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Le vrai pouvoir des califes

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En 2014, Daech proclame le califat, officiellement aboli en 1924 par la nouvelle République turque de Mustafa Kemal. L’institution n’a pourtant cessé de resurgir dans le discours politique du Proche-Orient. L’occasion de faire le point sur les vrais pouvoirs du calife, le successeur de Mahomet : pape, empereur ou chef de guerre ? Une question qui sera au centre de la 2e édition des Rendez-vous l’histoire du monde arabe qui se tiendront à l’IMA du 20 à 22 mai sur le thème « Religions et pouvoir en Islam ». Avec Julien Loiseau, Gabriel Martinez-Gros, Françoise Micheau, Nabil Mouline

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L’HISTOIRE� / N°423 / MAI 2016

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DOSSIERACTUALITÉS

L’ÉDITO 3 Pourquoi Verdun ?

FORUM Vousnousécrivez 4 Perspectives polonaises

ONVAENPARLER Exclusif 6 Charniers du Mans : la paix des morts Par Jean-Clément Martin

ÉVÉNEMENT Verdunvud’ailleurs 13 1916, l’année des batailles Par Bruno Cabanes 20 La construction d’une légende Par Gerd Krumeich et Antoine Prost 30 Chacun sa guerre Par Nicolas Patin et Arndt Weinrich

ACTUALITÉ Religion 32 Quand l’Église étouffe le scandale Par Arnaud Vivien Fossier

Démographie 34 Rohingyas : où sont passés les musulmans de Birmanie ? Par Youssef Courbage

Anniversaire 36 1939, faux départ pour le Festival de Cannes Entretien avec Olivier Loubes

FestivaldePessac 37 Les lauréats

Concordancedestemps 38 Les naufragés de Calais Par Jean-Clément Martin

PORTRAIT RobertIlbert40 Un chercheur en liberté Par Vincent Lemire

44 Le calife abbasside. Pape ou empereur ? Par Françoise Micheau

La succession conflictuelle du Prophète

Carte : l’Empire abbasside et ses rivaux

54 Chef de guerre ! Par Gabriel Martinez-Gros

58 Le coup de force de Mustafa Kemal Par Julien Loiseau

64 Le retour à la théocratie ? Par Nabil Mouline

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L’ATELIER DES CHERCHEURS GUIDE

LIVRES 76 « Préhistoires d’Europe » d’Anne Lehoërff Par Boris Valentin

78 La sélection de « L’Histoire »

Bande dessinée 84 « Capa. L’étoile filante » de Florent Silloray Par Pascal Ory

Classique 85 « Guerres de Justinien » de Procope Par Giusto Traina

Revues 86 La sélection de « L’Histoire »

SORTIES Expositions 90 Marguerite et Hadrien au Forum antique de Bavay Par Olivier Thomas

92 Le chapeau de l’Empereur au musée de l’Armée Par Bruno Calvès

Médias 94 Le webdocumentaire « 700 000 » Par Boris Valentin

95 « Vichy, la mémoire empoisonnée » de Michaël Prazan

Cinéma 96 « Mobile étoile » de Raphaël Nadjari Par Antoine de Baecque

CARTE BLANCHE 98 Alain Decaux, la voix de l’histoire Par Pierre Assouline

COUVERTURE : Les deux premiers califes Abu Bakr et Umar, miniature turque du xvie siècle (Luisa Ricciarini/Leemage) ; un soldat français à la bataille de Verdun,carte postale, 1916 (AKG). RETROUVEZ PAGE 97 les Privilèges abonnés ABONNEZ-VOUS PAGE 89 Ce numéro comporte cinq encarts jetés : Marianne, Creacontact (abonnés) ; L’Histoire (deux encarts kiosques France et étranger, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

L’ÉDITION NUMÉRIQUE DE L’HISTOIRE EST DISPONIBLE SUR VOTRE TABLETTE OU VOTRE SMARTPHONERM

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66 Comment la France a aboli l’esclavage Par Olivier Grenouilleau

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LA LETTRE DE L’HISTOIRE Cartes, débats, expositions : pour

recevoir les dernières actualités de l’histoire abonnez-vous gratuitement à �

La�Lettre�de�L’Histoire��http://newsletters.sophiapublications.fr

72 Drôles de vases grecs Par Alexandre G. Mitchell

France Culture Vendredi 29 avril à 9 h 05 dans l’émission « La Fabrique de l’histoire »

d’Emmanuel Laurentin, retrouvez Arndt Weinrich lors de la séquence « La Fabrique mondiale de l’histoire ». En partenariat avec L’Histoire.

