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Du curage axillaire au ganglion sentinelle : historique, technique et indications Axillary dissection in sentinel lymph node biopsy: history, technique, and indications E. Barranger, Y. Delpech Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Lariboisière, APHP, université Denis-Diderot (Paris-VII), 2, rue Ambroise-Paré, F-75010 Paris, France Reçu le 6 février 2013 ; accepté le 24 mai 2013 Abstract: Sentinel lymph node biopsy (SLNB) is a procedure for lymphatic staging in early breast cancer. In a valid SLNB procedure, axillary lymph node dissection (ALND) can be omitted in node- negative cases without compromi- sing patient safety. The SLNB technology has also dramatically improved the quality of life for women with breast cancer. This report details a brief history of SLNB, the main methods to identi- fy sentinel node and how it was applied in the treatment of a breast cancer. Keywords: Axillary dissection Sentinel node biopsy History Technique Indications Résumé : La technique du gan- glion sentinelle (GS) est une mé- thode fiable permettant une éva- luation chirurgicale sélective de laisselle. Cette procédure permet également de réduire la morbidité du geste axillaire en comparaison au curage axillaire (CA). Cet article rappelle lhistorique du dévelop- pement de la procédure du GS, les méthodes de détection et les indications actuellement admises en France. Mots clés : Curage axillaire Biopsie du ganglion sentinelle Historique Technique Indica- tions Le prélèvement du ganglion sentinelle (GS) est pratiqué en rou- tine dans le cancer du sein comme procédure diagnostique à la place du curage axillaire (CA) depuis près de 15 ans. Cependant, si cet engouement paraît justifié et irré- versible, lintroduction de cette technique en routine, cest-à-dire sans CA lorsque le GS est indemne de métastase, sest faite en lab- sence de résultats détudes rando- misées obligeant initialement à la prudence dans ses indications et dans sa diffusion en respectant tout dabord certains principes de méthodologie. Lobjectif de cette revue a été deffectuer un rappel sur le concept de la technique du GS et sur sa non- infériorité par rapport au CA qui ont conduit progressivement à réduire les indications du CA et à établir des recommandations pour la diffusion de cette technique dexploration chirurgicale limitée de laisselle en respectant des règles de bonne pratique. Historique du concept de la technique du ganglion sentinelle Le développement au début des années 1990 de la technique du GS dans le cancer du sein repose sur des travaux du drainage lym- phatique du sein par des anatomis- tes des XVIII e et XIX e siècles, et en par- ticulier ceux de Sapey [26] qui a été le premier à décrire en 1834 linter- connexion lymphatique entre la glande mammaire et la plaque aréolomamelonnaire. En effet, cet anatomiste français a montré que dans le parenchyme mammaire, les lymphatiques longeaient les canaux galactophores centripètes vers un plexus autour de la plaque aréolomamelonnaire, puis que la lymphe quittait cette plaque par deux canaux lymphatiques superfi- ciels centrifuges, lun externe se dirigeant directement vers lais- selle, lautre interne faisant un cercle sous-aréolaire avant de rejoindre également laisselle. Ces canaux se jetteraient dans un groupe ganglionnaire le plus rap- proché du bord antérieur de lais- selle qui pourrait être lancêtre du « GS ». Le concept de « GS » a été décrit cependant réellement pour la pre- mière fois par Gould et al. en 1960 dans le cancer de la parotide [8]. Ce chirurgien pratiquait lors de lexérèse chirurgicale de la parotide lablation sélective de ganglion(s) sous-digastrique(s) qui correspond (ent) à un groupe ganglionnaire de la chaîne jugulaire interne situé dans la partie haute de la face anté- rieure de la veine jugulaire interne. Un évidement ganglionnaire cervi- cal radical nétait alors réalisé quen cas de métastase dans ce ganglion à lexamen histologique définitif. Même si ce ganglion (ou groupe ganglionnaire) nétait pas identifié àlaide dun traceur lymphophile, le concept de « prélèvement gan- glionnaire sélectif » représentant le Correspondance : [email protected] Dossier Thematic file Oncologie (2013) 15: 294298 © Springer-Verlag France 2013 DOI 10.1007/s10269-013-2298-2 294

