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Etrangle séducteur I CHRISTOPHER WALKEN Dans"Etrange séduction", il estdémoniaque. Mais est-ce sa faute si cet homme tranquille a une allure si inquiétante? isiblem ent, je ne suis pas la seule à me poser des questions, à en juger par les mines éberluées que nous rencontrons en traversant le r€staurant Grand, raide et droit comne un I, Christopher Walken semble flolter entre les tables tandis que je trottine éperdument derrière lui, <Je ne sais pas pourquoi les gens me regardent toujours coùne si j'étais Dra- cula>,melance-t-ilenriantcomme un gamin, Christopher Walken n'â pas bonne mine, c'est le moins qu'on puisse dire, et, dans son costune blanc, il semble encore plus pâle. Sa peau transparente a une texture indélïnissa- ble, ses cheveux laqués en arrière et dun blond verdâtre pourraientêtre s1'r:thétiques, ses yeux btès clairs n'expriment rien. Jai la curieuse impression dêtre aesise en face d'un cadawe en costard. Christopher Wal- ken souril mon air perplere ne l'étonne pas. <Il y a sans doute quelque chose de décalé dans mon physique et ma personnalité, m'ex- plique-t-il, c'est pour cela que j'entre si facile- ment dans la peau de personnages ambigus. Je ne suis peut-être pas comme tout le monde...) De fait, le malveillant aristocrate vénitien qu'il interprète dans "Etrange séduction", de Paul Schrader, n'a rien à en- vier au psychopathe tordu de son précédent "King ofNewYork', d'Abel Ferran. <Cela ne me dérange pas de jouer les méchants, con- Iïe-t-il. S'ils existent dans la vie, ils doivent aussi être représentés dans les films, non?> Christopher Walken sait qu'il est au ciné- ma ce que Michael Jackson est au show-busi- ness:un mystère.0n Ie dithoublan! insaisis- sable, énigmatique. On se perd en conjectu- res sur sa carrière, en hypotùèses sur sa vie privée, en probabilités sur sa santé nentale. Mais comme on ne sait rien de lui, on suppute beaumup, et notamment qu'à force de jouer les barges et les branques en tout genre, Christopher Walken est forcément un peu étrange, sûrement assez bizarre, voire même complètement allumé. <Il y a quelques an- nées, mconte-t-il tranquillement j'ai com- mencé une psychothérapie... et puis, après quelques rendez-vous, j'ai dit au tlpe: 'Je vous racont€ tous ces trucs intéressants et très personnels que je n'ai jamais confiés à personne et vous ne dites rien, C'estvous qui dewiez me payer. Pourquoi suis- je ici?" Il calne et rangée auprès de sa femme Georgianne, avec qui il est marié depuis vingt-cinq ans. Je songe que 'Voyage au bout de I'enfer", de Michael Ci.nino, se situe en bonne place dans ma nythologie ci nématographique, surtout parce que Christopher Wal- kei me I'a rendu inoubliable. Son regard plein de déhes- se et son sourire angélique, au moment où il se fait sau- ler le câis8on, me hântent encore... <Cest le filrn qui n'a lance, difil, pourtant, à l'époque, j'avais déjà trente- qua- tre ans et ma carrière avait connu pas nal de hauts et de bas.) Bien qu'il soit À New York le 31 mars 1944, d'un père boulanger dans le Queens, Christopher Walken, Ronald de son wai nom, se considère comme un pur produit du show- business. (Jai été élevé dans les mu- sic-halls, avec des gitans, des mueidiens et des danseurs, se souvient-il, c'était un nonde merveilleux et, euh... très spécial.> A dix ans, il se produit déjà dans des shows télévisée il fait des claquettes en compagnie de ses deux fr!ères, Glenn et Ken. Parallèle- Colln (Rupert Evorôtt) €t tlary(t{at$ha Rlch.d3on, cl{EsEou3}, on æcapadê rmo{rouso à Vonbô* -EncontBnt l'énlgm.tlqus Rob.rt (CtulstophorWalkor), m'a Épondu: Tentends la même chose quinze fois par jour. Tout le monde a les mê- nes problèmes. Etvous vous croyez plus inté- ressant que les autres?"> Ni star ni second couteau, Christopher Walken est juste un peu trop {êlé pour Holly- wood, qui I'a rangé dans les (cas à part), aux côtés de Robert Mitchum, Demis Hopper et quelques autres acteurs cultes. Tout en tritu- rant mollement son poisson qui se laisse faire parce qu'il est mort, il m'affirme d'une voix douce et laconique qu'en dépit des rumeurs les plus farfelues circulant à son sujet, il nène, entre sa maison du Connecticut et son appartÊment de Manhattan, une vie 40 ' PREMIERE

Christopher Walken 91

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Portrait de Christopher Walken dans le magazine Première datant de 1991.

