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Mediapart Mars 2012 Casino Naouri _ Intellignce Economique[1]

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La guerre économique version CasinoPAR MICHEL DELÉANARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 31 MARS 2012

Jean-Charles Naouri, bouillant PDG du groupeCasino, vient de partir à l’abordage de Monoprix,qu’il détient à 50-50 avec les Galeries Lafayette. Danscette guerre éclair, les deux groupes associés depuisquinze ans s’opposent vivement sur l’évaluation deMonoprix.

La moitié de Monoprix vaudrait 1,95 milliard d'eurosselon la Société générale, conseil des GaleriesLafayette, contre 700 millions d'euros seulement selonla banque Rothschild, conseil de Casino. Les deuxgroupes viennent de s’envoyer mutuellement unerafale d’assignations devant les tribunaux. CôtéGaleries Lafayette, on dénonce les « manœuvres » deCasino, qui ne respecterait pas ses accords et sous-valoriserait Monoprix de façon éhontée.

Fait révélateur de la tension qui règne entre les deuxparties, Philippe Houzé, le président du directoiredu groupe Galeries Lafayettes, vient de faire appelà l’influent Alain Bauer, criminologue proche deNicolas Sarkozy, pour contrer l’offensive de Jean-Charles Naouri, rapporte la Lettre de l’Expansion du26 mars.

Volontiers présenté comme un « stratège » ou un« joueur de poker » par la presse économique,l’insatiable Naouri mène par ailleurs en ce moment

une autre offensive au Brésil, finale celle-là, pour lecontrôle exclusif de sa filiale GPA, après être montéprogressivement dans le capital de son partenaire.

Ces méthodes de Naouri – entrer au capital d’uneentreprise familiale, puis en prendre le contrôle touten évinçant les fondateurs –, évoquent de façonsaisissante une autre affaire : le conflit toujours vivaceavec la famille Baud, les fondateurs de Franprixet de Leader Price, affaire qui occupe actuellementplusieurs juridictions, notamment au sujet de la sociétéGeimex.

Ce dossier a donné lieu à plusieurs perquisitionseffectuées discrètement par le juge d’instructionparisien René Grouman, au siège de Casino, à Saint-Etienne et à Paris, en juin 2010, et qui auraient mis enrage Jean-Charles Naouri.

Mediapart a pu prendre connaissance de nombreuxdocuments confidentiels qui éclairent d’un jour trèscru les méthodes brutales utilisées par le patron dugroupe Casino lors de cette guerre économique.

Plaintes en rafale et éviction des fondateurs

La famille Baud, avec à sa tête le patriarche Jean Baud,92 ans (il est plus âgé qu'Edouard Leclerc), a crééles supermarchés Franprix dans les années 1950, puisLeader Price en 1989. C’est en 1997 que le loup Casinoentre dans la bergerie, en prenant une participation

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majoritaire dans l’entreprise familiale, et en passantdes accords de vente et d’achat croisés avec les Baudl’année suivante.

Subitement, en 2007, les Baud sont débarquéssans ménagement des différents mandats qu’ilsexercent : Casino invoque des fautes de gestion et desmalversations pour les éjecter, et dénoncer du mêmecoup plusieurs accords actionnariaux et commerciaux.

Tous les coups sont permis pour ternir l’image de lafamille Baud. Le groupe Casino, qui ferait appel auxservices de 41 cabinets d’avocats d’affaires à Paris, aainsi déposé une dizaine de plaintes pénales contre leclan Baud.

L’une de ces procédures, qui visait le financement destravaux de rénovation d’un hôtel de luxe appartenantà l'un des fils de Jean Baud, Robert Baud (l'Agapa,dans les Côtes-d’Armor), s'est conclu en mai 2010avec la condamnation de celui-ci à quatre ans de prisonavec sursis. C’est toutefois une victoire modeste pourle groupe Casino, qui a été débouté de sa constitutionde partie civile (les faits ne concernant ni Franprix niLeader Price).

Sept autres plaintes déposées par Casino ont débouchésur un non-lieu. L’une concernait le financement d’unepublicité avec le footballeur Ronaldinho, et deuxautres la logistique des produits surgelés.

Actuellement, deux informations judiciaires pour« abus de biens sociaux » sont en cours : selon desinformations obtenues par Mediapart, trois membresdu clan Baud sont poursuivis à Paris dans une affaired’indemnisation de frais kilométriques, et quatre (dontle patriarche) le sont à Créteil dans un dossierde versement de participation salariale. « Ces deuxaffaires ne portent que sur quelques milliers d’euros,et se termineront par des non-lieux », assure l’un desavocats de la famille Baud.

Enfin, une autre information judiciaire pour « abus debiens sociaux» et « abus de confiance » est par ailleursinstruite discrètement par le juge Serge Tournaire, aupôle financier de Paris, et vise les coûts de constructiondes entrepôts et des magasins de l'empire Baud. « Uneaffaire sérieuse et menaçante », selon l'un des avocatsde Jean-Charles Naouri.

