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  • Claude DAGENS : Cette Eglise qui ne nous appartient pas

    Dieu attend notre libre engagement dans une Eglise que nous n'inventons pas, mais qui nous est donne comme institution et comme mission.

    I LE CHOC DE LA SOCIOLOGIE

    Depuis la communaut des convertis de Pentecte jusqu' l'Eglise moderne des cinq continents, il est naturel aux croyants de se demander ce qu'ils ont entreprendre pour que le monde croie. Du premier concile de Jrusalem au quatrime synode romain des vques, la mme exigence nous traverse : que faire pour que les hommes s'engagent personnellement envers le Dieu de Jsus-Christ en dcidant d'appartenir son Eglise ? Que faire pour que cette appartenance l'Eglise de Jsus-Christ, l'appartenance vcue par les croyants et propose par eux tous les peuples, ralise toujours davantage sa nature catholique, c'est--dire son ouverture sans exclusives tous les hommes et sa soumission plnire ce Pre qui veut rcapituler toutes les choses de l'histoire dans le corps de son Fils ?

    En consquence, il est naturel l'Eglise de mesurer ses propres ralisations dans l'histoire. Elle le fait souvent depuis quelques dcennies, et c'est en gnral pour constater la distance grandissante qui existe entre l'appartenance espre et l'appartenance effective. Surtout dans cette vieille Europe, o l'Eglise fait partie du paysage culturel, mais o elle dcouvre de plus en plus qu'elle est enveloppe et, pire encore, atteinte du dedans par un nouveau paganisme. Impossible d'ignorer ces avertissements de l'histoire : ils nous rvlent que nous sommes les habitants d'une demeure fragile et ouverte tous les vents. Inutile de nier le langage des chiffres : les statistiques nous disent que plus de la moiti des catholiques ne pratiquent plus et que beaucoup de baptiss hsitent confesser la rsurrection du Christ. Sans parler des multiples situations marginales par rapport la discipline traditionnelle de l'appartenance ecclsiale.

    On se sert galement de l'histoire et de la sociologie pour faire la prospective de l'Eglise. En prvision de l'an 2000, quels modles envisager pour assurer p.2) notre propre survie ? Y aurait-il deux options extrmes : d'une part la constitution de petits groupes fortement structurs et s'affirmant comme des contre-communauts au milieu d'une civilisation dcadente, d'autre part, l'adaptation gnralise l'volution du monde et la dissolution progressive dans les dynamismes de l'histoire contemporaine ? Et mi-chemin entre l'option sectaire et l'option sculire, faudrait-il que l'Eglise dite institutionnelle essaie de naviguer vue, en suivant une sorte devin media , faite de compromis sans cesse rviser (1) ?

    Personne n'chappe ce choc de la sociologie, ni les grands dicastres romains, ni les prtres des paroisses rurales de la Calabre ou de la Creuse. Les statistiques ont le mrite de dissiper ls illusions. Mais elles seules, elle ne fournissent que des signes, qu'il reste toujours interprter. Interprter, c'est--dire essayer de reconstituer le mouvement d'ensemble dans lequel ces signes s'inscrivent. Une telle interprtation sera forcment du domaine de l'hypothse. Elle ne dispense pas de faire des choix et pas seulement partir des chiffres, mais avec une conscience renouvele des buts que l'on veut atteindre. Ce n'est pas la capacit d'analyse, l'art de nous poser des questions multiples par rapport aux donnes de la sociologie, qui nous manque le plus l'heure actuelle. Ce qui nous manque, surtout dans notre Europe incertaine et fatigue, c'est une perception commune des grandes finalits de notre appartenance l'Eglise, le dsir effectif de participer un mouvement qui nous dpasse et nous appelle au dpassement de nos perspectives naturelles (2). Nous sommes ainsi confronts une question fondamentale : comment discerner, dans ces signes ambigus, des enjeux vitaux pour l'Eglise ? Comment tirer de notre histoire prsente un avenir o tous les croyants seront prts s'engager davantage dans ce grand mouvement de conversion, de prire et d'amour dsintress qui doit s'tendre aux dimensions des structures de l'Eglise et de l'humanit ? Cette question nous oblige dmasquer le fatalisme toujours possible de la sociologie et prendre le risque du tmoignage. Car nous ne sommes jamais dispenss d'une rponse active Celui qui. sans nous, sans le oui de notre libert, ne pourrait pas former ce Corps qui lui appartient.

    II LES ENJEUX DE NOTRE APPARTENANCE

    L'institution et la libert

    Reconnatre que l'on appartient l'Eglise, c'est donner d'emble un assentiment. C'est reconnatre que l'on n'est pas oubli de Dieu et que l'on est mme appel prendre place dans le projet qu'il dploie pour le salut du monde.

    (1) Cf. P. BERGER, Lu rumeur de Dieu, Paris, 1972, p. 34-42. (2) Cf. R. ETCHEGARAY, L'Eglise des cinq continents, textes du Synode de 1974, rapport sur l'Europe, p. 115.

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    Mais cette adhsion personnelle, plus ou moins consciente, plus ou moins suivie d'effets, passe par des mdiations qui, habituellement, la prcdent. Appartenir l'Eglise, c'est entrer dans un rseau complexe fait d'histoire, de rgles sociales, de normes morales, d'habitudes mentales, de relations personnelles et communautaires. Ce rseau constitue l'Eglise dj forme, l'institution ecclsiale capable de rvler, travers ses paroles, ses symboles et ses rassemblements, le mystre qui est sa source. Tel tait sans doute le sentiment des catchumnes de la Rome antique, quand ils se prparaient au baptme : ils consentaient se montrer publiquement solidaires de cet ensemble humain et social. Telle est aussi, derrire la pauvret des mots, la conviction de nombreux parents qui, dans nos cits modernes, demandent le baptme de leurs enfants : au milieu de tous les dracinements de la vie, ils devinent l'importance d'un enracinement fondamental. Ces hommes et ces femmes s'insrent ainsi dans une histoire qui les a prcds ; ils communient une Tradition de Vrit et de Vie. Ils acceptent des liens, mme trs lches, avec une institution qui ne cache pas son intention d'appareiller l'existence des hommes dans leurs relations avec Dieu.

  • S'ils acceptent tout cela, c'est avec la conscience de ne pas tre les rouages d'une machinerie socio-religieuse. Au contraire : ils savent que le pass garantit la continuit d'un mouvement qui a ses hauts et ses bas, mais qui, comme la vie, ne s'interrompt jamais. La vie de l'Eglise n'est donc pas un spectacle et l'on ne lui appartient pas si on se contente de la regarder voluer sur la scne de l'histoire. Pour lui appartenir, il est indispensable d'accomplir des actes qui expriment et ralisent publiquement cette appartenance. Des actes dont les sociologues pourront apprcier la frquence : pratique dominicale, participation pisodique des rassemblements, rattachement un mouvement organis, mise en oeuvre de certaines normes morales. Mais l'essentiel va plus loin que la sociologie : travers ces actes, mais aussi travers les multiples activits ou passivits de la vie quotidienne, il s'agit de participer l'activit d'un Autre. Et l'Eglise est ce lieu bien situ o des tres humains s'offrent pour participer l'engagement de Dieu pour le monde. Cette Eglise dj forme, il faut donc sans cesse la former, avec la pte des cultures et des socits, et la rformer, quand elle a perdu sa qualit de levain. Cette institution, avec toutes ses structures, est comme une habitation sans cesse lzarde et sans cesse btir. Il ne suffit pas de poursuivre l'oeuvre dj entreprise ; il faut improviser, imaginer, rnover. On n'en finit jamais de travailler sur ce chantier : les prtres-ouvriers ou les catchistes d'Europe et d'Afrique en savent quelque chose...

    Dans l'histoire de l'Eglise intervient invitablement la tension entre ceux qui respectent plutt l'hritage, le donn historique, les grands repres de la tradition, et ceux qui mettent en avant les appels de l'avenir, l'urgence d'inventer en laissant disparatre ce qui tait pourri.

    Les uns comme les autres considrent qu'ils appartiennent rellement l'Eglise. Ce serait un progrs s'ils reconnaissaient ensemble que ce n'est pas le rsultat d'une dialectique conciliant la tradition et la nouveaut, mais la logique interne un mouvement dont l'origine est la fois au-dedans et en dehors de nous. Car l'origine est l'Esprit issu du corps du Fils quand il remet sa vie au Pre.

    4 Le mme Esprit structure l'institution apostolique qui donne l'Eglise ses fondations permanentes et sa continuit historique. Mais le mme Esprit anime la libert des croyants, les provoquant des audaces inattendues, les incitant sortir d'eux-mmes sans craindre les indications de la sociologie. Et ce n'est pas au seul niveau de l'exprience historique qu'il faut rattacher au mme Esprit, d'un ct ce qui est solide et continu, et de l'autre ce qui est imprvisible et nouveau. Non, tout tait contenu comme en germe dans l'vnement transhistorique de la Pque du Christ : la continuit d'un combat qui va jusqu'au pardon total, la nouveaut d'une Vie qui jaillit de la mort offerte au Pre.

    Toute l'histoire de l'Eglise ne peut que dployer cette logique originelle dans le corps du Christ, qui est l'Eglise et qui s'tend bien au-del de nos appartenances plus ou moins hsitantes ou antagonistes. Bref, ce n'est ni l'institution, ni la libert qui constitue la norme ultime de l'appartenance ecclsiale. C'est la rfrence l'vnement fondateur que l'Esprit du Christ actualise la fois dans les structures de l'institution et dans le mouvement de nos liberts.

    La distance et la double appartenance L'Eglise, Vatican II, s'est affirme solidaire et servante du monde. Ce principe d'abngation inspire des comportement

    rellement conformes l'abngation de Dieu, lui qui, dans la croix de son Fils, va jusqu'au bout du dsintressement.

    Mais l'abngation ne consiste pas seulement tre dsarm pour entrer en relations avec les autres. Il y a aussi une abngation profondment vanglique, qui consiste tre diffrent des autres, non pour les mpriser et exalter sa diffrence, mais pour accomplir sa vocation propre au milieu d'eux. Or l'Eglise a vocation d'tre une socit qui, comme toute socit, se constitue en se diffrenciant (3). Former un groupe, c'est prendre ses distances par rapport d'autres groupes.

    La distance tient d'abord au discours tenu par le groupe chrtien. Ce n'est pas le discours de tout le monde, mais un message nouveau qui, avec les mots de tout le monde, annonce des choses nouvelles. On ne peut appartenir l'Eglise sans avoir mesur l'tranget de ce message qui ne propose pas un savoir englobant, mais se concentre autour d'une histoire de vie et de mort, faite pour scandaliser les consciences raisonnables et mme des esprits religieux. Les mots de la foi portent en eux cette tension fondamentale entre Dieu et l'homme, la vie et la mort, la lumire et les tnbres ; et le plus nouveau, c'est qu'au coeur de ces tensions transparat une lumire d'apaisement.

    Cette nouveaut-l suppose des informateurs, dont la vie reflte ces tensions surmontes. Tel est le groupe apostolique, origine de la structure apostolique de l'Eglise : fond sur la pierre angulaire du Christ et plac par l'Esprit l'intrieur

    (3) Cf. M. de CERTEAU, L'tranger ou l'union dans la diffrence, Foi vivante no 116, p. 10.

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    du mystre pascal. D'o le combat contre les sagesses humaines qui voudraient surmonter les tensions par de vastes systmes : seul, le Fils unique est l'origine d'un monde nouveau. D'o aussi la conscience, chez les chrtiens, d'appartenir un peuple nouveau, peuple la fois de frres et d'trangers. De frres, puisque nous sommes les disciples de Celui qui est venu chercher et sauver ce qui tait perdu. D'trangers, puisque l'Eglise n'est pas le dernier avatar du peuple juif et que le baptme scelle dans nos corps, dans notre devenir humain, la nouvelle alliance de Dieu, une structure de vie et de mort, qui fait de nous des trangers et des voyageurs au milieu des nations (1 Pierre 2, 11).

