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Feuillets de Radiologie, 2005, 45, n° 3 (cahier 1), 225-227 © Masson, Paris 2005 Exercice pratique Quel est votre diagnostic ? Diagnostic d’une masse rétro-péritonéale M. ALISON, D. EISS, O. HELENON OBSERVATION Un homme de 57 ans se présente aux urgences pour des douleurs lombaires gauches évoluant depuis un mois et évo- quant une colique néphrétique. Le patient est apyrétique. Sur un précédent scanner réalisé à Moscou 15 jours au- paravant, le diagnostic d’abcès aurait été évoqué. Un scan- ner abdomino-pelvien est réalisé sans puis après injection de produit de contraste au temps artériel et au temps néphro- graphique (fig. 1). Quel est votre diagnostic ? Réponse page 226 Service de Radiologie Adultes, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15. Correspondance : D. Eiss, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Fig. 1. TDM initiale. Coupes réalisées avant injection (A), et après injection de contraste au temps artériel (B et C), et néphrographique (D). A C B D

Diagnostic d’une masse rétro-péritonéale

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Page 1: Diagnostic d’une masse rétro-péritonéale

Feuillets de Radiologie, 2005, 45, n° 3 (cahier 1), 225-227© Masson, Paris 2005Exercice pratique

Quel est votre diagnostic ?

Diagnostic d’une masse rétro-péritonéale

M. ALISON, D. EISS, O. HELENON

OBSERVATION

Un homme de 57 ans se présente aux urgences pour desdouleurs lombaires gauches évoluant depuis un mois et évo-quant une colique néphrétique. Le patient est apyrétique.Sur un précédent scanner réalisé à Moscou 15 jours au-

paravant, le diagnostic d’abcès aurait été évoqué. Un scan-ner abdomino-pelvien est réalisé sans puis après injection deproduit de contraste au temps artériel et au temps néphro-graphique (fig. 1).

Quel est votre diagnostic ?Réponse page 226

Service de Radiologie Adultes, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15.

Correspondance : D. Eiss, à l’adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

Fig. 1. — TDM initiale. Coupes réalisées avant injection (A), et après injection de contraste au temps artériel (B et C), et néphrographique (D).

A

C

B

D

Page 2: Diagnostic d’une masse rétro-péritonéale

226 M. ALISON ET COLLABORATEURS

Réponse de la page 225

RÉSULTAT

Le scanner abdomino-pelvien permet de visualiser unevolumineuse masse rétro-péritonéale, latéro-aortique gau-che, venant au contact du muscle psoas en arrière, s’éten-dant depuis la veine rénale gauche au dessus jusqu’à labifurcation iliaque au dessous, refoulant l’aorte vers ladroite et les vaisseaux mésentériques en avant. Au centre decette masse très hypodense, il existe des zones punctiformesde densité aérique. Après injection de produit de contraste,la lésion se rehausse en périphérie où elle présente une paroiépaisse.

Les diagnostics suivants sont alors évoqués : abcèsrétro-péritonéal, adénopathies tuberculeuses, adénopathiesmétastastatiques nécrotiques, lymphome, sarcome (leïo-myosarcome de la veine rénale gauche).

Devant l’hypothèse d’un abcès, le patient est mis sousantibiothérapie probabiliste. Sur le scanner de contrôle à J10du traitement (fig. 2), l’air intra-lésionnel a disparu. Laponction aspiration sous échographie de cette lésion hypo-échogène ne ramène aucun matériel (contenu épais ousolide). La biopsie effectuée sous contrôle TDM ne permetque de conclure à une nécrose ischémique.

On retrouve dans ses antécédents la notion de cryptor-chidie bilatérale opérée dans l’enfance. L’échographie tes-ticulaire ne met pas en évidence de masse suspecte mais laprésence d’une atrophie testiculaire bilatérale prédominantà gauche où le testicule apparaît fibreux et remanié. Ilexiste également des microlithiases bilatérales. Les mar-queurs tumoraux sanguins (αFP, βHCG, LDH) sont nor-maux.

