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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2015 140 dossier thématique Classifications histomoléculaires (1 re partie) Classification des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire Classification of endometrial and ovarian carcinomas Pierre-Alexandre Just*, Bruno Borghese**, Jérôme Alexandre*** * Service de pathologie, ** Service de gynécologie, *** Service de cancérologie, hôpital Cochin, hôpitaux universitaires Paris Centre (AP-HP), et Sorbonne Paris Cité, université Paris- Descartes, faculté de médecine Paris-Descartes, CAncer Research for PErsonalized Medicine (CARPEM), Paris. RÉSUMÉ Summary » Au niveau de la sphère génitale féminine, les cancers du corps utérin et des ovaires sont les plus fréquents avec, respectivement, une incidence de 6 850 et 4 590 nouveaux cas en France en 2012. Les cancers développés au niveau de ces 2 organes présentent de nombreuses similitudes, partageant les mêmes types histologiques et les altérations moléculaires, mais avec une répartition différente. Cette revue abordera successivement les principaux types histologiques, les classifications histomoléculaires classiques et les évolutions récentes de ces classifications, prenant en compte les nouvelles données apportées par les approches moléculaires à haut débit. Mots-clés : Cancer endométrial – Cancer épithélial ovarien – Stratification – Classification moléculaire. In the female genital sphere, cancers of the uterine body and ovarian cancers are the most frequent with an incidence of, respectively, 6,850 and 4,590 new cases in France in 2012. The cancers arising in these 2 organs exhibit many similarities such as common histological types and molecular alterations despite a distinct distribution. The review will address successively the main histological types, classical histomolecular classification and recent developments of these classifications at the era of next generation sequencing. Keywords : Endometrial carcinoma – Ovarian carcinoma – Stratification – Molecular classification. L es cancers les plus fréquents de la sphère génitale féminine sont ceux du corps utérin et de l’ovaire avec, respectivement, une incidence de 6 850 et 4 590 nouveaux cas en France en 2012. Les cancers de ces 2 organes partagent globalement, quoique à des fréquences différentes, les mêmes types histologiques et les mêmes altérations moléculaires. Pour chacun de ces cancers, nous présenterons successivement les prin- cipaux types histologiques, les classifications histomo- léculaires classiques et les évolutions récentes de ces classifications prenant en compte les nouvelles données apportées par les approches moléculaires à haut débit. Les carcinomes de l’endomètre L’endomètre est un tissu hautement hormonosen- sible dont l’aspect morphologique varie au cours du cycle menstruel et de la vie génitale. Il est constitué de 2 contingents cellulaires principaux : le tissu épithé- lial, qui forme les glandes endométriales, et le chorion cytogène, qui constitue le tissu mésenchymateux de soutien aux glandes. Les différentes classes de cancers de l’endomètre dérivent de ces 2 principaux types cel- lulaires : le tissu épithélial glandulaire est à l’origine des adénocarcinomes ; le chorion cytogène, quant à lui, est à l’origine des sarcomes, du stroma endométrial, les tumeurs müllériennes mixtes malignes (adénosar- come, carcinosarcome) étant constituées, au moins en apparence, d’une prolifération de ces 2 types cellulaires. Classification histologique des carcinomes de l’endomètre L’Organisation mondiale de la santé reconnaît 8 prin- cipaux types de carcinomes (c’est-à-dire de tumeurs malignes de nature épithéliale) de l’endomètre (1) . Le carcinome endométrioïde (figure 1) , de loin le plus fréquent (70 à 80 % des cas), conserve, au minimum, une différenciation glandulaire endométriale rappelant celle de l’endomètre normal. Il est généralement constitué de glandes, villosités, massifs cribriformes ou non de cellules basophiles, cylindriques, au noyau allongé. Une diffé- renciation épidermoïde (malpighienne) est fréquente. Ces tumeurs sont gradées en fonction de leur architecture,

Classification des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire · Classifications histomoléculaires (1re partie) on observe une absence d’expression des récepteurs hormonaux

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2015140

d o s s i e r t h é m a t i q u e

Classifications histomoléculaires

(1re partie)

Classification des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire Classification of endometrial and ovarian carcinomas Pierre-Alexandre Just*, Bruno Borghese**, Jérôme Alexandre***

* Service de pathologie, ** Service de gynécologie,

*** Service de  cancérologie,

hôpital Cochin, hôpitaux universitaires Paris Centre (AP-HP), et Sorbonne Paris

Cité, université Paris-Descartes, faculté de

médecine Paris-Descartes, CAncer Research for

PErsonalized Medicine (CARPEM), Paris.

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» Au niveau de la sphère génitale féminine, les cancers du corps utérin et des ovaires sont les plus fréquents avec, respectivement, une incidence de 6 850 et 4 590 nouveaux cas en France en 2012. Les cancers développés au niveau de ces 2 organes présentent de nombreuses similitudes, partageant les mêmes types histologiques et les altérations moléculaires, mais avec une répartition diff érente. Cette revue abordera successivement les principaux types histologiques, les classifi cations histomoléculaires classiques et les évolutions récentes de ces classifi cations, prenant en compte les nouvelles données apportées par les approches moléculaires à haut débit.

Mots-clés : Cancer endométrial – Cancer épithélial ovarien – Stratifi cation – Classifi cation moléculaire.