    Tout en nous soumettant aux lois de l'histoire, nous nous sommes rattachs ds maintenant au Royaume de la libert absolue. C'est l comme une loi de double appartenance. Selon la formule de l'Eptre Diognte (V, 5), nous rsidons chacun dans notre patrie, mais comme des trangers domicilis . Certains subissent cette loi comme un cartlement insupportable : ils voient mal comment l'Eglise pourrait tre une patrie diffrente de leur patrie naturelle. D'autres s'en accommodent, mais ils donnent aux non-chrtiens l'impression de jouer sur deux tableaux. De fait, notre appartenance un ensemble humain qui a son histoire, sa culture, nous conditionne plus fortement que notre appartenance l'Eglise ; mais ce fait doit-il entraner la norme et n'avons-nous pas prier pour que notre appartenance au Royaume de Dieu soit plus dterminante que notre appartenance aux divers groupes sociaux qui se disputent la possession de la terre et se laissent manipuler par le Prince de ce monde , comme le disait le Pre Cyrille Argenti devant le C.O.E. en novembre 1975 (4) ? Si le baptme au nom de Jsus est l'origine d'une existence vraiment nouvelle, il faut admettre qu'il n'y ait plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, Scythe, esclave, homme libre, mais le Christ : il est tout et en tous (Colossiens 3, 11).

    La mission et la misricorde

  • Que cherchons-nous en prenant ainsi nos distances par rapport au monde ? Non pas tre bien ensemble et savourer notre originalit. Ceci n'est qu'une apparence. L'Eglise est constamment appele au-del d'elle-mme par tous ceux qui sont plus ou moins trangers son existence profonde. Elle n'affirme et ne pratique sa diffrence que pour mieux consentir cette nouvelle abngation que constitue la mission.

    Car la mission n'est pas d'abord la mise en oeuvre d'un programme. Si les premiers paens runis chez Corneille sont baptiss par Pierre, c'est parce que Pierre accepte que ses calculs soient djous par l'initiative de l'Esprit Saint. Et si. aujourd'hui encore, des groupes chrtiens attirent eux des non-chrtiens, ce n'est pas le rsultat d'un travail de recrutement, mais une manifes-tation de la grce. Comme l'crit Paul VI dans son exhortation rcente sur l'vanglisation (n0 21) : o Voici un chrtien ou un groupe de chrtiens qui, au sein de la communaut humaine dans laquelle ils vivent, manifestent leur

    (4) Cf. Documentation catholique, 15 Fvrier 76, p. 173.

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    capacit de comprhension et d'accueil, leur communion de vie et de destin avec les autres, leur solidarit dans les efforts de tous pour tout ce qui est noble et bon. Voici que, en outre, ils rayonnent leur foi en des valeurs qui sont au-del des valeurs courantes, et leur esprance en quelque chose qu'on ne voit pas, dont on n'oserait pas rver... Il y a l un geste initial d'vanglisation .

    C'est pour la mme raison que l'Eglise accorde sa prfrence ceux qui sont dsarms devant la vie, livrs aux lois de la jungle humaine. Cette prfrence s'exprime dans des gestes et des institutions qui dpendent forcment d'une situation historique : au

    XIXe sicle, dans une socit hirarchise, elle a surtout revtu l'aspect d'une gnrosit plus ou moins paternaliste l'gard des

    pauvres ; au XXe, elle passe plutt par le langage de la socialisation et ne peut viter les ralisations collectives. Mais l'essentiel consiste toujours exprimer pratiquement une logique de dsintressement et de don. C'est pourquoi le premier accs l'Eglise s'ouvre ceux qui ne possdent pas, mais qui attendent tout des autres, tout, c'est--dire le pain et la justice, mais aussi l'amiti et l'esprance.

    Il faut encore qu'en ce qui fait sa vie intime, l'Eglise se ressource sans cesse cette gratuit. Autrement dit, ce n'est pas la vertu ou la justice, aux yeux de Dieu ou des hommes, qui fournit le critre de l'appartenance l'Eglise, mais la misricorde du Pre (5). Nous sommes la communaut des pcheurs pardonns. Tous, fidles vritables, chrtiens occasionnels, mal-croyants qui ttonnent, sans pratiquer de faon rgulire et mme sans vivre pleinement selon l'Evangile, nous sommes ordonns l'Eglise, parce qu'elle n'est pas une assemble slectionne, mais cette Eglise hirarchique, o les carriristes et les hommes d'affaires ne manquent pas, et ce mlange de bon grain et d'ivraie, sous le regard d'un Pre qui ne dsespre jamais d'aucun de nous.

    Certes, il serait grave que l'Eglise joue un double jeu, fixant d'un oeil l'Evangile, et de l'autre, les classes dirigeantes ou le mouvement ouvrier. Mais le plus grave serait qu'elle devienne inapte la rconciliation, en se contentant de reflter les rapports de forces ou d'ides qui traversent la socit. Une option idologique et politique dterminerait alors l'appartenance l'Eglise. Au mieux le Royaume de la grce serait rejet trs haut au-dessus du royaume de la justice instaurer sur la terre, moins qu'il ne ft remis plus tard. Au pire, cette Eglise, promise l'clatement, serait assimile peu peu par des groupes qui auraient plus qu'elle les moyens d'institutionnaliser les engagements politiques et sociaux qu'elle aurait privilgis.

    III LE MINISTERE APOSTOLIQUE ET L'APPARTENANCE A L'EGLISE

    Le ministre apostolique est au service de l'Eglise. Sans ce ministre, celle-ci est menace de se dfaire et de perdre son caractre catholique. L'autorit

    (5) Cf. H. de LUBAC, Mdi tation sur l 'Egl ise, Foi vivante, n 60, p. 82.

    7 apostolique est l pour assurer efficacement, temps et contre-temps, cette mission d'arbitrage en vue de la communion : entre les dfenseurs de l'hritage et ceux qui se rclament d'une libert prophtique, entre les partisans du dialogue tout prix et ceux qui mettent l'accent sur les ruptures, entre le camp de l'apostolat missionnaire et le camp de la rconciliation intrieure.

    Cet arbitrage ne consiste pas trouver le juste milieu, en prtextant d'une complmentarit fondamentale. La paix exige parfois que l'on dise oui et que l'on dise non. Mais de quel droit peut-on tenir un langage aussi clair et aussi risqu ? Du droit que donne Dieu en appelant des hommes exercer l'autorit apostolique, des hommes qu'il configure son Fils, serviteur souffrant et Sei-gneur pour le salut du monde. Ce droit dcoule du caractre irrversible de l'Alliance de Dieu avec l'homme, alliance ralise dans l' lvation pascale de Jsus. C'est en prenant pareillement de la hauteur que l'autorit apostolique est destine s'exercer sur les hommes. Elle s'exerce normalement dans des conditions crucifiantes, mais pour y faire apparatre un dnouement venu d'en haut. Elle se fonde sur l'initiative gratuite de Dieu, qui parvient son sommet dans le sacrifice du Christ. Elle concerne les divers domaines o cette initiative s'actualise, commencer par le repas eucharistique. L'appartenance l'Eglise ne peut donc pas tre une autodtermination humaine. Car l'Eglise ne s'appartient pas et l'institution apostolique est l pour le rappeler ceux qui voudraient opposer leurs projets personnels l'initiative de Dieu.

    Mais, d'autre part, ce ministre apostolique ne peut se contenter d'indiquer une vague direction gnrale. Sa mission l'amne aussi indiquer quels liens rattachent l'alliance primordiale des dterminations particulires, d'ordre moral, juridique ou institutionnel. Pour prsenter et dfendre ainsi les droits de Dieu , il faut que ceux qui exercent l'autorit apostolique soient toujours prts deux choses. D'abord ne jamais rien affirmer sans accepter d'aller jusqu'au bout de l'imitation de Jsus, quand il devait proclamer les droits de son Pre face aux prtentions des Pharisiens comme. aux illusions de ses aptres ; c'est dire que l'appartenance l'Eglise se structure travers des combats, qui nous configurent au Christ. Ensuite, n'oublier jamais que l'engagement de Dieu s'achve dans son pardon : c'est pourquoi le ministre apostolique ne peut pas prsenter l'appartenance l'Eglise sous des formes restrictives, mais manifester au contraire que cette appartenance nous greffe sur une gratuit et une misricorde, qui sont le coeur de la libert divine. Et cette libert, qui fonde la communion de nos liberts dans l'Eglise catholique, demeure ouverte ceux qui la reconnaissent, mais aussi ceux qui la mconnaissent ou la renient.

    Claude DAGENS

    Claude Dagens, n Bordeaux en 1940. Ecole Normale Suprieure, Agrgation de Lettres, Ecole Franaise de Rome. Prtre en 1970: professeur au Sminaire interdiocsain de Bordeaux et charg d'un enseignement de Thologie spirituelle l'Institut catholique de Toulouse. Travaille aussi en paroisse Bordeaux. Docteur en Thologie et Docteur s Lettres (Culture et exprience chrtiennes chez saint Grgoire le Grand).

  • Articles dans Nouvelle revue Thologique, Prtres diocsains, Croire aujourd'hui. A publi en 1971 un Eloge de notre faiblesse (Editions ouvrires).

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    Joseph RATZINGER :

    Baptiss dans la foi de l'Eglise

    Le baptme nous introduit dans l'Eglise en nous donnant la foi qu'elle reoit du Christ mort et ressuscit.

    1. Introduction : Sens et structure des sacrements

    Bien que le baptme soit le sacrement par lequel on entre dans la communaut de foi, le renouveau liturgique et thologique des dernires annes l'a toujours un peu laiss de ct, malgr maints travaux importants (1). Et pourtant, on ne peut se faire une ide juste ni de ce qu'est l'Eglise ni de la structure de l'acte de foi, si l'on nglige d'tudier le baptme ; et l'inverse, on ne peut pas comprendre grand'chose du baptme si on ne le considre que du point de vue de la liturgie ou partir de la doctrine du pch originel. Ces lignes ne seront ni une thologie complte du baptme ni un trait sur la foi ou sur l'appartenance l'Eglise, mais une mditation qui se situera l'endroit o tous ces thmes s'articulent l'un sur l'autre. Elle essaiera ainsi de faire voir ce qu'ils ne montrent qu'une fois rapprochs.

    Allons droit au centre, et pour comprendre le sens profond du baptme, examinons l'acte mme par lequel il est donn, l'accomplissement vivant du sacrement mthode que l'on peut recommander pour la thologie des sacrements, qui doit penser le moins abstraitement possible et rester le plus prs possible de ce qui se passe dans la liturgie. Mais un obstacle fondamental nous barre la route, et rclame une rflexion pralable : nous avons du mal comprendre ce que c'est qu'un sacrement, et ce, cause de l'attitude de l'poque moderne face la vie.

    (I) Pour ne citer que des ouvrages en langue franaise, signalons : A. Croegart. Baptme, confirmation, eucharistie. sacrements de l'initiation chrtienne (Bruges, 1946, 4' d.) ; P. Paris, L'initiation chrtienne (Paris, 1948) ; P. Camelot. Spiritualit du baptme (Paris. 1960) : J. Danilou, Bible et Liturgie (Paris. 1951) ; H. de Lubac, La foi chrtienne (Paris. 1970. 2' d.).

