104
1 Airbus dans la guerre économique L’organisation défensive d’un grand groupe stratégique Mémoire de MBA - année 2017-2018 www.ege.fr

L’oganisation défensive d’un gand - jumboroger.fr©moire-EGE-2018... · des années, a utilisé des intermédiaires commerciaux afin de remporter des ... L’analyse du mécanisme,

Embed Size (px)

Citation preview

1

Airbus dans la guerre économique

L’organisation défensive d’un grand

groupe stratégique

Mémoire de MBA - année 2017-2018

www.ege.fr

2

Résumé

Airbus connait aujourd’hui de nombreux problèmes de compliance. Cet anglicisme, imposé au

législateur français par la puissance américaine, se confronte à la culture d’une entreprise qui, depuis

des années, a utilisé des intermédiaires commerciaux afin de remporter des marchés.

Le rôle réel ou inconscient que jouent les Etats-Unis, au profit de leur économie, a amené

Airbus à prendre des décisions lourdes de conséquences. En effet, le système de défense du directeur

juridique John Harrison, et de son équipe (anciens de Technip), pose questions.

Si l’on veut éviter de subir les actions en justice fondées sur l’extraterritorialité du droit

américain, pourquoi choisir pour sa défense des cabinets d’avocats américains ? Pourquoi se dénoncer

devant la justice anglaise, alors que les liens entre le SFO et le DOJ sont officiels ? Est-il déraisonnable

de penser que ces avocats n’ont pas transmis les données stratégiques recueillies vers les Etats-Unis ?

Airbus pourra-il encore remporter des marchés sans intermédiaires ?

En ce qui concerne les innovations technologiques, si l’on veut contrer son principal concurrent

américain, pourquoi recruter un ingénieur issu de la Silicon Valley, et de la DARPA ? Pourquoi choisir

Palantir pour analyser les données en vol des appareils, lorsque l’on connait les liens de la CIA avec

cette entreprise américaine ?

Financièrement, quelle est la stratégie qui consiste à ne pas créditer par avance des fonds pour

absorber progressivement les sanctions à venir ? Pourquoi un tel changement de tactique, alors que

lors des problèmes de l’A 400 M, l’entreprise avait crédité par anticipation ses dépenses ?

En matière de politique industrielle, le choix de l’implantation d’une usine à Tianjin en Chine

n’est-il guidé que par la recherche de profit immédiat ? Les chinois, bien connus pour leur espionnage

industriel1, peuvent réaliser directement les transferts de connaissances vers la COMAC, dans le but

de développer leur industrie aéronautique. Les analystes d’Airbus ont-ils simplement sous-estimé

l’arrivée de la Chine dans le secteur, ou pensent-ils qu’ils auront d’ici là inventé un nouveau moyen de

transport révolutionnaire ?

Ce résumé n’apporte pas toutes les réponses, et ce mémoire n’a pas la prétention d’être

exhaustif. Les choix stratégiques d’une grande entreprise comme Airbus sont dictés par de nombreux

paramètres, qu’il est difficile de connaitre à l’intérieur de l’entreprise. Le cloisonnement des grands

groupes est tel que certaines divisions travaillent sur des technologies identiques sans le savoir. « La

critique est facile mais l’art est difficile ». Se poser des questions et tenter d’avoir même une petite

partie des réponses est l’une des qualités essentielles d’un analyste en intelligence économique.

1 « La Chine est déterminée à devenir indépendante de l’Occident en matière d’innovation technologique. Elle est donc avide de connaissances, de savoir-faire et de procédés à faire venir en Chine ou à absorber à l’étranger » rapport de la délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE) https://www.marianne.net/societe/la-france-terrain-de-jeu-privilegie-des-espions-chinois

3

Table des abréviations

BND : Bundesnachrichtendienst

CASA Construcciones Aeronauticas S.A.

CEO Chief Executive Officer

CFO Chief Financial Officer

COMAC Commercial Aircraft Corporation of China

CRPC : Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité

DARPA Defense Advanced Research Projects Agency

DASA Daimler-Benz Aerospace Airbus

DOJ Department Of Justice

DCNS Direction des Constructions Navales Services

DPA Deferred Prosecution Agreement

FBI Federal Bureau of Investigation

FCPA: Foreign Corrupt and Practices Act

FRA: Forensic Risk Alliance

GIE Groupement d'Intérêt Economique

HHR: Hughes Hubbard & Reed

MICE : Money, Ideology, Constraint, Ego

MIT Massachusetts Institute of Technology

OCLCIFF : Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales

OMC : Organisation Mondiale du Commerce

PDG Président-Directeur Général

PNF : Parquet National Financier

R&D Recherche et Développement

SEC : Securities and Exchange Commission

SFO: Serious Fraud Office

SMO: Strategy Marketing Organization

UKBA : United Kingdom Bribery Act

UKEF : United Kingdom Export Finance

4

Sommaire Sommaire ................................................................................................................................................ 4

Avertissements ........................................................................................................................................ 5

INTRODUCTION GENERALE ..................................................................................................................... 6

TITRE I : Airbus : le modèle économique d’une entreprise européenne de construction atypique ..... 10

Chapitre I : L’histoire de cette entreprise explique son modèle particulier ..................................... 11

Section 1 : La création d’Airbus Industrie ...................................................................................... 11

Section 2 : Airbus Industrie, Groupement d’Intérêts Economiques : 30 années de progrès ........ 13

Section 3 : D’Airbus GIE à EADS ..................................................................................................... 16

Section 4 : EADS, Airbus Group, au cœur des affaires .................................................................. 17

Chapitre 2 : Airbus une entreprise complexe à diriger ..................................................................... 21

Section 1 : Le modèle économique (Business Model) d’Airbus ..................................................... 21

Section 2 : La gouvernance initiale d’Airbus ................................................................................. 28

Section 3 : Les acteurs du secteur aéronautique .......................................................................... 29

Titre II : L’ère Enders, un tournant dans la gouvernance de l’entreprise.............................................. 34

Chapitre 1 : La nouvelle gouvernance mise en place par Tom Enders .............................................. 35

Section 1 : Le cercle rapproché de Tom Enders ............................................................................ 35

Section 2 : Le démantèlement de SMO et la fin des intermédiaires ............................................. 37

Chapitre 2 : Les choix stratégiques qui portent à interrogation ....................................................... 39

Section 1 : L’absence de stratégie industrielle et technologique et l’obsession d’une

financiarisation .............................................................................................................................. 39

Section 2 : Le changement de modèle de R&D ............................................................................. 42

Titre III : Un avenir incertain .................................................................................................................. 45

Chapitre 1 : Des incertitudes intrinsèques à l’entreprise : l’épée de Damoclès des sanctions

juridiques ........................................................................................................................................... 46

Section 1 : Point de situation sur les affaires en cours.................................................................. 47

Section 2 L’extraterritorialité du droit américain une arme de guerre économique redoutable . 54

Section 3 : la réaction d’Airbus ...................................................................................................... 59

Chapitre 2 : Airbus au milieu d’un contexte géoéconomique tendu ................................................ 66

Section 1 : Les difficultés d’Airbus au sein d’un marché hyper concurrentiel .............................. 66

Section 2 : Un marché aéronautique en pleine évolution ............................................................ 68

Section 2 : Airbus dans le contexte géopolitique actuel ............................................................... 70

Section 3 : quel rôle demain pour le politique européen ............................................................. 76

Conclusion ............................................................................................................................................. 77

5

Avertissements

Ce travail universitaire a été rédigé par des étudiants de l’Ecole de Guerre Economique, dans

le cadre de leur MBA en Stratégie et Intelligence Economique.

Érigé à partir de sources ouvertes sur internet, et de sources humaines, il n’a pas vocation à

être exhaustif, ni à présenter « LA vérité ». Cette analyse ne montre que la partie visible de la

problématique sous le prisme de la guerre économique.

L’entreprise a refusé de répondre à nos questions car le sujet de cette étude demeure très

sensible. L’ouverture des enquêtes judiciaires ne permet pas aux personnels de livrer des informations,

et le management semble avoir donné des consignes très précises pour que rien ne transpire à

l’extérieur. C’est une des raisons pour laquelle les sources humaines contactées ont voulu pour la

plupart garder l’anonymat. Néanmoins, le recoupement des informations (plus de trente entretiens,

couplés avec le volume important d’articles sortis dans la presse) a permis une approche des plus

objectives du sujet.

L’idée de ce mémoire n’est en aucun cas d’accuser quiconque, ou de mettre en avant des

erreurs individuelles ou personnelles, mais de poser des questions. Ce travail se veut didactique, afin

que les entreprises confrontées à des problématiques similaires sachent comment réagir, tout en ne

reproduisant pas les mêmes mécanismes.

Cette étude, à visée pédagogique, a utilisé les outils acquis tout au long de l’année

universitaire: grille de lecture des rapports de force par Christian Harbulot, indentification des signaux

par Philippe Baumard, mise en place d’une veille internet par François Jeanne-Beylot analyse des

réseaux sociaux par Guillaume Sylvestre.

Les auteurs de ce mémoire tiennent à remercier tous ceux qui les ont aidés, et en premier lieu

l’équipe pédagogique de l’Ecole de Guerre Economique, en la personne de son directeur et fondateur

Christian Harbulot, et de son directeur adjoint Charles Pahlawan. Un grand merci à Xavier Lepage qui

a orienter et guider ces recherches avec beaucoup de professionnalisme de pédagogie et un souci

constant des relations humaines.

Enfin, l’équipe est très reconnaissante envers l’ensemble des personnes de très haut niveau

qui ont bien voulu prendre le temps d’expliquer les dynamiques complexes d’un grand groupe comme

Airbus. Economistes, journalistes, Hommes politiques, spécialistes de l’aviation civile et militaire,

géopoliticiens, entrepreneurs, ingénieurs, financiers, juristes, militaires, salariés d’Airbus ou ex-

employés, tous ont apporté leur vision. Leurs regards ont toujours été bienveillants envers Airbus, et

derrière leur expertise, a toujours émergé la volonté sincère de comprendre comment la société

pourrait sortir de cette mauvaise passe.

Les étudiants souhaitent garder l’anonymat afin de protéger leurs sources, et conserver une

chance de peut-être, un jour, travailler pour cette grande et belle entreprise !

6

INTRODUCTION GENERALE

7

Pourquoi Airbus ?

Airbus est un totem. Symbole de la réussite européenne, cette entreprise est capable de

rivaliser avec Boeing dans le domaine hautement stratégique de l’aéronautique. Cette société

européenne joue à armes égales avec les Américains. Fierté française, on peut remarquer, que lorsque

les Hommes politiques ou les médias parlent d’un projet industriel de grande ampleur, elle est citée

comme exemple « l’Airbus du rail2, l’Airbus naval… ».

Les jeunes diplômés placent l’entreprise à la 16ème position des sociétés dans laquelle ils

voudraient travailler3. Il était donc naturel que des étudiants la choisissent comme sujet d’étude. En

outre, la tourmente que traverse l’entreprise en fait un sujet intéressant à observer dans le domaine

de l‘intelligence économique.

Le prisme des affaires de corruption : des précédents qui posent question dans la guerre économique

La réussite d’Airbus dans l’économie mondialisée laissait à penser que sa défense, dans les

affaires de corruption qu’elle traverse, allait être au niveau des enjeux. La structure même de la

société, avec une division sensibilisée à la guerre économique, permettait d’aborder le sujet en

espérant qu’elle ne suivra pas le même chemin que BNP Paribas, Technip, ou encore Alstom. Le

parallèle avec ces affaires guidera une partie de ces travaux.

L’analyse du mécanisme, qui a déjà alimenté de nombreuses recherches4, articles

universitaires ou même de questionnements politiques5, ne semble pas avoir influencé les choix

stratégiques de l’entreprise.

Les faits sont différents, mais le jeu caché des Américains semble être le même : affaiblir les

concurrents de ses entreprises nationales, via l’extraterritorialité de son droit pour remporter des

marchés, ou au mieux, les racheter. La Maison Blanche n’est certes pas à la manœuvre, et certains

acteurs sont de bonne fois lorsqu’ils veulent lutter contre la corruption. Les leviers ne sont sûrement

pas aussi simples à décoder, mais la grille de lecture proposée ici tente de faire la part des choses,

entre naïveté béate et théorie du complot.

Dans la bataille commerciale, rien n’est tout blanc ou tout noir, mais beaucoup d’actions se

passent dans une zone grise.

Le rôle des Etats, entre naïveté des élites et alignement sur les Américains

N’en déplaise à certains, la guerre économique existe belle et bien, et fait des ravages depuis

des années.

Les règles de la concurrence « pure et parfaite », et la main invisible d’Adam Smith,

ressemblent de plus en plus à des slogans pour le grand public. La réalité, c’est plutôt « la main invisible

des puissances », pour reprendre une expression de Christian Harbulot. La connaissance de

l’information brouille les cartes, la fabrique du consentement, comme la protection des intérêts

2 https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/alstom-siemens-vers-la-naissance-d-un-airbus-du-rail-751797.html 3 https://bfmbusiness.bfmtv.com/emploi/les-entreprises-preferees-des-jeunes-diplomes-en-2018-sont-1402804.html 4 https://www.guerrefantome.com/ 5 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp

8

personnels, sont des facteurs qui rentrent en ligne de compte dans les règles de l’économie

mondialisée et hyper connectée. La puissance européenne est aujourd’hui faible face aux Américains

et aux Chinois.

Malgré ce constat, une partie de la classe politique française et européenne refuse de livrer le

combat économique. Certains préfèrent se placer sous la protection des Etats-Unis, grands gagnants

de la mondialisation. Cette idée s’est progressivement imposée chez les dirigeants français et

européens, grâce à une action américaine de lobbying très efficace. La fondation privée des Young

Leaders, le groupe Bilderberg6, L’Aspen Institute ou encore le Cercle Jefferson, sont autant d’éléments

de soft power américain. Le but affiché est de favoriser les relations franco-américaines, tout en

dissimulant le fait que derrière « l’ami américain7 », il existe un adversaire économique redoutable.

Par exemple, il est amusant de noter que le député Olivier Marleix, président de la commission

d’enquête de l’Assemblée nationale sur « Les décisions de l’État en matière de politique industrielle,

notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX », fait partie du Cercle Jefferson.8 Cette

appartenance aurait-elle eu une influence sur la commission ? A la lecture des conclusions assez

fatalistes du rapport final, il est permis de douter. D’autant plus lorsque l’actualité démontre que les

accords dans l’affaire Alstom-GE ne seront pas respectés9, et que GE vient de quitter l’indice Dow-

Jones !10

L’étude des personnalités au cœur de ce dossier

Concernant Airbus, il semble acquis qu’au printemps 2019, la tête de ce grand groupe aura

totalement été remplacée. Le nom du successeur de Tom Enders n’est pas encore connu, même si des

candidats potentiels sont évoqués dans les milieux parisiens. Ayant du mal à quitter cette belle

entreprise Tom Enders ne semble pas pouvoir entrer au conseil de surveillance. Il devrait donc entamer

une nouvelle carrière vers une autre direction (BMW ?).

La gouvernance d’Airbus est le fruit de son histoire complexe, et l’équilibre entre la place des

Etats et les contraintes économiques est très difficile à trouver.

Quoiqu’il en soit la guerre des chefs11 aura fait du mal à l’entreprise, et il n’est jamais bon de

changer un équipage au milieu d’une tempête.

Les Américains n’ont sans doute pas besoin d’être à la manœuvre dans ce dossier. Il suffit

d’observer les egos de ces grands capitaines d’industrie, qui s’affrontent pour la prise de pouvoir du

groupe. Mais l’ego est bien l’un des leviers de la matrice MICE (Money, Ideology, Constraint, Ego)12.

Cette division interne aura peut-être simplement suffi à affaiblir l’entreprise pour le plus grand

bonheur de Boeing.

6 http://bilderbergmeetings.org/participants2018.html 7 L'ami américain- Washington contre de Gaulle. D’Eric BRANCA Perrin 2017 8 https://www.cerclejefferson.org/articles/8530-reception-en-lhonneur-des-nouveaux-ivs 9https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/alstom-ge-renonce-a-ses-engagements-sur-l-emploi-en-france_2017170.html 10 https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0301848183619-en-difficulte-general-electric-est-exclu-du-dow-jones-2185656.php 11https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/corruption-guerre-des-chefs-pour-cet-ex-n-2-de-la-dgse-la-situation-est-tres-grave-a-airbus_558243 12 Le dictionnaire du renseignement. De H. Moutou et J. Poirot Perrin 2018 Page 547

9

Quoiqu’il en soit, l’étude des acteurs de ce dossier par une cartographie précise et sourcée,

permet de mettre en lumière des liens particuliers assez troublants.

Un dossier très complexe.

Ce travail est le début d’une réflexion qui ne s’achèvera peut-être que lorsque la justice aura

réussi à connaitre la vérité sur les affaires de corruption. L’ensemble des éléments livrés par la presse

francophone, mais aussi allemande ou britannique, a été compilé, recoupé et ordonné, pour obtenir

une vision assez claire du dossier. Il n’est pas question ici de remettre en cause « l’opération main

propre ».

Si les Etats-Unis arrivent à trouver un angle d’attaque contre Airbus, c’est bien parce qu’il y a

eu une faute originale de l’entreprise. La corruption n’est pas un procédé commercial acceptable.

Certes, ce fléau doit être combattu, mais il doit l’être chez tous les acteurs économiques mondiaux. La

réponse d’Airbus semble très naïve, mais elle est la conséquence d’une pression bien réelle des Etats-

Unis.

Nous verrons donc dans un premier temps de quelle manière s’est construit ce géant de

l’aéronautique européen, afin de bien appréhender son mode particulier de gouvernance. Boeing est

une entreprise bien structurée, ou seul des rapports de force nationaux existent, contrairement à

Airbus, où les équilibres européens au sein du groupe sont à prendre en compte.

Ensuite, nous analyserons comment l’ère Enders fut celle d’une grande transformation de

l’entreprise. Nous verrons qu’elles ont été les grandes décisions, et les conséquences qu’elles ont eues,

au travers des rapports de force et de la guerre économique.

Enfin, nous rentrerons dans le cœur des problématiques de compliance, qui sont aujourd’hui

une arme de guerre économique très efficace dans les mains des américains. Ici, il ne s’agit pas de

juger si ce que font les américains est moral, juste ou déloyal, mais d’analyser les mécanismes qui leur

permettent d’imposer leur droit.

10

TITRE I : Airbus : le modèle économique

d’une entreprise européenne de construction

atypique

11

Chapitre I : L’histoire de cette entreprise explique son modèle particulier

Airbus traverse aujourd’hui une période trouble de son histoire. Ce n’est pas la première fois

que l’avionneur connaît des difficultés, mais les fronts sont ouverts dans de nombreux domaines

(commerciaux, économiques et juridiques). Son principal concurrent Boeing garde une structure

capitalistique homogène avec des interlocuteurs uniquement américains (Etats, gouvernement

fédéral). Cela lui permet d’aborder les difficultés de manière plus centralisée. Airbus a hérité, de par

son histoire, d’une gouvernance handicapante dans ce combat (plusieurs Etats sont actionnaires, les

sites de production sont soumis à des décisions politiques, …)

Section 1 : La création d’Airbus Industrie

A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie américaine est plus puissante

que jamais et son marché, en pleine progression, fait émerger trois géants, Douglas, Boeing,

et Lockheed. L’Europe, de son côté possède un marché largement fragmenté avec une

quinzaine d'industriels de petite taille (Sud-Aviation, Shorts, Hawker-Siddeley, Bölkow...) qui

peinent à lutter contre les géants américains.

Elle se maintient tout de même à la pointe de l'innovation, avec des avions

révolutionnaires comme le Comet, la Caravelle et le Concorde. Cependant, le marché

européen reste largement inférieur au marché américain (ces derniers prennent beaucoup

plus l’avion que les Européens). Le marché européen empêche l’émergence d’un rival (260

exemplaires pour la Caravelle contre 1000 pour chacun des Boeing 707, 727 et 737).

Toutefois, « Il n'y avait pas de constructeur européen planifiant la conception ou la

fabrication d'un avion capable de concurrencer efficacement les produits américains dans le

monde entier », a déclaré Roger Béteille, directeur fondateur et ancien président d'Airbus

Industrie.13

Face à ce qui semblait être une croissance inéluctable des passagers, toutes les grandes

compagnies aériennes européennes avaient des exigences similaires dans les années 70 un «

bus aérien » de 250 à 300 places, à double couloir, afin de relier les capitales.

Ces compagnies publiques avaient alors deux choix, se tourner vers les avions

américains (dans ce cas Lockheed et McDonnell Douglas) ou contribuer à l’émergence d'un

rival local. Cette dernière option a prévalu.

Les différentes études de projets d'avions gros porteurs européens ont été regroupées

en une offre unique qui s'est cristallisée en septembre 1967 par la création de l’A-300. C’est à

cette date qu’un mémorandum d'accord intergouvernemental a été signé entre la France,

l'Allemagne et le Royaume-Uni. Le protocole d'accord stipulait également que l'A-300 ne serait

lancé que si les trois compagnies aériennes nationales, Air France, BEA et Lufthansa,

n'acceptent ensemble d'acheter un minimum de 75 avions.

Cet accord se fonde sur quelques principes simples :

- La spécialisation : chaque industriel se centre sur des domaines d'excellence (le cockpit, les

commandes de vol, l'assemblage final pour la France, le fuselage courant et la cabine pour

13 https://www.flightglobal.com/news/articles/airbus-supplement-airbus-history-28565/ page 13

12

l'Allemagne, la voilure pour le Royaume Uni). Chaque industriel accepte d'abandonner les

compétences qui ne lui sont plus nécessaires ;

- Le choix du statut de Groupement d'Intérêt Economique (GIE) pour l'organisation centrale,

Airbus Industrie, qui fédère les intérêts des partenaires tout en respectant leur personnalité

propre ;

- La conception d'un produit véritablement innovant, l'A300, un gros-porteur bimoteur, qui

effectue son premier vol en 1972.

Au moment où ce projet se concrétise avec la création d'Airbus Industrie le 18

décembre 1970, le Royaume-Uni abandonne son partenariat, en raison de ses inquiétudes,

quant aux perspectives du marché de ce qui allait devenir le premier gros porteur bimoteur.

Les membres du consortium fondateur sont alors Aérospatiale (France) et Deutsche

Airbus (plus tard rebaptisé Daimler-Benz Aerospace Airbus- Allemagne de l'Ouest). En 1971, ils

seront rejoints par Construcciones Aeronauticas S.A. (CASA) de nationalité espagnole.

En tant que catalyseur du groupe, Airbus Industrie fourni la recherche, le

développement et la conception, ainsi que le marketing et le support produit à ses filiales. À

leur tour, les sociétés membres achètent, fabriquent et assemblent des composants. Par

exemple, Deutsche Airbus fabrique la plupart des fuselages et des queues verticales, CASA

contribue aux queues horizontales et Hawker-Siddeley (un sous-traitant jusqu'en 1979)

fabrique les ailes. Ces pièces sont transportées dans les ateliers d'assemblage d'Aérospatiale à

Toulouse, où elles sont assemblées avec des cockpits et des fuselages centraux fabriqués dans

cette usine.

La Grande-Bretagne deviendra finalement un membre officiel du consortium Airbus

lorsque, en janvier 1979, l’entreprise Hawker-Siddeley rejoint British Aerospace. L'arrivée de

celui-ci a établi le ratio de capitalisation d'Airbus à 37,9% pour Aérospatiale et Deutsche Airbus,

20% pour British Aerospace et 4,2% pour CASA en Espagne.

13

Section 2 : Airbus Industrie, Groupement d’Intérêts Economiques : 30 années de progrès

Sous la direction d'Henri Ziegler, président d'Aerospatiale, Airbus installe son siège à

Toulouse pour construire et livrer son premier produit, à l'ombre du programme Concorde, qui

se déroulait à proximité.

L'A300B rentre en service chez Air France en 1974 et après un démarrage lent, a

finalement réussi à attirer les acheteurs extra européens, ce qui avait été refusé auparavant à

la plupart des constructeurs.

Par ailleurs, à la fin des années 1970, le secteur manufacturier britannique, consolidé

sous le nom de British Aerospace, en souhaitant officialiser la sous-traitance de sa production,

négocie une participation de 20% dans le consortium. Les participations franco-allemandes

sont alors ajustées de manière appropriée.

Airbus A300B

L'A310 « rétractable » est arrivé en 1983, pour devenir plus tard le premier avion de

ligne à structure primaire (l'aileron) en fibre de carbone. Airbus prend alors sa décision la plus

audacieuse, entrer dans le secteur des courts et moyen-courriers, dominé par les États-Unis,

avec l'A320.

Parallèlement à la création du premier monocouloir depuis une décennie (l’A320),

Airbus prend un énorme pari technologique en décidant d'équiper son avion de commandes

de vol électrique. Cette technologie était auparavant réservée aux avions de combat et au

Concorde.

Introduit en 1988, le pari de l’A320 porte ses fruits. Le marché des monocouloirs est

un énorme succès commercial, qui a été essentiel pour propulser le consortium vers la position

de leader du marché au XXIème siècle, avec plus de 1300 avions livrés en 2000.

14

Airbus, sous l’impulsion de son nouveau dirigeant Jean Pierson, porte son attention

sur le segment long-courrier, avec l'introduction du quadriréacteur A340 en 1993, et à plus

courte portée, l’A330, l'année suivante.

L’entreprise avait toujours envié le monopole de Boeing dans le secteur des grands

avions de ligne avec son Jet 747 Jumbo. Dès lors, à la fin des années 1990, après s'être propulsé

dans une deuxième position solide au détriment de son concurrent McDonnell Douglas,

devenu une partie de Boeing en 1997, Airbus se sentait prêt pour un nouvel assaut.

Après des années d'études sous la désignation A3XX, Airbus lance finalement le projet

d’un super jumbo en décembre 2000 : l'A380 avec 550 places, dont il avait le soutien et

l’engagement de six clients pour 50 commandes. La première livraison est prévue pour 2005.

Airbus A380

À la fin du XXe siècle, le marché des avions de ligne s'est réduit à un duopole et, alors

qu'Airbus commençait son ambitieux projet (l’A380), la structure initiale du GIE s’est relevée

insuffisante. Trois des quatre actionnaires se sont réunis pour former le conglomérat franco-

germano-espagnol EADS, simplifiant la gestion. La prochaine étape fut d'intégrer les

nombreuses parties d'Airbus en une seule unité ; afin d'éliminer les frontières nationales. Cela

a été réalisé théoriquement en 2001, mais il faudra encore plusieurs mois et un quasi-désastre

avec la production de l'A380 en raison de la mauvaise gestion des divisions partenaires, et ce

pour que l'objectif d'intégration soit pleinement réalisé.

15

Comparatif des livraisons d’avions entre 1969 et 2017

16

Section 3 : D’Airbus GIE à EADS

A la fin des années 1990, une nouvelle société apparait, EADS. Celle-ci résulte des

négociations entre les ministres de l’économie français et allemand. Elle est détenue à 30 %

par les partenaires français, Aérospatiale-Matra 30 % par le tandem DASA (Daimler-Benz

Aerospace Airbus) Casa et 40 % par des investisseurs privés. L'Etat espagnol, qui vient de céder

Casa, détiendra 6,25 % du capital d'EADS, mais surtout, l'Etat français en détiendra 15 %,

assortis d'un droit de veto sur les décisions les plus stratégiques. Rapidement, Schrempp et

Lagardère laissent entendre que la porte d'EADS sera fermée à d'autres partenaires, en

particulier à l’anglais BAE.

Désormais, Airbus (GIE) ne compte plus que deux partenaires : EADS (80%) et BAE

(20%). Les relations se tendent. BAE refuse que Noël Forgeard cumule, temporairement, les

fonctions de représentant d'EADS au sein d'Airbus et d'administrateur-gérant en attendant le

changement de statut.

