ment au Lysodren 4 g/j plus 37,5 mg d'hy-drocortisone et 0,1 mg de 9 a fluorocorti-sol/j. Le Lysodren est augmenté peu à peu jusqu'à 8 g/j, fin mars. Survient une toxicité considérable du traitement qui exige une ré­duction des doses : nausées, ralentissement intellectuel, troubles de l'équilibre. En mai 1984 : régression des métastases hépatiques. En septembre 1984 : disparition des métasta­ses hépatiques et régression de la métastase mésentérique qui passe à 2,6 X 2 cm. Le ma­lade développe une gynécomastie progressi­ve qui deviendra considérable. Il se plaint

aussi d'une perte de la libido et d'impuissan­ce sexuelle.

Le 10.01.1985 : ablation chirurgicale de la masse mésentérique dont la taille ne dimi­nuait plus. La tumeur est d'allure nécrotique. L'exploration de la cavité abdominale révèle l'intégrité du foie ; aucune cicatrice de métas­tase n'est palpée. Aucune masse n'est palpée dans le rétropéritoine. L'examen histologi-que de la tumeur démontre la persistance de cellules d'épithelioma conicosurrénalien. Le malade reste en rémission complète jusqu'à la dernière mise au point en août 1986 : TC de l'abdomen, du thorax et du cerveau néga­tives. Il est sous 2 g/j de Lysodren, dose maximale tolérée, sans symptômes notables sauf la gynécomastie et l'apparition d'opaci­tés cristaliniennes à l'examen ophtalmologi­que.

La glycémie, l'ionogramme, l'examen hé­matologique sont restés normaux tout au long du traitement, de même que les tests hé­patiques sauf élévations discrètes et intermit­tentes des transaminases SGPT jusqu'à 48 mU/ml (N < 20) et une élévation perma­nente des yGT jusqu'à 199 mU/ml (N < 28).

Une mise au point endocrinienne de la gy­nécomastie est pratiquée en décembre 1985 ; dans le plasma: estradiol: 10 et 14 pg/ml (N < 50), hCG : 0,2 ng/ml (N < 1 ), DHEA-SO4 (sulfate de dehydroepiandrosterone) : < 100 ng/ml (N : 1 500-4 400), FSH : 7,0 et 6,5 ng/ml (N : 1,3-2,3), LH : 17,0 et 18,7 ng/ ml (N : 0,8-2,1), prolactine : 2,6 et 7,7 ng/ml (N < 15), testostérone totale: 18 000 et 15 400 pg/ml (N : 3 000-11 000), capacité de liaison de la testostérone à la TeBG (testosté­rone binding globulin) : 71,9 et 84,5 ng/ml (N : 0,3-14,9), testostérone libre: 37 et 36 pg/ml (N : 30-240), dihydrotestostérone : 1,28 et 0,6 ng/ml (N : 0,3-1 ng/ml). A noter qu'en septembre 1984, lors de la disparition des métastases hépatiques, soit six mois après l'instauration du traitement médical, les concentrations de FSH, LH et testostéro-

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ne totale n'étaient respectivement que de 2,4 ng/ml, 7,4 ng/ml et 5 200 pg/ml : elles se sont donc encore élevées jusqu'en décembre 1985. Par ailleurs, des taux de TSH : 0,7 ng/ ml (N < 2), de triiodothyronine : 110 pg/ml ( N : 80-200), de thyroxine : 4,7 yg/100 ml (N : 5-13), et de thyroxine binding globulin : 16pg/100ml ( N : 15-28) sont observés.

DISCUSSION

Notre malade illustre bien les problèmes du cancer surrénalien. Cette tumeur se rencontre à tout âge (médianes de 40 à 53 ans) (4, 8), et aussi bien chez l'homme que chez la femme. Ses manifestations endo­criniennes sont multiples (syndrome de Cushing, pubené précoce, virilisme, et plus rarement, féminisation ou hypoglycémie). Néanmoins, ces symptômes cliniques (1,4, 8,9,11) ne se rencontrent que dans 30 à 50 °': des cas, d'autant moins souvent que les sujets sont plus âgés, et bien moins fréquemment chez les hommes que chez les femmes. Sans doute passent-ils plus facilement inaperçus chez les hommes. Il en résulte que le premier symptôme chez l'homme est souvent, com­me chez notre malade, une volumineuse masse abdominale et ses conséquences mé­caniques.

