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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 362–368 Cas clinique Enfant du secret. Devenir d’un secret de famille à l’adolescence Secret child. Become of a family secret in adolescence S. Sebti a,, S. Goffinet b , B. Ghyssel c , D. Mikolajczak-Charlier c a 66, rue Henri-Grenier, 1350 Orp-le-Grand, Belgique b Clinique Fond’Roy, 49, avenue Jacques-Pastur, 1180 Bruxelles, Belgique c Cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique Résumé Le but de cet article est de repérer les liens possibles entre secret de famille et psychopathologie à l’adolescence. Ce texte concerne la prise en charge d’une jeune de 14ans, Kimberley, au sein d’une unité psychiatrique pour adolescents. Dans la situation exposée, la patiente est détentrice du secret. Néanmoins, la présence du secret donne à la jeune fille la sensation d’avoir « une vie dissimulée » et d’être exclue d’une partie de sa famille. L’adolescente est née d’une union entre sa mère et un homme marié. Le secret réside dans le fait que l’épouse et les enfants de celui-ci ne connaissent pas l’existence de la patiente. Le secret, source de traumatisme ultra précoce, avant même la naissance de la patiente, pourrait être à l’origine d’un trouble dissociatif de l’identité. Les entretiens de famille ont permis de mettre en évidence des facteurs protégeant le secret que nous ne soupc ¸onnions pas au départ de la prise en charge, tels que la part considérable de l’héritage maternel dans le maintien du silence et le fait que le père de la patiente, autrefois diabolisé, était lui-même complètement emmuré dans son secret. La jeune se rendait compte du risque que constituait la divulgation du secret pour l’homéostasie du système mais désirait néanmoins se délester d’un poids. En effet, les troubles liés à un secret ne disparaissent pas forcément avec sa divulgation. Le travail thérapeutique avait principalement pour but de clarifier la situation pour la patiente afin qu’elle puisse faire des liens entre ce qu’elle exprimait par des symptômes et ce qu’elle devait cacher. L’implication du père a été primordiale pour atténuer le sentiment de non-reconnaissance qu’éprouvait l’adolescente. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Secrets de famille ; Adolescence ; Trouble dissociatif ; Transmission Summary The purpose of this paper is to identify the possible links between family secret and psychopathology in adolescence. This text concerns the 14-year-old young girl, Kimberley, in a psychiatric unit for teenagers. In the exposed situation, the patient is a holder of the secret. Nevertheless, the presence of the secret gives to the girl the sensation of having “a hidden life” and to be excluded from a part of her family. The teenager arose from a union between her mother and a married man. The secret is that the wife and the children of this one do not know the existence of the patient. The secret, source of a very early trauma, before the birth of the patient could be responsible for a dissociative identity disorder. Family interviews allowed to bring to light factors of maintenance of secrecy, such as the considerable part of the maternal inheritance in the preservation of the silence and the fact that the father of the patient, formerly demonized, was completely immured himself in his secret. The young person realized the risk which constituted the disclosure of the secret for the stability of the system but nevertheless wished to offload a weight. Indeed, the disorders bound to a secret do not disappear necessarily with its disclosure. The therapeutic work mainly aimed at clarifying the situation for the patient so that she can make links between what she expressed by symptoms and what she had to hide. The implication of the father was essential to limit the feeling of non-gratitude felt by the teenager. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Family secrets; Adolescence; Dissociative disorder; Transmission Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Sebti). Introduction Selon Guy Ausloos, « le secret est un élément d’information non-transmis, que l’on s’efforce, consciemment, volontaire- ment, de cacher à autrui, en évitant d’en communiquer le 0222-9617/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2011.06.005

Enfant du secret. Devenir d’un secret de famille à l’adolescence

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 362–368

Cas clinique

Enfant du secret. Devenir d’un secret de famille à l’adolescence

Secret child. Become of a family secret in adolescence

S. Sebti a,∗, S. Goffinet b, B. Ghyssel c, D. Mikolajczak-Charlier c

a 66, rue Henri-Grenier, 1350 Orp-le-Grand, Belgiqueb Clinique Fond’Roy, 49, avenue Jacques-Pastur, 1180 Bruxelles, Belgique

c Cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique

ésumé

Le but de cet article est de repérer les liens possibles entre secret de famille et psychopathologie à l’adolescence. Ce texte concerne la prise enharge d’une jeune de 14 ans, Kimberley, au sein d’une unité psychiatrique pour adolescents. Dans la situation exposée, la patiente est détentriceu secret. Néanmoins, la présence du secret donne à la jeune fille la sensation d’avoir « une vie dissimulée » et d’être exclue d’une partie de saamille. L’adolescente est née d’une union entre sa mère et un homme marié. Le secret réside dans le fait que l’épouse et les enfants de celui-ci neonnaissent pas l’existence de la patiente. Le secret, source de traumatisme ultra précoce, avant même la naissance de la patiente, pourrait être à’origine d’un trouble dissociatif de l’identité. Les entretiens de famille ont permis de mettre en évidence des facteurs protégeant le secret que nouse soupconnions pas au départ de la prise en charge, tels que la part considérable de l’héritage maternel dans le maintien du silence et le fait que leère de la patiente, autrefois diabolisé, était lui-même complètement emmuré dans son secret. La jeune se rendait compte du risque que constituaita divulgation du secret pour l’homéostasie du système mais désirait néanmoins se délester d’un poids. En effet, les troubles liés à un secret neisparaissent pas forcément avec sa divulgation. Le travail thérapeutique avait principalement pour but de clarifier la situation pour la patiente afinu’elle puisse faire des liens entre ce qu’elle exprimait par des symptômes et ce qu’elle devait cacher. L’implication du père a été primordiale pourtténuer le sentiment de non-reconnaissance qu’éprouvait l’adolescente.