L'entrée en bourse (à Paris, Francfort et Madrid) d'EADS est prévue pour le mois de

juillet 2000. Une série d’obstacles s'accumulent avec le lancement du très gros porteur de

l’A380 qui est plusieurs fois repoussé. D’autre part, l'opportunité commerciale et surtout la

répartition des sites industriels entre les partenaires fait toujours débat. Un accord est

finalement trouvé : les avions seront conceptualisé à Toulouse, produit à Hambourg et

assemblé à Toulouse. A la fin de l'automne, le gros porteur semble mieux parti avec 50

commandes fermes. Ce seuil permet d'enclencher la phase de production. Finalement, EADS

et BAE trouvent dès le début de l'année 2001, un accord définitif sur le changement de statut

d'Airbus, après des négociations d'une année, sur les droits de vote de BAE.

2014: Airbus Group,

2001: Airbus SAS

BAE

20%

EADS (2000)

80%

Aerospatial-Matra (1999)

Aérospatiale (1970)

Matra (1937)

DaimlerChrysler Aerospace AG (1989)

Construcciones Aeronáuticas SA (1923)

17

Dès juillet 2000 la transformation devient effective. Airbus devient une société par actions

simplifiée de droit français. En septembre 2006, EADS rachète à British Aerospace les 20 % qu’elle

détient dans le capital d'Airbus.

Cinq divisions le composent le groupe à sa création.

1. Airbus (Commercial Aircraft)

2. Military Transport Aircraft

3. Aeronautics, disparaît en 2005

4. Space, prend le nom de sa filiale satellite Astrium en 2006

5. Defence & Civil Systems,

a. Devient Defence & Security Systems en 2003

b. Puis EADS Defence & Security en 2006

D’autre part Eurocopter devient une division en 2005 et prend le nom d’Airbus Helicopter en

2014.

Section 4 : EADS, Airbus Group, au cœur des affaires

A. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

Le succès d’Airbus a poussé Airbus à réagir. Les États-Unis considèrent le

programme européen comme non conforme aux règles de l’OMC. En effet, la

création d’emplois subventionnés par l'État sert de base légale à la plainte. Pour

Boeing, ces aides s’élèvent à 40 milliards de dollars depuis 1969. L'Europe de son

côté a émis une demande reconventionnelle, soulignant le financement des

subventions fédérales et de recherche de Boeing. Elle serait de l’ordre de 18

milliards de dollars.

L'OMC a rendu son jugement en mai 2018 sur les plaintes de Boeing contre

Airbus. L’organisation estime que l'Union européenne ne s'est pas encore

totalement mise en conformité avec ses obligations. Airbus quant à lui déclare que

94 % des plaintes déposées par les Etats-Unis ont été rejetées.

L'administration Trump a aussi vivement réagi. L'ambassadeur américain à

Bruxelles, Robert Lighthizer, rappelle ainsi que le président américain a promis

d'utiliser tous les outils à sa disposition pour défendre « un commerce équitable et

libre au service des travailleurs américains ».

B. L’A380, une production chaotique

Les problèmes de production de l'A380 ont éclaté en 2005 (dont les premières

discussions datent de 1992). C’est une absence d’harmonisation entre pays qui

entrainera les retards. Au fur et à mesure de l'échéance de la première livraison,

des modifications seront nécessaire, notamment en raison des résultats des essais,

entraînant des améliorations à apporter aux appareils, et des aménagements

demandés par les clients.

18

En 2006, Noel Forgeard qui avait succédé à Jean Pierson est promu co-

directeur général d'EADS, aux côtés de Tom Enders, chef division de la défense. Il

est remplacé chez Airbus commercila aircraft par Gustave Humbert. Noel Forgeard

espère ainsi renforcer son pouvoir sur Airbus. A l’inverse, ces changements ont

entravés la prise de décisions et la phase de production.

Les retards considérés comme contrôlables vont se transformer en

catastrophe industrielle. Syndrome de cette crise, des morceaux de fuselage

câblés issus du site allemand et assemblés en France se révéleront trop courts.

Les problèmes de l'A380, associés à l'indécision sur le futur de l'A350, ont

amplifié les difficultés de gestion d'Airbus et d'EADS et entraîné une série de

remaniements.

Noël Forgeard et Gustave Humbert sont alors devenus les premières victimes

en 2006 lorsqu'elles ont été remplacées par l'ancien patron d'Aerospatiale Louis

Gallois et l'industriel français Christian Streiff. Christian Streiff ne restera à son

poste que quatre mois, n’ayant pas l’aval du conseil d’administration pour

reprendre le contrôle de la situation. A son départ, Louis Gallois lui succède alors

jusqu'au dernier remaniement en juillet 2012.

La première livraison de l’A380 se déroule finalement en 2008, avec 18 mois

de retard et livrera 30 avions entre 2008 et 2009 contre les 120 prévus initialement.

Ces retards ont aussi entrainé un surcout du programme de 4,8 milliards d’euros et

une chute allant jusqu’à 36% de l’action d’EADS.

C. Délits d’initiés

En mars 2006, à la suite des problèmes de productions de l’A380, dix-sept

dirigeants d'EADS avaient été accusés d’avoir réalisé d'importantes plus-values en

vendant des titres EADS avant l'annonce publique des retards de livraison (le 13 juin

2006). Cette annonce avait entraîné une chute du cours de l'action du groupe de

plus de 36 % en une seule séance. Les personnes concernées nient tout délit, et

assurent n'avoir rien connu des problèmes de l'A380.

Par ailleurs, le 4 avril 2006, DaimlerChrysler et le Groupe Lagardère cèdent 7,5

% du capital d'EADS à des investisseurs institutionnels français, notamment la

Caisse des dépôts et consignations (CDC), entraînant une importante moins-value

une fois les résultats annoncés (200 millions pour la CDC).

La première mise en examen au sein de la direction du groupe a été prononcée

contre Noël Forgeard, le 30 mai 2008. Par la suite, seize autres dirigeants d’Airbus

(dont son actuel président Tom Enders) ainsi que le groupe Lagardère.

En juillet 2009, les enquêteurs de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF)

publient un dossier dans lequel ils innocentent dix des dix-sept dirigeants. Il

recommande cependant plusieurs sanctions contre les dirigeant dont :

- Noël Forgeard, une sanction de 5,4 millions d'euros.

19

- John Leahy (directeur commercial d'Airbus) écoperait d'une amende de 3,6

millions d'euros

- Jean-Paul Gut (directeur général délégué d'EADS) devrait verser 1,1 million

d'euros

- Andreas Sperl (directeur financier d'Airbus) devrait payer 710.000 euros.

Parmi les autres dirigeants français et allemands menacés d'une amende

figurent Olivier Andries (Ancien vice-président d'Airbus) : 310.000 euros et Erik

Pillet (directeur des ressources humaines d'Airbus) : 90.000 euros.

Finalement, fin 2009, après trois ans d'enquête, la commission des sanctions

du gendarme de la Bourse met hors de cause tous les protagonistes. En parallèle,

une enquête pénale avait été lancée en novembre 2006. Elle a finalement

débouché sur un procès, ouvert le 2 octobre 2006 devant le tribunal correctionnel

de Paris. Les avocats des accusés sont parvenus à bloquer la procédure en posant

une question prioritaire de constitutionnalité se référant à un arrêt de la cour

européenne des droits de l'homme. Cet arrêt pose le principe du « non bis in idem

», qui interdit de poursuivre une même personne deux fois pour les mêmes faits.

D. L’A400M : un programme plus difficile que l’A380

Les turbulences subies par Airbus au cours des dernières années ne se sont pas

limitées à l'A380 ou à la gestion et à la réduction des coûts. Lorsque, en 1998,

l'avionneur a pris en charge la gestion de l'ancien programme Future Large Aircraft,

il l’a rebaptisé A400M. Il n'aurait guère pu imaginer que son entrée dans le secteur

militaire menacerait son avenir même.

En 2003, Airbus s'engage à produire de 180 appareils pour un montant de 20

milliards d'euros avec une première livraison prévue dans un délai de moins de sept

ans contre généralement entre dix et quinze ans pour un avion militaire.

Avec plus de huit ans de retard, sept milliards d’euros provisionné pour les

pénalités de retard, 27 milliards d’euros d’investissements, Airbus collectionne les

déboires. Le crash en 2015 qui a causé la mort de son équipage fut bien sur

préjudiciable, Aujourd’hui, Airbus peine toujours à livrer ses clients.

E. Clearstream

Cette affaire prend place dans les conflits brutaux qui agitent l’industrie

française de l’armement. Elle prend racine depuis la création d’EADS, et des luttes

d’influence des géants de l’électronique militaire Thales (Ex-Thomson-CSF). Ainsi,

dans le groupe EADS, se déchirent deux clans issus de l’ancien groupe Matra. D’une

part celui d’EADS proprement dit, animé par Philippe Camus (coprésident exécutif

d'EADS), Jean-Louis Gergorin (directeur de la coordination stratégique et

responsable de l’intelligence économique). D’autre part, celui d’Airbus, dirigé par

Noël Forgeard (président-directeur général d’EADS) et Philippe Delmas (directeur

adjoint de EADS).

20

Au printemps 2004, Jean-Louis Gergorin écrit une lettre anonyme au juge

Renaud Van Ruymbeke où il dénonce l’ouverture de compte à la chambre de

compensation Clearstream par d’anciens dirigeants de Thomson et par Philippe

Delmas, adjoint de Noël Forgeard à la direction d’Airbus

Après la présentation de l’Airbus A380, le 18 janvier 2005, en présence de

plusieurs chefs de gouvernement, Philippe Delmas est placé en garde à vue.

En avril 2006, l’ensemble de l’équipe dirigeante du groupe EADS se retrouve

brutalement au centre de l’affaire Clearstream 2 (ou affaire du corbeau des frégates

de Taiwan). Deux membres d’EADS semblent être au cœur de cette affaire : Jean-

Louis Gergorin et Imad Lahoud. Les bureaux de Noël Forgeard, coprésident d’EADS

(Co-CEO), Gustav Humbert, président d’Airbus et Jean-Louis Gergorin, vice-

président d’EADS, ont été perquisitionnés.

Selon la lettre anonyme, un « comité » international composé de Français,

d’oligarques russes et de narcotrafiquants auraient été à l’œuvre pour contrôler de

grandes entreprises et blanchir des quantités considérables d’argent par le biais des

comptes occultes de Clearstream. Il affirme qu’il existe des liens financiers entre

des familles colombiennes, des parrains russes, Est-allemands et ouzbeks, tout cela

au sein d’une vaste confrérie internationale du crime et du blanchiment d'argent.

Toujours dans la lettre ce comité serait même responsable de la mort de Jean-Luc

Lagardère !

L’enquête s’achève après plusieurs années de procédure par la conclusion que

les fichiers qui accuse l’équipe dirigeante d’airbus sont des faux créés par Jean-Louis

Gergorin avec l’aide d’Imad Lahoud (frère de Marwan Lahoud ex-directeur

stratégique).

21

Chapitre 2 : Airbus une entreprise complexe à diriger

Section 1 : Le modèle économique (Business Model) d’Airbus

Un modèle économique (ou business model en anglais) explique formellement la

manière dont une entreprise compte gagner de l’argent. Dans la pratique, il faut déterminer

ce que la future entreprise compte vendre, pour quels clients, quel est le but, de quelle

manière et pour quels bénéfices.

De manière générale, il s’agit de présenter l’activité qui va être menée. Cette

description constitue une pièce maitresse dans la création de l’entreprise et prend part au sein

du « Business Plan ». Elle remet au cœur des préoccupations, l’offre qui va être proposée aux

clients, et notamment la manière dont elle va être créée, délivrée et réaliser des bénéfices.

A. L’origine d’un nouveau modèle économique

Le président d’Airbus, Tom Enders a décidé de réorganiser l’entreprise. Son

objectif principal, l’augmentation de la rentabilité et vise la barre des 10 %.

Actuellement la rentabilité d’Airbus est légèrement supérieure à 6 %14, or la rentabilité

moyenne des entreprises du secteur aéronautique se situe à plus de 10 %. Cette

recherche de rentabilité s’explique aussi par l’émergence de nouveaux acteurs et par

l’agressivité de la concurrence avec Boeing.

L’industrie aéronautique et spatiale est considérée en France comme

stratégique puisque’ elle a longtemps bénéficié de financements publics. Cependant,

Airbus ne s’inscrit plus dans cette démarche. Face aux concurrents émergeants,

notamment Comac (chinois) et UAC (russe), soutenus par leurs pays, il faut être

« hyper-compétitif ».

C’est pourquoi un changement de logique a conduit à une modification du

modèle économique du groupe. Cette restructuration a pour but de réduire les coûts,

éviter les doublons et favoriser les synergies. Néanmoins, les caractéristiques de ce

secteur réduisent les marges de manœuvre possibles.

L’industrie aéronautique fait partie des industries à long cycle qui se

caractérisent par :

- Des produits qui bénéficient d’une durée de vie supérieure à 20 ans et des retours

sur investissement longs qui peuvent devenir potentiellement problématiques.

- Des niveaux de risque élevé. Si un problème technologique, industriel ou commercial

apparait au début ou pendant un programme, l’aspect financier du groupe peut être

sévèrement touché, ainsi que celle des partenaires (Risk Sharing).

Airbus et plus généralement le secteur aéronautique possède quelques

handicaps :

14 https://www.usinenouvelle.com/article/airbus-un-modele-inacheve.N445572

22

- La libéralisation du marché du transport aérien, la concurrence accrue, le caractère

national persistant des industries aéronautiques.

- La pression sur les prix, la prise de risque au lancement des programmes.

- La mondialisation, les sources de financement, le caractère national persistant des

industries aéronautiques.

- Pour Airbus, des coûts en euros et des ventes en dollars.

Tous ces éléments influent sur la stratégie d’Airbus et l’ont obligé à modifier

son modèle économique.

Depuis le début du XXIème siècle, Airbus voit son modèle économique être de

moins en moins industriel et plus financiarisé basé sur la maximisation de la valeur

actionnariale. Par son plan « Gemini »15 (un programme de fusion entre la structure

groupe et sa grande filiale dédiée aux avions commerciaux, même branche qui réalise

environ 70% du chiffre d’affaires) souhaite améliorer à la fois sa compétitivité, sa

flexibilité et sa rentabilité financière. C’est pourquoi l’avionneur européen opère un

recentrage sur son cœur de métier, une externalisation accrue des compétences dites

secondaires et une délocalisation des activités à faible valeur ajoutée.

Tout au long de cette financiarisation, un transfert des risques s’effectue vers

les fournisseurs (le Risk Sharing Partners) puisque qu’ils prennent à leur charge

certains coûts de développement, l’assurance de certains processus et l’impact des

échecs commerciaux du client. Cela détériore la qualité des relations entre les

structures.

Par le passé, toutes les transformations organisationnelles d’Airbus et de son

réseau de sous-traitance furent le plus souvent expliquées par différents facteurs

historiques, économiques, politiques, industriels et technologiques. Aujourd’hui, les

choix stratégiques de l’avionneur européen sont désormais dictés par des

considérations financières. Si ce nouveau modèle économique, qui repose sur une

convention financière, renferme des avantages à court-terme, il comporte également

des risques à moyen/long terme sur le plan relationnel et performance.

Le fonctionnement sous le modèle de « l’entreprise étendue » s’est développé

progressivement chez Airbus. Le but initial était de fiabiliser les échanges

d’informations techniques, commerciales et d’améliorer la gestion de production afin

de rendre le fonctionnement le plus fluide possible.

« En 2010, Tom Enders, a impulsé l’augmentation et la structuration des

activités d’innovation autour d’un processus d’innovation de bout en bout, ce qui a

conduit à la création de la Cellule Innovation d'Airbus, une équipe dédiée à alimenter

le moteur de l’innovation avec des idées, à déployer un processus efficace et à fournir

des résultats. »16

15 https://www.journal-aviation.com/actualites/35025-vers-un-airbus-plus-fort-et-plus-agile 16 https://cdn2.hubspot.net/hubfs/314186/documents-fr/etude-cas-management-innovation/airbus-fr.pdf

23

B. L’innovation au cœur du nouveau modèle économique

Depuis l’approbation de sa définition au début du XXème siècle, l’innovation

est pour Schumpeter la source de développement économique. Il a étendu sa portée

au-delà de la conceptualisation étroite du « progrès technologique », l'innovation est

selon lui, bien plus que ça. En plus d’être devenue un mot à la mode pour ce qui

concerne la croissance, il est aussi synonyme de prospérité, de bien-être social ou de

politique économique. Toute initiative de réforme qui vise à modifier une structure

existante des organisations sociales ou à lancer de nouvelles entreprises est

aujourd'hui qualifiée d'activité innovante, qu'elle soit ou non liée à l'activité

économique. Pour Schumpeter l'innovation est le changement radical, historique et

irréversible dans la façon de faire les choses. Il prend place au cœur du processus de

développement économique et se trouve être le principal moteur de la croissance.

L’innovation, c'est avant tout le seul et unique moyen de créer une nouvelle source de

valeur afin de produire des produits de meilleure qualité et à moindre coût.

Dans le capitalisme moderne, le principal moteur de l'innovation et du

développement économique qui en résulte est l'entreprise commerciale. L'entreprise

moderne est devenue le modèle universel d'organisation de la création de valeur sans

ignorer les nuances d'origines géographiques, culturelles, politiques et/ou juridiques

différentes jusqu’à ce jour. L’innovation reste l'objectif perpétuel des organisations

créatrices de valeur. En effet, les conditions sociales affectant l'innovation peuvent

évoluer et varier selon les activités productives. Ce changement inclut également la

transformation de l'entreprise et de ses ambitions.

Aujourd’hui, Airbus étudie la possibilité de changer la manière dont

l’entreprise ainsi que les clients travaillent. C’est grâce aux technologies digitales et

leurs méthodes d’approche qu’Airbus parviendra à optimiser les performances,

stimuler l'innovation et devenir plus agile.

C. Les diverses innovations au sein d’Airbus

En 2010, Tom Enders décide de favoriser de manière importante toutes les

actions liées à l’innovation et d’en faire le cœur du modèle économique de

l’entreprise. Il impulse alors une forte augmentation et structuration des activités

d’innovation autour d’un processus dédié. Il en résulte la création d’une Cellule

Innovation au sein d’Airbus : une équipe consacrée à alimenter le moteur de

l’innovation avec des idées, à déployer un processus efficace et à fournir des résultats.

- La première initiative de la Cellule Innovation a été de mettre en place une

plateforme ouverte à tous les employés afin de faire naître une multitude d’idées. La

plateforme Enterprise de HYPE a été sélectionnée en raison de son évolutivité et de sa

faculté à se rendre flexible, une caractéristique primordiale pour l’entreprise. Cet

ambitieux projet nommé « IdeaSpace » était utilisé par 50 collaborateurs à son

lancement, avant de se développer rapidement dans le service commercial et compte

aujourd’hui 50 000 utilisateurs. Il sera bientôt étendu à la totalité des salariés.

- L’innovation de rupture chez Airbus Defence & Space : One Web

24

Ce projet vise à construire une constellation de 900 satellites qui assurera un

accès étendu et bon marché à internet17. Le groupement de satellites n’était

jusqu’alors qu’un concept longuement étudié par les équipes d’Airbus qui ont rendu

possible cet exploit, tout en diminuant fortement les coûts de production et simplifiant

la technologie embarquée. L’envoi massif et rapide d’une myriade de microsatellites

de 150Kg à raison de deux satellites par jour. L'objectif de ce programme est de fournir

des connexions Internet pour tous, partout et pas cher. Les raisons sont simples, les

marchés actuels arrivent à maturité et les acteurs de l'Internet veulent désormais

investir les marchés émergents. De nouveaux marchés qui permettraient de soutenir

leur taux de croissance de plus de 20%.

- L’innovation incrémentale chez Airbus : la gamme Neo

L’A320 neo18 est une version améliorée de l’A320ceo mis en service en 1987.

La principale évolution concerne les moteurs qui sont plus performants (fournis par

Pratt & Whitney et CFM International) et les extrémités d’ailes relevées, les fameux

« sharklets ». Grâce à ces innovations, cet appareil consomme désormais 15% de

carburant en moins. En 2020, de nouvelles améliorations en cabine et dans le

rendement des moteurs permettront de franchir le cap des 20%. Aussi, l’impact sur

l’environnement est réduit de 50% de l’empreinte carbone.

La gamme Neo est aujourd’hui constituée de l’A319neo, l’A320neo et

l’A321neo qui totalisent respectivement 56, 4 098 et 1 930 commandes fermes. Cette

recette gagnante de l’A320neo répond in fine aux exigences des compagnies aériennes

et a pris de cours le concurrent direct Boeing. Le succès de cet avion a modifié en

profondeur la stratégie de l’avionneur européen, comme le prouve le lancement de

l’A330neo, qui repose sur la même logique industrielle, celle de l’innovation

incrémentale.

- L’innovation dédiée à « l’expérience passager »

Airbus favorise « l’expérience passager »19. Le but est d’être en mesure de

proposer bien plus qu’un simple vol aux clients. Il faut susciter leurs intérêts grâce aux

divertissements et connectivités qui se trouvent à bord de l’avion20, prestations qui

aujourd’hui sont les plus prometteuses pour se différencier de la concurrence. D’abord

sous forme d’option payante, internet apparait ces années dans les avions court et

moyen-courrier. L’objectif est de transformer « l’expérience passager » et par la même

occasion de révolutionner le modèle économique en libérant de nouveaux flux de

revenus annexes pour les compagnies aériennes (offres de publicité, sponsoring, e-

commerce ainsi que la fidélisation accrue des passagers). Le groupe Airbus a signé un

17http://www.airbus.com/space/telecommunications-satellites/oneweb-satellites-connection-for-people-all-over-the-globe.html 18 https://www.usinenouvelle.com/article/airbus-a320neo-ce-modele-industriel-ultra-rentable.N286474 19 https://www.usinenouvelle.com/article/un-business-model-qui-se-cherche.N551493 20https://www.igen.fr/telecoms/2018/04/les-avions-europeens-pourront-bientot-proposer-du-wi-fi-bord-103673

25

accord qui vise à faciliter l’installation de EAN (European Aviation Network)21 sur tous

ses avions de type A320. Même si des études montrent que les potentiels clients

seraient prêts à dépenser entre 8 et 12 euros de plus pour profiter d’une connexion

internet en plein vol22, l’aspect payant disparaitra petit à petit. Certains écrans

présents dans les avions moyen et long-courrier pourraient disparaitre laissant place à

cette fameuse connexion haut-débit. En effet, de plus en plus de clients emportent

leur tablette ou ordinateur portable.

- « L’usine connectée » et les Big Data

Usine Digitale et Conception : l'usine digitale23 utilisera davantage les systèmes

de production cyber-physiques et l'automatisation. Les technologies augmentées

accéléreront les phases de conception, de vérification et de maintenance, ce qui

permettra d'accélérer la prise de décision et d'améliorer les performances et la

productivité. Dans ces nouveaux environnements de travail intelligents, l'information

en temps réel permettra une optimisation de la communication et de l'efficacité,

apportant des avantages tout au long du cycle de vie d'un produit24.

Flotte Connectée & Analyse des Données : en exploitant et en analysant les

nombreuses données générées par les produits, y compris les avions et les satellites

d'imagerie, il est possible de transmettre des idées et des réponses apportant une

vraie valeur aux clients. Par ailleurs, utiliser les capacités de connectivité des produits

permettra d’offrir un nouvel écosystème digital « Made in Airbus ». Il utilisera des

informations en temps réel et aura une incidence majeure sur les opérations, les

réparations, la rentabilité et la productivité.

La maintenance prédictive des avions Airbus s'appuie sur la plate-forme de

données Skywise25 d'Airbus. Lancée en 2017, elle permet aux techniciens d'EasyJet

d'intervenir rapidement et de remplacer des composants avant la survenue de

défaillances, évitant ainsi aux passagers de subir des retards et des annulations de vols.

Skywise s'appuie sur l'expertise de l'américain Palantir Technologies dans le "big data"

(traitement massif de données), qui vise à devenir la plate-forme de référence.

Toutes ces innovations, fruit d’une volonté de se différencier à l’heure où la

concurrence avec l’Américain Boeing et les petits constructeurs est rude, sont le

résultat d’un changement opérationnel au cœur du modèle économique.

L’écosystème d’innovation étendu est composé de quatre branches principales :

- A3 : basé dans la Silicon Valley, le centre d'innovation A3 a pour mission de définir

l'avenir du transport aérien en identifiant les prochains grands changements

21 https://www.20minutes.fr/economie/2256299-20180417-internet-haut-debit-bord-europeens-arrive-grace-lancement-nouveau-satellite 22https://www.ladepeche.fr/article/2018/04/17/2781861-l-internet-haut-debit-debarque-a-bord-des-avions.html 23 http://www.ttu.fr/wp-content/uploads/2016/08/AIRBUS-PERFORMANCE-COMPETITIVITE.pdf 24https://www.capital.fr/entreprises-marches/easyjet-confie-la-maintenance-predictive-de-ses-avions-a-airbus-1279850 25 https://www.usinenouvelle.com/article/avec-skywise-airbus-lance-l-internet-des-avions.N618963

26

susceptibles de révolutionner le domaine d'activité avant que d'autres ne le fassent26.

Employant des experts de rang mondial et développant des partenariats fertiles, A3

n'hésite pas à prendre des risques et exécute sa mission à la vitesse maximum.

- BizLab : accélérateur de concepts aérospatiaux de start-ups et d'entrepreneurs, il

transforme rapidement des idées innovantes en succès commerciaux viables27. Avec

ce modèle hybride, le périmètre opérationnel de BizLab comprend des projets internes

d'employés d'Airbus et de start-ups externes hébergées dans des espaces de co-

working en France, en Allemagne et en Inde.

- Airbus Ventures : ce fond soutient des fondateurs inspirés partout dans le monde qui

innovent dans les domaines de la mobilité, de la sécurité et de l'avenir du transport

aérien28. Airbus Ventures est autonome et sert de partenaire financier pour les

innovateurs aérospatiaux.

- Airbus ProtoSpace : transforme rapidement des concepts en prototypes

fonctionnels29. Protospace a pour objectif d'être capable de fabriquer, puis de tester,

pratiquement n'importe quoi, démontrant ainsi la viabilité de nouvelles idées.

Couplé au département Recherche & Développement de Airbus, tous les

moyens sont mis en œuvre pour parvenir à répondre aux exigences futures des

compagnies aériennes et ainsi dominer une plus large part de marché.

26 https://www.airbus-sv.com/leaders 27 https://www.airbus-bizlab.com/about 28 http://www.airbusventures.vc/ 29https://www.airbus.com/content/dam/corporate-topics/publications/backgrounders/Protospace-backgrounder-E.pdf

27

Business Model Canvas d’Airbus

28

Section 2 : La gouvernance initiale d’Airbus

A. L’équilibre franco-allemand

La situation chez Airbus est suivie de près par Paris et Berlin, actionnaires du

groupe à hauteur de 22%. Tout au long de ces vingt dernières années, ces deux Etats

ont agi de sorte à modifier la structure de l’entreprise. Début 2007, Airbus traverse

une crise critique due à une structure complexe de direction bicéphale, initialement

destinée à affaiblir les intérêts franco-allemands. Celle-ci a finalement entrainé durant

des années une rivalité politique entre les deux pays qui a causé une perte dans le

budget de l’ordre de 5 milliards d’euros.

Ces affrontements indirects auraient peut-être été évités si le donneur d’ordre

GIE (groupement d'intérêt économique) avait poursuivi son fonctionnement (cf

chapitre I supra). Historiquement, lors des discussions entre les Etats sur la fusion

EADS-BAE Systems, l’Allemagne, pour des raisons inconnues, s’était vu accorder par

Paris et Londres sa demande d’entrer au capital d’EADS pour bénéficier de la parité

avec la France. Aussi, quand l’Allemagne souhaitait disposer d’une structure pour

protéger l’ensemble de ses actifs stratégiques de défense alors qu’elle ne possède pas

l’arme nucléaire (à l'inverse de la France et de la Grande-Bretagne), EADS-BAE avait

également accepté la création d'une « holding nationale » pour y placer des activités

de production très « sensibles » de torpilles et de radars.

