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Imagerie de la Femme (2009) 19, 251—254 CAS CLINIQUE La tuberculose ovarienne pseudotumorale : à propos de quatre cas Ovarian tuberculosis simulating carcinoma: About four cases Layla Akka a,, H. Khalil a , N. Cherif Idrissi Gannouni a , H. Jalal a , Z. Samlani b , K. Fadil b , K. Krati b , O. Essadki a , A. Ousehal a a Service de radiologie, hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Guéliz, 40000 Marrakech, Maroc b Service de gastroentérologie, hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Guéliz, 40000 Marrakech, Maroc Disponible sur Internet le 28 octobre 2009 Introduction La tuberculose constitue un problème de santé dans le monde entier. Plusieurs facteurs ont contribué à sa recrudescence, incluant essentiellement l’immunodépression liée au syndrome de l’immunodéficience acquise. La localisation pelvienne représente 6 à 10 %. L’atteinte tubaire est la plus fréquente, suivie par la localisation cervicale et endométriale. La tuberculose ovarienne est moins fréquente ; elle se présente dans un tableau clinique, radiologique et biologique très évocateur de tumeur ovarienne. Observations Cas n o 1 Patiente âgée de 35 ans qui présentait depuis trois mois des algies pelviennes associées à des signes d’empreinte vésicale avec émission de pus par le rectum, le tout évoluant dans un contexte subfébrile et d’altération de l’état général. L’examen clinique n’a pas trouvé de masse palpable. La colonoscopie a objectivé la présence d’un orifice fistuleux ramenant du pus à 17 cm de la marge anale. L’échographie abdominopelvienne a montré une masse latéro- et rétro-utérine gauche, hétérogène, bien encapsulée, de 60 × 70 mm. La tomodensitométrie abdomino- pelvienne a mis en évidence une masse latéro-utérine gauche multiloculée, à contenu Auteur correspondant. Adresse e-mail : leila [email protected] (L. Akka). 1776-9817/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.femme.2009.09.002

La tuberculose ovarienne pseudotumorale : à propos de quatre cas

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Page 1: La tuberculose ovarienne pseudotumorale : à propos de quatre cas

Imagerie de la Femme (2009) 19, 251—254

CAS CLINIQUE

La tuberculose ovarienne pseudotumorale : à proposde quatre cas

Ovarian tuberculosis simulating carcinoma: About four cases

Layla Akkaa,∗, H. Khalil a, N. Cherif Idrissi Gannounia,H. Jalal a, Z. Samlanib, K. Fadil b, K. Kratib,O. Essadkia, A. Ousehala

a Service de radiologie, hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Guéliz,40000 Marrakech, Marocb Service de gastroentérologie, hôpital Ibn Tofail, CHU Mohammed VI, Guéliz,40000 Marrakech, Maroc

Disponible sur Internet le 28 octobre 2009

Introduction

La tuberculose constitue un problème de santé dans le monde entier. Plusieurs facteursont contribué à sa recrudescence, incluant essentiellement l’immunodépression liée ausyndrome de l’immunodéficience acquise. La localisation pelvienne représente 6 à 10 %.L’atteinte tubaire est la plus fréquente, suivie par la localisation cervicale et endométriale.La tuberculose ovarienne est moins fréquente ; elle se présente dans un tableau clinique,radiologique et biologique très évocateur de tumeur ovarienne.

Observations

Cas no 1

Patiente âgée de 35 ans qui présentait depuis trois mois des algies pelviennes associées àdes signes d’empreinte vésicale avec émission de pus par le rectum, le tout évoluant dansun contexte subfébrile et d’altération de l’état général.

L’examen clinique n’a pas trouvé de masse palpable. La colonoscopie a objectivé laprésence d’un orifice fistuleux ramenant du pus à 17 cm de la marge anale.

L’échographie abdominopelvienne a montré une masse latéro- et rétro-utérinegauche, hétérogène, bien encapsulée, de 60 × 70 mm. La tomodensitométrie abdomino-pelvienne a mis en évidence une masse latéro-utérine gauche multiloculée, à contenu

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : leila [email protected] (L. Akka).

1776-9817/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.femme.2009.09.002

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ypodense, siège de bulles d’air (Fig. 1a) et prenant leontraste au niveau de sa paroi (Fig. 1b). Cette formationesurant 10 × 11 cm refoulait les structures pelviennes et

dhérait au rectum (Fig. 1b). Le diagnostic d’abcès ovarien,u de tumeur ovarienne mucineuse fistulisée dans le rec-um, a été évoqué. L’IRM n’a pu être réalisée par manque’accès à une machine. L’exploration chirurgicale a retrouvén ovaire gauche purulent de 7 × 7 cm contenant des plagese caséum sur sa paroi.