2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ots clés : Secrets de famille ; Adolescence ; Trouble dissociatif ; Transmission

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The purpose of this paper is to identify the possible links between family secret and psychopathology in adolescence. This text concerns the4-year-old young girl, Kimberley, in a psychiatric unit for teenagers. In the exposed situation, the patient is a holder of the secret. Nevertheless,he presence of the secret gives to the girl the sensation of having “a hidden life” and to be excluded from a part of her family. The teenager aroserom a union between her mother and a married man. The secret is that the wife and the children of this one do not know the existence of theatient. The secret, source of a very early trauma, before the birth of the patient could be responsible for a dissociative identity disorder. Familynterviews allowed to bring to light factors of maintenance of secrecy, such as the considerable part of the maternal inheritance in the preservationf the silence and the fact that the father of the patient, formerly demonized, was completely immured himself in his secret. The young personealized the risk which constituted the disclosure of the secret for the stability of the system but nevertheless wished to offload a weight. Indeed, the

isorders bound to a secret do not disappear necessarily with its disclosure. The therapeutic work mainly aimed at clarifying the situation for theatient so that she can make links between what she expressed by symptoms and what she had to hide. The implication of the father was essentialo limit the feeling of non-gratitude felt by the teenager.

2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Sebti).

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222-9617/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.neurenf.2011.06.005

ntroduction

Selon Guy Ausloos, « le secret est un élément d’informationon-transmis, que l’on s’efforce, consciemment, volontaire-ent, de cacher à autrui, en évitant d’en communiquer le

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S. Sebti et al. / Neuropsychiatrie de l’en

ontenu, que ce soit selon le mode digital ou analogique. Unecret est mis en place lorsqu’une loi, dite ou non-dite, le plusouvent morale, a été, est ou menace d’être transgressée, ceui entraînerait une atteinte à l’image de soi, individuelle ouamiliale » [1].

Nous avons choisi de rapporter ici l’histoire de Kimberley,ne jeune adolescente de 14 ans. Ce choix résulte du fait que laatiente liait systématiquement ses symptômes et ses différentsvènements de vie au secret dont elle était la gardienne. Elle até admise au sein de notre unité psychiatrique pour adolescentst jeunes adultes, adressée par son psychiatre traitant (allégatione la demande [2]). Elle détient un secret de famille dont leoids va en grandissant. Très vite, lors de l’entretien de pré-dmission, elle explique être une « enfant du secret ». En effet,’épouse et les deux autres enfants de son père ne connaissentas son existence. Elle exprime une souffrance qu’elle lie à unanque de reconnaissance de son père. Quels sont les liens entre

a présence de ce secret de famille et l’apparition des symptômessychiatriques ?

Nous débuterons par la présentation de la situation clinique.uis, nous réaliserons une intégration théorico-clinique associéeune discussion. Les références théoriques sont d’orientation

ystémique et psychanalytique.

ituation clinique

Kimberley a été hospitalisée cinq mois. Le médecin candi-at spécialiste en psychiatrie infantojuvénile avait la fonctione psychiatre individuel de Kimberley et était présente auxntretiens de famille afin de travailler « l’ici et maintenant »,’est-à-dire les questions du quotidien dans l’unité. Ces entre-iens étaient menés par la thérapeute de famille. Un infirmier oun éducateur était souvent présent.

L’adolescente est de taille moyenne et présente un léger sur-oids. D’un point de vue systémique, Kimberley est porteuse duymptôme [2]. Elle présente des troubles obsessionnels compul-ifs et relate des rituels au moment du coucher. Elle se scarifie delus en plus. Elle a déjà fait deux tentatives de suicide. À son arri-ée à l’hôpital, la seule alternative exprimée par la patiente pour’extraire de ses difficultés est la mort. Elle décrit une thymieépressive et des idées suicidaires quotidiennes. Elle évoque desifficultés d’endormissement et des interruptions du sommeil.’appétit est augmenté et l’anxiété est majeure. Elle se plaint deégurgitations incoercibles et très fréquentes depuis l’enfance.lle nous fait part de reviviscences d’éléments traumatiques. Laatiente garde malgré tout une certaine capacité à éprouver dulaisir, notamment par le dessin et la lecture. La patiente, saère et sa grand-mère souffrent de la situation et demande de

