2
Analyses commentées 1195 La réponse virologique est associée à un bénéfice clinique chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif traités au long cours par la lamivudine Clinical outcome of HBeAg-negative chronic hepatitis B in relation to virological response to lamivudine DI MARCO V, MARZANO A, LAMPERTICO P, ANDREONE P, SANTANTONIO T, ALMASIO RIZETTO M et al for The Italian Association for the Study of the Liver (Aisf) Lamivudine Study Group Hepatology 2004;40:883-91. hépatite chronique B AgHBe négatif, initialement décrite au niveau du bassin méditerranéen, est liée à la présence de mutations au niveau des régions pré- core ou du promoteur du core du génome du viral, qui rendent impossible la synthèse et l’excrétion dans la circulation générale de l’antigène HBe [1]. La prévalence de l’hépatite chronique B AgHBe négatif est en augmentation constante [2], en particulier en France où elle représente actuellement plus de 60 % des cas [3, 4]. Elle est souvent associée à des lésions histologiques plus sévères, avec une évolution plus fréquente vers la cirrhose et ses complications, et à une moins bonne réponse à l’interféron avec de fréquentes rechutes à l’arrêt du traitement [5]. L’utilisation prolongée de l’interféron peut être limitée en raison d’une mau- vaise tolérance ou de l’existence d’une cirrhose décompensée. La lamivudine, un analogue nucléosidique inhibant l’ADN polymé- rase du VHB, a une tolérance excellente et peut être utilisée en cas de cirrhose décompensée [6] mais nécessite une administra- tion prolongée pour obtenir des taux de réponse virologique satisfaisants chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif [7, 8]. Son efficacité à long terme est cependant limitée par la survenue, avec une incidence croissante au cours du temps [9], d’un échappement virologique lié à l’émergence de mutants résistants au niveau du site YMDD de la polymérase virale [10], pouvant être associé à des réactivations sévères [11]. Les conséquences cliniques de l’émergence de mutants YMDD, en particulier le risque de décompensation hépatique, ainsi que le bénéfice clinique de la réponse virologique prolongée à la lamivudine sont encore mal connus chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif. Di Marco et al. [12] ont étudié l’impact clinique de la réponse virologique (définie par un ADN du VHB < 10 5 copies/mL) à un traitement prolongé par lamivudine (médiane 22 mois, extrêmes 1 - 66) chez 656 malades [âge moyen : 49,1 ans] atteints d’hépatite chronique B Ag HBe négatif [hépatite chronique : 54 %, cirrhose Child-Pugh A : 30 %, Child B ou C : 16 %]. Il s’agissait d’une étude rétrospec- tive multicentrique menée sous l’égide de l’Association Italienne pour l’Etude du Foie, à partir d’une base de données. Six cent seize malades (93,9 %) ont eu une réponse virologique (ADN < 105 copies/ml ou indétectable en hybridation) sous traitement. Une réponse virologique prolongée était observée chez 39 % des malades après 4 ans. Au cours du suivi, 47 malades (7,2 %) ont été transplantés, 31 (4,7 %) ont eu une aggravation de leur maladie hépatique, 31 ont développé un carcinome hépatocellulaire (4,7 %), et 24 (3,6 %) sont décédés de cause hépatique. La survenue d’un carcinome hépatocellu- laire (P < 0,001) ou l’aggravation de la maladie hépatique (P < 0,001) étaient significativement moins fréquentes chez les malades cirrhotiques ayant une réponse virologique prolongée que chez ceux ayant un échappement virologique. La survie était meilleure chez les malades Child A ayant une réponse virologi- que prolongée (P = 0,01 ; rank test). En analyse multivariée, l’existence d’une cirrhose et d’un échappement virologique étaient corrélés de façon indépendante avec la mortalité et la survenue d’un carcinome hépatocellulaire. Commentaires Le bénéfice clinique d’un traitement par lamivudine au long cours n’a été évalué jusqu’à présent que dans le cadre d’études contrôlées. Ainsi récemment, Liaw et al. [13] dans une étude ayant inclus 651 malades asiatiques (dont 42 % étaient AgHBe négatifs) ayant une fibrose sévère ou une cirrhose et traités soit par la lamivudine, soit par un placebo, pendant une durée de 3 ans, ont pu montrer pour la première fois le bénéfice de la lamivudine sur la progression de la maladie en terme de décompensation de la cirrhose et de survenue du carcinome hépatocellulaire. Une progression de la maladie était observée chez 8 % des malades traités dans le bras lamivudine et 18 % dans le bras placebo (P < 0,0001). La survenue de carcinome hépatocellulaire n’était que de 4 % chez les malades sous lami- vudine alors qu’elle était de 7 % chez les malades du bras pla- cebo (P = 0,047). Le bénéfice sur la survie n’a pu être démontré, l’étude ayant été interrompue prématurément en rai- son de la démonstration lors de l’analyse intermédiaire, d’une différence significative en terme de décompensation dans le groupe placebo. La réponse virologique n’a pas été prise en compte non plus. Le mérite de l’étude de Di Marco et al. [12] est de montrer le bénéfice clinique en cas de réponse virologique prolongée, chez un nombre important de malades traités par lamivudine en dehors du cadre d’essais thérapeutiques. Chez les malades atteints de cirrhose, ce qui représentait 46 % de l’effectif, le ris- que de développer une complication, en particulier un carci- nome hépatocellulaire, était moindre en cas de réponse virologique prolongée et la survie meilleure chez les malades Child A. Les deux principales faiblesses de cette étude sont d’une part, son caractère rétrospectif, d’autre part, la fiabilité de la défini- tion de la réponse virologique, compte tenu de la variabilité des performances des tests utilisés pour mesurer la charge virale (souvent fondés sur l’hybridation). Cependant celles-ci sont par- tiellement atténuées par la taille importante de l’échantillon étu- dié et du caractère pragmatique de l’approche choisie, privilégiant un état des lieux dans la « vraie vie ». Un autre résultat important de cette étude est le caractère délétère de la survenue d’un échappement virologique en cas de cirrhose. A contrario, chez les malades atteints d’hépatite chronique sans cirrhose, celui-ci, même lorsqu’il s’accompa- gnait d’une poussée de cytolyse hépatique, n’entraînait aucune aggravation. Ces résultats soulignent, surtout en cas de cirrhose, la nécessité d’un diagnostic précoce de l’échappement virologi- que avant l’apparition de la cytolyse, grâce à une surveillance rapprochée de la charge virale à l’aide de techniques sensibles [14]. Une fois le diagnostic d’échappement établi (défini par une réascension d’au moins 1 log de la charge virale à deux reprises), l’adjonction d’adefovir doit être entreprise sans délai avant l’apparition de l’échappement biochimique [15] en parti- culier chez les malades ayant une fibrose sévère. L’