Quoi qu'il en soit, au plus fort de l’affrontement, toutsemblait bon pour salir les Baud. Venus récupérerleurs cartons au siège de Franprix, dans le Val-de-Marne, après leur éviction en 2007, les Baud sontaccusés de « vol, violation de domicile, menaces etmise en danger de la vie d’autrui », pour avoir soi-disant foncé en voiture sur un employé.

Cette plainte, déposée par le président du directoirede Franprix Holding, Jean-Michel Duhamel, a faitpschitt. Fantaisiste, elle se retourne contre son auteur,qui a, en août 2011, été renvoyé en correctionnelle

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pour « dénonciation calomnieuse » par la juged’instruction Claudine Enfoux, de Créteil. Le procèspourrait avoir lieu en juin.

Le recours aux officines

Au plus fort du conflit avec la famille Baud,courant 2007, Casino a fait appel aux servicesd’une société d’intelligence économique, I2F, dont lepatron, l’ancien policier Hervé Séveno, est au mieuxavec les services de renseignements. Il a notammentprésidé la Fédération professionnelle d’intelligenceéconomique.

Hervé Séveno est, par ailleurs, réputé proche du patronde la DCRI, Bernard Squarcini, de l’intermédiaireAlexandre Djourhi et de Dominique de Villepin (il aété l’éphémère numéro 3 de République solidaire),le tout en ayant de solides appuis dans les réseauxsarkozystes.

Le nom d'Hervé Séveno était apparu au détour del’affaire Clearstream, quand il avait porté plainte pour« faux et usage de faux » contre le patron de la DST,Pierre Bousquet de Florian, à qui il reprochait d'avoirvoulu le mouiller dans la manipulation Clearstream.

Plusieurs rapports confidentiels sur la famille Baudet ses affaires fournis par I2F à Casino et queMediapart a pu consulter font référence à uneopération « Overlord », qui semble évoquer de façon

assez transparente le « débarquement » de Jean Baud(celui-ci ayant, par ailleurs, vécu la Seconde Guerremondiale).

Un rapport d’étape de décembre 2006 détaille ainsides mésententes supposées au sein de la famille Baud,recense ceux de ses membres qui seraient favorables àla vente d’actifs, et explore le fonctionnement de sesholdings en Suisse et en Belgique.

Un autre rapport dévoile la vie privée et les affairesau Portugal d’un dirigeant du groupe. Une note d’août2007 s’intéresse, elle, aux activités de la famille Bauddans le secteur des chambres froides.

Rien n’échappe à la curiosité des enquêteursprivés d’I2F : un rapport assez surréaliste de juillet2008 dissèque ainsi sur six pages les activités d’unpetit monastère restauré par une dizaine de religieuses,dans le Var, et que Jean Baud ainsi que plusieursde ses enseignes auraient aidé financièrement. « Parrecoupement de diverses sources, nous pouvons direque cette association gère les revenus liés à la visitedu monastère et finance les travaux de restauration»,assène – sur un ton qui se veut martial – la conclusiondu rapport.

Où l'on retrouve le procureur Courroye

Le PDG du groupe Casino sait aussi soigner sesréseaux et son relationnel. Il a ainsi embauché– notamment – un ancien magistrat financier, JacquesFourvel, comme conseiller à la sécurité juridique ; il aoffert un emploi à l’épouse du procureur Courroye à lafondation Casino, et a recruté récemment à de hautes

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fonctions un ex-responsable de l’Autorité des marchésfinanciers (AMF), en la personne d’Antoine Giscardd’Estaing.

Un déjeuner organisé au domicile du procureurPhilippe Courroye, en janvier 2009, auquelparticipaient Jean-Charles Naouri, son avocat, PaulLombard, et le chef de la sous-direction des affaireséconomiques et financières de la police judiciaireparisienne, Patrick Hefner, qui supervisait alors lesplaintes déposées par Casino, a également révélél’étendue du pouvoir et de l’influence du PDG deCasino.

Le Canard enchaîné a en effet assuré que l’objet dece repas était justement l’accélération des enquêteslancées à la suite des plaintes de Casino. Ce quePhilippe Courroye a catégoriquement démenti.

L'affaire n'a pas eu de suite pour le magistrat, auquella ministre de la justice d'alors, Rachida Dati, n'arien trouvé à reprocher. Le policier Patrick Hefner, enrevanche, y a laissé quelques plumes.

Bien entouré, bénéficiant d'un carnet d'adressesimpressionnant, Jean-Charles Naouri sait aussipouvoir compter sur la bienveillance de la presse, quichante volontiers ses louanges. Pour cela, il rétribuedepuis plusieurs années l'agence Image 7, dirigée parla papesse de la communication Anne Méaux, quiconnaît tous les responsables de la presse économiqueet financière. Le budget publicitaire plus qu'estimable

du groupe Casino contribuant, dans tous les cas, àrendre la plupart des médias bienveillants, ou à tout lemoins très prudents.