Du curage axillaire au ganglion sentinelle: historique, technique et indications

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Du curage axillaire au ganglion sentinelle :historique, technique et indications

Axillary dissection in sentinel lymph node biopsy: history, technique, andindicationsE. Barranger, Y. Delpech

Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Lariboisière, AP–HP, université Denis-Diderot (Paris-VII),

2, rue Ambroise-Paré, F-75010 Paris, France

Reçu le 6 février 2013 ; accepté le 24 mai 2013

Abstract: Sentinel lymph node

biopsy (SLNB) is a procedure for

lymphatic staging in early breast

cancer. In a valid SLNB procedure,

axillary lymph node dissection

(ALND) can be omitted in node-

negative caseswithout compromi-

sing patient safety. The SLNB

technology has also dramatically

improved the quality of life for

women with breast cancer. This

report details a brief history of

SLNB, the main methods to identi-

fy sentinel node and how it was

applied in the treatment of a breast

cancer.

Keywords: Axillary dissection –

Sentinel node biopsy – History –

Technique – Indications

Résumé : La technique du gan-

glion sentinelle (GS) est une mé-

thode fiable permettant une éva-

luation chirurgicale sélective de

l’aisselle. Cette procédure permet

également de réduire la morbidité

du geste axillaire en comparaison

au curage axillaire (CA). Cet article

rappelle l’historique du dévelop-

pement de la procédure du GS,

les méthodes de détection et les

indications actuellement admises

en France.

Mots clés : Curage axillaire –

Biopsie du ganglion sentinelle –

Historique – Technique – Indica-

tions

Le prélèvement du ganglion

sentinelle (GS) est pratiqué en rou-

tine dans le cancer du sein comme

procédure diagnostique à la place

du curage axillaire (CA) depuis

près de 15 ans. Cependant, si cet

engouement paraît justifié et irré-

versible, l’introduction de cette

technique en routine, c’est-à-dire

sans CA lorsque le GS est indemne

de métastase, s’est faite en l’ab-

sence de résultats d’études rando-

misées obligeant initialement à la

prudence dans ses indications et

dans sa diffusion en respectant

tout d’abord certains principes de

méthodologie.

L’objectif de cette revue a été

d’effectuer un rappel sur le concept

de la technique duGS et sur sa non-

infériorité par rapport au CA qui ont

conduit progressivement à réduire

les indications duCA et à établir des

recommandations pour la diffusion

de cette technique d’exploration

chirurgicale limitée de l’aisselle en

respectant des règles de bonne

pratique.

Historique du conceptde la technique du ganglionsentinelle

Le développement au début des

années 1990 de la technique du

GS dans le cancer du sein repose

sur des travaux du drainage lym-

phatique du sein par des anatomis-

tes des XVIIIe et XIXe siècles, et en par-

ticulier ceux de Sapey [26] qui a été

le premier à décrire en 1834 l’inter-

connexion lymphatique entre la

glande mammaire et la plaque

aréolomamelonnaire. En effet, cet

anatomiste français a montré que

dans le parenchyme mammaire,

les lymphatiques longeaient les

canaux galactophores centripètes

vers un plexus autour de la plaque

aréolomamelonnaire, puis que la

lymphe quittait cette plaque par

deux canaux lymphatiques superfi-

ciels centrifuges, l’un externe se

dirigeant directement vers l’ais-

selle, l’autre interne faisant un

cercle sous-aréolaire avant de

rejoindre également l’aisselle. Ces

canaux se jetteraient dans un

groupe ganglionnaire le plus rap-

proché du bord antérieur de l’ais-

selle qui pourrait être l’ancêtre du

« GS ».

Le concept de « GS » a été décrit

cependant réellement pour la pre-

mière fois par Gould et al. en 1960

dans le cancer de la parotide [8].