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Page 1: Christopher Walken 91

Etrangle séducteurI CHRISTOPHER WALKEN

Dans"Etrange séduction", il estdémoniaque. Mais est-ce sa fautesi cet homme tranquille a une allure si inquiétante?

isiblem ent, je ne suis pas la seuleà me poser des questions, à enjuger par les mines éberluées que

nous rencontrons en traversantle r€staurant Grand, raide et droit comne unI, Christopher Walken semble flolter entreles tables tandis que je trottine éperdumentderrière lui, <Je ne sais pas pourquoi les gensme regardent toujours coùne si j'étais Dra-cula>,melance-t-ilenriantcomme un gamin,

Christopher Walken n'â pas bonne mine,c'est le moins qu'on puisse dire, et, dans soncostune blanc, il semble encore plus pâle. Sapeau transparente a une texture indélïnissa-ble, ses cheveux laqués en arrière et dunblond verdâtre pourraientêtre s1'r:thétiques,ses yeux btès clairs n'expriment rien. Jai lacurieuse impression dêtre aesise en faced'un cadawe en costard. Christopher Wal-ken souril mon air perplere ne l'étonne pas.<Il y a sans doute quelque chose de décalédans mon physique et ma personnalité, m'ex-plique-t-il, c'est pour cela que j'entre si facile-ment dans la peau de personnages ambigus.Je ne suis peut-être pas comme tout lemonde...) De fait, le malveillant aristocratevénitien qu'il interprète dans "Etrangeséduction", de Paul Schrader, n'a rien à en-vier au psychopathe tordu de son précédent"King ofNewYork', d'Abel Ferran. <Cela neme dérange pas de jouer les méchants, con-Iïe-t-il. S'ils existent dans la vie, ils doiventaussi être représentés dans les films, non?>

Christopher Walken sait qu'il est au ciné-ma ce que Michael Jackson est au show-busi-ness:un mystère.0n Ie dithoublan! insaisis-sable, énigmatique. On se perd en conjectu-res sur sa carrière, en hypotùèses sur sa vieprivée, en probabilités sur sa santé nentale.Mais comme on ne sait rien de lui, on supputebeaumup, et notamment qu'à force de jouerles barges et les branques en tout genre,Christopher Walken est forcément un peuétrange, sûrement assez bizarre, voire mêmecomplètement allumé. <Il y a quelques an-nées, mconte-t-il tranquillement j'ai com-mencé une psychothérapie... et puis, aprèsquelques rendez-vous, j'ai dit au tlpe: 'Jevous racont€ tous ces trucs intéressants ettrès personnels que je n'ai jamais confiés àpersonne et vous ne dites rien, C'estvous quidewiez me payer. Pourquoi suis- je ici?" Il

calne et rangée auprès desa femme Georgianne, avecqui il est marié depuisvingt-cinq ans.

Je songe que 'Voyage aubout de I'enfer", de MichaelCi.nino, se situe en bonneplace dans ma nythologie cinématographique, surtoutparce que Christopher Wal-kei me I'a rendu inoubliable.Son regard plein de déhes-se et son sourire angélique,au moment où il se fait sau-ler le câis8on, me hântent

encore... <Cest le filrn qui n'a lance, difil,pourtant, à l'époque, j'avais déjà trente- qua-tre ans et ma carrière avait connu pas nalde hauts et de bas.)

Bien qu'il soit né À New York le 31 mars1944, d'un père boulanger dans le Queens,Christopher Walken, Ronald de son wainom, se considère comme un pur produit dushow- business. (Jai été élevé dans les mu-sic-halls, avec des gitans, des mueidiens etdes danseurs, se souvient-il, c'était un nondemerveilleux et, euh... très spécial.> A dix ans,il se produit déjà dans des shows téléviséeoù il fait des claquettes en compagnie deses deux fr!ères, Glenn et Ken. Parallèle-

Colln (Rupert Evorôtt) €t tlary(t{at$ha Rlch.d3on, cl{EsEou3}, on æcapadê rmo{rouso à Vonbô*

-EncontBnt l'énlgm.tlqus Rob.rt (CtulstophorWalkor),

m'a Épondu: Tentends la même chosequinze fois par jour. Tout le monde a les mê-nes problèmes. Etvous vous croyez plus inté-ressant que les autres?">

Ni star ni second couteau, ChristopherWalken est juste un peu trop {êlé pour Holly-wood, qui I'a rangé dans les (cas à part), auxcôtés de Robert Mitchum, Demis Hopper etquelques autres acteurs cultes. Tout en tritu-rant mollement son poisson qui se laisse faireparce qu'il est mort, il m'affirme d'une voixdouce et laconique qu'en dépit des rumeursles plus farfelues circulant à son sujet,il nène, entre sa maison du Connecticutet son appartÊment de Manhattan, une vie