A la suite de ces actions, Berlin avait gelé un prêt de 600 millions d'euros

destiné au développement de l'A350 d'Airbus. L’Allemagne protestait contre le non-

respect d’Airbus sur la localisation outre-Rhin d'activités de production de l'A350.

Berlin avait souhaité que la direction du groupe aéronautique soit composée à part

égale d'Allemands et de Français, ce qui avait conduit le groupe à dénoncer les

tentatives d'influence politique sur sa gestion. Pourtant, l'Allemagne détenait déjà la

plus grosse part de la production d'Airbus en 2011, la France arrivant en deuxième

position.

Plus récemment, les affaires de corruption et la « guerre des chefs » ont placé

un nouveau poids sur le géant de l’aéronautique. Certains directeurs ont été

remplacés, d’autres non. Plus de 3600 postes en suppression pour cause de baisse de

l’activité liée majoritairement à l’A380. Toutes ces complications contribuent à affaiblir

Airbus malgré de nombreuses commandes.

B. La rivalité entre les industries de la défense françaises et allemandes

La rivalité entre les industries militaires de ces deux états prend racine lors de

la seconde guerre mondiale. Entre 1945 et 1950, plus de 1 000 chercheurs allemands,

dont certains nazis, ont été « embauchés » dans le secret par les autorités françaises30.

Leur but était de reconstruire les industries militaires et aéronautiques du pays. En

réalité, beaucoup de ces chercheurs ont été recrutés aussi par d’autres (Europe, Etats-

Unis, URSS). Mais c’est grâce à l'apport de ces Allemands que le LRBA (Laboratoire de

30 https://www.lexpress.fr/informations/comment-la-france-a-recrute-des-savants-de-hitler_633743.html

29

Recherches Balistiques et Aérodynamiques) et la Société européenne de propulsion

(créée en 1971 à Vernon pour les moteurs d'Ariane) ont remporté tant de succès.

De nos jours, La rivalité demeure féroce entre les industries des deux pays pour

conquérir le leadership du secteur de la défense. Le marché norvégien et précisément

le « deal » allant de trois à quatre milliards d’euros pour l'achat de quatre à six sous-

marins en est un bon exemple31. Les Français de la DCNS (Direction des Constructions

Navales Services) avaient proposé une offre qui leur semblait parfaite. Après des

années de préparation qui implique un travail titanesque de la part des ingénieurs et

des commerciaux des deux entreprises concurrentes. Les Allemands remportent le

contrat dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, cruciale pour les opérations dans

le Grand Nord. Pour l’Allemagne, le contrat norvégien était primordial car sans lui,

l’entreprise pouvait être absorbée par un concurrent. D’autre part, les Français étaient

trop sûrs d’eux depuis qu’ils avaient emporté en 2016 un très gros contrat sur ce même

marché avec les Australiens.

Section 3 : Les acteurs du secteur aéronautique

A. Un environnement compétitif en perpétuelle évolution

Il existe deux catégories de fabricants d’avions commerciaux civils. Dans une

première classe, on trouve les producteurs de « gros avions civils ». Ceux-ci possèdent

100 sièges ou plus. Ce segment de marché est un duopole partagé par Boeing et Airbus

en tant que constructeurs d'avions de ligne commerciaux et General Electric, Pratt and

Whitney et Rolls Royce, en tant que producteurs de moteurs à réaction. Afin de

répartir leurs risques et de réduire le coût des investissements dans de nouveaux

produits, ces entreprises s’engagent de plus en plus dans des « coentreprises

multinationales » et créent des partenariats avec d’autres sociétés basées dans des

pays comme la Chine et le Japon.

La seconde classe de producteurs32 concerne les entreprises qui fabriquent des

avions de lignes plus petits, soit moins de 100 sièges (exception pour Bombardier :

jusqu’à 150 places). Ce marché pour les avions régionaux turbopropulsé et à réacteur

est dominé par Bombardier (Canada) et Embraer33 (Brésil). Ces entreprises ont

supplanté les fabricants européens de jets régionaux sur le marché mondial et

commencent à concurrencer Boeing et Airbus dans le segment inférieur de la catégorie

des avions de ligne de plus de 100 sièges.

31 https://www.marianne.net/economie/quand-la-france-et-l-allemagne-se-font-la-guerre-commerciale 32 https://www.lesechos-etudes.fr/etudes/industrie-btp/marche-aeronautique-civile1/ 33 http://transfer-lbc.com/fr/1493/aeronautique-embraer-la-reussite-dun-geant-bresilien.html

30

Bombardier développe deux nouveaux avions pour concurrencer les grands

constructeurs sur ce marché. Le CS100 et le CS30034 qui ont une capacité de 110 à 135

places. Ces avions sont construits en partie en matériaux composites et consomment

20% de carburant en moins par passager-kilomètre que les modèles actuels. Leurs

premiers vols ont été respectivement le 16 septembre 2013 et le 27 février 2015. Le

premier avion livré est un CS100 le 29 juin 2016 à la compagnie de lancement Swiss.

Bombardier dispose aujourd’hui de 360 commandes fermes pour 24 livrés. Embraer

construit des avions de taille similaire en service depuis plusieurs années. Les deux plus

grands membres de la famille d'avions E-Jet d'Embraer, les E190 et E195, ont une

capacité de sièges comprise entre 66 et 146. Les compagnies aériennes du monde

entier affrètent actuellement un total combiné de 713 de ces appareils. Ces avions

CSeries et E-Jet sont en concurrence directe avec les plus petites versions des Boeing

737 et des Airbus A320.

Une concurrence accrue apparait dans d'autres parties du globe. Les

constructeurs russes ont récemment produit le premier avion de ligne civil depuis

l'effondrement de l'Union soviétique. Le Sukhoi SuperJet 10035 est un avion de 75 à 95

places que ses fabricants affirment être plus efficace et moins coûteux à exploiter que

les avions Bombardier et Embraer. Sukhoi a déjà reçu plus de 250 commandes pour

l'avion, auprès d'acheteurs en Thaïlande, en Indonésie, en Hongrie et au Mexique ainsi

qu'en Russie. Les premières livraisons sont réalisées le premier trimestre de 2011, et il

est prévu de construire des versions allongées et « affaires » qui auraient une plus

grande capacité d'accueil. La division des avions civils de Sukhoi est détenue à 25% par

le conglomérat italien Finmeccanica, ce qui permet à Sukhoi de pénétrer plus

facilement les marchés occidentaux. Cependant, l’accident du 9 mai 2012 d’un

SuperJet 100 lors d’un vol de démonstration affaibli grandement l’image de

l’avionneur et impacte directement ses potentielles commandes en Europe. Un autre

avionneur russe, Irkut, a signé en 2010 un contrat avec le gouvernement russe pour

poursuivre ses travaux de recherche et de conception sur un grand avion commercial.

L'Irkut MS-21 sera disponible en trois variantes, avec des capacités allant de 150 à 212

places. Le premier prototype apparait en 2016, les livraisons sont prévues pour 2018.

La marque Sukkoi

Historiquement, les industries aérospatiales asiatiques ont produit un flot

continu d'entreprises d'avions commerciaux en faillite. La plupart des projets, tels que

les plans de la Corée du Sud dans les années 1990, pour fabriquer un avion régional de

50 places, et les tentatives des entreprises japonaises n'ont jamais dépassé le stade de

la planche à dessin. Le gouvernement indonésien a quant à lui injecté des milliards de

34 https://www.aerospace-technology.com/projects/bombardier2/ 35 https://fr.rbth.com/economie/79465-avions-russes-superjet-sukhoi

31

dollars dans le développement d'un avion à réaction régional dans les années 1990.

Deux prototypes ont été construits, mais le projet a finalement été abandonné. De leur

côté, les Chinois ont essayé de produire ce qui était essentiellement une copie du

Boeing 707 dans les années 1960, mais ce projet n'a pas dépassé le stade du prototype.

Cependant, l’entreprise japonaise Mitsubishi a récemment réintégré le

marché du jet régional. Le premier vol du MRJ9036 de 88 sièges a lieu le 11 novembre

2015, avec les premières livraisons prévues pour début 2020 au sein de la compagnie

All Nippon Airways. Mitsubishi a déjà 243 commandes fermes pour le MRJ90, et il

existe un second modèle plus petit qui comporte 78 places. En outre, les entreprises

japonaises sont responsables de la construction d'environ 20% de Boeing 777 et

environ 35% des nouveaux Boeing 787. Le transfert de technologie implicite dans ce

type d'arrangement augmente la possibilité pour les fabricants japonais de soutenir le

développement d'avions plus gros.

B. Le facteur « Chine »

Dans un avenir proche, la plus grande menace pour le duopole Boeing-Airbus

dans le secteur des gros avions viendra vraisemblablement de Chine. Comme ses

voisins asiatiques, elle a connu de faux départs dans ses tentatives de produire des

avions civils au cours des quarante dernières années. Mais ces échecs font maintenant

partie du passé.

En 2008, le gouvernement chinois a lancé la Commercial Aircraft Corporation

(COMAC). COMAC est un consortium d'entreprises aérospatiales chinoises réunies

pour poursuivre un seul objectif : développer et produire des avions commerciaux en

Chine. COMAC a immédiatement pris le contrôle d'un projet de biréacteur régional

déjà en cours de développement. La construction de l'ARJ-21 a débuté en 2002 et son

premier vol a eu lieu fin 2008. Cet avion a une capacité de 70 à 95 passagers et

comptait 303 commandes fermes fin 2012. Elles proviennent principalement de

compagnies aériennes chinoises. Sa mise en service commerciale à eut lieu le 28 juin

2016 entre Chengdu et Shanghai.

La plus grande menace potentielle pour Boeing et Airbus vient du C919 de

COMAC37. En effet, ce nouveau venu sur le marché des grands avions commerciaux a

une capacité de 168 à 190 passagers. Son premier vol a eu lieu le 5 mai 2017. Les

premières livraisons sont prévues pour 2020. Le C919 sera construit avec des

matériaux composites comme le carbone et sera alimenté par de nouveaux moteurs

économes en carburant. Ses concepteurs prévoient une consommation de carburant

de 12 à 15% inférieure à celle des Boeing et Airbus. Bien que cet avion ait été

développé par des ingénieurs chinois et sera produit en Chine, ses moteurs et ses

systèmes internes proviendront en grande partie de sociétés de technologie

aéronautique occidentales, notamment GE Aviation, Honeywell et Eaton Corp. Ces

fournisseurs étrangers travaillent en collaboration avec des entreprises chinoises qui

36 http://www.air-journal.fr/2018-01-01-mitsubishi-le-mrj-sera-la-en-2020-5192612.html 37https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/le-c919-de-comac-une-alternative-viable-a-l-airbus-a320-et-au-boeing-b737_471593

32

commencent à produire les composants. Cette méthode de travail implique, bien

entendu, un important transfert de technologie puisque les partenaires chinois de ces

entreprises acquièrent des connaissances et de l'expérience en travaillant avec des

fournisseurs étrangers sur chaque composant de l'avion. En outre, un transfert de

technologie supplémentaire a lieu à Tianjin, où Airbus a construit une ligne de

production complète pour l'Airbus A320. Des avions sont livrés à partir de cette usine

pour répondre aux commandes actuelles des compagnies aériennes chinoises.

Plusieurs entreprises locales servent également de sous-traitants à Boeing.

Le logo de la COMAC

Le projet C919 est révélateur de la volonté de la Chine de devenir une

puissance mondiale dans le secteur de l'aviation. Avec la création de COMAC et la mise

en route rapide du C919, la Chine envoie un message fort au reste de l'industrie38. Elle

entend devenir un acteur majeur non seulement en Chine, mais aussi sur le marché

mondial. En poussant cette initiative, le gouvernement chinois montre sa

détermination à accélérer l'évolution de sa base industrielle, celle d'un producteur à

bas prix, à forte productivité, sur un marché caractérisé par des technologies avancées,

conçues et fabriquées localement.

Le succès dans l'industrie aéronautique est un élément important de la vision

actuelle du gouvernement chinois. Cela aurait un impact positif sur une foule d'autres

entreprises liées à l'aviation, telles que l'électronique. Malgré les progrès récents,

l'industrie aéronautique chinoise est toujours confrontée à des défis majeurs. Le

secteur de l'aviation commerciale représente des coûts d'entrée très élevés. En outre,

les compagnies aériennes insistent sur la qualité, la fiabilité, la sécurité et le soutien

tout en assurant un prix compétitif. Compte tenu de la mauvaise réputation de la Chine

en matière de qualité des produits, les dirigeants des compagnies aériennes pourraient

être sceptiques quant à leurs engagements importants envers les avions chinois. Cela

dit, si la même détermination et capacité à mobiliser d'énormes ressources comme

celles accordées pour la construction du barrage des Trois Gorges sont alloué au

nouveau projet aéronautique, les chances d'un résultat positif peuvent être assez

élevées39.

38 http://www.leparisien.fr/economie/premier-vol-reussi-pour-le-comac-c919-rival-chinois-d-airbus-et-boeing-05-05-2017-6918939.php 39 https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/salon-le-duopole-airbus-boeing-confronte-a-une-concurrence-emergente-1687144.php

33

C. Quel avenir pour le duopole Airbus-Boeing ?

Pour relever le défi de ces nouveaux concurrents, Boeing et Airbus ont

plusieurs options. L’option de l’innovation incrémentale consiste à apporter de petites

modifications à la conception et à installer des moteurs plus efficaces pour réduire les

coûts d'exploitation de leurs plus petits avions. Une autre option vise à réorganiser

complètement ces avions et produire essentiellement de nouveaux modèles dans

cette classe de marché. La troisième est de maintenir le « statu quo » et de dépendre

de leur réputation de qualité et de service pour repousser les concurrents. Enfin, la

dernière porte sur les grands programmes d’innovation.

Quel que soit le plan d'action mis en place par les deux rivaux, ce qui leur pose

le plus de problèmes, c'est le chemin que ces nouveaux concurrents empruntent pour

conquérir des parts de marché40. Bien qu’ils aient tous deux bénéficié de subventions

gouvernementales, leurs nouveaux concurrents ont également bénéficié d'un

important soutien. A titre d’exemple, COMAC est épaulé par le gouvernement central

de la Chine et le gouvernement régional de Shanghai41. Bombardier utilise aussi

environ un milliard de dollars d'aide au lancement, des gouvernements du Canada et

de la Grande-Bretagne pour le développement de ses avions CSeries. De plus, Le

gouvernement britannique a également accordé des subventions à Bombardier pour

maintenir sa production en Irlande du Nord.

40 http://www.aeromorning.com/blog/airbus-boeing-a-fin-duopole/ 41 https://www.challenges.fr/entreprise/airbus-boeing-un-duopole-intouchable_162

34

Titre II : L’ère Enders, un tournant dans la

gouvernance de l’entreprise

35

Chapitre 1 : La nouvelle gouvernance mise en place par Tom Enders

Successeur de Louis Gallois, l’équilibre franco-allemand semblait respecté avec la nomination

de ce brillant cadre. Thomas Enders dit Tom, a étudié les sciences économiques, les sciences politiques

et l’histoire à l’université de Bonn et à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) mais aussi à

l'Institut international d'études stratégique de Londres.

L’actuel président du groupe Airbus connait bien la structure car il y travaille depuis 1991 où il

rejoint DASA (Daimler-Benz Aerospace). Il y a exercé différentes fonctions au département marketing

ou auprès de la direction générale, jusqu'à devenir responsable de la division Defence & Security

Systems et membre du Comité exécutif d'EADS. Il dirige alors la branche armements d'EADS. De juin

2005 à août 2007, il est l'un des deux coprésidents exécutifs du constructeur aéronautique européen,

avec Noël Forgeard, puis Louis Gallois. D'août 2007 à mai 2012, il est président d’Airbus commercial

aircraft, filiale d'EADS, maison mère dont il devient président exécutif le 31 mai 2012.

Il a longtemps été membre de la CSU et proche de Friedrich Merz, un ancien rival d'Angela

Merkel42. Il fut aussi proche de Tony Blair et à soutenu Emmanuel Macron lors de l’élection

présidentielle française de 2017.43

Il pouvait donc légitimement prétendre à la tête d’un des symboles de l’Union Européenne.

Au-delà de cette vision, Enders revendique une vraie pensée universaliste et mondialiste sans drapeau

ni patrie. Pour lui le « doux commerce » cher à Montesquieu devra guider le monde et le gouvernement

mondial assurera la paix perpétuelle. Mais avant que cette belle utopie ne se réalise il faut que ce

grand capitaine d’industrie se raccroche au réel. Ces idées politiques sont de faible importance lorsque

vous êtes cadre supérieur, mais lorsque vous prenez la tête d’un grand groupe et que vous avez

presque rang de chef d’Etat, il ne faut pas que son idéalisme personnel passe su dessus du bien

commun.

En tant que dirigeant lorsqu’un problème survient dans une structure il est normal que les

regards se tournent vers le « chef ». L’officier parachutiste de la Bundeswehr sait cela mieux que

personne et il semblerait qu’un tournant ait eu lieu lorsque l’affaire des Eurofighters fut déclenchée.

Plusieurs choix stratégiques et managériaux ont eu lieu à sa prise de fonction et il a placé

plusieurs personnes de son cercle rapproché à des postes clés de l’entreprise.

Section 1 : Le cercle rapproché de Tom Enders

A. John Conacher Harrison

John Conacher Harrison, né en juillet 1967 à Barming Heath, Maidstone au

Royaume Uni est l’actuel Directeur juridique, Ethique & Compliance du groupe Airbus

depuis janvier 2016 et a remplacé Pierre de Bausset en tant que secrétaire général.

Après avoir effectué son Master en droit à l’université de McGill au Canada, il intègre

en 1991 le cabinet d’avocats international Clifford Chance à Londres, New York et

Paris44 où il connaitra certains de ses futurs collaborateurs. En 1998, il fait sa première

entrée au sein d’Airbus GIE où il exerce plusieurs fonctions de responsable juridique.

Par ailleurs, depuis 1993, il est Avocat de la Cour suprême d'Angleterre et du Pays de

42 Odile Benyahia-Kouider, L’Allemagne paiera, éditions Fayard, 2013, pages 90-91 43 Présidentielle : le patron d'Airbus, Tom Enders, s'engage pour Emmanuel Macron, europe1.fr, 1er mai 2017 44 http://www.technip.com/en/personality/john-harrison#

36

Galles. En septembre 2013 il rejoint Technip à Londres en tant que Directeur juridique

jusqu’en Mai 2015 jusqu’à son absorption par FMC Technologies. Cette entreprise

américaine, de taille sept fois inférieure, a pu s’en emparer suite à des affaires de

compliance. Il a été appelé et recruté de nouveau chez Airbus Group dans le cadre

« l’opération main propre » lancée par Tom Enders.

B. Caroline Fagard (Harrison)

Après la liquidation de sa société « Plan C45 », l’ex-femme de John Harrison,

Caroline Fagard travaille désormais quant à elle chez « Forensic Risk Alliance » (FRA),

cabinet de conseil multi-juridictionnel expert en Forensic Accounting et eDiscovery en

tant que directrice senior. Ce cabinet d’intelligence économique américain a déjà été

mandaté pour auditer la société Technip par le passé. Dès à présent, dans le cadre de

l’enquête du SFO, il s’occupe du cas Airbus aux côtés du cabinet Hughes Hubbard &

Reed et Clifford Chance.

C. Sylvie Kandé de Beaupuy

Sylvie Yolande Soukeïna Kandé de Beaupuy a un parcours similaire à celui de

John Harrison. Tout d’abord avocate à la cour pour Clifford Chance, elle était chez

Technip jusqu’à 2015 (un an avant le rachat par l’américain FMC). Recrutée par John

Harrison, elle intègre alors Airbus en tant que Directrice de la compliance. Elle est aussi

membre du conseil d’administration d’Alstom et présidente du comité éthique.

D. Rainer Ohler

Directeur de la communication du groupe depuis le 1er juillet 2012, Rainer

Ohler était auparavant directeur des affaires publiques et de la communication chez

Airbus depuis 2006. Comme Tom Enders, il a d’abord entré à DASA, de 1995 à 2000.

Il a mis en place autour de Tom Enders une communication de crise très

efficace. Proactif, il est capable de négocier un droit de réponse dans la journée dans

tous les grands médias européens. Lorsqu’un article défavorable attaque Tom Enders,

un certain nombre d’articles élogieux sont publiés pour faire contre feu. L’annexe III

détail les mécanismes de cette communication.

E. Peter Kleinshmidt- avocat de Tom Enders

Docteur en droit de l’université Ludwig-Maximilians de Munich, d’un Master

en Droit de l’université de Berkeley en Californie et ancien Directeur juridique et

Secrétaire Général d’Airbus depuis 2000, Peter Kleinshmidt est Senior Legal Advisor. Il

rapporte directement à Tom Enders ainsi qu’à John Harrison l’ensemble des dossiers

pouvant les compromettre.

F. Paul Eremenko

Ayant travaillé à Google X ainsi qu’à la DARPA (agence de recherche du

renseignement américain) puis CEO du Airbus Silicon Valley innovation center, il est

45 https://geoprospect.mobi/societe.php?societe=8oaas3-52452072300023-7022z-plan-c-41-av-bosquet-75007-paris

37

choisi en juin 2016 par Tom Enders. Paul Eremenko n’est resté que 18 mois chez Airbus

Group en tant que Directeur technologique (CTO) du groupe.

G. Thierry Baril

Thierry Baril a été nommé Directeur des Ressources Humaines d'Airbus le 1er

juin 2012. En outre, Baril continue d'être le chef d'Airbus Commercial Aircraft en tant

que spécialiste des ressources humaines. Il a rejoint Airbus Commercial Aircraft en

2007 en tant que Vice-président exécutif des ressources humaines et est chargé de

définir et de mettre en œuvre la stratégie du groupe et répond donc directement à

Tom Enders.

Thierry Baril, tout comme son président directeur général, est un atlantiste convaincu.

Se rendant aux Etats-Unis à de nombreuses reprises, il s’inspire de la culture de la

Sillicon Valley en matière de transformation. Ainsi, c’est lui qui a démarché Paul

Erememko, nommé directeur de la recherche et développement du groupe pendant

18 mois après de nombreuses erreurs stratégiques.

Le parcours de Thierry Baril porte à interrogation puisqu’il a débuté sa carrière en 1988

en tant que Directeur adjoint des ressources humaines Boccard SA, et transféré à

Laborde & Kupfer-Repelec, filiale de GEC ALSTOM, en tant que responsable des

ressources humaines. A partir de 1995, il occupe les fonctions de Directeur des

Ressources Humaines d'Alstom Energy sur le site de Belfort. Suite à son expérience

chez Alstom, Thierry Baril devient directeur général des ressources humaines de

General Electric à la fin des années 1990.

H. Laura Perkins

Chargé de communication pour Airbus defense & Space elle est devenue la

principale collaboratrice de Tom Enders.

I. Denis Ranque

Appelé par Tom Enders en 2013, il intègre du conseil d’administration d’Airbus

et en devient Président. Il est aussi Président du conseil d'administration de la

Fondation de l'École Polytechnique ainsi que de la Fondation ParisTech. La

problématique de ces liens trop personnels a sûrement empêché le conseil de

surveillance de regarder d’un œil critique les décisions du CEO.

Section 2 : Le démantèlement de SMO et la fin des intermédiaires

SMO (Strategy Marketing & Organisation) anciennement dirigé par Marwan Lahoud

est un service d’Airbus Group qui a récemment fait l’objet d’une médiatisation importante. Il

s’agit d’une équipe comptabilisant près de 160 commerciaux et disposant d’un réseau

d’influence fort à travers le monde. Ils rendaient compte de leurs affaires et des négociations

avec les intermédiaires où la pénétration des marchés est complexe. En retour, ces derniers

les aidaient ponctuellement. Durant près de 15 ans, ce département a donné pleinement

satisfaction dans un strict anonymat. Il faudra cependant attendre 2012 pour que les

premières affaires fassent surface. Une première alerte met en avant une enquête

européenne sur des contrats militaires en Arabie Saoudite, en Roumanie et en Autriche.

En 2013, c’est l’affaire Kazakhgate qui met à mal le groupe (cf titre III chapitre I).

D’autre part, l’UKEF, l’agence britannique de crédit à l’exportation avait transmis au SFO

38

serious fraud office dès le mois d’avril 2017 un dossier dénonçant différentes irrégularités et

inexactitudes dans les dossiers d’aides aux exportations rempli par le groupe airbus. En effet,

en vertu d'une législation de 2006, les entreprises demandant des aides à l'export au Royaume-

Uni doivent faire état de tous les intermédiaires impliqués dans les négociations du contrat et

fournir la liste des sommes payées. Or, une étude de l’UKEF a pu révéler plusieurs inexactitudes

et contradictions dans les montants de commissions de consultants mentionnés dans les

demandes d’aides à l’exportation ainsi que des noms d'intermédiaires manquants dans les

archives et cela sur des déclarations faites sur plusieurs années. L’UKEF dénonce notamment

le fait qu'airbus est omis de mentionner le rôle joué par plusieurs intermédiaires dans

l’obtention de certaines commandes46. Face à ces soupçons l’agence de crédit à l’exportation

avait suspendu le soutien aux exportations du groupe aéronautique, une décision rapidement

suivie par les agences allemandes et françaises.

Pour faire face à ses différentes accusations le groupe airbus a décidé de mettre en

place un audit de tous les contrats conclus par le SMO. S’en est suivi un démantèlement des

forces commerciales d’Airbus passant par la cessation des activités du service concerné ainsi

que le départ de plusieurs de ses membres. C’est donc par une mutation structurelle de son

infrastructure que Tom Enders a choisi de répondre aux différents voyants rouges.

Il s’agit d’une restructuration violente que la direction du groupe justifie par

l’implémentation d’une nouvelle politique interne, celle de la transparence. Pour ce faire une

opération « main propre » a été mise en place. Ainsi le PDG du groupe annonce lors d’une

interview au Monde fin 2017 que les multiples irrégularités qui ont fait surface ont incité Airbus

à suspendre tout paiement vers leurs intermédiaires commerciaux47 . Ce dernier rassure les

médias en affirmant que « Nous coopérons totalement avec les enquêteurs. Améliorer notre

système de contrôle et de conformité est notre priorité numéro 1 »48. Cette restructuration du

business model du groupe vient mettre à mal ces pratiques commerciales et son efficacité. Ceci

est d’autant plus vrai que durant les deux derniers trimestres de 2018, on constate une

raréfaction des commandes qui interpelle les dirigeants du groupe aéronautique.

Bien que la situation actuelle semble être critique pour Airbus une source proche du

groupe vient tempérer le discours cataclysmique dépeint par médias. Loin d’être une

opération de démantèlement, il s’agirait pour notre source d’un simple départ groupé d’une

trentaine d’employés à la recherche d’autres opportunités. Ainsi, la grande part des anciens

employés du service SMO sont restés dans au sein du groupe aéronautique. D’autre part, bien

qu’il apparaît fort probable qu’une mesure disciplinaire prise par le SFO risque de tomber très

prochainement. Elles ne constituent cependant pas un aléa financier insurmontable. La

source confirme que l’amende devrait être de l’ordre de 3 ou 4 millions de livres sterling,

somme déjà pris en compte par le cours de l’action. De plus la suspension d’aides aux

exportations de l’UKEF ne vient pas compromettre la bonne santé de la compagnie

aéronautique. En effet, comme le souligne notre source proche « dans les sociétés modernes

on n’a pas besoin d’assurance-crédit, ces dernières ne représentent que 5 % des revenus

d’Airbus ».

