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De l'analyse du risque à sa prévention

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Page 1: De l'analyse du risque à sa prévention

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Le praticien en anesthésie réanimation© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

vie professionnelle

De l’analyse du risque à sa prévention

Alain Landais

Correspondance :

Alain Landais, Service d’Anesthésie-Réanimation, Centre Hospitalier Victor Dupouy, 69 rue Lieutenant Colonel Prudhon, 95100 [email protected]

exercice médical a été frappé pendant bien longtempsdu sceau de l’infaillibilité. Ce n’est que depuis les années1980 qu’a émergé la conscience du risque générée par

l’activité humaine dans le domaine de la santé. Deux rapports,désormais célèbres, ont matérialisé cette prise de conscience. Lesaccidents survenant lors de la prise en charge des patients repré-sentent la 5

e

 cause de mortalité aux États-Unis (« to err is human »)et la 8

e

 cause de mortalité en Grande-Bretagne (« an organisationwith a memory ») en termes de risque de santé publique.À une échelle plus modeste, l’enquête nationale de pharmacologieInserm (1990/1998) rapporte que 4 à 17 % des événements indésira-bles survenant en hospitalisation de court séjour sont le résultatd’erreurs de prescription (50 % sont évitables). En valeur absolue, lenombre de décès indus est estimé entre 40 000 et 98 000 par an auxÉt

ats-Unis soit l’équivalent d’un crash aéronautique tous les 48 heu-res

La médecine tue plus que le sida ou le cancer du sein. De telschiffres ne peuvent qu’entraîner un certain émoi du public (futurconsommateur de soins) et obligent le corps médical à réagir.Même si l’anesthésie est présentée comme un modèle de priseen charge dans le rapport américain, notre discipline va devoirgérer différemment ses pratiques, d’autant que de nouvelles démar-ches sécuritaires se sont mises en place (hémovigilance, matério-vigilance, suivi des infections nosocomiales, sécurité de distribu-tion et d’administration des médicaments…). Cette évolution est laconséquence de l’allongement de l’espérance de vie à la naissancechez les hommes et les femmes entre 1900 et 2000 (45 ans à 84 ans)et le refus de vieillir, des liens nouveaux apparaissant entre risqueet responsabilité. La question devient celle de l’acceptabilité du

L’

risque ou des risques pour le Société, pour la Médecine et pour cequi nous concerne l’Anesthésie.En 1990, plus de 80 % des accidents d’avions ont été attribués àl’erreur humaine, et on observe un phénomène similaire en méde-cine, résultat de l’introduction en pratique clinique de nouvellestechniques médicales. L’augmentation du nombre de plaintes reflètela mauvaise acceptabilité du public à l’égard des « erreurs médica-les » et révèle un phénomène de Société qui dépasse très largementcelui du monde médical : c’est le refus du risque.Il faut remarquer que, ces dernières décennies, les stratégies demaîtrise du risque se sont très largement développées dans l’aéro-nautique, alors que dans le domaine médical nous n’en étionsqu’au stade de la prise de conscience ; la culture de l’erreur estrestée très limitée, vraisemblablement du fait de la pression médico-légale chaque fois que le risque affecte la vie et l’intégrité corpo-relle de manière grave. Il ne faut pas que la victime soit finalementcontrainte d’en supporter les conséquences. Cet esprit du tempsincite à en transférer la charge à autrui, spécialement à celui qui,par état ou par profession, a contribué à la création du risque ;et, en réaction, il suscite chez celui-ci le refus précisément de lecréer. Mais le risque médical est un risque de nature particulièregénéralement mis en balance avec un autre risque, celui de lamaladie, parfois mortelle à court terme. En anesthésie, la situationse complique plus encore, par la forte intrication de notre exerciceavec la pathologie chirurgicale et les pathologies médicales associéesdu patient, au point que la question de l’imputation du risquepeut occulter la démarche d’analyse de risque. D’autant que lamesure de la sécurité anesthésique est difficile. L’anesthésie n’estpas en elle-même un acte thérapeutique mais participe étroite-ment au processus de soins permettant la réalisation d’actes dia-gnostiques ou thérapeutiques douloureux, chirurgicaux ou non.L’analyse doit donc être contextuelle, tenant compte du triptyquePatient-Anesthésie-Intervention. Toutes les enquêtes ont démontréle faible impact de l’anesthésie sur la mortalité. Le risque de décèspostopératoire dépend essentiellement de l’état pathologique dupatient et de la nature de l’acte chirurgical.Les facteurs de risque liés spécifiquement à l’anesthésie ont parcomparaison des répercusssions quasi nulles. Il en résulte que,dans un centre où le risque est correctement maîtrisé, les seuls

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facteurs prédictifs médicaux de la mortalité périopératoire sont liésau patient, à ses caractéristiques physiologiques et pathologiqueset à l’acte opératoire.