Événement

Guillaume II En 1917, l’empereur allemand décore les soldats ayant combattu pendant dix mois à Verdun, sur le front occidental. En haut, à gauche : le président allemand Joachim Gauck et le président français François Hollande commémorent le centenaire du début de la guerre en août 2014. En haut, à droite : la reine Élisabeth II à Vimy le 9 avril 2007.

VERDUN VU D’AILLEURS

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Le 29 mai 2016, la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande se rendent à Verdun pour commémorer les 100 ans de cette bataille sanglante pour les deux armées. On annonce par ailleurs la visite de la reine d’Angleterre dans la Somme en juillet. Quelle place faut-il accorder à Verdun dans le cadre global de la guerre ?

Par Bruno Cabanes, Gerd Krumeich, Antoine Prost, Nicolas Patin et Arndt Weinrich

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L’AUTEUR Membre du comité scientifique de L’Histoire, Bruno Cabanes occupe la chaire Donald G. and Mary A. Dunn d’histoire de la guerre à l’Ohio State University (Columbus, États-Unis). Il va publier cette année August 1914. France, the Great War and a Month that Changed the World Forever (Yale University Press).

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intégrée réunissant Français et Britanniques, cette campagne était supposée apporter la vic-toire aux Alliés en leur permet-tant de forcer les détroits des Dardanelles. Toute l’opération est une catastrophe. Quelques mois plus tard, en mai 1916, le journaliste australien Charles Bean publie The Anzac Book, une collection de témoignages recueillis auprès de combattants australiens et néo-zélandais. Le succès du livre est considérable. Avec ce premier monument lit-téraire en hommage aux sol-dats des Dardanelles, c’est la conscience d’une nation austra-lienne moderne qui voit le jour. Mais il n’y a pas qu’à Gallipoli que l’année 1915 a été désas-treuse. Sur le front occidental également, les gains de part et d’autre ont été faibles.

Puissance�de�feu�1916 verra donc un engagement de troupes encore plus massif et un accroissement de la puis-sance de feu. Mais encore faut-il

rattraper à marche forcée le re-tard de la production d’arme-ments. Début 1916, les états-ma-jors manquent encore de tout. L’Allemagne, qui ne produisait que 38 pièces d’artillerie lourde par mois fin 1915, en fabrique dix fois plus à l’automne 1916. L’accélération de la produc-tion est encore plus spectacu-laire au Royaume-Uni : 90 ca-nons par mois fin 1914, 3 200 à l’été 1916. La France, qui mul-tiplie sa production de canons lourds par cinq dans le premier semestre 1916, doit renvoyer d’urgence vers les usines d’arme-ment les ouvriers qu’elle avait mobilisés en trop grand nombre au début de la guerre1.

Les efforts de l’industrie de guerre en France et en Grande-Bretagne ont notamment pour but de préparer une vaste offen-sive, décidée à Chantilly en dé-cembre 1915 par l’ensemble des Alliés, Français, Britanniques, Italiens et Russes. C’est l’autre changement de l’année 1916 : les Alliés cherchent

1916,�l’année�des�bataillesCe fut un tournant décisif. A Verdun, mais aussi dans la Somme, les Balkans ou sur mer, le conflit change de nature et s’inscrit au cœur d’une stratégie mondiale.

Par Bruno Cabanes

L ’année 1916 est une année charnière de la Première Guerre mondiale. Pour les Français et les Allemands,

elle est associée au souvenir de Verdun, l’une des batailles les plus longues (dix mois) de la Grande Guerre. Dans la mé-moire collective britannique, le 1er juillet 1916 reste un événe-ment traumatique : le premier jour de la bataille de la Somme est le plus meurtrier de toute l’histoire militaire anglaise avec 20 000 morts pour cette seule journée. La guerre industrielle semble alors portée à son pa-roxysme, avec ses conséquences irréparables sur les combattants et sur les paysages. Sur le front oriental, les troupes russes conduites par Broussilov en-foncent les lignes austro-hon-groises, en juin 1916, avant de s’enliser face aux Allemands.