Seule l’éxérèse chirurgicale de la masse rétro-péritonéalepermettra de faire le diagnostic de métastase ganglionnairenécrotique d’une tumeur germinale de type séminome.Le patient est réopéré dans un second temps pour orchidec-tomie gauche (homolatérale à la lésion rétro-péritonéale) etl’analyse histologique de la pièce opératoire (fig. 3) montrela présence d’un séminome au sein d’un parenchyme testi-culaire atrophique.

DISCUSSION

Devant toute tumeur rétro-péritonéale chez un homme,le diagnostic de métastases ganglionnaires d’une tumeur tes-ticulaire doit être évoqué, même en l’absence d’anomalietesticulaire cliniquement palpable.

Le dosage des marqueurs tumoraux (β HCG et α FP)et l’échographie testiculaire sont des examens indispensa-bles. Les marqueurs tumoraux ne sont positifs qu’en cas delésion non séminomateuse. L’échographie permet de détec-ter un cancer infra-clinique ou les séquelles d’une tumeurtesticulaire spontanément involuée.

En effet, l’absence de syndrome de masse testiculaire àl’échographie n’élimine pas le diagnostic : il peut s’agir,comme dans notre cas, d’une tumeur testiculaire écho-graphiquement occulte (non discernée au sein d’un testiculeanormal : atrophique, remanié ou fibreux) ou d’une tumeurtesticulaire spontanément involuée.

Les tumeurs testiculaires spontanément involuées ontété décrites pour la première fois en 1927 par Prym [1].Elles correspondent à des tumeurs malignes testiculaires(séminomateuses ou non séminomateuses) qui involuentspontanément et qui se révèlent par leurs métastases, princi-palement ganglionnaires rétro-péritonéales, homolatérales,sous le hile rénal (1er relais ganglionnaire). Le terme de bur-ned out tumeur est classiquement utilisé devant des tumeursmétastasées avec involution complète du site primitif. Deshypothèses permettent d’expliquer ce phénomène, égale-ment décrit pour d’autres cancers (essentiellement pour lesmélanomes) : la régression de la lésion serait due à uneischémie ou plus vraisemblablement à une réaction immuni-taire [2, 3, 4]. Histologiquement, il n’est pas retrouvé decellules tumorales mais une cicatrice fibreuse avec del’hémosidérine ou des calcifications intra-tubulaires (dépôtshématoxyphiles ou corps psammeux) [2, 3, 5-8]. Parfois,des cancers intra-tubulaires (cancers in situ) sont associés[2, 9]. Les lésions métastatiques sont souvent nécrotiques etpeuvent aussi régresser spontanément lorsque d’autresmétastases apparaissent à distance [2].

A l’échographie, les lésions involuées peuvent apparaî-tre comme une zone hypoéchogène (correspondant histo-logiquement à de la fibrose) [2, 3, 6, 7, 9] et/ou comme desamas hyperéchogènes : groupement de microlithiases ou decalcifications de 1 à 4 mm de diamètre [2, 3, 5, 6, 9].

Fig. 2. — TDM de contrôle après injection au temps néphrographique.

Fig. 3. — Étude histologique après exérèse chirurgicale.

Page 3: Diagnostic d’une masse rétro-péritonéale

DIAGNOSTIC D’UNE MASSE RÉTRO-PÉRITONÉALE 227

Bien qu’aspécifiques, toute anomalie testiculaire écho-graphique associée à une masse rétro-péritonéale doit guiderl’exploration testiculaire chirurgicale et faire discuter d’uneorchidectomie. En effet, en cas de persistance de cellulestumorales intra-testiculaires, la chimiothérapie systémiqueseule est inefficace dans 50 % des cas (barrière hémotesti-culaire).