4 à 17 % des évènements indésirables survenant

en hospitalisation de court séjour sont le résultat d’erreurs

de prescription

Il convient donc de distinguer, dans la prise en charge anesthésique,deux facteurs de risque étroitement intriqués, celui lié au « risquepatient » et celui lié au processus anesthésique. L’exigence actuelleen matière de sécurité anesthésique est celle d’une prise en chargeoptimale du processus anesthésique, et non une garantie qu’aucunecomplication médicale liée aux pathologies préexistantes ne sur-viendra ; assurer la sécurité comme objectif, c’est en premier lieuque le travail de chacun soit organisé pour une prise en chargeoptimale du patient, en visant un risque acceptable.La performance d’une équipe et d’un service d’anesthésie est degarantir l’absence de défaillances dans la pratique des soins, dansl’organisation anesthésique, la transmission et la disponibilité del’information nécessaire, la disponibilité et la compétence deséquipes, la surveillance du patient et le respect des bonnes pratiques.Quand on sait qu’au sein des équipages aéronautiques la principalecause d’erreur est l’absence de communication entre pilote et copi-lote, alors qu’ils sont assis à 1 m de distance l’un de l’autre, qu’ilspossèdent la culture positive de l’erreur et que les séances de CRM(Crew Ressources Management) leur permettent d’appréhender lesphénomènes cognitifs de l’erreur, on mesure le chemin à parcouriren anesthésie où nos interlocuteurs sont multiples, souvent éva-nescents, les organisations disparates.Les études de suivi des « taux d’incidents » et d’indicateurs sen-tinelles sont habituelles pour estimer la fréquence des incidents etdes accidents, mais on connaît leurs limites : la sous-déclaration.On perçoit bien que nous sommes conceptuellement au milieu dugué, la politique de maîtrise des risques s’est, dans le passé, foca-

lisée sur les structures (SSPI), les règles de bonne pratique(consensus, recommandations, standards…) et les décisionsréglementaires (décret sécurité 1994), en faisant l’impasse sur ladimension humaine des erreurs.

Mais dès qu’une activité nécessite un certain degré de maîtrise, lesfacteurs liés aux défaillances des équipements diminuent alorsque les facteurs humains prennent de l’importance. L’homme, de parsa nature, est source d’erreur mais aussi démontre une étonnantecapacité à récupérer les erreurs commises. La voie vers laquelle lesdémarches sécuritaires doivent s’orienter en anesthésie est donccelle de réduire les erreurs des individus, des équipes et des organisa-tions. Dans ce contexte, il faut souligner l’importance de l’auto-évaluation (

EPP

), du dossier d’anesthésie (on imagine mal un pilotesans plan de vol sérieux, détaillé, où l’information est pertinentepour la conduite sécuritaire de son vol), de l’apprentissage du travailen équipe, de l’analyse du travail et de ses défaillances, de l’envi-ronnement ergonomique et psychologique du travail, de l’analysedes phases dite de récupération des erreurs. Il faut donc en toutelucidité faire un état des lieux de notre pratique et de nos organi-sations, se regarder travailler et en parler collectivement en touteconfiance, ce qui somme toute ne serait que la transposition dansle domaine médical de ce qui a fait la preuve de son efficacité dansdes domaines de haute technologie aussi divers que l’aviation,l’industrie nucléaire… Il s’agit d’un véritable changement culturel :le passage d’une culture individuelle à une culture collective etpositive de l’erreur, le passage de l’oral et de l’implicite à l’écrit etau formel.

La sécurité des patients, la priorité absolue, passe par une culturede l’erreur qui ne s’accompagne pas de sanctions, une vigilance denos organisations à détecter et à corriger leurs vulnérabilités,l’écoute du patient et sa participation active (la loi de juillet 2004en fait le pivot du système de soins), la gestion professionnelle deséquipes. Mais notre effort, à l’image de ce qui se passe dans lesautres domaines à risque, doit s’orienter vers une meilleure priseen compte des erreurs humaines, des conditions d’exercice, d’enga-gement et de résolution des conflits. C’est là que se trouveraientles causes profondes des accidents.