6
Prise en charge des enfants traumatise ´s cranio-ce ´re ´braux : une expe ´rience tunisienne § Management of traumatic brain injury in children: A tunisian experience O. Kharrat*, I. Miri, C. Dziri Service de me ´decine physique et de re ´adaptation fonctionnelle, Institut national d’orthope ´die Mohamed Kassab, rue des travailleurs, Ksar Saı ¨d, La Manouba, 2010 Tunis, Tunisie Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Summary Traumatic brain injury (TBI) in children occurs on a developing brain, with the potential to disrupt myelination and synaptogenesis, which exacerbates the importance of neuropsychological sequelae. The objective of this study is to report our experience in the management of children who have suffered from a TBI by studying the family and school impact of these sequelae. This is a retro- spective study of children under 16 years who were hospitalized for the first time in the service of Physical Medicine and Rehabilitation at the National Orthopaedic Kassab Institute for rehabilitation treatment after TBI between January 2008 and December 2013. Children with a history of mental retardation, congenital or acquired encephalopathy were excluded from this study. For each child, we specified data interrogation and clinical examination (before and during admission to our service) and the data of revaluation. These patients presented motor but also cognitive sequelae, without for- getting the family impact. The management of these patients must be comprehensive, regular and multidisciplinary. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Traumatic brain injury, Children, Assessment, Sequelae, Management Re ´sume ´ Le traumatisme cra ˆnio-ce ´re ´bral (TCC) de l’enfant survient sur un cerveau en plein de ´veloppement, avec le risque de perturber la mye ´linisation et la synaptogene `se, ce qui aggrave l’importance des se ´quelles neuropsychologiques. L’objectif de ce travail est de rap- porter notre expe ´rience dans la prise en charge des enfants ayant e ´te ´ victime d’un traumatisme cra ˆnio-ce ´re ´bral en e ´tudiant le retentisse- ment familial et scolaire de ces se ´quelles. Il s’agit d’une e ´tude re ´trospective portant sur les enfants a ˆge ´s de moins de 16 ans qui ont e ´te ´ hospitalise ´s pour la premie `re fois au service de me ´decine physique et re ´adaptation a ` l’Institut national d’orthope ´die Kassab pour prise en charge re ´e ´ducative suite a ` un TCC dans la pe ´riode allant de janvier 2008 a ` de ´cembre 2013. Pour chaque enfant, les donne ´es de l’interrogatoire, de l’examen clinique (avant et lors de l’admission dans notre service) et les donne ´es du suivi ont e ´te ´ pre ´cise ´es. Les se ´quelles trouve ´es chez ces patients sont motrices mais aussi cognitives sans oublier le retentissement familial. La prise en charge de ces patients doit e ˆtre globale pluridisciplinaire et continue. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. Mots cle ´s : Traumatisme cra ˆnio-ce ´re ´bral, Enfant, E ´ valuation, Se ´quel- les, Prise en charge § Travaux pre ´sente ´s les 6 et 7 fe ´vrier 2014 lors du colloque de Vierzon organise ´ par l’Association handicap invisible et portant sur les innovations dans la prise en charge des traumatismes cra ˆnio-ce ´re ´braux. * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (O. Kharrat). Rec ¸u le : 29 avril 2014 Accepte ´ le : 2 juin 2014 Disponible en ligne 28 juillet 2014 Pe ´diatrie 139 http://dx.doi.org/10.1016/j.jrm.2014.06.008 Journal de re ´adaptation me ´dicale 2014;34:139-144 0242-648X/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s.

Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

  • Upload
    c

  • View
    216

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

�����������

Pediatrie

���

��������

Prise en charge des enfants traumatisescranio-cerebraux : une experiencetunisienne§

Management of traumatic brain injury in children:A tunisian experience

O. Kharrat*, I. Miri, C. DziriDisponible en ligne sur

���������������������

Recu le :29 avril 2014Accepte le :2 juin 2014Disponible en ligne28 juillet 2014

��

Service de medecine physique et de readaptation fonctionnelle, Institut national d’orthopedieMohamed Kassab, rue des travailleurs, Ksar Saıd, La Manouba, 2010 Tunis, Tunisie

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

SummaryTraumatic brain injury (TBI) in children occurs on a developing

brain, with the potential to disrupt myelination and synaptogenesis,

which exacerbates the importance of neuropsychological sequelae.

The objective of this study is to report our experience in the

management of children who have suffered from a TBI by studying

the family and school impact of these sequelae. This is a retro-

spective study of children under 16 years who were hospitalized for

the first time in the service of Physical Medicine and Rehabilitation

at the National Orthopaedic Kassab Institute for rehabilitation

treatment after TBI between January 2008 and December 2013.

Children with a history of mental retardation, congenital or acquired

encephalopathy were excluded from this study. For each child, we

specified data interrogation and clinical examination (before and

during admission to our service) and the data of revaluation. These

patients presented motor but also cognitive sequelae, without for-

getting the family impact. The management of these patients must be

comprehensive, regular and multidisciplinary.

� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Traumatic brain injury, Children, Assessment, Sequelae,Management

ResumeLe traumatisme cranio-cerebral (TCC) de l’enfant survient sur un

cerveau en plein developpement, avec le risque de perturber la

myelinisation et la synaptogenese, ce qui aggrave l’importance des

sequelles neuropsychologiques. L’objectif de ce travail est de rap-

porter notre experience dans la prise en charge des enfants ayant ete

victime d’un traumatisme cranio-cerebral en etudiant le retentisse-

ment familial et scolaire de ces sequelles. Il s’agit d’une etude

retrospective portant sur les enfants ages de moins de 16 ans qui ont

ete hospitalises pour la premiere fois au service de medecine

physique et readaptation a l’Institut national d’orthopedie Kassab

pour prise en charge reeducative suite a un TCC dans la periode

allant de janvier 2008 a decembre 2013. Pour chaque enfant, les

donnees de l’interrogatoire, de l’examen clinique (avant et lors de

l’admission dans notre service) et les donnees du suivi ont ete

precisees. Les sequelles trouvees chez ces patients sont motrices

mais aussi cognitives sans oublier le retentissement familial. La prise

en charge de ces patients doit etre globale pluridisciplinaire et

continue.

� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

Mots cles : Traumatisme cranio-cerebral, Enfant, Evaluation, Sequel-les, Prise en charge

§ Travaux presentes les 6 et 7 fevrier 2014 lors du colloque de Vierzon organise par l’Association handicap invisible et portant sur les innovations dans la prise encharge des traumatismes cranio-cerebraux.* Auteur correspondant.e-mail : [email protected] (O. Kharrat).

139

http://dx.doi.org/10.1016/j.jrm.2014.06.008 Journal de readaptation medicale 2014;34:139-1440242-648X/� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

Page 2: Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

O. Kharrat et al. Journal de readaptation medicale 2014;34:139-144

Introduction

Les traumatismes cranio-cerebraux (TCC) constituent descauses de mortalite et plus encore de morbidite particuliere-ment frequentes chez l’enfant et l’adolescent exposes auxrisques d’accidents de la voie publique ou encore aux risquesd’accidents domestiques [1,2]. Si le pronostic vital a ete consi-derablement ameliore par la mise en jeu des techniques dereanimation precoces et semi-precoces, le probleme dessequelles a long terme reste entier, posant la question dela prise en charge et de l’evaluation [3].Le TCC chez l’enfant intervient, sur un cerveau en pleindeveloppement, avec le risque de perturber la myelinisationet la synaptogenese, ce qui aggrave l’importance des sequel-les neuropsychologiques. Dans le cas de lesions encephaliquesdiffuses, le potentiel de developpement neuropsychologiquede l’enfant se trouvera diminue, surtout s’il est jeune ; enrevanche, pour des lesions moins importantes (lesions foca-les), on peut esperer une meilleure adaptation que chezl’adulte puisque la synaptogenese des territoires non lesesva se poursuivre tardivement [3]. Les formes parmi les plusgraves correspondent a des lesions encephaliques diffusesavec atteinte du tronc cerebral [4].Ces sequelles et leurs consequences sur la vie quotidienne etla reinsertion socioprofessionnelle des blesses ont ete large-ment etudiees, analysees en termes de deficiences, incapa-cites et handicap [5].Le but de ce travail est de rapporter notre experience tuni-sienne dans la prise en charge des enfants ayant ete victimed’un TCC et ayant necessite une hospitalisation en milieu dereeducation en etudiant le retentissement familial et scolairede ces sequelles.

Patients et methodes

Il s’agit d’une etude retrospective portant sur les enfants agesde moins de 16 ans qui ont ete hospitalises pour la premiere foisau service de medecine physique et readaptation a l’Institutnational d’orthopedie Kassab pour prise en charge reeducativeapres un TCC entre janvier 2008 et decembre 2013.Les enfants ayant des antecedents de retard mental, d’encepha-lopathie acquise ou congenitale ont ete exclus de cette etude.Pour chaque enfant, nous avons precise :� les donnees de l’interrogatoire et de l’examen cliniqueavant l’admission a notre service :

� a

140

ge, l’anciennete du TCC, les antecedents pathologi-ques, la scolarite, les traitements en cours. . .

� L

es circonstances de survenue de l’accident ayantprovoque un TCC, type de l’accident, deces des tiercespersonnes. . .