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    Qu'est-ce que quelques gouttes d'eau ont voir avec le rapport de l'homme Dieu, avec le sens de sa vie, avec son cheminement spirituel ? Telle est la question sur laquelle de plus en plus de gens restent bloqus. Il n'y a pas longtemps, on a mis, parmi des spcialistes de pastorale, l'opinion selon laquelle l'usage du baptme et de l'imposition des mains n'aurait prvalu une certaine poque que parce que la plupart des chrtiens ne savaient pas crire ; si l'poque on avait vcu, comme aujourd'hui, dans une civilisation de l'crit, on aurait la place tabli des documents. D'o la proposition de faire maintenant, enfin, ce qui tait jadis impossible, et d'ouvrir ainsi une nouvelle priode dans l'histoire de la liturgie, ce dont il est grand temps... Les sacrements, anctre de la bureaucratie ? On voit par l quel point le nature des sacrements est devenue, mme pour des thologiens, quelque chose d'tranger. Nous garderons devant les yeux, pendant toute notre rflexion, la question de savoir si le baptme peut ou non tre remplac par autre chose ; mais pour l'instant, essayons d'examiner ce qui est fondamental.

    On baptise en prononant une formule sacramentelle et en versant de l'eau, ou en plongeant dans l'eau. Pourquoi ? Se contenter de dire que Jsus lui-mme a t baptis dans l'eau est important, mais ne suffit pas. Quand on y regarde de plus prs, on voit que cette unit de deux lments, parole et matire, est caractristique du culte chrtien, et qu'elle structure le rapport chrtien Dieu. D'une part, le monde, la matire n'est jamais exclue : la foi chrtienne ne connat pas de coupure absolue entre esprit et matire, entre Dieu et la matire. Cette sparation cartsienne, qui a marqu profondment la conscience moderne, n'existe pas l o l'on croit la cration. Admettre le cosmos, la matire dans le rapport Dieu, c'est confesser le Dieu crateur, c'est confesser l'unit de tout ce qui vient de l'esprit crateur. La foi chrtienne est lie par l aux religions paennes, religions cosmiques qui cherchent Dieu parmi les lments du monde et qui sont ainsi sur le chemin qui mne lui. En mme temps, cette foi exprime l'esprance en la transformation finale du cosmos. Tout ceci devrait nous faire rapprendre le sens fondamental des sacrements. Nous avons beau redcouvrir le corps, glorifier la matire, nous restons encore maintenant profondment marqus par le dualisme cartsien. Nous voudrions laisser la matire en dehors de notre rapport Dieu. Nous la croyons incapable de devenir l'expression de ce rapport ou mme l'intermdiaire par lequel Dieu nous touche. Nous sommes depuis toujours tents de restreindre la religion au spirituel . Et c'est justement parce que nous ne laissons Dieu que la moiti de la ralit que nous suscitons le matrialisme grossier, qui, lui, n'admet pas que la matire soit capable d'tre transfigure.

    Dans le sacrement, au contraire, et c'est ce qui en fait l'originalit, matire et parole forment une unit. Le signe matriel exprime l'unit de la cration, l'intgration du cosmos la religion ; la parole, de son ct, signifie l'intgration du cosmos dans l'histoire. Dj en Isral, on ne (p.10) rencontre pas de rites purement cosmiques, par exemple la danse ou le sacrifice pour les puissances de la nature, comme chez beaucoup de religions dites

  • cosmiques . Au rite s'ajoute toujours l'instruction, la parole, qui l'intgre l'histoire de l'alliance d'Isral avec son Dieu (2). La relation Dieu n'a pas seulement pour base le cosmos et ses symboles ternels, mais l'histoire commune dans laquelle Dieu a guid les hommes sur ses propres voies (3). La parole exprime dans le sacrement le caractre historique de la foi : la foi ne vient pas l'homme comme un moi isol ; il la reoit de la communaut de ceux qui avant lui ont cru et lui ont apport Dieu comme une ralit de leur histoire. Que la foi soit historique signifie la fois qu'elle est communautaire et qu'elle est assez forte pour traverser le temps ; qu'elle peut unir hier, aujourd'hui et demain, dans la confiance au mme Dieu. On peut donc dire aussi que la parole intgre notre relation Dieu le facteur temps, comme l'lment matriel y apporte l'espace du cosmos. Elle apporte en outre les autres hommes qui, dans cette parole, expriment en commun leur foi. L aussi, la structure du sacrement corrige une attitude typique des temps modernes : de mme que nous voudrions ne laisser la religion que l'esprit, nous aimerions ne lui laisser que l'individuel. Nous voudrions avoir trouv Dieu tout seuls ; nous fabriquons une opposition factice entre tradition et raison, tradition et vrit, opposition en dfinitive mortelle. Sans la tradition, sans le contexte d'une histoire vivante, l'homme perd ses racines, et cherche une autonomie qui contredit ce qu'il est.

    Rsumons-nous : le sacrement, forme fondamentale du culte chrtien, englobe matire et parole, c'est--dire donne la religion une dimension cosmique et historique, et nous indique le cosmos et l'histoire comme lieux de notre rencontre avec Dieu. Le fait implique que la foi chrtienne ne supprime pas simplement les formes antrieures de religion, mais les admet une fois purifies, leur donnant ainsi toutes leurs dimensions. La structure double du sacrement, fait de parole et d'une matire, et des origines dans la foi vtrotestamentaire en la cration et en l'histoire du salut, trouvent leur approfondissement et leur fondement ultime dans la christologie : le Verbe devient chair, le rdempteur est en mme temps celui par qui tout a t fait. La matrialit et l'historicit du culte sacramentel est toujours en mme temps une confession de foi au Christ. Elle renvoie au Dieu qui n'a pas rougi de prendre chair et de prendre sur son coeur, dans les peines d'une vie humaine vcue dans l'histoire, le fardeau et l'esprance de l'histoire, comme le fardeau et l'esprance du cosmos.

    (2) Cf. Th. Maertens, Heidnisch jdische Wurzeln der christlichen Feste (Mainz, 1965) ; A. Deissler, Das Priestertum im alten Testament , dans Deissler-Schlier-Audet, Der priesterliche Dienst, I (Freiburg, 1970) pp. 9-80. (3) Cf. J. Danilou, Essai sur le mystre de l'histoire (Paris, 1953). et particulirement la discussion de Ren Gunon.

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    2. La parole dans le baptme : l'invocation de la Trinit

    Revenons au baptme. Pour analyser ce qui se passe en son centre, partons de ce qui se comprend le plus facilement : de la parole, de la formule. Dans sa forme actuelle, c'est : Je te baptise au nom du Pre et du Fils et du Saint-Esprit . Il s'agit, nous aurons le montrer, d'un abrg d'un texte primitif plus riche, et pourtant, on voit dj quelque chose de dcisif : le baptme fonde une communaut de nom avec le Pre, le Fils et l'Esprit. De ce point de vue, il est comparable au mariage, qui cre entre deux personnes une communaut de nom. Cette communaut exprime qu'ils forment dsormais une unit nouvelle, qui les arrache au lieu o ils vivaient auparavant, chacun de son ct, pour les faire habiter l'un avec l'autre. Le baptme produit une communaut de nom de l'homme avec le Pre, le Fils et l'Esprit ; la situation du baptis est ici, d'une certaine faon, comparable celle de la femme dans un rgime patriarcal : il a trouv un nouveau nom, et appartient dsormais au domaine qu'il dfinit. Ce que cela veut dire apparat de faon particulirement marquante dans la controverse de Jsus avec les Sadducens sur la rsurrection (Matthieu 12, 18-27). Les Sadducens ne reconnaissent pas les crits tardifs du canon. Jsus ne peut donc se fonder que sur le Pentateuque. Il fait remarquer que Dieu se prsente Mose comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Dieu s'est li l'homme de telle sorte qu'on peut le distinguer des autres dieux et dire qui il est en disant de quel homme il est le Dieu. On le nomme en nommant des hommes ; les hommes sont comme devenus son nom propre. Abraham, Isaac et Jacob sont ainsi comme des attributs de Dieu. L'argumentation de Jsus se fonde l-dessus : les hommes permettent de nommer Dieu, ils font partie de l'ide de Dieu, ils en sont le nom. Mais Dieu est le Vivant. Ceux qui lui sont lis tel point que Dieu, en les nommant, dcline pour ainsi dire son identit au monde, font partie de lui ; or Dieu est le Dieu des vivants, non des morts.

    Le lien du Fils Dieu est plus profond que celui des patriarches ; le Fils en est le nom, l'identit dans le monde. Il est vritablement attribut de Dieu, et mme il fait partie de Dieu, il est lui-mme Dieu, il en est le vrai nom. Dieu s'appelle dsormais dfinitivement le Dieu de Jsus-Christ. Mais tre baptis signifie entrer dans la communaut du nom avec celui qui est le Nom, et donc devenir bien plus profondment qu'Abraham, qu'Isaac et que Jacob, attribut de Dieu. On comprend par l facilement que le baptme est dj un commencement de rsurrection, qu'il nous introduit dans le nom divin et par l dans la vie indestructible de Dieu.

    On peut encore approfondir cette ide en examinant de plus prs le nom de Dieu. Dieu est appel Pre, Fils et Esprit. Cela veut d'abord dire que Dieu lui-mme existe comme dialogue du Pre et du Fils et comme unit de l'Esprit. Cela veut dire ensuite que nous sommes nous-mmes destins tre fils, entrer dans le rapport Dieu du Fils, et ainsi tre avec le Pre dans l'unit de l'Esprit. Etre baptis serait (p.12) donc tre appel participer la relation de Jsus avec Dieu. On devinerait par l pourquoi on ne peut qu'tre baptis, et pas se baptiser : personne ne peut se faire soi-mme fils. On le devient. On reoit avant de faire. Mais participer la relation filiale, qu'est-ce au juste ? Comment Jsus lui-mme vit-il cette relation ? Les Evangiles nous l'indiquent en nous parlant de la prire de Jsus. Jsus est Fils : cela veut dire avant tout qu'il prie ; qu'au fond de sa vie, mme quand il agit parmi les hommes ou qu'il se repose, il reste ouvert sur le Dieu vivant ; qu'il est toujours l'coute de lui ; qu'il vit son existence avec lui comme une communication dont la profondeur est la source de sa vie. Cette communication peut devenir affrontement : Que cette coupe s'loigne de moi mais pas ma volont, la tienne . Mais c'est toujours lui qui est le ple passif. Le Fils ne dirige pas sa propre existence, il la reoit du fond de son dialogue avec Dieu. Dialogue qui lui donne la libert de s'opposer aux hommes et le rend libre de servir. Dialogue qui, sans cole ni matre, lui fait comprendre l'Ecriture plus parfaitement que tous ceux-ci, comme Dieu lui-mme la comprend.

    Si tre baptis au nom du Dieu trinitaire signifie pour l'homme entrer dans une existence filiale, cette entre, d'aprs ce qu'on a dit, suppose une existence qui ait son centre dans la communion avec le Pre dans la prire. Prier ne veut pas dire seulement rciter des formules de temps en temps, mais que l'homme soit dans une telle ouverture intrieure

  • Dieu qu'il prenne toutes ses dcisions par obissance envers lui, au besoin en luttant avec lui, comme Jacob avec l'ange. Il y a plus : si l'on devient fils d'un tel Pre, on ne l'est pas tout seul. Entrer dans la filiation est entrer dans l'immense famille de ceux qui sont fils avec nous. Aller au Christ, c'est toujours en mme temps aller tous ceux dont il voulut faire un seul corps. On voit dj ici, dans la formule trinitaire, la dimension ecclsiale du baptme : elle ne vient pas s'ajouter du dehors, mais depuis le Christ elle fait partie de l'ide de Dieu. Natre de Dieu, c'est tre introduit dans le Christ total, tte et membres.

