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Jurisprudence - Droit judiciaire Cour d'appel Liège (10 e ch.), 14 mars 2000 J.L.M.B. 00/877 I. Procédure civile - Connexité et litispendance - Absence d'identité de parties - Pas de litispendance. II. Procédure civile - Connexité et litispendance - Procédure civile - Connexité et litispendance - Renvoi de la cause au juge premier saisi. III. Appel - Recevabilité - Recevabilité - Jugement statuant sur l'exception de connexité (oui). IV. Appel - Généralités - Effet dévolutif - Appel d'un jugement refusant d'admettre la connexité - Renvoi au juge premier saisi. Plaid. : M es J.-L. Lempereur (loco E. Degrez, de Bruxelles), J.-P. Leroi, J.-P. Balthasar, J.-P. de Ruette, P. Debetencourt (de Tournai), J.-P. Tasset (loco D. Collin), J. Walrant et G. Archambeau (ce dernier de Bruxelles) 1. Lorsqu'un litige ne se meut pas entre les mêmes parties et ne porte pas sur la même cause, il ne peut y avoir de litispendance. 2. S'il s'agit d'un problème de connexité, l'article 566 du code judiciaire ne se réfère qu'à l'article 565, alinéa 2, 2° à 5°, et non à l'article 565, alinéa 2, 1°, du même code. Lorsque plusieurs sous-traitants ont introduit devant des juges différents l'action directe que leur ouvre l'article 1798 du code civil, l'ensemble des causes doivent être renvoyées au juge premier saisi. 3. La décision qui refuse de renvoyer une cause devant un autre juge parce qu'elle ne remplirait pas les conditions relatives à la connexité ou à la litispendance ne porte pas sur un conflit de compétence mais bien sur un problème de recevabilité. Dès lors, un jugement statuant sur une telle exception est susceptible d'appel. 4. Lorsque le premier juge ne s'est pas dessaisi pour cause de connexité et que la juridiction d'appel réforme cette appréciation, l'effet dévolutif fait naître un conflit de règles : soit appliquer l'effet dévolutif de l'appel alors que les règles de la connexité ne peuvent s'appliquer entre les juridictions de degrés différents, soit reconstituer l'ensemble du litige devant la juridiction du premier degré. Cette solution peut s'imposer en raison du caractère collectif de l'action directe du sous-traitant. Il convient de consacrer dans ce type de procédure le droit égal des créanciers à la répartition au marc le franc de la dette du maître de l'ouvrage à l'égard de l'entrepreneur général défaillant. Pour bénéficier de la répartition proportionnelle, à partir du moment où la demande judiciaire a été introduite, il est admis que les autres sous-traitants doivent se greffer, par intervention volontaire, sur la procédure initiale. Dès ce moment, les règles de la compétence territoriale sont définitivement fixées. Un sous-traitant ne pourrait y faire obstacle en introduisant l'action devant un autre juge que celui saisi par l'action originaire. Dans un tel contexte, la juridiction d'appel ne peut que constater son incompétence territoriale et renvoyer la cause devant le juge compétent au premier degré sans faire application de l'article 643 du code judiciaire. (Etat belge, ministre de la Défense nationale / Ferretti et autres ) Vu le jugement rendu le 24 septembre 1997 par le tribunal de première instance de Huy; ... Attendu que l'Etat belge interjette appel du jugement qui le condamne, en sa qualité de maître de l'ouvrage, à payer à l'intimé Ferretti, sous-traitant de la S.P.R.L. Retraco en faillite, 341.880 francs sur la base de l'article 1798 du code civil; Attendu que l'Etat belge soutient qu'il avait soulevé l'exception de litispendance et de connexité et sollicité le renvoi de la cause qui le concerne devant le tribunal de première instance de Bruxelles, premier saisi d'une autre action directe d'un sous-traitant par une citation du 28 janvier 1997 pour une audience du 4 février 1997, alors que la présente cause a été introduite par citation du 28 janvier 1997 pour l'audience du 19 février 1997; que le premier juge a estimé à tort avoir déjà rendu une décision sur l'affaire autre qu'une disposition d'ordre intérieur (le 19 février 1997, il a prononcé dans la même cause un jugement par défaut contre la S.P.R.L. Retraco, tandis que l'action introduite contre l'Etat belge était prorogée à l'audience du 19 mars 1997); Attendu que différentes causes ont été introduites par des sous-traitants de Retraco à Liège qui ont été ainsi renvoyées à Bruxelles pour cause de connexité, sur pied de l'article 565 du code judiciaire; que l'actuel intimé s'y est opposé devant le tribunal de première instance de Huy; Attendu que la plupart des sous-traitants dont la réclamation est actuellement pendante à Bruxelles font intervention volontaire dans le présent litige et tierce opposition aux fins d'appuyer la demande de renvoi de la présente cause devant le tribunal de Bruxelles ou, à défaut, d'obtenir jugement quant à leur créance, en