1916, année des batailles ? Avant d’en faire le symbole même de la guerre totale, au risque d’oublier par exemple que les dix-huit premiers mois du conflit furent les plus coû-teux en vies humaines, il faut commencer par prendre un peu de recul et replacer ces événe-ments dans la chronologie glo-bale de la Première Guerre mon-diale. 1916 s’explique d’abord par l’échec des diverses straté-gies mises en œuvre l’année pré-cédente. A l’aube du 9 janvier 1916 débute la deuxième vague d’évacuation des troupes alliées du cap Helles, soldant la défaite cinglante de Gallipoli contre les Ottomans. Première opération

Qu’est-ce qu’une bataille ?Une�bataille�se�définit�par�le�déploiement�et�le�choc�de�deux�armées��–�ce�qui�la�diférencie�donc�d’un�«�combat�».�Jusqu’à�la�fin�du�xixe�siècle,�elle�se�caractérise�également�par�l’espace�réduit�sur�lequel�elle��se�déroule�(le�champ�de�bataille)�et�par�sa�durée�limitée,�souvent�une�seule�journée.�Le�Grand dictionnaire universel du xixe siècle�opère�une�distinction�entre�la�«�bataille�»�et�la�«�bataille�stratégique�»,�telle�qu’elle�a�été�pratiquée�par�Napoléon�et�qui�peut�s’étendre�sur�une�vingtaine�de�jours.�Ce�modèle�disparaît�en�1916�avec�Verdun�ou�la�Somme,�appelées�«�batailles�»�au�moment�même�où�elles�se�déroulent,�alors�qu’elles�ne�répondent�plus�à�des�objectifs�précis�et�s’étirent�dans�le�temps.

À SAVOIR

Note 1. Cf. R. Prior, « 1916. Batailles totales et guerre d’usure », J. Winter (dir.), La Première Guerre mondiale. T. I coordonné par A. Becker, Fayard, 2013, pp. 103-126.

Actualité

Récompensé par l’Oscar du meilleur film fin fé-vrier 2016, Spotlight de Tom McCarthy retrace

l’enquête journalistique menée au début des années 2000 sur plusieurs dizaines de prêtres de Boston accusés d’avoir abusé sexuellement d’enfants, mais protégés par leur hiérarchie. En mars, une plainte est déposée contre l’archevêque de Lyon, le cardinal Barbarin, soutenu par le Vatican, pour « non-dénonciation d’agressions

Quand l’Église étouffe le scandale Pour éviter le scandale, la hiérarchie de l’Église catholique a inventé, dès les premiers siècles du Moyen Age, le principe de « correction fraternelle ».

Par Arnaud Vivien Fossier*

Expiation Le secret de la confession (à gauche) est une façon de traiter le crime en interne. A droite, le prêtre pécheur dit une messe en guise de pénitence (miniature du dernier quart du xve siècle).

sexuelles sur mineurs de 15 ans » commises par Bernard Preynat, un prêtre de son diocèse.

Ces affaires récentes montrent une Église catholique qui semble toujours en proie au vieux dé-mon de la sexualité de ses mi-nistres et inapte à réagir avec clarté et fermeté devant les cas de pédophilie. Quitte à organi-ser le silence pour éviter le scan-dale. Au-delà du banal constat de l’« opacité » de l’Église, il convient de s’interroger sur le P

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poids historique du secret dans la tradition catholique.

Le droit canonique (le droit de l’Église) actuel prévoit certes une procédure pénale appli-cable aux clercs pédophiles et incite en outre à leur dénoncia-tion auprès des juridictions ci-viles (lesquelles poursuivent les cas de délinquance sexuelle, liés ou non à l’Église). Mais il préfère toujours la « sollicitude » au pro-cès et la « correction fraternelle » à la peine. Conformément à ce qui est inscrit au canon 1341

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du Code de droit canonique de 1983 : « [La juridiction] ordi-naire aura soin de n’entamer aucune procédure judiciaire ou administrative en vue d’infliger ou de déclarer une peine que si [elle] est assuré[e] que la correc-tion fraternelle, la réprimande ou les autres moyens de sa sollicitude pastorale ne peuvent suffisam-ment réparer le scandale, rétablir la justice, amender le coupable. »

Le principe même de la « cor-rection » est en fait formulé et même encouragé dès le Nouveau Testament : « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et corrige-le [corripe eum], seul à seul. […] Mais s’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute l’affaire soit décidée sur la pa-role de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté [dic ecclesiae] » (Matthieu, XVIII, 15-18). Dans les Évangiles comme dans le Code de droit canonique, c’est donc en dernier recours que l’instruction, le procès, sur le fondement de témoignages, et la peine doivent être envisagés.

