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3S79 © 2005 SPLF, tous droits réservés Introduction, rappels et position du problème L’asthme professionnel est caractérisé par une obstruction bronchique variable au cours du temps et/ou une hyperréactivité bronchique, induites par l’inhalation de poussières, fumées, gaz ou vapeurs présents dans l’environnement de travail. L’asthme professionnel est une des maladies respira- toires professionnelles les plus fréquentes dans les pays industrialisés [243, 244]. Le tableau XXVII présente les données épidémiologiques issues des registres tenus dans des pays européens et nord-américains. Ces données doi- vent être interprétées en sachant qu’il ne s’agit que des cas rapportés, et qu’il existe dans la plupart des pays une insuf- fisance de diagnostic et de déclaration. Les études réalisées en population générale montrent que les facteurs profes- sionnels pourraient être responsables d’environ 1 cas inci- dent d’asthme sur 10 chez l’adulte [245], voire davantage selon 2 publications récentes [246, 247]. L’évolution des symptômes et de l’hyperréactivité bronchique non spécifique après le diagnostic est condi- tionnée en partie par la cessation de l’exposition et la pré- cocité de cette cessation après les premières manifestations cliniques. Cependant, même après retrait de l’ambiance de travail délétère, plus de 50 % des patients restent sympto- matiques et gardent une hyperréactivité bronchique non spécifique [248-250]. L’évolution de l’asthme professionnel en cas de sup- pression incomplète de l’exposition au risque n’a fait l’ob- jet que de rares travaux aux résultats contradictoires ( tableau XXVIII ). Deux études, concernant l’une des asthmes au cèdre rouge [251], l’autre des asthmes aux iso- cyanates [252], montrent une évolution médicalement défavorable malgré une diminution des niveaux d’exposi- tion. En revanche, une diminution de l’hyperréactivité bronchique non spécifique a été observée chez des patients ayant un asthme professionnel relevant d’étiologies diverses après réduction des niveaux d’exposition [253]. Des amé- liorations cliniques ont également été observées chez des travailleurs ayant des asthmes aux sels de platine, aux anhy- drides d’acide et au latex, après réduction des niveaux d’ex- position [254-256]. Des enquêtes réalisées en France ont montré que le pronostic social des asthmes professionnels était mauvais Argumentaire Le cas particulier de l’asthme professionnel

Le cas particulier de l’asthme professionnel

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Page 1: Le cas particulier de l’asthme professionnel

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Introduction, rappels et position du

problème

L’asthme professionnel est caractérisé par une obstructionbronchique variable au cours du temps et/ou une hyperréactivitébronchique, induites par l’inhalation de poussières, fumées, gazou vapeurs présents dans l’environnement de travail.

L’asthme professionnel est une des maladies respira-toires professionnelles les plus fréquentes dans les paysindustrialisés [243, 244]. Le tableau XXVII présente lesdonnées épidémiologiques issues des registres tenus dansdes pays européens et nord-américains. Ces données doi-vent être interprétées en sachant qu’il ne s’agit que des casrapportés, et qu’il existe dans la plupart des pays une insuf-fisance de diagnostic et de déclaration. Les études réaliséesen population générale montrent que les facteurs profes-sionnels pourraient être responsables d’environ 1 cas inci-dent d’asthme sur 10 chez l’adulte [245], voire davantageselon 2 publications récentes [246, 247].

L’évolution des symptômes et de l’hyperréactivitébronchique non spécifique après le diagnostic est condi-tionnée en partie par la cessation de l’exposition et la pré-cocité de cette cessation après les premières manifestationscliniques. Cependant, même après retrait de l’ambiance detravail délétère, plus de 50 % des patients restent sympto-matiques et gardent une hyperréactivité bronchique nonspécifique [248-250].

L’évolution de l’asthme professionnel en cas de sup-pression incomplète de l’exposition au risque n’a fait l’ob-jet que de rares travaux aux résultats contradictoires(tableau XXVIII). Deux études, concernant l’une desasthmes au cèdre rouge [251], l’autre des asthmes aux iso-cyanates [252], montrent une évolution médicalementdéfavorable malgré une diminution des niveaux d’exposi-tion. En revanche, une diminution de l’hyperréactivitébronchique non spécifique a été observée chez des patientsayant un asthme professionnel relevant d’étiologies diversesaprès réduction des niveaux d’exposition [253]. Des amé-liorations cliniques ont également été observées chez destravailleurs ayant des asthmes aux sels de platine, aux anhy-drides d’acide et au latex, après réduction des niveaux d’ex-position [254-256].

Des enquêtes réalisées en France ont montré que lepronostic social des asthmes professionnels était mauvais

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et à l’origine de pertes d’emploi et de préjudices financiersfréquents [257].

Le suivi des asthmes professionnels doit donc s’envisagersous deux aspects complémentaires : médical et socioprofes-sionnel. L’objectif de ce suivi est d’obtenir le contrôle del’asthme, tout en préservant le maintien dans l’emploi et/oules revenus du sujet.

