2
192 Table ronde © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:192-193 Les troubles du contrôle sphinctérien chez l’enfant La place du pédopsychiatre N. Rouvière Service de pédopsychiatrie, hôpital Salvator, 249, boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France Correspondance e-mail : [email protected] Le périnée « coincé » (SFCP) E n pratique clinique, troubles du contrôle sphinctérien (énurésie et encoprésie) et symptômes ou troubles pédo- psychiatriques caractérisés sont très souvent associés. La littérature confirme la clinique avec globalement un diagnostic pédopsychiatrique chez 20 à 40 % des enfants ayant une énuré- sie nocturne, 30 à 40 % des enfants ayant une énurésie diurne, et 30 à 50 % des enfants ayant une encoprésie. Davantage d’enfants seraient perturbés sans pour autant remplir les critères diagnos- tiques d’un trouble caractérisé. Une faible estime de soi, un moins bon fonctionnement social et une qualité de vie diminuée sont des difficultés classiquement retrouvées chez ces enfants [1]. Même si ces chiffres varient selon la méthodologie des études, cette association mérite une attention particulière. Les liens entre troubles du contrôle sphinctérien et troubles psychologiques sont complexes et multiples. Quatre principaux modes d’association seraient en jeu : • les symptômes ou troubles psychiatriques peuvent être la conséquence du trouble du contrôle sphinctérien : basse estime de soi, éléments dépressifs, moins bonne adaptation générale par limitation de leurs activités, en particulier sociales (dormir chez un copain, partir en colonie de vacances…) ; • des événements de vie stressants et des troubles du compor- tement peuvent précéder le trouble du contrôle sphinctérien et induire une reprise de l’incontinence chez l’enfant à un âge critique pour l’apprentissage de la propreté ou chez lequel une prédisposition existe. Ainsi, il n’est pas rare qu’une énurésie secondaire apparaisse chez un enfant à la suite de la sépa- ration de ses parents, de l’hospitalisation de l’un d’eux, de la naissance d’un autre enfant… ; • certains troubles psychiatriques pourraient partager des facteurs étiologiques communs avec les troubles du contrôle sphinctérien. Ce lien est suspecté avec le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention en particulier ; • Enfin, une comorbidité simple sans lien de cause à effet peut exister entre trouble du contrôle sphinctérien et certains troubles psychiatriques. Cela est très fréquent dans le cas de l’énurésie nocturne secondaire, principalement la non mono- symptomatique [1]. Le type d’énurésie ou d’encoprésie vient complexifier davantage ce lien aux symptômes ou troubles psychiatriques. Lorsqu’il est en jeu, il semblerait que le poids des facteurs psychologiques dans l’étiologie du trouble du contrôle sphinctérien varie entre important (pour l’énurésie secondaire par exemple) à quasiment nul (pour l’énurésie primaire monosymptomatique en particulier, largement génétiquement déterminée) [1-3]. Des facteurs familiaux sont aussi en jeu dans les troubles du contrôle sphinctérien. Les parents des enfants énurétiques et/ou encoprétiques, en particulier les mères, rapportent un niveau de stress plus important avec parfois des éléments dépressifs et/ou anxieux [4]. Le lien de cause à effet avec les troubles du contrôle sphinctérien est là aussi difficile à établir et probablement bidi- rectionnel. En pratique clinique, l’organisation familiale (sorties, voyages…) est entravée par l’incontinence de l’enfant, sa famille finit par mal tolérer ce problème, et des conflits fréquents émergent. Pour le pédiatre, la question est de savoir à quel moment l’appel du psychologue ou du pédopsychiatre est utile, voire indispen- sable. Pour A. von Gontard, une évaluation des symptômes psychologiques est nécessaire dès l’exploration du trouble du contrôle sphinctérien [1]. Pour un dépistage, le médecin peut s’aider d’échelles d’évaluation type CBCL (Child Behavior Chec- kList, disponible en français) très souvent retrouvées dans la littérature. En présence de symptômes d’ordre psychologique, un avis spécialisé s’impose à la recherche d’un trouble pédopsychia- trique caractérisé. Le diagnostic d’un tel trouble nécessite des soins pédopsychiatriques ou psychologiques conjoints à la prise en charge du trouble du contrôle sphinctérien. Les troubles pédopsychiatriques les plus souvent cités dans la littérature en lien avec les troubles du contrôle sphinctérien sont essentiellement : • les troubles externalisés type trouble oppositionnel avec provocation, trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et trouble des conduites ; les troubles internalisés : dépressif et anxieux ; • le retard mental [2,5,6]. Les troubles externalisés sont les troubles les plus fréquemment rencontrés. Ces différents troubles semblent avoir une poten- tielle répercussion sur l’efficacité de la prise en charge du trouble du contrôle sphinctérien. Un comportement perturbateur influencerait la compliance de l’enfant à sa prise en charge. Les soins de l’énurésie ou de