46 https://www.capital.fr/entreprises-marches/airbus-vise-par-une-enquete-pour-corruption-au-royaume-uni-1154723 47 https://www.mediapart.fr/journal/france/310516/les-12-millions-d-euros-d-airbus-pour-le-premier-ministre-kazakh 48https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/selon-mediapart-gigantesque-scandale-corruption-concerne-airbus_11393761.html

39

Chapitre 2 : Les choix stratégiques qui portent à interrogation

Section 1 : L’absence de stratégie industrielle et technologique et l’obsession d’une

financiarisation

A. De la crise industrielle au manque de vision du PDG

Jusqu’en 2012, le capital d’Airbus était détenu à 22,35% par Lagardère et l'Etat

français, à 22,5% par DaimlerChrysler avec des banques régionales allemandes et à

5,45% par la holding publique espagnole CASA. Aujourd'hui, L’Etat Français et l’Etat

Allemand détiennent chacun 11% des parts et près de 74% du capital sont flottants.49

Les réussites et le nombre record de commandes engrangées par Airbus dans les années 1990 conduisent la direction à voir plus grand avec le lancement en 2000 du programme A380, le « paquebot des airs » destiné à battre le monopole des B747 sur les avions longs courriers de plus de 450 places.

Cette avancée à pas de géants ne se fait pas sans frictions et des luttes

d'influence se déroulent en coulisse entre Français et Allemands. Des rivalités apparaissent en France même après le décès, en 2003, de Jean-Luc Lagardère, avec à la clé un affrontement de succession entre Philippe Camus, président exécutif d'EADS, et Noël Forgeard, président d'Airbus. Dans un environnement en tension au sein du groupe, les premières difficultés industrielles apparaissent avec notamment des retards de livraisons des A380 et des perspectives de résultats en forte baisse.

Le groupe entre alors en pleine crise industrielle et actionnariale. Des

actionnaires déposent plainte pour fausses informations et délit d'initiés. Louis Gallois met en place un plan de restructuration industrielle, conduisant à la suppression de 10.000 emplois.

Le lancement du programme A350 en 2005 annonce également de

nombreuses problématiques liées au retard industriel face à son concurrent et au manque d'enthousiasme du secteur pour son nouvel appareil.

Dix ans plus tard, Airbus annonce toujours des retards sur les livraisons.

L’entreprise peine à trouver des acheteurs pour le programme A380 et A400M. Cela s’explique par des difficultés liées à des problèmes de management des projets et de choix industriel. Depuis 2014, le PDG du groupe manque à définir une véritable stratégie industrielle afin de contrer son homologue américain et peine à se positionner sur un marché en pleine transformation. Après l’échec de l’A380, Tom Enders est obligé de se concentrer sur les avions moyen-courriers, seul marché en expansion ces dernières années notamment en Asie et en Amérique du Sud. L’arrivée de COMAC dans les prochaines décennies va rebattre les cartes de manière importante puisque le constructeur chinois continu de grappiller le marché des moyen-courriers. Entre affaire de corruption en Autriche, enquête du SFO (Serious Fraud Office) et du PNF (Parquet national français) et enfin une succession à organiser depuis 2016, Tom Enders peine à trouver le temps de réfléchir à la solution pour relancer la machine Airbus.

49 https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-10-chiffres-cles-du-duel-entre-airbus-et-boeing-en-2016-

1208895

40

Début 2017, le dirigeant va alors établir un large plan de restructuration pour resserrer les liens des différentes entités du groupe et ainsi prendre le contrôle de la totalité des activités du groupe.

B. Le plan « Gemini », une restructuration à quel prix ?

La direction d’Airbus Group a fait part en Avril 2016 d’un important plan de restructuration et d'économies visant notamment à éliminer les doublons entre les différentes filiales du groupe et au sein de la maison-mère.

Le 1er Janvier 2017, la réorganisation de grande ampleur s’est effectuée au sein de l’avionneur. Airbus Group (maison-mère qui comprend Airbus, Airbus Defence and Space et Airbus Helicopters) a fusionné avec sa branche d'aviation commerciale (Airbus Commercial Aircraft) pour ne former plus qu'une seule et même entité. Cette annonce nommé plan « Gemini » implique une importante réorganisation de l'exécutif. Tom Enders, ancien Président directeur général d'Airbus Group a pris la direction de la nouvelle entité. De son côté, le PDG de la branche d'aviation commerciale Fabrice Brégier a également été nommé directeur général délégué d'Airbus. En qualité de COO (Directeur des opérations), il prit des responsabilités pour l'ensemble du groupe, parmi lesquelles la redéfinition des opérations digitales (la partie essentielle du programme de transformation du groupe), la chaîne d'approvisionnement globale et la qualité.

La restructuration engendre des suppressions de postes très importantes au sein du groupe : en tête de poupe, les cadres d’Airbus présent sur le site de Suresnes avec 1 164 suppressions de postes.50 Mais pas seulement les départements les plus touchés sont la communication, la recherche et développement (R & D), la stratégie et les affaires publiques, les ressources humaines ou encore l'informatique.

Tom Enders souhaite réorganiser l’approche de la recherche: « Seule une recherche appliquée sera déclinée au niveau des divisions

actuelles. La recherche fondamentale s'exercera au niveau du groupe avec l'objectif « d'irriguer » toutes les activités sur les grandes découvertes. A charge pour elles de les adapter à leurs besoins respectifs », a déclaré Tom Enders à la veille de la restructuration.51

La seule réorganisation de la recherche technologique provoquera selon la

CFTC la suppression de 400 postes (au maximum) sur 730 actuels. La communication verra ses effectifs fondre de presque un tiers puisque cent postes seraient supprimés sur les 380. Les syndicats avaient anticipé les licenciements secs notamment pour les personnels des sièges de Suresnes et d'Ottobrunn près de Munich qui refuseraient une mobilité vers Toulouse.

Le plan « Gemini », en plus de réduire les effectifs, recentre le pouvoir

décisionnel à tous les échelons et renforce la hiérarchisation au sein de toutes les

structures qui gravitent autour d’Airbus. Ceci affecte aussi les sous-traitants à tous

les niveaux qui doivent s’organiser en conséquence.

50https://www.ladepeche.fr/article/2016/11/29/2468278-airbus-le-detail-du-plan-de-reduction-de-postes-

devoile.html 51 http://www.businessinsider.fr/airbus-va-supprimer-des-postes-en-rd-ses-differentes-divisions-devront-se-

partager-ses-grandes-decouvertes/

41

C. La course à la financiarisation

Depuis la restructuration, une financiarisation excessive s’opère au sein du

groupe. Le budget R&D est ainsi passé de 7% du chiffre d'affaires dans les années

2000 à moins de 4% en 2018. Dans le même temps, les dividendes versés aux

actionnaires sont passés de 3 à 8 % de la masse salariale. Il existe un glissement de

l'investissement vers la recherche de rentabilité. Interrogé sur le sujet à l'occasion

de l'inauguration de la Leadership University d'Airbus Group, Tom Enders avait

affirmé « qu'il ne faut jamais exclure complètement de réduire les coûts. »

En 2016, Boeing passe largement devant son concurrent Européen. La

différence s'est faite sur les dépenses en recherche et développement : elles ont bondi

de plus de 43% chez Boeing (avec la poursuite du développement des programmes 737

Max et Dreamliner 787-10) alors qu'Airbus a réduit de 21% ses frais de R&D (compte

tenu de l'avancée des programmes A320 neo et A350) très en retard face à son

concurrent.

Dans un communiqué du 02 Février 2017, la CGT s’adresse direction à la

direction du Groupe afin de limiter la casse et appelle les salariés à participer à la

journée d’action nationale interprofessionnelle, le 21 mars 2017, pour la « reconquête

industrielle en France » :

« La CGT exige l’arrêt des plans de suppression d’emplois et de fermetures de sites ». - La CGT revendique l’augmentation substantielle des budgets de R&D et le

lancement immédiat de grands projets novateurs comme le successeur de

l’A320. C’est ainsi que nous maintiendrons l’avance technologique et commerciale

du groupe en répondant aux enjeux énergétiques, environnementaux et sociaux.

- La CGT du groupe Airbus proposera, dans les semaines à venir, une initiative

nationale qui permettra aux salariés de défendre leur industrie, les emplois

d’aujourd’hui et de demain, leurs conditions de travail et refuser les diktats

mortifères de la finance. »52

D. Les sociétés tierces

En outre, la suppression des budgets R&D implique des sanctions pour les

sociétés participant à l’innovation et à toute la chaine de production. Très exposées

à l’industrie aéronautique, les sociétés de conseil en technologie se sont préparées à

la fin des grands programmes de développement d’Airbus.

A compter du 1er avril 2014 et depuis lors, le constructeur continu de réduire

le nombre de ses fournisseurs passant de 21 en 2008 à 16 en 2014 puis 13 en 2017.

C’est la dernière étape de son programme, baptisé « E2S » (Engineering Synergy

Suppliers), qui avait été lancé en 2008 pour ramener le nombre de fournisseurs d’une

soixantaine de prestataires à une vingtaine. Ainsi, d’après un article publié fin

52 https://ftm-cgt.fr/airbus-dividendes-hausse-rd-investissements-sacrifies-22-fevrier-2017/

42

décembre 2016 dans Les Echos, un représentant syndical déclarait « la suppression de

500 à 2.000 postes de consultant d’Altran dans les deux ans sur Toulouse ».53

Quelle est donc la stratégie de Tom Enders à prendre un tournant aussi serré

concernant la recherche et développement d’Airbus ? Une industrie où la compétition

règne depuis plus de 30 ans face à Boeing et bientôt face au géant chinois COMAC, ne

devrait-il pas alerter sur le risque de perte de vitesse de l’avionneur si une innovation

n’est pas largement encouragée ?

Section 2 : Le changement de modèle de R&D

A. Enders, seul et puissant ?

Le plan Gemini s’étant déroulé sur 10 mois, le groupe entier est dorénavant sous la seule direction de Tom Enders. Est-ce adéquat de laisser le pouvoir unique à un seul dirigeant manquant de vision ? La nomination de Fabrice Brégier en tant que Directeur d’Airbus Commercial et Directeur géneral délégué d’Airbus est-il le seul rempart à la toute-puissance Enders ? Depuis la restructuration, Enders n’a de cesse d’agrandir son cercle rapproché afin d’avoir la main mise sur toutes les branches de la société (cf Rainer Ohler – communication, Peter Kleinshmidt – Compliance & juridique, John Harrison – Compliance, Harald Wilhelm – CFO, Thierry Baril - RH) au dépend du Directeur délégué, Fabrice Brégier.

Tom Enders, affaibli par les affaires de corruption présumées, est prêt à quitter la tête du groupe à la fin de son mandat en 2019. Il a tout d’abord écarté le numéro deux Fabrice Brégier. Le géant aéronautique européen a réuni son conseil d'administration le 14 décembre 2017 sur fond de sanglants règlements de compte au sein de l’équipe dirigeante. La situation est ubuesque : affaibli par les nombreuses affaires de corruption présumées, le président exécutif Tom Enders semble prêt à quitter le groupe à l'échéance de son mandat, en mai 2019.54

Comment en est-on arrivé là ? Le duo Enders-Brégier, derrière l'affichage officiel d'une entente cordiale, a toujours été basé sur un calcul diplomatique. Enders tolérait un Fabrice Brégier puissant, pour peu qu'il ne brigue pas ouvertement le poste de numéro un. Brégier acceptait son poste de numéro deux à condition qu'on lui laisse le contrôle total de directeur d’Airbus commercial. Or cette ligne rouge a été franchie par le patron allemand lorsque celui-ci, après avoir récupéré les pleins pouvoirs sur la finance, les ressources humaines et la communication, a aussi retiré à Fabrice Brégier la gestion du commercial. Eric Schulz, successeur de John Leahy, rapportera ainsi directement à Tom Enders, et non plus à Fabrice Brégier.

B. Paul Erememko, l’erreur stratégique de Tom Enders

Le PDG d’Airbus, Tom Enders, fasciné par la culture américaine, a décidé en 2014 de recruter via Thierry Baril un jeune cadre qui devait révolutionner la direction de la recherche et développement du groupe. En arrivant chez Airbus en 2015, Paul Emerenko devait initialement créer un laboratoire d’innovation disruptif en Californie

53https://investir.lesechos.fr/pea-pme/dossiers/l-impact-de-la-baisse-de-rd-chez-airbus-devrait-avoir-un-

effet-limite-dans-les-ssii/l-impact-de-la-baisse-de-r-d-chez-airbus-devrait-avoir-un-effet-limite-dans-les-ssii-

952799.php 54https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/enders-bregier-reglements-de-comptes-a-ok-

airbus_519845

43

et installer un modèle « sillicon valley ». Dans la guerre économique qui fait rage entre l’avionneur américain et européen, ou l’information est la clé de la réussite sur l’autre, qu’est ce qui a pu pousser Tom Enders à recruter un ancien employé de Google et du Pentagone ?

Moins d’un an après sa prise de fonction à la tête du pôle innovation, Paul Erememko fait déjà trembler les ingénieurs qui peinent à comprendre son raisonnement et sa vision de l’avenir de l’aéronautique. Néanmoins, il est conscient que sa méthode est très radicale. « Ce que nous faisons avec notre système de recherche et de technologie en ce moment n’est rien de moins que de la destruction créatrice. Nous sommes essentiellement en train de démonter le système et de le reconstruire en même temps », explique-t-il en 2015.55

Depuis son arrivée dans les rangs d’Airbus, ce jeune Américain de 36 ans (à l’époque) multiplie les questionnements. Il a notamment supprimé le projet d’avion électrique E-Fan alors que celui-ci était en passe d’accéder au stade industriel. Ce petit avion biplace, qui avait réalisé la traversée de la Manche avec succès en 2015, était pourtant présenté comme une avancée majeure par Airbus dans l’optique de concevoir un avion plus grand et plus électrique.

Le caractère iconoclaste de Paul Eremenko ne doit rien au hasard. Né en 1979 à Lviv, en Ukraine, il a été diplômé du MIT (Massachusetts Institute of Technology). De 2009 à 2013, il fait ses classes au sein de la Darpa, l’agence de recherche et de développement du Pentagone, avant de rejoindre Motorola, où il développe le projet Ara, nom de code correspondant à un projet de smartphone modulaire. Il embarque ce dernier dans ses cartons lorsqu’il rejoint Google X, qui décidera finalement d’abandonner le projet. En 2015, il intègre Airbus dans la Silicon Valley avant de devenir le CTO du groupe en 2016.

L’ancien de la DARPA souhaite également qu’une partie de la recherche et de l’innovation d’Airbus soit opérée en Chine. L’Américain estime que Shenzhen serait intéressant pour installer un centre dédié aux systèmes autonomes et à l’innovation autour du drone. « Ce n’est plus un duopole entre Airbus et Boeing. La Chine ne peut pas être ignorée. Il est clair que nous devons avoir une présence en matière d’innovation en Chine », précise Paul Eremenko. Pourquoi donc transférer le savoir technologique d’Airbus dans la Silicon valley, terre de son rival historique, et en profiter pour déplacer son innovation en Chine ou l’avionneur COMAC - nouvel entrant Chinois en pleine expansion, utilise tous les outils pour rattraper les deux géants ?

De nombreuses sources internes au groupe ont assuré être absolument

stupéfait par la nomination de Paul Erememko mais également outragé par son travail et sa vision de la recherche et développement. Ce dernier s’est très mal entendu avec tous les dirigeants des différentes entités et notamment Guillaume Faury, alors dirigeant d’Airbus Helicopters qui refusa catégoriquement que l’Américain ne prenne connaissance du projet Taxi volant CityAirbus. Les 250 chercheurs du site de Suresnes, qui ferme définitivement fin Juin 2018, n'ont pas eu droit à une seule visite. Ainsi, en 6 mois, l’Américain a fait chuter le pourcentage de

55 https://www.ft.com/content/0059dd86-14a9-11e7-b0c1-37e417ee6c76

44

la R&D de 5% à 3%. Tous les chantiers alors à l’œuvre au sein de la recherche d’Airbus ont été démantelés : Erememko ne veut plus d’avion électrique, il veut développer le marché des voitures volantes. Coup dur pour l’avionneur qui base son chiffre d’affaire des deux dernières années sur la recherche d’innovation toujours plus pointue pour devancer son homologue américain.

Seulement 17 mois après sa nomination comme directeur technique du groupe, l'Américain Paul Eremenko a décidé de quitter l’entreprise. L’ancien employé de la DARPA part-il avec les plans et la connaissance stratégique du groupe après avoir saboté complètement la branche innovation et donc déstabilisé le groupe face à Boeing ?

Un membre de la CGT d’Airbus a déclaré le lendemain du départ de l’américain que « Dans la destruction créatrice qui nous était promise, on a bien vu la destruction, pas vraiment la création »

45

Titre III : Un avenir incertain

46

Les choix de management de Tom Enders sont soumis depuis plus d’un an à de nombreuses

critiques dans la presse française comme allemande. Historiquement, son leadership était très

apprécié aussi bien en interne que dans les liens qu’il entretenait avec les interlocuteurs extérieurs de

la société.

En effet, M Enders est mis directement en cause dans le dossier des Eurofighters et il est même

responsable pénalement des faits de corruption puisque c’est lui qui dirigeait à l’époque la branche

défense d’EADS. Comme Patrick Kron dans l’affaire Alstom/GE il se pourrait qu’une pression réelle ou

soupçonnée d’une puissance ait influencé ses décisions. Il aurait alors demandé au SMO (Strategy

Marketing Organization) de Marwan Lahoud de l’aider dans ce dossier et celui aurait refusé tellement

l’affaire semblait compliqué.

Lorsque le SMO a fait remonter en 2015 au UK Export Office56 qu’il y a eu de fausses

déclarations depuis 2006, ce dernier lui demande de poursuivre son enquête. Cet assureur britannique

joue le même rôle que la Coface (Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur). C’est

une société d’assurance-crédit dont la mission est de protéger les entreprises d’éventuels impayés de

la part d’autres sociétés clientes. Airbus était donc tenu par son contrat de lui déclarer ces

« imprécisions » dans la gestion des intermédiaires.

En 2016, au vu des éléments que la société a porté à sa connaissance, le UK Export Office a

voulu porter l’affaire en justice. Airbus a décidé de prendre les devants en se dénonçant en avril 2016

auprès du SFO (Serious Fraud Office). Le dirigeant fut alors obsédé par les affaires de corruption et il a

développé dans l’entreprise une politique de compliance à tout prix.

Chapitre 1 : Des incertitudes intrinsèques à l’entreprise : l’épée de Damoclès des sanctions juridiques

La stratégie de Tom Enders de faire table rase du passé par « l’opération main propre » a fait

entrer le constructeur aéronautique dans une phase d’instabilité très longue. Il fallait certes ne pas

donner un angle d’attaque notamment aux Américains. Dénoncer ces oublis ne représente pas en

l’espèce une faute extrêmement grave. Ce n’est pas de la corruption active d’agent public étranger.

Jusqu’à preuve du contraire, des mallettes de billets n’ont pas été donné de la main de M Enders à un

homme politique afin d’assurer la signature de contrat de milliards de dollars. Il s’agit ici du travail des

intermédiaires qui doit être traçable. Chaque acte réalisé par ces agents commerciaux ou leurs équipes

doivent être justifiés afin d’éviter une corruption indirecte.

Mais au-delà, en ouvrant la boite de Pandore de cette manière est-ce que la société ne va pas

en sortir trop affaiblie ?

L’extraterritorialité du droit américain est une arme juridique redoutable contre les

entreprises françaises. Après Alstom, Alcatel, BNP Paribas, Technip… Airbus ? Les Américains utilisent

leur droit pour s'imposer économiquement. Ce rapport de force juridique va jusqu’à influencer la

législation française ce qui a un impact sans précédent sur nos entreprises.

56 https://www.gov.uk/government/organisations/uk-export-finance Le UK EXPORT OFFICE comme le COFACE en France sont des assurances qui couvre les entreprises contre les impayés notamment.

47

Au regard des affaires passées nous allons voir comment Airbus se défend dans ce combat très

particulier de la guerre économique : la bataille juridique.

L’affaire Airbus est plus complexe que les cas précédents de Technip ou Alstom que nous allons

évoquer. Tout d’abord parce que les dossiers sont en cours et l’on ne peut donc pas préjuger de savoir

si la défense adoptée par Tom Enders est la bonne, mais aussi parce que la multitude des procédures

engagées brouille les cartes.

Après avoir fait un point de situation sur les affaires judiciaires, nous ferons un focus sur

l’application de l’extraterritorialité du droit américain à la vue des exemples passés.

Section 1 : Point de situation sur les affaires en cours

Les affaires qui touchent Airbus concernent des juridictions de pays différents. Même

si les Etats-Unis restent en position d’observateur il est important de comprendre les

mécanismes qu’ils peuvent actionner et qui poussent les dirigeants de l’entreprise à appliquer

la compliance dans l’esprit de la loi américaine.

A. Une entreprise mondialisée aux prises avec le droit international

Airbus traverse une zone de turbulence juridique inédite. Il existe aujourd’hui

plusieurs dossiers liés à des affaires de corruption dont certaines font actuellement

l'objet de procédures judiciaires dans différents pays.57

1. Le Royaume-Uni

Lorsque Tom Enders et son directeur juridique John Harrison se sont

présentés au UK Export Office pour indiquer qu’Airbus avait omis de déclarer

certains intermédiaires, ils ne pensaient peut-être pas que la machine

judiciaire allait se mettre en place de telle manière.

Le SFO (Serious Fraud Office) semble avoir trouvé le fil d’une pelote

qu’il entend dérouler jusqu’au bout. Or, les responsables d’Airbus n’avaient

pas l’air de connaitre l’ampleur du phénomène. Selon la lettre spécialisée

Intelligenceonline, les irrégularités porteraient sur un énorme contrat conclu

en 2010 pour la vente de 34 Airbus A320 à Turkish Airlines d’un montant de

2,2 milliards d’euros.

Cette opération « main propre » a commencé en 2015 par un grand

audit interne. Il y aurait eu plusieurs fausses déclarations depuis 2006. Une fois

que ces irrégularités ont été découvertes, Airbus était tenu par contrat de les

signaler au UK Export Office. Ce dernier leur aurait demandé de continuer les

investigations. Ce n’est qu’en avril 2016 que le SFO fut saisi.

Initialement, l’entreprise aurait voulu classer les intermédiaires en

trois catégories. Ceux qui étaient en règle, ceux où il y avait des doutes et ceux

57 http://www.lefigaro.fr/societes/2018/02/15/20005-20180215ARTFIG00307-airbus-les-etats-unis-veulent-en-savoir-plus-sur-les-enquetes-pour-corruption.php

48

qui n’était pas du tout traçable. Mais à la vue de l’ampleur du travail, Airbus a

décidé de ne plus payer ces intermédiaires.

La motivation de cette dénonciation auprès des autorités britanniques

est sûrement guidée par la volonté d’éviter de se retrouver devant le

Department Of Justice (DOJ).

2. L’Autriche

Tom Enders figure parmi les personnes visées par une enquête en

Autriche pour des faits de corruption et de fraude présumés sur la vente

d'avions de combat Eurofighter. « Le procureur de Vienne nous a informés cet

après-midi, pour la première fois, que tous les individus qui figurent dans un

document du parquet financier autrichien étaient visés par une enquête. Cette

liste inclut Tom Enders », d’après le constructeur européen (déclaration

d’Airbus du 26 avril 2017).

L'Autriche a porté plainte en février 2017 contre Airbus, à qui elle

réclame jusqu'à 1,1 milliard d'euros pour des faits de corruption et de fraude

présumés liés à un contrat controversé de vente d'avions de combat

Eurofighter en 2003. A l'époque, Tom Enders dirigeait la branche défense du

groupe EADS, devenu Airbus Group depuis. Le gouvernement autrichien

entend réclamer un remboursement du préjudice, estimé au minimum à 183,4

millions d'euros, correspondant à des commissions facturées de manière

occulte.

3. Le « Kazakhgate »

Les justices belges et françaises enquêtent aussi sur la vente de 45

hélicoptères Eurocopter au Kazakhstan, en octobre 2010. Dans ce dossier du

« Kazakhgate, » les juges tentent de tirer les fils des commissions sur la vente

de satellites et d’hélicoptères entre 2009 et 2011, et d'établir le rôle des

intermédiaires, ces agents commerciaux censés ouvrir des portes à l'étranger

mais qui parfois, sont là pour verser des pots de vin.

Tom Enders, deux autres hauts responsables d'Airbus Group et

l'avocate Noëlle Lenoir ont été entendus comme témoins par les policiers

anticorruptions de l’Office central de lutte contre la corruption et les

infractions financières et fiscales (OCLCIFF), à la demande des juges

d'instruction du pôle financier de Paris.

Dans cette enquête, ouverte en mars 2013, les juges cherchent à

établir si la signature des contrats a donné lieu à des versements de

commissions illégales à des intermédiaires. Une perquisition avait été menée

en février 2016 au siège du groupe à Suresnes, près de Paris. À cette occasion,

les enquêteurs ont découvert que « dans le cadre de la vente de deux satellites

au Kazakhstan, en 2009, le groupe a versé 8,8 millions d'euros » sur un compte

détenu à Singapour par une société offshore immatriculée à Hong Kong.

49

La justice soupçonne aussi une équipe proche de l'Élysée de s'être

activée pour influencer des politiques en Belgique, dont Armand De Decker,

l'ancien président du Sénat belge. Le but aurait été de faire passer une loi en

faveur de l'oligarque belgo-kazakh Patokh Chodiev et de deux de ses associés

pour qu'ils échappent à une condamnation en Belgique. En échange, Patokh

Chodiev devait jouer de son influence à Astana pour aider la France à

décrocher des contrats commerciaux.

Plusieurs personnes ont été mises en examen, notamment pour

corruption d'agent public étranger : l'ancien préfet et ex-conseiller à l'Elysée,

Jean-François Étienne des Rosaies, l'ex-sénateur UDI Aymeri de Montesquiou,

et l'ancienne avocate de Patokh Chodiev, Catherine Degoul.

Le groupe aéronautique européen a été placé le vendredi 22 juin 2018

sous le statut de témoin assisté à l’issue d’une audition par les juges

d’instruction. « Airbus a été placé sous le statut de témoin assisté dans le cadre

d’une procédure en pleine coopération avec la justice française à la suite d’une

audition d’un de ses représentants », a indiqué à l’agence France-Presse un

porte-parole du groupe sans mentionner l’enquête.58

4. L’Allemagne

L’Allemagne a aussi enquêté sur l’affaire des Eurofighter. Ces pots-de-

vin qui auraient été versés en 2003 devaient convaincre les décideurs

autrichiens de lui acheter 18 avions de chasse Eurofighter. Le parquet de

Munich a blanchit en février 2018 Airbus de corruption mais l'accuse de

négligence dans la vente.

Il n’y a pas dans ce dossier de corruption liée à la transaction, et le

parquet a mis fin aux poursuites pénales, notamment à l'encontre de Tom

Enders. Il évoque toutefois des négligences et a réclamé des pénalités

importantes.

Airbus a accepté une « pénalité administrative de 81,25 millions

d'euros, composée d'une amende administrative de 250 000 euros et d'un

redressement de 81 millions ».

Innocent mais coupable pour le juge car il y a eu des négligences de

supervision de l'ancienne direction d'Airbus Defense and Space. La justice

allemande explique donc que les 81 millions réclamés correspondent à la «

négligence de l'ancienne direction à mettre en place des mécanismes de

contrôle interne adéquats, qui auraient pu empêcher des employés d'effectuer

des paiements à des partenaires commerciaux sans prestations réciproques

prouvées et documentées ».

58 https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/06/23/kazakhgate-airbus-place-sous-le-statut-de-temoin-assiste_5319958_1653578.html

50

En six ans d'enquête, le parquet n'est pas parvenu à retracer la

destination de quelques 80 millions d'euros de factures, mais n'a pas non plus

réussi à les lier à des caisses noires ou des manœuvres d'évidence

frauduleuses. Le parquet de Munich salue les efforts menés par Airbus pour

améliorer ses structures d'éthique et de « compliance ». L’enquête est donc

close, mais l’on pourrait supposer que la pression mise sur Enders l’a au moins

inconsciemment incité à coopérer plus que de mesure avec la justice anglaise.