Chasteté absolueLa correction dite « frater-nelle » a, dès le ve-vie siècle, oc-cupé une place centrale dans le monde clos des monastères, où les « frères » recevaient de leur abbé la pénitence (jeûne ou en-fermement) après s’être confes-sés à lui, et où la sexualité, par définition proscrite, était consi-dérée comme un péché dont il convenait de s’amender. Au mo-ment de la réforme grégorienne (v. 1050-v. 1120), ce modèle de chasteté absolue a joué un rôle décisif dans l’imposition du céli-bat aux clercs séculiers (diacres, prêtres et évêques), l’Église ca-tholique étant la seule à inter-dire le mariage à ses ministres du culte. La pédophilie à cette date n’est qu’un péché de chair parmi d’autre (rappelons que la notion de « majorité sexuelle » ne fait son apparition dans le Code pénal qu’en 1832). En 1440, le seigneur vendéen Gilles de Rais est certes accusé des crimes les plus atroces et indicibles, dont

celui d’avoir séquestré et tué un nombre indéterminé d’enfants, mais il faut sans doute y voir une marque parmi d’autres de son « hérésie », davantage qu’une manière de penser à part les abus sexuels sur mineurs.

En revanche, c’est bien au tournant du xiie et du xiiie siècle, sous le pontificat d’Innocent III en particulier (1198-1216), qu’ont été mis en place les mé-canismes procéduraux, les qua-lifications et les catégories ju-ridiques sur lesquels repose,

aujourd’hui, le traitement, par l’Église, de la pédophilie.

La notion de « scandale » acquiert ainsi à cette époque un sens très précis, qu’elle a conservé dans l’actuel vocabu-laire juridique de l’Église. Le scandale désigne le mauvais exemple qu’offrent certains clercs à leurs ouailles, quand ils vivent en concubinage ou, pis, se vautrent dans la luxure, et dilapident les biens de l’Église. F

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Il est, par conséquent, ce qu’il faut à tout prix « éviter », quitte, comme l’écrit l’un des plus fa-meux canonistes de son temps (Bernard de Parme, au milieu du xiiie siècle), « à renoncer à la vérité de la justice ». En d’autres termes : tout faire – correction « fraternelle » à huis clos et im-position d’une pénitence privée au coupable – plutôt que de ju-ger en place publique un prêtre ou un prélat indigne.

Cette volonté d’éviter le scan-dale en privilégiant (dans un premier temps au moins) le se-cret de la confession, l’enquête « discrète » et la pénitence par rapport au procès et à la sanc-tion, n’a cessé d’être le fon-dement de l’action de l’Église jusqu’à nos jours. Instituée en droit canonique dès la fin du xiie siècle, mais à l’œuvre éga-lement dans les archives de l’Église médiévale, la catégorie, à la fois juridique et morale, du « scandale » se retrouve en effet dans l’instruction sur le « crime de harcèlement » (crimen sollici-tationis) de la congrégation du Saint-Office (1962), de même que dans les « Lignes directrices sur les cas d’abus sexuels sur mineurs » de la conférence des évêques italiens (2012).

C’est donc par l’histoire du mot « scandale », porteur d’ins-titutions au long cours, que l’on peut tenter d’expliquer qu’en dépit du décret Motu proprio de Jean Paul II qui encourage la dé-nonciation, aux autorités civiles compétentes, des abus sexuels sur mineurs commis par des clercs (30 avril 2001), ou des nombreuses déclarations d’in-tention de Benoît XVI à ce sujet, le cardinal Barbarin, qui savait, n’ait rien fait. n

* Maître de conférences à l’université de Bourgogne

Silence En mars 2016, une plainte est déposée contre le cardinal Barbarin pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans ».

Enquête Le film Spotlight de Tom McCarthy dénonce la manière dont la société catholique de Boston a couvert des dizaines de prêtres pédophiles.