    On a dit plus haut que l'homme, en entrant dans une communaut de nom avec Dieu, tait men dans une existence nouvelle, comme s'il naissait nouveau, qu'il tait dj un ressuscit. Mais ce mystre de vie englobe un mystre de mort. Reprenons l'exemple du mariage : la femme, qui prend le nom de son mari, abandonne le sien propre. Elle quitte ce qui lui est propre ; dsormais elle ne s'appartient plus elle-mme. Cet abandon de l'ancien est pour les deux partenaires la condition du nouveau qui s'ouvre eux. Derrire cet acte extrieur de la renonciation son nom, de la perte de l'autonomie, se cache un mystre plus profond, mystre de mort et de vie, celui de l'amour : il n'est pas d'amour vritable sans dpassement de soi-mme et sans abandon de soi-mme. Dire par amour oui un autre implique une radicale renonciation soi-mme. Et c'est seulement l o l'on a risqu cet abandon de soi-mme l'autre, o l'on a pour ainsi dire donn son existence, qu'un grand amour peut crotre. On pourrait donner d'autres exemples. Dire la

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    vrit, soutenir la vrit sera toujours inconfortable l'homme. C'est pourquoi il fuit dans le mensonge pour se faciliter la vie. Vrit et tmoignage, tmoignage et martyre sont en ce monde troitement lis. La vrit est de tout temps dangereuse, si on la maintient jusqu'au bout. Mais c'est dans la mesure o l'homme s'engage dans la passion de la vrit qu'il devient homme. Et dans la mesure o il tient lui-mme, o il se retire dans la scurit du mensonge, il se perd : Qui veut gagner sa rie, la perdra, qui la perd, seul peut la gagner (cf. Matthieu 10,35). Seul le grain qui meurt porte du fruit (cf. Jean 12,24 ss.).

    C'est prcisment de ce mystre de mort dans la vie qu'il est question ici. Etre baptis veut dire prendre le nom du Christ, devenir fils avec lui et en lui. Ce nom dans lequel nous entrons nous impose des exigences plus radicales que peuvent l'tre celles d'aucun nom humain. Elles dracinent notre propre autorit plus profondment que ne peut le faire l'engagement humain le plus profond. Notre existence doit devenir filiale , nous devons tre de Dieu au point d'en devenir attribut . Et comme fils, nous devons nous reconnatre ce point attachs au Christ que nous nous sachions former un corps, une chair avec tous ses frres. Le baptme signifie ainsi que nous quittons notre moi spar, autonome, pour nous retrouver dans un nouveau moi. Il est sacrement de la mort, et donc galement sacrement de rsurrection.

    3. L'arrire-plan de la formule trinitaire : l'interrogatoire comme confession

    Une fois tout cela tir de la formule baptismale, on pourrait passer tout de suite l'examen de l'lment baptismal, de l'eau, qui claire l'aspect de mort et de vie de ce sacrement. Mais il vaut la peine d'approfondir encore le contexte historique de la formule. Il y a longtemps qu'elle n'est plus qu'une formule prononce par le prtre sur le baptis. Mais il n'en a pas toujours t ainsi. Dans l'Eglise ancienne, et jusqu'au IVe ou Ve sicle, elle avait encore la forme d'un

    dialogue. D'aprs la Tradition des aptres d'Hippolyte de Rome (IIIe sicle), qui reprsente un type primitif de baptme, le prtre demande : Crois-tu en Dieu, le Pre, Seigneur du monde ? Le baptis rpond : Je crois , et est plong dans l'eau. Suit une question sur le Fils, analogue la partie sur le Christ de nos Credo, puis une question sur l'Esprit. Et chaque fois le baptis est plong dans l'eau. On oint ensuite le baptis. Ce qui veut dire que la formule baptismale tait dans sa forme la plus ancienne une confession de foi. Et rciproquement, le plus ancien Credo faisait partie du sacrement, tait l'acte concrtement accompli de la conversion, de l'orientation nouvelle de toute l'existence entrant dans la foi de l'Eglise. C'est pourquoi la confession de foi ne pouvait pas plus tre une simple formule la premire personne, que le baptme ne pouvait se limiter la formule du prtre : il fallait un dialogue de foi, une confession, en Je et Tu. On ne se donne pas la foi soi-mme ; essentiellement, elle est (p.14) tablissement de la communication avec tous les frres de Jsus-Christ dans la sainte Eglise, qui seule peut nous la donner. C'est pourquoi elle est question et rponse, appel et acceptation de ce qui est propos. Rciproquement, la conversion ne peut pas tre dcrte d'en haut ; il faut la faire sienne et l'acte seul de donner le baptme ne suffit pas ; il y faut la rponse du Je, qui s'ouvre au Tu et au Nous.

    Il me semble que cette forme dialogale du baptme contenait des intuitions essentielles sur le rapport du prtre au lac, de l'Eglise et des individus. Plus tard, on voit se sparer ce qui ne faisait qu'un l'origine : la formule du baptme devient une simple formule, un acte souverain de donner le baptme, pos comme tel sans que le face face des personnes soit expressment requis. Le Credo devient une simple formule la premire personne, que l'on nonce un peu comme si la foi rsultait d'une recherche philosophique, comme si elle tait une doctrine que l'on fait sienne et que l'on peut possder indpendamment d'autrui. La forme fondamentale du dialogue maintient les deux : la foi comme don d'une Eglise qui me prcde, sans laquelle je ne puis croire, et en mme temps l'incorporation active de celui qui dans l'Eglise devient fils adulte et peut dire avec ses frres notre Pre . Enfin, on voit par-l que le Credo n'a de sens que comme expression de l'acte de se convertir. On ne comprend rien au Credo quand on rclame, comme nagure, des formules abrges de la foi, qu'on voudrait aussi faciles comprendre que des slogans. Le Credo est de par sa structure le contraire exact d'une formule publicitaire. La publicit assaillit l'individu et cherche s'imposer lui, mme contre sa volont. Le Credo, au contraire, ne peut tre prononc qu'en se tournant vers le Fils, le Dieu crucifi, et en prenant sur soi la passion pour la vrit et la promesse qu'elle contient. On revient ainsi ce qui a t dit plus haut sur l'existence filiale, l'Eglise, la mort et la rsurrection.

    4. Avant la confession de la foi : le catchumnat La formule baptismale, qui est en fait un Credo dialogu, suppose un long apprentissage. Il ne s'agit pas seulement

    de l'apprendre et de la comprendre comme texte, il faut la pratiquer comme expression d'une orientation de

  • l'existence. Les deux aspects se conditionnent mutuellement : la parole ne rvle sa signification que dans la mesure o l'on parcourt la voie qu'elle indique ; et rciproquement, la voie ne se montre qu' partir de la parole. Ceci implique que c'est tout le catchumnat, et pas simplement la formule baptismale, qui entre dans le baptme ; si la confession de foi est essentielle au baptme, alors le catchumnat est une partie du baptme lui-mme. Ce que l'on a exprim parla suite en intgrant les tapes essentielles du catchumnat au rite du baptme des enfants : d'abord le sel, signe d'hospitalit, et donc pr-eucharistie, accueil dans l'hospitalit des chrtiens ; exorcismes divers ; apprentissage et rptition du Credo et du Notre Pre, donc des formules chrtiennes centrales et dcisives pour l'instruction du 15

    catchumne. La crmonie renvoie ainsi en avant et au-dessus de soi, elle se place dans le contexte plus vaste du catchumnat, qui fait lui-mme partie du baptme.

    Ce qui veut dire que le catchumnat n'est pas qu'une simple instruction religieuse, mais qu'il fait partie d'un sacrement, et pas comme pralable, mais comme partie intgrante. D'autre part, le sacrement n'est pas qu'une crmonie liturgique, mais un mouvement, un chemin qui engage toutes les forces humaines, raison, volont, sensibilit. La sparation des deux aspects a de grandes consquences : le sacrement est devenu rite, et la parole doctrine, cachant par l une unit qui caractrise fondamentalement le christianisme.

    Qu'entend-on cependant par ce caractre sacramentel du catchumnat ? Nous avons dj dit que dans le Credo dialogu, le contenu essentiel du catchumnat entrait directement dans l'acte central par lequel le sacrement est donn. On peut dans le catchumnat distinguer trois composantes fondamentales que cet acte unifie : d'abord un moment d'instruction, d'apprentissage dans lequel l'essentiel de la foi est mdit et acquis. C'est dans le contexte du catchumnat que la fonction d'enseignement s'est dveloppe, pour mditer la foi et faire de la parole de la foi une rponse comprhensible aux questions de l'homme. Il y a cependant une importante partie de la doctrine dans laquelle l'enseignement dpasse le plan simplement doctrinal : la foi chrtienne est aussi une faon de vivre (c'est ce qu'expriment schmatiquement les dix commandements). L'Eglise ancienne reprit cet effet la doctrine juive des deux voies entre lesquelles l'homme doit choisir. Etre catchumne, c'est s'engager dans la voie chrtienne. Il faut s'engager dans l'hospitalit des chrtiens, ouverte par le don du sel, pour reconnatre que leur communaut fraternelle est le lieu de la vrit. Il faut savoir que Jsus est la voie pour le dcouvrir comme vrit. Rappelons que le sel est symbole de la sagesse, de la sapience, du sens des choses sapides et d'abord de la vrit. Le sage, dit saint Thomas, c'est celui pour qui les choses ont leur vrai got. Rappelons aussi le rle sacrificiel du sel dans l'Ancien Testament : le sel met les choses au got de la divinit. Et depuis le Christ, c'est l'homme lui-mme qu'il faut saler pour qu'il plaise Dieu et y prenne got. Le sel de la passion lui est ncessaire pour entrer dans la voie de la vrit. L'hospitalit chrtienne mne partager la croix, et par l goter la vrit.

    En second lieu, le catchumnat, par lequel on prend une dcision engageant la vie et on s'habitue ses exigences, n'est pas le fait du seul imptrant. La dcision est une entre dans une forme de vie dj donne, celle de l'Eglise de Jsus-Christ. Elle n'est donc pas solitaire et autonome, elle est reue : on prend part la dcision dj prise de la communaut des croyants. Son rayonnement nous guide vers elle. On s'lve peu peu jusqu' la dcision antrieure de l'Eglise. Le catchumnat est sans cesse port parla communaut ecclsiale. Ce qui a t dit sur le caractre passif et actif du dialogue baptismal s'approfondit ici : le (p.16) baptme est, ds le dbut, tre baptis, recevoir le don de la foi. Sur le chemin qui y mne, on est la fois guid et port.

    De qui reoit-on ce don ? D'abord de l'Eglise. Mais celle-ci ne le tient pas d'elle-mme non plus. Elle est donne elle-mme par le Seigneur, et pas seulement dans les temps reculs. Elle ne peut vivre la foi que parce que c'est la foi qui lui donne d'tre. Elle est toujours autre chose qu'une association qui se donne elle-mme ses statuts et dont les activits ne sont que la somme des activits des individus qui en sont membres. Elle se reoit elle-mme toujours de l'extrieur : elle vit de la Parole qui la prcde, du sacrement qu'elle ne peut que recevoir et non produire. Si la foi est un don de l'Eglise, l'Eglise n'existe que comme don du Seigneur. Cela se voit surtout dans les exorcismes : le catchumnat n'est pas seulement apprendre et prendre une dcision, car le Seigneur lui-mme y est l'oeuvre. Lui seul peut vaincre la rsistance des puissances ennemies, lui seul peut nous permettre de nous dcider pour la foi. Les exorcismes sont la troisime ou plutt la premire dimension du catchumnat : la conversion comme don que seul le Seigneur peut faire et que seul il peut imposer notre propre puissance et aux puissances qui nous asservissent.