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Jurisprudence - Droit judiciaire

Cour d'appel Liège (10e ch.), 14 mars 2000 J.L.M.B. 00/877

I. Procédure civile - Connexité et litispendance - Absence d'identité de parties - Pas de litispendance.

II. Procédure civile - Connexité et litispendance - Procédure civile - Connexité et litispendance - Renvoi de la cause au juge premier saisi.

III. Appel - Recevabilité - Recevabilité - Jugement statuant sur l'exception de connexité (oui).

IV. Appel - Généralités - Effet dévolutif - Appel d'un jugement refusant d'admettre la connexité - Renvoi au juge premier saisi.

Plaid. : Mes J.-L. Lempereur (loco E. Degrez, de Bruxelles), J.-P. Leroi, J.-P. Balthasar, J.-P. de Ruette, P. Debetencourt (de Tournai), J.-P. Tasset (loco D. Collin), J. Walrant et G. Archambeau (ce dernier de Bruxelles)

1. Lorsqu'un litige ne se meut pas entre les mêmes parties et ne porte pas sur la même cause, il ne peut y avoir de litispendance. 2. S'il s'agit d'un problème de connexité, l'article 566 du code judiciaire ne se réfère qu'à l'article 565, alinéa 2, 2° à 5°, et non à l'article 565, alinéa 2, 1°, du même code. Lorsque plusieurs sous-traitants ont introduit devant des juges différents l'action directe que leur ouvre l'article 1798 du code civil, l'ensemble des causes doivent être renvoyées au juge premier saisi. 3. La décision qui refuse de renvoyer une cause devant un autre juge parce qu'elle ne remplirait pas les conditions relatives à la connexité ou à la litispendance ne porte pas sur un conflit de compétence mais bien sur un problème de recevabilité. Dès lors, un jugement statuant sur une telle exception est susceptible d'appel. 4. Lorsque le premier juge ne s'est pas dessaisi pour cause de connexité et que la juridiction d'appel réforme cette appréciation, l'effet dévolutif fait naître un conflit de règles : soit appliquer l'effet dévolutif de l'appel alors que les règles de la connexité ne peuvent s'appliquer entre les juridictions de degrés différents, soit reconstituer l'ensemble du litige devant la juridiction du premier degré. Cette solution peut s'imposer en raison du caractère collectif de l'action directe du sous-traitant. Il convient de consacrer dans ce type de procédure le droit égal des créanciers à la répartition au marc le franc de la dette du maître de l'ouvrage à l'égard de l'entrepreneur général défaillant. Pour bénéficier de la répartition proportionnelle, à partir du moment où la demande judiciaire a été introduite, il est admis que les autres sous-traitants doivent se greffer, par intervention volontaire, sur la procédure initiale. Dès ce moment, les règles de la compétence territoriale sont définitivement fixées. Un sous-traitant ne pourrait y faire obstacle en introduisant l'action devant un autre juge que celui saisi par l'action originaire. Dans un tel contexte, la juridiction d'appel ne peut que constater son incompétence territoriale et renvoyer la cause devant le juge compétent au premier degré sans faire application de l'article 643 du code judiciaire.