Le traitement de la pédophilie repose sur des procédures mises en place sous Innocent III contre tous les péchés de chair

L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016

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L’HISTOIRE� / N°423 / MAI 2016

44��/ Gouverner en IslamDOSSIER

Si nous ouvrons l’Histoire des pro-phètes et des rois que rédigea l’his-torien Al-Tabari au début du xe siècle, nous y trouvons sous l’année 187 de l’hégire1 le récit d’une célèbre disgrâce, celle de la famille des Barmécides, vic-

time de l’arbitraire d’un despote. Dans la nuit du 30 muharram (le 27 janvier 803), le calife Harun al-Rachid (786-809), de retour du pèle-rinage à La Mecque, ordonne que l’on se saisisse de son vizir Jafar le Barmécide qui, dix-sept ans durant, a été son favori et l’a fidèlement servi, et qu’il soit décapité. Le bourreau Masrur obtem-père immédiatement sans autre forme de pro-cès. Le corps est découpé, la tête et les morceaux sont exposés sur les ponts du Tigre à Bagdad (capitale du califat abbasside depuis 762). La même nuit, le calife fait arrêter les membres de la famille du vizir déchu et confisquer tous leurs biens.

Al-Tabari s’interroge sur les raisons de la chute brutale et imprévisible des Barmécides tout en ad-mettant implicitement que des actes tels qu’exé-cuter, emprisonner, confisquer, relèvent du pou-voir absolu et discrétionnaire dont jouissent les califes abbassides. Doit-on pour autant considé-rer qu’au temps de leur apogée, entre 750 et 945, les califes règnent en maîtres, que leurs préroga-tives sont sans limites, que ne s’exerce sur eux au-cun contrôle, qu’ils détiennent à la fois le pouvoir politique et l’autorité religieuse ?

Maîtres absolus de l’Empire islamiqueAu milieu du viiie siècle, lorsque les Abbassides succèdent aux Omeyyades, l’Empire islamique s’étend alors sur tout le Proche-Orient et une large partie du bassin méditerranéen, depuis l’Indus jusqu’à l’océan Atlantique, depuis les es-paces sahariens jusqu’aux steppes du Caucase. Ces territoires sont aux mains d’une élite arabe et musulmane ; ils sont gouvernés en référence à l’islam et dirigés par un calife héritier du Prophète, ce pourquoi ils sont désignés comme les « pays d’Islam » (dar al-Islam) et s’opposent aux « pays de la guerre » (dar al-harb) appelés à faire partie, par la force si nécessaire, de ce nouvel empire à vocation universelle. Un seul Dieu, un seul empire, une seule communauté de croyants (l’umma), un seul calife.

Porté par un vaste mouvement insurrection-nel hostile aux Omeyyades, Al-Saffah, descen-dant d’Al-Abbas, l’un des oncles du prophète Muhammad (Mahomet en français), est pro-clamé calife à Koufa en 749. L’année suivante, ses troupes l’emportent sur celles des

Le calife abbasside

Pape ou empereur ?Un souverain jouissant d’un pouvoir conféré par Dieu, une seule communauté de

croyants, un empire à vocation universelle… Le calife disposait-il vraiment, au temps de l’apogée des Abbassides (750-945), d’un pouvoir absolu ? Les hommes de foi

limitèrent très vite ses prérogatives religieuses, et les sultans son autorité politique.

Par Françoise Micheau

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L’AUTEURProfesseur émérite à l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne, Françoise Micheau a récemment publié Les Débuts de l’islam. Jalons pour une nouvelle histoire (Téraèdre, 2012).

Un titre universelDe�l’arabe�khalifa,�qui�signifie�«�successeur�»�ou�«�lieutenant�»,�le�calife�est��le�successeur�du�Prophète�à�la�tête�des�croyants.�Il�est�aussi�l’imam�de�la�communauté,�celui�qui�dirige�la�prière,�celui�dont�découle�l’autorité�des�juges.�Théoriquement�universel,�ce�titre�est�parfois�porté�par�plusieurs�souverains�à��la�fois�:�ainsi,�à�partir�du�xe�siècle,�le�souverain�abbasside�de�Bagdad,�le�souverain�fatimide�d’Égypte�et�l’émir�de�Cordoue�revendiquent�ce�titre.�Si,�à�l’origine,�le�calife�détient�le�pouvoir�religieux,�politique�et�militaire,�il�n’est�plus�habilité�à�définir�le�dogme�et�la�loi�religieuse�au�ixe siècle,�puis,�à�Bagdad,�est�dépossédé�de�sa�capacité�de�commandement�politique�et�militaire�à�partir�du�milieu�du�xe�siècle.