In the female genital sphere, cancers of the uterine body and ovarian cancers are the most frequent with an incidence of, respectively, 6,850 and 4,590 new cases in France in 2012. The cancers arising in these 2 organs exhibit many similarities such as common histological types and molecular alterations despite a distinct distribution. The review will address successively the main histological types, classical histomolecular classification and recent developments of these classifications at the era of next generation sequencing.

Keywords : Endometrial carcinoma – Ovarian carcinoma – Stratifi cation – Molecular classifi cation.

L es cancers les plus fréquents de la sphère génitale féminine sont ceux du corps utérin et de l’ovaire avec, respectivement, une incidence de 6 850 et

4 590 nouveaux cas en France en 2012. Les cancers de ces 2 organes partagent globalement, quoique à des fréquences diff érentes, les mêmes types histologiques et les mêmes altérations moléculaires. Pour chacun de ces cancers, nous présenterons successivement les prin-cipaux types histologiques, les classifi cations histomo-léculaires classiques et les évolutions récentes de ces classifi cations prenant en compte les nouvelles données apportées par les approches moléculaires à haut débit.

Les carcinomes de l’endomètre

L’endomètre est un tissu hautement hormonosen-sible dont l’aspect morphologique varie au cours du cycle menstruel et de la vie génitale. Il est constitué de 2 contingents cellulaires principaux : le tissu épithé-lial, qui forme les glandes endométriales, et le chorion cytogène, qui constitue le tissu mésenchymateux de

soutien aux glandes. Les diff érentes classes de cancers de l’endomètre dérivent de ces 2 principaux types cel-lulaires : le tissu épithélial glandulaire est à l’origine des adénocarcinomes ; le chorion cytogène, quant à lui, est à l’origine des sarcomes, du stroma endométrial , les tumeurs müllériennes mixtes malignes (adénosar-come, carcinosarcome) étant constituées, au moins en apparence, d’une prolifération de ces 2 types cellulaires.

Classifi cation histologique des carcinomes de l’endomètre L’Organisation mondiale de la santé reconnaît 8 prin-cipaux types de carcinomes (c’est-à-dire de tumeurs malignes de nature épithéliale) de l’endomètre (1) .

✓ Le carcinome endométrioïde (fi gure 1) , de loin le plus fréquent (70 à 80 % des cas), conserve, au minimum, une diff érenciation glandulaire endométriale rappelant celle de l’endomètre normal. Il est généralement constitué de glandes, villosités, massifs cribriformes ou non de cellules basophiles, cylindriques, au noyau allongé. Une diff é-renciation épidermoïde (malpighienne) est fréquente. Ces tumeurs sont gradées en fonction de leur architecture,

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Classifi cation des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire

les cas de grade 1 étant constitués à plus de 95 % de struc-tures glandulaires, et les cas de grade 3, à plus de 50 % de territoires solides. Les atypies cytonucléaires, seulement si elles sont très marquées, peuvent faire augmenter le grade de 1 point. Des variantes existent (sécrétoire, villo-glandulaire, ciliée, à diff érenciation épidermoïde), mais ne modifi ent pas le pronostic, sauf pour la variante villoglan-dulaire, qui serait associée à une plus grande fréquence

d’invasion myométriale et d’emboles vasculaires. Dans les tumeurs de bas grade, les récepteurs hormonaux sont intensément exprimés.

✓ Le carcinome séreux (10 % des cas) a, quant à lui, une morphologie proche de celle des carcinomes séreux ovariens. Il est fréquemment d’architecture papillaire complexe et constitué de cellules présentant des aty-pies cytonucléaires marquées. En immunohistochimie,

Figure 1. Les principaux carcinomes de l’endomètre. A. Exemple d’un carcinome endométrioïde de grade 1. La tumeur est constituée de glandes revêtues par des cellules cylindriques basophiles au noyau ovalaire. Les récepteurs hormonaux (estrogènes et progestérone) sont intensément exprimés (marquage nucléaire). Cet exemple est survenu dans le cadre d’un syndrome de Lynch, comme en témoigne la perte d’expression nucléaire de la protéine de réparation des mésappariements de l’ADN MSH6 (marquage conservé dans les cellules du stroma). B. Exemple de carcinome séreux. La tumeur, d’architecture papillaire complexe, est constituée de cellules cubiques présentant des atypies cytonucléaires marquées, ainsi que de nombreuses mitoses. Les récepteurs hormonaux ne sont pas exprimés (noter le marquage conservé dans une glande endométriale normale, en haut à gauche de l’image centrale ). L’immunohistochimie dirigée contre P53 off re un marquage nucléaire intense et diff us des cellules tumorales, témoignant d’une mutation perte de fonction de TP53.

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Classifications histomoléculaires

(1re partie)

on observe une absence d’expression des récepteurs hormonaux et une expression intense de P53 (fi gure 1, p. 141) . Ces tumeurs sont particulièrement agressives, et s’accompagnent souvent d’une extension péritonéale, même dans les cas n’infi ltrant que peu le myomètre.

✓ Le carcinome mucineux, rare (1 à 9 % des cas), est constitué à plus de 50 % de cellules comportant une vacuole de mucosécrétion, d’architecture glandulaire. Les atypies cytonucléaires sont modérées, et les mitoses, rares. Le diagnostic diff érentiel doit écarter principa-lement l’adénocarcinome endométrioïde de variante sécrétoire et l’adénocarcinome endocervical étendu au corps utérin. Le carcinome mucineux est considéré comme une tumeur de bon pronostic.