    5. Le signe de l'eau

    Le geste de l'exorcisme s'achve et se concentre dans le symbole de l'eau. L'exorcisme radical, c'est la plonge dans l'lment de la mort. Nous voici donc enfin la matire du sacrement, et c'est l'analyse de la parole qui nous y a mens d'elle-mme. En bref, l'eau est symbole de mort : pour la Bible, la mort est le sjour du Lviathan, ennemi de Dieu, et exprime le chaos, l'opposition Dieu, la mort. Le salut est victoire sur les eaux d'en bas. C'est en pensant ce symbolisme que l'Apocalypse dit que dans les cieux et la terre nouveaux il n'y aura plus de mer (21,1) : Dieu rgne seul et la mort est vaincue pour toujours. L'eau du baptme peut ainsi reprsenter le mystre de la croix du Christ et rcapituler les grandes expriences de mort et de salut de l'Ancienne Alliance, en particulier le passage miraculeux de la Mer Rouge. Expriences qui prfigurent ainsi la croix, en laquelle elles montrent le centre cach de toute l'histoire du salut (4). On voit par l que la conversion passe par une mort, que la voie de la vrit et le risque de l'amour passent par la Mer Rouge, que la terre promise ne peut tre atteinte qu' travers la passion et la mort de la Vrit. Le baptme est donc plus qu'une ablution, qu'une purification, mme si cet aspect est prsent dans le symbolisme de l'eau. Etre baptis au nom de Jsus crucifi demande plus que ne peut raliser le simple lavement. Le fils unique de Dieu est mort. Seule la puissance inquitante de la mer, seule sa profondeur abyssale correspond la grandeur de ce qui s'est pass. (4) Cf. J. Danilou, Bible et Liturgie (Paris, 1951). 17

  • Le symbolisme de l'eau correspond donc la radicalit de l'vnement. Ce qui s'y droule pntre si loin dans les racines de l'existence humaine qu'il atteint la dimension de la mort : ce n'est pas possible un moindre prix. Et c 'est seulement ce prix que le baptme, que la conversion au christianisme et la vie chrtienne qui s'y fonde atteint les racines de l'interrogation humaine. La question par excellence qui est pose la vie humaine est la mort ; si on n'y rpond pas, on n'a rien rpondre sur rien. Ce n'est qu'en allant jusqu' la mort qu'on arrive la vie. Le christianisme dpasse le niveau des documents signer, plus forte raison celui de l'ablution qui embellit, mais ne va pas au fond des choses. Il se fonde sur le sacrement de la mort ; c'est l que se rvle la vraie grandeur de ce qu'il prtend tre. Qui le ramne au niveau de l'association dans laquelle on entre et de laquelle on reoit solennellement un diplme, n'a rien compris, ni la vie chrtienne, ni l'Eglise.

    Retournons au signe de l'eau. Sa place dans le baptme tient une double symbolique. En ce qu'il reprsente la mer, il est symbole de la mort, de la puissance qui lutte contre la vie ; mais en ce qu'il rappelle la source, il est le signe mme de la vie. L'eau reprsente la mort, mais aussi la vie qui fconde la terre. L'eau est cratrice, l'homme en vit. L'Eglise a trs tt repris le symbolisme de la source en indiquant que l'eau du baptme devait tre vive, courante (5). Vie et mort sont trangement mles : seul le sacrifice vivifie ; seul l'abandon au mystre de la mort mne au pays de la vie. C'est ce que ce symbolisme ambivalent met tonnamment en vidence, en unissant vie et rsurrection en un unique symbole.

    6. Baptme, foi et Eglise

    On pourrait croire avoir perdu de vue le thme initial au profit du seul baptme. Soulignons donc pour finir la manire dont la concentration sur le coeur thologique du baptme l'invocation du Dieu trinitaire nous fait rellement comprendre pourquoi la foi n'existe que dans l 'Eglise, ce que c'est qu'tre chrtien, et comment s 'claire par l l'essence de l'Eglise. On a vu qu'tre chrtien, c'est devenir fils avec le Fils, et que pour croire au Dieu que nous rvle le Fils, il faut appartenir la communion des saints, au corps du Christ. On a vu que l'Eglise, essentiellement, n'a rien d'un appareil bureaucratique, d'une sorte d'association des croyants, mais que dans les sacrements elle atteint une dimension de mort et de rsurrection, et qu'elle ne subsiste qu'en se recevant de Celui qui a les clefs de la mort. On a vu que le baptme est la figure que prend ncessairement l'accs la foi, puisque la foi n'est pas la dcouverte prive d'une communaut dont elle serait le rsultat.

    Approfondissons encore cet aspect, car ici la thologie moderne s'est enfonce dans des culs-de-sac, et justement parce qu'elle n'a pas saisi le

    (4) Didach 7. I (dbut du II' sicle).

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    rapport qui nous occupe, et qui unit le baptme, la foi, et l'appartenance l'Eglise. On trouve dans le Nouveau Testament une srie de textes qui lient la justification de l'homme la foi : Nous sommes

    convaincus que l'homme est justifi par la foi, indpendamment des ouvres de la loi (Romains 3, 28 et cf. 5, 1 ; Galates 2, 16 ; 3,8). De l'autre ct, on trouve des textes qui la lient au baptme, et dans les mmes ptres de Paul : par exemple, quand le baptme est dcrit comme une mort et qu'il est dit : Qui est mort est quitte du pch (Romains 6, 7 ; cf. Galates 3, 26 ss). Moins on comprend la synthse sous-jacente, plus on doit se demander quel rapport il y a entre les deux. Qu'est-ce qui justifie : la foi seule, le baptme seul, ou les deux ? Bultmann reflte l'tat de l'exgse moderne, quand il distingue chez Paul deux concepts de la foi pour soutenir qu'il est difficile de dire que Paul se serait totalement libr de la reprsentation, emprunte aux cultes mystre, d'une efficacit magique du sacrement, bien qu'il n'attribue pas au baptme une efficacit magique.

    Le problme n'est pas rsolu par l, on le voit bien. Les rflexions qui prcdent rendent vidente l'unit interne des deux formules, qui n'en font qu'une. Car la foi comme dcision d'un individu isol n'existe pas. Une foi qui ne serait pas concrtement un accueil dans l'Eglise ne serait pas chrtienne. Etre accueilli dans la communaut croyante, c'est une partie de la foi, et pas un acte juridique surajout. Cette communaut croyante est sacramentelle ; elle vit de ce qu'elle ne se donne pas elle-mme ; elle vit du culte dans lequel elle se reoit elle-mme. Si la foi englobe le fait d'tre admis dans cette communaut, elle consiste donc en mme temps tre intgr au sacrement. Le baptme exprime donc les deux directions vers lesquelles se dpasse l'acte de foi : la foi est don fait par la communaut qui est donne elle-mme. Sans ce double dpassement, c'est--dire sans l'aspect concret du sacrement, la foi n'est pas une foi chrtienne. La justification par la foi demande une foi ecclsiale, c'est--dire sacramentelle, reue et assimile dans le sacrement. Rciproquement, le baptme n'est rien d'autre que la ralisation concrte et ecclsiale de la dcision de confesser la foi, dont un homme a pris le risque et qu'il accepte de recevoir.

    La foi sourd de l'Eglise et mne l'Eglise. Le don de Dieu qu'est la foi englobe aussi bien la proposition faite la volont propre de l'homme que l'action et l'tre de l'Eglise. Personne ne peut dcider par lui-mme que dsormais il sera croyant. La foi est une mort et une naissance, une action passive et une passion active qui a besoin des autres : du culte ecclsial, dans lequel est clbre la liturgie de la croix et de la rsurrection de Jsus-Christ. Le baptme est sacrement de foi ; l 'Eglise est sacrement de foi ; seul celui qui comprend le baptme sait ce que c'est qu'appartenir l'Eglise. Et seul comprend le baptme celui qui garde devant les yeux la foi, qui renvoie de son ct au culte rendu par les serviteurs de Jsus-Christ. 19

    Appendice : le baptme des enfants L'troite association du baptme et du catchumnat laquelle ont men nos rflexions doit faire se demander s'il reste de ce point

    de vue une place pour le baptme des enfants (6). Le baptme, avons-nous dit, a deux composantes : Faction de Dieu et celle de l'homme que Dieu guide en silence vers sa propre libert. Croire que devenir chrtien dpend de la seule dcision humaine, c'est se mettre en danger d'extnuer la composante qui est vritablement premire, l'initiative de Dieu qui m'veille et m'appelle. L'aspect objectif du baptme, dans lequel je suis l'objet de l'action divine qui dpasse ma dcision et mon pouvoir de me dcider, est expos de faon impressionnante dans le baptme des enfants. Mais l'autre aspect, l'aspect proprement humain, ne devient-il pas par l une simple formule contraire aux faits ? N'impose-t-on pas l'homme par avance des dcisions qu'il est seul

  • pouvoir prendre ? Il faut rpondre, mme si l'urgence prise par la question montre que nous ne savons plus trs bien ce qu'est la foi : nous la ressentons comme un fardeau plus que comme une grce. On a le droit de faire cadeau d'une grce, mais on doit se charger soi-mme d'un fardeau.

    Nous y reviendrons. Posons d'abord que le catchumnat appartient au baptme et que cela resta vrai pour l'Eglise mme quand le baptme des enfants devint une pratique universelle. Mais la catchse peut prcder ou suivre le baptme. Dans ce dernier cas, elle doit pourtant tre entame dans l'acte baptismal. Les rites catchumnaux dans la crmonie sont l'anticipation de la catchse dont le point de dpart est l'engagement pris la place de l'enfant par les parents, le parrain et la marraine. On rencontre l deux ides-clefs : reprsentation et anticipation. Reprsentation : parents et amis n'ont pas seulement l'existence biologique de l'enfant entre les mains, mais aussi son existence spirituelle. La vie spirituelle de l'enfant se dveloppe l'intrieur de celle des parents et matres. Gestation bien plus lente que la gestation biologique, dans le sein de la pense et de la volont des parents, puis naissance progressive d'une volont propre. Le moi de l'enfant est l'abri dans le moi des parents. La reprsentation n'est pas une construction thologique, elle est le fond de la destine humaine.

    Cette reprsentation, fonde sur l'influence dcisive de l'amour ou du refus des parents sur la vie de l'enfant, est essentiellement anticipation, parcours anticip de la propre vie de l'enfant. L'anticipation est notre destin vritable, autant que la reprsentation, par laquelle notre vie commence dans la vie d'autrui (7). La vie elle-mme est anticipation : elle nous est offerte sans que nous l'ayons demande. Aujourd'hui o toutes les certitudes s'effritent, la question lancinante est de savoir si la vie humaine est vraiment raisonnable. Peut-on assumer la responsabilit de donner la vie un homme, alors que nous

    (6) Cf. Philippe H. Menoud, Le baptme des enfants dans l'Eglise ancienne dans Jsus-Christ et la foi (Delachaux et Niestl, 1975), pp. 219-231. (N.D.L.R.).

    (7) On porte donc atteinte au centre mme quand on efface de fait, comme le font les nouveaux rituels, l'ide de substitution, et qu'on ne demande plus aux parents de confesser par anticipation la foi de l'enfant, mais de rappeler par leur Credo leur propre baptme. Les formules restent les mmes, mais leur sens est boulevers : si le Credo est une remmoration, ses formules n'ont plus de rapport interne avec le baptme de l'enfant. La rduction systmatique des rites catchumnaux ale mme rsultat. Si l'on supprime ainsi l'ide de reprsentation, on ne peut plus lgitimer le baptme des enfants. Sous sa nouvelle forme, le rite est plus immdiatement comprhensible, mais quel prix !

