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Le droit à la paresse

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LAFARGUE

Le Droit à la paresse

Avec une postface de Gigi Bergamin

Illustrations de Frantz Rey

ÉDITIONS MILLE ET UNE NUITS

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LAFARGUE nO 30

Texte intégral.

© Mille et une nuits, département de la Librairie Arthème Fayard, mars 1994 septembre 2000 pour la présente édition.

ISBN: 2 910233-30-8

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Sommaire

Paul Lafargue Le Droit à la paresse

page 5

Gigi Bergamin Éloge de la vraie vie

page 67

Vie de Paul Lafargue page 75

Repères bibliographiques page 79

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LAFARGUE

Le Droit à la paresse

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Le Droit à la paresse

Avant-propos

M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l'ins­truction primaire de 1849, disait : «Je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé, parce que je compte sur lui pour pro pager cette bonne philosophie qui apprend à l 'homme qu 'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l 'homme : "Jouis".» M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise don t il incarna l 'égoïsme féroce et l' intelligence étroite .

La hourg e o i s i e , alors q u ' e l le lu tta it contre la noblesse, so utenue par le clergé, arbora le libre exa­men et l'athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d'allure ; et, aujourd'hui, elle entend étayer de la religion sa su prématie économique et politique. Aux XV" et XVIe siècles, elle avait allégrement repris la tra­dition païenne et glorifiait la chair et ses passions , réprou vées par le christianisme; de nos jours, gorgée

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LAFARCUE

cie biens et de jouissances, elle renie les enseignements cie ses penseurs, les Rabelais , les D iderot , et prêche l' ab s tinen ce aux salariés. La morale cap italiste ,

piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d"ana­thème la chair du travailleur ; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins , cie supprimer ses joies et ses passions et de le

condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci.

Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu'ont combattu les philosophes et les pam­

phlétaires de la bourgeoisie; ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action , les préjugés semés par la classe régnante ; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales , que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur; que, dans la société communiste de r avenir que nous fonderons «pacifiquement si pos­s ible , s inon violemment », les p assions des hommes auront la bride sur le cou, car « toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mau­vais usage et leurs excès * 1 », et ils ne seront évités que par leur mutuel contrebalancement, que par le déve­

loppement harmonique de l ' organisme humain , car,

* Les Ilotes SOIlt regroupées eu fin de texte, pages 61 et suivantes.

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LE DHOIT À LA P;\IŒSSE

dit le Dr Beddoe, n'est que lorsqu'une race atteint son maximum de développement physique qu'elle atteint son plus haut point d'énergie et de vigueur morale». Telle élait aussi]' opinion du grand natura­liste, Charles Darwin 2.

La réfutation du Droit au travail, que je réédite avec quelques Ilotes additionnelles, parut dans L'Éga­lité hebdomadaire de 1880, deuxième série.

P. L.

Prison de Sainte-Pélagie, 1883.

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1. Un dogme désastreux

«Paressons en toutes clzo.!es, hormis en aimant et en blll'ant, hormis en paressllnt. »

Lessing.

Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis des siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail , la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture . Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes, ont sacro-sanctifié le tra­vail. Hommes aveugles et bornés , ils ont voulu être plus sages que leur Dieu; hommes faibles et mépri­sables, ils ont voulu réhabiliter ce que leur Dieu avait maudit. Moi, qui ne professe d'être chrétien, économe et moral, j'en appelle de leur jugement à celui de leur Dieu ; des prédications de leur morale religieuse, éco­nomique, libre penseuse , aux épouvantables consé­quences du travail dans la société capitaliste .

Dans la société capitaliste , le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déforma­tion organique . Comparez le pur-sang des écuries de Rothschild , servi par une valetaille de bimanes, à la lourde brute des fermes normandes, qui laboure la

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terre, chariote le fumier, engrange la moisson. Regar­dez le noble sauvage que les missionnaires du cmn­merce et les commerçants de la religion n'ont pas encore corrompu avec le christianisme, la syphilis et le dogme du travail, et regardez ensuite nos misérables servants de machines 3.

Quand , dans notre Europe civilisée, on veut retrou­ver une trace de beauté native de l 'homme , il faut l'aller chercher chez les nations où les préjugés écono­miques n'ont pas encore déraciné la haine du travail. L'Espagne, qui, hélas! dégénère, peut encore se vanter de posséder moins de fabriques que nous de prisons et de casernes; mais l'artiste se réjouit en admirant le hardi Andalou , brun connue des castagnes, droit et flexible comme une tige d'acier; et le cœur de l'homme tressaille en entendant le mendiant , superbemen t drapé dans sa capa trouée, traiter d'amigo des ducs d'Ossuna. Pour l 'Espagnol, chez qui l'animal primitif n'est pas atrophié, le travail est le pire des esclavages 4. Les Grecs de la grande époq ue n'avaient, eux aussi, que du mépris pour le travail : aux es clayes seuls il était pennis de travailler : l'homme libre ne connaissait que les exercices corporels et les j eux de l'intelligence. C'était aussi le temps où l'on marchait et respirait dans un peuple d'Aristote , de Phidias, d'Aristoph�me; c'était le temps où une poignée de braves écrasait à Marathon les hordes de l'Asie qu'Alexanch·e allait bientôt conqué

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LE DROIT À LA PARESSE

rir. Les philosophes de l'Antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l'homme libre; les poètes chantaient la paresse, ce présent des Dieux:

o Melibœ, Deus nobis hœc otiafecit5• Christ, dans son discours sur la montagne, prêcha

la paresse: «Contemplez la croissance des lis des champs, ils ne travaillent ni ne filent, et cependant, je vous le dis, Salomon, dans toute sa gloire, n'a pas été plus brillamment vêtu6.»

Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs le suprême exemple de la paresse idéale; après six jours de travail, il se reposa pour l'éternité.

Par contre, quelles sont les races pour qui le travail est une nécessité organique? Les Auvergnats; les Écossais, ces Auvergnats des îles Britanniques ; les Gallegos, ces Auvergnats de l'Espagne; les Poméra­niens, ces Auvergnats de l'Allemagne; les Chinois, ces Auvergnats de l'Asie. Dans notre société, quelles sont les classes qui aiment le travail pour le travail? Les paysans propriétaires, les p etits bourgeois, les uns courbés sur leurs terres, les autres acoquinés dans leurs boutiques, se remuent comme la taupe dans sa galerie souterraine, et jamais ne se redressent pour regarder à loisir la nature.

Et cependant, le prolétariat, la grande classe qui embrasse tous les producteurs des nations civilisées,

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la classe qui, en s'émancipant, émancipera l'humanité du travail servile et fera de l'animal humain un être libre, le prolétariat trahissant ses instincts, mécon­naissant sa mission historique, s'est laissé pervertir par le dogme du travail. Rude et terrible a été son châti­ment. Toutes les misères individuelles et sociales sont nées de sa passion pour le travail.

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2. Bénédictions du travail

En 1770 parut, à Londres, un écrit anonyme inti­tulé : Ail Essay on Trade and Commerce. Il fit à l'époque un cert.a in bruit. Son auteur, grand philan­thrope, s'inùignait de ee que « la plèbe manufacturière d'Angleterre s 'était mis dans la tête l'idée fixe qu'en qualité d'Anglais, tous les individus qui la composent ont, par droit de naiss ance , le privilège d'être plus libres et plus indépenùants que les ouvriers de n'im­porte quel autre pays de l'Europe. Cette idée peut avoir son utilité pour les soldats dont elle stimule la bra­voure ; mais moins les ouvriers des manufactures en sont imbus, mieux cela vaut pour eux-mêmes et pour l'État. Des ouvriers ne devraient jamais se tenir pour indépendants de leurs supérieurs. Il est extrêmement dan�ereux d'encourager de pareils engouements dans un Etat commercial COlluue le nôtre, où, peut-être, les sept huitièmes de la populatioll n'ont que peu ou pas dc propriété. La cure I1C sera pas complète tant que 110S

pauvres de l'industrie Ile sc résigucront pas à t.ravailler six jours pour la même somme qu'ils gagnent maint.e­nant en quatre».

Ainsi, près d'un siècle avant Guizot, OII prêchait ouvertement à Londres le travail comme un frein aux lIobles passions de l'homme.

«Plus mes peuples travaileront, moins il y aura de

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LAfAHr.n:

vices, écrivait d'Osterode, le 5 mai 1807, Napoléon. Je suis l'autorité [ . . . ] et je serais disposé à ordonner gu e le dimanche, pas sé l'heure des offices, les bou­tiques fussent ouvertes et les ouvriers ren dus à leur 1Tavail. »

Pour extirper la paresse et courber les sentiments de fierté et d'indépendance qu'elle engendre, l'auteur de l'Assay 0/1 7}'ade proposait d'incarcérer les pauvr es dans les maisons idéales du travail (édeal U'orkhouses) qui deviendraient « des de ter reur où l'on ferait travailler quatorze heures par jo ur, de telle sorte que, le temps des repas soustrait, il resterait douze heures de travail pleines et entières

Douze heures de travail par jour, voilà l'idéal des philanthropes et des moralistes du XVIIIe si ècle . Que nous avons dépassé ce nec plus ultra! Les atel iers Illodernes sont devenus des maisons idéales de con-ec­tion où l'on incarcère les masses oU\Tières, où coudamne aux t ravaux forcés pendant douze et qua­torze h eu res , non seulement les hOlUmes, femmes et les enfants 7! Et dire que les fils des héros de la T'erreur se sont laissé dégrader par la religion travail au poiut d'accepter après 1848, comme une conquête ré volutiollnaire, la loi qui limitait à douze heures le tra vail dans les fabriques; ils proclamaient, connue un priucipe révolutiol1naire, l'Qil. Honte au prolétar iat français! Des esclaves seuls

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eussent été capables d'une telle bassesse. Il faudrait vingt ans de civilisation capitaliste à un Grec des temps héroïques pour concevoir un tel avilissement.

Et si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont abattues sur le prolétariat, plus nom­breuses que les sauterelles de la Bible, c'est lui qui les a appelées.

Ce travail, qu'en juin 1848 les ouvTiers réclamaient les armes à la main, ils l'ont imposé à leurs familles; ils ont livré, aux barons de l'industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils ont démoli leur foyer domestique ; de leurs propres mains, ils ont tari le lait de leurs femmes; les malheureuses, en­ceintes et allaitant leurs bébés, ont dû aller dans les mines et les manufactures tendre l'échine et épuiser leurs nerfs; de leurs propres mains, ils ont brisé la vie et la vigueur de leurs enfants. - Honte aux prolé· taires ! Où sont ces commères dont parlent nos fabliaux et nos vieux contes, hardies au propos, franches de la gueule, amantes de la dive bouteille? Où sont ces luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, toujours chantant, toujours semant la vie en engendrant la joie, enfantant sans douleurs des petits sains et vigou­reux ? . . . Nous avons aujourd'hui les f illes et les femmes de fabrique, chétives fleurs aux pâles couleurs, au sang sans rutilanee, à l'estomae délabré, aux membres alan­guis 1. . . Elles n'ont jamais connu le plaisir robuste et

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LAFARCU;

ne sa uraient raconter gaillardement co mmen t l'on cassa leur coquille! - Et les enfants? Douze heures de travail mu enfants. Ô misère ! - Mais tous les Jules Simon de l' Acad�Olie des scien c es morales et poli­tiques, tous les Genninys de la jésuiterie, n'auraient pu inventer un vice plus abrutissant pour l'intelligence des enfants, plus corrupteur de leurs instincts, plus des­tructeur de leur organisme que le travail dans l'atmo­sphère viciée de l'atelier capitaliste.

Notre époque est, dit-on, le siècle du travail; il est cn effet le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption.