Les cancers de la corticosurrénale se déve­loppent en effet en volumineuses tumeurs qui deviennent palpables chez 40°/o des ma­lades (4). Dans six séries différentes, sur 114 cancers surrénaliens, 105 avaient un dia­mètre supérieur à 6 cm alors que 0,5 % seule­ment des adénomes bénins de la surrénale at­teignent cette dimension (12-14). Ce point n'est pas sans importance pratique lorsqu'il s'agit d'évaluer la signification et la conduite à tenir en présence d'une masse surrénalien-ne découverte par hasard à l'occasion d'une tomographie computérisée de l'abdomen supérieur : des masses surrénaliennes in­soupçonnées sont ainsi découvenes dans

0,6 % de ces examens, fréquence considéra­ble qui correspond assez bien à celle des adé­nomes corticosurrénaliens cliniquement si­lencieux que l'on découvre aux autopsies (1,4 à 8,7%) (12). Ce point est tout aussi im­portant pour aider au diagnostic anatomopa-thologique de malignité d'une tumeur surré-nalienne opérée. Le diagnostic de malignité est en effet souvent impossible sur le plan purement histologique. H. Van Slooten et al. (2) ont comparé ainsi 18 tumeurs surréna­liennes « bénignes », leur bénignité étant as­surée par un recul de dix ans après ablation chirurgicale, à 42 tumeurs surrénaliennes ayant métastasé. Selon ces auteurs, les deux meilleurs critères de malignité sont l'index mitotique (qui chez notre malade était ce­pendant très faible) et le poids de la tumeur. Toutes leurs tumeurs malignes pesaient plus de 150 g alors que 15 des 18 tumeurs béni­gnes pesaient moins de 35 g.

Les sites les plus fréquents de métastases à distance sont les poumons et le foie, lesquels sont entrepris dans 50 °: des formes générali­sées (4).

L'o,p'-DDD (!,l-dichloro-2,2 bis (p -chlorophenyl-ethane)) est l'un des deux iso­mères de l'insecticide commercial commu­nément appelé DDT. Il produit une nécrose sélective des zones fasciculée et réticulée des surrénales. Son action fut découverte par ha­sard au cours d'études toxicologiques chez le chien (7). Ses premiers effets cytotoxiques sont visibles au ni\ eau des mitochondries du conex surrénalien. Sur le plan biochimique, l'o,p'-DDD inhibe la gIucose-6-phosphate déshydrogénase qui commande la produc­tion de NADPH au niveau de la voie méta­bolique du shunt hexose-monophosphate ; ce co-facteur est essentiel aux réactions d'hy-droxylation qui interviennent dans la syn­thèse des stéroïdes surrénaliens (15). L'o,p'-DDD pris par voie orale est absorbé à raison d'environ 40 °c. Comme il est liposoluble, il s'accumule dans le tissu adipeux, le cerveau.