’aide [2].Selon Kimberley, son mal-être a commencé un an et demi

uparavant : « le jour où ma mère a voulu m’étrangler ». Ceour-là, son psychologue lui aurait recommandé de faire sesTOCs » à cinq reprises (injonction paradoxale ?). Elle avait

eté un nombre important de gants de toilette et de serviettesouillées dans la salle de bain. Cela avait mis sa mère dans

ne colère « folle ». Elle relate avoir « envie de mourir » depuiset évènement. « Je ne suis pas prête à accepter qu’elle ait une

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utorité sur moi, elle ne m’a jamais mis de limite. Alors main-enant, c’est difficile. Elle faisait tout ce que je voulais ». Lors’un entretien de famille, la mère raconte la crise dans la salle deain : « il y avait des papiers partout et beaucoup de serviettesterre, j’ai changé de voix, j’ai arraché ses cheveux et je l’ai

eté. Je lui ai dit de ramasser et j’ai vu mes mains qui allaient’étrangler. J’ai eu peur de la tuer ».

Kimberley exprime un désir de vengeance vis-à-vis de sonère qui refuse d’assumer son existence auprès de sa familleucléaire. Elle explique également que ses idées suicidaires luirocurent « beaucoup de plaisir » à l’idée que son père pour-ait avoir sa mort sur la conscience. Elle souhaite que son pèreegrette de ne pas avoir dévoilé qu’elle existait à son épouse etes enfants.

istoire de vie

La patiente a été « désirée » par ses deux parents. La mèrevait demandé un bébé comme cadeau de Noël et le père avaitccepté. En effet, au moment de sa conception, son père étaitéparé de son épouse et la mère de Kimberley vivait chez lui.endant la grossesse, assez brutalement, il lui a demandé deartir parce que sa femme avait décidé de revenir. Il lui auraitlors demandé si elle comptait garder le bébé. La mère expliquevoir compris beaucoup plus tard qu’il lui demandait d’avorter.lle pensait qu’il parlait de la garde de l’enfant à naître. C’estinsi que le secret s’est constitué.

Kimberley relate qu’entre l’âge de la marche et ses six ans,lle faisait des rituels toute la journée. Ces rituels consistaientmarcher en suivant un circuit et à répéter certains gestes. Ellerécise qu’elle détestait passer par une pièce centrale où il n’yvait pas de lumière. À trois ans, elle entendait des voix qui luiisaient « bonjour ». La mère évoque, qu’étant petite, Kimberley,ouffrait de douleurs abdominales qui l’empêchaient d’aller à’école. . .

La patiente rapporte un épisode traumatique lorsqu’elle avaitix ans. Elle rejoignait sa mère chez le médecin après l’école,orsqu’elle a été agressé par quatre garcons. Ceux-ci lui ont don-és des coups de poing et des coups de pieds dans le ventre aprèsui avoir lancé des pierres. Puis l’ont emmené plus loin derrièren buisson pour lui brûler les cuisses et la blesser à l’aide d’unutter. La patiente n’en avait jamais parlé à personne, même passa mère. Elle exprime un désir de vengeance : « je veux les brû-

er entièrement, faire une grosse flamme avec un déodorant ».a patiente dit que, depuis cet événement, « Fumico », un per-onnage qui lui permet de « moins souffrir » est en elle, il estcapable de tuer ». Il pourrait s’agir d’un alter masculin dans

e cadre d’un trouble dissociatif de l’identité (auparavant appeléersonnalité multiple). En effet, dans un tel trouble, l’alter se dis-ingue du compagnon imaginaire de l’enfance. Selon le DSM IV3], un trouble dissociatif de l’identité se caractérise par :

la présence de deux ou plusieurs identités ou « états de

personnalité » (alters) distincts, chacun ayant ses modalitésconstantes et particulières de perception, de pensée et derelation concernant l’environnement et soi-même ;
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au moins deux de ces identités ou « états de personnalité »prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet ;une incapacité à évoquer des souvenirs personnels importants,trop marquée pour s’expliquer par une simple « mauvaisemémoire » ;la perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directsd’une substance ou d’une affection médicale générale.

En entretien individuel, l’adolescente parle beaucoup du liensa mère. « Je ne sais pas si je dois être proche ou loin d’elle ».Lorsque je souffre, elle souffre mais différemment. Suite à mesroblèmes, maman a fait une pelade et les quelques cheveux quint repoussés étaient blancs ». Kimberley est très ambivalentear rapport à cela. À la culpabilité première, a succédé l’idéeue grâce à ca « plus aucun homme » n’approcherait sa mère.lle décrit un dégoût sans bornes des hommes. « Ma mère attire

oujours des hommes mariés et fous ». « Je ne connais que desommes cons, je n’en connais aucun qui vaille la peine ». Elleune peur intense à l’idée de perdre sa mère, décrite comme

épressive et qui a déjà menacé de se suicider.