Et cependant, les philosophes, les éc o nomistes bourgeois, depuis le péniblement confus Auguste Comte, jusqu'au ridiculement dair Leroy-Beaulieu; les gens de lettres bourgeois, depuis le charlatanes­quemellt romantique Victor Hugo, jusqu'au naÏve­ment grotesque Paul de Kock, tous ont entonné les chants nauséabonds en l'honneur du dieu Progrès, le fils aîné du Travail. À les entendre, le bonheur allait régner sur la terre: déjà on en sentait la veuue. 11s allaicIIt dans les sièdes passés fouiller la poussière et la misère féodales pour rapporter de somhres repoussoirs aux délices des temps présents. - NOliS ont-ils fatigués, ces repus, ces satisfaits. naguère encore membres de la domesticité des grands seigneurs, aujourd'hui valets de plume de la bourgeoisie, grassement rentés; nons

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LE DI\OIT ,\ LA PAHESSf:

ont -ils fatigués avec le paysan du rhétoricien La Bruyère? Eh bien! voici le brillant tableau des jouis­sances prolétariennes en l'an de progrès capitaliste 1840, peint par un des leurs, par le Dr Villermé, membre de l'Institut, le même qui, en 1848, fit partie de cette société de savants (Thiers, Cousin, Passy, Blanqui, l'académicien, en étaient) qui propagea dans les masses les sottises de l'économie et de la morale bourgeoises.

C'est de l'Alsace manufacturière que pade le Dr Vil­lermé, de l'Alsace des Kestner, des Dollfus , ces fleurs de la philanthropie et du républicanisme industriel. Mais avant que le docteur ne dresse devant nous le tableau des misères prolétariennes, écoutons un manu­facturier alsacien, M. Th. Mieg, de la maison Dollfus, Mieg et Cie, dépeignant la situation de l'artisan de l'ancienne industrie :

«À Mulhouse, il y a cinquante ans (en 1813, alors que la moderne industrie mécanique naissait ), les ouvriers étaient tous enfants du sol, habitant la ville et les villages environnants et possédant presque tous une maison et souvent un petit champ 8. »

C'était l'âge d'or du travailleur. Mais, alors, l'indus­trie alsacienne n'inondait pas le monde de ses coton­nades et n'emmil l ionuait pas ses Dollfus et ses Kœchlin. Mais vingt-cinq ans après , quand Villermé visita l'Alsace, le minotaure moderne, l'atelier capita-

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liste, avait conquis le pays; dans sa boulimie de travail humain, il avait arraché les ouvriers de leurs foyers pour mieux les tordre et pour mieux exprimer le tra­vail qu'ils contenaient. C'était par milliers que les ouvriers accouraient au sifflement de hl machine.

« Un grand nombre, dit Villermé, cinq mille sur dix­sept mille, étaient contraints, par la cherté des loyers, à se loger dans les vilages voisins. Quelques-uns habi­taient à deux lieues et quart de la manufacture où ils travaillaient.

»À Mulhouse, à Dornach, le travail commençait à cinq heures du matin et finissait à cinq heures du soir, été comme hiver. [ .. . ] Il faut les voir arriver chaque matin en ville et partir chaque soir. Il y a parmi eux une multitude de femmes p âles , maigres , marchant pieds nus au milieu de la boue et qui, à défaut de parapluie, portent, renversés sur la tête, lorsqu'il pleut ou qu'il neige, leurs tabliers OH jupons de dessus pour se préserver la figure et le cou, et un nombre plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves , couverts de haillons, tout gras de l'huile des métiers qui tombe sur eux pendant qu'ils tra­vaillent. Ces derniers , mieux préservés de la pluie par l'imperméabilité de leurs vêtements , n'ont même pas au bras , comme les femmes dont 011 vient de parler, un panier où sont les provisions de la journée; mais ils portent à la main, ou cachent sous leur veste ou

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comme ils peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu 'à l'heure de leur rentrée à la maison.

» Ainsi , à la fatigue d'une journée démesurément longue, puisqu'elle a au moins quinze heures , vient se joindre pour ces malheureux celle des allées et venues si fréyuentes, si pénibles . Il résulte que le soir ils arrivent chez eux accablés par le besoin de dornrir, et que le len­demain ils sortent avant d'être complètement reposés pour se trouver à l'atelier à l'heure de l'ouverture. »

Voici maintenant les bouges où s'entassaient ceux qui logeaient en ville :

«J'ai vu à Mulhouse , à Dornach et dans des mai­sons voisines, de ces misérables logements où deux familles couchaient chacune dans un coin, sur la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches ... Cette misère dans la quelle vivent les ouvriers de l'industrie du coton dans le département du Haut­Rhin est si profonde qu 'elle produi t ce triste résultat que, tandis que dans les familles des fabricants négo­ciants, drapiers , directeurs d'usines, la moitié des enfants atteint la vingt et unième année , cette même moitié cesse d'exister avant deux ans accomplis dans les familles de tisserands et d'ouvriers de filatures de coton. »

Parlant du travail de l'atelier, Villermé aj oute : «Ce n'est pas là un travail, une tâche, c'est une tor­

ture, et on l'inflige à des enfants de six à huit ans. [ . .. ]

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C'est ce long supplice de tous les jours qui mille prin­cipalement les ouvriers daus les filatures de coton. »

Et, à propos de la durée du travail, Villermé obser­vait que les forçats des bagnes ne travaillaient que dix he ures, l es esclaves des Antilles neuf heures en moyenne, tandis qu'il existait dans la France qui avait fait la Révolution de 89, qui avait proclamé les pom­peux Droits de l'homme, des manufactures où la jour­née était de seize heures, sur lesquelles on accordait aux ouvriers une heure et demie pour les repas9.

Ô misérable avortement des principes révolution­naires de la bourgeoisie ! ô lugubre présent de son dieu Progrès! Les philanthropes acclament bienfaiteurs de l'humanité ceux qui, pour s'enrichir en fainéantant, donnent du travail ame pauvres ; mieux vaudrait semer la peste , empoisonner les sources que d'ériger une fabrique au milieu d'une population rustique. Intro­duisez le travail de fabrique, et adieu j oie, santé, liberté ; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d'être vécue 10.

Et les économistes s'en vont répétant aux ouvriers: Travaillez pour augmenter la fortune sociale! et cependant un économiste, Destut de Tracy, leur répond :

« Les nations pauvres, c'est là où le peuple est à son aise; les nations riches, c'est là où il est ordinairement pauvre. »

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LE DROIT À LA PAIlESSE

Et son disciple Cherbuliez de continuer: « Les travailleurs e ux - mêmes , en coopérant à

l'accumulation des capitaux productifs, contribuent à l'événement qui, tôt ou tard, doit les priver d'une par­tie de leur salaire. »

Mais, assourdis et idiotisés par leurs propres hurle­ments, les économistes de répondre: Travaillez, tra­vaillez toujours pour créer votre bien-être! Et, au nom

de la mansuétude ch réti enn e , un prêtre de l'Église anglicane , le révérend Townshend, psalmodie: Tra­vail lez , travaillez nuit et jour; en travaillant, vous faites croître votre misère, et votre misère nous dis­pense de vous imposer le travail par la force de la loi. L'imposition légale du travail « donne trop de peine, exige trop de violence et fait trop de bruit; la faim, au contraire, est non seulement une pression paisible, silencieuse, inccssante, mais comme le mobile le plus naturel du travail et de l'industrie, elle provoque aussi les efforts les plus puissants ».

Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles, travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d'être misérables. l'dIe est la loi inexorable de la production capitaliste.

Parce que, prêtant l 'oreille aux fallaeieuses paro les des économistes, les prolétaires se sont livrés corps et âme -au vicc du travail, ils précipitent la société fout

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LAFAHGI'"

entière dans ces crises industrielles de surproduction qui convulsent l'organisme social. Alors, parce qu 'il y a p léthore de marchandises et pénurie d'acheteurs, les atel iers se ferment et la faim cingle les popula tions ouvrières de son fouet aux mille lanières. Les prolé­taires, abrutis par le dogme du travail, ne cornprenant pas que le surtravail qu'ils se sont infligé pen dant le temps de prétendue prospérité est la cause de leur misère présente, au lieu de courir au grenier à blé et de crier: «Nous avons faim et nous voulons man­ger ! . . . Vrai, nous n'avons pas un rouge liard, mais tout gueux que nous sommes, c'est nous cependant qui avons moissonné le blé et ve ndangé le raisin . . . » Au lieu d ' assiéger les magasins de M. Bonnet , de Juj u­rieux , l'inventeur des couvents industriels, et de da­mer: Bonnet, voici vos ouvrières ovalistes, moulineuses , fileuses, tisseuses, elles grelottent sous leurs cotonnades rapetassées à chagriner l'œil d'un juif et, cependant , ce sont elles qui ont filé et tissé les robes de soie des cocottes de toute la chrétienté. Les pauvresses, travaillant treize hemcs par jour, n'avaient pas le temps de songer à la toilette, maintenant, elles chô­ment et peuvent faire du frou- fro u avec les soieries qu'elles ont ouvTées . Dès qu'ell es ont perdu leurs dents de lait , elles se sont dévo uées à votre fortune et out vécu dans l 'abstinence; maintenant, elles ont des loi­sirs et veulent jouir un peu des fruits de leur travail.

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LE l)ROIT ,\ LA PAHESSE

Allons, Monsieur Bonnet, mel fournira ses mousselines, calicots, M. Pinet ses bottines pour leurs chers petits

pieds froids et humides ... V êtues de pied en cap et fringantes,

Allons, l'humanité, ché ? - Mettez à la disposition de vos ouvrières la for­tune qu'elles vous ont édifiée avec la chair de leur chair. culation des marchandises; voici des consommateurs tout trouvés; ouvrez-leur des crédits illimités. Vous êtes bien obligé d'en faire à des négociants que vous ne cOllnaissez ni d'Adam ni d'Ève, donné, même pas un verre d'eau. Vos ouvrières s'acquitteront comme elles le pourront: si, au jour de l'échéance, signature, rien à saisir, prières : elles vous enverront en paradis, sacs noirs,

Au lieu de profiter des moments de crise pour une distribution générale des produits et un gaudissement mlÏversel, de leur tête les pOItes de l'atelier. Avec des figures hâves, des corps amaigris, des discours piteux, ils assaillent les fabricants: «Bon M.

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LAFAHGUE

neZ-Hous du travail, ce n'est pas la faim, mais la pas­sion du travail qui nous tourmente ! » Et ces misérables,

qui ont à peine la force de se tenir debout, vendent douze et quatorze heures de travail delL",{ fois moins eher que lorsqu'ils avaient du pain sur la planche. Et les phi­lanthropes de l'industrie de profiter des chômages pour fabriquer à meilleur marché .

Si les crises industrielles suivent les périodes de sur­travail aussi fatalement que la nuit le jour, traînant après elles le chômage forcé et la misère sans issue, elles amènent aussi la banqueroute inexorable. Tant que le fabricant a du crédit, il lâche la bride à la rage du travail, il emprunte et emprunte encore pour four­nir la matière première aux ouvriers . Il fait produire, sans réfléchir que le marché s 'engorge et que, si ses marchandises n'arrivent pas à la vente, ses billets vien­dront à l 'échéance . Acculé, il va implorer le juif, il se jette à ses pieds, lui offre son sang, son honneur. «Un petit peu d'or ferait mieux mon affaire, répond le Rothschild , vous avez 20 000 paires de bas en maga­sin, ils valent vingt sous, je les prends à quatre sous. »

Les bas obtenus, le juif les vend six et huit sous, et empoche les frétillantes pièces de cent sous qui ne doi­vent rien à personne : mais le fabricant a reculé pour mieux sauter. Enfin la débâcle arrive et les magasins dégorgent ; on jette alors tant de marchandises par la fenêtre, qu'on ne sait comment elles sont entrées par la

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LE OHOIT À LA PAHESSE

porte. C'est par centaines de millions que se chiffre la valeur des marchandises détruites; au siècle dernier, on les briHait ou on les jetait à l 'eau Il .

Mais avant d'aboutir à cette conclusion, les fabri­cants parcourent le monde en quête de débouchés pour les marchandises qui s'entassent; ils forcent leur gou­vemement à s'anexer des Congo, à s'emparer des Ton­kin, à démolir à coups de canon les murailles de la Chine, pour y écouler leurs cotonnades. Atu: siècles der­niers, c'était un duel à mort entre la France et l'Angle­terre, à qui aurait le privilège exclusif de vendre en Amérique et aux Indes . Des milliers d'hommes jeunes et vigoureux ont rougi de leur sang les mers, pendant les guerres coloniales des Xlc, XVIe et XVIII" siècles .

Les capitaux abondent comme les marchandises . Les financiers ne savent plus où les placer; ils vont alors chez les nations heureuses qui lézardent au soleil en fumant des cigarettes, poser des chemins de fer, éri­ger des fabriques et importer la malédiction du travail. Et cette exportation de capitaux français se termine un beau matin par des complications diplomatiques: en Égypte, la France, l'Angleterre et l'Allemagne étaient sur le point de se prendre aux cheveux pour savoir quels usuriers seraient payés les premiers; par des guerres du Mexique où l'on envoie les soldats français faire le métier d'huissier pour recouvrer de mauvaises dettes 12.