✓ Le carcinome à cellules claires (2 % des cas) est constitué de cellules polyédriques ou “en clou de tapis-sier” au cytoplasme clarifi é ou éosinophile, riche en glycogène. L’architecture est variable. Ces cellules expri-ment presque invariablement le facteur de transcrip-tion HNF1β, par ailleurs impliqué dans l’organo genèse hépatique, rénale et pancréatique. Les récepteurs hormonaux ne sont habituellement pas exprimés ; les mutations de TP53 sont rares. La survie est de l’ordre de 50 % à 5 ans.

✓ Les carcinomes neuroendocrines (de bas grade à type de carcinoïde, ou de haut grade à petites ou grandes cellules) sont rares et représentent moins de 1 % des carcinomes endométriaux.

✓ Les carcinomes mixtes sont composés d’au moins 2 types histologiques diff érents, chacun représenté sur au moins 5 % de la surface tumorale, dont au moins 1 est de type II (voir infra) . Le pronostic rejoint celui de la composante la plus agressive.

✓ Les carcinomes indiff érenciés sont des tumeurs ne présentant aucune diff érenciation morphologique. Ce sont des tumeurs agressives, à indice de prolifération élevé.

✓ Les carcinomes dédiff érenciés présentent une jux-taposition ou un mélange en proportions variables de carcinomes indiff érenciés et de carcinomes endomé-trioïdes de grade 1 ou 2.

Classifi cation histomoléculaire classique Les carcinomes endométriaux sont usuellement classés en 2 grands groupes histomoléculaires. Cette classifi ca-tion, reposant sur l’intégration de données anatomo-pathologiques et moléculaires, a été élaborée pour refl éter au mieux 2 grandes voies histogénétiques et 2 grands groupes pronostiques (tableau I) [2] .

✓ Les carcinomes de type I (80 à 85 % des cas), majo-ritairement constitués des carcinomes endométrioïdes de grade 1 et 2, connaissent une histogenèse hormono-dépendante. Ces tumeurs surviennent dans un contexte d’hyper estrogénie relative (puberté précoce, ménopause tardive, nulliparité, syndrome des ovaires polykystiques, apport exogène d’estrogènes non compensé par des progestatifs, etc.). Elles sont observées chez des patientes présentant un syndrome méta bolique (diabète, obésité, etc.) ou traitées par tamoxifène, 2 situations qui favorisent l’hyperestrogénie. Elles expriment presque toujours les récepteurs hormonaux et surviennent préférentiellement dans un contexte de lésions d’hyperplasie endométriale, souvent atypique, qui en constituent la lésion précurseur. Un certain nombre d’altérations génétiques récurrentes ont été décrites dans ce cadre :

✓ activation de la voie PI3K/AKT/mTOR consécutive à une inactivation de PTEN (40 % des cas) ou, plus rare-ment, des mutations de PIK3CA (exon 9) ;

✓ activation de la voie des MAPK par des mutations activatrices de KRAS (20 %) ;

✓ activation de la voie Wnt/β-caténine par des mutations gain de fonction du gène CTNNB1 codant la β-caténine (30 %) ;

✓ inactivation des gènes impliqués dans la réparation des mésappariements de l’ADN (voie MSI [MicroSatellite Instable] , 15 %).

Tableau I. Les 2 grands types clinico-histomoléculaires des carcinomes de l’endomètre.

Carcinomes de type I Carcinomes de type II

Fréquence (%) Environ 80 Environ 20

Modèle de description Carcinome endométrioïde de bas grade

Carcinome séreux

Autres tumeurs de la catégorie

Carcinome endométrioïde de grade 3

Carcinome mucineux

Carcinome à cellules clairesCarcinome indiff érencié

Carcinome mixte avec > 5 % de type II

Carcinosarcome

Voie de carcinogenèse Hormonodépendante Hormono-indépendante Instabilité chromosomique

Endomètre adjacent Hyperplasique Atrophique

Précurseur Hyperplasie endométriale atypique

Carcinome séreux in situ

Expression des récepteurs hormonaux (%)

> 80 60-70

Mutation de TP53 Absente Présente

Autres altérations génétiques

Mutations PIK3CA (exon 9), CTNNB1, KRAS, PTEN

Instabilité microsatellitaire

Mutations PIK3CA (exon 20)Amplifi cation HER2

Surexpression de P16

Âge moyen au diagnostic (ans)

59 66

Stade I (%) 80 10

Survie (%) > 80 40

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2015 143

Classifi cation des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire

✓ Concernant la voie MSI, au moins 5 % des carcinomes endométrioïdes sont observés dans le cadre du syn-drome de Lynch, dont ils peuvent être l’événement révélateur dans une proportion non négligeable de cas (fi gure 1, p. 141) . Les carcinomes mucineux sont considérés comme étant de type I et présentent de fréquentes mutations de KRAS .