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    ne savons nullement les souffrances qui peuvent l'attendre ? Et de fait, si l'on pose la question cette profondeur, on sera oblig de dire que le don de la vie n'est,dfendable que si l'on peut donner plus que la vie, que si l'on est mme de donner un sens plus fort que la mort et les souffrances inconnues qui attendent l'homme et peuvent transformer le simple fait de vivre en une maldiction.

    Laissons pour l'instant de ct ces questions dernires, qui certes sont dcisives, pour nous rendre conscients de ce que nous ne pouvons viter qu'on nous fasse des dons par avance. Dons qui, quelle qu'en soit la forme, accompagnent le don de la vie, marqu par l'ascendance et le milieu. Refuser de donner quoi que ce soit l'enfant sur le plan spirituel serait justement une donne d'un poids dcisif. La question ne peut donc tre de savoir si l'on a en gnral le droit de donner. Puisque ces dons sont invitables, on peut seulement se demander lesquels sont dfendables devant la libert, la dignit, le droit inalinable de la personne. La rponse est contenue dans la question : il faut chercher les dons qui correspondent le moins une volont arbitraire, le plus au don premier de la vie mme et sa dignit, ceux qui mettent le moins la vie future au service de ce qui lui est tranger, ceux qui l'ouvrent le plus sa libert propre, ceux qui rendent l'homme humain.

    Qui a la foi chrtienne est convaincu que c'est bien la voie de la foi qui est la meilleure possible et donc celle dans laquelle il a le devoir d'engager ses enfants. L'Eglise de Dieu devient le cadre historique, le milieu dans lequel nous rencontrons l'histoire de Dieu avec les hommes, histoire qui en Jsus-Christ, l'homme-Dieu, est la vraie libration de l'homme pour lui-mme. C'est en se donnant celui qui par sa crucifixion et sa rsurrection a entre les mains les clefs de la mort, que l'on reoit par avance le sens qui seul peut rsister la menace d'un futur inconnu. La polmique sur le baptme des enfants est le signe du degr auquel nous avons perdu de vue l'essence de la foi, du baptme et de l'appartenance l'Eglise. Quand nous recommencerons les comprendre, il nous semblera vident que le baptme ne consiste ni se charger soi-mme d'un fardeau, ni tre inscrit une association o l'on serait introduit de force, mais recevoir, par grce, ce sens qui seul peut nous donner la joie, au milieu d'une humanit en crise et qui doute de soi. On verra que le don de la foi est un vrai cadeau. On verra que le sens du baptme s'vanouit quand il n'est plus saisi comme don, mais comme rite referm sur soi. L o la voie du catchumnat en est totalement spare, l est la limite de sa lgitimit.

    Joseph RATZINGER.

    (Traduit de l'allemand par Rmi Brague)

    Joseph Ratzinger, n en 1927, prtre en 1951. Thses sur saint Augustin, puis sur saint Bonaventure. Professeur de dogmatique Mnster, Tubingue, puis Ratisbonne. Membre de la Commission Thologique Internationale. Parmi ses publications rcemment traduites : Foi chrtienne, hier et aujourd'hui (Mame, Paris, 1969), Le nouveau peuple de Dieu (Aubier, Paris, 1971).

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  • Jacques GUILLET :

    L'accs l'Eglise

    selon les Actes des aptres Comment l 'Egl i se de Jrusalem s 'es t progress ivement ouverte tous, Juifs et paens.

    IEN que ce titre l'accs l'Eglise ne rponde pas exactement au l a n g a g e d e s A c e s d e s . A p t r e s , l a r a l i t q u ' i l e x p r i m e t i e n t nanmoins dans ce livre une place exceptionnelle, et constitue une de ses lignes matresses. Le rcit des Actes est en effet construit selon une progression gographique, une avance constante de l'vangile par tapes

    successives, de plus en plus audacieuses : Jrusalem (ch. 1 7), la Samarie (8,1-26), Gaza et le Midi de la Palestine (8,26-40), Csare (8.40 ; 10 et 11), Damas (9.2-22). Antioche de Syrie (13,1) , Chypre (13.4-12) , la Pamphyl ie et la Pisidie (13, 13s) , Philippes en Macdoine (16,12-40), Thessalonique (17.1-9), Bre ( 17,10-15), Athnes (17,15-34), Corinthe (18,1-18). Ephse ( 19.1-40), Rome enfin, o Paul, quoique prisonnier, proclame le Rgne de Dieu avec une entire assurance et sans entraves (28.31). Le progrs de l'vangile, c'est d'abord son annonce porte toujours plus avant, jusqu'aux extrmits de la terre (1.8).

    Or cette annonce de la Parole, qui est chaque fois mise en premire place et a priorit sur tout le reste, rpond rgulirement une indication de l'auteur notant l'effet produit. Et toujours cet effet consiste en ce que des hommes deviennent croyants , ou s'adjoignent aux croyants, ou rejoignent les prdicateurs de la foi et reoivent le baptme . Il vaut la peine de reprendre les moments successifs de cette expansion, et de noter les expressions du rcit. On y retrouve constamment les trois lments : la parole de l'vangile, la foi qui la reoit, et le geste d'adhsion la communaut, le baptme, le plus souvent not expressment, certainement suppos quand il n'est pas nomm.

    A Jrusalem trois mille mes se joignirent eux (2, 41), chaque jour le Seigneur leur adjoignait ceux qui trouvaient le salut (2,47) et des multitudes de plus en plus nombreuses se ral l iaient au Seigneur (5, 14 ; cf. 6,7). En Samarie, beaucoup, ayant cru Philippe qui leur annonai t l 'vangile... reurent le baptme, hommes et femmes (8,12 ; cf. 8.25). Sur la route de Gaza, (p.22) l'eunuque d'Ethiopie reoit le baptme des mains de Philippe (8,26-38). A Damas o se trouvent dj quelques adeptes de la Voie (9,2), Paul, converti directement par le Seigneur, reoit le baptme en prsence d'Ananie (9,18). A Csare, Pierre fait baptiser le centurion Corneille et sa maison (10,48). A Chypre, frapp par les gestes de l'Esprit qui accompagnent Paul et ses compagnons, le proconsul romain embrasse la foi (13, 12). A Antioche de Pisidie un bon nombre de Juifs et de proslytes se mettent la suite de Paul et de Barnab (13,43 ; cf. 13,51). A Iconium, des Juifs et des Grecs en grand nombre embrassrent la foi (14,1). A Philippes en Macdoine, Lydie et sa maison, d'autres frres galement, enfin le gardien de la prison et sa famille reoivent leur tour le baptme (16,15-33-40). A Thessalonique Paul et Silas gagnent la foi certains des Juifs... ainsi qu'une multitude de Grecs dj proslytes, et bon nombre de femmes de la haute socit (17,4). A Bre, plus accueillants que ceux de Thessalonique, beaucoup de Juifs devinrent croyants, ainsi que des femmes de haut rang, et des hommes en nombre apprciable (17,12). A Athnes, de la foule des sceptiques et des railleurs, se dtachent quelques croyants parmi lesquels Denys l'Aropagite et une femme nomme Damaris (17,34). A Corinthe, malgr les passions et les oppositions, beaucoup de Corinthiens, en coutant Paul, devenaient croyants et recevaient le baptme (18,8). A Ephse enfin, par la force du Seigneur, la Parole croissait et gagnait en puissance (19,20), ce qui videmment suppose un afflux de croyants. Mais du jour o Paul quitte Ephse jusqu' son arrive Rome, il n'est plus question de fondations d'glises, de baptmes et d'accs la foi. Si l'aptre parle encore, ce n'est plus pour annoncer l'Evangile, c'est pour faire ses adieux ses amis, ou pour se justifier devant les tribunaux. Ce n'est plus le temps des conqutes et des crations, c'est l'heure de la Passion, l'heure de monter Jrusalem pour y souffrir la suite du Seigneur (21,11-14), les procs et la prison, jusqu'au jour o parvenu enfin Rome, comme il le dsirait tant (Romains 1, 11-15 ; 15,22-29), Paul prisonnier fera l'exprience que mme en captivit la parole de Dieu n'est pas enchane (2 Timothe 2,9).

    Si l'adhsion l'glise de nouveaux croyants, qu'ils viennent du Judasme ou du monde paen, est pour l'auteur des Actes un fait aussi important, si plus d'une fois il tient prciser le nombre plus ou moins grand, l'origine ethnique ou sociale et jusqu'au nom de ces convertis et de ces baptiss, peut-tre pouvons-nous l'interroger sur des aspects plus difficiles et plus complexes, mais qui touchent de prs aux prcdents. Puisque l'accs l'Eglise est une donne essentielle des Actes, pouvons-nous leur demander en quoi consiste cet accs, par quels chemins on s'y rend, quelles expriences s'y vivent, chez ceux qui sont reus, et chez ceux qui les reoivent ?

    Plus les questions se font prcises, moins sans doute il faut s'attendre des rponses trs nettes. Les textes sont souvent trop rapides et trop schmatiques pour autoriser des formules rigoureuses. Il semble toutefois que, sans leur faire violence, on puisse tracer quelques axes majeurs. Pour les mettre en lumire, on suivra simplement le mouvement du rcit, si visible travers le livre et l'on regardera successivement :

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    B

  • 1) l'accs ouvert aux Juifs par Pierre (ch. 2 5) ; 2) l ' exprience de Paul et son retent issement sur l 'accs des Juifs (ch. 9 et 13) ; 3) l'exprience de Pierre et l'accs des paens (ch. 10, 11 et 15) 4) l'accs ouvert par Paul aux paens (ch. 15 19).

    1. L'accs ouvert aux Juifs par Pierre

    Les p remi ers mots d e l 'g li se , quand e l le appa ra t f ace aux h ommes, son t p o u r a p p e l e r l e s J u i f s d e J r u s a l e m r e j o i n d r e l e s d i s c i p l e s d e J s u s : Convertissez-vous : que chacun de vous reoive le baptme au nom de Jsus Christ pour le pardon de ses pchs, et vous recevrez le Saint Esprit (Actes 2,38). Tous les mots portent, et ont un sens prcis. Pierre, qui les prononce. ne parle pas seul, mais avec les Onze (2,14) et en vertu d'une exprience qu'ils ont fai te ensemble. Exprience double mais uni fie : cel le de Jsus, qu ' i ls ont connu mortel et qu ' i ls ont vu ressusci t, celle de l 'Espri t , qui leur donne de faire de nouveau retentir, devant Jrusalem, la parole que Caphe et le Sanhdrin ava ien t c ru tein te jamais. Parce qu ' i ls son t tmoins de Jsus , parce que sa mort et sa rsu rrection prouvent qu'i l est le Messie donn par Dieu son peuple, leur mission est imprieuse et ils ne peuvent s'y drober : i ls doivent annoncer Isral cet vnement qui est le sens de toute son histoire, l 'accomplissement de sa vocation. S'ils se taisaient, ils trahiraient la fois leur Matre et leu r peuple. Il faut donc prendre la parole devant Jrusa lem, puisque c 'est devant Jrusa lem que Jsus a t rejet comme Messie. Et il faudra bientt (ch. 3, 4 et 5) prendre la parole devant le Sanhdrin, puisque c 'est le Sanhdrin qui a pris la responsabilit de rejeter ce Messie-l.