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LAFARGLE

Ces misères individuelles et sociales, pour grandes et innomb r ab l es qu ' elle s so ient , p o ur éterne ll es qu'elles paraissent, s'évanouiront COlmne les hyènes et les chacals à l'approche ùu lion , quand le prolétariat dira: «Je le veux. » Mais pour qu'il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chrétienne , écono­miqile, libre penseuse; il faut qu'il retourne à ses ins­tincts naturels , qu'il proclame les Droits de la paresse, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que les phtisi ques Droits de l'homme, concoctés par les avo­cats métaphysiciens de la révolution bourgeoise ; qu'il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit.

Jus qu' ici , ma tâche a été facile, je n'avais qu'à d écrire des maux réels bien connus de nous tous, hélas! Mais convaincre le prolétariat que la parole qu'on lui a inoculée est perverse, que le travail effréné auquel il s'est livré dès le commencement du siècle est le plus terrible fléau qui ait jamais frappé l'humanité, que le travail ne deviendra un condiment de plaisir de la paresse, un exercice bienfaisant à l ' organisme humain, une passion utile à l'organisme social que lorsqu ' il sera sagement rég lementé et limité à un maximum de trois heures par jour, est une tâche ardue au-dessus de mes forces; seuls des physiologistes, des

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LE DIIOIT ,\ LA PAIIESSE

hygiénistes , des économist.es communistes pourraier l'entreprendre. Dans les pages qui vont suivre , je III

bornerai à démontrer qu'étant donné les moyens d production modernes et leur puissance reproductiv illimitée, il faut mater la passion extravagante de ouvriers pour le travail et les obliger à consommer le marchandises qu 'ils produisent.

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3. Ce qui suit la surproduction

Un poète grec du temps de Cieéron, Antipatrm tai t ainsi l'invention du moulin à eau (po ur la n

du grain ) : il allait émanciper les femmes es cl ramener l'âge d'or:

« Épargnez le bras qui fai t tourner la meule , nières, et dormez paisiblement! Que le coq vou tisse en va in qu'il fait jour ! Dao a imposé aux n� le travail des esclaves et les voilà qui sautillent l

ment sur la roue et voilà que l'essieu ébranlé rot

ses rais, faisant tourner la pesante pierre ro Vivons de la vie de nos pères et oisifs réjouissor des dons que la déesse aceor de . »

Hélas! les loisirs que le poète païen annon sont pas venus; la passion aveugle, perverse el cide du travail transforme la machine libérat instrument d'asservissement des hommes lib] productivité les appauvrit .

Une bonne ouvrière ne fait avec le fuseau q' mailles à la minute, certains mé ti ers circulaire coter en font trente mille dans le même temps. ( minute à la machine équivaut donc à cent he" travail de l'ouvrière; ou bien chaque minute vail de la machine délivre à l'ouvrière dix j( rep os. Ce qui est vrai pour l'industrie du trieot plus ou moins vrai pour toutes les industries re

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LAF,\RGn:

lé es pa� la mécanique moderne . Mais que voyons­nous? A mesure que la ma chine se perfectionne et abat le tr av ail de l'homme avec une rapidité et une p récis ion s ans cesse croissantes, l 'ouvrie r, au lieu de prolonger son rep os d'autant, redouble d ' ardeu r , comme s' il voulait rivaliser avec la machine'. Ô concurr en ce absurde et meurtrière !

Pour que l a con cu r re n ce de l ' hom m e et d e l a m achine prît libre carri ère , les prolétaires out aboli les sages lois qui limitaient le travail des artisans des antiques corporations; ils ont supprimé les jours f ériés 13. Parce que les producteurs d' alors ne travaillaient que cinq j ours sur sept, ainsi que le r acontent les é conomistes menteurs, qu'ils ne vivaient que d'air et d'eau fraîche? Allons donc! Ils avaient des loisirs pour goûter les joies de la terre, pour f aire l'amour e t rigoler ; pour b anqueter joyeu­sement cn l 'honneur du réjouissant dieu de la Fai­n éanûse. La morose Angleterre, encagotée dans le protestantisme , se nommai t alors l a « joyeuse Angleterre» (Merry England). Rabelais, Quevedo, Cervantès, auteurs inconnus des romans pi caresques , nous font

venir l'e au à la bou che avec l eurs peintures de ces monumentales rip ailles 14 dont on se régalait alors entre deux batailles et deux dévas tations , quelles tout « allait par escuelles ». Jordaens et l'école flamande les ont écrites sur leurs toiles réjouissantes .

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LE DROIT À LA PAHESSE

Sublimes estomacs gargantuesques, qu'êtes-vous devenus? Sublimes cerveaux qui encercliez toute la pensée humaine, qu'êtes-vous devenus? Nous sommes bien amoindris et Lien dégénérés . La vache enragée, la pomme de terre, le vin fuchsiné et le schnaps prussien

savamment combinés avec le travail forcé ont débilité nos eorps et rapetissé nos esprits. Et c'est alors que l'homme rétrécit son estomac et que la machine élargit sa produetivité, e'est alors que les économistes nous prêchent la théorie malthusienne, la religion de l'abs­tinence et le dogme du travail? Mais il faudrait leur arracher la langue et la jeter aux ehiens.

Parce que la classe ouvrière, avec sa boulle foi sim­pliste, s 'est laissé endoctriner, parce que, avec sou impétuosité native, elle s'est précipitée en aveugle dans le travail et l'abstinence, la classe eapitaliste s'est trou­vée condamnée à la paresse et à la jouissance forcée, à l'improduetivité et à la s ureonsommation . Mais, si le surtravail de l'ouvrier meurtrit sa chair et tenaille ses nerfs, il est aussi fécond en douleurs pour le bourgeois.

L'abstinence à laquelle se eondamnt:' la dasse pro­ductive oblige les bourgeois à se eonsaerer à la sur ­consommation des produits qu'elle manufacture désordonnément. Au début de la produetion capita­liste, il y a un ou deux siècles de cela, le bourgeois était un hOImne rangé, de mœ urs raisonnables et paisibles ; il se contentait de sa femme ou à peu près; il ne buvait

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qu'à sa soif et ne mangeait qu'à sa faim. Il laissait aux courtisans et aux courtisanes les nobles vertus de la vie débauchée . Aujourd'hui, il ll 'est fils de parvenu qui ne se croie tenu de développer la prostitution et de mercurialiser son corps pour donner un but au labeur que s ' imposent les ouvriers des mines de mercure ; il n'est bourgeois qui ne s 'empiffre de chapons truffés et de lafite navigué , pour encourager les éleveurs de La Flèche e t les vignerons du Bordelais . À ce métier, l 'organisme se délabre rapidement, les cheveux tom­bent' les dents se déchaussent, le tronc sc déforme , le ventre s'entripaille, la respiration s'embarrasse, les mouvements s 'alourdissent, les articulations s 'ankylo­sent, les phalanges se nouent. D'autres , trop malingres pour supporter les fatigues de la débauche, mais dotés de la bosse du pru dhommisme, dessèchent leur cer­velle comme les Garnier de l 'économie politique, les Acollas de la philosophie j uridique , à éluc ubrer de gros livres soporifi ques pour occuper les loisirs des compositeurs et des imprimeurs .

Les fem mes du monde vivent une vie de martyr. Pour essayer et faire valOIr les toilettes féeriques que les couturières se tuent à bâtir, du soir au matin elles font la \Un'cHe d'une robe dans une autre ; pendant des heur( ',.; . elles livrent leur tête cre use aux artistes capillaires qui, à tout prix, veulent assouvir leur pas­sion pour l ' échafaudage des faux chignons . Sanglées

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I . E D R O IT .� LA l' A lt E S S E

dans leurs corsets, à l 'étroit dans leurs bottines, décol­letées à faire rougir un sapeur, elles tournoient des nuits entières dans leurs bals de charité afin de ramas­ser quelques sous pour le pauvre monde . Saintes âmes !

Pour remplir sa d ouble fonction sociale de non­producteur et de surconsommateur, le bourgeois dut non seulement violenter ses goûts modestes, perdre s es habitudes laborieuses d'il y a deux siècles et se livrer au luxe effréné, aux indigestions truffées et aux

débauches syphilitiques, mais encore soustraire a u

travail productif une masse énorme d'hommes afin de se procurer des aides .

Voici quelques chiffres qui prouvent combien colos­sale est cette déperdition de forces productives :

« D'après le recensement de 186 1 , la population de l ' A n g l e t e rr e e t d u p ays de Ga l l e s c o m p rena i t 20 066 224 personnes, dont 9 776 259 du sexe mascu­lin et 1 0 289 965 du sexe féminin . Si l'ou en déduit ce qui est trop vieux ou trop j eune pour travailler, les femmes, les adolescents et les enfants improductifs, puis les professions idéologiques telles que gouverne­ment, police, clergé, magistrature , année, savants , artistes, ete . , ensuite les gens exclusivement occupés à manger le travail d'autrui , sous forme de rente fon­cière , d ' intérêts, de dividendes , etc . , et enfin l e s pauvres, les vagabonds, les criminels, etc . , i l reste en

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L A F A R G U E

gros huit millions d'individus des deux sexes et de tout âge, y compris les capitalistes fonctionnant dans la production, le commerce, la finance, etc. Sur ces huit millions, on compte :

» Travailleurs agricoles (y compl'Ïs les bergers, les valets et

les fil les de ferme, habitant chez le fermier) . . . . . . . 1 098 261 ; » Ouvriers des fabriques de coton, de laine, de worsted,

de lin, de chanvre, de soie, de dentelle et ceux des métiers à bras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 642 607 ;

» Ouvriers des mines de charbon et de métal . . . . . . 565 835 ; » Ouvriers employés dans les usines métallurgiques (hauts

fourneaux, laminoirs, etc. ) et dans les manufactures de métal

de toute espèce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 396 998 ; » Classe domestique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 208 648.

» Si nous additionnons les travailleurs des fabriques textiles et ceux des mines de charbon et de métal, nous obtenons le chiffre de 1 208 442 ; si nous additionnons les premiers et le personnel de toutes les usines et de toutes les manufactures de métal, nous avons un total de 1 039 605 per sonnes ; c'est-à-dire chaque fois un nombre plus petit que celui des esclaves domestiques modernes. Voilà le magnifique r ésultat de l'exploita­tion capitaliste des machines 15.

À toute cette classe domestique, dont la grandeur indique le degré atteint par la civilisation capitaliste, il

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faut ajouter la classe nombreuse des malheureux voués exclusivement à la satisfaction des goûts dispendieux et futiles des classes riches, tailleurs de diamants, dentellières, brodeuses, relieurs de luxe, couturières de luxe, décorateurs des maisons de plai­sance, etc. 1 6 .

Une fois accroupie dans la paresse absolue et démo­ralisée par la j ouissance forcée, la bourgeoisie, malgré le mal qu'elle en eut, s'accommoda de son nouveau genre de vie.' Avec horreur elle envisagea tout change­ment. La vue des misérables conditions d'existence acceptées avec résignation par la classe ouvrière et celle de la dégradation organique engendrée par la passion dépravée du travail augmentaient encore sa répulsion pour toute imposition de travail et pour toute restriction de j ouissances.

C'est précisément alors que, sans tenir compte de la démoralisation que la bourgeoisie s'était imposée comme un devoir social, les prolétaires se mirent en

tête d'infliger le travail aux capitalistes . Les naïfs, ils prirent au sérieux les théories des économistes et des moralistes sur le travail et se sanglèrent les reins pour en infliger la pratique aux capitalistes . Le prolétariat arbora la devise : Qui ne travaille pas, ne mange pas ; Lyon, en 1 83 1 , se leva pour du plomb Olt du travail, les fédérés de mars 1 87 1 déclarèrent leur soulèvement la Révolution du travail.