De même sa mise en cause personnelle, pour défaut de contrôle, a surement

joué un rôle dans ses prises de décision lorsqu’il a pris la tête de l’entreprise.

Se sentant trahi, cela pourrait expliquer aussi le tournant « autocratique » de

Tom Enders.59

Ce cas illustre bien la problématique juridique des dossiers Airbus. En

effet, c’est au parquet d’apporter la preuve qu’il y a eu corruption. En l’espèce,

il n’a pas pu le faire donc Airbus n’est pas pénalement condamnable. Dans le

cas d’une procédure anglo-saxonne, c’est à l’entreprise d’apporter la preuve

qu’elle n’a pas enfreint la loi. Or, le système des intermédiaires est si complexe

qu’il est difficile de prouver l’usage qui a été fait des fonds par les

intermédiaires.

5. La France

Ce n’est qu’en mars 2017, suite à des irrégularités constatées au

niveau de la déclaration de ses intermédiaires, que le Parquet National

Financier (PNF) français va ouvrir une information judiciaire.

Celle-ci sera actionnée sur le fondement de l’article 40 du Code de

Procédure Pénale. Ce texte prévoit que la personne portant ces faits à la

connaissance de la justice peut être, soit un citoyen, soit un fonctionnaire. Or,

si dans le premier cas le parquet n’est pas obligé de poursuivre, lorsqu’il s’agit

d’un fonctionnaire la procédure doit être obligatoirement lancée. Il ne s’agit

pas ici de n’importe quel fonctionnaire. En effet, la lettre émane directement

du Trésor. Cela aussi est chose courante, mais au lieu que cela soit un cadre

quelconque, ce sera directement à Odile Renaud-Basso, la directrice générale

du Trésor, d’écrire le courrier.

Ce signal peut démontrer que le gouvernement français est inquiet par

la tournure que prend le dossier. L’affaire Alstom a quand même mis en cause

de nombreuses personnalités, dont l’actuel Président de la République, qui

était au moment des faits secrétaire général adjoint de l’Elysée.

Cela permet aussi à la justice française de disposer d’informations sur

ce qui se passe dans l’entreprise, alors que les juridictions britanniques et

américaines en savent plus qu’elle. Peut-être qu’in fine, l’Etat français pourra

partager l’amende avec les Britanniques.

59 Marie-Pierre Gröndhal, « Airbus en pleine turbulences », Paris Match, semaine du 19 au 25 septembre 2017, page 43.

51

6. Autres

A ces affaires de corruption s’ajoutent des procès intentés par des

partenaires du groupe. En effet, la rémunération de tous les agents

commerciaux dans le monde a cessée depuis septembre 2014. Certains ont

donc décidé de porter l’action en justice.

Ainsi le 23 novembre 2017,60 la cour d'appel de Toulouse a donné

raison à Mohammad Porkar : cet homme travaillait depuis quatre ans avec

Airbus ; après avoir contribué à l'achat par l'Azerbaïdjan de plusieurs satellites

fabriqués par Airbus Defence and Space, pour 157 millions d'euros, il réclame

la commission de 3,36 millions d'euros prévue ; Airbus est condamné par la

justice française à régler cette somme.

De même, l’entreprise est condamnée à payer les commissions plus

des dommages et intérêts ainsi que des frais de justice pour des contrats

légalement passés. « Le 19 mai 2014 la Sa Spot Image devenue aujourd’hui la

SA Airbus DS GEO a conclu avec la société Orient Bridge Limited (Orient Bridge),

société de droit des Emirats Arabes Unis, un contrat d’assistance à la

commercialisation d’un satellite Spot 7, d’une station de contrôle au sol, d’une

station multi mission au sol et/ou d’un Data center et/ou d’un centre

thématique auprès du ministre des télécommunications et des hautes

technologies de la République d’Azerbaïdjan moyennant une rémunération de

3 % des ventes et incluant une clause compromissoire d’arbitrage en cas de

litige. Des accords de vente de satellites ont été signés pour un montant de 157

millions d’euros. Le 16 février 2016 la SA Airbus DS GEO a demandé à la société

Orient Bridge d’établir sa facture pour un montant de 3.363.179 € puis le 1er

mars 2016 a sollicité une nouvelle version de cette facture datée du 5 octobre

2015 réalisée aussitôt et transmise le 4 mars 2016 mais restée impayée. » La

cour condamne la SA Airbus DS GEO à payer à la société Orient Bridge Limited,

la somme provisionnelle de 3.363.179 €, qui porte intérêt à compter du 19 avril

2016 au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne, à son

opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de

pourcentage.

Cette liste n’est pas exhaustive et bien d’autres affaires sont encore

susceptibles d’apparaitre. Pour sa défense, Airbus explique que ces exemples

démontrent la régularité de ces contrats. Mais d’un autre côté, est-ce qu’un

intermédiaire, qui a utilisé la corruption, va venir se dénoncer auprès des

autorités judiciaires ?

B. Un historique édifiant : plusieurs entreprises déjà condamnées

Tous ces déboires judiciaires rappel de nombreuses affaires similaires. En

octobre 2016, le rapport Berger-Lelouche faisait déjà mention de plus de 6 milliards de

pénalités payés par les entreprises européennes, depuis 2008, à cause du Foreign

60 CA Toulouse, 3e ch., 23 nov. 2017, n° 17/01931.

52

Corruption and Practices Act (FCPA). En 2017, les sanctions record imposées à

l’entreprise suédoise de télécommunication Telia ont fait passer ce nombre à plus de

7 milliards.

Un tableau représentatif des plus grosses indemnités payées par les

entreprises, tant américaines qu’étrangères, au titre de sanctions pour corruption

entre 2008 et 2017 permet de constater que les entreprises européennes sont

particulièrement visées.61.

Deux cas particuliers parmi tant d’autres sont détaillés ci-dessous afin

d'illustrer ce mécanisme. Il est frappant ici de noter le rachat consécutif de ces sociétés

françaises par des sociétés américaines, suite à ces affaires de corruption. Le cas

Technip est d’autant plus parlant que FMC Technologies, qui a racheté cette entreprise

en 2016 était de taille bien inférieure.

1. Le cas Alcatel – Lucent :

L'affaire de corruption de l’entreprise Alcatel-Lucent remonte au

début des années 2000. Précédant la fusion avec l'Américain « Lucent », le

fleuron français aurait versé des pots-de- vin aux représentants de pays

d'Amérique du Sud et d’Asie dans le but de décrocher et/ou conserver des

contrats.

En 2005, une procédure avait déjà été lancée en France au sujet de

potentielles corruptions au Costa Rica. Des premiers éléments étaient ressortis

du rapport du procureur de la République confirmant les soupçons de

corruption d'agent public étranger, avec des fonds tirés de la trésorerie

d'Alcatel CIT.

De son côté, la Securities and Exchange Commission (SEC) (Le

gendarme de la Bourse américaine) avait déposé plainte pour pratique

frauduleuse, l’organisme évoquant des pots-de-vin qu'Alcatel aurait versé à

des responsables gouvernementaux au Costa Rica, au Honduras, en Malaisie

et à Taïwan entre décembre 2001 et juin 2006.

En 2009, tous les commerciaux - environ 350 - dits consultants ou

agents accusés ou soupçonnés de corruption, ont été licenciés, et le groupe a

indiqué avoir mis en place des processus pour éviter que ce genre de pratique

ne se renouvelle.

Le 27 décembre 2010, l’entreprise Alcatel-Lucent a conclu un Deferred

Prosecution Agreement (DPA) avec le Departement of Justice (DOJ). Les termes

61 Cf annexes II

53

de cet accord stipulent la suspension pour une durée de 3 ans des poursuites

engagées contre Alcatel-Lucent. Cette suspension sera effective moyennant le

paiement d’une amende de 92 millions de dollars et sous réserve du respect

des obligations mises à sa charge en vertu de l’accord. A cela s’ajoutent 45

millions à la SEC, soit un total de 137 millions de dollars ; ce montant inclut les

bénéfices obtenus sur les contrats illégalement décrochés (Court

DocketNumber: 10- CR-20907).

2. Le cas Technip :

Le groupe français de services pétroliers Technip a payé 338 millions

de dollars d’amendes cumulées pour solder les poursuites liées à des faits de

corruption au Nigeria (240 millions de dollars pour solder des poursuites du

DOJ au pénal, et 98 millions de dollars pour des poursuites intentées par les

autorités boursières (SEC)).

Selon la SEC, « Technip faisait partie d'une coentreprise avec trois

autres sociétés qui s'est livrée à la corruption de responsables

gouvernementaux nigérians durant une période de 10 ans afin d'obtenir des

contrats d'une valeur dépassant les six milliards de dollars ». Un partenaire

américain de Technip, KBR et sa maison-mère Halliburton, avaient déjà soldé

les poursuites liées à ces faits qui remontent à la période 1995-2004, avec une

amende de 402 millions de dollars. Il s'agissait de contrats pour construire des

installations de gaz naturel liquéfié sur le site de Bonny Island. Les autorités

ont expliqué que Technip tombait sous le coup de la loi américaine, parce

qu'elle avait eu des titres cotés aux Etats-Unis entre 2001 et 2007. Le groupe

français détenait 25% du consortium mis en cause, aux côtés de KBR et de deux

sociétés italienne et japonaise.

Technip a ensuite mis en place un système de surveillance

indépendant pendant deux ans et a participé aux enquêtes en cours de la

justice. La SEC a précisé que Technip n'avait ni reconnu ni nié les faits qui lui

étaient reprochés, et que les 98 millions d'amende que le groupe avait accepté

de verser, dans un accord soumis à l'approbation de la justice, correspondaient

aux gains mal acquis dans cette affaire. « A des moments clé précédents l'octroi

des contrats, un haut responsable de Technip, l'ex-directeur général de KBR

« Jack » Stanley et d'autres rencontraient les responsables successifs d'un

54

bureau de haut niveau du gouvernement nigérian pour leur demander avec qui

négocier les pots-de-vin », selon les informations du ministère de la Justice.62

Le 28 juin 2010, l’entreprise Technip a conclu un DPA avec le DOJ, aux

termes duquel ce dernier accepte de suspendre pour une durée de 2 ans les

poursuites engagées contre Technip, pour sa participation à des faits de

corruption d’agents publics étrangers commis au Nigéria, moyennant le

paiement d’une amende de 240 millions de dollars, et sous réserve du respect

des obligations mises à sa charge en vertu de l’accord (Court DocketNumber :

10-CR-439).

Section 2 L’extraterritorialité du droit américain une arme de guerre économique

redoutable

L’affaire Alstom-General-Electric63 quant à elle est un exemple tellement frappant de

la violence avec laquelle la loi américaine a été utilisée contre une entreprise française, qu’une

enquête parlementaire a été déclenchée. Aujourd’hui, les affaires dans lesquelles Airbus est

plongé, s’avèrent mortifères même si ce symbole européen est d’une taille critique qui devrait

peut-être le protéger. Néanmoins l’affaiblissement de la société permet de se poser la

question : à qui profite le crime ?

Dans la guerre économique, le rôle normatif du droit est une pièce maitresse que

certains pays utilisent avec plus ou moins de finesse. En ce qui concerne les Etats-Unis, ils

avancent masqués sous couvert de bons sentiments : « Le résultat est que les efforts mis en

place pour soutenir la démocratie dans les pays sont réduits à néant si les commerciaux

internationaux estiment qu’on ne peut pas gagner un marché sans pots-de-vin » (Juge Arterton

lors du procès Pierruci). Frédéric Pierruci, cadre de l’entreprise d’Alstom, a été jugé pour avoir

utilisé des pots-de-vin afin d’obtenir un contrat en Indonésie. Cet homme a été condamné au

nom de la vertu, car les États-Unis ne peuvent admettre la corruption. Mais ce n’est qu’une

façade car la logique cachée est de ne pas mettre les entreprises américaines condamnées en

position d’infériorité par rapport à la concurrence étrangère. « Mais plus encore, c’est la façon

dont ces logiques ont été appliquées qui est difficilement acceptable : déceler si possible une

62 http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/corruption-au-nigeria-technip-condamne-338-millions-de-dollars-d-amendes-28-06-2010-981158.php 63 Etats-Unis contre Alstom : Le 22 décembre 2014 l’entreprise Alstom a conclu un DPA avec le DOJ aux termes duquel ce dernier accepte de suspendre, pour une durée de 3 ans, les poursuites engagées contre Alstom pour sa participation à des faits de corruption d’agents publics étrangers commis notamment en Indonésie, en Egypte, en Arabie saoudite et aux Bahamas, moyennant le paiement d’une amende de 772 millions de dollars et sous réserve du respect des obligations mises à sa charge en vertu de l’accord (Court DocketNumber: 14-cr-00248-JBA).

55

cible par tous les moyens, qui vont de la presse aux services de renseignements, identifier telle

ou telle entreprise comme une véritable cible parce qu’elle a un lien, serait-il ténu et

tangentiel, avec le système économique ou financier américain, et, une fois la cible identifiée,

la harceler de la façon la plus inquisitoriale pour avoir le maximum d’informations ».64

Si l’on peut évidemment se réjouir que les autorités, fussent-elles étrangères,

sanctionnent avec toute la sévérité requise les faits de corruption transnationale, la

multiplication à l’étranger de procédures contre des entreprises françaises n’en demeure pas

moins problématique, en raison notamment du transfert massif de données sensibles qui peut

les accompagner. Notons en particulier que dans le cadre de leur coopération avec la justice

américaine (et sous la menace de poursuites judiciaires), les entreprises peuvent être

contraintes à communiquer aux autorités de poursuites, en-dehors de toute procédure légale

(et notamment du traité franco-américain d’entraide judiciaire prévu à cet effet), des

informations stratégiques quitte, ce faisant, à violer la loi de blocage de 196865, interdisant

précisément la communication aux autorités publiques étrangères de documents ou de

renseignements de nature à porter atteinte aux intérêts économiques essentiels de la France.

En droit international, les différents se règlent en justice selon la loi du pays

d’immatriculation. Il faut se demander pourquoi Alstom et tant d’autres aient dû répondre de

leurs agissements aux Etats-Unis alors que le dossier n’avait pas de lien direct avec ce pays.

Comment ces derniers ont-ils le pouvoir de juger les sociétés étrangères sur le territoire

américain ?

A. La puissance des États-Unis s’appuie sur plusieurs acteurs

L’extraterritorialité du droit américain repose sur une combinaison d’outils et

d’acteurs complémentaires très efficaces. Les britanniques ont à leur tour adopté une

loi très sévère afin de protéger leurs intérêts nationaux.

La lutte contre la corruption aux États-Unis est régie par le Foreign Corrupt and

Practices Act, de 1977.

Cette loi n’a eu une portée internationale qu’en 1998, lorsque les États-Unis

ont ratifié la « Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers

dans les transactions commerciales internationales », signée par l’OCDE en décembre

1997 (article 1). Cette convention, dont la mise en place aurait été largement

influencée par les États-Unis66, leur permet aujourd’hui de développer une hégémonie

juridique en matière de lutte anticorruption dans le monde. La position sur

l’extraterritorialité du droit américain est exprimée dans le 3ème Restatement relatif

au droit des relations internationales.

64 Colloque du 01/02/2016 https://www.fondation-res-publica.org/Colloques-de-la-Fondation-Res Publica_r3.html 65 La loi n°1968-678 du 26 juillet 1968 modifiée en 1980 66 E. Breen, FCPA. La France face au droit américain de la lutte anti-corruption, coll. "Pratique des affaires", Joly éditions, 2017

56

L’application territoriale des lois américaines est énoncée à cet égard au titre

de la compétence normative. Le principe d’extraterritorialité est prescrit

exclusivement par le DOJ.67

1. Le Foreign Corrupt and Practices Act (FCPA) 68

Le FCPA permet aux États-Unis de poursuivre toute personne physique

ou morale ayant pratiqué la corruption, s’il existe un lien de rattachement

entre l’infraction et le territoire américain. À ce titre, la force de cette loi réside

dans son interprétation.

En effet, le système de rattachement n’étant pas énoncé par la loi, les

autorités américaines peuvent user de nombreux moyens pour s’assurer d’un

rattachement entre les faits et leur pays (15 U.S.C. §§ 78dd-3). A titre

d’exemple, le lien retenu par les autorités américaines dans le cas de l’affaire

Alstom était le dollar, devise utilisée lors des transactions entre l’entreprise et

les décisionnaires thaïlandais. Dans le cas d’Airbus, la présence d’une usine à

Mobil (Alabama) ou l’utilisation du dollar pour payer les intermédiaires,

suffisent pour que les Etats-Unis puissent utiliser ce lien pour ester en justice.

Ainsi, l’interprétation extensive de ce lien permet aux États-Unis

d’utiliser l’extraterritorialité à la fois comme un moyen de lutte contre la

corruption et a fortiori comme une arme économique.

Cette interprétation confère une véritable hégémonie aux États-Unis :

première puissance économique mondiale et leader dans le secteur d’Internet

avec les GAFA, ils peuvent intervenir dans presque toutes les transactions

internationales en vertu de l’utilisation d’un critère de rattachement à leur

territoire (emails, serveurs américains utilisés lors des transactions…). Dans ce

cadre, s’ils souhaitent sanctionner une activité et la soumettre à leur

juridiction, ils sont libres de le faire.

2. Le Department of Justice (DOJ)

En pratique, le DOJ est l’organe exécutif appliquant le FCPA, équivalent

du Ministère de la Justice ; il s’agit donc d’une institution fédérale. C’est lui qui

instruit les « affaires » et décide alors de mettre en cause une entreprise -

étrangère ou non - pour corruption.

67 Par une interprétation extensive de l’article §78dd-3(a) du FCPA. 68 https://www.justice.gov/criminal-fraud/foreign-corrupt-practices-act

57

N’étant pas une autorité juridictionnelle, le montant des sanctions du

DOJ résulte de négociations avec l’entreprise mise en cause. Aussi, le DOJ ne

prend pas uniquement en compte le fait de corruption mais plusieurs autres

éléments.

En premier lieu, la dénonciation unilatérale de l’entreprise permet

d’éviter de payer des amendes trop lourdes ; idem si l’entreprise coopère

(Affaire Hewlett-Packard en 201469).

Ensuite, l’existence d’un processus anticorruption au sein de

l’entreprise, l’enrichissement résultant de cette corruption et le temps passé

par le DOJ sur l’affaire, rentrent en considération.

Pour finir, l’estimation du gain que l’entreprise a gagné grâce à la

pratique de corruption pourra aussi influencer les juges dans leur calcul de

l’amende.

3. La compliance américaine

Les États-Unis incitent les entreprises à modifier leurs comportements

et à adopter des règles « à l’américaine » : c’est le programme de

« compliance »70, c’est-à-dire de mise en conformité de l’entreprise aux

standards américains.

L’entreprise prise en faute de corruption est envoyée pour une rehab

(une cure) organisée et surveillée par le monitor. Ce dernier est choisi et payé

par l’entreprise, et validé par le DOJ. Le monitor doit rédiger des rapports

réguliers sur l’application du programme éthique et établir des

recommandations, le plus souvent contraignantes, à l’entreprise. Les rapports

annuels – le programme de monitoring étant souvent conclu sur trois années

– sont communiqués au DOJ qui apprécie le bon déroulement de la procédure.

En tout état de cause, les sanctions résultant de ces négociations ne

sont pas judiciaires mais permettent d’annuler une procédure qui pourrait se

poursuivre devant des tribunaux américains. L’un des arguments déployé par

le DOJ est d’ailleurs de jouer sur la « peur » du juge en cas de procédure

judiciaire, qui serait plus longue et surtout plus coûteuse en cas de

condamnation. Cela incite les entreprises accusées à ne pas se prévaloir des

lois de blocage, leur permettant de ne pas communiquer à des autorités

étrangères des documents stratégiques pouvant porter atteinte à la

souveraineté ou aux intérêts économiques essentiels de leur pays d’origine.71

69 https://www.justice.gov/opa/pr/hewlett-packard-russia-pleads-guilty-and-sentenced-bribery-russian-government-officials 70 http://www.novethic.fr/actualite/gouvernance-dentreprise/corruption/isr-rse/lutte-contre-la-corruption-aux-etats-unis-les-entreprises-sont-mises-en-rehab-143111.html 71 https://portail-ie.fr/analysis/1720/lextraterritorialite-americaine-une-superpuissance-juridique-de-la-lutte-contre-la-corruption-mondiale

58

B. Le modèle anglo-saxon : l’exemple britannique

Si la loi américaine semble attirer toutes les attentions, une loi plus récente

mais plus dure a été votée au Royaume-Uni en 2010 : le UK Bribery Act 72.

D’application plus large que le FCPA73, cette loi réprime des actes de corruption

active (l’auteur de la corruption) et passive (le récipiendaire de la corruption), et

concerne la corruption des agents des secteurs publics et privés (UKBA, Section 12(5)

& 7(5)).

Le type d’infraction (tentative ou caractérisée) importe peu dans la sanction

finale et en matière de corruption, il n’existe aucun plafond légal du montant des

amendes pouvant être prononcées contre les entreprises au Royaume-Uni mais aussi

aux Etats-Unis.

De plus, la loi anglaise crée un délit sanctionnant l’inaction ou le défaut de

prévention de l’entreprise face à des actes de corruption, délit non pris en compte par

le FCPA.

C’est essentiellement en lien avec la poursuite du « défaut de prévention de la

corruption » que se manifeste le caractère extensif de la compétence extraterritoriale

des juridictions britanniques.

Comme aux Etats-Unis, la justice anglaise applique le Deferred Prosecution

Agreement (DPA). C’est une sorte de « sursis à poursuivre avec mise à l’épreuve » : il

s’agit en effet d’un accord passé avec les autorités de poursuites aux termes duquel

ces dernières acceptent de suspendre pendant un délai déterminé les poursuites

pénales contre une personne, objet d’une enquête pour corruption, sous réserve du

respect des obligations mises à sa charge en vertu de l’accord.

Ces dernières consistent essentiellement dans :

- Le paiement d’une amende ;

- L’adoption d’un arsenal de mesures de conformité anticorruption (ou leur

renforcement) destinées à prévenir :

- La non réitération de l’infraction,

72 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2010/23/contents 73 http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/07/04/cercle_36223.htm#hMpWqB2PDGo81YyH.99

59

- La désignation aux frais de l’entreprise d’un tiers indépendant, le « monitor », chargé

d’évaluer et contrôler tout au long de la durée de l’accord le respect de ses obligations

en matière de conformité et la coopération continue de l’entreprise à l’enquête en

cours.

A l’issue de la période probatoire (d’une à quatre années, suivant l’accord) et

à supposer que les obligations aient été respectées, les poursuites sont alors

abandonnées et l’action publique définitivement éteinte.

Le dispositif britannique offre en revanche de meilleures garanties que le

système américain. Le juge occupe en effet une place plus importante. Il intervient lors

d’une audience préliminaire pour se prononcer sur le principe du recours à un DPA ;

puis lors de l’examen du contenu du DPA, pour vérifier que l’accord sert les intérêts de

la justice, et que ses termes sont « équitables, raisonnables et proportionnés » ; et

enfin, en audience publique, pour approuver formellement le DPA.

En outre, la loi britannique encadre strictement la procédure (contenu de

l’accord, conditions de la rupture ou de la modification de l’accord, sort des

informations collectées dans le cadre de la négociation, …) ; des lignes directrices à

l’attention des procureurs complètent par ailleurs les dispositions légales.

Bien qu’elle soit récente, cette loi semble sévèrement appliquée par le Serious

Fraud Office (SFO). En 2017, Rolls-Royce a été condamnée à verser 497,25 millions de

livres, au SFO, sans compter les intérêts, pour des affaires de corruption au Brésil.74

Cette action a permis de diminuer la condamnation du DOJ pour la même affaire à 170

millions de dollars.

Section 3 : la réaction d’Airbus

Au regard de ces exemples passés, il est difficile de croire qu’Airbus va passer au

travers des mailles du filet. L’amende du SFO devrait être de 3 milliards de livres sterling, soit

environ 4 milliards d’euros. Ce n’est rien pour le groupe, et le cours de l’action l’aurait déjà pris

en compte, selon certains observateurs. Néanmoins, d’autres amendes sont possibles, et

l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) s’apprêterait à condamner la société à hauteur

de 50 milliards.

Il est d’autant plus troublant, lorsque l’on regarde ces exemples, de penser que le

système de défense d’Airbus va être le bon.

A. Les choix stratégiques :

Airbus a l’air étonnamment serein quant au dénouement de ces affaires. En

effet, Airbus n’a pas provisionné sur ses comptes une partie de l’amende qu’il va devoir

payer. Lorsque l’on regarde les comptes, seul 100 millions ont été provisionnés à la

74 https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/rolls-royce-met-fin-a-un-scandale-de-corruption-pour-763-millions-d-euros-631188.html

60

ligne « litigation » en 201775. Cela ne prend en compte que les frais de justice

« ordinaires » auxquels va faire face l’entreprise. Si l’on compare la stratégie employée

pour les pénalités payées pour les retards accumulé avec l’A400 M, les 1.5 milliards

versés ont à chaque fois fait chuter le cours de bourse de 4.5% en 201676. Donc par

extrapolation, on peut penser que le cours sera fortement impacté par cet évènement.

Pourquoi ce changement de stratégie ? Est-ce un excès de confiance de

l’entreprise ? Tom Enders se sent-il protégé ?

La grande problématique de cette justice transactionnelle est l’absence de

juge. La pression des Etats contre les acteurs privés est considérable. Les

dénonciations, enquêtes et autres audits sont fondés sur la suspicion de corruption.

Or, en droit latin, on demeure innocent jusqu’à ce qu’un juge prouve le contraire, et

que tous les recours soient épuisés. Mais dans les cas d’extraterritorialité du droit

américain, les entreprises mise en cause préfèrent transiger sous la pression. Plutôt

que de débuter de procès long et coûteux, se voir fermer des marchés publics, ou

encore perdre la capacité de commercer en dollars, les sociétés concernées préfèrent

céder. Cela peut s’apparenter à du chantage juridique.

Une fois l’accord (confidentiel) signé, les acteurs de ces dossiers ne peuvent

plus revenir en arrière, sous peine de relancer l’action judiciaire, et d’être en plus

condamné à titre individuel pour s’être rétracté. C’est une des raisons pour laquelle

les cadres d’Alstom ne peuvent pas se dédire, ni devant les députés, ni devant les

journalistes.

Face à ce mécanicisme, comment transiger de manière équilibrée ?

1. La problématique des cabinets d’avocats anglo-saxons

La stratégie adoptée par la direction juridique de John Harrison ne

semble pas être la plus efficace. On peut répondre à cela que ce grand chef

d’entreprise et son directeur juridique sont issus d’un cursus anglo-saxon, et

ne sont donc pas ouverts au droit continental. En revanche, il faut s’interroger

sur les choix de John Harrison. Pourquoi cet ancien de Technip et du cabinet

d’avocat Clifford Chance - choisi par le SFO pour enquêter chez Airbus - n’a-t-

il pas anticipé les procédures qui allaient découler de ce choix ?

Au début des affaires, c’est Marwan Laoud qui aurait proposé à Tom

Enders de prendre John Harrison pour gérer cette crise. En tant qu’ancien

directeur juridique d’EADS, il connaissait bien l’entreprise et permettait de

donner des gages aux américains. Mais entre-temps s’est déroulée l’affaire

Technip. John Harrison connait parfaitement les méthodes plus que douteuse

des cabinets d’avocats anglo-saxons et la pression du DOJ sur les entreprises.

N’y avait-il donc rien d’autre à faire pour ce grand juriste ?