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le foie et les surrénales. Ceci explique ses ef­fets thérapeutiques et toxiques (16,17). Ceci explique aussi qu'en se libérant lentement des dépôts graisseux, le produit puisse se re­trouver dans le sang jusqu'à 8 mois après l'ar­rêt du traitement. Ceci explique enfin le long délai parfois observé entre l'instauration du traitement et le début d'une réponse clini­que. Ce délai peut aller de 2 semaines à 19 mois avec une médiane de l'ordre de 4 à 6 semaines (1,8). Le pourcentage de répon­ses cliniques (régression de la tumeur) varie de 34 à 61 % selon les séries, alors que le pourcentage de réponses endocriniennes (di­minution de la production de stéroïdes) varie de 72 à 85 % (1, 3, 8). La durée médiane de la réponse clinique est de 6 à 7 mois. La plupan des malades développent des symptômes toxiques (17) lorsque l'on aneint les doses considérées comme thérapeutiques de 8 à 10 g/j d'o,p'-DDD (8). Il s'agit de symptô­mes gastrointestinaux : anorexie, nausées, vomissements ou diarrhée dans 80°'b des cas ; de symptômes neurologiques tels que léthargie, vertiges, sensations lipothymiques, confusion mentale ou faiblesse musculaire dans 50 % des cas ; de symptômes cutanés tels que rash dans 15 % des cas. Moins fré­quemment on observe des symptômes ocu­laires : troubles de la vue, rétinopathie toxi­que ou, comme notre malade, opacités du cristallin. Au-dessus de 3 g/j d'o,p'-DDD une insuffisance surrénalicnne apparaît, né­cessitant d'office un traitement de substitu­tion gluco- et minéralocorticoïde (11). Le traitement de substitution doit être adapté parce que l'o,p'-DDD pourrait accélérer la dégradation de l'hydrocortisone et de la dexaméthasone au niveau du système cyto-chrome-oxydase (P450) hépatique (3, 18).

Vu la fréquence et la gravité des complica­tions toxiques de l'o,p'-DDD, il convient de souligner qu'il n'existe aucune étude de pha­se II ou de phase III qui permette d'évaluer la dose thérapeutique optimale (15). Si la dose recommandée est de 8 à 10 g/)our, il n'est

nullement démontré que cene dose, souvent toxique, soit indispensable pour obtenir une régression tumorale. Le mieux pourrait donc être, comme le recommande T.F. Hogan, de commencer par 2 g/jour et d'augmenter progressivement cette dose jusqu'à répon­se ( 15). Il est remarquable que pour éviter un ralentissement intellectuel excessif, notre malade ait dû réduire le traitement à 2-3 g/ jour, maximum compatible chez lui avec une activité professionnelle normale.

Notre malade a développé sous trai­tement une gynécomastie considérable. Cette complication a été observée par H. Van Slooten dans 6 cas sur 13 (3) sans que le mécanisme en soit expliqué. Le mécanis­me pourrait en être, du moins partiellement, une activité œstrogénique de ro ,p '-DDD au niveau de la glande mammaire (19). En effet, la structure de ro,p'-DDD, un diphényl-éthane (17), s'apparente à celle des œstrogè­nes naturels et des anti-oestrogènes, lesquels appartiennent pour la plupart à la classe des triphényl-éthylènes (20). Cette structure comprend deux noyaux phényl qui peuvent interférer avec le récepteur en un site recon­naissant le cycle aromatique (A) des œstro­gènes naturels et qui est donc d'importance capitale puisqu'il assure la liaison de l'hor­mone au récepteur (21). Par ailleurs, la mise au point tomodensitométrique et endocri­nienne chez notre malade, permet d'exclure une croissance de la tumeur avec production anormale d'œstrogènes.

L'activité œstrogénique de ro ,p '-DDD pourrait expliquer de même l'élévation de la capacité de liaison de la testostérone à la pro­téine de transpon (testostérone binding glo-bulin ou TeBG). La capacité de liaison de la TeBG chez notre malade est en effet multi­pliée par dix par rapport à la normale et se manifeste par une élévation progressive de la testostérone plasmatique totale depuis la va­leur normale basse de 2 950 pg/ml jusqu'à la concentration élevée de 18 000 pg/ml. Cette