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ment il poursuit des études dans une écoleréserrée aux <enfants de la balle>. <C'estune race à part, affirme-t-il, même ceuxqui arrêtent le métier une fois devenus adul-ies, on les reconnaît tout de suite. IIs sont àjarnais différents. C'est peut-être pour celaque j'ai I'air si, euh...exotique?>

Doué pour la danse et plutôt beau gosse,Christopber Walken se dirige vers la comé-die musicale et envisage de devenir chorégra-phe. <Je ne peux pas waiment dire que j,aitoujours rêvé de devenir acteur, ayoue-t-il,c'est arrivé par accidenl Je me souviens qu,àvingt-deux ans on m'a proposé le rôle de Ro-meo, alors que je n'avais jamais lu Shakes-peare. parce que quelqu'un m'avait trouvél'air romantique en collants de danse. L'ac-trice qui interprétait Juliette était une pro-fessionnelle, et elle étsit horrifiée...> <Il faut

dire que j'étais franchement épouvantable,ajout€-t-il en hoquetant de rire, mais, aumoins, l'épisode m'a appris à garderlesensdel'humour.>

Entre deux pièces classiques sur Broad-way, Christopher Walken décroche un pre-mier rôle hollyrroodien de braqueur dans 'Legang Anderson', de Sidney Lumet, en 1g71.Quelques filrns mineurs plus loin. il se faitremârquer en poète dans 'Next stop Green-wich village', de Paul Mazursky, en 19?6, etWoody Allen en fait le frère suicidaire deDiane Keaton dans "Annie Hall", en 197?.<Jai suiyi des cours à I Actors Studio pen-dant deu.:r ans, raconte-t-il, et j'aimais bientrainer avec le8 autres acl,eurs... Mais je n aijarnais bien compris ce qu'on essayait denous apprendrel Moi. je m'estime heureuxquand je me vois à l'écran et que je me dis:

Chdltophortryalkon:,ll yasanE doutoquolquechoso d€d6c8lédan8 mon physlqu€ôtmapo.sonnalité..

"Ouahl Personne d'autre n'aurait pu faire ce,la!" Mais l'inspiration, ça va, ça vient... Lesmoments de grâce où l on estwaimentpossé_dé parle personnage sontinexplicables,>

En 1978, c'est la consécration avec"Voyage au bout de I'enfer" et un Oscar am-plement méritf pour son inærprétâtion ex-plosive du fragile Nick. Il retrouve MichaelCimino en 1980, qui le choisit pour incarnerNate, le séduisant tueur à gages de

.La portædu Paradis'. On le retrouve ensuite en pro-phète illuminé dans "Dead zone", de DavidCronenberg. en 1983. eï'iErelfrîanticide deSean Penn dans -Comme un chien enragé',en 1986, puis aux côtés de Mickey Rourkedans'Homeboy". en 1988. et. enfin, plus ré-cemment, on a pu I'apprécier en chef de gangparticulièrement vicieux dans "Kins of NewYork-, d'Abel Ferrara. Outre ces que-lques rô-les marquants. qui étab[ssent sa réputationd'inærprèt€ spécialisé dans les désaxés entout genre. quelques autres films moins im.porlanrs comme'Iæs chiens de guerre-, "Mi_lagro"."Biloxi Blues- et -Communion- valentle déplacement uniquement pour ses presta-tionsbien tordues. Quanr à sadiaboliqueper-formance dans -Etrange séduction". elle estt€llement remarquable qu'elle aurait mème,dit-on, un peu tapé sur la caboche de notreange du danger préféré... <C'est wai que Iepersonnage de Robert m'a traumatisé. avoue-t-il, j'ai effectivernent joué toutes sortes depervers. criminels. violents, et mauvaissujets. mais Robert. c'est Ie mal personnifié. c'est un véritable d6mon... et il est dif-ficile d'interpréter un tel rôle sans sombrerdansladépression,..>

A l'heure du café, Christopher Walken seveut rassurant, il m'affirme qu'il a récem-ment joué un tlTe normal - tout le mondepeut se tromper - et que, depuis, il est<comme neuf>. <<C'est l'histoire d'un hommequi a deux enfants, qui travaille dur et quitombe amoureux, raconte-t- il. C'était un filrntrès agréable à ûourner, Le soir, je rentraischez moi. je dinais tranquillement er je mesentaisbien...))

Sur ce, je suis partie à la fois très vite ettout doucement pour ne pas le sortir de soncauchemar éveillé...

CHRISTINE HAAS

AVRIL 91PREMIERE . /+1