éalisation du génogramme

Le génogramme a été construit en plusieurs temps. Une pre-ière ébauche a été faite lors de l’entretien de pré-admission

Fig. 1). Puis, comme tous les patients hospitalisés, Kimber-ey a été invité à faire son génogramme une semaine après sondmission avec l’aide de son éducateur de référence. Les entre-iens de famille ultérieurs ont permis de préciser de nombreuxvènements dont la patiente n’avait pas connaissance.

a famille maternelleLa mère de la patiente s’est montrée très assidue aux entre-

iens de famille hebdomadaires. Kimberley et sa mère ontoujours vécu à deux en vase clos. Selon la mère, le lien

ère–fille est « très fusionnel ». Kimberley voudrait suivrees cours par correspondance pour être plus souvent avec saère. L’adolescente dit avoir très peur d’être abandonnée et

it vouloir « mourir en même temps » que sa mère. La mèrexplique qu’elles sont toutes les deux très casanières. Seuleses visites chez la grand-mère maternelle sont rapportées. Sarand-mère maternelle est pour Kimberley la « seule personnee confiance » : « elle me comprend parce qu’elle a vécu la mêmehose ». En fait, la grand-mère maternelle et son frère ont étélevés par leurs grands-parents parce que leur propre mère avaitefait sa vie à l’étranger. Cette grand-mère maternelle raconteu’étant adolescente, elle avait été rendre visite à sa mère qui’avait présenté comme une cousine, lui interdisant ainsi, impli-itement, de dévoiler qu’elle était sa fille. Il y a donc eu dans laamille maternelle de la patiente d’autres « enfants du secret ».e grand-père maternel est décrit comme violent. En sortant’un entretien, la mère signale, en pleurs, dans le couloir, enrésence de Kimberley : « il y a eu des suicides dans la famille,

a grand-mère paternelle par pendaison, le frère de ma grand-ère maternelle et un ou deux cousins de ma mère mais ma fille

e le sait pas ». Ces secrets de famille, non révélés parce que hon-eux, inquiètent beaucoup la mère qui a peur que l’histoire se

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et de l’adolescence 59 (2011) 362–368

épète et que Kimberley se suicide. Le parrain de la patiente estécédé dans un accident quand elle avait deux ans. Une cousinee la patiente a également fait une tentative de suicide (celle-ci’est pas représentée sur le génogramme).

a famille paternelleNous avons dû insister et patienter avant de voir le père en

ntretien. Notre argument pour le faire venir : « sans votre aide,ucune action durable n’est possible » a fini par porter ses fruitst trois entretiens de famille ont eu lieu en présence de la patientet de ses deux parents.

La patiente commence le premier entretien en présence deon père en disant : « je n’aurais pas dû exister ». « Papa voulaitue je meure, il avait demandé à maman d’avorter, même mamanrouve qu’il n’est pas sincère lorsqu’il dit que c’est faux ». Kim-erley ne connaît pratiquement pas son père. Elle ne sait pasce qu’il aime ni comment il est vraiment ». La patiente déclare

ouhaiter porter le nom de son père, « je veux qu’il aille à laaternité pour me reconnaître » comme si elle voulait revenir

n arrière et réécrire son histoire. Elle dira plus tard que c’estne histoire d’argent : « ainsi je pourrai avoir l’héritage, c’estaman qui m’a donné l’idée ».Le père explique qu’il a toujours « été secret pour les choses

es plus importantes ». Le père explique qu’à son travail, certainsollègues connaissent l’existence de Kimberley, de même quea propre mère et sa sœur. Seuls sa femme et ses deux enfantse le savent pas. Il reviendra longuement sur sa relation difficilevec son propre père maintenant décédé.

Dans un premier temps, il dit ne trouver aucun intérêt à dévoi-er le secret de l’existence de Kimberley. Il ne serait pas soulagerar un tel aveu. Il est convaincu que sa femme demanderait leivorce et qu’elle monterait les enfants contre lui. Il expliquevoir une relation très distante avec ceux-ci. Il a peur de divor-er car cela impliquerait la vente de la maison familiale qu’il aonstruite avec son père. D’autres scénarios ont été questionnée manière circulaire mais celui-ci semblait le plus probableour tous. Au troisième entretien, le père dit avoir entendu laemande de Kimberley et bien réfléchi. Il est d’accord de recon-aître Kimberley afin de mettre tous ses enfants sur un mêmeied d’égalité : « ca va être l’horreur mais d’accord ». Il pré-ise qu’elle pourra également rencontrer ses tantes mais pas sarand-mère paternelle qui est dépressive. Suite à cette promesse,a patiente dit se rendre compte que les cours par correspon-ance qu’elle réclamait à corps à cris ne seraient pas une bonnelternative. . .

volution pendant le séjour

À son arrivée, Kimberley est très fuyante, discrète, parle peut se cache derrière ses cheveux noirs. La patiente marche sou-ent à pieds nus. Elle a une très mauvaise estime d’elle-même :je déteste mon corps, surtout mon ventre. Je suis laide, grosse,

idicule et conne ».

Après quelques semaines, elle arrive malgré tout à s’intégrer

ans le groupe d’adolescents.Au début de son séjour, la mère de la patiente fût contrainte

e décommander une visite. Kimberley l’a alors menacé de se

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Fig. 1. Génogramme réalis

endre. Ce soir-là, la patiente a lu toute la soirée et n’a éprouvéucune difficulté à s’endormir. . .