Ce chirurgien pratiquait lors de

l’exérèse chirurgicale de la parotide

l’ablation sélective de ganglion(s)

sous-digastrique(s) qui correspond

(ent) à un groupe ganglionnaire de

la chaîne jugulaire interne situé

dans la partie haute de la face anté-

rieure de la veine jugulaire interne.

Un évidement ganglionnaire cervi-

cal radical n’était alors réalisé qu’en

cas de métastase dans ce ganglion

à l’examen histologique définitif.

Même si ce ganglion (ou groupe

ganglionnaire) n’était pas identifié

à l’aide d’un traceur lymphophile,

le concept de « prélèvement gan-

glionnaire sélectif » représentant leCorrespondance : [email protected]

Dossier

Them

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■Oncologie (2013) 15: 294–298© Springer-Verlag France 2013DOI 10.1007/s10269-013-2298-2

294

statut histologique des ganglions

dumême territoire en vue de limiter

la morbidité d’un geste potentielle-

ment inutile était né et correspond

au principe du « GS ». En 1977,

Cabanas a quant à lui montré pour

la première fois dans le cancer de la

verge l’existence de ganglions qu’il

nomme « sentinelle » après lym-

phangiographie effectuée à partir

d’injections réalisées sur la face

dorsale de la verge [2]. Il supposait

dès lors que si ce ganglion était

indemne de métastases, les autres

ganglions de la même région ana-

tomique seraient dépourvus de tout

envahissement métastatique. Cet

auteur a donc permis de définir pré-

cisément ce que l’on appelle le

« GS », à savoir le premier relais

ganglionnaire situé sur le territoire

de drainage d’une tumeur maligne

solide. L’état histologique de ce

ganglion dit « sentinelle » serait

représentatif des autres ganglions

de ce territoire.

Une avancée majeure dans le

développement de la technique du

GSa été initiée par Giuliano et al. au

« John Wayne Cancer Center » à

Louisville aux États-Unis, au milieu

des années 1990, en appliquant le

principe de cette technique au can-

cer du sein constituant un excellent

modèle de par sa fréquence impor-

tante et de par la morbidité de la

prise en charge chirurgicale axil-

laire [7]. En effet, le traitement chi-

rurgical du cancer du sein consistait

à pratiquer l’exérèse de la tumeur,

mais aussi des ganglions de l’ais-

selle en réalisant un évidement de

la région axillaire dont la morbidité

n’est pas négligeable. Un prélève-

ment sélectif dequelquesganglions

repérés au préalable après injection

de traceurs lymphophiles permet-

trait de réduire la morbidité de ce

CA pour les patientes n’ayant pas

d’envahissement métastatique du

GS. Cela concerne un nombre

important de patientes puisque la

taille moyenne de la tumeur décou-

verte actuellement n’excède pas

20mmet que l’envahissement gan-

glionnaire est étroitement lié à la

taille de la tumeur. Ces auteurs,

grâce à leurs excellents résultats

en termes de détection du GS, ont

initié une révolution dans la prise en

charge chirurgicale axillaire du can-

cer du sein en réduisant progressi-

vement les indications du CA qui

a été longtemps considéré comme

le standard de la prise en charge

de l’aisselle même si sa valeur

thérapeutique a souvent été contro-

versée.

Intérêt thérapeutique contestédu curage axillaire

Initialement, le CA était réalisé pour

pratiquer l’exérèse de métastases

axillaires cliniquement palpables

en cas de cancer du sein diagnos-

tiqué à un stade évolué. Pour tou-

tes les patientes N0-1, il permettait

d’obtenir un excellent contrôle local

axillaire avec, malgré tout, un

risque de récidive axillaire (RA)

après curage compris entre 1 et

3 % [3,6,17,23]. L’essai historique

randomisé du NSABP-B-04 [5]

avait montré que dans une popula-

tion sans envahissement ganglion-

naire clinique traitée par mastecto-

mie sans traitement médical

complémentaire (hormonothérapie

ou chimiothérapie), malgré un taux

d’envahissement axillaire de 40 %,

le taux observé de RA pour les

patientes traitées par mastectomie

sans CA (n = 365) était de 7 % à

25 ans contre 5 % après mastecto-

mie–CA (n = 362) et 1 % après mas-

tectomie suivie de radiothérapie

axillaire (n = 352) sans différence

statistiquement significative. De

même, il n’y avait pas d’impact

négatif en l’absence de CA sur la

survie globale (SG) et la survie

sans récidive (SSR) à dix ans (SG :