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L A F A H G C E

À ces déchaînements de fureur barbare, destructive de toute jouissance et de toute paresse bourgeoises , les capitalistes ne pouvaient répondre que par la répres­sion féroce, mais ils savaient que, s 'ils ont pu compri­mer ces explosions révolutionnaires, ils n'ont pas noyé daus le sang de leurs massacres gigantesques l 'absurde idée du prolétariat de vouloir infliger le travail aux classes oisives et repues , et c 'est pour détourner ce malheur qu'ils s'entourent de prétoriens, de policiers , de magistrats, de geôliers entretenus dans une impro­ductivité laborieuse. On ne peut plus conserver d' illu­sion sur le caractère des armées modernes, elles ne se sont maintenues en permanence que pour comprimer « l'ennemi intérieur » ; c'est ainsi que les forts dc Paris et de Lyon n'ont pas été construits pour défendre la ville contre l 'étranger, mais pour l ' écraser en cas de révolte . Et s'il fallait un exemple sans réplique, citons l'armée de la Belgique, de ce pays de Cocagne du capi­talisme; sa neutralité est garantie par les puissances européennes , et cependant son armée est une des plus fortes proportionnellement à la population . Les glo ­rieux champs de bataille de la brave année belge sont les plaines du Borinage et de Charleroi ; c'est dans le sang des mineurs et des ouvriers désanllés que les offi­ciers belges trempent leurs épées et ramassent leurs épaulettes . Les nations européennes n 'ont pas des années nationales, mais des armées mercenaires, elles

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protègent l e s capitalistes contre l a fureur populaire gui voudrait les condamner à dix heures de mine ou de filature .

Donc, en se serrant: le ventre , l a dasse ouvrière a

développé outre mesure le ventre de la bourgeoisie condamnée à la s urconsonunatiOll .

Pour être soulagée dans son pénible travail, la bour­g e o i s i e a r et ir é de l a c l a s s e o u vrière u n e m a s s e d' hommes de beaucoup supérieure à celle gui restait consacrée à la production utile, et ra condanmée à son tour à l 'improductivité et à la surconsommation. Mais ce troupeau de bouches inuti les , malgré sa voracité insatiable, ne suffit pas à consommer toutes les mar­chandises gue les ouvriers , abrutis par le dogme du travail, produisent conllue des maniaques, sans vou­loir les consommer, et sans même songer si l'on trou­vera des gens pour les consommer.

En présence de cette double folie des travailleurs, de se tuer de surtravail et de végéter dans l'abstinence, le grand problème de la production capitaliste n'est plus de trouver des producteurs et de décupler leurs forces , mais de découvrir des consommateurs , d'exci­ter leurs appétits et de leur créer des besoins factices . Puisque les ouvriers européens , grelottant de froid et de faim, refusent de porter les étoffes qu'ils tissent, de boire les vins qu'ils récoltent, les pauvres fabricants , ainsi que des dératés , doivent courir aux antip o des

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chercher qui les portera et qui les boira : ce sont des centaines de millions et de milliards que l 'Europe exporte tous les ans, aux quatre coins du monde, à des peuplades qui n'en ont que faire 1 7 . Mais les continents explorés ne s ont plus assez vastes, il faut des pays vierges. Les fabricants de l'Europe rêvent nuit et j our de l 'Afrique , du lac saharien, du chemin de fer du Soudan ; avec anxiété , ils suivent les progrès des L ivingstone , des Stanley, des Du Chail lu , des de Brazza ; bouche b éante , ils écoutent les histoires miro­bolantes de ces courageux voyageurs . Que de mer­veilles inconnues renferme le « continent noir » ! Des champs sont plantés de dents d'éléphant, des fleuves d'huile de coco charrient des paillettes d'or, des mil­lions de culs noirs, nus comme la face de Dufaure ou de Girardin, attendent les cotonnades pour apprendre la décence, des bouteilles de schnaps et des bibles pour connaître les vertus de la civilisation.

Mais tout est impuissant : bourgeois qui s'empiffrent, classe domestique qui dépasse la classe productive, nations étrangères et barbares que l'on engorge de mar­chandises européennes ; rien, rien ne peut arriver à écouler les montagnes de produits qui s'entassent plus hautes et plus énormes que les pyramides d'Égypte : la productivité des ouvriers européens défie toute consom­mation, tout gaspillage . Les fabricants, affolés , ne savent plus où donner de la tête, ils ne peuvent plus

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trouver la matière première pour satisfaire la pass ion désordonnée, dépravée, de leurs ouvriers pour le tra­vail. Dans nos départements lainiers , on effi oche les chiffons souillés et à demi pourris , on en fait des draps dits de renaissance, qui durent ce que durent les pro­messes électorales ; à Lyon, au lieu de laisser à la fibre soyeuse s a s implicité et sa so uplesse naturelle , on la surcharge de sels minéraux qui, en lui ajoutant du poids, la rendent friable et de peu d'usage . Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l 'écoulement et en abréger l'existence. Notre époque sera appelée l'âge de la falsification, comme les premières époques de l'humanité ont reçu les noms d'ôge de pierre, d'âge de bronze, du caractère de leur production . Des igno­rants accusent de fraude 1l0S pieux industriels, tandis qu'en réalité la pensée qui les anime est de fournir du travail aux ouvriers , qui ne peuvent se résigner à vivre les bras croisés. Ces falsifications, flui out pour unique mobile un sentiment humanitaire, mais qui rapportent de superbes profits aux fabrieants qui les pratiquent, si elles sont désastreuses p our la quali té des marchan­dises, si elles sont une so urce intarissable de gaspillage du travail humain , prouvent la philanthropique ingé­ni os ité des b o urge o i s et l ' h o rrib l e p erver s i o n des ouvriers flui, pour assouvir leur vice de travail , ob ligent les industriels à étouffer les cris de leur conscience et à violer même les lois de l 'honnêteté commerciale .

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Et cependant, en dépit de la surproduction de mar­chandises, en dépit des falsifications industrielles, les ouvriers encombrent le marché innombrab l ement, implorant ; du travail ! du travail ! Leur surabondance devrait les obliger à refréner leur passion ; au contraire, ell e la porte au paroxysme. Qu'une chance de travail se présente, ils se ruent: dessus ; alors c'est douze, qua­torze heures qu'ils réclament pour en avoir leur saoul, et le lendemain les voilà de nouveau rejetés sur le pavé, sans plus rien pour alim enter leur vice . Tou s les ans , dans toutes les industries, des chômages revi ennen t avec la régularité des saisons . Au surtravail meurtrier pour l'organisme succède le repos absolu, pendant des deux et quatre mois ; et plus de travail, plus de pitance. Pu isqu e le vice du travail est diaboliquement chevillé dans le cœur des ouvriers ; puisque ses exigences étouf­fent tous les autres inst incts de la nature ; puisque la quantité de travail req uise par la société est forcément limitée par la consommation et par l 'abondance de la matière première, pourquoi dévorer en six mois le tra­vail de toute l 'année ? Pourquoi ne pas le distribuer uniformément sur les douze m ois et forcer tout ouvrier à se eontenter de six ou de cinq heures par j ou r, pen­dant l' année, au lieu de prendre d es indigest ions de douze heures pen dant six mois ? Assurés de leur part quoti dienne de travail, les ouniers ne se j alouseron t plus , n e se battront p l us pour s 'arraeher le travail des

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mains e t le pain de la bouche ; alors , non épuisés ùe corps et d'esprit, ils commenceront à pratiquer les ver­tus de la paresse .

Abêtis par leur vice, les ouvriers n 'ont pu s 'élever à l' intelligence de ce fait que, pour avoir du travail pour tous, il fallait le rationner comme l'cau sur un navire en détresse . Cepen dant les industriels , au nom de l ' exp lo i ta ti on capitali s te , ont depu i s l ongtemp s demandé une limitation légale de la journée de travail . Devant la Commission de 1 860 sur l 'enseignement professionnel, un des plus grands manufacturiers de l 'Alsace, M. Bourcart, de Guebwiller, déclarait :

« Que la journée de douze heures était excessive et devait être ramenée à onze heures, que l'on devait sus­pendre le travail à deux heures le samedi. Je puis conseiller l ' adop t. ion de cette mes ur e quoiqu 'e l le paraisse onéreuse à première vue ; nous l'avons expé­rimentée dans nos établissements industriels depuis quatre ans et nous nous en trouvons bien, et la pro­duction moyenne, loin d'avoir diminué, a augmenté. »

Dans son étude s ur l e s machines , M . F. Passy cite la lettre suivante d'un grand industriel b elge, M. M. Ottavaere :

« Nos machines, quoique les mêmes que celles des filatures anglais e s , ne produisent pas ce qu'e l l e s devraient produire e t ce que produiraient ces mêmes machines en Angleterre, quoique les filatures travaillent

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deux heures de moins par jour. [ . . . ] Nous travaillons tous deux grandes heures de trop ; j 'ai la conviction que si l 'on ne travaillait que onze heures au lieu de treize, nous aurions la même production et produirions par conséquent plus économiquement. »

D'un autre côté, M . Leroy-Beaulieu affirme que « c'est une observation d'un grand manufacturier belge que les semaines où tombe un jour férié n'apportent pas une production inférieure à celle des semaines ordi­naires 18 » .

Ce que le peuple, pipé en sa simplesse par les mora­listes, n'a jamais osé, un gouvernement aristocratique l'a osé . Méprisant les hautes considérations morales et industrielles des économistes, qui, comme les oiseaux de mauvais augure, croassaient que diminuer d'une heure le travail des fabriques c'était décréter la ruine de l 'industrie anglaise, le gouvernement de l'Angle­terre a défendu par une loi, strictement observée, de travailler plus de dix heures par jour ; et, après comme avant, l'Angleterre demeure la première nation indus­trielle du monde.

La grande expérience anglaise est là, l 'expérience de quelques capitalistes intelligents est l à , e l le démontre irréfutablement que, pour puissancer la pro­ductivité humaine, il faut réduire les heures de travail et multiplier les jours de paye et de fêtes, et le peuple français n'est pas convaincu . Mais si une misérable

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réduction d e deux heures a augmenté en dix ans de près d'un tiers la production anglaise 19, quelle marche vertigineuse imprimera à la production française une réducti on légale de la j o u rnée de trava i l à tro i s heures ? Les ouvriers ne peuvent-ils donc comprendre

qu'en se surmenant de travail, ils épuisent leurs forces et celles de l eur progéniture ; que , usés , ils arrivent avant l'âge à être incapables de tout travail ; qu'absor­bés , abrutis p ar un seul vice , ils ne sont plus des hommes, mais des tronçons d'hommes ; qu'ils tuent en eux toutes les belles facultés pour ne laisser deb out, et luxuriante , que la folie furibonde du travail.

Ah! comme des perroquets d'Arcadie ils répètent la leçon des économistes : « Travaillons , travaillons pour accroître la richesse nationale. » Ô idiots ! c'est parce que vous travaillez trop que l'outillage industriel se déve­loppe lentement. Cessez de braire et écoutez l l U écono­miste ; il n'est pas un aigle, ce n'est que M. L. Reybaud, que nous avons eu le bonheur de perdre il y a quelques mOlS :

« C'est en général sur les conditions de la mai n ­d'œuvre que s e règle l a révolution dans les méthodes du travail . Tant que la main-d 'œuvre fournit ses ser­vices à bas prix, on la prodigue ; on cherche à l'épar­gner quand ses services deviennent plus coÎlteux 20. »

Pour forcer les capitalistes à perfectionner leurs machines de bois et de fer, il faut hausser les salaires

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et diminuer les heures de travail des machines de chair et d'os . Les preuves à l ' appui ? C'est par centaines qU'OIl peut les fournir. Dans la filature, le métier ren­vid � IH ( self acting mule) fut inventé et appliqué à Manchester, parce que les fileurs se refusaient à tra­vailler aussi longtemps qu'auparavant .

E n Amé r i q u e , l a machine envah i t t ou te s l e s branches de l a production agricole, depuis l a fabrica­tion du beurre j usqu'au sarclage des blés : pourquoi ? Parce que l 'Américain , libre et paresseux, aimerait mieux mille morts que la vie bovine du paysan fran­çais . Le labourage, s i pénib l e en n o tre glori eu s e France, si riche en courbatures , est, dans l'Ouest amé­ricain, un agréable passe -temps au grand air que l 'on prend assis , en fumant nonchalamment sa pipe.