Est-ce un hasard ? La famille Baud, en tout cas, jureavoir été victime d’une campagne de dénigrementet de harcèlement par presse interposée. « Casinoa inondé les rédactions de choses malveillantes »,tonne Edouard de Lamaze, qui annonce avoir déjàgagné cinq procès en diffamation (contre Capital,Challenges, Marianne et le Point, notamment).

Geimex : le dossier brûlant

Chez les Baud, on accuse également Jean-CharlesNaouri de vouloir déprécier par tous les moyensles participations de la famille dans les sociétéscommunes d’où il n’arrive pas à les évincer, tout enprétextant la découverte de fautes de gestion pour nepas exécuter les accords passés.

En novembre 2009, à l’issue d’un long arbitrage,Casino a ainsi dû verser 428,6 millions d’euros auxBaud pour les 5 % du capital de Franprix et les 25 %de Leader Price qui étaient encore dans le giron dela famille, et que Casino refusait de payer en dépitd'accords passés.

Aujourd’hui, c’est le dossier Geimex, une société quigère Franprix et Leader Price à l’international et dansles DOM-TOM, encore détenue à 50-50 par les Baudet Casino, qui est au cœur du conflit. Les Baud assurentque Naouri leur a offert une obole ridicule de 13millions d’euros pour leurs 50 % dans Geimex... alorsqu’ils sont valorisés 77 millions (soit cinq fois plus)dans les comptes 2010 du groupe Casino.

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Par ailleurs, selon une assignation au tribunal decommerce de Paris, Casino a racheté généreusementpour 60 millions d’euros les actions du directeurgénéral de Geimex, fin 2005, afin qu’il change decamp et lâche les Baud.

Les hostilités sont loin d’être terminées. Ce jeudi29 mars, devant le tribunal de commerce de Paris,les avocats de la famille Baud vont demander 68,6millions d’euros à Casino pour la perte de marchéspolonais et des pays baltes, qui ont privé la sociétéGeimex de ressources importantes, à leur insu et dansdes conditions plus que litigieuses, assurent-ils.

Dans un volet de cette même affaire, un tribunalarbitral a déjà condamné Casino à verser 7,25millions d’euros aux Baud en décembre 2011, et uneinformation judiciaire pour « abus de biens sociaux »et « abus de pouvoir» suit son cours depuis 2008 aucabinet de René Grouman, juge d’instruction au pôlefinancier de Paris, cela à la suite d'une plainte desBaud.

Un autre volet de l’affaire Geimex, qui concerne sesactivités sur l’île de la Réunion, fait l’objet d’uneprocédure supplémentaire, lancée par les Baud en2009 au tribunal de commerce de Paris.

Enfin, une autre plainte déposée par les Baud aupôle financier de Paris, en novembre 2010, vise ungros cabinet de commissaires aux comptes, accuséd’avoir été instrumentalisé par Casino et d'avoir rendu

des rapports à charge pour débarquer les fondateursde Franprix et Leader Price. Ce dossier sensible estinstruit par la juge d’instruction Patricia Simon.

Pour Edouard de Lamaze, l’avocat de Jean Baud,Jean-Charles Naouri symbolise un « capitalismefinancier débridé et sans scrupule » et personnifie un« système économique vicié » dans lequel les cabinetsd’audit, commissaires aux comptes, officines et autresconseils en communication sont appâtés par l’énormepuissance économique du groupe Casino, et se muenten mercenaires prêts à travestir la réalité.

« C’est le pot de fer contre le pot de terre », lâcheEdouard de Lamaze, qui se dit admiratif du petitempire qu'avait construit l'entrepreneur Jean Baud.

« Il y avait pas mal de cadavres dans les placards, lesfaits sont sérieux et les enquêtes judiciaires tiennent »,lui rétorque un des avocats de Jean-Charles Naouri.

D’extraction modeste, surdiplômé (il est normalien,inspecteur des finances et diplômé de Harvard), Jean-Charles Naouri a démarré sa brillante carrière dansla galaxie socialiste. Il a notamment été le directeurde cabinet de Pierre Bérégovoy au ministère del’économie sous François Mitterrand. Renvoyé encorrectionnelle pour « délit d'initiés » dans l’affaire duraid raté sur la Société générale en 1988, il a obtenuune relaxe en 2002.

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Après avoir pris la tête du groupe Euris, une holdingfinancière, et s’être lancé à l’assaut de la grandedistribution avec Rallye, puis Casino, Jean-CharlesNaouri est aujourd’hui un grand patron richissime :

avec 883 millions d’euros, il est à la tête de la 55e

fortune de France, selon Challenges. Son appétitsemble intact.

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