54, 58 et 59 %, respectivement ;

SSR : 42, 47 et 48 %, respective-

ment) et à 25 ans (SG : 26, 25 et

19 %, respectivement ; SSR : 19,

19 et 13%, respectivement). La prin-

cipale critique de cet essai était que

35 % des patientes du groupe mas-

tectomie seule avaient également

des ganglions prélevés lors de la

mastectomie.

Une méta-analyse publiée par

Orr en 1999 [22], incluant environ

3 000 patientes issues de six essais

randomisés historiques de 1951 à

1987, a montré un bénéfice en sur-

vie de 5,4 % (intervalle de confiance

[IC] 95 % = 2,7–8,0) pour les

patientes ayant eu un CA par rap-

port aux patientes n’ayant pas eu

de traitement de l’aisselle. Cepen-

dant, l’auteur nuançait lui-même

ses résultats en précisant que ces

six essais comportaient peu de

patientes avec des tumeurs T1a-b,

constituant pourtant la majorité

des cancers du sein diagnostiqués

actuellement, et que la prise en

charge globale ne correspondait

plus à nos pratiques actuelles puis-

qu’aucune patiente n’avait eu de

prescription d’hormonothérapie

et qu’une minime proportion de

patientes avait reçu une chimiothé-

rapie (seulement 3,3 % des

patientes de l’étude de Curie uni-

quement). Il concluait finalement

que ces résultats ne seraient très

certainement plus significatifs en

cas de prescription de traitement

adjuvant (hormonothérapie ou

chimiothérapie). D’ailleurs, San-

ghani et al. [25] ont publié en 2009

une méta-analyse incluant deux

essais randomisés publiés entre

2000 et 2007 comparant CA versus

abstention axillaire avec un recul

médian variant de 5 à 6,6 ans et

incluant 692 patientes, dont 56 et

93 % de T1, 23 et 28 % de N+, 80 et

88 % de traitements complémen-

taires par hormonothérapie. Le

taux de RA était plus important en

l’absence de CA (1,5 vs 3 % ; odds

ratio [OR] : 0,27 ; IC 95 % : [0,10–

0,78], p = 0,02) par rapport au CA

mais sans impact significatif sur la

SG (OR : 1,20 ; IC 95% : [0,64–2,27]),

la survie sansmétastase (OR : 0,97 ;

IC 95 % : [0,69–1,38]) et sur les réci-

dives locales mammaires (OR :

1,12 ; IC 95 % : [0,68–1,86]). Les

auteurs concluaient que le CA n’ap-

portait pas de bénéfice en survie

malgré un taux de RA plus élevé

par rapport à l’abstention chirurgi-

cale axillaire pour les patientes

avec un cancer du sein précoce

N0 bénéficiant d’un traitement

par hormonothérapie et radio-

thérapie du sein. Plus récemment

encore, un essai randomisé publié

en 2012 a confirmé l’absence de

bénéfice du CA en comparaison

avec l’abstention chirurgicale axil-

laire associée à une radiothérapie

du sein (et non de l’aisselle) et 5

Miseau

point

Update

295

ans de tamoxifène [19]. Cette étude

a montré chez 238 patientes âgées

de plus de 65 ans ayant un cancer

du sein de moins de T1-N0, après

un suivi de 15 ans, des taux de SG

et de survie sansmétastase équiva-

lents dans les deux groupes. Ces

résultats récents allaient donc en

faveur de l’absence de bénéfice

thérapeutique du CA par rapport à

l’abstention en cas de tumeur du

sein N0. Cela peut s’expliquer par

la plus petite taille des tumeurs

diagnostiquées actuellement et la

prescription quasi systématique de

traitements adjuvants (chimiothé-

rapie et/ou hormonothérapie).