(Etat belge, ministre de la Défense nationale / Ferretti et autres )

Vu le jugement rendu le 24 septembre 1997 par le tribunal de première instance de Huy; ... Attendu que l'Etat belge interjette appel du jugement qui le condamne, en sa qualité de maître de l'ouvrage, à payer à l'intimé Ferretti, sous-traitant de la S.P.R.L. Retraco en faillite, 341.880 francs sur la base de l'article 1798 du code civil; Attendu que l'Etat belge soutient qu'il avait soulevé l'exception de litispendance et de connexité et sollicité le renvoi de la cause qui le concerne devant le tribunal de première instance de Bruxelles, premier saisi d'une autre action directe d'un sous-traitant par une citation du 28 janvier 1997 pour une audience du 4 février 1997, alors que la présente cause a été introduite par citation du 28 janvier 1997 pour l'audience du 19 février 1997; que le premier juge a estimé à tort avoir déjà rendu une décision sur l'affaire autre qu'une disposition d'ordre intérieur (le 19 février 1997, il a prononcé dans la même cause un jugement par défaut contre la S.P.R.L. Retraco, tandis que l'action introduite contre l'Etat belge était prorogée à l'audience du 19 mars 1997); Attendu que différentes causes ont été introduites par des sous-traitants de Retraco à Liège qui ont été ainsi renvoyées à Bruxelles pour cause de connexité, sur pied de l'article 565 du code judiciaire; que l'actuel intimé s'y est opposé devant le tribunal de première instance de Huy; Attendu que la plupart des sous-traitants dont la réclamation est actuellement pendante à Bruxelles font intervention volontaire dans le présent litige et tierce opposition aux fins d'appuyer la demande de renvoi de la présente cause devant le tribunal de Bruxelles ou, à défaut, d'obtenir jugement quant à leur créance, en

manière telle qu'ils puissent être parties à la répartition au marc le franc entre tous les créanciers.

1. Quant à la recevabilité de l'appelAttendu que la décision qui refuse de renvoyer une cause devant un autre juge, parce qu'elle ne remplirait pas les conditions relatives à la connexité ou à la litispendance, ne porte pas sur un conflit de compétence, mais bien sur un problème de recevabilité, dès lors un jugement statuant sur une telle exception est susceptible d'appel.

2. Quant à l'exception d'irrecevabilité Attendu que le premier juge a estimé à tort devoir faire application de l'article 565, 1°, du code judiciaire; qu'il ne s'agit pas, dans le cas d'espèce, d'un cas de litispendance, puisque le litige qui est pendant devant le tribunal de première instance de Bruxelles ne se meut pas entre les mêmes parties et ne porte pas sur la même cause; Qu'il s'agit en l'espèce d'un problème de connexité dans la mesure où les deux affaires présentent entre elles un rapport si étroit qu'il y a intérêt de les juger en même temps afin d'éviter des décisions inconciliables; qu'en effet, il est de l'intérêt de tous les sous-traitants de participer dans la même cause à la décision de répartition au marc le franc qui doit être décidée par le même tribunal, juge également de toutes les exceptions que peut invoquer l'Etat belge par rapport aux différentes créances qui lui sont opposées; Que l'article 566 du code judiciaire énonce que « diverses demandes en justice ou divers chefs de demande entre deux ou plusieurs parties, qui présentés isolément devraient être portés devant des tribunaux différents, peuvent, s'ils sont connexes, être réunis devant le même tribunal en observant l'ordre de préférence indiqué aux 2° à 5° de l'article 565»; que le premier juge ne pouvait dès lors invoquer le 1° dudit article inapplicable au cas d'espèce; Que l'exception de connexité fut soulevée in limine litis par l'Etat belge dans le cadre de sa défense, avant tout autre moyen au fond; qu'il importe peu que le tribunal ait condamné la S.P.R.L. Retraco par défaut dans un premier jugement, dans la mesure où cette décision porte sur une autre cause que celle pour laquelle l'Etat belge a été cité et qu'elle ne le concerne en rien; que le premier juge avait remis l'ensemble de la défense de l'Etat belge à une audience ultérieure, sans que celui-ci ait proposé aucun moyen; que, dans le cadre de la partie du litige qui le concerne personnellement et exclusivement, l'Etat belge a soulevé l'exception de connexité in limine litis; Attendu que le premier juge aurait dû renvoyer la cause au tribunal premier saisi en application de l'article 565, 5°, les deux juridictions saisies étant à ce moment au même degré.