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4. À nouvel air, chanson nouvelle

Si, en diminuant les heures de travail , ou conquiert à la prod uct i on so ciale de nouvelles forces méca­niqu es , en ob ligeant les o uvri ers à con sommer leurs produits , on conquerra une im mense armée de forees de travail . La bourgeoisie, déchargée alors de sa tâehe de consommateur universel, s 'em pressera de l i cencier

la eohue de soldats , de magis trat s , de figaristes , de proxénètes, etc . , qu'eUe a retirée du trava i l utile pour l 'aider à consommer et à gaspille r. C'est alors que le marché du travail sera débordant, c'est alors qu'il fau­dra une loi de fer pour mettre l 'int erdi t s u r le travail :

il sera imposs ible de trouver de la besogne pour cette Huée de ci- devant improductifs , pIns llom breux que les poux des Lois . Et après e ux il faudra songer à tous ceux qui pOlllToya ient à leurs beso ins ct goûts futiles et: dispen dieux . Quand il n'y a ura plus de laq uais ct de généraux à galonner, plus de prostituées libres et mariées à couvrir de dentell es, plus de can o ns à forer, plus de pal ais à bâtir, il faudra, par d('s lois sévères , i mposer aux ouv rières et ouvriers eIl passcmeutcries , C i l dentelles, en fe r, en bâtiment s , du canotage hygié­nique et des exerc i ces chorégra ph i ques pour le ré t a­blisseme l l t de leur santé et le p<,rf'eet i oll ll emcll t de l a race . D u moment que les p rod uits européells consom ­més s u r pl ace ne seront pas trallsportés an diable, i l

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L A F A R G I E

faudra bien que les marins, les hommes d'équipe, les camionneurs s ' assoient et apprennent à se tourner les pouces . Les bienheureux Polynésiens pourront alors se livrer à l' amour libre sans craindre les coups de pied de la Vénus civilisée et les sennons de la morale européenne.

Il y a plus . Afin de trouver du travail pour toutes les non-valeurs de la société actuelle, afin de laisser l 'outillage indu striel se développer indéfiniment, la classe ouvrière devra, conime la bourgeoisie, violenter ses goûts abstinents, et développer indéfiniment ses capacités consommatrices . Au lieu de manger par j our une ou deux onces de viande coriace, quand elle en mange, elle mangera de joyeux biftecks d'une ou deux livres ; au lieu de boire modérément du mauvais vin, plus catholique que le pape, elle b oira à grandes et profondes rasades du bordeaux, du bourgogne, sans b aptême industriel, et laissera l 'eau aux bêtes .

Les prolétaires ont arrêté en leur tête d'infliger aux capitalistes des dix heures de forge et de raffinerie ; là est la grande faute, la cause des antagonismes sociaux et des guerres civiles. Défendre et non imposer le tra­vail, il le faudra. Les Rothschild, les Say seront amuis à faire la preuve d'avoir été, leur vie durant, de parfaits vauriens ; et s ' ils j urent vouloir continuer à vivre en parfaits vauriens, malgré l'entraînement général pour le travail , ils seront mis en carte et, à leurs mairies

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LV. D R O IT ,\ LA l' A II E S S E

respectives, ils recevront tous les matins une pièce d e vingt francs p o ur leurs menus plaisirs . Les discordes sociales s ' évanouiront. Les rentiers , les capitalistes , tout les premiers , se rallieront au parti populaire, une fois convaincus que, loin de leur vo uloir du mal , on veut au contraire les débarrasser du travail de surcon­sommation et de gaspillage dont ils ont été accablés dès leur naissance . Quant aux bourgeois incapables de prouver leurs titres de vauriens, on les laissera suivre leurs instinct.s : il existe s u ffis amment de métiers dégoûtants p o ur les caser - Dufaure nettoierait les latrines publiques ; Galliffet chourinerait les cochons galeux et les chevaux forcineux ; les membres de la commission des grâces, envoyés à Poissy, marqueraient les bœufs et les moutons à abattre ; les sénateurs , atta­chés aux pompes funèbres , j oueraient les croqu e ­morts . Pour d'autres, on trouverait des métiers à por­tée de leur intelligence . Lorgeril, Broglie, boucheraient les bouteilles de champagne , mais on les musellerait p our les empê cher de s ' en ivrer ; Ferry, Freyeinet , Tirard détruiraient l e s punaises e t les vermines des mini s tères et autres aub erges p ub l i q u e s . JI faudra cependant mettre les deniers publies hors de la portée des bourgeois, de peur des habitudes acquises .

Mais dure et longue vengeance on tirera des mora­

listes qui ont perverti l 'humai ne nature, des cagots, des cafards , des hypocrites « et autres telles sectes de

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L A F A R e ! "

gens qui se sont déguisés pour tromper le monde _ Car donnant entendre au populaire commun qu'ils ne sont occupés sinon à contemplation et dévotion, en jeuslles et mascération de la sensualité, s inon vrayement pour sustenter et alimenter la petite fragilité de le ur huma­nité : au eontraire font chière. Dieu sait q u'elle ! et Curios simulant sed Bacclzanalia vivunt 2 1 . Vous le pouvez li re en grosse le ttre et enl umineure de leurs rouges muzeaulx et ventre à p oulaine , sinon quand ils se parfument de souphlre 22 » .

Aux j ours de grandes réj ouissances pop u laires, o ù , a u lieu d'avaler de l a poussi ère connue aux 1 5 août et a ux 14 j uillet du bourgeoisi sme, les communistes et les collectivistes feront aller les flacons, trotter les j am­bons et voler les gobelets , les membres de 1 '.Académie des sciences morales et politiques , les prêtres à longue et courte robe de l'église économique, catholique, pro­testante, ju ive, positiviste et libre penseuse, les propa­gateurs du malthusianisme et d e l a morale chrétien n e ,

altruiste , indépendante ou soumise, vêtus de j auue, t ien dro n t la chan d e U e à s ' e n brûler les doigts e t vivront e ll famine auprès des femmes galloises et des

tables chargées de via ndes , de fruits et de fleurs, et m o urroIlt de soif a nprès des tonneaux débondés . Quatre fois l 'aIl, au changement des sa isons, ainsi que l es chicns des rémouleurs , on l e s ellfermera dans les grandes rou es e t pendant dix heures on lcs cOlldam-

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n e r a à moudre du veut . Les avocats et les légistes subiront la même peine .

E n régime de paresse, pour tuer le temps qui nous tue seconde par seconde, il y aura des specta cles et des représentations théâtrales touj ours et toujours ; c 'est de l'ouvrage tout trouvé pour nos bourgeois législa­teurs . On les organisera par bandes courant les foires et les villages , donnant des représentations législatives . Les généraux, en bottes à l 'écuyère, la poi trine cha­m arrée d ' aiguillettes , de crachats , de croix de l a Légion d'honneur, iront: par les rues et l e s places, racolant les bonnes gens . Gambetta et Cassagnac, son compère, feront le boniment de la porte . Cassagnac, en grand costume de matamore, roulant des yeux, tor­dant la moustache, crachant de l 'étoupe enflammée, menacera tout le monde du p istolet de son père et s'abîmera dans un trou dès qu'on lui montrera le por­trait de LuHier ; Gambetta discourra sur la politique étrangère , sur la petite Grèce qui l'endoctori se et met­trait l 'Europe en feu pour filouter la Turquie; sur la grande Russie qui le stultifie avec la compote qu 'elle promet de faire avec la Prusse et qui souhaite à l'ouest de l'Europe plaies et bosses pour faire sa pelote à l'Es t e t étrangler l e nihilisme à l 'intérieur ; sur M. d e Bis­marck, qui a été assez bon pour lui permettre de se

pronon cer sur l ' amnistie . . . p uis , dénudant sa large bedaine peinte aux trois couleurs, il battra dessus le

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rappel e t énumérera l e s délicieuses petites bêtes, les ortolans, les truffes, les verres de margaux et d'yquem qu'il y a engloutonnés pour encourager l'agriculture et tenir en liesse les électeurs de Belleville .

Dans la taraque, on débutera par la Farce électorale. Devant les électeurs, à têtes de bois et oreilles d'âne,

les candidats bourgeois , vêtus en paillasses, danseront la danse des libertés politiques, se torchant la face et la postface avec leurs programmes électoram: aux mul­tiples promesses, et parlant avec des larmes dans les yeux des misères du peuple et avec du cuivre dans la voix des gloires de la France ; et les têtes des électeurs de braire en chœur et solidement : hi han ! hi han !

Puis commencera la grande pièce : Le Vol des biens de la nation.

La France capitaliste, énorme femelle, velue de la face et chauve du crâne, avachie, aux chairs flasques, bouffies, blafardes, aux yeux éteints, ensommeillée et bâillant, s ' allonge sur un canapé de velours ; à ses pieds , le C apitalisme indu striel , gigantesque orga­nisme de fer, à masque simiesque, dévore mécanique­ment des hommes, des femmes , des enfants , dont les cris lugubres et déchirants emplissent l'air ; la Banque à museau de fouine, à corps d'hyène et mains de har­pie, lui dérobe prestement les pièces de cent sous de la poche . Des hordes de misérables prolétaires déchar­nés, en haillons, escortés de gendarmes, le sabre au

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clair, chassés par des furies les cinglant avec les fouets de la faim, apportent aux pieds de la France capita­liste des monceaux de marchandises , des barriques de vin, des sacs d'or et de blé. Langlois, sa culotte d'une main, le testament de Proudhon de l'autre, le livre du budget entre les dents, se campe à la tête des défen­seurs des biens de la nation et monte la garde . Les far­deaux déposés, à coups de crosse et de baïonnette, ils font chasser les ouvriers et ouvrent la porte aux indus­triels , aux commerçants et aux banquiers . Pêle-mêle, ils se précipitent sur le tas , avalant des cotonnades, des sacs de blé, des lingots d'or, vidant des barriques ; n'en pouvant plus, sales, dégoÎltants , ils s 'affaissent dans leurs ordures et leurs vomissements . . . Alors le tonnerre éclate, la terre s ' ébranle et s 'entrouvre , la Fatalité historique surgit ; de son pied de fer elle écrase les têtes de ceux qui hoquettent, titubent, tombent et ne peuvent plus fuir, et de sa large main elle renverse la France capitaliste, ahurie et suante de peur.

Si , rléracinant de son cœur le vice qui la domine et avilit sa nature, la classe ouvrière se levait dans sa force terr ib l e , non pour réc lamer le s Droits de l 'homme, qui ne sont que les droits de l'exploitation capita liste, non pour réclamer le Droit au travail, qui n'est que le droit à la misère, mais pour forger une loi d'airain, défendant à tout homme de travailler plus de trois heures par jour, la Terre, la vieille Terre, frél1lis-

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sant d'allégresse, sentirait bondir en elle un nouvel univers . . . Mais comment demander à un prolétariat corrompu par la morale cap italiste une résolution virile ?

Comme le Christ , la dolente personnification de l'esclavage antique, les hommes, les femmes, les enfants du Prolétariat gravissent péniblement depuis un siècle le dur calvaire de la douleur : depuis un siècle, le travail forcé brise leurs os, meurtrit leurs chairs, tenaille leurs nerfs ; depuis un siècle, la faim tord leurs entrailles et hallucine leurs cerveaux ! . . . Ô Paresse, prends pitié de notre longue misère ! Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses humaines !

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Appendi(�c

Nos moralistes sont gens bien modestes ; s ' i ls o u t i nventé le dogme du travail , ils do utent de SOli effica­cité pour tranquilliser l'âme, réjou ir l'esprit ct entrete­n ir le bon fonctionnement des reins et a utres organes ; ils veulent en expérimenter l 'usage sur le populaire, in anima vili, avant de le tourner contre les capitalistes, dont ils ont mission d'excuser et d' autoriser les vices .

Mais, philosophes à quatre sous la douzaine, pour­quoi vons b a ttre ainsi la cervelle à é lu c llb rer u n e moral e dont vous n'osez conseiller l a p ratiqu e à vos maîtres ? Votre dogme du travail , dont VO liS raites tant l es fiers , voulez-voli s l e voir bafoué, hon ni ? Ouvrons l'his toire des peuples antiques et les écrits de leurs philosophes et de l e urs législateurs .