Rappel des principesde la technique de la biopsiedu ganglion sentinelle

Les premières descriptions de la

biopsie du GS dans le cancer du

sein ont été effectuées après une

injection péritumorale (PT) de bleu

et de radio-isotope [7,14]. Depuis,

de multiples sites d’injection ont

été rapportés : intradermique, sub-

dermique, périaréolaire (PA), suba-

réolaire, PT, subtumorale et intratu-

morale [21]. Ces sept modalités

d’injection peuvent schématique-

ment être réparties en fonction de

la profondeur d’injection (superfi-

cielle versus profonde) et en fonc-

tion du site anatomique d’injection

(PT versus PA).

L’injection PT superficielle a été

comparée à l’injection PT profonde

dans une large étude rétrospective

multicentrique portant sur 2 206

patientes. Dans cette étude,

McMasters et al. ont montré que

les injections PT superficielles per-

mettaient d’obtenir des taux d’iden-

tification (TI) supérieurs aux injec-

tions profondes (89,9 versus 98 %,

p < 0,0001) [20]. Ces résultats sont

concordants avec la série de Line-

han et al. [16], portant sur plus de

200patientes, qui observait unmeil-

leur TI en faveur de l’injection

superficielle (98 versus 89 %) sans

modification du taux de faux-

négatifs (TFN) correspondant au

nombre de patientes avec un prélè-

vement du GS indemne de méta-

stase, alors que le CA complémen-

taire est métastatique, divisé par le

nombre total de patientes N+. Un

autre avantage de l’injection super-

ficielle est le délai de migration du

traceur, plus court que pour les

injections profondes (30 à 60 minu-

tes versus 2 à 3 heures) [20]. Cela

constitue un avantage pratique,

notamment pour l’acquisition des

images de lymphoscintigraphie

qui peuvent ainsi être réalisées rapi-

dement après l’injection. L’explica-

tion anatomique est liée à la densité

du réseau lymphatique superficiel

permettant une visualisation immé-

diate après injection d’une masse

colorée. De plus, la détection des

GS serait facilitée en peropératoire

par une radioactivité significative-

ment plus importante avec l’injec-

tion superficielle (p < 0,0001) sans

modifier le nombre absolu de GS

(2,29 versus 2,57) [20]. Cela pourrait

aussi faciliter l’apprentissage de la

technique du GS.

L’injection PT profonde quant à

elle, du fait du drainage lympha-

tique profond vers les chaînes

mammaires internes et externes,

permettrait de visualiser plus fré-

quemment les GS de la chaîne

mammaire interne [4]. Dans une

série de 36 patientes ayant reçu à

huit jours d’intervalle une injection

de traceur radioactif en PT profond

puis en superficiel, Eroglu et al. [4]

ont montré un TI en lymphoscinti-

graphie des GS extra-axillaires, au

niveau de la chaîne mammaire

interne, plus fréquent après l’injec-

tion profonde (23 versus 10 %).

L’injection PA ou subaréolaire a

été développée secondairement

devant les contraintes imposées

par l’injection PT, comme la néces-

sité d’injecter sous échographie en

cas de tumeur non palpable ou

comme la diffusion du signal en

cas d’injection dans le quadrant

supéroexterne. Le concept de

l’injection PA repose sur les don-

néesanatomiques dudrainage lym-

phatique du sein de Sapey [26]. Le

sein est considéré commeuneunité

biologique dont tous les territoires

se draineraient vers le même gan-

glion axillaire, et seulement 3 % du

flux lymphatique se dirigerait en

parasternal vers les ganglions de

la chaîne mammaire interne et

une minime proportion vers les

ganglions intercostaux postérieurs

[12,13].