L’adolescente s’habille presque exclusivement en noir, se ditfan de Satan » [4] et raconte partout les moyens d’entrer enontact avec des fantômes et des morts. Elle a été retrouvée, àeux reprises, avec une autre adolescente en train de pratiquere la magie noire, entourées de bougies et scandant de drôles deormulations. Elle dit que sa mère trouve cela dangereux maisue c’est familial : « mon oncle ressent la présence de personnesécédées, il a déjà parlé avec sa grand-mère ».

Un soir, alors qu’elle lisait tranquillement dans sa chambre,lle s’est levée et a dit à ses voisines : « il est temps d’en finir ».lle a alors enroulé un rideau autour de son cou et s’est lais-ée tomber sur le lit. Elle semblait inconsciente. Elle a ensuiteit ne se souvenir de rien : « il ne s’est rien passé ». Ces crisese sont reproduites quelques fois, toujours dans le cadre d’unécu d’abandon. Le diagnostic de trouble dissociatif de l’identitéemble se confirmer suite à ces crises.

Progressivement elle devient insolente et opposante, elleaquine les garcons. Un mois après son arrivée, elle se rapproche’un patient psychopathe d’une cinquantaine d’années, se pro-enant avec lui main dans la main et insistant sur le fait que ce

’est qu’un ami. . . Cette relation s’est rapidement terminée suiteun geste agressif de ce patient vis-à-vis de Kimberley. Cet épi-

ode a bien entendu confirmé la thèse de la patiente : « tous lesommes sont des pourris ». Le discours de la mère et de la grand-ère maternelle disqualifient le père et les hommes en général.

l s’avère que de nombreuses représentations de l’adolescenteont construites autour de ce discours : « ton père ne vient te

oir que parce qu’il a peur qu’on dévoile le secret. Il n’aime pasa femme et reste avec elle uniquement pour ne pas perdre saaison, ils sont tous pareils ».

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Kimberley et ses parents.

La patiente se demande où son père a mis tous les cadeauxe fêtes des pères : « soit il les a jeté, soit il les a mis dans uneetite boîte bien cachée ».

Au début de l’hospitalisation, la patiente envisageait d’alleronner à la porte de son père pour clamer son existence maisela lui était interdit par sa mère. Lors d’un entretien mère–fille,imberley se met en colère disant que son père répète qu’il

st toujours là pour elle alors « qu’il est toujours absent ». Elleelate une crise dans la voiture de son père (cris et coups sur lesitres). Elle précise ne pas s’en souvenir ; c’est sa mère qui luiraconté. Elle rajoute : « personne ne peut comprendre ce que

’est de ne pas être reconnu par son père, d’avoir son existenceissimulée ».

Les symptômes de la patiente se sont estompés au fur et àesure que l’hospitalisation avancait. Une différence flagranteété noté par l’ensemble de l’équipe après le premier entretien

vec son père.En fin de séjour, la patiente est ambivalente. En entretien

ndividuel, elle dit être très angoissée à l’idée de quitter l’hôpitalt de rentrer chez elle. Tandis qu’aux entretiens en présence dea mère, elle affirme le contraire. Le projet co-construit avecimberley consistait en un retour à domicile avec fréquentation’un internat pendant la semaine. Devant la tristesse de sa mèrel’évocation d’un tel projet, la patiente change d’avis et dit

ouloir suivre des cours par correspondance, demandant à sonère de les financer. Elle menace de se couper les deux jambest de se crever les yeux si nous n’accédons pas à sa demande.a jeune n’a de cesse d’inquiéter sa mère : « c’est les cours parorrespondance ou la mort ». Dans le même ordre d’idées, la

ère refuse que la patiente prenne le train seule. La jeune en

ajoute en disant qu’elle a failli se faire violer quatre fois danses gares. Et la mère « s’affole » à chaque fois. . .

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fressort du secret familial qui sous-tend ce rôle. Les secrets,

Fig. 2. Dessin réalisé par Kimberley en début d’hospitalisation.

En fin de séjour, Kimberley peut nuancer la relation à saère. Elle envisage de voir des amis, de faire des sorties mais

as d’avoir une relation amoureuse. La patiente souhaite deve-ir écrivain. Nous constatons un changement manifeste sur sonisage. Son discours est plus positif et optimiste. Les penséesorbides s’éloignent. Finalement, l’orientation proposée fût

elle d’un service résidentiel pour jeunes, (une petite structuree 60 enfants de trois à 18 ans) qui accompagnerait la patientet sa famille. En attendant la prochaine rentrée scolaire, nousroposons un service d’accrochage scolaire et pour les vacances’été, la prise en charge par un service d’aide en milieu ouvertour l’organisation d’activités.