« Je ne saurais affirmer, dit le père de l'h istoire, Héro­dote, si les Grecs tiennent des le mépris qu'ils font du travail, parœ que je trotlYe le même mépris éta­bli p armi l e s Thraces , les S c y th e s , les Pers e s , l e s Lydiens ; en u n m o t paree que ehez l a plupart des bar­b are s , ceux qui ap prennent les a rts mécani q u es e t même leurs enfants sout regardés COlnme les derniers des citoyens . . . Tous les Grees on t été élevés d a n s ces

principes , particulièrem ent les Lacédémoniens 2� . »

«À Athèl l es , les citoyens étaient de véri t a bles nobles q ni ne d evaient s ' o c c u p e r que de la dé fen s e et de

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l 'administration de l a communauté, cornrue les guer­riers sauvages dont ils tiraient leur origine. Devant donc être libres de tout leur temps pour veiller, par leur force intellectuelle et corporelle, aux intérêts de la Répu­blique, ils chargeaient les esclaves de tout travail. De même à Lacédémone, les femmes mêmes ne devaient ni filer ni tisser pour ne pas déroger à leur noblesse 24 . »

Les Romai us ne connaissaient que deux métiers nobles et libres, l 'agriculture et les armes ; tous les citoyens vivaient de droit aux dépens du Trésor, sans pouvoir être contraints de pourvoir à leur subsistance par aucun des sordidœ artes ( ils désignaient ainsi les métiers ) qui appartenaient de droit aux esclaves. Bru­tus , l'ancien, pour soulever le peuple, accusa surtout Tarquin , le tyran , d ' avoir fait des artisans et des maçons avec des citoyens libres 25.

Les philosophes anciens se disputaient sur l 'origine des idées, mais ils tombaient d'accord s 'il s 'agissait d'abhorrer le travail .

« La nature, dit Platon , dans son utopie sociale, dans sa République modèle, la nature n'a fait ni cordonnier, ni forgeron ; de pareilles occupations dégradent les gens qui les exereent, vils mercenaires, misérables sans nom qui sont exclus par leur état même des droits poli1iques .

Quant aux marchands accoutumés à mentir et à trom­per, on ne les souffrira dans la cité que comme un mal nécessaire . Le citoyen qui se sera avili par le commerce

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d e boutique sera p oursuivi p our ce délit . S ' il est convaincu, i l sera condamné à un an de prison . La punition sera double à chaque récidive 26. »

Dans son Économique, Xénophon écrit : « Les gens qui se livrent aux travaux manuels ne

sont j amais élevés aux charges, et on a bien raison . La plupart, condamnés à être assis tout le j our, quelques­uns même à éprouver un feu continuel, ne peuvent manquer d'avoir le corps altéré et i l est bien difficile que l'esprit ne s'en ressente . »

« Que peut-il sortir d'honorable d'une boutique ? professe Cicéron, et qu'est-ce que le commerce peut produire d'honnête ? Tout ce qui s 'appelle boutique est indigne d'un honnête homme [ . . . ] , les marchands ne pouvant gagner sans mentir, et quoi de plus hon­teux que le mensonge ! Donc, on doit regarder comme quelque chose de bas et de vil le métier de tous ceux qui vendent leur peine et leur industrie ; car quiconque donne son travail pour de l'argent se vend lui-même et se met au rang des esclaves 27. »

Prolétaires, abrutis par le dogme du travail, enten­dez-vous le langage de ces philosophes , que l'on vous cache avec un soin j aloux : un citoyen qui donne son travail pour de l 'argent se dégrade au rang des esclaves, i l commet un crime, qui mérite des années de prison.

La tartuferie chrétienne et l 'uti litarisme capitaliste n'avaient pas perverti ces philosophes des Républiques

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antiques ; professant pour des hommes libres, ils par­laient naïvement leur pensée . Platon, Aristote, ces penseurs géants , dont nos Cous in , nos C aro , nos Simon ne peuvent atteindre la cheville qu'en se haus­sant sur la pointe des pieds , voulaient que les citoyens de leurs Républiques idéales vécussent dans le plus grand lois ir, car, aj o utait Xénophon , « le tra vail emporte tout le temps et avec lui on n'a nul loisir pour la République et les amis » . Selon Plutarque, le grand titre de Lycurgue , « le plus sage des homme s » à l'admiration de la postérité , était d'avoir accordé des loisirs aux citoyens de la République en leur interdi­

sant un métier quelconque 28 .

Mais , répondront les Bastiat, Dupanloup , Beaulieu et compagnie de la morale chrétienne et capitaliste, ces penseurs , ces philosophes préconisaient l ' escla­vage . - Parfait, mais pouvait-il en être autrement, étant donné les conditions économiques et politiques de leur époque ? La guerre était l'état normal des sociétés antiques ; l 'homme libre devait consacrer son temps à discuter les affaires de l 'État et à veiller à sa défense ; les métiers étaient alors trop primitifs et trop grossiers pour que, les pratiquant, on pftt exercer son métier de soldat et de citoyen ; afin de posséder des guerriers et d e s c i toyen s , l e s p hi losophes et les l ég i s la te urs devaient tolérer les esclaves dans les Républ iques héroïques . - Mais les moralistes et les économistes du

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LE D R O IT À LA P A H E H S E

capitalisme ne préconisent-ils pas le salariat, l 'escla­vage moderne ? Et à quels hommes l'esclavage capi­taliste fait-il des loisirs ? - À des Rothschild, à des Schneider, à des Mme Boucicaut, inutiles et nuisibles, esclaves de leurs vices et de leurs domestiques .

« Le préj ugé de l 'esclav a ge dominait l ' esprit de Pythagore et d'Aristote » , a t on écrit dédaigneuse­ment ; et cependant Aristote prévoyait que « si chaque outil pouvait exécuter sans sommation, ou bien de lui­même, sa fonction propre, comme les chefs -d'œuvre de Dédale se mouvaient d'eux-mêmes, ou comm e les trépieds de Vulcain se mettaient spontanément à leur travail sacré ; si, par exemple, les navettes des tisse­rands tissaient d'elles-mêmes, le chef d'atelier n'aurait plus besoin d'aides, ni le maître d'esclaves » .

Le rêve d 'Aristote est n otre réalité . Nos machines �U souffle de feu , aux membres d'acier, infatigables , à la fécondité merveilleuse, inépuisable, accomplissent docilement d'elles -mêmes leur travail sacré ; et cepen­dant le génie des grands philosophes du capitalisme reste dominé p ar le préj ugé du salariat, le p ire des esclavages . Ils ne comprennent pas encore que la machine est le rédempteur de l 'humanité , le Dieu qui rachètera l'homme des sordidœ a rte.� et du travail salarié, le Dieu qui lui donnera des loisirs ei la libelté .

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LE D R O I T ,\ LA P ARE S S E

Notes

1 . D e s cart e s , Les Passions de l 'âme.

2 . Docteur Beddoe , Memuirs of the A n thropological Society ; Ch. Darwin , Descent of Man.

3 . Les explorateurs europ ée ns s ' ar rê t e n t éto nné s d e v a n t l a beauté physique et la fière al lure des hommes des peup lades primitives, non souillés par ce que P œ p p i g a p p el a i t le « s o u f f l e empoisonné de la civilisation » . Parlant des aborigènes des Îles océaniennes, lord George Campbell écrit : « Il n'y a pas de peuple au monde qui frappe davantage au p r e m i e r abord . L e u r p e a u unie e t d 'une teinte légèrement cuivrée, leurs cheveux dorés et b o uc l é s , l e ur b e l l e et j oye u s e figure , en un mot toute leur person ne , formaient un nouve l et splend ide échantillon du gellus homo ; leur apparence physique donnait l ' impression d'une race supérieure à la nôtre . » Les civil i s é s de l ' a n cienne R o m e , l e s César, l e s Tacite , contemplaient avec la même admirat ion les Ger­mains des trib us cOIllmunistes qui e n v a h i s s a i e n t l ' E m p i re romaiu . - Ainsi que Tacite, Sal­vien, le prêtre du ve siècle, qu'on surnomma 1<, maître des éL'êques,

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donnait les barbares e n exemple aux ci vi l isés et aux chrétiens : « Nous somllles impudiques au milieu des barbares, plus chastes que nous. Bien plus, les barbares sont blessés de nos impudicités, les Goths ne sonffrent pas qu'il y ait parmi eux des débauchés de l e u r n a t i o n ; s e u l s a u m i l i e u d'eux, par le triste privilège de leur nationalité et de leur nom, les Romains o nt le dro it d'être impurs. [La pédérastie était alors en grande mode parmi les païens et les chrétiens . . . ] Les opprimés s'en vont chez les barbru:es chercher de l'humanité et un abri . » (De Gubematione Dei. ) L a vieille civil isation et le christianisme naissant corrompirent les b a r b a res dn v i e u x m o n d e , comme l e christianisme vieilli et la moderne civilisation capitaliste corrompent les sauvages du nouveau monde. M . F . L e P l a y , d o n t: on d o i t reconnaître le talent d'observation, alors même que l 'on rejette se s concl usions sociologi q u e s , e n taché es d e p r u d h omrnisme philanthropique et chrétien, dit dans SOli livre Les O/ll".iers européens ( 1 885) : « La propension des Bachkirs pour la paresse [les Bachkirs sont des pasteurs seminomades du versant asiatique de l ' O u r a l ] ; l e s l o i s i r s de la v i e nomade, l e s habitudes de médi

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L A F A R G t: E

tation qu'elles font naître chez les individus les mieux doués communiquent souvent à ceLL'{ ci une d i s t i n c t i o n de m a n i è r e s , u n e finesse d 'intelligence e t d e j uge­ment qui se remarquent rarement au même niveau social dans une civilisation plus développée . . . Cf' qui leur répugne le plus, ce sont les travaux agricoles ; ils font tout plutôt que d'accepter le méti er d'agriculteur. » L 'agriculture est, en effet, la première manifestat i o n du t r a v a i l s e r v i l e d a n s l 'h u m ani t é . S e l on l a tradi t ion bibl ique , l e premier cr imi n e l , Caïn, est u n agriculteur .

4 . Le p ro v e r b e e s p a g n o l d i t Descallsa,. e s salud (Se reposer est santé ) .

5 . « Ô Mélibée, un Dieu n o u s a donné cette o is iveté » , V irgi le , Bucoliques. (Vo ir Appendice . )

6 . Évangile selon saint Matthieu, chap . \1 .

7. Au premier congrès de bien faisance tenu à Bruxelles, en 1 857, ml des plus riches manufactmiers de M a r q ue t t e , p r è s de L i l l e , M . Scrive, aux applaudissements des membres du congrès , racontait , avec la plus noble satisfac ­t i o n d ' un d e v o i r a c c o m p l i : « Nous avons introduit quelques

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moyens de d is traction pour les l'!lfants. Nous leur apprenons à c h a n t er p e n d an t le tra va i l , à c o m p t e r é g a l e in c n t en t r availlant : cela les distrait e t lem fait accepter avec courage ces douze heu,.e" de tral'ail qui SOllt Ilécessa i,.e,ç p o u, leu, procure, des m o.ye n s d 'existe n c e . » Douze heures de travail . et quel t ravail ! imposées à des enfants qui n'ont pas d ouze ans ! Les matér ia l i s tes regrrtterout touj ours qu' i l n 'y ait pas un enfer pour y clouer c.es chrétiens, ces p h i l anthr o p e s , b o u r r e a u x d e J 'enfance.

8. Discours prononcé à la Société internationale ,l'études pratiques d'économie socia le de Paris, en mai 1 863, et publié dans L 'Écon o miste fra n ç a is rie l a m ê m e ppoque.

9. L . - H . V il l ermé , Ta bleau de l 'é t a t p hy., iq u e e t moral des ou eTiers dans les fa b riq u es de cotOl!, de laine et de soie, 1 848. Ce n ' é t a i t pas p a r c e que l e s D o l lfus , les Kœchl in et au tre s fabricants alsaciens étaient des républicains , des patriotes et des philanthropes protestants qu ' ils t r a i t a i e n t d e l a s o rt e l e'u r s ouvriers ; car Blanqui, l 'académi­c i e n , Reyb a u d , le proto t yp e de Jérôme Paturot, et Jules Simon,

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LI:: D R O I T A l . A l' A Il E SSE

l e maît re Jacques politique, ont eonstaté les mêmes aménités pOlU" la classe oll\Ti(.re chez les {abrir a n t s très c a t h o l i q u e s et t r è s monarchiques de Lille e t de Lyon. Ce sont là des vertus capitalistes s'harmonisant à ravir avec toutes les convictions politiques et rel igieuses.