L’injection PA a été comparée

à l’injection PTdans l’essai prospec-

tif randomisé multicentrique fran-

çais « FRANSENODE » incluant

449 patientes [24]. Le taux de détec-

tion était non significativement

supérieur dans le groupe PA (95,6

versus 93,8 %, p = 0,24 pour le

bleu ; 98,2 versus 96 %, p = 0,16

pour la détection isotopique). Le

nombre total de GS prélevés par

patiente était plutôt en faveur

de l’injection PA (1,5 versus 1,2,

p = 0,001 pour le bleu ; 1,9 versus

1,7, p = 0,02 pour l’isotope) avec

une concordance satisfaisante

entre la détection isotopique

et colorimétrique (95,6 versus

91,5 % ; p = 0,08). Les conclusions

de l’essai étaient en faveur de la

validation de l’injection PA. L’une

des limites de cet essai, comme

le soulignaient les auteurs, était

l’absence de CA systématique ne

permettant pas le calcul du TFN

pour chaque modalité d’injection.

Un CA systématique a été réalisé

dans une série rétrospective de

214 procédures du GS, où Kavalla-

ris et al. avaient comparé l’injection

de bleu seul PA à l’injection PT [11].

Le TI était de 91,7 % en cas

d’injection PA pour un TFN à 3,6 %

contre un TI de 80,9 % en cas

d’injection PT et un TFN à 11,8 %.

Ce TFN aurait probablement été

moins élevé dans le sous-groupe

PT avec une détection combinée

du GS.

La détection des GS est soit

colorimétrique avec utilisation du

bleu patente, soit isotopique avec

injection d’un radiotraceur, soit

combinée. La technique au bleu

seul n’est pas recommandée. Elle

est cependant toujours utilisée par

de nombreux chirurgiens et dans

les pays n’ayant pas accès à la

médecine nucléaire. Cette méthode

où le bleu est injecté en PT permet

un TI de seulement 85 à 90 %. Il

s’agit d’une technique totalement

opérateur-dépendant, puisque le

seul critère de jugement du GS est

l’œil du chirurgien. L’isotope utilisé

Dossier

Them

atic

file

296

dans le cadre de la radiodétection

du GS est le Tc99m. L’isotope est lié

à des colloïdes qui sont, après injec-

tion dans le sein, retenus dans les

ganglions, ce qui permet d’une part

leur visualisation par lymphoscinti-

graphie, puis d’autre part leur

détection au bloc opératoire à

l’aide d’une sonde de détection de

photons gamma.

Les sondes de radiodétection

permettent ainsi de guider l’acte chi-

rurgical, à l’intérieur du site opéra-

toire vers le GS radioactif avec pré-

cision, de façon à limiter les

dissections et donc les délabre-

ments de l’aisselle. De plus, elles

permettent de vérifier l’absence de

radioactivité résiduelle en fin de

procédure, ce qui facilite la période

d’apprentissage du chirurgien.

Aujourd’hui, la majorité des résul-

tats publiés dans la littérature est

en faveurd’uneutilisationcombinée

des traceurs. La double détection

permettrait d’une part de réduire le

TFN et d’autre part d’augmenter

les TI situés entre 97 et 99 % [9].

Essais ayant validé la techniquede la biopsie du ganglionsentinelle à la place du curageaxillaire

Cette technique de prélèvement

ganglionnaire limité de l’aisselle a,

jusqu’au début des années 2000,

été systématiquement associée au

CA par prudence afin d’évaluer le

TFN, paramètre indispensable

pour s’assurer de la fiabilité de

cette nouvelle technique et permet-

tre sa diffusion en routine, c’est-

à-dire sans CA si le ou les GS est

(sont) indemne(s) de métastases.

Ce TFN acceptable avait initiale-

ment été fixé arbitrairement à 5 %.