À SAVOIR

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L’allégeance Surnommé Al-Saffah («  le Sanguinaire ») sans doute en raison du massacre des Omeyyades, ce descendant d’Al-Abbas, l’un des oncles de Muhammad, est le fondateur de la dynastie califale des Abbassides. Cette miniature persane du xive siècle représente la cérémonie de la baya, durant laquelle ce calife reçoit l’allégeance des dignitaires dans la grande mosquée de Koufa en 749.

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GUIDE SortiesExpositions

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Dans Les Yeux ou-verts (1980), un essai constitué d’entretiens

accordés à Matthieu Galey, Marguerite Yourcenar explique simplement sa fascina-tion pour Hadrien, qui structura administrative-ment l’Empire romain au iie siècle ap. J.-C. : « C’est la villa Hadriana qui a été le point de départ, l’étincelle, quand je l’ai visitée à l’âge de 20 ans. » En effet, en 1924, alors qu’elle accompagne son père en voyage en Italie, elle se rend dans la demeure construite par l’empereur à Tivoli dans la campagne romaine. Une révélation pour la jeune fille qui, quelque temps auparavant, avait déjà consacré un poème à l’amant de l’empereur, Antinoüs. Mais entre la nais-sance de cette passion et la publication des Mémoires d’Hadrien en 1951, il s’écoule plus d’un quart de siècle.

« Écrit tout entier, puis jeté au panier, repris, puis abandonné plusieurs fois, ce livre, ou plutôt ce projet de livre, m’ac-compagna en Grèce pendant des années ; mes recherches, mes lectures ne cessèrent jamais de s’y reporter, même au moment où je m’étais découragée de l’écrire », ra-conte Marguerite Yourcenar dans la re-vue Avanguardia.

C’est justement par ce processus créa-tif laborieux des Mémoires que débute l’exposition installée à Bavay dans le musée jouxtant les vestiges – crypto-portique, temple et basilique – du fo-rum antique de l’ancienne Bagacum

Marguerite�et�Hadrien�A Bavay, une exposition sensible fait dialoguer

l’académicienne et son empereur préféré.

Voyageur, bâtisseur, politique, es-thète et mécène des arts et de la culture hellénique, chacune des facettes de la personnalité d’Hadrien – mais aussi cer-tains aspects de la société romaine du iie siècle ap. J.-C. comme la médecine, l’éducation ou la religion – est exposée. Sont présentés textes et cartes explica-tifs ainsi que bustes, statues, monnaies, bijoux ou objets du quotidien (encrier, lampe, tablettes) issus des collections du Louvre, du British Museum, de la villa Hadriana ou des musées des an-tiquités de Toulouse et de Lyon aux-quels répondent des extraits des Mé-moires. Dans un dialogue stimulant et permanent entre littérature, histoire et archéologie, l’exposition « Marguerite Yourcenar et l’empereur Hadrien, une réécriture de l’Antiquité » propose d’al-ler de la fiction à la réalité, de partir de l’empereur romanesque pour mieux re-trouver l’empereur historique.

Comme une preuve du lien qui unit désormais Hadrien à Marguerite, on y voit l’aureus d’Hadrien, une pièce d’or montée en pendentif que Mar-guerite Yourcenar portait le 22 janvier 1981 lors de sa réception à l’Académie française. Devenue immortelle, l’écri-vain rejoint dans l’éternité l’empereur divinisé. nOlivier Thomas

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Nerviorum fondée sous le règne d’Auguste.

A travers les al-bums patiemment constitués de photo-graphies et de cartes postales de statues romaines, de tapus-

crits annotés, le visi-teur découvre le travail

de documentation et de maturation nécessaire à l’écri-

vain pour « se transporter en pensée à l’intérieur de quelqu’un » et imaginer les réflexions de l’empereur au crépus-cule de sa vie.

À VOIR

Marguerite�Yourcenar�et�l’empereur�Hadrien,�une�réécriture�de�l’Antiquité�jusqu’au�30�août�au�Forum�antique,��Bavay�(59).

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�Buste en marbre de l’empereur Hadrien conservé au musée du Louvre. En haut : monnaie de Tarse à l’effigie d’Antinoüs, amant de l’empereur.

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�Grande voyageuse, Marguerite Yourcenar est ici photographiée le 22 janvier 1982 à Antinoé en Égypte. Cette cité sur le Nil a été fondée par l’empereur Hadrien en mémoire de son favori Antinoüs.