    A Jrusalem et au Sanhdrin, il faut aller dire deux choses insparables : qu'ils ont pch, et que Dieu leur pardonne. Ils ont pch, non pas en pleine lumire (3,17), mais ils ont mconnu les signes que Dieu leur donnait (2,22 ; 3,14). De ce pch, loin de ti rer vengeance, Dieu fait sort i r au contraire le pardon suprme. En ressuscitant Jsus, le Saint , le Juste, l ' Innocent, i l lui donne d'tendre tout Isral son action de salut. Ce serait manquer la loyaut de dissimuler leur faute aux gens de Jrusalem, qui sont tous responsables, la mesu re de leur place et de leur pouvoir, et pour la plupart sans doute par leur si lence. Ce serait t rahir leur peuple que de ne pas lui annoncer l ' immense nouvel le : i l es t sauv en Jsus Christ.

    S' i l est sauv, i l a quelque chose faire : se convert ir et recevoir le baptme. Se convert ir , c 'est videmment logique : ayant mconnu Jsus, n 'ayant pas su accueillir en lui le Messie de Dieu, il faut confesser son erreur, regarder d'un oeil neuf celui qu'on avait rejet ou mpris, reconnatre tout ce qui se cache dans ce refus, d 'orguei l bless, de lchet, de faiblesse ou de cruaut. Moins naturel le est la seconde exigence : Faites-vous baptiser au nom de Jsus . Ici en effet, c'est l'Eglise qui intervient, et il importe de savoir pourquoi.

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    Croire en Jsus Messie

    La ra i son es t l a mme : c ' es t qu e Jsu s es t l e M essi e. Mais e l le es t moin s v i s i b le au r ega rd e t a b eso i n d ' t r e exp l i q u e . E t re l e M ess i e , c e n ' es t p a s simplement pour Jsus tre envoy accomplir une mission libratrice pour son p eup le, j ouer dan s l 'h i s t oi re d ' Is ra l un r le d e sau veur . S ' i l s ' t a i t p rsen t comme un M essi e d e ce t yp e, i l au ra i t pu t re rej e t pa r les n otab les d e son peuple, i l aurai t pu t re supprim comme dangereux poli t iquement : i l n 'aurai t pas t condamn pour blasphme, titre religieux. Mais tre le Messie n'est pas un rle que Jsus vien t jouer, c 'est son tre mme, et c 'est en tant ce qu 'i l est qu ' i l est le Messie, le Sauveur de son peuple. Les d iscours de Pierre dans les Actes ne prononcent jamais le nom de Fils de Dieu, et ce silence est peut-tre un s igne de leur or igine archaque. Mais i ls met ten t tous en lumire la rela t ion unique et personnelle qui rattache Dieu son Saint (2.27), son Serviteur (3,13), son Messie (3, 18). Dans la personne de Jsus, c'est

    . Dieu lui-mme qui se rvle et se

    livre, et celui qui rejette Jsus rejette du mme coup Dieu son Pre. Il s 'ensuit qu'accueillir Jsus, non pas tel qu'on le rve mais tel qu'il est, c'est accueillir Dieu. Or on ne peut accueilli r Dieu que

    dans la foi, en se livrant lui. C 'est pou r quoi , quand Jsus parai t dans le monde, i l demande la foi . Quand i l pardonne les pchs , quand i l p roc lame la Loi nouvelle, quand i l appelle des disciples le suivre, i l demande aux hommes l 'adhsion qu'on donne Dieu. Et parce qu 'i l vient en Messie d ' Is ral, au nom du Dieu d 'Abraham, apportant aux enfants d 'Abraham le salut promis leur pre, i l demande une adhsion de foi qui n 'est pas la ract ion personnelle d 'un individu part iculier, mais l 'expression de la foi du peuple. L'importance capitale de la confession de Pierre Csare de Philippe, Tries le Christ (Mac 9,27), c'est qu'en la prononant, Pierre ne s'y engage pas seulement au nom des Douze qui l 'entourent . mais qu 'il di t , si c 'est v ra i , qu e lq u e chose q u i vau t p ou r t ou t Is ra l . En un sen s , l a con fess i on d e Csare est la premire parole prononce par l'Eglise : pour la premire fois, des hommes disent qui est Jsus, et puisque celui-ci confirme qu'ils disent la vrit, ils disent ce qui est vrai pour tout leur peuple, pour toute l'humanit.

    Il est donc naturel que les aptres, du moment que la rsurrect ion est venue confirmer leur foi et les convaincre que Jsus est le Messie d 'Isral, en t i rent la conclusion logique : i l faut que Jrusa lem, i l faut que le monde juif tout entier vienne les rejoindre et partager leur foi, i l faut qu' Isral, pour rester lui-mme, devienne la communaut de Jsus Messie.

    Recevoir le baptme Pour cela, il faut que chacun de vous reoive le baptme au nom de Jsus. Chr is t . Cet t e con di t i on p eu t su rp ren d re : e l l e

    es t en ra l i t pa r fa i t ement c o mp r h en s i b l e . C r o i r e en J s u s , p ou r u n J u i f , ap r s c e q ui s ' e s t p a s s Jrusa lem e t la d c is ion du Sanhd rin , c ' es t n cessa i rement d savou er cet t e dcision , et ce dsaveu est forcment public. Il ne met pas en dehors d ' Is ral , puisqu ' i l es t fa i t dans la foi d ' Is ra l , mais i l fa i t p rendre posi t ion cont re les responsables du Sanhdrin. Du moment que Jsus le Messie s 'est fai t reconnait re p a r u n gr ou p e d e d i sc i p l e s . on n e p eu t l e con n a t r e q u ' en r e j o i gn an t c e (p .25) groupe, en partageant sa foi. On ne peut croire en Jsus Messie titre simplement personnel, il faut entrer dans sa communaut.

    Or, au temps de Jsus, entrer dans une communaut de ce type, sans sortir du peuple juif, adhrer une foi qui unit des Isralites dans la certitude de vivre l'vnement dcisif de l'histoire, la venue de Dieu, cela se faisait dans un geste significatif : le baptme.

  • Les Essniens le pratiquaient Qumran, Jean Baptiste le donnait ceux qui recevaient son message, il l'avait donn Jsus, et ce baptme avait prcisment marqu le point de dpart de son action publique, de celle o il avait engag ses disciples. Il tait normal que ceux-ci, dcouvrant qu'ils taient l pour la continuer, reprennent leur tour ce geste traditionnel et expressif.

    Mais ils ne peuvent le faire qu'en un sens absolument nouveau. Dj le baptme de Jean tait prophtique : il exprimait

    bien autre chose que l'attente, et dj la promesse de la venue imminente de Dieu ; c'est pourquoi il venait du ciel (Marc 11,30). En Jsus, Dieu tait venu, Dieu avait rassembl son peuple autour de son Messie. Et la communaut ainsi runie, chaque fois qu'elle accueillait un nouveau croyant, devait signifier, en l'admettant au rite d'initiation, qu'elle ne pouvait le poser qu'au Nom du Seigneur Jsus. Lui seul pouvait amener la foi, comme nagure il avait conduit les siens jusqu' la confession de Csare, jusqu' l'adhsion du dernier repas ; lui seul pouvait introduire dans sa communaut, celle-ci ne pouvait baptiser qu'en son Nom.

    Vous recevrez le Saint-Esprit

    Le baptme n'est encore qu'un moyen ; le but est le Saint Esprit, et ce n'est pas l'Eglise qui le donne. Mme quand Jsus en personne, au temps de sa vie terrestre, initiait ses disciples la communaut de foi, il ne faisait encore que les prparer au Don suprme, l'exprience de l'Esprit. Ceux-ci maintenant l'avaient vcue, ils avaient retrouv dans ce don tout ce qu'tait Jsus, tout ce qu'ils avaient reu de lui, mais sortant maintenant d'eux-mmes, devenu leur certitude, leur action, leur force.

    Or ce don, du fait justement qu'il n'tait pas venu du Jsus encore mortel, mais du Christ ressuscit, de la zone divine o il vivait auprs du Pre, ce don n'avait besoin d'aucun intermdiaire, il ne pouvait venir que directement du Seigneur, mais tous pouvaient le recevoir, s'ils adhraient la foi de l'glise et son baptme. Alors, il n'y aurait plus de distance entre les disciples d'autrefois et les croyants d'aujourd'hui. Par l'Esprit, tous communieraient dans une exprience unique.

    2. L'exprience de Paul Le chemin propos par Pierre aux Juifs de Jrusalem tait logique : dsavouer leur geste homicide, croire en Jsus-Christ et

    rejoindre ses disciples, recevoir le baptme et attendre l'Esprit. La conversion de Saul sur la route de Damas est la fois la confirmation de cette logique et la dmonstration de la souveraine libert de Dieu.

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    Saul, qui court Damas pour enchaner et amener Jrusalem, pour les faire punir (Actes 22,5), les chrtiens de la ville syrienne, est un partisan farouche de Dieu (22,3), dbordant de zle pour les traditions de (ses) pres (Galates 1,14). Le christianisme est pour lui la ngation de la Loi et la destruction d'Isral ; au nom de sa foi, Saul voue ses forces l'exterminer. Terrass sur le chemin, il dcouvre le Seigneur, Jsus prsent en ceux qu'il perscute, vis par sa frnsie ; il dcouvre aussi l'impasse o l'enferme son culte de la Loi, le contresens qu'il commet sur Dieu et sa volont ; enfin, il dcouvre sa vocation d'aller annoncer l'Evangile aux paens. Trois dcouvertes qui se tiennent : s'il faut, pour plaire Dieu, renoncer la fiert que procure la pratique scrupuleuse du judasme pour accueillir la figure de Dieu en Jsus Christ, il s'ensuit que les Juifs ne peuvent plus se prvaloir de leur supriorit, et que les paens, en reconnaissant Jsus dans la foi, sont destins eux aussi au salut de Dieu.

    La conversion de Paul est exactement celle que Pierre demandait aux Juifs de Jrusalem : sacrifier l'ide qu'ils se font de leur vocation pour accueillir l'image que Dieu leur en donne dans la personne de Jsus son Messie. Ce sacrifice apparemment blasphmatoire, le Christ Damas donne Paul de l'accomplir. Il lui donne aussi d'en pousser jusqu'au bout la logique interne, jusqu' une conclusion qui n'apparaissait pas encore Pierre. Celui-ci ne pensait qu'aux Juifs parmi lesquels il avait toujours vcu, au peuple qui tait le sien et qui tait aussi le peuple de Dieu, aux notables et aux responsables de Jrusalem. Jsus, mme s'il avait une fois ou l'autre dpass les frontires de la Palestine, n'avait jamais fait sortir ses disciples des horizons du judasme, et Pierre appartenait toujours ce monde. Paul, peut-tre parce qu'il connaissait mieux le monde paen, et qu'il avait toujours situ

    sa propre foi par rapport ce monde, tire lui-mme les consquences de sa vision : qu'ils soient juifs ou paens, pour tous ceux qui croient, il n'y a pas de diffrence ; tous ont pch, sont privs de la gloire de Dieu, tous sont gratuitement justifis... en Jsus-Christ (Romains, 3,23s).

    Ce que Paul dcouvre sous l'action directe du Seigneur, il le transforme en gestes concrets. A Damas, il prend contact avec la communaut des disciples, il reoit d'Ananie l'imposition des mains et se trouve la fois guri de sa ccit et rempli du Saint Esprit. Comme Jsus sur la route, l'Esprit dans la maison manifeste sa priorit sur tous les gestes de l'homme. Mais il ne dispense pas Paul

    du baptme (Actes 9, 17s), car Paul doit apprendre, de ceux qui ont vcu avec lui, ce que fut Jsus de Nazareth, le crucifi ; il doit recevoir d'eux la tradition de la Cne (1 Corinthiens 11, 23s) et de la Rsurrection (1 Corinthiens 15,3s) ; il doit tre initi l'annonce de l'vangile, il doit communier dans la foi de l'glise. Alors, il sera prt pour aller porter au bout du monde la Bonne Nouvelle du Salut.