La réponse virologique est associée à un bénéfice clinique chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif traits au long cours par la lamivudine

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La réponse virologique est associée à un bénéfice clinique chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif traits au long cours par la lamivudine

Analyses commentées

1195

La réponse virologique est associée à un bénéfice clinique chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif traités au long cours par la lamivudine

Clinical outcome of HBeAg-negative chronic hepatitis B in relation to virological response to lamivudineDI MARCO V, MARZANO A, LAMPERTICO P, ANDREONE P, SANTANTONIO T,ALMASIO RIZETTO M et al for The Italian Association for the Studyof the Liver (Aisf) Lamivudine Study Group Hepatology 2004;40:883-91.

hépatite chronique B AgHBe négatif, initialementdécrite au niveau du bassin méditerranéen, est liée àla présence de mutations au niveau des régions pré-

core ou du promoteur du core du génome du viral, qui rendentimpossible la synthèse et l’excrétion dans la circulation généralede l’antigène HBe [1]. La prévalence de l’hépatite chronique BAgHBe négatif est en augmentation constante [2], en particulieren France où elle représente actuellement plus de 60 % des cas[3, 4]. Elle est souvent associée à des lésions histologiques plussévères, avec une évolution plus fréquente vers la cirrhose et sescomplications, et à une moins bonne réponse à l’interféron avecde fréquentes rechutes à l’arrêt du traitement [5]. L’utilisationprolongée de l’interféron peut être limitée en raison d’une mau-vaise tolérance ou de l’existence d’une cirrhose décompensée. Lalamivudine, un analogue nucléosidique inhibant l’ADN polymé-rase du VHB, a une tolérance excellente et peut être utilisée encas de cirrhose décompensée [6] mais nécessite une administra-tion prolongée pour obtenir des taux de réponse virologiquesatisfaisants chez les malades atteints d’hépatite chronique BAgHBe négatif [7, 8]. Son efficacité à long terme est cependantlimitée par la survenue, avec une incidence croissante au coursdu temps [9], d’un échappement virologique lié à l’émergencede mutants résistants au niveau du site YMDD de la polymérasevirale [10], pouvant être associé à des réactivations sévères [11].Les conséquences cliniques de l’émergence de mutants YMDD,en particulier le risque de décompensation hépatique, ainsi quele bénéfice clinique de la réponse virologique prolongée à lalamivudine sont encore mal connus chez les malades atteintsd’hépatite chronique B AgHBe négatif.