✓ Les carcinomes de type II, dont le principal est le car-cinome séreux, sont beaucoup plus rares (15 à 20 %). Leur histogenèse est hormono-indépendante, comme en témoigne généralement l’absence de terrain d’hyper-estrogénie. L’expression des récepteurs hormonaux y est notamment plus faible. Ils surviennent chez des femmes plus âgées et ont un pronostic beaucoup plus défavo-rable ; ils sont fréquemment découverts à un stade avancé de la maladie. Du point de vue immuno histochimique, ils expriment presque toujours P53 et P16 de façon intense et diff use (à noter que les mutations de TP53 de type null s’accompagnent d’une absence complète d’expression immunohistochimique de P53, contrastant avec des témoins internes faiblement marqués). Du point de vue moléculaire, ces tumeurs se caractérisent essentiellement par des mutations perte de fonction de TP53, et plus rarement par une amplifi cation de récepteurs à activité tyrosine kinase comme HER2 ou EGFR , ou des mutations de l’exon 20 de PIK3CA . Ces carcinomes suivent donc une voie caractérisée par une forte instabilité chromo-somique. Cependant, à la différence du carcinome séreux ovarien, les anomalies de BRCA 1-2 sont très rares (cf. The Cancer Genome Atlas [TCGA]) [5] . Le carcinome à cellules claires, les carcinomes indiff érenciés et les car-cinosarcomes sont rattachés par convention à cette voie de carcinogenèse. Un des intérêts de cette classifi cation est d’indiquer un comportement clinique bien diff érent pour les 2 types : hormonosensible et de bon pronostic pour le type I et hormono-indépendant et de mauvais pronostic pour le type II. Il est à noter que cette classifi cation est parfois diffi cile à appliquer du point de vue anatomopatho-logique seul, notamment pour les carcinomes endomé-trioïdes de haut grade, qui peuvent ne pas exprimer les récepteurs hormonaux et présenter une mutation de TP53 . De plus, il a été récemment montré, sur de larges cohortes de patientes, que le diabète, la parité, l’âge à la ménarche et l’utilisation de la pilule contraceptive étaient associés de façon équivalente aux carcinomes de type I et de type II, ce qui suggère qu’au moins une partie des carcinomes de type II pourraient suivre une voie de carcinogenèse hormonodépendante, à l’instar des carcinomes de type I (3) . Si, pour les carcinomes évolués, le traitement repose souvent sur l’association d’une radiothérapie ou d’une

curiethérapie, d’une chirurgie, d’une chimiothérapie et, éventuellement, d’une hormonothérapie, celui des stades précoces, les plus fréquents, requiert une strati-fi cation plus fi ne. Pour les carcinomes limités au corps utérin, c’est-à-dire de stade FIGO I (IA : infi ltration de moins de 50 % de l’épaisseur myométriale ; IB : infi ltra-tion de plus de 50 %), l’European Society for Medical Oncology (ESMO) a proposé 3 sous-types de tumeurs de pronostic diff érent (tableau II) . Cette classifi cation, souvent utilisée en pratique, a des conséquences sur le traitement chirurgical, qui peut inclure ou non les curages pelviens et lomboaortiques, et sur l’indication d’un traitement complémentaire (radiothérapie externe ou curiethérapie) [4] .

Vers un nouveau paradigme ? Le TCGA a procédé à diff érents types d’analyses molécu-laires à haut débit sur 373 carcinomes endométriaux de diff érents types histologiques (5) , qui ont permis d’iden-tifi er 4 grands sous-types tumoraux (tableau III, p. 144) :

✓ Le groupe “ultramuté” est caractérisé par une fré-quence élevée de transversions C>A et des mutations constantes du gène POLE . Ce gène code la sous-unité catalytique de la polymérase ε, qui est impliquée dans la réplication et la réparation de l’ADN. Deux hot spots mutationnels ont été identifiés (p.P286R, p.V411L), qui représentent 76 % des mutations de ce gène. Des mutations extrêmement nombreuses (fréquence de 232 × 10 −6 /Mb) sont associées à ce sous-type molécu-laire, comme, par exemple, PTEN (94 %), PIK3R1 (65 %), PIK3CA (71 %), FBXW7 (82 %) et KRAS (53 %). Les tumeurs de ce groupe ne sont jamais de type séreux mais sont généralement de haut grade.

✓ Le groupe “hypermuté” (28 %) est caractérisé par une fréquence mutationnelle élevée (18 × 10 − 6 /Mb) et concerne des tumeurs MSI, causée essentiellement par hyperméthylation du promoteur de MLH1 . Elles comportent fréquemment des mutations de KRAS et des délétions en phase de RPL22 .

✓ Le groupe “faible nombre de copies” (39 %), géné-ralement non MSI, regroupe la majeure partie des car-cinomes endométrioïdes. Ces tumeurs comportent une faible fréquence de mutations (2,9 × 10 − 6 /Mb),

Tableau II. Classifi cation pronostique des carcinomes endométriaux de stade FIGO I selon l’ESMO.

Carcinomes endométrioïdes Autres types histologiques

Grade 1 Grade 2 Grade 3

Stade FIGO

IA Bas risque Bas risque Risque intermédiaire

Risque élevé

IB Risque intermédiaire

Risque intermédiaire

Risque élevé Risque élevé

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2015144

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Classifications histomoléculaires

(1re partie)

mais avec des mutations de CTNNB1 particulièrement fréquentes (52 %).