75 http://www.airbus.com/investors/financial-results-and-annual-reports.html#annualreports 76 “In 2016, provision for contract losses mainly includes the A400M programme (€ 825 million) and other Airbus Defence and Space programmes (€ 260 million)” https://company.airbus.com/.../airbusgroup/.../Airbus-Annual-Report-2016 page 238

61

S’ajoutent à Clifford Chance plusieurs cabinets d’avocats choisis par

Airbus pour mener l’enquête : Dechert (américain), Hughes Hubbard & Reed

et Forensic Risk Alliance (anglais). Aucun cabinet français ou européen

n’assiste Airbus.

Or, les cabinets américains ont l’obligation de dénoncer auprès des

autorités judiciaires américaines les affaires dont ils auraient connaissance en

cas de corruption. Donc, si l’on ne veut pas tomber sous le coup des lois anti-

corruption américaines, il ne faut pas engager de cabinets d’avocats

américains pour se défendre dans ce type d’affaire.

De plus, le choix de se dénoncer auprès des autorités britanniques, afin

d'échapper à la juridiction américaine, est aussi une voie qu’il aurait fallu

éviter, la collaboration entre les deux administrations étant officielle.

Il faut d’ailleurs noter qu’un symbole très fort a été donné début juin

2018 par Theresa May. En effet, elle a choisi de placer à la tête du SFO Lisa

Osofsky, ancienne cadre du FBI et du Department of Justice (DOJ). Cette

quinquagénaire, à la double nationalité américaine et britannique, remplacera

Mark Thompson le 3 septembre 2018.

Forte d’une expérience de 30 ans dans la lutte contre la corruption aux

États-Unis et au Royaume-Uni, Lisa Osofsky a été avocate dans le secteur

public et privé. Elle sera notamment la correspondante auprès du SFO, puis

servira pendant cinq ans au FBI. Elle aura la charge d’enquêter sur les « white

collar crimes » (crimes économiques) et aura menée plus d’une centaine

d’enquêtes pour le compte du Gouvernement américain.

L’annonce du changement de direction à la tête du SFO pourrait-elle

bouleverser cette enquête ? Si Lisa Osofsky reste, comme son parcours

l’indique, très proche des États-Unis, y-a-t-il un risque pour que le DOJ

récupère des informations confidentielles ? L’amende du SFO sera-t-elle revue

à la hausse ? Le sort d’Airbus sera-t-il désormais entre les mains du DOJ, par

l’intermédiaire d’un ancien agent du FBI ? L’on peut légitimement émettre ses

hypothèses, tant l’actualité de la justice américaine et de leur renseignement

économique est riche.

62

Cependant, il est une chose que cette nomination remet en cause, la

stratégie d’auto dénonciation d’Airbus. John Harrison pensait certainement

que les Britanniques, très impliqués dans Airbus, donneraient une sanction

faible, voire étoufferaient l’affaire. C’est une des raisons pour laquelle cette

affaire Airbus est observée de près par le DOJ, les Américains n’ayant pas

vraiment confiance envers les Britanniques, notamment suite à l’affaire Al-

Yamamah77. La justice britannique a donc ouvert une longue enquête, et la

nomination de Lisa Osofsky confirme l’échec de la stratégie de John Harrison.

2. La confrontation entre droit américain et droit français :

A titre individuel, les salariés français restent traumatisés par la

violence des méthodes. « Ils ont vu débouler dans les bureaux une horde

d’enquêteurs chargés de récolter tout ce qui était possible pour alimenter les

enquêtes internes sur la corruption [...] Les cadres commerciaux ont vu leur

ordinateur et leur téléphone siphonnés, tous leurs documents saisis. « Des

méthodes indignes », s’émeut un cadre. « Une pratique normale », assure la

direction.

Au vu de ce témoignage, on peut se demander si les droits des salariés

ont bien été respectés. Par exemple leurs données personnelles ont-elles été

protégées conformément au droit français ?

En France, de tels actes ne peuvent être réalisés que par des

personnels désignés par la loi (membres de l’ordre judiciaire, Officier de Police

judiciaire ou auxiliaires de justice).

Mais lorsque la puissance américaine se met en marche, elle utilise

tous les moyens à sa disposition. Le Federal Bureau of Investigation (FBI)

s’appuie sur 800 agents, mais utilise aussi les informations remontant des

différents services américains de renseignements (dont la National Security

Agency : NSA), des autorités de régulation, du réseau de « legal attaches », qui

représentent le FBI dans les ambassades américaines … Le FBI a aussi

l’avantage de pouvoir mener des enquêtes sans demander l’autorisation d’un

juge ou d’un attorney. Les conditions dans lesquelles il peut enquêter sont

déterminées par des directives de l’Attorney General. Il pourra alors utiliser les

lois s’appliquant à toutes les sociétés présentes sur les marchés financiers

réglementés américains

Là encore, comment se fait-il que les cadres d’Airbus aient fait preuve

de tant de naïveté, alors qu’en 2015 le groupe a déposé une plainte contre X

pour espionnage, après les accusations de presse selon lesquelles le

77 http://www.fcpablog.com/blog/2017/10/24/susan-hawley-is-airbus-a-repeat-of-the-bae-al-yamamah-fiasco.html

63

Bundesnachrichtendienst (BND, renseignement allemand) l'aurait espionné

pour le compte de la NSA américaine.78

B. Une adaptation juridique indispensable.

La France semble avoir pris la mesure des risques judiciaires (et des dommages

collatéraux) que ces lois d’application extraterritoriale font peser sur les entreprises

françaises.

1. Le droit anglo-saxon a déjà fortement marqué les entreprises européennes

et françaises.

Aujourd’hui, sous le coup de ces attaques juridiques, notre droit latin

est en train d’évoluer vers un droit anglo-saxon. Le juge s’efface

progressivement pour être remplacé par un arbitrage ou l’entreprise attaquée

doit prouver qu’elle est bien en conformité avec la loi américaine : la

présomption d’innocence est remplacée par la présomption de culpabilité.

En effet, les systèmes de défense sont fragiles face à la puissance

américaine. Les affaires ici citées ont été réglées selon le concept de « justice

transactionnelle ». Cette formule générique vise indistinctement les

différentes procédures de clémence autorisant une autorité de poursuites à

transiger avec l’auteur présumé d’une infraction en vue de résoudre une

affaire pénale, sans recourir à un procès.

Il s’agit tout d’abord des procédures de plaider coupable, par

lesquelles une personne mise en cause accepte de plaider coupable en

contrepartie d’une réduction de la peine, de l’abandon de poursuites... (selon

les lois des pays). La France dispose de la procédure de la Comparution sur

Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC)79. Introduite par la loi Perben

II du 9 mars 2004, cette procédure permet au procureur de la République de

proposer directement et sans procès une ou plusieurs peines à une personne

qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés (articles 495-7 et suivants du Code

de procédure pénale). La réforme du 13 décembre 2011 a élargi son champ

d’application aux délits punis d’une peine d’emprisonnement de 10 ans. La

procédure est virtuellement applicable aux faits de corruption d’agents

publics, mais la CRPC n’a encore jamais été utilisée en matière de corruption

d’agents publics étrangers.

Ensuite, il est possible de résoudre dans de nombreux pays des affaires

de corruption d’agents publics étrangers, via le recours à des procédures dites

alternatives aux poursuites. Ici, les autorités sont ainsi autorisées à prendre en

considération la bonne conduite de l’entreprise et suivant le cas, à classer une

78 http://www.leparisien.fr/faits-divers/espionnage-presume-de-l-allemagne-airbus-porte-plainte-contre-x-30-04-2015-4737303.php 79 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F10409

64

affaire ou à renoncer à engager des poursuites à son encontre, moyennant le

respect d’un certain nombre d’obligations mises à sa charge.

Les deux procédures n’ont pas les mêmes conséquences. En effet, le

plaider-coupable se solde toujours par une condamnation pénale. Cela a des

conséquences au plan légal : inscription de la condamnation au casier

judiciaire, prise en compte de cette dernière en cas de récidive… et entache la

réputation de la société. A l’inverse, les procédures alternatives aux poursuites

permettent de répondre à l’infraction pénale, sans mise en mouvement de

l’action publique, et donc sans donner lieu à une quelconque condamnation

pénale.

Cette différence de taille pour les entreprises les incite à choisir la

dernière option. Elles seront donc disposées à multiplier les gages de bonne

conduite vis-à-vis des autorités de poursuite, pour bénéficier d’une telle

procédure de clémence. Cette stratégie ne sera pas nécessairement gagnante,

si l’on observe les amendes record payées aux Etats-Unis, ainsi que les affaires

de rachat de sociétés françaises par les entreprises américaines qui s’en

suivent.

2. L’efficacité de la loi Sapin II

La France a adopté, le 9 décembre 2016 la loi dite « Sapin II » relative

à « la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la

vie économique »80. Elle poursuit plusieurs objectifs, notamment

l’amélioration de la lutte contre la corruption grâce à de nouveaux moyens de

prévention, de détection et de sanction.

Ce sont d’abord les grandes entreprises 81 qui se voient imposer par cette loi

de nouvelles contraintes dont le renforcement de la mise en conformité

(compliance), l’instauration de la transaction pénale pour les entreprises et la

protection renforcée des lanceurs d’alerte82.

Cependant, de l'aveu même du ministre de l'économie Bruno le

Maire83, ce texte est insuffisant pour prévenir des attaques juridiques

américaines. Ces propos sont confirmés par la plupart des professionnels du

secteur qui sont sceptiques quant à cette loi. En effet, il n’est pas sûr que si

une décision prise en vertu de la loi Sapin II ne convienne pas à la justice

américaine, elle ne se saisisse pas du dossier.

Par exemple, l’arrêt de la Cour de Cassation « Pétrole contre

nourriture » 84, du 14 mars 2018, peut être analysé comme un sursaut du juge

80 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033558528&categorieLien=id 81Plus de 500 salariés 82 Le dispositif de signalement est imposé à toute entreprise embauchant plus de 50 salariés 83En marge de l’inauguration de la Digital Factory de Thales le 17 octobre 2017, le Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a estimé que les mesures de la loi Sapin 2 n’étaient « pas à la hauteur des enjeux ». 84https://www.dalloz-actualite.fr/flash/petrole-contre-nourriture-precisions-en-matiere-de-corruption-d-agents-publics-etrangers-et-d-

65

français dans les affaires de corruption. Certains y voient un signal envoyé aux

autorités étrangères, et notamment américaines, quant au fait que désormais,

le droit français était aussi sévère que les autres droits. Cela reviendrait donc

à affirmer que l’extraterritorialité du droit américain n’aurait plus lieu d’être.

On peut néanmoins opposer à cela que la différence de montant, entre

les amendes françaises et américaines, pourrait inciter ces derniers à

continuer leurs offensives. Total va payer 750 000 euros d’amende 85, alors que

les Etats-Unis condamnent les entreprises à des sanctions de plusieurs millions

de dollars. Cela suffira-il à donner des gages aux Américains ?

Une autre incertitude sur ce dossier repose sur le principe du non bis

in idem qui ne jouera peut-être pas. Egalement connu sous l’expression « non-

cumul des poursuites », ce principe interdit qu’une personne ayant fait l’objet

d’un jugement passé en force de chose jugée soit de nouveau poursuivie (et le

cas échéant condamnée) en raison des mêmes faits.

Au niveau de l’Union européenne, la réponse à cette question semble

être réglée depuis un arrêt rendu le 11 février 200386 par la Cour de Justice de

l’Union européenne. Au-delà, l’application du principe non bis in idem n’est

pour l’heure nullement garantie (et ce, que l’affaire soit résolue de manière

ordinaire, ou via le recours à une procédure alternative) ; tout est affaire

d’espèce et d’appréciation portée par la juridiction sur la justice rendue.

85https://placedelaconformite.com/arret-petrole-contre-nourriture-la-france-precise-sa-lutte-contre-la-corruption/ 86 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62001CJ0187 Affaires C-187/01 and 385/01 Gözütok and Brügge

66

Chapitre 2 : Airbus au milieu d’un contexte géoéconomique tendu

Section 1 : Les difficultés d’Airbus au sein d’un marché hyper concurrentiel

A. Le leadership de Boeing

Le marché aéronautique mondial est en pleine évolution, et connaît une formidable dynamique, tirée principalement par la croissance des pays émergents. Deux acteurs clefs, Airbus et Boeing, restent les leaders incontestables du marché. Leur rivalité devrait se maintenir, tant les opportunités offertes sont grandes. En effet, le marché de l’aéronautique mondial a pour constante de doubler tous les quinze ans. Sur la période 2017-2036, les études prévoient une augmentation de 4,4% du marché mondial, soit une croissance importante, car elle devrait entraîner le doublement de la flotte mondiale, si l’on en croit une étude de la banque HSBC87.

Cette évolution du marché a été prise en compte par les principaux constructeurs, Boeing et Airbus. D’après les prévisions du constructeur européen88, 35 000 appareils supplémentaires seraient ainsi produits, tandis que le nombre prévu par l’industriel américain est de 41 00089. La majorité des livraisons, dans les deux décennies à venir, se feront dans la région Asie-Pacifique, avec près de 40% de part de marché, d’après les deux leaders historiques.

Autre secteur en pleine croissance, vecteur d’opportunité pour Airbus, la

maintenance aéronautique (MRO), encore très peu développée dans un grand nombre de pays, et qui génère un revenu de taille. En Australie, ce secteur représente un milliards de dollars américains, soit 25% du chiffre d’affaire de l’industrie aéronautique du pays.

Dans ce marché mondial en pleine expansion, les Américains ont pris de

l’avance par rapport aux Européens. En 2015, le marché aéronautique américain arrivait en pole position, avec 227 milliards de dollars, suivi par l’Europe, avec 180 milliards. Loin derrière, les Russes, les Canadiens, les Japonais et les Brésiliens90.

Outre les différences entre les marchés nationaux, les deux constructeurs

historiques, Boeing et Airbus, se livrent un combat acharné. Dans cette lutte, Boeing a pris de l’avance. Avec l’échec d’Airbus sur le marché des long-courriers, c’est sur le moyen-courrier que les deux industriels rivalisent, marché représentant autour de 70% des ventes du secteur en volume.

Porté par les compagnies low-cost, le marché du moyen-courrier se déchire

entre deux avions à succès, l’A320neo d’Airbus, et le 737 MAX de Boeing. De 2014 à 2017, le constructeur européen devançait son rival américain, avec plus de 50% de parts de marché, aidé par les commandes massives et régulières d’Indigo en fin d’année.

87 https://globalconnections.hsbc.com/france/fr/articles/aeronautique-secteur-a-forte-croissance-au-niveau-mondial 88http://www.airbus.com/content/dam/corporate-topics/publications/backgrounders/Airbus_Global_Market_Forecast_2017-2036_Growing_Horizons_full_book.pdf 89http://www.boeing.com/resources/boeingdotcom/commercial/market/current-market-outlook-2017/assets/downloads/2017-cmo-6-19.pdf 90 http://asd-europe.org/news-publications/facts-figures

67

Ci-dessus, le tableau met en évidence l’avance de Boeing face au constructeur européen, dans presque tous les domaines. Celle-ci est en partie liée aux difficultés d’Airbus, d’une part au niveau de son programme militaire onéreux - l’A400M - et d’autre part, sur son incapacité à exporter son gros porteur - l’A380 -. Boeing a pris l’avantage dans la course à la R&D, essentielle dans un secteur en permanente évolution. Son budget R&D a très vite augmenté ces dernières années, allant jusqu’à une croissance de 43%, contre une réduction du budget chez Airbus de 21%. Le budget de Boeing est tiré par ses programmes 737 max et Dreamliner 787-10, tandis qu’Airbus a vu ses dépenses baisser, dans la mesure où ses programmes A320 neo et A350 étaient achevés.

B. L’échec d’Airbus face à Boeing sur le marché des long-courriers

En dépit du grand symbole qu’a pu être le lancement de l’A380 en 2000, permettant à Airbus de détrôner le Boeing 747, le programme n’a pu qu’échouer, renforçant la place de Boeing sur le marché des long-courriers.

L’échec de l’A380 s’explique par trois phénomènes distincts91.

Airbus n’a pas réussi à atteindre son chiffre de ventes espéré, ne livrant que

317 exemplaires contre 1400 prévus lors du lancement du projet. Cette faible performance entraîne mécaniquement des baisses de revenus massives pour Airbus, qui n’a pu rentabiliser le projet que de 2015 à 2017.

Airbus n’a pas non plus réussi à convaincre les compagnies aériennes du bienfait de son appareil. Seules trois ont été séduites par le long-porteur, toutes dans le Golfe, comme Etiyad, Qatar Airways et Emirates. Ce dernier est le plus gros client de ce programme, avec 100 appareils achetés. Les compagnies du Golfe sont bien plus friandes de cet appareil que les compagnies occidentales. En effet, Air France et Lufthansa n’ont acheté, par exemple, qu’une dizaine d‘exemplaires chacun. Cet attrait des compagnies du Golfe pour le gros porteur s’explique par les caractéristiques de

91 https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/airbus-a380-les-raisons-d-un-echec-764780.html

68

l’avion. En effet, pour le rentabiliser, il convient de se trouver sur un marché des très longues distances. L’A380 contient 500 places à son bord, qu’il est très difficile de remplir à son maximum, en dehors des long-courriers, en particulier entre l’Europe et l’Asie. Se trouvant dans une région stratégiquement placée entre ces deux pôles, les compagnies du Golfe ont réussi à rentabiliser leurs achats du gros porteur européen, d’où leurs commandes en masse de l’appareil.

Les déboires d’Airbus sur le marché du long-courrier s’expliquent aussi par la

concurrence féroce que lui oppose Boeing, qui propose deux grands porteurs, le B747-8, et le 777-300 ER. Ce dernier connaît un immense succès. Avec une capacité moindre que son concurrent européen, le gros porteur de Boeing plaît à davantage de compagnies aériennes. Il leur permet d’avoir une meilleure performance économique, pour chaque étape, et chaque siège. De plus, les capacités de fret de l’appareil américain sont nettement supérieures à celui de l’A380.

L’échec de l’A380, c’est l’échec de la stratégie d’Airbus. Contrairement à son

rival américain, Airbus a misé sur un appareil à forte capacité pour privilégier les destinations les plus fréquentées. Or, il s’avère que Boeing a plus saisi l’essence du marché, en produisant des avions plus petits, et permettant de satisfaire les passagers en leur offrant plus de lignes directes.

Section 2 : Un marché aéronautique en pleine évolution

A. La montée en puissance des nouveaux entrants

En parallèle des deux leaders historiques que sont Airbus et Boeing, des constructeurs montent en puissance. Certains pays ont une industrie aéronautique structurée depuis des années, tels que la Russie, le Brésil et le Canada, tandis que d’autres font leur apparition, telle que la Chine. Cette dernière apparaît comme le concurrent potentiel le plus dangereux pour le duel Airbus-Boeing, tant la puissance industrielle et financière du pays est forte. Grâce à des politiques de raccourcis, le développement économique de la Chine s’est fait à une rapidité historique, permettant de rivaliser l’Occident dans des domaines très divers.

Avec son constructeur public Commercial Aircraft Corporation of China (Comac), la Chine est présente sur le marché des petits et moyens porteurs. Grâce à des investissements massifs, à du pillage industriel et à des transferts de technologie, la Chine produit des appareils, le C919, d’une qualité similaire aux A320 ou B73792. Avec une capacité de 168 passagers, et une autonomie de 5550km, l’appareil chinois est un symbole de la réussite industrielle du pays.

Il ne s’agit pas de la seule réussite du constructeur chinois, qui a lancé en 2008 un petit avion régional, l’ARJ-21, et qui connaît aujourd’hui des succès commerciaux sur le marché chinois, et d’ailleurs uniquement sur ce marché, faute d’avoir obtenu les certifications de l’administration aéronautique américaine.

Les observateurs prévoient que la Chine serait en mesure de rivaliser ses

concurrents européens et américains d’ici 2025, sur le marché des petits et moyen-

92https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/le-c919-de-comac-une-alternative-viable-a-l-airbus-a320-et-au-boeing-b737_471593

69

courriers. Il s’agirait d’un coup dur pour le constructeur européen, peu aidé par ses institutionnels, contrairement à Comac et à Boeing, qui bénéficient d’un soutien sans faille de leur État.

Une montée en puissance de la Chine dans un secteur stratégique de ce niveau ne serait pas une première. Comme l’a souligné le rapport Marleix, dans le domaine ferroviaire, peu de monde attendait le Chinois Railway Rolling Stock Corporation (CRRC). Issu d’une fusion en 2015, il est aujourd’hui trois, voire quatre fois plus important que ses concurrents européens, jusqu’à conquérir des marchés aux États-Unis, notamment à Los Angeles.

Avec la croissance du marché aéronautique mondial, tirée par les pays émergents, et notamment par la Chine, Comac espère continuer sur sa lancée. Grâce à l’enrichissement de millions de Chinois, au développement du pays, et à l’essor d’une classe moyenne, le marché chinois risque de tripler sa flotte. L’on estime qu’à l'horizon 2025, 5000 avions seraient produits pour le marché chinois, surpassant ainsi le marché américain. Comac deviendrait le principal bénéficiaire du dynamisme de ce marché. Ces commandes de 2016 illustrent l’attrait des compagnies aériennes chinoises pour ce nouvel appareil, avec 570 commandes au profit des 24 clients, pour la plus grande majorité des chinois.

En parallèle, la Chine développe un grand programme pour créer un moteur93, capable de leur donner une autonomie stratégique, et de rentrer dans la cour des grands. Avec un programme porté par 100 000 employés, et au budget de 7 milliards d’euros, le gouvernement chinois entend rivaliser avec General Electric et Rolls-Royce.

L'industrie chinoise n'en reste pas là, et a déjà lancé un programme d'avion long-courrier94. Le Comac C929 est un projet d'avion de ligne biréacteur réalisé en collaboration étroite avec le russe OAK, d'une capacité allant de 250 à 350 sièges. Avec 11 milliards d’euros d’investissements pour ce projet, ce serait un concurrent direct de l'Airbus A350 et du Boeing 777. L'appareil est prévu pour effectuer son premier vol en 2023 et entrer en production vers 2025. OAK et Comac prévoient de produire plusieurs versions, avec une autonomie entre 10 000 et 14 000 km. Les deux pays en partage la production, la Russie ayant en charge l’empennage et les ailes, tandis que la Chine s’occupera du fuselage et de l’assemblage final.

B. Le duel Airbus-Boeing est encore loin d’être contesté

En dépit de cette montée en puissance de nouveaux acteurs, dont la Chine, qui considère un avion « made in China » comme secteur stratégique, le duopole historique entre Airbus et Boeing n’est pas prêt d’être contesté. D’après un expert de chez Moody’s95, « Nous croyons qu’il faudra au moins cinq ans pour que le C919 entre sur le marché mondial en raison du difficile processus entre le premier vol et la certification pour un nouvel entrant dans le vaste secteur des avions commerciaux. En outre, après l’entrée en service, l’avion aura besoin de plusieurs années pour démontrer qu’il est compétitif sur le plan des performances, voire supérieur à l’A320neo d’Airbus

93https://www.capital.fr/entreprises-marches/le-premier-rival-chinois-d-airbus-et-boeing-pret-a-decoller-1224872 94http://www.leparisien.fr/economie/aeronautique-chinois-et-russes-s-allient-pour-produire-un-avion-long-courrier-03-10-2017-7304850.php 95 http://airinfo.org/2017/07/01/comac-c919-pas-pres-de-menacer-duopole-airbus-boeing-moodys/

70

ou au 737 MAX de Boeing, ce qui sera probablement nécessaire pour persuader les compagnies aériennes en dehors de la Chine d’ajouter l’avion à leurs flottes ».

En effet, la Chine n’a pas encore toutes les cartes en main pour peser autant

que les leaders occidentaux. Airbus et Boeing détiennent un savoir-faire, testé par des décennies de présence à la tête du secteur, et une crédibilité. Pour convaincre des acheteurs et utilisateurs, il est nécessaire d’inspirer confiance. Elle ne maîtrise pas encore non plus toutes les technologies, et dépend des importations. Pour son appareil aujourd’hui phare, le C919, la Chine a dû faire appel à des technologies étrangères, dont les moteurs Leap de GE et Safran.

Autre difficulté que connaîtra la Chine, les accréditations des Européens et des Américains96, absolument nécessaires pour pouvoir être présent sur le marché des vols internationaux. Sans cette certification, les avions chinois ne pourront survoler que la Chine, et que les pays donnant leur accord. Selon un expert, cette certification peut prendre entre quatre et sept ans, contrairement au 13 et 14 mois que connaissent Airbus et Boeing en moyenne. Cette différence vient du fait que le Chinois n’a pas de précédents dans le domaine, garantie de confiance pour obtenir des certifications rapidement. Contrairement à l’expérience des Européens depuis 1987 avec l’A320, et des Américains depuis 1967 avec le B737, les Chinois sont novices sur le marché de l’aéronautique. Autre problème pour les Chinois, les Occidentaux accepteront-ils d’accréditer leurs appareils ?

Le chinois Comac n’est pas non plus en mesure de capter l’intégralité de son marché national. Selon les estimations, celui-ci aurait besoin de 5000 avions dans les deux prochaines décennies. Or, Comac n’a prévu d’en produire que 2000, laissant plus de la moitié du marché à Airbus et à Boeing.

Section 2 : Airbus dans le contexte géopolitique actuel

A. Une Europe sous tension

1. Les incertitudes du Brexit

En dépit des annonces répétées de la direction du groupe de rester dans les Îles britanniques sur le long-terme97, il est certain que le Brexit pose de graves problèmes pour le constructeur européen. Les négociations sur le Brexit sont loin d’être terminées entre Londres et Bruxelles, plongeant Airbus dans une réelle incertitude.

L’industriel européen, par la voix de son PDG Tom Enders, avait mené campagne contre le Brexit, craignant une rupture des liens entre le Royaume-Uni et le continent. « Pour les entreprises internationales qui prennent des décisions d'investissement allant bien au-delà du Brexit, cette situation est dommageable et difficile à supporter. Mon business, l'aviation, est par nature global. Les fabricants aérospatiaux, dont les produits doivent répondre à des normes de sécurité et de certification rigoureuses, ne peuvent laisser les caprices

96https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-avion-chinois-c919-n-entrera-pas-en-service-avant-2021-si-tout-va-bien-767478.html 97https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-02-22/airbus-ceo-vows-to-stay-in-post-brexit-u-k-for-a-very-long-time

71

politiques diriger les problèmes cruciaux auxquels notre industrie est confrontée »98.

En effet, les Britanniques comptent énormément, non seulement dans la chaîne de production d’Airbus, mais aussi comme soutien politique. Pendant de longs mois, la gouvernance du groupe mettait en garde contre les risques d’un retour des barrières douanières entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, situation qui pourrait remettre en cause le business model du groupe, basé sur la mobilité interne, et sur un savoir-faire exclusivement britannique dans le domaine des ailes.

Le Brexit constitue un revers foudroyant pour le groupe. Néanmoins,

Tom Enders a rassuré les marchés, ainsi que les salariés britanniques du groupe, que le Royaume-Uni resterait un acteur essentiel sur le long-terme, dans une lettre officielle au secrétaire d’État en charge du commerce, Greg Clark. Cette annonce était attendue, en réponse aux aspirations d’un certain nombre d’acteurs de s’accaparer la production des ailes du groupe, comme la France, l’Allemagne, mais aussi la Chine ou les États-Unis.

Toutefois, malgré les propos rassurants de Tom Enders, des voix s’élèvent au sein d’Airbus, menaçant de quitter le pays si aucun accord n’était trouvé entre Londres et Bruxelles99. Ce départ ne pourrait se faire à court-terme, tant les Britanniques comptent pour le groupe. Cependant, à moyen et long-terme, il s’agit d’un réel risque.