Di Marco et al. [12] ont étudié l’impact clinique de laréponse virologique (définie par un ADN du VHB< 105 copies/mL) à un traitement prolongé par lamivudine(médiane 22 mois, extrêmes 1 - 66) chez 656 malades [âgemoyen : 49,1 ans] atteints d’hépatite chronique B Ag HBenégatif [hépatite chronique : 54 %, cirrhose Child-Pugh A :30 %, Child B ou C : 16 %]. Il s’agissait d’une étude rétrospec-tive multicentrique menée sous l’égide de l’Association Italiennepour l’Etude du Foie, à partir d’une base de données. Six centseize malades (93,9 %) ont eu une réponse virologique(ADN < 105 copies/ml ou indétectable en hybridation) soustraitement. Une réponse virologique prolongée était observéechez 39 % des malades après 4 ans. Au cours du suivi,47 malades (7,2 %) ont été transplantés, 31 (4,7 %) ont eu uneaggravation de leur maladie hépatique, 31 ont développé uncarcinome hépatocellulaire (4,7 %), et 24 (3,6 %) sont décédésde cause hépatique. La survenue d’un carcinome hépatocellu-laire (P < 0,001) ou l’aggravation de la maladie hépatique(P < 0,001) étaient significativement moins fréquentes chez lesmalades cirrhotiques ayant une réponse virologique prolongéeque chez ceux ayant un échappement virologique. La survie était

meilleure chez les malades Child A ayant une réponse virologi-que prolongée (P = 0,01 ; rank test). En analyse multivariée,l’existence d’une cirrhose et d’un échappement virologiqueétaient corrélés de façon indépendante avec la mortalité et lasurvenue d’un carcinome hépatocellulaire.

Commentaires

Le bénéfice clinique d’un traitement par lamivudine au longcours n’a été évalué jusqu’à présent que dans le cadre d’étudescontrôlées. Ainsi récemment, Liaw et al. [13] dans une étudeayant inclus 651 malades asiatiques (dont 42 % étaient AgHBenégatifs) ayant une fibrose sévère ou une cirrhose et traités soitpar la lamivudine, soit par un placebo, pendant une durée de3 ans, ont pu montrer pour la première fois le bénéfice de lalamivudine sur la progression de la maladie en terme dedécompensation de la cirrhose et de survenue du carcinomehépatocellulaire. Une progression de la maladie était observéechez 8 % des malades traités dans le bras lamivudine et 18 %dans le bras placebo (P < 0,0001). La survenue de carcinomehépatocellulaire n’était que de 4 % chez les malades sous lami-vudine alors qu’elle était de 7 % chez les malades du bras pla-cebo (P = 0,047). Le bénéfice sur la survie n’a pu êtredémontré, l’étude ayant été interrompue prématurément en rai-son de la démonstration lors de l’analyse intermédiaire, d’unedifférence significative en terme de décompensation dans legroupe placebo. La réponse virologique n’a pas été prise encompte non plus.

Le mérite de l’étude de Di Marco et al. [12] est de montrer lebénéfice clinique en cas de réponse virologique prolongée, chezun nombre important de malades traités par lamivudine endehors du cadre d’essais thérapeutiques. Chez les maladesatteints de cirrhose, ce qui représentait 46 % de l’effectif, le ris-que de développer une complication, en particulier un carci-nome hépatocellulaire, était moindre en cas de réponsevirologique prolongée et la survie meilleure chez les maladesChild A.

Les deux principales faiblesses de cette étude sont d’une part,son caractère rétrospectif, d’autre part, la fiabilité de la défini-tion de la réponse virologique, compte tenu de la variabilité desperformances des tests utilisés pour mesurer la charge virale(souvent fondés sur l’hybridation). Cependant celles-ci sont par-tiellement atténuées par la taille importante de l’échantillon étu-dié et du caractère pragmatique de l’approche choisie,privilégiant un état des lieux dans la « vraie vie ».

Un autre résultat important de cette étude est le caractèredélétère de la survenue d’un échappement virologique en casde cirrhose. A contrario, chez les malades atteints d’hépatitechronique sans cirrhose, celui-ci, même lorsqu’il s’accompa-gnait d’une poussée de cytolyse hépatique, n’entraînait aucuneaggravation. Ces résultats soulignent, surtout en cas de cirrhose,la nécessité d’un diagnostic précoce de l’échappement virologi-que avant l’apparition de la cytolyse, grâce à une surveillancerapprochée de la charge virale à l’aide de techniques sensibles[14]. Une fois le diagnostic d’échappement établi (défini parune réascension d’au moins 1 log de la charge virale à deuxreprises), l’adjonction d’adefovir doit être entreprise sans délaiavant l’apparition de l’échappement biochimique [15] en parti-culier chez les malades ayant une fibrose sévère.