✓ Le groupe “nombre de copies élevé” (26 %), qui comporte un grand nombre de carcinomes séreux et endométrioïdes de grade 3, se caractérise par un profil génomique complexe d’instabilité chromo-somique. Des mutations de TP53 sont présentes dans la grande majorité des cas ; des mutations de l’ubiquitine ligase FBXW7 et de la sérine/thréonine phosphatase PPP2R1A sont présentes dans environ 20 % des cas. Contrairement aux autres groupes, les mutations de PTEN sont rares. Un des aspects particulièrement intéressants de cette classifi cation est que chaque groupe a un profi l de survie diff érent . De façon inattendue et nouvelle, le groupe hypermuté sur POLE est associé à une survie de 100 % à 5 ans malgré la présence d’un très grand nombre de mutations. Cela a été confi rmé par 2 autres études. B. Meng et al. ont observé 15 % de mutations de POLE , toutes associées à un type endométrioïde de haut grade et à l’absence de progression de la maladie. Ces tumeurs étaient presque toutes d’immuno phénotype MSI (6) . D.N. Church et al. ont observé 5 % de mutations de POLE , associées à un grade 3 dans 30 % des cas. La survie spécifi que était de 100 % à 10 ans pour les cas de grade 3, survie non statistiquement diff érente en incluant les autres grades (7) . En revanche, et sans surprise, le groupe “nombre de copies élevé”, qui com-porte en grand nombre de carcinomes séreux et des mutations de TP53, a un pronostic péjoratif, de l’ordre de 50 % à 5 ans. Les 2 autres groupes sont associés à un pronostic intermédiaire (5) . De plus, ce nouveau paradigme permet la reclassifi ca-tion d’un certain nombre de tumeurs qui auraient béné-fi cié d’un traitement inadéquat selon la classifi cation classique “type I/type II”. Ainsi, le groupe hypermuté sur POLE comporte un grand nombre de carcinomes endo-métrioïdes de haut grade qui devraient donc théori-quement bénéfi cier d’un traitement moins agressif que

celui proposé actuellement pour ce type histologique. A contrario, 5 % des carcinomes endométrioïdes de bas grade appartiennent au groupe de mauvais pronostic “nombre de copies élevé” et devraient théoriquement bénéfi cier d’un traitement plus agressif que celui des standards actuels (5, 8) . Le modèle TCGA a donc apporté un regard nouveau sur la classifi cation des carcinomes endométriaux. Cependant, il n’est pas directement transposable à la pratique clinique, les méthodes moléculaires utilisées étant, pour la plupart, du domaine de la recherche. A. Talhouk et al. ont proposé une autre méthode destinée à réidentifier globalement les 4 groupes du TCGA mais en utilisant des techniques moléculaires et immunohistochimiques de routine. Cette approche est séquentielle. Une étude immuno-histochimique à la recherche des 4 protéines de la réparation des mésappariements de l’ADN (MLH1, MSH6, PMS2, MSH2) est tout d’abord réalisée et per-met d’identifi er un groupe MMR IHC anormal (29 % des cas), équivalent au groupe hypermuté du TCGA. Une recherche des mutations de POLE est ensuite réalisée et permet d’identifi er un groupe POLE (8 %), équivalent au groupe ultramuté du TCGA. Enfi n, une étude immunohistochimique de l’expression de TP53 est réalisée et permet d’identifi er un groupe TP53 WT (44 %), défi ni par un immunomarquage faible et équivalent au groupe “faible nombre de copies” du TCGA et un groupe TP53 anormal (18 %), défi ni par un immunomarquage intense ou complètement absent et équivalent au groupe “nombre de copies élevé” du TCGA. Un pour cent des tumeurs ne pouvaient être classées selon ce modèle. Cette approche est séduisante, d’autant plus qu’elle permet d’obtenir des courbes de survie similaires à celles du TCGA, permettant donc une détermination du risque évolutif plus fi ne que celle reposant sur les critères habituels et − pourquoi pas − des standards thérapeutiques nouveaux en fonction de ces groupes moléculaires (8) .

Tableau III. Classifi cation des carcinomes endométriaux en 4 groupes moléculaires selon le projet TCGA.

Groupe Fréquence Principales caractéristiques moléculaires

Types histologiques les plus fréquents

Pronostic Potentiel marqueur surrogate pour la routine

Ultramuté 7 % Fréquence mutationnelle très élevée (C > A)

Mutations de POLE

Endométrioïde, dont de haut grade

Très bon Mutation de POLE

Hypermuté 28 % Fréquence mutationnelle élevéeInstabilité microsatellitaire

Endométrioïde Intermédiaire Immunohistochimie MLH1, PMS2, MSH2, MSH6 (perte d’expression)

Faible nombre de copies

39 % Faible fréquence mutationnelleMutations de CTNNB1

Endométrioïde Intermédiaire Immunohistochimie P53 (marquage faible/focal)

Nombre de copies élevé

26 % Instabilité chromosomiqueMutations de TP53

SéreuxEndométrioïde de grade 1/2

Péjoratif Immunohistochimie P53 (marquage intense et diff us ou complètement absent)

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. IV - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2015 145

Classifi cation des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire

Carcinomes épithéliaux de l’ovaire

Les tumeurs de l’ovaire sont regroupées en 3 princi-pales familles :

✓ les tumeurs épithéliales de surface, les plus fré-quentes, qui seront abordées ici ;

✓ les tumeurs germinales (tératomes matures et imma-tures, tumeurs vitellines, etc.) ;

✓ les tumeurs stromales et des cordons sexuels (théco-mes, tumeurs de la granulosa, de Sertoli-Leydig , etc.).