Le geste a consisté en une exérèse de la masse ovarienneauche avec drainage péritonéale. L’étude histologique aonfirmé le diagnostic de tuberculose ovarienne.

as no 2

atiente âgée de 27 ans, souffrant depuis deux ans d’unenfertilité primaire. Elle a consulté pour des douleurs pel-iennes diffuses installées depuis deux mois, associées à desénorragies, une distension abdominale et un amaigrisse-ent non chiffré.

L’examen clinique a retrouvé une matité déclive avec

erception d’une masse latéro-utérine droite au toucheraginal. L’étude du liquide d’ascite a montré un taux derotides à 55 g/l.

L’échographie abdominopelvienne a montré deux massesolides et kystiques abdominopelviennes ainsi qu’un épan-hement péritonéal de grande abondance.

L’examen tomodensitométrique du pelvis a objectivéeux masses latéro-utérines solides et kystiques bilaté-ales, de forme ovalaire, mesurant 40 × 30 mm à droite et5 × 20 mm à gauche. Ces masses étaient spontanémentypodenses et rehaussées de facon intense au niveau deeurs parois épaissies (Fig. 2). Il s’y associait une infiltratione la graisse pelvienne avec des nodules péritonéaux et unescite de faible abondance. Il n’existait pas d’adénopathieelvienne ou lombo-aortique. Une tumeur ovarienne bila-érale avec carcinose péritonéale a alors été évoquée.’imagerie par résonance magnétique a été indiquée mais’a pas pu être réalisée.

L’exploration chirurgicale a mis en évidence uneasse pelvienne avec blindage pelvien, une ascite deoyenne abondance et une infiltration péritonéale nodu-

aire.La biopsie de la masse et du péritoine a objectivé une

nflammation granulomateuse épithélio-gigantocellulaire

igure 1. a : tomodensitométrie pelvienne sans injection de produit deauche multiloculée à contenu hypodense, siège de bulles d’air (flècheelvienne en coupe axiale après injection de produit de contraste mo’infiltration de la graisse périrectale, le refoulement de la vessie (flèch

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L. Akka et al.

igure 2. Examen tomodensitométrique du pelvis après injectione produit de contraste montre deux formations pelviennes à paroispaissies, rehaussées intensément par le contraste avec une zoneentrale hypodense.

contraste, en coupes axiales montrant une formation latéro-utérine) comprimant les structures de voisinage ; b : tomodensitométrientrant le rehaussement de la paroi de la masse (flèche bleue),

e verte) et de l’utérus (flèche rouge).

vec nécrose caséeuse. L’évolution sous traitement antiba-illaire a été favorable.

as no 3

atiente âgée de 34 ans, sans antécédents particuliers, pré-entant depuis un mois des douleurs pelviennes avec uneistension abdominale et un amaigrissement non chiffré.’examen clinique a retrouvé une matité des flancs et’étude du liquide d’ascite a montré un taux de protides50 g/l.L’échographie abdominale a montré deux masses

atéro-utérines bilatérales, mesurant 40 × 50 mm à droitet 40 × 30 mm à gauche. Elles étaient hétérogènes,

composante mixte tissulaire et liquidienne. Il s’yssociait un épanchement péritonéal de faible abon-ance.

L’examen tomodensitométrique du pelvis a objectivéne masse pelvienne droite solide et kystique, hétéro-ène et à parois épaissies, mesurant environ 43 × 51 mmt rehaussée de facon hétérogène après injection de pro-uit de contraste, refoulant l’utérus vers la gauche et’accompagnant d’une infiltration de la graisse péritonéalee voisinage.

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pour différencier une tumeur maligne d’une tubercu-

La tuberculose ovarienne pseudotumorale : à propos de qua

Figure 3. Coupe tomodensitométrique axiale du pelvis aprèsinjection de produit de contraste montrant deux formations pel-viennes, dont la gauche est solide et kystique et se rehausse auniveau de sa portion tissulaire.

Cette masse s’accompagnait d’une seconde formationpelvienne gauche solide et kystique multicloisonnée à paroisépaissies, mesurant 45 × 38 mm et rehaussée de facon hété-rogène après injection de produit de contraste (Fig. 3).

La laparotomie exploratrice a été réalisée avec biopsies,révélant une tuberculose ovarienne bilatérale caséofollicu-laire évolutive.

Cas no 4

Patiente âgée de 32 ans, traitée un an auparavant par chi-miothérapie pour une maladie de Hodgkin et admise pourune masse abdominale avec matité déclive.

L’examen tomodensitométrique abdominopelvien aretrouvé une masse latéro-utérine droite ovalaire, bienlimitée, à double composante, kystique et solide, etprenant le contraste au niveau de sa portion charnue. Cettemasse était associée à une ascite de faible abondance sansadénopathie profonde. Une tumeur ovarienne a alors été

évoquée.