Suivi médical

Aucune étude identifiée ne s’est spécifiquement intéres-sée aux modalités de suivi médical des patients présentant unasthme professionnel.

Les outils de l’évaluation du contrôle des asthmes profes-sionnels sont les mêmes que ceux utilisés pour les asthmes nonprofessionnels. Le suivi médical inclut le médecin du travail.

Plusieurs arguments justifient un suivi prolongé au-delàde la période d’exposition au risque :

- la persistance dans plus de la moitié des cas (tableauXXVIII) des symptômes et de l’hyperréactivité bron-chique après cessation de l’exposition ;

- la possibilité d’observer des évolutions favorables diffé-rées, 2 ans ou plus après l’arrêt de l’exposition [267,268] ;

- l’absence d’hyperréactivité bronchique non spécifiqueà distance de l’arrêt de l’exposition n’exclut pas la per-sistance d’une hyperréactivité spécifique [269].

Les enjeux professionnels et médico-légaux de la mala-die renforcent la nécessité d’évaluations objectives de la mala-die (fonction respiratoire, réactivité bronchique à la métacho-line) pour :

Référence Région/pays Période Incidence (/million/an), principaux agents étiologiques

et/ou professions à risque

Jaakkola et coll., Finlande 1997-2000 1532003 Animaux, farines, céréales, isocyanates[258]

Torén, 1996 Suède 1990-92 80 [259] Boulangers, soudeurs, chimie et plastique

Baur et coll., Allemagne 1995 51-2551998 Allergènes dont farines, irritants, isocyanates[260]

Meyer et coll., Royaume-Uni 1998 371999 Isocyanates, farines, bois, aldéhydes, colophanes, animaux, latex[261]

Gannon et Burge, West Midlands 1989-91 431993 Isocyanates, farine, colophane[262]

Meredith et Nordman, Québec 1986-88 251996 Isocyanates, animaux, farines[263]

Rosenman et coll., États-Unis ND 3-291997 Isocyanates, huiles, colles, résines[264]

Innocenti, 1997 Italie (Piémont) ND 24[265] Boulangers, industrie du cuir, professionnels de santé, industrie

pharmaceutique, coiffeurs

Ameille et coll., France 1996-99 242003 Farine, isocyanates, latex, aldéhydes, bois, persufates[266]

Tableau XXVII.

Épidémiologie de l’asthme professionnel d’après les registres européens et nord-américains.

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- la décision quant à l’aptitude professionnelle : lorsque lepatient est maintenu à son poste de travail, le médecindu travail a besoin d’une spirométrie pour lui permettrede se prononcer sur l’aptitude (1 fois par an paraissantune fréquence raisonnable) ;

- la décision de consolidation et de fixation ou modi-fication du taux d’incapacité permanente partielle

(IPP) : lorsqu’une maladie professionnelle a été recon-nue, il est nécessaire de pouvoir disposer au momentde la rédaction du certificat médical final de consolida-tion d’une mesure de la réactivité bronchique non spé-cifique, pour évaluer les séquelles et fixer le taux d’IPPqui conditionne le versement d’indemnités sous formede capital ou de rente. L’abaissement du seuil choliner-

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Référence Agent causal N Durée de suivi Résultats

Muñoz et coll., Persulfate 8 arrêts 18 mois en moyenne Persistance de l’asthme chez 7/82003 [273] d’exposition

Ross et McDonald, Variable 1 940 45 % de régression de l’asthme en cas 1998 [274] de suivi par un spécialiste des

maladies professionnelles ; 14 % en cas de suivi par un pneumologue

Perfetti et coll., Variable 99 arrêts 3,1 ± 1,2 ans après Pas de changement des variables 1998 [268] d’exposition fin de l’exposition spirométriques au cours du suivi

Disparition de l’HRB chez 16/33 en cas d’arrêt de l’exposition > 5 ans vs 8/42si arrêt 5 ans

Vandenplas et coll., Latex 36 56 mois (12-92) - Arrêt de l’exposition : diminution du 2002 [256] 16 arrêts score médian de sévérité de l’asthme

de l’exposition (8,5 à 3,5) et augmentation de la PC2020 expositions à l’histamine (0,4 à 2,3 mg/ml)persistantes invalidité : 69 %, préjudice financier :

62 %- Réduction de l’exposition : diminution du score médian de sévérité de l’asthme (6,5 à 2,5) et augmentation de la PC20 à l’histamine(0,5 à 2,4 mg/ml) invalidité : 35 %, préjudice financier : 30 %

Górski et coll., 1999 Variable 56 arrêts 35-48 mois Amélioration des symptômes chez la [275] d’exposition majorité, sans changement de PC20

Padoan et coll., 2003 TDI 87 11 ans 59 % bêta-2 CDA, 8 % LDA, 18 % CSI[276]