Classifi cation anatomopathologique des tumeurs épithéliales de surface Les tumeurs épithéliales de surface de l’ovaire sont clas-sées d’un point de vue histopathologique en fonction du type cellulaire et du degré de malignité (1) . On dénombre :

✓ le type séreux, qui a une parenté morphologique et immunohistochimique avec le revêtement épithélial tubaire et cœlomique ;

✓ le type mucineux, qui présente des cellules muco-sécrétantes, soit de type endocervical, soit de type intestinal ;

✓ le type endométrioïde, qui présente une parenté morphologique avec le tissu épithélial endométrial ;

✓ le type à cellules claires, composé de cellules au cytoplasme clarifi é ou éosinophile, riches en glycogène ;

✓ les autres types, dont le type urothélial/ transitionnel, qui donnent naissance aux tumeurs de Brenner, sont plus rares. Le degré de malignité est classiquement évalué sur l’architecture de la tumeur, sur l’infi ltration éventuelle du parenchyme ovarien et sur l’importance des atypies cytonucléaires. Les tumeurs bénignes sont appelées adénomes, cys-tadénomes, cystadénofibromes ou adénofibromes en fonction de la présence d’un aspect macroscopi-quement kystique ou d’un tissu fibreux de soutien particulièrement abondant. Les tumeurs malignes sont appelées carcinomes. Il existe dans les tumeurs de l’ovaire une catégorie de malignité intermédiaire, appelée tumeurs borderline . L’architecture est généra-lement papillaire complexe (papilles de premier, deu-xième et troisième ordres), et les atypies cytonucléaires sont discrètes à modérées. Il n’y a pas d’infi ltration du parenchyme ovarien, mais une extension péritonéale est possible, sous la forme d’implants invasifs ou non. La distinction anatomopathologique entre tumeur primitive ovarienne, tubaire et péritonéale peut être extrêmement difficile ; cependant, il n’existe pas de particularités histomoléculaires ou pronostiques ou spécifi ques à ces diff érentes localisations tumorales,

qui peuvent être donc considérées comme appartenant à une même maladie.

Classifi cation histomoléculaire Parmi les carcinomes épithéliaux de surface, les car-cinomes séreux sont les plus fréquents. Le grade de Silverberg est souvent utilisé pour différencier les tumeurs en 3 catégories en fonction de l’index mito-tique et des atypies cytonucléaires. En pratique, ce score est rarement pertinent ; en effet, les tumeurs de grade intermédiaire (grade 2) sont nettement plus rares que les autres . De plus, les carcinomes séreux de bas et haut grades ont un aspect morphologique, une histogenèse et un profi l moléculaire très divergents, et correspondent donc à 2 entités tumorales distinctes, sans lien histogénétique. Le grade dichotomique de Malpica (bas et haut grades) doit donc actuellement être privilégié. Le carcinome séreux de haut grade (fi gure 2, p. 146) est de loin le plus fréquent (95 % des carcinomes séreux, 70 % des cas de stade avancé). Il se caracté-rise micro scopiquement par une prolifération tumo-rale de cellules présentant des atypies cytonucléaires très marquées et s’agençant selon une architecture solide, papillaire, rubanée ou glandulaire. Les mitoses sont nombreuses, et des territoires de nécrose sont habituellement présents. Du point de vue immuno-histochimique, ces tumeurs expriment le facteur de transcription WT1, impliqué dans la morphogenèse urogénitale. Les récepteurs des estrogènes et de la progestérone sont exprimés dans respectivement 80 et 30 % des cas. Ces tumeurs sont cliniquement agressives et habituellement, au moins initialement , chimiosensibles. Les mutations perte de fonction de TP53 , présentes dans plus de 95 % des cas, constituent leur marque de fabrique. Ces mutations induisent une levée du point de contrôle de la mitose même dans les situations où l’intégrité génomique est compromise. Les erreurs génomiques s’accumulent, ce qui entraîne une instabilité chromosomique. L’intégrité génomique est également souvent compromise par l’invalidation d’une autre voie, dans au moins 25 % des cas : il s’agit de la voie HR (Homologous Recombination) , consécu-tivement à des mutations germinales de BRCA1 ou de BRCA2 dans le cadre des syndromes sein-ovaire (syndromes BRCA1 et BRCA2 ), mais également de muta-tions somatiques ou de méthylation du promoteur de BRCA1 . Il y a 15 ans, un nouveau paradigme histogé-nétique, inspiré de l’analyse anatomopathologique des pièces d’annexectomie prophylactique pour syn-drome de prédisposition familial, est venu révolution-ner l’appréhension de ces tumeurs. Elles ne seraient

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Classifications histomoléculaires

(1re partie)

Figure 2. Carcinomes ovariens séreux et mucineux, leurs précurseurs et les principales altérations moléculaires associées. A. Exemple de carcinome séreux de bas grade avec une architecture glandulaire et micropapillaire au sein de cavités optiquement vides. Les atypies cytonucléaires sont discrètes. Ces tumeurs se développent volontiers sur une tumeur séreuse borderline. Elles sont chromosomiquement stables et comportent souvent des mutations de gènes codant des acteurs de la voie des MAPK. B. Exemple d’un carcinome séreux de haut grade avec une architecture solide, des atypies cytonucléaires marquées, de nom-breuses mitoses et un marquage intense et diff us de P53 (encart). Cette tumeur était associée à une lésion précurseur à type de carcinome séreux in situ développé dans la région pavillonnaire de la trompe homolatérale. Les mutations de P53, BRCA1 et de BRCA2 sont fréquentes et s’associent à une instabilité chromosomique. C. Exemple de carcinome mucineux dont les cavités sont bordées d’un épithélium mucosécrétant (encart : coloration PAS) peu atypique. Ces tumeurs se développent fréquemment sur des lésions mucineuses adénomateuses ou borderline. Les mutations de KRAS sont fréquentes.