La ponction d’ascite a retrouvé un liquide jaunecitrin, riche en protides. La recherche de Bacilleacido—alcolorésistant (BAAR) dans le liquide d’ascite a éténégative ainsi que la recherche de Bacille de Kokh (BK) parPolymerase Chain Reaction (PCR). L’IRM pelvienne n’a paspu être réalisée. Une cœlioscopie exploratrice a noté unaspect de pelvis gelé et a permis de réaliser des biopsies dela masse et du péritoine. L’étude histologique a confirmé lediagnostic de tuberculose ovarienne. La patiente a été misesous traitement antibacillaire avec une bonne améliorationclinique.

Discussion

L’incidence de la tuberculose, en général et partout dans lemonde, a connu une recrudescence ces dernières années.Cela est expliqué par l’immunodépression liée en grandepartie à l’infection par le VIH [1].

La localisation pelvienne représente actuellement 6 à10 % [2] ; elle intéresse surtout les trompes et les régionscervicale et endométriale. L’atteinte ovarienne est moinsfréquente et son tableau clinique, radiologique et biologiquefait souvent suspecter une tumeur de l’ovaire.

as 253

La forme tumorale de la tuberculose génitale représente15 % de l’ensemble des localisations pelviennes de la tuber-culose [3,4]. Elle peut se rencontrer à tout âge, avec uneprédominance chez les jeunes femmes âgées de 20 à 30 ans[5].

Les signes cliniques d’appel sont très variés et non spé-cifiques, pouvant orienter à tort vers un cancer de l’ovaire.Il peut s’agir d’algies pelviennes, de masse pelvienne oud’ascite. Ailleurs, une infertilité peut être révélatrice dela maladie dans 5 à 10 % ou encore une aménorrhée [6,7].L’atteinte pulmonaire ou digestive concomitante peut orien-ter vers ce diagnostic, mais n’est pas constante et peutmanquer dans 30 à 50 % des cas [8]. Il faut souligner qu’unterrain sous-jacent d’immunodépression doit toujours fairepenser à la tuberculose, comme c’est le cas dans la dernièreobservation.

Sur le plan biologique, l’étude bactériologique du liquided’ascite est peu contributive car rarement positive.

L’imagerie n’est pas spécifique : à l’échographiquecomme au scanner et à l’IRM, la lésion se présente sousforme d’une masse hétérogène, à double composante solideet kystique et qui se rehausse de facon intense par le produitde contraste au niveau de sa portion charnue et de sa paroi[4]. Elle peut infiltrer la graisse de voisinage ou même enva-hir, ou se fistuliser, dans les organes adjacents, notammentle rectum, comme l’illustre notre première observation. Lafistulisation est hautement suggestive de l’atteinte tubercu-leuse, mais non spécifique.

Dans la plupart des cas, le diagnostic différentiel entretuberculose et tumeur reste donc un problème majeur,d’autant plus que la bilatéralité, le caractère hétéro-gène de la masse, l’association à des nodules péritonéaux,d’adénopathies profondes et d’ascite plaident en faveurd’une tumeur ovarienne maligne avec carcinose périto-néale.

Le CA125 est un marqueur qui est élevé dans plus de80 % des cancers ovariens. Néanmoins, son taux peut êtreélevé dans des conditions normales (grossesse, menstrua-tion) ou au cours d’affections inflammatoires chroniques(tuberculose) et n’est donc pas un critère déterminant

lose. En revanche, le dosage du CA125 servirait dans lasurveillance de l’efficacité du traitement antibacillaire[8].

Les biopsies transvaginales ou transabdominales échogui-dées peuvent être proposées en cas de suspicion d’originetuberculeuse [9].

Le recours à l’exploration chirurgicale est souvent néces-saire soit par laparoscopie soit par laparotomie. Cettedernière permet de poser le diagnostic dans plus de 97 %des cas [10].

Dans la majorité des cas, le diagnostic de tubercu-lose ovarienne reste une surprise à l’étude histologique dela biopsie ou de la pièce opératoire après chirurgie pourtumeur ovarienne. Elle permet de redresser le diagnosticen montrant le granulome gigantocellulaire avec nécrosecaséeuse, spécifique du bacille de Koch.

Outre le cancer ovarien, le diagnostic différentiel se poseavec d’autres agents infectieux qui peuvent reproduire lemême tableau que la tuberculose ovarienne, notamment leStreptococcus milleri, les actinomycines ou les autres myco-bactéries [4,8,10].

Le traitement repose sur les antibacillaires. La chirurgierestera la solution de recours devant une masse compressiveou fistulisée, pour mettre à plat certaines cavités caséi-fiées.

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La tuberculose pelvienne met en jeu la fertilité deseunes patientes ; le risque d’infertilité tuboovarienne eststimé à plus de 39 % des cas [8,10].

onclusion

a tuberculose ovarienne est une localisation qui peut simu-er un cancer de l’ovaire tant sur le plan clinique que de’imagerie. Il faut toujours penser à cette pathologie devantne jeune patiente venant de zone endémique ou ayant unerrain d’immunodépression.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

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L. Akka et al.

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