Les troubles du contrôle sphinctérien chez l’enfant La place du pédopsychiatre

  • Upload
    n

  • View
    215

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les troubles du contrôle sphinctérien chez l’enfant La place du pédopsychiatre

192

Table ronde

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2014;21:192-193

Les troubles du contrôle sphinctérien chez l’enfantLa place du pédopsychiatreN. RouvièreService de pédopsychiatrie, hôpital Salvator, 249, boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France

Correspondance e-mail : [email protected]

Le périnée « coincé » (SFCP)

En pratique clinique, troubles du contrôle sphinctérien (énurésie et encoprésie) et symptômes ou troubles pédo-psychiatriques caractérisés sont très souvent associés.

La littérature confirme la clinique avec globalement un diagnostic pédopsychiatrique chez 20 à 40 % des enfants ayant une énuré-sie nocturne, 30 à 40 % des enfants ayant une énurésie diurne, et 30 à 50 % des enfants ayant une encoprésie. Davantage d’enfants seraient perturbés sans pour autant remplir les critères diagnos-tiques d’un trouble caractérisé. Une faible estime de soi, un moins bon fonctionnement social et une qualité de vie diminuée sont des difficultés classiquement retrouvées chez ces enfants [1].Même si ces chiffres varient selon la méthodologie des études, cette association mérite une attention particulière.Les liens entre troubles du contrôle sphinctérien et troubles psychologiques sont complexes et multiples. Quatre principaux modes d’association seraient en jeu :• les symptômes ou troubles psychiatriques peuvent être la

conséquence du trouble du contrôle sphinctérien  : basse estime de soi, éléments dépressifs, moins bonne adaptation générale par limitation de leurs activités, en particulier sociales (dormir chez un copain, partir en colonie de vacances…) ;

• des événements de vie stressants et des troubles du compor-tement peuvent précéder le trouble du contrôle sphinctérien et induire une reprise de l’incontinence chez l’enfant à un âge critique pour l’apprentissage de la propreté ou chez lequel une prédisposition existe. Ainsi, il n’est pas rare qu’une énurésie secondaire apparaisse chez un enfant à la suite de la sépa-ration de ses parents, de l’hospitalisation de l’un d’eux, de la naissance d’un autre enfant… ;

• certains troubles psychiatriques pourraient partager des facteurs étiologiques communs avec les troubles du contrôle sphinctérien. Ce lien est suspecté avec le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention en particulier ;

• Enfin, une comorbidité simple sans lien de cause à effet peut exister entre trouble du contrôle sphinctérien et certains troubles psychiatriques. Cela est très fréquent dans le cas de l’énurésie nocturne secondaire, principalement la non mono-symptomatique [1].

Le type d’énurésie ou d’encoprésie vient complexifier davantage ce lien aux symptômes ou troubles psychiatriques. Lorsqu’il est en jeu, il semblerait que le poids des facteurs psychologiques dans l’étiologie du trouble du contrôle sphinctérien varie entre important (pour l’énurésie secondaire par exemple) à quasiment nul (pour l’énurésie primaire monosymptomatique en particulier, largement génétiquement déterminée) [1-3].Des facteurs familiaux sont aussi en jeu dans les troubles du contrôle sphinctérien. Les parents des enfants énurétiques et/ou encoprétiques, en particulier les mères, rapportent un niveau de stress plus important avec parfois des éléments dépressifs et/ou anxieux [4]. Le lien de cause à effet avec les troubles du contrôle sphinctérien est là aussi difficile à établir et probablement bidi-rectionnel. En pratique clinique, l’organisation familiale (sorties, voyages…) est entravée par l’incontinence de l’enfant, sa famille finit par mal tolérer ce problème, et des conflits fréquents émergent.Pour le pédiatre, la question est de savoir à quel moment l’appel du psychologue ou du pédopsychiatre est utile, voire indispen-sable. Pour A.  von Gontard, une évaluation des symptômes psychologiques est nécessaire dès l’exploration du trouble du contrôle sphinctérien  [1]. Pour un dépistage, le médecin peut s’aider d’échelles d’évaluation type CBCL (Child Behavior Chec-kList, disponible en français) très souvent retrouvées dans la littérature. En présence de symptômes d’ordre psychologique, un avis spécialisé s’impose à la recherche d’un trouble pédopsychia-trique caractérisé. Le diagnostic d’un tel trouble nécessite des soins pédopsychiatriques ou psychologiques conjoints à la prise en charge du trouble du contrôle sphinctérien.Les troubles pédopsychiatriques les plus souvent cités dans la littérature en lien avec les troubles du contrôle sphinctérien sont essentiellement :• les troubles externalisés type trouble oppositionnel avec

provocation, trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et trouble des conduites ;