En début d’hospitalisation Kimberley est conviée à se des-iner. Elle s’est représentée avec sa mère (Fig. 2). Nousommes interpellés par le côté peu mature du dessin. En fin’hospitalisation, la patiente est invitée à se dessiner (Fig. 3) àouveau. La différence est flagrante et cette fois-ci elle est seule.ne certaine différentiation de soi semble amorcée.

ntégration théorico-clinique et discussion

pproche systémique

Selon Guy Ausloos, « mettre en place un secret, c’est consti-uer un savoir comme intransmissible, caché à l’autre. Laersonne décide pour les autres ce qu’il est bon qu’ils sachent,

ans les consulter, sans leur demander leur avis. Il y a donc uneelation dialectique qui lie le détenteur du secret à l’autre, à celuiui n’est pas dans le secret. Sans autre, point de secret véritable.

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Fig. 3. Dessin réalisé par Kimberley en fin d’hospitalisation.

i le secret est d’importance, les règles qu’il engendre devien-ront prépondérantes dans le fonctionnement familial. Elles neeront cependant que très rarement formulées explicitement,ela d’autant plus qu’elles se rattachent à un secret. C’est donce facon détournée qu’elles seront transmises et pourront êtreercues par l’observateur dans la forme de ce que Ferreira aoliment appelé le « mythe familial » et qu’il définit ainsi : « unertain nombre de croyances bien systématisées, partagées parous les membres de la famille, au sujet de leurs rôles respec-ifs dans la famille et de la nature de leurs relations » [5]. En’autres termes, le mythe reflète l’image que la famille veutonner d’elle-même, que cette image corresponde ou non à laéalité. Il sera d’ailleurs d’autant plus fort que cette image neorrespond pas à la réalité. Une famille au fonctionnement figéar des règles strictement préétablies s’efforcera d’autant pluse rester conforme au mythe qu’elle a forgé que celui-ci apparaîtomme le dernier rempart contre le chaos » [1]. Dans la familleaternelle de Kimberley, un des mythes pourrait être : soit on

bandonne son enfant, soit on fusionne.« La pathologie que nous « montre » un membre du système

amilial résulterait donc du rôle qui lui a été dévolu et en dernier

es règles qu’ils entraînent, les mythes qu’ils fondent contri-uent à éviter des changements vécus comme menacants. En’autres termes, ils contribuent à maintenir l’homéostase, cet

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tat systémique idéal du non-changement » [1,6]. La mère deimberley semble avoir été longtemps la véritable gardienne du

ecret : s’appuyant sur l’héritage mythique qu’elle a recu, ellenterdit à sa fille de divulguer le secret. Jusqu’à ce que Kimber-ey développe « sa maladie », la mère était la patiente-désignée,épressive chronique et suicidaire, garante de l’homéostasieamiliale et donc du secret. En présentant des troubles psychia-riques de plus en plus inquiétants, Kimberley « vole » cette placesa mère et se met en position de décider si le secret peut êtreivulgué ou non. Elle se met par la même occasion dans la posi-ion d’arbitre qui va départager deux rivales, sa mère et l’épousee son père, avec peut être l’espoir, plus ou moins conscient,u’ont tous les enfants, de réunir ses parents suite au « divorcennoncé » de son père.

Guy Ausloos rajoute que « l’adolescence et l’entrée dansa vie adulte sont par excellence les moments où les secretsrennent de l’importance. Le besoin de confidentialité de’adolescent, les nouvelles frontières et alliances que sa pré-ence suscite, la modification des règles familiales qu’entraîneon nouveau statut sont autant de raison de constituer des secrets.ar ailleurs, le besoin de sens qui coïncide avec cette recherche’identité, la nécessité où se trouve le système de se redéfinir,es tensions entraînées par la situation de crise d’adolescenceont également autant de raisons de révéler des secrets. Quandn sait les liens qui unissent secrets et manifestations patholo-iques, on n’est pas étonné de voir que secrets et émergencesathologiques coïncident souvent avec les grandes étapes de laie familiale » [1]. En faisant des tentatives de suicide, Kimber-ey agit le secret. En se menacant de mort, elle reformule, 14 anslus tard, la demande d’avortement de son père.

Pour Guy Ausloos, « les symptômes apparaissent lorsqu’ila incompatibilité entre les finalités familiales et les finalités

ropres du patient-désigné. Tant qu’il n’a pas été déchargé deon rôle, il ne peut se permettre d’épanouir ses propres finalités »7]. Un enjeu de la thérapie était donc de délester Kimberley dee rôle de gardienne du secret afin qu’elle puisse sortir de cettat dépressif.

Dans un autre article, Guy Ausloos explique que « certainsecrets peuvent donner naissance à une distorsion des liens auein du groupe familial, distorsion à l’origine de la patholo-ie d’un des membres » [8]. Après en avoir beaucoup voulu àon père, Kimberley semble en colère contre sa mère (au moinsutant que contre son père) qui n’a pas fait éclater au grand jouron existence. D’une relation mère–fille symétrique où la bar-ière générationnelle est loin d’être respectée (Kimberley jouante rôle de confidente de sa mère est en quelque sorte parentifiée),lles sont passées à une relation complémentaire où la mère aenté d’avoir de l’autorité sur sa fille, puis à une relation où laatiente prend une position haute et semble mener sa mère (eton père) à la baguette.