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Classifi cation des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire

pas dérivées, contrairement à la vision classique, du revêtement cœlomique, qui, au gré d’ovulations inces-santes, accumulerait des altérations génétiques dans un contexte de réparation épithéliale constante. Selon le nouveau modèle, fondé sur de nombreux arguments morphologiques, moléculaires et d’histoire naturelle, la cellule d’origine de ces carcinomes séreux de haut grade serait la cellule sécrétoire du revêtement de la région ampullopavillonnaire de la trompe de Fallope. Une séquence de lésions tubaires précancéreuses est impliquée, avec, successivement, apparition de lésions de SCOUT (Secretory Cell OUTgrowth , remplacement des cellules ciliées tubaires par des cellules sécré-toires), de “signature TP53” (acquisition de mutation et d’un immuno marquage TP53 positif , sans altération morphologique), de TILT (Tubal Intraepithelial Lesions in Transition , acquisition d’un phénotype proliféra-tif et d’altérations cytoarchitecturales) et, enfi n, de STIC (Serous Tubal Intraepithelial Carcinoma , lésion de carcinome séreux in situ sur le revêtement épithélial tubaire). Au gré de menstruations rétrogrades, les cellules tubaires impliquées dans ces lésions précancé-reuses desquameraient, migreraient et se greff eraient à la surface ovarienne pour donner naissance, fi nale-ment, au carcinome ovarien séreux de haut grade (9, 10 pour revue) . Les carcinomes séreux de bas grade (fi gure 2) , quant à eux, se caractérisent par une prolifération de cellules peu atypiques réalisant une architecture insulaire, papil-laire, glandulaire au sein d’un stroma généralement abondant et fi breux comportant de nombreuses calci-fi cations (calcosphérites). La nécrose et les mitoses sont beaucoup moins fréquentes que dans son homologue de haut grade. Les anomalies moléculaires les plus fré-quentes induisent une activation de la voie RAS/RAF/MAPK en rapport avec des mutations gain de fonction de KRAS ( 35 % ), de NRAS (15 %) ou de BRAF (5 %). Ces tumeurs sont caractérisées par une faible instabilité chromosomique. Le modèle histogénétique pour ces lésions est plutôt celui d’une évolution en plusieurs étapes d’une tumeur séreuse borderline (9) . Ces tumeurs évoluent habituellement plus lentement que les car-cinomes séreux de haut grade, et sont chimiorésistantes. L’hormonothérapie et, plus récemment, des inhibiteurs de MEK ont été proposés. Les carcinomes mucineux (fi gure 2) sont généralement des tumeurs volumineuses et de faible grade de mali-gnité, dans lesquelles sont fréquemment observés des territoires de nature adénomateuse ou borderline mucineuse, qui en constituent les lésions précurseurs. L’envahissement ovarien peut se faire sur un mode expansif ou invasif. Ce sont des tumeurs d’assez bon pro-

nostic, rarement diagnostiquées à des stades avancés. Les mutations activatrices de KRAS sont très fréquentes (> 50 %) ; des amplifi cations de HER2 sont également rapportées dans presque 20 % des cas et semblent assez exclusives des mutations de KRAS . Il y a un important problème de diagnostic diff érentiel, parfois insoluble du point de vue anatomopathologique, avec une extension ovarienne d’un carcinome mucineux d’origine intesti-nale ou pancréatique ; l’immuno histochimie n’est que d’un faible apport dans ces situations. Une évolution vers une maladie gélatineuse du péritoine est possible pour les tumeurs rompues. Deux types tumoraux sont statistiquement associés à l’endométriose. Ils présentent globalement le même profil morphomoléculaire que leurs homologues endométriaux et sont le carcinome endométrioïde et le carcinome à cellules claires. La transformation de lésions d’endométriose ovarienne serait à l’ori-gine de 30 à 40 % des carcinomes endométrioïdes et de 50 à 70 % des carcinomes à cellules claires de l’ovaire. Cependant, du point de vue histogénétique, ces carcinomes ovariens pourraient également être consécutifs à une migration rétrograde de cellules tumorales endométriales. Une association entre les carcinomes séreux de bas grade et l’endométriose a également été décrite. Le carcinome endométrioïde de l’ovaire (figure 3, p. 148) coexiste en eff et dans 15 à 20 % des cas avec un carcinome endométrioïde endométrial synchrone et de même grade histologique. Comme dans l’endomètre, les altérations moléculaires les plus fréquentes sont une activation de la voie PI3K/AKT par inactivation de PTEN (14 à 21 % des cas) ou mutations gain de fonction de PIK3CA (20 %) qui ne sont pas obligatoirement exclu-sives, des mutations activatrices de CTNNB1 (16 à 38 %), de KRAS ou BRAF (7 %), ou un statut MSI (13 à 20 %). Des mutations inactivatrices du gène ARID1A , codant une sous-unité du complexe SWI/SNF de remodelage chro-matinien, ont été rapportées dans près de 30 % des cas. Des mutations de POLE ont également été rapportées dans 4 à 8 % des cas, touchant (P286R, V411L) ou non (S297F) les mêmes hot spots que leurs homologues d’origine endométriale (10, 11) . Les mutations de TP53 se voient dans les carcinomes endométrioïdes de haut grade qui se rapprochent, sur le plan thérapeutique et pronostique, du carcinome séreux de haut grade. Les carcinomes à cellules claires (fi gure 3, p. 148) , comme dans l’endomètre, se caractérisent par l’activation de la voie de diff érenciation HNF1β. Les récepteurs hormonaux ne sont le plus souvent pas exprimés, et des mutations du promoteur de la télomérase TERT sont observées dans 16 % des cas. De façon intéressante, ces carcinomes