3. Quant au renvoi devant le tribunal de première instance de Bruxelles Attendu qu'il n'est pas contesté que le tribunal de première instance de Bruxelles est bien celui qui a été saisi en premier lieu; que plusieurs décisions ont d'ailleurs fait application des dispositions susdites pour effectuer le renvoi postulé ce jour par l'Etat belge; Attendu cependant qu'en tant qu'il statue sur un problème de recevabilité, et non sur un déclinatoire de compétence relatif à la compétence du premier juge ou de la cour elle-même, aucun texte ne permet d'échapper à la règle de l'article 1068 du code judiciaire et donc à l'effet dévolutif de l'appel; Que, lorsque le juge d'appel infirme une décision par laquelle le premier juge s'est déclaré compétent, il ne peut statuer au fond que s'il est lui-même compétent; qu'au surplus, les règles de la connexité ne peuvent s'appliquer entre des juridictions de degré différent (article 29 du code judiciaire); que la cour d'appel serait donc matériellement et territorialement compétente pour connaître du présent litige; qu'elle ne pourrait, dès lors, ayant été régulièrement saisie, renvoyer le litige au tribunal de première instance de Bruxelles; Attendu que cette solution se heurte pourtant au caractère collectif de l'action directe du sous-traitant; qu'il convient de consacrer dans ce type de procédure le droit égal des créanciers à la répartition au marc le franc de la dette du maître de l'ouvrage à l'égard de l'entrepreneur général défaillant; que la doctrine et la jurisprudence estiment que, pour bénéficier de la répartition proportionnelle, à partir du moment où une demande judiciaire a été introduite, les autres sous-traitants doivent se greffer par intervention volontaire à la procédure initiale (voy. Liège, 23 mai 1996, J.L.M.B., 1997, p. 589 et suivantes, et la note de FREDERIC GEORGES, p. 600); que, dès ce moment, sont définitivement fixées les règles de la compétence territoriale auxquelles un sous-traitant ne pourrait faire obstacle en introduisant l'action devant un autre juge que celui saisi par l'action originaire; qu'ainsi, la cour d'appel de Liège doit constater son incompétence territoriale et renvoyer la cause devant le juge compétent en application de l'article 643 du code judiciaire; Attendu que, depuis la loi du 3 août 1992, le renvoi doit s'effectuer directement devant le juge d'appel compétent, en l'espèce la cour d'appel de Bruxelles; Que ce renvoi n'a, cependant, aucun sens dans la mesure où il ferait toujours obstacle à la répartition au marc le franc que devrait effectuer le tribunal de première instance de Bruxelles, sauf à tous les demandeurs, qui ne sont pas intervenus volontairement à Liège, à faire tierce opposition devant la cour d'appel de Bruxelles; qu'un seul sous-traitant créancier ne peut imposer à ceux qui ont correctement suivi la procédure applicable en matière d'action collective, d'intervenir dans une autre procédure qui ne les concerne qu'indirectement; que c'est à l'intimé qu'il appartenait d'accepter le renvoi à Bruxelles et non le contraire; Attendu que la cour se trouve manifestement devant un conflit de règles qui impose une solution logique et efficace pour le règlement de la procédure; que le code judiciaire ne permet pas de régler ce conflit de

compétence lorsque l'action est collective et se meut dans un arrondissement judiciaire différent; qu'avant la modification de l'article 643 dudit code, la cour aurait pu renvoyer la cause devant le juge compétent, même de degré différent; Que l'objectif de la modification poursuivi par le législateur était d'accélérer le jugement du procès; qu'en l'espèce, le renvoi à un autre juge d'appel ne ferait que le retarder puisqu'il n'apporte aucune solution à la procédure de répartition au marc le franc entre les différents sous-traitants; Qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer la présente cause au tribunal de première instance de Bruxelles; Que la cour ne peut que déplorer la perte de temps et d'argent qu'implique ce règlement de la procédure pour toutes les parties intervenantes, par le fait d'une mauvaise compréhension par l'intimé du caractère collectif des actions introduites sur la base de l'article 1798 du code civil. Par ces motifs, ... Réformant la décision entreprise, se déclare incompétente et renvoie la cause au tribunal de première instance de Bruxelles en raison de la connexité avec les causes pendantes sous les numéros de rôle général ... Siég. : Mmes H. Reintjens, Ch. Malmendier et C. Dumortier. Greffier : M. W. Reynders.