Il s’avère donc nécessaire, pour le géant européen, qu’un accord soit

trouvé entre Londres et Bruxelles dans les négociations. Or, cet accord est loin d’être acté, tant la posture de Bruxelles semble intransigeante, et tant le Premier Ministre britannique Theresa May semble déchirée entre les « remainers » et « brexiters » de sa majorité.

Sans accord, Airbus serait une victime importante, perdant un avantage compétitif majeur par une hausse des régulations sur le commerce. En effet, le Royaume-Uni, bien que non actionnaire du groupe, constitue un acteur de poids100. Avec 15 000 emplois directs, et 100 000 emplois indirects, 25 sites de productions, et plus de 4000 sous-traitants, Airbus compte, dans le PIB britannique, pour £5,9 milliards en 2015. La plupart des équipements militaires du pays sont fournis par le constructeur européen, de manière très large, entre hélicoptères, avions, missiles et communications satellites. Avec 500 millions de livres d’investissements chaque année dans le pays, Airbus contribue massivement à la recherche dans le royaume, avec des liens privilégiés avec les universités, et les laboratoires de recherche.

Une perte d’accès au marché britannique entraînerait mécaniquement des pertes financières pour l’avionneur, ainsi qu’une baisse de sa compétitivité101. Les travailleurs britanniques sont mondialement reconnus

98 https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/airbus-otage-du-brexit_2007857.html 99https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/accord-brexit-airbus-menace-quitter-royaume-uni-1499837.html 100 http://www.airbus.com/company/worldwide-presence/uk.html 101 https://www.walesonline.co.uk/business/business-news/airbus-consquences-no-deal-brexit-13925159

72

dans l’industrie aéronautique, avec une expérience de plus de 100 ans dans la construction d’avions, et un savoir-faire tout particulier dans la construction des ailes, qui constitue leur rôle principal pour le groupe, du design à leur production. Sans les Britanniques au sein d’Airbus, l’avionneur ne vendrait que des bus, selon la plaisanterie d’un dirigeant du groupe.

Après production au sein des 25 sites à travers du pays, les Britanniques

livrent leurs ailes en Allemagne et en France pour l’assemblage, d’où la nécessité pour le groupe que le Royaume-Uni reste au sein d’une zone de libre-échange avec le continent, pour aussi assurer son besoin de flexibilité interne.

Si Airbus devait quitter le Royaume-Uni, il se priverait également d’un allié politique102. D’une part, le UK Export Finance (UKEF) est d’une aide précieuse pour le groupe, aidant financièrement dans l’export, et d’autre part, le gouvernement britannique a toujours soutenu Airbus face à Boeing, en particulier dans leur bataille juridique à l’OMC.

Quelle serait la réaction des Britanniques, si Airbus venait à quitter le

pays ? L’avionneur européen pourrait perdre un client important, tant sur le plan civil que militaire. Les Britanniques avaient joué un rôle essentiel dans la production de l’Eurofighter. Préfèreraient-ils désormais le F-35 américain pour renouveler leur flotte, sachant qu’ils ont déjà opté pour cet appareil pour leurs deux nouveaux porte-avions ?

Autre crainte majeure pour le groupe, Airbus deviendra-t-il une arme de négociation pour les Britanniques face à Bruxelles ? Les Français et Allemands ont un intérêt tout particulier dans la bonne santé économique du groupe, et les Britanniques pourraient jouer sur ce symbole. Comme rappelé dans la partie précédente, Airbus subit actuellement une enquête du SFO, qui se conclura, selon les experts, par une amende importante. Les Britanniques pourraient se servir de leur institution pour faire pression sur Bruxelles, pouvant faire craindre à des pénalités financières majeures. Le SFO reste en effet lié au gouvernement britannique, comme le rappelle l’affaire Al Yamamah103, lorsque Tony Blair est intervenu directement auprès du SFO pour éviter à BAE Systems d’être poursuivi, au motif de « sécurité nationale ».

2. Airbus, levier du jeu trouble allemand dans l’Europe de la défense

L’annonce d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne sur le projet de l’avion de combat du futur n’est pas passé inaperçu. Les ministres français et allemands de la défense en ont fait un symbole de l’Europe de la défense.

Ce projet européen a pour but de remplacer, à terme, les flottes actuelles de la France et de l’Allemagne, avec pour ambition de gagner de grandes parts de marché à l’export. Après une collaboration étroite sur les drones, ou dans le domaine du renseignement, le couple franco-allemand fait un pas supplémentaire.

102https://www.theguardian.com/business/live/2017/sep/27/theresa-may-bitterly-disappointed-bombardier-trade-tariff-imf-world-economy-business-live 103 https://www.theguardian.com/uk/2006/dec/15/saudiarabia.armstrade

73

Il s’agit de la première grande coopération entre les deux pays dans ce domaine, la France étant un acteur presque unique en Europe avec Dassault, capable de créer de A à Z un avion de combat, et l’Allemagne, ayant préféré s’associer à Airbus et aux Britanniques dans le programme de l’Eurofighter.

C’est d’ailleurs ces deux acteurs majeurs, Dassault et Airbus, qui seront

à la manœuvre dans le projet de l’avion de combat du futur, espérant rivaliser avec la concurrence américaine du F-35104, qui s’est déjà vendu aux Britanniques et aux Italiens. Ce projet, du nom de SCAF105, sera un « système complet associant un avion de combat de nouvelle génération, des drones MALE (moyenne altitude, longue endurance), des avions existants qui seront encore en service après 2040, de futurs missiles de croisière et des drones évoluant en essaim ».

Un accord a été signé par les deux avionneurs européens, dans le but de

remplacer les Rafale, mirage, Eurofighter et Tornado en 2038.

Quels seront les rôles respectifs de chaque acteur ? Comment se répartiront-ils leurs tâches dans ce programme ?

Il semble que Dassault, de par son savoir-faire unique en Europe, sera

maître d’œuvre dans ce projet, les Allemands mettant à disposition son tissu industriel, son apport financier, et son soutien à la vente, espérant devenir le premier client du projet.

Or, il existe un risque de déséquilibre majeur dans ce projet. En effet,

certains acteurs et observateurs voient, dans la stratégie allemande, une tentative de récupérer les technologies qu’elle a perdu après la Seconde Guerre mondiale. Grâce à sa puissance financière gigantesque, tirée par ses exportations, l’Allemagne sera de très loin le premier contributeur financier du projet.

Des réserves ont été émises par le camp français, en particulier en novembre 2017, par le Chef d’État-major des armées, le Général Lecointre, qui expliquait que « s’associer à la France pour créer un futur avion de combat vise à récupérer une compétence qui a été, jusqu'à présent, perdue. Quels avantages espérons-nous tirer du partage, avec l'Allemagne, de cette compétence ? Sous l'angle industriel, cette coopération est déséquilibrée, en raison des moyens colossaux que ce partenaire engage pour assurer la remontée en puissance de sa base industrielle et technologique de défense. [...] S’agissant de la coopération européenne et de l’avion de combat européen, il est manifeste que l’Allemagne souhaite combler son retard dans un certain nombre de secteurs technologiques et industriels, dont elle est notamment absente depuis plusieurs années. Le fonds européen de défense représente une belle opportunité de faire payer une partie des systèmes d’armes par l’Union européenne. Si vous pouviez encourager nos industriels à jouer le jeu, cela m’arrangerait ! Une meilleure interopérabilité pourrait en résulter, mais j’ai du mal à discerner les alliances industrielles qu’il va falloir bâtir pour y parvenir. Le sujet de l’Allemagne et du système de combat aérien du futur, la situation d’Airbus par rapport à Dassault, la recomposition du

104 https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/f-35-preoccupe-l-armee-l-air-131972 105 https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/avion-futur-scaf-est-lance-14420

74

secteur industriel de défense terrestre représentent autant de sujets compliqués »106.

S’agirait-il d’une volonté de piller le savoir-faire français ? Si tel était le cas, ce serait dangereux pour Airbus. En effet, les Allemands se serviraient de l’avionneur dans leur stratégie de retour à la puissance, au détriment de l’histoire du groupe basé sur une bonne entente et un bon équilibre des pouvoirs entre la France et l’Allemagne.

B. L’effet Trump, les États-Unis sur l’offensive dans la guerre économique

1. Les sanctions sur l’Iran

L’élection du Donald Trump à la présidence américaine constitue un tournant dans la prise de conscience qu’une guerre économique était menée par les États-Unis contre ses alliés européens. Alors que cette guerre n’est pas nouvelle, les cas Alstom, Technip, BNP Paribas le rappelant sans cesse, elle est désormais pleinement assumée par le pays.

Le cas de l’Iran est emblématique de cette situation. Alors que le

président Obama avait œuvré pour lever les sanctions sur le pays, dans le but de trouver un accord sur le nucléaire, le président Trump est revenu sur cette décision, par l’intermédiaire de son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. La levée des sanctions en 2016 avait permis à de nombreuses entreprises européennes, dont Airbus, de revenir en Iran, et d’y signer des contrats. Ce retournement de la politique américaine est un coup dur pour l’avionneur européen, qui voyait dans l’Iran un marché très porteur.

Airbus n’a d’autre choix que de suivre les instructions américaines, sous

peine d’être lourdement sanctionné. D’après l’AFP, « l’avionneur a des usines aux États-Unis, et un nombre important de pièces installées dans ses appareils sont fabriquées sur le sol américain, ce qui soumet automatiquement Airbus aux sanctions américaines ».

Pourtant, l’Iran est une zone stratégique pour l’industrie de l’aéronautique. En effet, les Iraniens ont une flotte vieillissante, avec des accidents très fréquents. L’on estime que le pays nécessite un renouvellement de sa flotte entre 400 et 500 appareils.

Airbus est le premier touché par ses sanctions107. Il avait signé des contrats pour 10 milliards de dollars avec des compagnies telles qu’Iran Air Tour et Zagros Airlines, pour 100 A320neo. Déjà, trois avions avaient été livrés à l’Iran.

Même Boeing est touché par le retour des sanctions, alors qu’il avait

signé un contrat d’une valeur de 16,6 milliards de dollars avec Iran Air, pour une livraison de 80 appareils, tout comme un contrat de 3 milliards de dollars sur 30 737 MAX avec Aseman.

106https://www.challenges.fr/entreprise/defense/avion-de-combat-franco-allemand-une-bonne-idee-vraiment_583126 107 https://www.challenges.fr/entreprise/transports/nucleaire-iranien-le-coup-de-poignard-de-trump-contre-airbus_586049

75

Cette annonce n’a pas été du goût des Européens. Le ministre français de l’économie et des finances s’est ému de cette décision, critiquant les États-Unis « gendarme économique de la planète », et estimant qu’il s’agissait d’une erreur. De nombreuses critiques ont également été émises à l’échelle de l’Union européenne, qui annonce vouloir protéger les intérêts de ses entreprises, « en intervenant auprès de l’administration américaine ».

Airbus pourra-il se permettre de ne pas respecter les sanctions américaines ? Sera-t-il soutenu par les politiques européens ?

2. L’OMC contre Airbus

Autre bataille importante, celle que se livre les Européens et les Américains au sein de l’OMC. Celle-ci est bien antérieure à la prise de fonction du président Trump, et est révélatrice de la rivalité entre Boeing et Airbus.

Depuis une quinzaine d’années, Boeing et Airbus se livrent une bataille

juridique, sur des soupçons de financements illégaux. Les Américains accusent Airbus d’obtenir des faveurs de l’Union européenne, qui subventionnerait les programmes A380 et A350WB du groupe sur 20 milliards de dollars108.

Le 15 mai 2018, l’OMC a donné partiellement raison aux États-Unis dans son combat contre les Européens109. Néanmoins, cette décision est dangereuse pour Airbus, qui pourrait faire l’objet de sanctions du trésor américain.

Le 28 mai de la même année, les Européens ont pris acte de cette

décision, et ont annoncé s’être mis en conformité avec la décision de l’OMC110.

En réponse à cette décision juridique, les Européens ont choisi de contre-attaquer, et de porter plainte, à leur tour, contre les États-Unis au sein de l’organisation internationale. Les États-Unis subventionneraient pourtant eux-aussi leur avionneur, grâce à des exonérations fiscales.

Airbus, par l’intermédiaire de son PDG, s’est ému de la décision de

l’OMC, indiquant que « la situation est simple : Airbus rembourse les avances qui lui sont accordées, tandis que Boeing ne rembourse rien du tout et continue à exploiter la générosité des contribuables américains. Malgré les grandes déclarations de Boeing, il ne fait aucun doute que sa position est aujourd’hui évidemment saine : Boeing détient la moitié des parts de marché et un carnet de commandes bien rempli, et n’a donc manifestement pas souffert des prêts remboursables d’Airbus ».

Cependant, il est peu probable que l’OMC ne donne raison aux

Européens. Les propos du président Trump sur l’OMC sont extrêmement virulents, menaçant même de quitter l’organisation111, comme il a pu le faire à

108 http://www.air-journal.fr/2018-05-23-omc-airbus-samende-pour-les-a350-et-a380-5199191.html 109 https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/0301681067149-lomc-donne-partiellement-raison-a-boeing-contre-airbus-2176123.php 110 https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/airbus-affirme-etre-en-conformite-avec-les-regles-de-l-omc-et-somme-boeing-d-en-faire-autant_588765 111 https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/trump-dynamite-le-commerce-mondial_1999232.html

76

d’autres occasions, comme en 2017 à l’UNESCO. Il deviendrait ainsi dangereux pour l’OMC de statuer en défaveur des États-Unis, se risquant à perdre un membre éminent de l’organisation, qui en finance la majeure partie, et qui détient donc un rôle clef dans l’existence même de l’OMC.

Section 3 : quel rôle demain pour le politique européen

A. Vers une riposte européenne sur l’extraterritorialité du droit ?

Face à des Américains offensifs sur le terrain de la guerre économique, notamment par l’utilisation excessive de leur arme d’extraterritorialité de leur droit, l’Europe doit chercher à se réorganiser et à contre-attaquer. C’est ce qu’a annoncé Bruno Le Maire en disant qu’il « est temps que l’Europe passe des paroles aux actes ».

Si l’on souhaite qu’Airbus puisse continuer à peser sur le marché mondial, il convient de remettre en cause la vassalité européenne vis à vis des décisions juridiques américaines. Il n’est pas compréhensible que l’avionneur européen soit à la merci d’un retournement politique américain, comme on a pu le voir en Iran.

Les politiques européens semblent prendre conscience de cette situation.

Angela Merkel a annoncé que « le temps où l’on pouvait compter tout simplement sur les États-Unis pour nous protéger est révolu »112.

La France semble être, cette fois-ci, en première ligne113. D’après le ministre

français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, « les Européens n'ont pas à payer pour le retrait d'un accord par les États-Unis, auxquels ils avaient eux-mêmes contribué ». Cette déclaration n’est pas la seule comptant en France. Le président de la République a eu des paroles fortes, appelant l’Europe à défendre sa souveraineté. « Acceptons-nous la règle de l'autre ou la tyrannie des événements ou faisons-nous le choix de décider pour nous-mêmes de l'autonomie profonde et donc oui d'une souveraineté européenne ? Qui choisira pour nos concitoyens les règles qui protègent leur vie privée ? Qui choisira d'expliquer l'équilibre économique dans lequel nos entreprises auront à vivre ? Des gouvernements étrangers qui, de fait, organiseront leur propagande ou leurs propres règles ? Des acteurs internationaux, devenus passagers clandestins d'un système qu'ils décident parce qu'ils l’organisent, ou considérons-nous que cela relève de la souveraineté européenne ? »114.

Quelles mesures pourraient-être prises par les Européens face à cette

agressivité américaine ? Il existe un dispositif juridique efficace, le « blocking status »115, né en 1996, dans le but de contourner les sanctions américaines sur Cuba. Reprendre ce règlement serait-il possible pour permette aux entreprises européennes de commercer sans l’accord

112 http://www.europe1.fr/international/angela-merkel-leurope-ne-peut-plus-compter-sur-les-etats-unis-pour-la-proteger-3648581 113https://www.ladepeche.fr/article/2018/05/11/2795908-iran-paris-pousse-pour-une-riposte-europeenne-aux-sanctions-americaines.html 114http://www.atlantico.fr/decryptage/mission-impossible-europe-face-au-defi-construction-souverainete-reelle-dans-nouveau-monde-trump-philippe-fabry-3390539.html 115https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/iran-l-ue-enclenche-le-blocage-des-sanctions-americaines_2009448.html

77

des États-Unis ? Quelle serait la réaction de Donald Trump face à une telle utilisation ? Faut-il une nouvelle loi ?

La question a été lancée par la Commission européenne le 18 mai 2018, qui réfléchit à un moyen de contourner les sanctions américaines sur l’Iran, et ainsi accéder au marché116.

B. Vers une reprise en main des États européens dans la gouvernance d’Airbus

Alors que Tom Enders a prévu de quitter son poste de PDG d’Airbus dès l’année

prochaine, quelle sera la nouvelle gouvernance du groupe ? Son dernier mandat fut

l’objet de scandales, et de tensions au sein du groupe et de la direction. Comment les

États actionnaires, que sont la France, l’Allemagne et l’Espagne, vont-ils œuvrer pour

remettre de l’ordre et de la stabilité dans un groupe connaissant des difficultés,

notamment juridiques.

Emmanuel Macron et Angela Merkel ont indiqué être attentifs et « vigilants » sur l’évolution de la gouvernance du groupe. Bien que refusant, pour le moment, de revenir au sein du conseil d’administration de l’avionneur, Angela Merkel a annoncé avec le président français que « nous prendrons donc les meilleurs en veillant à ce que les équilibres des différentes nations soient respectés, en poursuivant l'intérêt de la compagnie ».

L’Allemagne a d’ores et déjà accepté l’idée que le groupe soit de nouveau

dirigé par un Français117, reprenant ainsi la présidence du conseil d’administration, aujourd’hui détenu par Denis Ranque. L’on reste ainsi sur un équilibre historique au sein du groupe, se partageant chacun à leur tour, les rôles de PDG et de président du conseil d’administration. Mais cet équilibre sera-t-il également conservé au sein des équipes ?

Quel sera le nouveau PDG, en lieu et place de Tom Enders ? Beaucoup de noms

ont circulé début 2018. Des plus improbables comme Jean-Pierre Trichet à d’autres plus réalistes comme Carlos Ghosn mais le successeur le plus crédible semble être Guilllaume Faury, à moins que l’Elysée tente d’imposer son candidat qui pourrait être par exemple Stéphane Israël. Ce nouveau dirigeant français aura-t-il les épaules pour guider Airbus dans les turbulences à venir ?

Ne faudrait-il pas que les États européens reviennent au Board, pour renforcer

le groupe, retracer une ligne directrice, et dissuader toute forme d’ingérence économique américaine ?

116http://premium.lefigaro.fr/conjoncture/2018/05/17/20002-20180517ARTFIG00401-nucleaire-iranien-l-europe-amorce-sa-riposte-a-trump.php 117 https://www.capital.fr/entreprises-marches/airbus-un-successeur-francais-a-tom-enders-1274884

78

Conclusion

79

Sur le champ de bataille de la guerre économique, Airbus est donc attaqué de toutes parts. La

présentation de cette vision du dossier sous l’angle de l’intelligence économique a recoupé plusieurs

champs. De l’analyse économique, commerciale, juridique, en passant par les rapports de force entre

Etats, cette analyse s’est voulue la plus objective possible avec les moyens dont disposaient les

étudiants.

Les services de renseignements des différents protagonistes ont des éléments auxquels nous

ne pouvons avoir accès. Même la justice ne sera peut-être jamais au courant des dessous des cartes

de cette « affaire Airbus ». On ne peut sonder les cœurs et les reins, mais les choix sont parfois

troublants.

Airbus est une entreprise complexe à diriger. Ce constat est le fruit de son histoire. Les divisions

politiques européennes se répercutent sur ses décisions, ce qui donne un avantage à ses concurrents.

Les grands groupes familiaux comme Michelin, Dassault ou Pierre Fabre, qui ont su conserver

une culture de management familiale, semblent mieux armés pour résister à ces problèmes de

corruption.

Juridiquement le choix de Tom Enders de mettre fin à la corruption au sein de l’entreprise est

louable, mais l’analyse précise des acteurs aurait dû le mettre en garde contre certains mécanismes. Il

fallait donner des gages au DOJ qui observait de près ce dossier. Le choix de John Harrison a peut-être

été dicté par cette volonté, mais il aurait fallu lui donner une feuille de route claire pour ne pas réitérer

les erreurs de Technip.

Politiquement, peut-être aurait-il fallu tenir informé les Etats français et Allemand ? Airbus est

un objet géopolitique à part entière comme toutes les grandes multinationales. Le couple franco-

allemand est certes divisé sur ce dossier, mais n’aurait-il pas pu jouer un rôle diplomatique ? La mise

en garde des pays européens envers les Etats-Unis, pour éviter que ne se reproduise le scénario

Alstom-GE, aurait peut-être pu trouver une certaine résonnance, surtout si on avait mis en avant la

menace chinoise.

Il existe une vraie défiance des entrepreneurs vis-à-vis des politiques en France. On ne peut

pas donner entièrement tort à Enders de refuser les convocations de l’Elysée ou de l’Assemblée

Nationale, lorsque l’on voit le rôle de l’Etat actionnaire118, ou encore l’état des finances publiques

françaises. De même, l’Allemagne n’a pas la même conception du lien entre politique et industrie. Par

exemple de nombreux députés allemands sont contre l’aide que la Bundeswehr peut apporter lors la

vente d’arme à l’exportation119.

Néanmoins il faut observer ce qui se fait chez les concurrents. Cela parait naturel lorsque l’on

parle de commerce. Airbus observe précisément ce que fait Boeing dans le duopole qui dure depuis

des années. Les deux concurrents se connaissent bien. Alors pour quelles raisons l’avionneur européen

ne remet-il pas en cause les liens particuliers qui existent entre Washington et Chicago120 ?

L’idée maitresse de ce travail est de mettre en avant le fait que les grandes entreprises

mondialisées sont devenues des objets géopolitiques à part entière. Les chefs d’Etat se rendent

118 David Azéma « L’impossible Etat actionnaire » http://www.institutmontaigne.org/publications/limpossible-etat-actionnaire 119 http://www.rfi.fr/moyen-orient/20110706-polemique-allemagne-propos-vente-chars-arabie-saoudite 120 Siège de Boeing dans l’Illinois (USA).

80

compte que la puissance économique est devenue l’arme du XXIème siècle. La mondialisation leur a

ôté toute capacité à contraindre les entreprises privées. Les grands capitaines d’industries ont, parfois,

plus de pouvoir que les chefs d’Etat. Néanmoins, ils ne disposent pas de la légitimité afin de guider le

destin de centaines de milliers de personnes. Leurs erreurs ne sont pas sanctionnées par les urnes.

Chez Airbus, le conseil de surveillance de Denis Ranque a fait une confiance aveugle à Tom Enders. A

quoi sert alors ce contre-pouvoir ? Dans une situation normale, il n’est pas choquant que les décisions

du CEO soient suivies sans discussion. Mais dans le cas d’une crise grave ? Il serait bon que les

personnes - mis en place pour leur expérience, leur sagesse, leurs réseaux… - justifient leur

rémunération. Les dirigeants ne risquent pas leur poste lors d’une élection comme en politique. Leur

retraite est assurée et elle les oblige. Tom Enders voulait initialement rester à la tête de l’entreprise

malgré les affaires. Lorsque nous avons voulu nous rendre à l’assemblée générale du groupe au mois

d’avril à Amsterdam, les portes nous ont été fermées. Est-ce la peur d’une révolte des actionnaires ?

Une accumulation d’erreurs stratégiques peut avoir des conséquences dramatiques sur la vie

même de l’entreprise. Les vagues de délocalisations françaises vers l’Asie dans les années 1990 n’ont

pas pu être jugulées par une loi. L’Etat stratège devrait s’inspirer de ce que font les Etats-Unis pour

aider leurs entreprises.

Pour l’économiste Hervé Juvin « Les sanctions américaines contre les entreprises françaises et

européennes méritent attention. Elles révèlent une stratégie de mobilisation du droit dans la guerre

économique, qui se traduit par le changement de nature du droit placé sous la dépendance de

l’économie et de la géopolitique.121 »

L’Europe est actuellement prise en étau entre les Etats-Unis du président Trump et la puissance

chinoise. Ne pas s’orienter rapidement vers un troisième modèle signerait son acte de décès...122

Les seuls moyens existant aujourd’hui pour lutter contre l’extraterritorialité du droit américain

sont collectifs, et se situent à la charnière de l’action juridique et politique.

L’exemple de la réaction à la loi Helms-Burton peut fournir une piste de réflexion : en mars

1996, les États-Unis votent la loi Helms-Burton pour renforcer le blocus américain autour de l’île de

Cuba, en vigueur depuis la prise de pouvoir de Fidel Castro en 1959. Cette loi étend à toute personne

ou entreprise étrangère l’interdiction de commercer des biens américains qui ont été nationalisés par

le nouveau régime entre 1959 et 1961. Ayant un caractère extraterritorial, elle a été dénoncée devant

l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) par l’Union Européenne (UE), dès avril 1996. Face à la

pression internationale, notamment européenne, et à la menace de sanctions économiques, les États-

Unis ont restreint ses modalités d’application.

Une autre hypothèse consisterait à essayer de faire jouer des règles internationales :

constatant que ces pratiques américaines créent un déséquilibre dans la concurrence, l’Union

européenne saisirait l’OMC pour qu’elle constate et juge si possible. Cela risquerait d’être assez long,

le temps de décider l’Union européenne puis d’obtenir l’intervention de l’OMC…

D’une manière plus générale, la réaction à l’extraterritorialité du droit américain se situe

aujourd’hui au niveau politique. Mais les Hommes au pouvoir, tant en France qu’en Europe, le veulent-

121https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/potomac-papers/comply-or-die-entreprises-face-lexigence-de-conformite 122 Nicolas Moinet in http://notes-geopolitiques.com/geopolitique-des-espions-economiques/

81

ils ? Ces décideurs politiques français et européens ont du mal à envisager que le commerce ne soit

pas l’idéal de « doux commerce » développé par Montesquieu, mais le déplacement de la violence

dans un nouveau champ d’action123. General Electric a racheté le fleuron français Alstom, alors que

l’inverse aurait été inimaginable... Le Gouvernement français a le devoir de défendre les industries

stratégiques : laissera-t-il sombrer Airbus, et d’autres ?

Technip, Alcatel-Lucent, Total, Alstom ne devraient nullement être considérées comme des cas

isolés. A en croire les auteurs du FCPA blog, et leur dernière « Corporate Investigations List » recensant

les entreprises actuellement sous enquête aux Etats-Unis pour violation présumée du FCPA, il se

pourrait bien en effet que d’autres entreprises françaises soient à terme pareillement sanctionnées.124

123 De MAISON ROUGE O., Le droit de l’intelligence économique – patrimoine informationnel et secrets d’affaires, Lamy, coll. Axe Droit, 2012 124 http://www.fcpablog.com/lists/

82

Sommaire des annexes :

Annexe I : Bibliographie.

Annexe II : Tableau des amendes.

Annexe III : Analyse des réseaux sociaux.

Annexe IV : Cartographie des acteurs

.