• les troubles internalisés : dépressif et anxieux ;• le retard mental [2,5,6].Les troubles externalisés sont les troubles les plus fréquemment rencontrés. Ces différents troubles semblent avoir une poten-tielle répercussion sur l’efficacité de la prise en charge du trouble du contrôle sphinctérien.Un comportement perturbateur influencerait la compliance de l’enfant à sa prise en charge. Les soins de l’énurésie ou de

Page 2: Les troubles du contrôle sphinctérien chez l’enfant La place du pédopsychiatre

193

La place du pédopsychiatre

majorer l’efficacité de la prise en charge de cette pathologie pour parvenir à la guérir.

Références[1] Von Gontard A. Does psychological stress affect LUT function in

children? ICI-RS 2011. Neurourol Urodyn 2012;31:344-8.[2] Zink  S, Freitag  CM, von Gontard  A. Behavioral comorbidity

differs in subtypes of enuresis and urinary incontinence. J Urol 2008;179:295-8.

[3] Aubert D, Berard E, Blanc JP. Énurésie nocturne primaire isolée : diagnostic et prise en charge. Recommandations par consensus formalisé d’experts. Prog Urol 2010;20:343-9.

[4] De Bruyne E, Van Hoecke E, Van Gompel K, et al. Problem beha-vior, parental stress and enuresis. J Urol 2009;182:2015-21.

[5] Ünal  F, Pehlivanürk  B. Comorbid psychiatric disorders in 201 cases of encopresis. Turk J Pediatr 2004;46:350-3.

[6] Van Hoecke E, Hoebeke P, Braet C, et al. An assessment of interna-lizing problems in children with enuresis. J Urol 2004;171:2580-3.

[7] Crimmins  CR, Rathbun  SR, Husmann  DA. Management of urinary incontinence and nocturnal enuresis in attention-deficit hyperactivity disorder. J Urol 2003;170:1347-50.

[8] Van Everdingen-Faasen  EQ, Gerritsen  BJ, Mulder  PG, et  al. Psychosocial co-morbidity affects treatment outcome in children with fecal incontinence. Eur J Pediatr 2008;167:985-9.

[9] Bahali K, Ipek H, Uneri OS. Methylphenidate and atomoxetine for treatment of nocturnal enuresis in a child with attention-deficit hyperactivity disorder. Eur Child Adolesc Psychiatry 2013;22:649-50.

[10] Bilgiç  A. The possible effect of methylphenidate on secondary encopresis in children with attention-deficit/hyperactivity disor-der. Prog in Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2011;35:647.

l’encoprésie n’échapperaient pas à l’attitude oppositionnelle et provocatrice dont font preuve ces enfants, ni à leur tendance à la toute-puissance et à l’intolérance à la frustration. Comme beaucoup d’autres situations de la vie quotidienne, les règles alimentaires conseillées, la prise médicamenteuse, les présen-tations aux toilettes régulières préconisées… peuvent conduire parents et enfant dans un bras de fer douloureux et néfaste. Et des problèmes de relation parents-enfant diminueraient l’efficacité de la prise en charge du trouble du contrôle sphinc-térien.Vingt à 25 % des enfants ayant un TDAH ont une incontinence uri-naire (l’inverse étant un peu moins fréquent, aux alentours de 10 %). Associé à l’énurésie nocturne, le TDAH entraverait sa résolution (68 % de disparition vs 91 % chez les énurétiques sans TDAH) [7].Pour le TDAH comorbide à l’encoprésie, même si le résultat sur l’adhésion aux soins est identique (moins bonne compliance), le mécanisme diffèrerait [8]. Ces enfants seraient moins capables de reconnaître et de répondre aux signaux internes associés à la distension rectale et à la nécessité de déféquer. Leur impulsivité les pousserait aussi à quitter prématurément les toilettes.Certains auteurs ont même décrit une guérison du trouble du contrôle sphinctérien (énurésie et encoprésie) au décours du trai-tement médicamenteux du TDAH par du méthylphénidate [9,10].Quelle que soit la nature du lien unissant trouble du contrôle sphinctérien et trouble pédopsychiatrique chez l’enfant, l’exis-tence de ce lien est incontestable et doit être prise en compte par les médecins et chirurgiens traitant l’énurésie et l’encoprésie. Le psychologue ou pédopsychiatre aura aussi pour mission d’éva-luer le contexte socio-familial dans lequel vit l’enfant.L’intérêt de cette évaluation est double : améliorer la compliance de l’enfant aux soins du trouble du contrôle sphinctérien et ainsi