    3. L'exprience de Pierre Csare. Ce que Dieu fit vivre Paul dans un saisissement qui le prit tout entier, corps, coeur, esprit, et le lana d'un seul lan la conqute

    du monde, il le donna (p.27) ga l emen t v i vr e P i e r r e , s ou s u n e f orm e a s s ez d i f f r en t e , m oi n s b ru t a l e ap pa remmen t , ma is n on moin s rad i ca le . Les Actes (ch . 10 e t 1 l ) r acont en t comment une succession d 'aven tures droutantes l 'amenrent , sans qu 'i l l 'a i t ni prvu, ni voulu, mais par docilit aux faits et aux signes de Dieu, admettre les premiers paens dans l 'Eglise en baptisant un officier de la garnison romaine de Csare, le centurion Corneille et sa maison.

    L'un des mots cls de l 'histoire est la maison. Il y en a deux au dbut : celle de Simon, le corroyeur Jopp, o loge Pierre ; celle o habite Corneille Csare. L 'u n e es t j u i v e , l ' au t r e es t o ccu p e p a r d es p a en s . Qu e l l e q u e so i t l a s ym pathie et la gnrosit de Corneille pour les Juifs, il est paen, et leurs portes lui r e s t en t f e r m es . P i er r e lu i -m me c on t i n u e p en se r , co mm e t ou t le mon d e autour de lui, que c'est un crime pour un Juif que d'avoir des relations suivies ou mme quelque contact avec un tranger , (10,28). Mais Dieu commence par branler doucement cet te cert i tude. Tandis qu 'i l suggre Corneil le d 'envoyer d eu x h ommes Jopp ch erch er Pier re , i l a t t ein t c e lu i -c i pa r un e vis i on grandi ose : un e t ab le i mmen se , d res se p ou r un repas comp os d e met s d e t ou t e na tu re , y comp r i s d e ceu x q u i son t in t erd i t s au x Ju i f s ; avec u n e in s i s tance rpte, Pierre est invi t se servi r. Sans comprendre encore le sens de cet te vi s ion, Pierre cependant es t dj touch, et quand les envoys de Cornei l le se p rsen t en t , i l l eu r ou vre la mai son et l eur fa i t o ff r i r l 'h osp i ta l i t . Ar r i v Csare, i l ose, la surpr i se de ses compagnons jui fs , f ranchi r le seu i l d 'une maison paenne et entrer chez Corneille.

  • Ce double geste d'hospital it , donne Jopp, reue Csare, est tellement important dj que, pour l 'expliquer, Pierre reprend les thmes qu'i l dveloppait Jru sa lem p ou r app eler l es Ju i f s la fo i . La s i t ua t i on es t t ou t e d i f f ren t e c ep en d a n t : C or n e i l l e n ' a au cu n e r e s p on sab i l i t d an s l a m o r t d e J su s , e t Pierre ne l ' invite pas une conversion qui serai t un dsaveu de sa conduite. Et pourtant l 'vnement et la personne de Jsus intressent directement les paens. L'vangile, le message de bonne nouvelle que Dieu a fait entendre Isral, es t adress tous les hommes ; la pa ix que Jsus Chris t apporte son peuple es t galement destine aux paens.

    Les raisons sur lesquelles s 'appuie Pierre pou r proclamer cette vri t capitale sont esquisses p lutt que dveloppes (10,34-43), s i bien qu 'i l n 'es t pas t rs faci le d 'apprcier leur porte et de ressaisir-leu r logique. On peut seulement les numrer, et faire appara tre le li en qui les unit . Au point de dpart , i l y a une a f f i rmat i on , d j vcu e en Is ra l : Di eu n ' es t pas pa r t ia l , i l n e se la i sse pas influencer par les si tuations humaines, les diffrences personnelles, sociales ou nationales (Deutronome 10,17 ; Ecclsiastique 35.13), et s'il a Une prfrence, c 'est pour le pauvre et l ' tranger. Il s ' intresse tous les hommes, o qu 'i ls se trouvent, et accueille, d'o qu'il vienne, , quiconque le craint et pratique la justice (10,35) . Le sens jus te de Dieu, la just ice envers les hommes, qui fa i t traiter chacun selon ses besoins essentiels, voil ce qui compte ses yeux. A ces donnes de base, la venue de Jsus-Christ a ajout des lments nouveaux : son message, qui tait paix et bonne nouvelle, son action. qui tait tout entire de bienfaisance et de service, sa mort et sa rsurrection qui l'ont mis en position de Seigneur des Juifs et des paens, de Juge des vivants et des morts. Sous des (p.28) formules apparemment strotypes, on peut percevoir une intuition trs nette : l e p erson nage e t l a mi s s i on d e Jsu s , dans u n cad re res t Ju i f , a t t e i gn en t le n i v eau u n i ve rs e l o se r en con t r en t t ou s l es h omm es , e t s a r su r r ec t i on , en l ' l evan t au ran g d e Di eu , l e met e f f ec t i vem en t en re la t i on d i rec t e av ec la conduite et le destin de tous les hommes, quelle que soit leur place dans l'histoire humaine.

    A ces traits universels qui caractrisent Jsus et son action, rpond. du ct de l'homme, une dmarche qui passe elle aussi par dessus les races et les frontires, hi foi Le pardon des pchs est accord par son Nom (Jsus) ci quiconque met en lui sa.foi (10,43). Ici la relation avec l'exprience de Pierre en milieu juif est immdiate. C'est la foi que Jsus attendait de tous ceux qu'i l trouvait sur son c h em i n ; c ' e s t l a f o i q u e P i e r r e ch e r ch a i t v e i l l e r ch ez s e s au d i t eu rs d e Jrusalem. La foi en Jsus, si el le n 'est pas, comme le rvaient ceux qu 'i l avai t d u s , l a p roc lamat i on d 'u n M ess i e d e gran d eu r h uma in e , ma is l ' adh s i on Di eu d an s la p e r s on n e d e s on Ch r i s t , c e t t e f o i n ' e s t p a s r s e r v e I s r a l puisqu'elle accueille prcisment un Messie qui fait clater les horizons o Isral risque de s'enfermer. La figure de Jsus n'est la proprit de personne : il tait le premier la dfendre contre toutes les mains-mises, fussent-el les celles de ses proches. Celui qui est capable de le reconnatre tel qu'il se donne et de croire en lui, celui-l a trouv Dieu.

    Pourquoi le baptme ? Tandis que Pierre est en train de dcouvrir ces perspectives inattendues. et de dvelopper ces thmes, l'Esprit, soudain, sa manire

    irrsistible, est tomb sur ses auditeurs. Ils n 'ont p lus besoin d 'exp licat ions, i ls vivent eux-mmes ce que leur dcrit Pierre. Et celui-ci retrouve en eux les expriences qui caractrisent la communaut de Jrusalem. Il n 'y a donc p lus de diffrence entre ces paens de Csare et la communaut-mre. La solut ion s ' impose : i l faut les baptiser. Du moment que Dieu leu r a donn les dons qu 'ont reus les chrt iens de Jrusa lem venus du judasme, du moment qu'il se donne dans une exprience directe, ces hommes venus du paganisme, Pierre ne peu t leur refuser le ges te qu i fa i t les ch r t i en s , l e r i t e p a r l eq u e l on en t r e d an s h i com mu n au t d es c r o yan t s , l e baptme.

    Le baptme prend ainsi une figure complexe et soulve une question. S' i l est donn des hommes qui ont reu l'Esprit Saint et qui rien ne manque, i l parait n'tre qu'un rite obligatoire sans grande porte. Si pourtant Pierre se sent oblig de le faire donner et s'i l veille dans la communaut de Jrusalem une critique si violente, il faut qu'on ait vu dans ce geste autre chose qu'une formalit rituelle.

    A la q u es t i on p ose en ces te rmes , l es Actes n ' app or t en t p a s d e rp on se prcise. Il semble toutefois qu'ils en suggrent une. D'une part, il est conforme tou t e leu r d oc t r i n e qu e le b ap t me n ' es t qu 'u n moyen , un momen t d an s un e exp ri ence qu i n ' es t pas comp lt e san s la p rsence p eru e d e l 'Espri t Sa in t . D'au t re par t , le bap tme, r i t e constant et ob ligatoi re d 'en t re dans la communaut, est toujours donn au nom de Jsus , c'est dire qu'il est tout autre chose qu 'un ri te inst i tu par le groupe, une formali t d 'accs. C'est un ges te du Seigneur lui-mme, excut par des hommes sous la forme d'un rite, mais dont (p.29) l'effet et la puissance sont celles de Jsus lui-mme. Cet effet divin ne peut tre simplement d'agrger un groupe d'hommes rassembls par un souvenir, un idal ou des convictions communes. Acte de Jsus Seigneur, le baptme est la fois un geste d'hommes initiant des nophytes leur rgle de vie, et un geste de Dieu introduisant dans son propre monde, dans une rencontre avec lui, dans une exprience vcue ensemble autour de lui, celle de la foi, celle de I :Eglise. Si l 'Esprit donne aux paens de Csare de vivre ce que vivent les croyants de Jrusalem, il faut que ceux-ci ouvrent ceux-l l'accs la foi. Or la foi est reue ensemble d'une parole entendue ensemble et comprise dans une langue d'hommes, l'vangile. L'vangile, une suite d'vnements vcus par des tmoins, une srie de paroles entendues et transmises ; l 'vangile , qui ne peut tre reconst i tu aprs coup ni recompos par l ' intel l igence ou l ' imaginat ion ; l'vangile, cette ralit singulire, qui ne peut provenir que d'une communication humaine ; l'vangile annonc, entendu, reu dans la foi. Telle est l'glise, tel est le baptme, telle est l'exprience que la dcision de Pierre ouvre aux croyants de Csare.

    4. Paul et l'entre des paens dans l'glise

    Le geste de Pierre tait dcisif. Il donnait l'glise sa figure authentique ; il abolissait les limites qui enserraient dans sa Loi le peuple d'Isral ; il dtruisait le mur que la haine dressait entre les Juifs et les paens (Ephsien.s 2,14s) ; i l largissait le peuple de Dieu aux dimensions de l'humanit et faisait entrer l 'humanit dans le peuple de Dieu. Paul n 'apporte pas cette dcouverte fondamentale de donnes essentiellement nouvelles. Mais i l lui apporte sa propre exprience et sa personnalit.

    La diffrence visible entre Pierre et Paul. selon les Actes, c'est une diffrence de rythme. L'un et l'autre sont conduits par l'Esprit et amens rencontrer l 'Esprit et son action (10,44 : 11.15: 13,4: 16, 6-10). Mais leurs ractions ne sont pas les mmes. Quand Pierre voit l'Esprit tomber sur Corneille et ses amis, il n'hsite pas les faire baptiser. Il est mme probable qu'en coutant leur invitation rester quelques jours Csare (10,48), il fonde la premire communaut chrtienne forme de paens convertis. Mais il borne l son action. et retourne Jrusalem. Du principe qu'il a formul, Dieu (Oint et ces gens le mente don du' noms autres, pour Voir croc un SeigneurJesus Christ (11,17), il ne tire qu'une application dcisive mais limite. Paul va pousser jusqu'au bout la conclusion logique : l'vnement Jsus-Christ est fait pour le monde entier, le salut est donn tous les hommes, il faut aller l'annoncer tous. Et Paul se met en route ; il n'a pas une heure perdre, pas un peuple laisser de ct. Il faut qu'il aille le plus loin possible, son horizon, c'est l'extrmit du monde. A celui qui en est charg, l'vangile demande tout. A celui qui l'entend, l'vangile ne demande qu'une chose, mais elle prend tout l'homme : la foi. Ici encor