Les diagnostics différentiels devant une masse rétro-péritonéale hypodense ou nécrotique sont les adénopathiestuberculeuses, l’abcès (fièvre et syndrome inflammatoire),le lymphome (plutôt homogène isodense), les sarcomes ouune tumeur germinale primitive extra-testiculaire (sur défautde migration d’une cellule germinale). Les tumeurs germi-nales extra-testiculaires sont rares (3 à 5 % des tumeurs ger-minales) et de moins bon pronostic. Elles se développent leplus souvent dans le médiastin ou dans le système nerveuxcentral (région pinéale). Actuellement, on considère que lalocalisation rétro-péritonéale est en fait exceptionnelle : 1 à2,5 % des cas [9] et que ces lésions sont beaucoup moinsfréquentes que les métastases ganglionnaires de tumeurs tes-ticulaires même spontanément involuées [3, 6, 9, 10]. Unetumeur germinale rétro-péritonéale doit donc être considé-rée comme une tumeur primitive d’origine testiculairejusqu’à preuve du contraire car le traitement est différent [5,10].

CONCLUSION

Une tumeur rétro-péritonéale chez un homme doit faireévoquer le diagnostic de métastases ganglionnaires d’unetumeur testiculaire. L’échographie testiculaire est alorsindispensable car elle permet de détecter un cancer infra-cli-nique ou des anomalies pouvant faire évoquer le diagnosticde tumeur spontanément involuée.

Toute tumeur germinale rétro-péritonéale est unetumeur testiculaire métastatique jusqu’à preuve du contraire.

Devant toute anomalie échographique testiculaire, uneexploration chirurgicale avec d’éventuelles micro biopsiesperopératoires [2] permettra de décider d’une orchidectomieparfois nécessaire pour contrôler la maladie (en cas de cel-lules tumorales in situ associées) avant de débuter le traite-ment par chimiothérapie.

Références

1. Prym P. Spontanheilung eines bösartigen, wahrscheinlich chorioe-pitheliomatösen Gewächses im Hoden. Virchows Arch (A) 1927;265: 239-58.

2. Fabre E, Jira H, Izard V, Ferlicot S, Hammoudi Y, Theodore C etal. Burned-out primary testicular cancer. BJU Int 2004; 94: 74-8.

3. Bissen L, Brasseur P, Sukkarieh F. Spontaneous regression of tes-ticular tumor. JBR-BTR 2003; 86: 319-21.

4. Saleh FH, Crotty KA, Hersey P, Menzies SW, Rahman W. Auto-nomous histopathological regression of primary tumours associa-ted with specific immune responses to cancer antigens. J Pathol2003; 200: 383-95.

5. Kebapci M, Can C, Isiksoy S, Aslan O, Oner U. Burned-out tumorof the testis presenting as supraclavicular lymphadenopathy. EurRadiol 2002; 12: 371-3.

6. Comiter CV, Renshaw AA, Benson CB, Loughlin KR. Burned-outprimary testicular cancer: sonographic and pathological characte-ristics. J Urol 1996; 156: 85-8.

7. Weber O, Hubert J, Grignon Y, Mangin P. Spontaneously involu-ting metastatic seminoma of the testis (“burned-out seminoma”).Report of a case presenting with supraclavicular adenopathy. ProgUrol 1996; 6: 278-81.

8. Lopez JI, Angulo JC. Burned-out tumour of the testis presentingas retroperitoneal choriocarcinoma. Int Urol Nephrol 1994; 26:549-53.

9. Tasu JP, Faye N, Eschwege P, Rocher L, Blery M. Imaging of bur-ned-out testis tumor: five new cases and review of the literature. JUltrasound Med 2003; 22: 515-21.

10. Scholz M, Zehender M, Thalmann GN, Borner M, Thoni H, Stu-der UE. Extragonadal retroperitoneal germ cell tumor: evidence oforigin in the testis. Ann Oncol 2002; 13: 121-4.