Mais devant l’engouement pour

cette technique dont la faiblemorbi-

dité a été rapidement démontrée, le

CA a été abandonné en cas de GS

indemne de métastases, cela mal-

gré l’absence de résultats d’études

prospectives randomisées, dont les

premières inclusions ont débuté à

la fin des années 1990. Les objectifs

de ces essais comparant la biopsie

du GS au CA pour les patientes

GS– portaient sur l’évaluation non

seulement du TFN mais aussi du

risque de RA à moyen terme ainsi

que l’impact sur la survie. Les pre-

miers résultats ont été seulement

publiés en 2007 par Krag et al.

dont l’étude randomisée (NSABP-

B-32) [14] montrait curieusement

un TFN non pas à 5 %, comme il

était attendu ou précisément

espéré, mais plutôt proche de

10 %. Ce chiffre surprenant aurait

pu légitimement faire craindre un

risque de RA relativement impor-

tant, en tout cas supérieur au CA,

et donc de facto faire également

craindre un impact potentiellement

négatif sur la survie. Mais malgré

cette valeur élevée du TFN que

d’autres études prospectives ont

confirmé [10,27], la légitimité de la

technique du GS n’a jamais été

remise en cause, bien au contraire,

puisque les indications se sont pro-

gressivement étendues limitant

encore la place du CA.

En 2010, les auteurs de cette

même étude randomisée du

NSABP-B-32 ont confirmé l’équiva-

lence de la technique duGSpar rap-

port au CA en comparant un groupe

CAversus abstention en cas deGS–,

cela avec un recul de plus de huit

ans. Ils ont conclu que, malgré ce

TFN élevé proche de 10 %, la tech-

nique du GS pouvait définitivement

remplacer le CA pour les patientes

avec un cancer invasif du sein

unique T1-T2N0. En effet, le taux

de RA observé était faible (< 1 %),

équivalent dans les deux groupes,

tout comme la SSR et la SG [15].

Indications actuellesde la technique du ganglionsentinelle

Les indications de la biopsie du GS

ont longtemps été restreintes en

France, par prudence aux patientes

N0 sans traitementmédical premier

(chimiothérapie ou hormonothéra-

pie néoadjuvante) ni de radiothéra-

pie première ayant une tumeur

unique en place de petite taille

(15–20 mm), donc à faible risque

théorique d’envahissement gan-

glionnaire. De plus, la technique

devait être pratiquée après une

double détection par un opérateur

entraîné ayant validé sa courbe

d’apprentissage. Les recommanda-

tions américaines publiées en 2005

étaient moins restrictives dans les

indications puisqu’elles contre-

indiquaient sa pratique aux

patientes N1 et en cas de tumeurs

multiples [18]. Dans les autres situa-

tions telles que les tumeurs de plus

de 2 cm, après chimiothérapie néo-

adjuvante (CNA), et après tumorec-

tomie, la technique du GS était

admise.

Les résultats des essais rando-

misés, publiés dès 2007, ont

confirmé la non-infériorité de la

biopsie du GS par rapport au CA

faisant progressivement reculer en

France les limitations à la pratique

de la biopsie du GS.

En 2011, les RPC de Nice–Saint-

Paul ont actualisé les indications de

la technique du GS [1].

Cette technique est actuelle-

ment proposée dans les situations

suivantes :

– patientes ayant un cancer du

sein unifocal sans traitement médi-

cal premier T1-T2N0 et inférieur ou

égal à 3 cm ;

– avant CNA ;

– en cas de carcinome intraca-

nalaire étendu.

Cette technique reste contre-

indiquée en cas de tumeurs multi-

ples de diagnostic préopératoire et

en cas d’adénopathie suspecte

axillaire.

Enfin, les dernières RPC de

Nice–Saint-Paul-de-Vence, ayant eu

lieu en janvier 2013, vont probable-

ment valider la réalisation de la

biopsie du GS après CNA comme

option au CA systématique chez les

patientes sans envahissement gan-

glionnaire prouvé (clinique, écho-

graphie ± cytoponction) avant CNA.

Conflit d’intérêt : les auteurs

déclarent ne pas avoir de conflit

d’intérêt.

Références

1. Barranger E, Classe J, Clough K, et al.(2011) Veille bibliographique et recom-

Miseau

point

Update

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