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action de l 'o,p'-DDD, qui n'a jamais été rap­portée à notre connaissance, paraît très spé­cifique vu le peu de toxicité hépatique de ce produit dans les études cliniques (1) comme chez notre malade. Cette spécificité d'action est soulignée par le fait que l'élévation de la TeBG contraste avec l'action connue de l 'o,p'-DDD sur une autre protéine de trans­port, la thyroxine binding globulin (TBG). On sait en effet que ro ,p '-DDD diminue la concentration plasmatique de la TBG (22) et ceci explique sans doute le taux bas de thy­roxine chez notre malade. La diminution de la TBG est à première vue paradoxale puis­que les œstrogènes stimulent la production hépatique de cette protéine (23). Mais con­trastant avec la gynécomastie et l'élévation de la TeBG, notre malade présente cepen­dant aussi des taux élevés d'hormones gona-dotropes, particulièrement de LH dont les concentrations plasmatiques atteignent chez lui les valeurs les plus élevées que nous ren­contrions chez les femmes ménopausées. Ceci confirme que l'effet biologique de l'o.p'-DDD n'est pas nécessairement univo-que, et comme au niveau de la production de TBG, il est clair qu'il n'est pas perçu comme œstrogénique par l'axe hypothalamo-hy-pophysaire. Par analogie avec les dérivés du triphényl-éthylène, ro ,p'-DDD pourrait donc exercer un effet agoniste ou antagoniste des oestrogènes selon sa concentration loca­le (20) ou la sensibilité paniculière des tissus cibles (24). Une action anti-œstrogénique au niveau hypothalamo-hypophysaire expli­querait l'élévation des hormones gonado-tropes (25, 26). L'élévation des hormones gonadotropes chez notre malade pourrait s'expliquer aussi, en panie, par une capacité limitée de réponse testiculaire : on est frappé en effet par l'absence d'élévation de la testos-térone libre et de la dihydrotestostérone en présence d'une stimulation gonadotrope considérable.

RÉSUMÉ

Notre malade illustre bien certains aspects du cancer de la corticosurrénale. Cet homme de 51 ans n'a jamais présenté de symptôme endocrinien lié à la tumeur : ceux-ci ne s'ob­servent que chez 30 à 50 % des sujets. Il a pré­senté une masse volumineuse : ces tumeurs sont effectivement palpables chez 40 % des sujets. Il témoigne de la difficulté du diagnos­tic anatomopathologique de malignité, le­quel repose parfois essentiellement sur la tail­le de la tumeur. Après généralisation, il a fait une rémission prolongée sous l'o,p'-DDD. La réponse s'est installée deux mois après l'instauration du traitement : vu la liposolu-bilité du médicament, ce délai peut aller de 15 jours à 19 mois. La toxicité du traitement est décrite. Notre malade a développé sous traitement une gynécomastie, une élévation de la protéine transponant la testostérone dans le sang (testosterone binding globulin) et un hypergonadotropisme considérables. Ces anomalies sont discutées sur base des si­militudes de structure et d'activité biologi­que de ro ,p '-DDD avec les oestrogènes et les anti-œstrogènes.

SUMMARY

Metastatic Adrenal Carcinoma. Description of a Patient

who responded to o,p'-DDD Treatment but developed Gynecomastia,

Hypergonadotropism and High Plasma Testosterone Concentrations

Our patient illustrâtes certain aspects of adrenal carcinoma. This 51 years old man never had any endocrine symptom attributa-ble to the tumor : thèse symptoms are only found in 30 to 50 % of the patients. His tu­mor was very large : the adrenal carcinomas

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are palpable indeed in 40 % of the patients. He illustrâtes the difficulty of a histological diagnosis of malignancy : the latter is someti-mes essenually based on the size of the adre-nal mass. His tumor became metastatic but responded to o,p'-DDD treatment. The cli-nical response began 2 months after the start of the treatment : because of the liposolubi-lity of the drug this delay may range from 15 days to 19 months. We describe the toxi-

city of the drug. Our patient dcveloped du-ring the treatment an important gynecomas-tia with high levels of testosterone binding globulin and of pituitary gonadotropins in plasma. The.se abnormalities are discussed on the basis of similitudes of structure and of biological activity between o,p'-DDD, the estrogens and the anti-estrogens.

Ce trav ail a bénéficié du soutien du F onds Lefèvrc et du Fonds National de la Recherche Scientifique.

R É F É R E N C E S B

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