Bowen, quant à lui, a étudié la notion de « transmissionntergénérationnelle d’une faute et de la malédiction ou de laulpabilité qu’elle entraîne » [9]. À la même époque, Stierlin

vance la notion de « délégation ». Selon lui, « l’adolescent,vant d’atteindre l’âge adulte, pourrait être « délégué » par le sys-ème familial pour accomplir une mission. Cette délégation, laature de la mission et les modalités de son exécution varieraient

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n fonction de l’histoire familiale. Si cette délégation n’est pasxécutée, l’adolescent resterait lié au système familial par desettes de loyauté non acquittées qui l’empêcheraient de quitterraiment sa famille d’origine et d’accéder à l’autonomie. De làésulteraient, soit des troubles psychiques ou comportementauxdélinquance, toxicomanie), soit des maladies (psychosoma-ique ou même cancer) » [10]. Kimberley explique qu’elle a leoutien de sa grand-mère maternelle pour aller sonner à la portee son père et tout dire à sa famille. Il pourrait s’agir d’une mis-ion qui « vengerait » sa grand-mère maternelle qui n’a jamaisté reconnue par sa propre mère.

Par ailleurs, Jean-Paul Mugnier propose « d’aborder le rap-ort entre secret et humiliation pour que le dévoilement du secrete représente plus une menace mais, au contraire, une étapeonstructive entre celui qui en est porteur et le reste du monde.l est possible de distinguer les différents types de secrets lelus souvent rencontrés dans la clinique, secrets pouvant êtreétenus par une seule personne, par deux membres du groupeamilial ou encore par toute la famille vis-à-vis du monde exté-ieur ; il concerne : les avortements, les filiations adultérines, lesnfants concus avant le mariage (notamment les enfants de pèrenconnu), les suicides, les agressions sexuelles et les filiationsncestueuses. Tous ces secrets ont une caractéristique commune :ls sont liés à une notion de transgression, de faute morale com-

ise envers autrui ou envers soi-même et par conséquent, ils sontorteurs de culpabilité et de honte. Se sentir coupable revient àeconnaître son engagement dans la souffrance de l’autre et/oue soi-même » [11].

pproche psychanalytique

Serge Tisseron pose la question de « savoir à quel momentasse-t-on des secrets structurants et positifs aux secrets des-ructeurs et malsains ? De facon générale, le secret cesse d’êtretructurant et devient déstructurant au moment où nous ces-ons de le « garder » pour nous sentir « gardé » par lui. Nouse sommes plus son gardien mais son prisonnier. En pratique,omment distinguer les « bons » et les « mauvais » secrets ? Lesons secrets nous rendent heureux, disponibles aux autres et auonde. Au contraire, les mauvais secrets nous rendent malheu-

eux » [12]. La souffrance de Kimberley et de sa famille seraitonc l’indicateur du fait que le secret doit être dévoilé.

Il ajoute, « le drame du secret est de diviser son porteur eneux : une partie de lui voudrait parler pour se soulager et uneutre craint de le faire mais se l’interdit. Un tel clivage a desffets immédiats sur les capacités de dissimulation. L’enfantpprend à cacher ses sentiments et ses pensées. Le secret pro-oque des perturbations, et les efforts faits par l’entourage pour’en accommoder, déterminent des conduites qui perturbent lesommunications de cet entourage, et dans une famille, sur plu-ieurs générations. Signalons que les troubles liés à un secrete disparaissent pas forcément avec sa divulgation. Mais évo-uer avec quelqu’un un secret qui l’a marqué lui permet de se

onstruire enfin sur des bases solides. Ce n’est pas tout, mais’est déjà considérable. Les clivages et les dénis précoces que’enfant a mis en place au cours d’expériences relationnellesvec des parents eux-mêmes clivés sous l’effet d’un secret sub-
Page 7: Enfant du secret. Devenir d’un secret de famille à l’adolescence

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[12] Tisseron S. Bons et mauvais secrets. Sante Mentale 2007;122.

68 S. Sebti et al. / Neuropsychiatrie de l’en

istent après la révélation de celui-ci. Celui qui a grandi avec unarent coupé en deux et a su s’en accommoder a toujours finiar se couper en deux lui-même. Ceux qui grandissent dans unilieu à secret deviennent à leur tour des créateurs de nouvelles

ituations de secrets ! Comme ils ne peuvent pas maîtriser lesecrets dont ils sont victimes, ils tentent de créer d’autres qu’ilsuissent contrôler. Mais leurs enfants, risquent bien d’en êtreravement perturbés ». Kimberley après s’être fait agressée paruatre jeunes, n’en avait jamais parlé à personne.

Par ailleurs, Ferenczi soutient que « ce n’est jamais’événement ou le secret qui est traumatique mais le désaveuuquel il est soumis, qui exerce une action psychique destructiveur la psyché de l’enfant et représente une blessure narcissiqueui concerne l’identité du sujet » [13].