Fourgaut et coll., Farine 9 dont 4 arrêts Absence d’amélioration en cas d’arrêt 2002 [277] d’exposition de l’exposition

Park et coll., 2002 TDI 41 67,5 mois Sévérité de l’asthme :[278] inchangée chez 12

améliorée chez 13rémission chez 16Pronostic favorable lié à HRBmoins importante et IgG sériques plus basses

Sorgdrager et coll., Aluminium 122 arrêts 5 ans Relation entre le VEMS et la durée 2001 [279] d’exposition d’exposition avant éviction

Pal et coll., 1999 Fibres 22 1-13 ans Asymptomatiques : 37 %[280] synthétiques/

humidificateurs

Gassert et coll., Variables 55 arrêts 31 ± 15 mois 98 % de non-rémission1998 [281] d’exposition

Barker et coll., 1998 TCPA 6 arrêts 12 ans Persistance des symptômes et de[282] d’exposition l’HRB

Tableau XXVIII.

Évolution des asthmes professionnels selon l’exposition au risque.

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Recommandations pour le suivi médical des patients asthmatiques adultes et adolescents

gique figure dans le barème indicatif d’invalidité desmaladies professionnelles (Journal officiel du 2 juillet1999). S’inspirant de travaux réalisés aux États-Unis[270] et au Québec [271] un groupe de travail communde la Société française de médecine du travail et de laSociété de pneumologie de langue française a élaboré uneproposition de barème prenant en compte, outre l’in-tensité du trouble ventilatoire obstructif de base et saréversibilité, le degré d’hyperréactivité bronchique nonspécifique évalué par un test à la méthacholine, et laconsommation médicamenteuse [272].

Les critères objectifs sont d’autant plus importants dans cecontexte que l’interrogatoire peut ne pas être fiable en raison :

- d’une minimisation possible des symptômes en vued’éviter une décision d’inaptitude ;

- d’une accentuation possible des symptômes en vued’obtenir un taux élevé d’IPP.

Suivi socioprofessionnel

Le pronostic social des asthmes professionnels est mau-vais. La maladie est à l’origine de nombreuses pertes d’emploiet de conséquences financières graves comme l’a montré uneétude multicentrique portant sur 209 sujets réalisée en Ile-de-France [257]. Trois ans en moyenne après le diagnosticd’asthme professionnel, 44 % des malades avaient perdu leuremploi initial, et 25 % étaient chômeurs ; 46 % mention-naient une diminution de leurs revenus, évaluée en moyenneà 41 % de leurs gains annuels. L’arrêt de l’exposition au risqueest souvent obtenu au détriment du statut socio-économiquedes malades [253, 257, 283].

Le suivi socioprofessionnel a pour objectif de permettre,d’une part, l’éviction ou la diminution du risque et, d’autrepart, l’absence de perte d’emploi et de préjudice financier.

La réalisation de cet objectif impose un travail en réseauautour du malade. Les acteurs du réseau sont des médecins– médecin traitant (généraliste ou spécialiste), médecin du

travail, médecin-conseil de la Sécurité sociale, médecin de laCotorep (Commission technique d’orientation et de reclasse-ment professionnel) –, des travailleurs sociaux et les interve-nants des structures de reclassement professionnel [284].

Les principaux outils utilisables par le malade et le réseausont :

- la déclaration de la maladie professionnelle.Outre les avantages en nature (soins gratuits, indemni-

tés journalières plus importantes qu’en assurance maladie,capital ou pension après consolidation), la reconnaissance enmaladie professionnelle renforce l’obligation faite à l’em-ployeur de prendre en compte les recommandations du méde-cin du travail pour les aménagements de poste de travail oules propositions de mutation. Cette déclaration n’entraîne pasautomatiquement une inaptitude au poste de travail ;

- la demande de reconnaissance de la qualité de tra-vailleur handicapé (RQTH).

Cette reconnaissance accordée par la Cotorep permet à lapersonne en situation de handicap d’avoir accès aux diffé-rentes aides techniques et financières favorisant l’insertion et lereclassement professionnels. Elle permet à son employeur deremplir son obligation d’emploi (la loi stipule que toutemployeur occupant au moins 20 salariés est tenu d’avoir unquota d’au moins 6 % de personnes handicapées dans soneffectif ) et de s’affranchir ainsi, totalement ou partiellement,des contributions annuelles versées à l’Agefiph (Associationnationale pour la gestion du fonds pour l’insertion profes-sionnelle des personnes handicapées) ;

- la visite de pré-reprise.Cette visite effectuée par le médecin du travail concerne

des patients en arrêt maladie. Elle peut être demandée par lepatient lui-même, par son médecin traitant ou par le méde-cin-conseil de la Sécurité sociale. Elle a pour but de permettrede rechercher précocement des solutions d’aménagement deposte de travail ou de mutation au sein de l’entreprise, sansattendre l’expiration de l’arrêt de travail.