1 0 . Les Indiens des tribus bel l iq u e u s e s d u B r é s i l tuent l eurs i n firmes et leurs viei l lards ; i l s témoignent leur amitié e n mettant fin à une vie qui n'est plus réjouie par des combats, des fêtes et des danses. Tous les peuples primitifs ont donné aux leurs ces preuves d'affection : les Massagètes dc la Iller Caspienne (Hérodote) , aussi hi en que les Wells de l'Allemagne et les Celtes de la Gaule. Dans les églises de 8uède, dernièrement encore, 011 conservait des massues dites masslies familiales, qui servaient à délivrer les p arents des I ristesses de la vieillesse. Combien dégénérés s o u l. les p r o l é t. a i res m o d e r n e s pOl ir a c c e p t. e r e n p a t i e n c e l e s é p o u v a n t a b le s misères du travail de fabrique !

I l . An Congrès industriel tenu à B e r l i n , le 2 1 j an v i e r 1 87 9 , o n t' 5 1 imait à 568 millions de francs la p e r t e q u ' a v a i t é p r o u v é e l ' industrie d u fer en Allemagne pendant la denlière crise.

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1 2 . fJn Jllstice, de M. Clemenceau. dans sa partie financière, disait: le () a v r i l 1 8 8 0 : « N o u s a vons entendu sout.enir eette opinion que, à défaut de la Prusse, les milliards de la guerre de 1870 eussent été égalemell t perdus pour la Franc.e, et Ge, sous forme d'emprunts périodiljuement émis pour l 'équilibre des budgets étrangers ; t c l l e e s t é g a l e m e n t no tre o p in ion. » O n estimc à dnq milliards la perte des capitaux anglais dans les emprunts des Hép ubliques de l ' A m é r i q u e du 8 ; , d . L e s t r availleurs franç ais ont non seu lemenl produit. les cinq milliards payés à M . Bism arck ; mais i l s c.ontinuellt à servir les intérêts de l'indeuuùté de guelTe aux Ollivier, a u x G i r a r d i n , a u x B a z a i n e e t: autres port eurs de titres de renIe q u i o n l. amené l a g u e r r e et . a déro u l e . Cepmldant, il leur reste une fiche cie consolation : ces mill iards n ' oceasionneront p as de guerre de recouvrement.

1 3 . 89115 l 'Ancien Hégime, les lois de l'Eglise garantissaient au travailleur 90 jonrs de repos (52 dimanches et 38 jours fériés) pendant lesquels il él ait strictement défendu de travailler. C'était le grand crime du eal holicisme, la cause principale de l 'irréligion de la b o u rg e o i s i e i n d u s t r i e l l e et !:(HlI IlI<' l çante . Sous la Révol u

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L A F A R G (1 E

t i o n , d è s qu'elle fu t maître s s e , elle abolit l e s jours fériés e t remplaça la s emaine d e sept j (Jurs par celle de dix. Elle affrapchit les ouvriers du joug de l' Eglise pour mieux les soumettre au j oug du travail . L a haine contre les jours fériés n'apparaît que lorsque la modeme bourgeoisie industrielle et commerçante prend corps, entre les XV' e t XVIe s i è c l e s . H e n r i I V demanda leur réduction a u pape ; il refusa parce q u e • l 'une des hérésies qui courent le j ourd'Imi, est touchant les fêtes » ( lettre du cardinal d'Ossat) . Mais, en 1666, Péréfixe, archevêque de Paris, en supprima 17 dans son diocèse. Le protestantisme, qui était la religion chrétienne accomIIlodée aux nouveaux besoins industriels et commerciaux de la bourgeo isie, fut m o i n s s o u c i e u x du r e p o s populaire ; il détrôna a u ciel les saints pour abolir sur terre leurs fêtes. La réforme religieuse et la libre p ensée philosophique n ' étaient que des prétextes qui permirent à la bourgeoisie jésuite et rapace d'escamoter les j ours de fête du populaire .

1 4 . Ces fêtes pantagru é l i q u e s d u r a i e n t d e s s e m a i n e s . D o n Rodrigo d e Lara gagne s a fiancée en expulsant les Maures de Cala

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trava l a vieille, et le Romancero mUTe que :

Las bodas fueron ell Burgos, Las tomabodas en Salas : En bodas 'y tomabodas Pasaron siete semanas. Tanlas l'ienen de las gentes, Que no cabell por la.� plazas . . .

( Les noc.es furent à Burgos, les r e t o u rs de n o c e s à S a l a s ; e n noces et retours de noces, sept semaines passèrent ; tant de gens accourent que les places ne peuvent les contenir . . . ) Les hommes de ces noces de sept semaines étaient les héroïques soldats des guerres de l'indépell­dance .

1 5 . Karl Marx, Le Capital, livre premier, ch. xv, § 6 .

1 6 . « La proportion s uivant laquelle la population d'un pays est employée eomme domestique, au service des dasses aisées, indique son progrès en richesse nationale et en civilisation . » (R. M. Martin, /re la n d b efo re a n d after t h e Un ioll , 1 8 1 8 . ) G a mbetta, qui niait la ques tion sociale , depuis qu' il n 'était plus l 'avocat nécessiteux du C afé Procope, voulait sans doute parler de cette classe domes tique sans cesse grand issante quand il réclamait l'avènem e n t d e s n o u v e l l e s c o u c h e s sociales.

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1,E D R O I T À LA P A R E S S E

1 7. D e ux exemples : le' gouvernement anglai s , p o tii: complaire ,aux pays indiens qui, malgré les faI)lines périodiques désolililt le p a ys " s ' e iÙêtent à c u ltiver le pavot au lieu du riz ou du blé, a dû en , rendre dès gherres san

. " mposer au gou. is la libre , jntroindien . Les

. oici, d'après le

tistiden R. Giffen, dil statistique rie Londres, gression croissante de la nationale de l 'Angleterre et de rIriande : en 1 8 1'4, elle était de 55 milliards de francs ; eu 1865, elle était de 1 62 : 5 milliards de

2 0 . Louis s.ol/ régime"

vivent comme aux Buech (Juvéual) . .

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28 . Loi.l, VII : et VI ; de

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Eloge de la vr aie .

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I l est bon d e se laisser porter par l a véhémence éblouissante du Droit à la paresse. En dépit du temps qui nous sépare de son écriture, le pamphlet de Paul Lafargue est comme une goulée d'air frais pour notre esprit pollué au plus profond par l'idéologie du travail. Une « vertu vicieuse » si quotidiennement concrétisée, si profondément introjectée.

Ce petit ouvrage fait de Paul Lafargue un marxiste bien singulier au sein d'un mouvement ouvrier à l'his­toire duquel il appartient de plein droit : toute sa vie, en effet, est marquée par son engagement aux côtés des pauvres , des opprimés en lutte pour que j ustice leur soit rendue. Au- delà de sa présence constante et « offi­cielle » durant presque cinquante ans de secousses et de débats révolutionnaires, les années d'exil et de pri­son qu'il a subies pour son dévouement à la cause prolétarienne en sont un témoignage manifeste.

Par sa teneur iconoclaste et gaie, s on Droit à la paresse heurte de front les instances marxistes de son

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époque. Il tourne en déJj�jq.ÇJ ;et ;�onteste ce droit au tra­vail qui est le socle de t.ciute i� paqop lie des revendica­tions du reste , gar­deront j us q u ' à n o s j ours leur raison d 'être et leurs assises ) . Le « droit au travail », ce cri qui est censé légi­timer la rébellion des pauvres une fois dissous l'ancien système productif, cette p ulsion impérieuse, née du capitalisme même, toujours poussé à la domination, cette idée: inchlqtlée par l' adversaire et que: la dasse laPorieufw; jl!ge f's!'if'Tllielle pour l' àvèüf'ment , du Inonde i}oüvea U; �afargue terrasse' ee' , « dès lès premières lignes cle soù « , ! l'aité à ru:;agc ' tic:; 'geu:; obtuses » . ' La révolution ne .s�l1,).rait se �êtir, d\mc veste ,si morne: �: ' elle doit jetev aux oubliettes le droit au tmvail qui, dans ' la. réalité , n 'est que droit à la ' détresse' ,du corp s, ecde l.'esprit" et donc urLiIitèrdit de tout espoi[1 , dt dib�d€ et dè , plein vivre; La vraie , vie, ; celle de tous les .l'êves dé tous , les temps; ceUe : quÏ; devrait , assw:er : l'épanouisse, ment de la nature humaine da:n;s toutes : ses nuàü:ees l est annihilée ·ante .litleram par l' étoüfte et médioore captivité de l'individu, salal:ié. . 1 , . , : , i ' , : •

\ Gasp.ect ,paradoxa de , cette situatio�l n?est: j:)Qurtant pas dans l'obj ectiv.ité de .ce s .donIiées, dans; Itdait incontes table' d'une existence ouvrièr.e' .travers�e de fond en comble, par l'.effolit; , Findigence" le déracine� mentj Taliénation, le ,manque .de j oies . NOl1, ' le :véri­table :problème, pom·Lafargue; ' résidé dans le fait que,

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les ,vidimes elles�mêmes' courent' :au-, devant f:le leurs propl'es malhetirs � :C 'est ,le prolétariat; , subjugué , pat, des impératifs' IilOFilu:x:,prèscrits par' des ' s avants au service, dL. rêginH� ,du 'profit; qui dernallde de toutes ses forces' ""' parfois les arrhes , à la main '� cl 'être, enchaîné àux ou1Iilsi de productiol1\ ,d'êttè fgé; dails cette fdrmê rnodenle ,d'esd�vllge; : ' , ' ; , - i ' , ' . . n ' , '

" ! Le mépri s ; 'àp li c i te : de : L a farge p our la: b ê tise hlimaine inearnée dans la configuration sociale du tra� vaillenr semble ,bien: inal : s 'accorder ;avec SR conviction; politiquement fondée; d'1me' classe ouvrière p,ortdllse de la- félicité sùr ' terré.,.J\ilaisJ'auteur ne ' songe: pas un .ins­tant à se laissèr enfenner ,dans u�l ünàginaire poptilaü'c qüi fermerait :la. 'por.te à totite ,issue émancipatrice . Au bout du compte; sa .fohnarxiste ,..,. poul' ui , sa foi idans l'holnme: ;'" est inébranlablel eq d : iln tfait da ' plume clair et �onci s, il s l appliflue il: démystifiei; les vél'ités qtii se i cacherit deiiière les vertus l)résurùées ; àTedOl�neda vue :à' oes; hènpmes' qui se meuven(eü aveugle . : , ; , , : , i Salariat et régime pénite'ntiaire vont la Illaih dans: la.

maiir, ils 'onda: inêine :généalogie. L'brigme du second S e tro;tlVe clan s ·la : né c es s ité dti ' p ro (hiiœ -la , rùai Ii ­cl' œuvre adaptée :à: la demallde d e r usine' 'lnécanisélb hes workhmlses d tt i xvl( sièole' sont , elleffef. de, vérii! tab les lieux de réclusion voués à la fornurtioIl.:ôe, la foœ'e de ttavail; et par là les prototypes de: l"usine -+ et, Michel ,Foucault Je' montrera cent ans, })lùs tardj : eHes

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sont la pierre angulaire de cet univers disciplinaire dans lequel nous sommes tous engloutis . Prétendre au travail au nom de la liberté ? Quelle dérision ?

La concision et la souplesse critiques de Lafargue ne laissent indemnes aucune des valeurs reconnues. Le dieu Progrès, identifié comme le descendant direct du travail, où il trouve nourriture et justification, est ainsi dénoncé comme parrain du malheur. Le même sort est réservé aux droits de l 'homme, cet acquis des Lumières qui ne dessine la dignité humaine que sur fond d'exploitation et d'abstinence (Et ces principes supposés libérateurs sont repris tels quels dans nos lois fondamentales , qui constitutionnalisent le droit au travail comme pilier des droits de l'homme) . Le développement technologique n'est pas plus épargné, car, dans la li gnée de ce même Progrès dont il est l'une des unités de mesure, il finit par faire obstacle au respect du bonheur des peuples : au lieu de réduire le temps de travail de chacun, il j ette simplement hors du marché les bras qui ne lui servent plus ; au lieu de mettre sur une table commune les fruits de son effica­cité, il engendre la crise, l'exportation de ses surplus et de ses méthodes chez d'autres groupes humains dont l'identité sera vite effacée sous la férule du modèle occidental .