Il nous semble important de mentionner également Josettearon, selon laquelle « les brûlants secrets, se réfèrent à des

ecrets de famille frappés par la honte, du côté de blessures nar-issiques irreprésentables qui ne peuvent être prises en comptesychiquement. Certains parents dénient autant les traumatismesont ils ont tous deux été victimes eux-mêmes que ceux de laénération précédente. Objets de désaveu, ces traumatismes neont ni représentés ni symbolisés mais répétés, agis dans la rela-ion passionnelle que les parents entretiennent avec leur enfantt que celui-ci tente de conjurer en gelant tout affect. Suite àa thérapie, le sujet devient l’auteur de sa propre histoire dansn processus d’historisation/subjectivation. Véritable travail deréation au registre symbolique de ce qui a été traumatique,’historisation intégrante et structurante permet au patient d’êtree sujet de son histoire au prix cette fois d’un deuil là où il yvait clivage. Elle lui offre la possibilité d’une construction deon identité à partir d’identifications partielles multiples et nonlus d’une assignation à une identité forcée. L’histoire n’est pase passé, mais elle permet, dans le présent, de mettre en circu-ation de nouvelles représentations du passé et d’ouvrir sur unvenir délesté, en partie du moins, d’un legs inconnaissable maisux effets omniprésents. Renvoyer aux autres ce qui leur appar-ient et ne pas accepter inconditionnellement l’héritage. C’est à’imagination qu’il revient de combler les lacunes de l’histoire »14]. Ainsi la construction du génogramme a permis à Kimber-ey de se représenter d’où elle venait et de se décharger d’uneartie du poids du secret.

onclusion

L’adolescence constitue par essence une période de quêtee reconnaissance. Il s’agit d’un cheminement nécessaire à laonstruction de l’identité. Dans la situation exposée, la présenceu secret donne à la patiente la sensation d’avoir « une vie dis-imulée » et d’être ainsi exclue d’une partie de sa famille. Leecret, source de traumatisme ultra précoce, avant même sa nais-ance, est à l’origine d’un trouble dissociatif de l’identité. Un

njeu de la thérapie était de délester Kimberley de ce rôle deardienne (prisonnière ?) du secret afin qu’elle puisse sortir deet état dépressif.

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Les entretiens de famille ont permis de montrer la part consi-érable de l’héritage maternel dans le maintien du silence et leait que le père de la patiente, autrefois diabolisé, était lui-mêmeomplètement emmuré dans son secret et en grande souffranceepuis très longtemps. La jeune se rend compte du risque queonstitue la divulgation du secret pour l’homéostasie du sys-ème mais désire néanmoins se délester d’un poids. En effet,es troubles liés à un secret ne disparaissent pas forcément aveca divulgation. Nous avons soutenu auprès des parents le faitue la souffrance de Kimberley était l’indicateur du fait que leecret devait être dévoilé. Le travail thérapeutique avait princi-alement pour but de clarifier la situation pour la patiente qui au faire des liens entre ce qu’elle montrait par des symptômes ete qu’elle devait cacher. L’implication du père a été primordialeour atténuer le sentiment de non-reconnaissance qu’éprouvait’adolescente.

L’hospitalisation a permis à la patiente d’amorcer une cons-ruction de son identité à partir d’identifications partielles

ultiples et de se différencier quelque peu de sa mère. Passere l’acte à la parole, pour que certains mots puissent remplacerertains maux. . .

éclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

[1] Ausloos G, Secrets de famille disponible sur URL : http://www.systemique.org/idres/index.htm.

[2] Neuburger. L’Autre demande. Psychanalyse et thérapie familiale. Paris: éd.ESF; 1984.

[3] American Psychiatric Association. Mini DSM-IV critères diagnostiques.Paris: éd. Masson; 1996.

[4] Goffinet S. Le satanisme : du folklore à l’abus rituel. Neurone2005;10(7):215–20.

[5] Ferreira. Les mythes familiaux. In: Watzlawick P, et Weakland J, edi-tors. Sur l’interaction, travaux du MRI, Palo Alto 1965–1974. Seuil: Paris;1977.

[6] Bloch DA. Techniques de base en thérapie familiale. Traduction Auslooset Colas. Paris: Delarge; 1979.

[7] Ausloos G. Thérapie familiale et institution. Communication présen-tée à la réunion genevoise des thérapeutes familiaux. Genève: CEFOC;1980.

[8] Ausloos G. Secrets de famille. Changements systémiques en thérapie fami-liale. Paris: E.S.F; 1980.

[9] Bowen M. Family therapy in clinical practice. New York: Jason Aronson;1978.

10] Stierlin H. Psychoanalysis and family therapy-selected papers. New York:Jason Aronson; 1977.

11] Mugnier J.P. Secrets et humiliation. La foule ne doit pas savoir. Cahierscritiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux. Secrets, secretsno 33 De Boeck, 2004/2.

13] Ferenczi S. (1932B) journal clinique. Paris: Payot; 1985.14] Garon J. Transmission de brûlants secrets, Théorie des origines. Psycha-

nalyse et psychose 2007;7.