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Classifications histomoléculaires

(1re partie)

Figure 3. Carcinomes ovariens liés à l’endométriose : le carcinome endométrioïde et le carcinome à cellules claires. L’endométriose (A) se caractérise par la présence de tissu endométrial (glandes et chorion cytogène) en dehors de l’utérus. Elle est statistique-ment liée aux carcinomes endométrioïde et à cellules claires, qui partagent de nombreuses altérations moléculaires communes (tableau). B. Exemple de carcinome endométrioïde d’architecture glandulaire et cribriforme avec ébauche de maturation mal-pighienne (encart : cellules cylindriques au noyau ovalaire). C. Exemple de carcinome à cellules claires d’architecture solide et glandulaire. Noter l’aspect clarifi é du cytoplasme et l’immunoexpression nucléaire du facteur de transcription HNF1β (encart).

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Classifi cation des carcinomes de l’endomètre et de l’ovaire

ovariens à cellules claires partagent de nombreux mar-queurs mutationnels avec les carcinomes endométrioïdes de l’ovaire, comme des mutations d’ ARID1A (16-57 % des cas), de PIK3CA (40 %) ou de PTEN (8 %), ce qui sou-ligne une histogenèse commune. Corroborant ce fait, de potentielles lésions précurseurs à type d’hyperplasie atypique ou de dysplasie à cellules claires ont été rap-portées dans des lésions d’endométriose associées aux carcinomes ovariens endométrioïdes ou à cellules claires, certaines comportant déjà les mutations observées dans les lésions carcinomateuses (13, 14) .

Apport du projet TCGA L’analyse du TCGA a également été faite sur des cancers ovariens, mais les résultats n’ont pas autant d’intérêt théorique et clinique que dans les tumeurs endomé-triales, notamment, car elle n’a étudié que des car-cinomes séreux de haut grade (489 cas) [15] . Quatre sous-types transcriptionnels, 3 sous-types de mi-ARN et 4 sous-types de méthylation de promoteurs ont été identifi és, de même qu’une signature transcriptomique prédictive de la survie. Le principal apport de cette étude a été de confi rmer la présence quasi constante (96 % des cas) des mutations de TP53 dans ces carcinomes séreux de haut grade et d’étayer l’intérêt moléculaire, pronostique et théranos-tique de la voie moléculaire de réparation des cassures double-brin de l’ADN (voie de la recombinaison homo-logue) [16] . Les mutations germinales perte de fonction des gènes BRCA1 et BRCA2 sont bien connues pour pré-disposer aux carcinomes ovariens et concernent à elles deux environ 15 % des carcinomes séreux de haut grade . Des mutations somatiques des gènes BRCA1 et BRCA2 ont également été identifi ées dans 6 % des cas. Des hyperméthylations du promoteur de BRCA1 ont été mises en évidence jusque dans 30 % des cas. D’autres gènes de la voie HR peuvent aussi être altérés dans les carcinomes séreux de haut grade, comme ESMY (8 %, amplifi cation ou mutation), PTEN (7 %, délétion ou mutation), RAD51

(3 %, hyper méthylation), ATM/ATR (2 %, mutation) et les gènes de l’anémie de Fanconi (5 %, mutation). Ensemble, ces altérations représenteraient presque la moitié des cas de carcinomes séreux de haut grade. De façon intéres-sante, elles sont associées à un relatif meilleur pronostic et à une chimiosensibilité aux sels de platine (15) . Le principal intérêt de l’identifi cation de la voie HR est thérapeutique. En eff et, l’inhibition d’une autre voie de réparation des cassures de l’ADN, celle de la réparation des cassures simple-brin, permet, par un phénomène de létalité synthétique, d’induire la mort des cellules tumorales invalidées pour BRCA1 ou BRCA2 , c’est-à-dire de cellules défi cientes pour la réparation des cassures double-brin. Le chef de fi le de ces agents est l’olaparib, inhibiteur de la poly(ADP-ribose) polymérase (PARP). Ce médicament vient d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché pour le traitement d’entretien, en mono-thérapie, du carcinome séreux de haut grade de l’ovaire, récidivant et sensible au platine, avec une mutation du gène BRCA1 ou BRCA2 (germinale ou somatique). Ces données impliquent qu’il soit possible de déter-miner le profi l mutationnel somatique (et non seu-lement germinal) de BRCA1 et de BRCA2 à partir de prélèvements tumoraux fi xés en formol et inclus en paraffi ne. Cette approche est particulièrement diffi cile, et sa faisabilité est actuellement testée dans le cadre de l’essai clinique PAOLA-1 (NCT02477644). Il n’est pas exclu que, à l’avenir, le génotypage d’autres gènes impliqués dans la voie HR soit également requis pour étendre les indications thérapeutiques.

Conclusion

Les nouvelles classifi cations histomoléculaires per-mettent une évaluation pronostique plus fi able que l’analyse histologique seule, en particulier dans le cancer de l’endomètre, et ouvrent la voie au développement de thérapies personnalisées. ■

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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