Tout cela, Lafargue le dit sans relâche. Il critique la myopie de la classe ouvrière qui, soumise � une

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double aliénation - se tuer de fatigue et végéter dans le désœuvrement - s'empêche de prendre parti dans la crise de surproduction : au lieu d'en tirer avantage et de revendiquer plus de temps libre, plus de biens de consommation, elle s ' abaisse à pleurnicher pour une emb auche qui, de ce fa i t même, se dévalue chaque jour davantage .

Une fois ces évidences mises en lumière , l 'utopie confiante de Lafargue se déchaîne dans une fresque où les bourgeois deviennent des marionnettes pour une représentation collective aux rôles renversés et où le prolétariat, après la conquête de ses trois heures de travail par jour et d'un niveau de consommation effré­née, rencontre enfin le parfait bonheur.

Certes, l'excitation de la lecture retombée, les rai­sons et les attentes de Lafargue nous laissent dans le doute, pour des motifs dont certains me paraissent d'importance : l 'expérience et la fin du communisme d'État ; les pièges d'un capitalisme qui a vite compris l 'enjeu des loisirs et de la consommation, dont il gère désormais à son profit la constitution et l'usage ; le niveau de vie instauré par la démocratie lihérale.

Mais ces réserves n'empêchent nullement de consta­ter que b i e n des questio n s maj eures p o s ées p a r Lafargue sont encore loin d'être résolues . L a crise et ses séquelles, devenues une manifestation structurelle constante de nos systèmes productifs, demeurent s ans

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sohition et relancent aVet' force 'la cOiltradietion ' e'ntie la décoüvertei scien;tinqtte et ses ' cffcts.' " i . " , ; . . : "" Les e'ltpetts 'affinneht que -la' troisième révùltttiort tèch:r\.ologique a : rhhltipl;ié: pàr ql�atte la! productivité. dans les i paysles pl us inclustriIilisés : ' Ils : ëri titent la conclusion 'que 'le tërrlps �de tra'vai1 saladé, 'à, c:onditioil de mieux le distribuer et d'en org3Iiiser: différemment te se liüüter 'à i ti.i:iè durée ' de :deux heures ':- moins ,encote , qu'ei les ttois héuies' préëùrii'sées pàrLafai"gue l ; Or,' il u leIH�st rién: Si -discltssion il y: a; elle! n'est: qu 'un balb tttié;ment a�]:tout des: famctises 35 heutes ' '' ; mitê' inesute qui' M' telhe ccrtaîrietrtèitt, pa� le -defi 'lancé : par :les' « �ans 'emploi ;>5 et qui manifeste; une fois de pltis; ' que , ln ! ctilftHte de ' la ' perf0ri1aïlœ et dn 'prddtittlvisine, 'ëi:i ! uri ntod',idéolbgie i:lu ttavAil , mai1q\Ie des o1.1tils r et 'dU ' (;Oltraige tiécë&S aites ' pùur t@soutlte , de fa'çon détisivë d:� problètne, Outi ls. et ëùt1;� rage ' intellectuels , àh ; (lontraite� nâ im&.nquuieht pa;s à Pnul Lafargue iqui; ' ;aveb l1é' f)roii ' à ·[a, )a.reise; !lotis a' léghé 'uri ' bij oti què' 'cerfains 'de nos 'coriteri:J'Pùt�in s veuleilt bièri con�idél'et ' àved tiHe sylipathie aItiuséè; et ils testeiù:' là . ' c' estql1'il l1 'est guère 'ùppbrtun ,de ttop :bouievetSër' 11'ùfre p�tit, potager des idées- reçu'es.

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Vie de Paul Lafargue

1 5 janvier 1842. Naissance d e Paul Lafargue, à Santiago de C uba.

1851. La famille Lafargue s'installe à Bordeaux, où le jeune Paul fait ses études secondaires et mène une vie bourgeoise .

1 861 . Études de médecine à Paris . Lafargue fait alors partie de la jeunesse républicaine qui s'oppose au second Empire et dont Proudhon est le maître à pens er. Collaboration à La Rive gauche , j o urnal proudhonien de Charles Longuet.

1 864. Adhésion à l'Association internationale des travailleurs créée à Londres.

1 865. Après avoir participé au premier Congrès international des étudiants , à Liège , Lafargue est exclu des universités de France pour deux ans . Il émigre en Grande-Bretagne.

1866-1 867. Membre du Conseil général et corres ­pondant de l ' Internati onale d e s travailleurs pour l'Espagne, Lafargue collabore à La Rive gauche. I l se rapproche de Karl Marx, dont il devient le secrétaire et un correspondant régulier.

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1 868.., W,;7P, tl\fl,�'i�g� a�'er \Va;hrat iE1.ecQtic\é f i le de Marx , le 2 avri l 1868 . En sep tembre , il est réélu membre du Conseil général lors du C ongrès par le congrès Bru xelles, où les thèses de Marx sont accla­mées . Rentré en France à la fin de 1 868, il adhère à la section de l ' Internationale de Vaugirard, collabore à La Marsèillài'se' et à La Libre Pen$ée; :oi:f il milit� pour l 'anticléricalisme et l'émancipation des femmes i " "

i " 1 87,. :Après .1 ' éCraseinent de la Coillmuhe, à .laqùèlle il , a pris '\!lue part àctivej Lafal:gue est 'C(jn'traiht d? émH grer. Il se rend en Espagne où, d'abord enipriscmnê, il vtt inerter; en icompagnie de' Pablo 19lesias; : «; dés Ihhes épiques contre ;là dii-ectiofl bakounillis te' » , ,écrit : Matt'", nee; DQl1lnanget: Sbn ·action et 'celle' de ses! camarades conduiront , 'à la, créatioll d,'ulle' Fédérallioii , lllaclrilèllej qui sera à l'origine du Parti 'sbeiruiste espagnol. , i i " ; ' " , j

i 1 8"è2; A près 1 e 'dernier\ congrès de l'Intematioriâlê, à La Haye, Lafargue et sa femme' nîtournent à , Londres ; , ; '1873.;.1880. Décidant d�j,llterrompre Fexércicé ;dé la

médecin, Lafargue ' exerce la : profession de 'pliGltolitho­graphe. Le bmple Lafargtle ' vit des j oUl's diffiCiles, en

dépit de l 'ai de que lui apportei Engels\ Gontacts étroits avec' Madi Début ; d'une ainitié , d irabhnrvetl \hilcs Guesde; : qùi , vient de; lancer tin' juuI'l1a� ; i D'Égalité; . où Le 'Droit u La pa'ress� est pliblié enJ�euilletbll ; , ' ' 1 ' : ; : : , 18 8 1 '''- ·1 8 8 2 . Reh tré eit Fra(r1 c e a:p û s , l e s � o i's d'amnis tie, Lafargue contribüej avec ,Jû.les , Çuesdei à

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là création d'un « pa:t mwrier >i . • Outre, ses contrihu� tions à L'Égalité, il collabore :à L'Émiulcipation, au Oi dù peuple, .au ,socialiste . .. : , Sa vie et celle de Laura s'ideIitifient alors avec ,celle dli Parti buvrier. Lafargue tra vaille pour .la F édératon du iCêntfe et . assure ; l�s liaisons avec les groupes des· différèntes prpvince!'\ Avec J tiles Gesde, il multiplie' .}es , meetings 'en" .])ro ­vince . Il est surveillé par la police, e t sa vie , politique est ponc�uée de séjours en prison .. : . ' " ) i i '. ' i " � ' i . 1 883. Condanmé àl la suite Jle conférences ·dans

l'Allier, il eSt incarcéI!é il la prisoh Saillte,.Pélagie. JI 'CIl

profite pour écrire . ; : . ; ; . . . , ,

. - , :1 885, Député ' de Li1le, il ' 's 'élève coutre la partici� patioI1 des socialist'es au :goùvenlcmeùL . ; ' " , i .

" . : 1886-1887, Lafargue, ; désormais corisidéré cmme n écbIlorriiste , e f le philosophe ' dü: p arti ; . p üblie , mi feuiletbn; dans Le Socialis le; Lei Religion :du capitaL. En tàn t que . s e c ré taire ; d u: Gomité llat�oBaLpour

l 'étnihger; il � dès rapports fréquents' avec ' les autres pays, au cours ,des congrèS. socialistei3 . " ; ' "

; 1887 . Face · :à la: Ligue des patriotes de : BOlllanger, les" courallts ; sQcialÎstes soilt , divisés ·sür les ' actionis ' à Iuener. . ,

1 889. Échec de Lafargue aux élections . Dissolution de la Ligue .

1 89 1 . A la veille du 1 el mai, Lafargue et Gl lesde animent des réunions dans le Nord, aux environs de

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Mille el une / luits propose des chefs d'œuvre ponr le temps d' une attente , d'un voyage, d'une insollnie . . .

La,.fe.t;re, l1,oJI,r!;c�ip,! . 4ati,dogrt'!h 2j>?!, La Lune dé pluie. 268. DE LA Poésie. 269. I RV I N G , Sleepy Hollo w . La Légen de du Cavalier s a n s tête. 270. Claude CRÉBILLON, Le Sylphe. 2 7 1 . O. HENRY, Attaque de train : mode d 'emploi et autres nouvelles du Far West. 272. Robert B U RTO N , D igress io n sur l 'a ir ( A n a t o mi� de l(L "f!éllfncolie) . 2 73 . Al i n a REYES, 1_ 'E:!Çclue. 2 7 4 .victor SEGAL E N , Peintures, . 275. tA MàtRIE; ' L Homm:e machine. 276. Cliarh�s BAÜriEUIiù:: Le Spleen de Paris (PetitS Poèm'ès � prdSe) ; 277: Xaviet de MAISTRE; Voyage autour de. ma chambre. 278. J. R POUY fPatrick RAYNAL, ChassB à l 'homme: :2� 9 . jo h a n n Wo.\ fgang ÇOE;:rm:,; Élégies romaines. 2 8 0 . Le Livre de Job . 2 8 1 . Fran ç o i s VI L LO N , Le Tes ta"f!ent: 282. SÉNÈQUE, La Vie heureuse. 2813. AiusTOfÈ, iniliicietim à Fl. pltlosophie. 284. Hubert HADDAD, L 'A me de Bu'rilian: 28'5: Edgar POEr Les Lunettes. 286. Ghoderlo5; de LACLos, ;Desjemmes et de leur édu� cation. 2 8 7 .. l'ierr� L.QrI , �1deïma. 28.8 . Frj(!d.r�ch NIETZ�ÇHE, Deuxième Considération intempestive. 289 ,. Khalil GIBAAN, Le Préc,/!-rseur. 290. Michel de MONTAIGNE, Des Cahnibale;. 29L Al-thû'r RIMBAUD, A lbum zutique.: 29'2 : Maître E€KHART,: 'L'amour naits fait devenir ce que nous aimons . 293. Edmofd . ABou: , Le Nez . d!ùn notaire. 294. E�ith Wll:,\/l.ToN" Xingu . . 295. jean:yv<;s C�i'iQREY! Parties fines. 2 9 6 . P e t e r SLOTERD IJ K, Do",�sticati�'f1. de l 'êt�e. 2 9 7 . Kh a l i l GIBRA N , Le Livre des ProcessionL 298'. T h o'm as J?E QU INCEY, Le Mangeur d 'opium. 299. jo ris Karl HUYSMANS, A vau l 'eau. 300. Guy DEBORD, Ro.pport sur la construction des. situa" ti01l;s . 3 0 1 . Guy; de B oule de S1J.iI � 0 2 . . HENNIQUE et Henry Df!1.I:X nouvelles !laturalistes. 303. Guy de MAU pASSANT, fa N";'i! d 'a utr'es noittJelles antasti'tjJ'üs. 304 . MARIVAUX , L Ile des Esclaves. 305 . SOPHOCLE, ŒdiPe roi. 306" PLATOJ)!, Criton, ou Du devoir. 307. GUILI,.ERAGUES, Lettres ,dQ, la religieuse portugaise. 3p8. René /Ji$co1J.r� cie lci méthode. 309. Alfred jARRY, Ubu rOi. 3 1 0 . Hérodi�s. 3 1 1 . Prosp e r MÉRI MÉE , �a Vénus d 'itlè. 3 1 2 : Geo rge SAND; La Marquise. . . . .

Pour ehaqne titre, le texl e intégral, nne postface, la vie de l 'auteur cl une bihliograph ie.

49·40·4181·06/1 NG d'édition 32249

Achevé d'iDlprimer en fevrier 2003 sur papier Ensoclassique par G. Canale & C. SpA (Tllrin, Italie).