L’

Page 2: La réponse virologique est associée à un bénéfice clinique chez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatif traits au long cours par la lamivudine

Gastroenterol Clin Biol, 2005, 29

1196

En conclusion, les résultats de cette étude montrent le béné-fice clinique de l’inhibition prolongée de la réplication viralechez les malades atteints d’hépatite chronique B AgHBe négatiftraités par lamivudine au long cours, en particulier en casd’hépatopathie sévère.

Laurent CASTERA (1, 2)(1) Service d’Hépato-Gastroentérogie,

Hôpital Haut Lévêque, Pessac ;(2) Service d’Hépato-Gastroentérogie,

Hôpital Saint-André, Bordeaux.

RÉFÉRENCES

1. Bonino F, Brunetto MR. Chronic hepatitis B e antigen [HBeAg] neg-ative, anti-HBe positive hepatitis B: an overview. J Hepatol 2003;39:S160-3.

2. Funk ML, Rosenberg DM, Lok AS. World-wide epidemiology ofHBeAg-negative chronic hepatitis B and associated precore and corepromoter variants. J Viral Hepat 2002;9:52-61.

3. Zarski JP, Marcellin P, Cohard M, Lutz JM, Bouche C, Rais A. Com-parison of anti-HBe-positive and HBe-antigen-positive chronic hep-atitis B in France. French Multicentre Group. J Hepatol 1994;20:636-40.

4. Zarski JP, Plages A, Slama A, Marcellin P. Les caractéristiques desmalades atteints d’hépatite virale chronique B en France ont changé(résumé). Gastrenterol Clin Biol 2004;28:A22.

5. Brunetto MR, Oliveri F, Coco B, Leandro G, Colombatto P, Gorin JM,et al. Outcome of anti-HBe positive chronic hepatitis B in alpha-inter-feron treated and untreated patients: a long term cohort study. J Hepatol2002;36:263-70.

6. Villeneuve JP, Condreay LD, Willems B, Pomier-Layrargues G,Fenyves D, Bilodeau M, et al. Lamivudine treatment for decompen-

sated cirrhosis resulting from chronic hepatitis B. Hepatology2000;31:207-10.

7. Hadziyannis SJ, Papatheodoridis GV, Dimou E, Laras A,Papaioannou C. Efficacy of long-term lamivudine monotherapy inpatients with hepatitis B e antigen-negative chronic hepatitis B.Hepatology 2000;32:847-51.

8. Papatheodoridis GV, Dimou E, Laras A, Papadimitropoulos V,Hadziyannis SJ. Course of virologic breakthroughs under long-termlamivudine in HBeAg-negative precore mutant HBV liver disease.Hepatology 2002;36:219-26.

9. Lau DT, Khokhar MF, Doo E, Ghany MG, Herion D, Park Y, et al.Long-term therapy of chronic hepatitis B with lamivudine. Hepatology2000;32:828-34.

10. Allen MI, Deslauriers M, Andrews CW, Tipples GA, Walters KA,Tyrrell DL, et al. Identification and characterization of mutations inhepatitis B virus resistant to lamivudine. Lamivudine Clinical Inves-tigation Group. Hepatology 1998;27:1670-7.

11. Liaw YF, Chien RN, Yeh CT, Tsai SL, Chu CM. Acute exacerbationand hepatitis B virus clearance after emergence of YMDD motif mu-tation during lamivudine therapy. Hepatology 1999;30:567-72.

12. Di Marco V, Marzano A, Lampertico P, Andreone P, Santantonio T,Almasio PL, et al. Clinical outcome of HBeAg-negative chronic hep-atitis B in relation to virological response to lamivudine. Hepatology2004;40:883-91.

13. Liaw YF, Sung JJ, Chow WC, Farrell G, Lee CZ, Yuen H, et al. Lam-ivudine for patients with chronic hepatitis B and advanced liver dis-ease. N Engl J Med 2004;351:1521-31.

14. Pawlotsky JM. Molecular diagnosis of viral hepatitis. Gastroenterology2002;122:1554-68.

15. Vassiliadis T, Nikolaidis N, Giouleme O, Tziomalos K, Grammatikos N,Patsiaoura K, et al. Adefovir dipivoxil added to ongoing lamivudinetherapy in patients with lamivudine-resistant hepatitis B e antigen-negative chronic hepatitis B. Aliment Pharmacol Ther 2005;21:531-7.