83

Annexe I : Bibliographie

Ouvrages :

L’Allemagne paiera d’Odile Benyahia-Kouider, Fayard, 2013

L'ami américain- Washington contre de Gaulle, d’Eric BRANCA Perrin, 2017

FCPA. La France face au droit américain de la lutte anti-corruption, d’Emmanuel Breen, coll. "Pratique

des affaires", Joly éditions, 2017

Le droit de l’intelligence économique – patrimoine informationnel et secrets d’affaires, De MAISON

ROUGE O., Lamy, coll. Axe Droit, 2012

Le dictionnaire du renseignement d’Hugues Moutou et Jérôme Poirot Perrin, 2018

Articles (par ordre de citation dans le mémoire) :

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/alstom-siemens-vers-la-naissance-d-un-

airbus-du-rail-751797.html

https://bfmbusiness.bfmtv.com/emploi/les-entreprises-preferees-des-jeunes-diplomes-en-2018-

sont-1402804.html

https://www.cerclejefferson.org/articles/8530-reception-en-lhonneur-des-nouveaux-ivs

https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/alstom-ge-renonce-a-ses-engagements-sur-l-emploi-

en-france_2017170.html

https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0301848183619-en-difficulte-general-

electric-est-exclu-du-dow-jones-2185656.php

https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/corruption-guerre-des-chefs-pour-cet-ex-n-2-

de-la-dgse-la-situation-est-tres-grave-a-airbus_558243

https://www.usinenouvelle.com/article/airbus-un-modele-inacheve.N445572

https://www.journal-aviation.com/actualites/35025-vers-un-airbus-plus-fort-et-plus-agile

http://www.airbus.com/space/telecommunications-satellites/oneweb-satellites-connection-for-people-all-over-the-globe.html https://www.usinenouvelle.com/article/airbus-a320neo-ce-modele-industriel-ultra-rentable.N286474 https://www.usinenouvelle.com/article/un-business-model-qui-se-cherche.N551493 https://www.igen.fr/telecoms/2018/04/les-avions-europeens-pourront-bientot-proposer-du-wi-fi-

bord-103673

https://www.20minutes.fr/economie/2256299-20180417-internet-haut-debit-bord-europeens-

arrive-grace-lancement-nouveau-satellite

84

https://www.ladepeche.fr/article/2018/04/17/2781861-l-internet-haut-debit-debarque-a-bord-des-

avions.html

https://www.capital.fr/entreprises-marches/easyjet-confie-la-maintenance-predictive-de-ses-avions-

a-airbus-1279850

https://www.usinenouvelle.com/article/avec-skywise-airbus-lance-l-internet-des-avions.N618963

https://www.airbus-sv.com/leaders

https://www.airbus-bizlab.com/about

http://www.airbusventures.vc/

https://www.airbus.com/content/dam/corporate-topics/publications/backgrounders/Protospace-

backgrounder-E.pdf

https://www.lexpress.fr/informations/comment-la-france-a-recrute-des-savants-de-

hitler_633743.html

https://www.marianne.net/economie/quand-la-france-et-l-allemagne-se-font-la-guerre-

commerciale

https://www.lesechos-etudes.fr/etudes/industrie-btp/marche-aeronautique-civile1/

http://transfer-lbc.com/fr/1493/aeronautique-embraer-la-reussite-dun-geant-bresilien.html

https://www.aerospace-technology.com/projects/bombardier2/

https://fr.rbth.com/economie/79465-avions-russes-superjet-sukhoi

http://www.air-journal.fr/2018-01-01-mitsubishi-le-mrj-sera-la-en-2020-5192612.html

https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/le-c919-de-comac-une-alternative-viable-a-l-

airbus-a320-et-au-boeing-b737_471593

http://www.leparisien.fr/economie/premier-vol-reussi-pour-le-comac-c919-rival-chinois-d-airbus-et-

boeing-05-05-2017-6918939.php

https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/salon-le-duopole-airbus-boeing-confronte-a-une-

concurrence-emergente-1687144.php

http://www.aeromorning.com/blog/airbus-boeing-a-fin-duopole/

https://www.challenges.fr/entreprise/airbus-boeing-un-duopole-intouchable_162

http://www.technip.com/en/personality/john-harrison#

https://geoprospect.mobi/societe.php?societe=8oaas3-52452072300023-7022z-plan-c-41-av-

bosquet-75007-paris

https://www.capital.fr/entreprises-marches/airbus-vise-par-une-enquete-pour-corruption-au-

royaume-uni-1154723

https://www.mediapart.fr/journal/france/310516/les-12-millions-d-euros-d-airbus-pour-le-premier-

ministre-kazakh

85

https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/selon-mediapart-gigantesque-scandale-corruption-

concerne-airbus_11393761.html

https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-10-chiffres-cles-du-duel-entre-airbus-et-boeing-

en-2016-1208895

https://www.ladepeche.fr/article/2016/11/29/2468278-airbus-le-detail-du-plan-de-reduction-de-

postes-devoile.html

http://www.businessinsider.fr/airbus-va-supprimer-des-postes-en-rd-ses-differentes-divisions-

devront-se-partager-ses-grandes-decouvertes/

https://ftm-cgt.fr/airbus-dividendes-hausse-rd-investissements-sacrifies-22-fevrier-2017/

https://investir.lesechos.fr/pea-pme/dossiers/l-impact-de-la-baisse-de-rd-chez-airbus-devrait-avoir-

un-effet-limite-dans-les-ssii/l-impact-de-la-baisse-de-r-d-chez-airbus-devrait-avoir-un-effet-limite-

dans-les-ssii-952799.php

https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/enders-bregier-reglements-de-comptes-a-ok-

airbus_519845

https://www.ft.com/content/0059dd86-14a9-11e7-b0c1-37e417ee6c76

https://www.gov.uk/government/organisations/uk-export-finance

http://www.lefigaro.fr/societes/2018/02/15/20005-20180215ARTFIG00307-airbus-les-etats-unis-

veulent-en-savoir-plus-sur-les-enquetes-pour-corruption.php

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/06/23/kazakhgate-airbus-place-sous-le-statut-

de-temoin-assiste_5319958_1653578.html

http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/corruption-au-nigeria-technip-condamne-338-

millions-de-dollars-d-amendes-28-06-2010-981158.php

https://www.justice.gov/opa/pr/hewlett-packard-russia-pleads-guilty-and-sentenced-bribery-

russian-government-officials

http://www.novethic.fr/actualite/gouvernance-dentreprise/corruption/isr-rse/lutte-contre-la-

corruption-aux-etats-unis-les-entreprises-sont-mises-en-rehab-143111.html

https://portail-ie.fr/analysis/1720/lextraterritorialite-americaine-une-superpuissance-juridique-de-

la-lutte-contre-la-corruption-mondiale

https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2010/23/contents

http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/07/04/cercle_36223.htm#hMpWqB2PDGo81YyH.9

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/rolls-royce-met-fin-a-

un-scandale-de-corruption-pour-763-millions-d-euros-631188.html

http://www.leparisien.fr/faits-divers/espionnage-presume-de-l-allemagne-airbus-porte-plainte-

contre-x-30-04-2015-4737303.php

https://placedelaconformite.com/arret-petrole-contre-nourriture-la-france-precise-sa-lutte-contre-

la-corruption/

86

https://globalconnections.hsbc.com/france/fr/articles/aeronautique-secteur-a-forte-croissance-au-

niveau-mondial

http://www.airbus.com/content/dam/corporatetopics/publications/backgrounders/Airbus_Global_

Market_Forecast_2017 2036_Growing_Horizons_full_book.pdf

http://www.boeing.com/resources/boeingdotcom/commercial/market/current-market-outlook-

2017/assets/downloads/2017-cmo-6-19.pdf

http://asd-europe.org/news-publications/facts-figures

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/airbus-a380-les-

raisons-d-un-echec-764780.html

https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/le-c919-de-comac-une-alternative-viable-a-l-

airbus-a320-et-au-boeing-b737_471593

https://www.capital.fr/entreprises-marches/le-premier-rival-chinois-d-airbus-et-boeing-pret-a-

decoller-1224872

http://www.leparisien.fr/economie/aeronautique-chinois-et-russes-s-allient-pour-produire-un-avion-

long-courrier-03-10-2017-7304850.php

http://airinfo.org/2017/07/01/comac-c919-pas-pres-de-menacer-duopole-airbus-boeing-moodys/

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-avion-chinois-c919-

n-entrera-pas-en-service-avant-2021-si-tout-va-bien-767478.html

https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-02-22/airbus-ceo-vows-to-stay-in-post-brexit-u-k-

for-a-very-long-time

https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/airbus-otage-du-brexit_2007857.html

https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/accord-brexit-airbus-

menace-quitter-royaume-uni-1499837.html

http://www.airbus.com/company/worldwide-presence/uk.html

https://www.walesonline.co.uk/business/business-news/airbus-consquences-no-deal-brexit-

13925159

https://www.theguardian.com/business/live/2017/sep/27/theresa-may-bitterly-disappointed-

bombardier-trade-tariff-imf-world-economy-business-live

https://www.theguardian.com/uk/2006/dec/15/saudiarabia.armstrade

https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/f-35-preoccupe-l-armee-l-air-131972

https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/avion-futur-scaf-est-lance-14420

https://www.challenges.fr/entreprise/defense/avion-de-combat-franco-allemand-une-bonne-idee-

vraiment_583126

https://www.challenges.fr/entreprise/transports/nucleaire-iranien-le-coup-de-poignard-de-trump-

contre-airbus_586049

http://www.air-journal.fr/2018-05-23-omc-airbus-samende-pour-les-a350-et-a380-5199191.html

87

https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/0301681067149-lomc-donne-partiellement-

raison-a-boeing-contre-airbus-2176123.php

https://www.challenges.fr/entreprise/aeronautique/airbus-affirme-etre-en-conformite-avec-les-

regles-de-l-omc-et-somme-boeing-d-en-faire-autant_588765

https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/trump-dynamite-le-commerce-

mondial_1999232.html

http://www.europe1.fr/international/angela-merkel-leurope-ne-peut-plus-compter-sur-les-etats-

unis-pour-la-proteger-3648581

https://www.ladepeche.fr/article/2018/05/11/2795908-iran-paris-pousse-pour-une-riposte-

europeenne-aux-sanctions-americaines.html

http://www.atlantico.fr/decryptage/mission-impossible-europe-face-au-defi-construction-

souverainete-reelle-dans-nouveau-monde-trump-philippe-fabry-3390539.html

https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/iran-l-ue-enclenche-le-blocage-des-sanctions-

americaines_2009448.html

http://premium.lefigaro.fr/conjoncture/2018/05/17/20002-20180517ARTFIG00401-nucleaire-

iranien-l-europe-amorce-sa-riposte-a-trump.php

https://www.capital.fr/entreprises-marches/airbus-un-successeur-francais-a-tom-enders-1274884

http://www.institutmontaigne.org/publications/limpossible-etat-actionnaire

https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/potomac-papers/comply-or-die-entreprises-face-

lexigence-de-conformite

Reportages:

https://www.guerrefantome.com/

Le patron d'Airbus, Tom Enders, s'engage pour Emmanuel Macron, europe1.fr, 1er mai 2017

Marie-Pierre Gröndhal, « Airbus en pleine turbulences », Paris Match, semaine du 19 au 25 septembre

2017

http://www.rfi.fr/moyen-orient/20110706-polemique-allemagne-propos-vente-chars-arabie-

saoudite

https://www.fondation-res-publica.org/Colloques-de-la-Fondation-Res Publica_r3.html

Rapports parlementaires :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp

http://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-

d-enquete-sur-les-decisions-de-l-etat-en-matiere-de-politique-industrielle-notamment-dans-les-cas-

d-alstom-d-alcatel-et-de-stx

88

Etudes :

https://www.flightglobal.com/news/articles/airbus-supplement-airbus-history-28565/

https://cdn2.hubspot.net/hubfs/314186/documents-fr/etude-cas-management-innovation/airbus-

fr.pdf

http://www.ttu.fr/wp-content/uploads/2016/08/AIRBUS-PERFORMANCE-COMPETITIVITE.pdf

https://company.airbus.com/.../airbusgroup/.../Airbus-Annual-Report-2016

http://www.airbus.com/investors/financial-results-and-annual-reports.html#annualreports

http://www.fcpablog.com/blog/2017/10/24/susan-hawley-is-airbus-a-repeat-of-the-bae-al-

yamamah-fiasco.html

Nicolas Moinet in http://notes-geopolitiques.com/geopolitique-des-espions-economiques/

89

Annexe II : Tableau récapitulatif des plus gros montants des sanctions

payées au titre de l’application du FCPA (mis à jour en 2017).

Entreprises

Pays du siège social de la société de tête au

moment des faits incriminés

Montant global (DoJ et/ou SEC) des

pénalités versées aux États-Unis

(millions de dollars)

Pénalités versées à des juridictions non-

américaines pour les mêmes faits

(millions de dollars)

Année de la transaction

Telia Suède 965 2017

Siemens Allemagne 800 856 2008

Alstom France 772 2014

Olympus (America) Japon/États-Unis (1) 646 2016

KBR/Halliburton États-Unis 579 2009

Och-Ziff Capital Management Group

États-Unis 412 2016

BAE Systems Royaume-Uni 400 2010

Total France 398 2013

Vimpelcom Pays-Bas 398 environ 398 2016

Alcoa États-Unis 384 2014

Snamprogetti/ENI Italie/Pays-Bas 365 2010

Technip France 338 2010

Weatherford International

États-Unis 252 2013

Panalpina Italie 237 2010

JGC Japon 219 2011

Daimler Allemagne 185 2010

Alcatel-Lucent France 137 2010

Avon États-Unis 135 2014

Hewlett-Packard États-Unis 108 2014

90

Annexe III : Analyse des réseaux sociaux

Première étude : Analyse Airbus via Twitter : prisme des journalistes et députés français

Depuis plusieurs mois, le géant européen de l’aéronautique, dont le principal concurrent est

l’américain Boeing, est dans la tourmente d’investigations concernant des charges de corruption. Le

Serious Fraud Office anglais a ainsi commencé à enquêter en 2016, après que le groupe se soit lui-

même dénoncé auprès du Royaume-Uni. L’idée étant d’éviter des poursuites par le puissant

Department Of Justice américain, qui sur des affaires similaires a permis à des groupes américains de

racheter leurs rivaux français (Alstom, Technip …) via la menace d’amendes énormes (et un risque réel

de prison pour les dirigeants des entreprises concernées). Un article du blog de l’IAE Poitiers Cell’ie a

d’ailleurs creusé les enjeux du droit extraterritorial dans ce dossier.

Mais pour autant, tout ne va pas si mal pour l’entreprise, qui a décroché un contrat record au salon de

l’aéronautique de Dubaï à la mi-novembre 2017, avec 430 appareils A320 commandés par le loueur

américain Indigo, soit la plus importante commande de l’histoire de l’aéronautique.

Qu’en pensent donc les réseaux sociaux, et twitter en particulier ? Avec l’outil professionnel Visibrain,

on peut analyser l’ensemble des mentions d’Airbus sur twitter, mais aussi y appliquer des filtres

spécifiques pour qualifier l’information. Avant de faire une comparaison des mentions en français et

en anglais d’Airbus sur la période allant du 1er septembre 2017 au 31 décembre 2017, nous allons

effectuer un focus sur les comptes twitter des journalistes et blogueurs francophones, ainsi que des

députés, pour analyser quels sont les comptes les plus influents sur ces deux populations.

Les journalistes plus intéressés par les affaires de corruption que par le record de commandes

Quelques chiffres : si Airbus a été mentionné 2367 fois via le corpus des journalistes francophones sur

la période étudiée, il s’agit principalement de retweets effectués par les abonnés. Sur la même période,

91 393 tweets ont été envoyés en français sur Airbus, dont 53 % de retweets.

Si le sujet intéresse, il est loin de faire le buzz : l’outil gratuit Expresso News de Visibrain qui permet

d’identifier chaque matin les articles les plus partagés sur les réseaux sociaux n’a jamais inclus une

mention d’Airbus en 2017. En utilisant l’outil Buzzsumo qui permet de rechercher les articles les plus

partagés sur les réseaux sociaux par mots-clés (à noter que sur Facebook il mélange like et partages)

on ne retrouve qu’un article de Marianne qui parle des affaires de corruption dans le top des articles

les plus partagés sur Airbus en 2017 :

91

Les articles les plus partagés via les comptes twitter des journalistes francophones sont quant à eux

plus axés sur ces affaires :

La cartographie des interactions entre les comptes twitter obtenue via le logiciel de recherche en

sciences sociales Gephi permet d’identifier les influenceurs et les communautés selon les mentions et

interactions entre les différents comptes twitter :

92

On identifie deux communautés centrales : celle de Mediapart en violet, qui entoure Airbus via ses

mentions, et celle de Challenges en vert, via surtout son journaliste Vincent Lamigeon. L’AFP et la

Dépêche du Midi sont également bien représentées. Cela est confirmé par une analyse des URL les

plus partagées :

93

Si les articles de Challenges collent à la thématique corruption et à ses conséquences, La Dépêche du

Midi est isolée sur la cartographie parce qu’elle est reprise sur des articles valorisant les avions Airbus

et donc sans lieu avec les affaires touchant Airbus : Premier vol d’essai réussi pour l’A330 Neo,

Atterrissage spectaculaire d'un A380 pris dans la tempête Xavier à l'aéroport de Düsseldorf … mais qui

ont du succès avec plus de 200 partages en tout (qui passent à plus de 1000 sur l’ensemble des tweets

francophones).

Des sujets variés via les hashtags autour de #airbus

La cartographie des hashtags utilisés par les journalistes sur cette période montre ainsi une certaine

variété de sujets abordés au-delà de la corruption et des affaires :

La commande d’Indigo à Dubaï apparait ainsi via plusieurs hashtags dédiés, mais également le soutien

des communautés de passionnés #avgeek (en vers en bas à droite).

Et les élus de la Nation, qu’en pensent-ils ?

Pour les députés, l’analyse est très simple : l’opposition s’intéresse aux turbulences d’Airbus pour

dénoncer l’inaction du gouvernement, tandis que la majorité se félicite des commandes record.

94

Bien évidemment, le sujet est à suivre car selon les prochaines étapes, la position des députés pourra

évoluer … On notera que seuls 39 tweets ont été envoyés mentionnant Airbus entre le 01/09/2017 et

le 31/12/2017, sur un total de 63 930 tweets uniques, soit moins de 0,06 % du total. Les journalistes,

eux, ont tweeté 590 fois sur le sujet, sur 525 609 tweets uniques, donc 0,13 % du total.

En bref, les journalistes français ont tweeté deux fois plus sur Airbus que la représentation nationale,

qui aurait pourtant tort de se désintéresser du sujet !

95

Deuxième étude : Méthode d’analyse de gros volumes de données sur Twitter : le cas Airbus

Cette seconde analyse des tweets concernant Airbus met l’accent sur les méthodologies d’analyse de gros volumes de donnés par la datavisualisation. Le discours marketing très orienté Big Data, IA, etc., incite à s’intéresser aux outils plutôt qu’à ce qu’on en fait : collecter toujours plus d’informations qualifiée ou non pour essayer d’en extraire quelque chose d’utile. Pour autant, nous verrons que l’essentiel est d’abord de savoir ce que l’on cherche, en définissant une méthodologie adaptée, pour donner du sens à l’analyse de grands volumes de données. Une bonne analyse Twitter nécessitera de croiser les metrics issus de la plateforme de veille Visibrain, et les insights de datavizs réalisées avec ces données via Gephi, logiciel de cartographie relationnelle. La période choisie est celle du 1er janvier au 31 mai 2018, avec les tweets en français et en anglais mentionnant Airbus, soit un corpus total de 888 500 tweets collectés.

Définir méthodologie claire et transparente et répondre à des questions précises

Nous analysons donc un volume de tweets très importants en deux langues, ce qui permet d’affiner les questions auxquelles répondre via ce corpus. Ces hypothèses nous amèneront à définir une méthodologie d’analyse précise. Par exemple :

Quelles sont les principales communautés actives en français et en anglais sur Airbus ? Peut-on identifier des logiques / stratégies d’influence en ligne, et qui les dirige ?

o Ces communautés échangent-elles ou ont-elles chacune leurs thématiques il faut visualiser la dynamique des échanges, selon le modèle du Pew Research Center.

o Des leaders de communautés apparaissent-ils ? en fonction de la position dans le réseau et de l’importance de leurs connections.

o Des relais d’informations sont-ils présents ? avec l’application d’un calcul d’influence de Gephi. o Des robots sont-ils utilisés via l’apparition de communautés déconnectées des échanges

Pour ce type d’analyse, il faut disposer d’un export des mentions / relations entre les comptes twitter actifs sur Airbus, qui inclura la totalité des tweets de la période donnée (sinon l’analyse sera biaisée, voire fausse). Il est préférable d’utiliser un outil dédié à la cartographie relationnelle tel que Gephi plutôt qu’un plugin intégré à une plateforme de veille : les résultats seront bien plus pertinents.

Nous allons donc nous intéresser aux logiques d’influences et à la détection de thématiques, pour répondre à deux questions simples: le groupe Airbus est-il au centre des tweets le mentionnant, et les thématiques les plus reprises via les hashtags sont-elles cohérentes avec sa communication ?

@Airbus et @AvgeeksFR leaders des tweets francophones sur Airbus

Du 1er janvier au 31 mai 2018, la plateforme Visibrain a identifié 95 000 tweets en français envoyés par 39 000 comptes différents. C’est une masse considérable d’information, bien qu’en réalité une grande partie des tweets n’apporte rien au débat, si ce n’est du bruit. S’il est utile de calculer les relations de communautés sur l’ensemble d’un réseau pour en comparer le poids respectif avec une vision de l’ensemble des tweets, le visuel final doit être nettoyé pour une analyse fine et précise.

C’est le premier intérêt de la cartographie de relation via le logiciel Gephi : trier les données et séparer les comptes twitter au cœur des échanges de ceux qui certes font partie d’une communauté, mais qui n’ont pas d’influence sur les échanges autre que de renforcer le ou les leaders de leur communauté.

Quand on parle d’une entreprise, la logique voudrait, comme le montre cette analyse sur Veolia, que le compte corporate se retrouve au centre des relations. Attention, cela ne veut pas dire que

96

l’entreprise est forcément très influente : cela peut également signifier que personne ne s’intéresse à elle pour tweeter sur son activité … A contrario, si, comme pour la Société Générale, ce sont d’autres comptes qui sont influents (ici un ancien salarié ayant un sérieux contentieux avec le groupe), il y a un vrai défi en termes d’influence et de réputation à protéger.

Ensuite, selon le secteur d’activité, des journalistes, des spécialistes, des partenaires ou concurrents pourront apparaitre, en relations plus ou moins directes selon l’actualité et selon leur stratégie d’influence. Voyons ce qu’il en est en filtrant les comptes twitter les plus mentionnés :

L’algorithme « modularity class » de Gephi permet d’identifier des communautés au sein d’un réseau. Dans le cas d’un corpus de tweets, ces communautés vont correspondre à des comptes twitter qui échangent plus entre eux qu’avec le reste du corpus, en général autour d’un ou de plusieurs leaders. On constate ici que la communauté rose, la plus importante avec 13 % du total des comptes, tourne autour d’Airbus. Un autre compte important est celui de @AvGeeksFR, qui a la valeur la plus importante du calcul de « betweeness centrality » après @Airbus : il s’agit des entités qui relient des communautés entre elles. Ces deux comptes ont par ailleurs publié très peu de tweets et totalisent 74 retweets sur la période. C’est donc leur capacité à être repris et mentionnés par d’autres communautés qui est importante, avec un total de 16 015 mentions.

97

Autre élément de lecture, le top tweet, élément incontournable des plateformes de veille. Ici, on constate que tous les principaux tweets sont isolés des échanges, leurs thématiques ne sont reprises que ponctuellement, et n’influent donc pas sur les débats. C’est par ailleurs une bonne illustration du phénomène du buzz : beaucoup de mentions sur un temps court, mais peu d’impact sur la réputation d’un groupe ou d’une marque, sauf exception. Bien des experts mettent en évidence que c’est l’émotion qui fait réagir le plus sur les réseaux sociaux mais c’est moins souvent un critère d’évaluation de produits.

L’export de Visibrain intègre la timeline des tweets. En suivant l’évolution du réseau des comptes twitter par mois, on observe un réseau toujours présent autour d’Airbus en rose, et ponctuellement

98

l’apparition de mini communautés autour du top tweet :

En utilisant la méthodologie simple d’analyse des échanges sur Twitter du Pew Research Center, on peut conclure que les échanges sur Airbus sont structurés autour d’un réseau de soutien à l’entreprise, ponctué de communautés isolées autour de comptes twitter très mentionnés mais peu influents sur les échanges. Il n’y a donc pas d’expert ou de personne influente en dehors des passionnés d’avions qui semblent se démarquer, alors même qu’il y a beaucoup de tweets identifiables sur Airbus.

#AvGeek, #innovation, #aéronautique, des hashtags qui correspondent à des mentions valorisantes

Les hashtags correspondants aux mentions des deux comptes influenceurs @AvGeeksFR et @Airbus semblent valoriser les avions d’Airbus, ce qui renforcent l’idée que @Airbus maitrise sa réputation en ligne :

99

On peut également faire une analyse relationnelle des hashtags pour mieux comprendre ce qui se dit sur Airbus, et pourquoi la firme semble maitriser sa réputation en ligne. Cette analyse via Gephi sera effectuée sans prendre en compte les retweets, afin de ne pas déséquilibrer l’interprétation des relations entre les hashtags utilisés par l’influence des comptes ayant twitté.

Certains hashtags liés à la corruption sont identifiables en rouge en haut de la dataviz, mais ils sont peu visibles et éloignés du cœur des échanges. Airbus bénéficie donc sur cette période d’une visibilité positive sur Twitter, via :

100

La valorisation de ses avions par la communauté de passionnés #AvGeek (en vert) La communication sur ses investissements en innovation, notamment le taxi-drone Vahana Les ventes réalisées à travers le monde (en bleu) L’attractivité de l’entreprise et de son secteur en tant qu’employeur (en orange).

À noter que sur une étude de long terme, il serait intéressant de cartographier les hashtags moins mentionnés mais néanmoins visibles pour suivre l’apparition de tendances éventuelles dans les tweets sur Airbus.

@Airbus au centre des comptes Twitter des compagnies utilisant ses avions sur les tweets en anglais

Les tweets anglais sur cette période sont très nombreux, 523 000 en tout. Nous allons aussi les analyser pour savoir si le groupe Airbus est au centre des tweets le mentionnant, et si les thématiques les plus reprises via les hashtags sont cohérentes avec l’analyse des influenceurs.

@Airbus est clairement au centre des échanges, les comptes les plus mentionnés sont principalement identifiables dans sa communauté et correspondent à des compagnies aériennes. Celles-ci sont associées aux avions d’Airbus via ses tweets notamment :

101

Les #hashtags autour de l’innovation plus populaires que les avions

Contrairement à l’analyse des liens entre les hashtags les plus utilisés dans les tweets français, on notera ici des communautés variées mais interconnectées, et qui semblent surtout montrer l’intérêt pour les tweets parlant d’innovation :

102

Les enjeux politiques liés à l’Iran se détachent du reste des conversations, sans avoir un point trop important. Le Brexit est également mentionné (en orange, en haut à droite), suite à la menace d’Airbus de délocaliser ses usines britanniques faute d’un accord avec l’Union Européenne.

Airbus reste un fleuron industriel et technologique sur Twitter

En dépit des investigations anti-corruption et des problèmes de gouvernance qui avaient amené Alain Juillet à tirer la sonnette d’alarme dans Challenges en janvier 2018, les échanges sur Twitter concernant Airbus restent positifs pour l’entreprise, en France comme à l’étranger. Le carnet de commande est plein, les projets innovants font leur chemin, et les communautés #AvGeek contribuent à faire connaitre les nouveaux avions du groupe.

La valeur ajoutée d’une méthodologie d’analyse des données transparente et définie par rapport à un objectif clair est ici démontrée : outre la réponse aux questions posées, on peut identifier dans la masse des données des thématiques ou des communautés intéressantes à surveiller. Tout collecter, si on a les bons outils et les ressources suffisantes, a du sens si l’on n’oublie pas que c’est une fraction de la masse des données qui est vraiment intéressante pour l’analyse. En ajoutant aux informations des tweets celles des comptes twitter, Visibrain permet de pointer plus précisément les analyses en ciblant des zones géographiques, des profils utilisateurs, etc., afin d’imaginer un affinage des tendances et des signaux à faire remonter.

103

Annexe IV : Cartographie des acteurs

John Harrison

104

Tom Enders