� L

’etat de l’enfant au moment du ramassage au momentde l’accident : Glasgow, lesions associees (traumatiques,thoraciques, abdominales ou autres),

� le

s donnees des explorations paracliniques faites al’admission initiale en post-traumatique ;

� les donnees de l’interrogatoire et de l’examen clinique aumoment de l’admission a notre service :

� l’ examen neurologique comporte l’evaluation de la

force musculaire, de la sensibilite superficielle etprofonde, une atteinte des paires craniennes, l’evalua-tion du tonus, la recherche d’un syndrome cerebelleuxde troubles neurovisuels ou de l’oculomotricite,

� l’

examen articulaire repose sur l’evaluation des ampli-tudes articulaires et de l’aspect local des articulations,

� l’

examen cutane recherche d’eventuelles escarres ousignes de conflit,

� u

n bilan orthophonique a ete fait pour nos patients a larecherche de troubles de l’elocution, de deglutition, depraxies buccofaciales ou de troubles de langage ;

� les donnees du suivi qui comportent :

� le s donnees des examens neurologiques et de l’evalua-

tion des troubles cognitifs pour certains patients quiont pu venir specialement dans notre service pourcette reevaluation. Les bilans realises dans ce cas ontcomporte un bilan orthophonique ergotherapique etneuropsychologique avec une evaluation de l’efficienceintellectuelle par les matrices progressives de Raven(PM47), une evaluation des fonctions executives par laTour de Londres et Wisconsin test, une evaluation descapacites attentionnelles par le Color Animal AttentionTest (CAAT) et le test de Barrage de Zazzo, ainsi qu’uneevaluation des capacites mnesiques par l’Empan al’endroit et a l’envers,

� u

ne evaluation des repercussions du TCC sur la situationfamiliale.

Resultats

Donnees de l’interrogatoire et de l’examen cliniqueavant l’admission a notre service

Vingt-cinq enfants (neuf filles et 16 garcons) ont ete inclusdans cette etude. La moyenne d’age de nos patients lors de lasurvenue du traumatisme est de 5,72 � 5,41 ans. Seulement13 enfants ont ete scolarises lors de la survenue du TCC.Le TCC etait secondaire a un accident de la voie publique dansdix-neuf cas (76 %) et 13 (52 %) de ces patients etaient pietons.Cinq patients (20 %) etaient victimes d’un accident domes-tique et un patient (4 %) etait victime d’un accident scolaire.Le Glasgow initial etait en moyenne de 8,44 � 5,33. Douzeenfants (48 %) avaient un TCC grave un score de Glasgowinitial � 8. L’imagerie cerebrale a montre des lesions ence-phaliques diffuses dans 13 cas, une contusion cerebrale focaledans 5 cas, une hemorragie meningee dans 2 cas. Les lesionsnon visibles ont ete trouvees dans les autres cas.

Page 3: Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

Prise en charge des enfants traumatises cranio-cerebraux

Tableau IIMuscles ayant ete injectes par la toxine botulinique.Muscle injecte Nombre d’injectionsTriceps sural 6Ischiojambiers 4Droit anterieur 4Biceps brachial 1Pronateurs 2

Le TCC etait isole dans 14 cas (56 %). Dix enfants (40 %) avaientdes fractures peripheriques associees et un enfant a eu uneamputation du membre superieur droit qui est appareilleactuellement.

Donnees de l’interrogatoire et de l’examen cliniqueau moment de l’admission a notre service

L’hospitalisation de l’enfant dans le service s’est faite avec unproche membre de sa famille (mere, pere, grand-mere). Ledelai d’hospitalisation dans le service est de 41 jours enmoyenne apres l’accident (extremes de 7j a 770 jours). Laduree de la premiere hospitalisation dans notre service etaitde 31 jours en moyenne.A l’examen a l’admission, 16 patients (64 %) avaient untableau d’hemiparesie et neuf patients (36 %) avaient untableau de tetraparesie. Une epilepsie post-traumatique estapparue chez 2 enfants. Une atteinte des paires craniennes aete trouvee chez 2 autres patients. Il s’agit d’une atteinte de latroisieme paire cranienne tableau I.L’examen articulaire a objective une limitation des amplitu-des articulaires dans 7 cas. Il s’agissait d’un equin des chevillesdans 3 cas, d’une limitation des amplitudes des grossesarticulations dans 4 cas secondaires a des para osteo-arthropathies neurogenes.Des escarres ont ete trouvees chez 3 enfants a l’admission.L’evaluation neuropsychologique permettait d’objectiver destroubles du langage oral acquis predominant sur le versantexpressif chez quatre enfants.Au cours de cette hospitalisation dans notre service, lespatients ont beneficie d’une prise en charge kinesitherapique,orthophonique, ergotherapique, psychologique avec prescrip-tion d’un appareillage adapte si necessaire. Il s’agit d’attellestibiopedieuses et des attelles cruropedieuses de nuit pour lesenfants ayant une tetraparesie spastique et d’une orthese dumembre superieur pour les patients 7 patients (28 %). Quantaux accompagnants, ils ont beneficie d’une guidance parentale.

Donnees du suiviLa reevaluation complete a ete faite chez 9 patients qui sontactuellement scolarises (36 %). Des injections de toxine botu-linique ont ete realisees dans 8 cas (32 %) une seule fois, auniveau des triceps suraux dans la majorite des cas. Cinq autrespatients avaient beneficie de 2 injections de toxine botuli-nique (tableau II).

Tableau ISymptomatologie a l’admission dans note service.Tableau clinique Garcons FillesTetraparesie spastique 4 5Hemiparesie spastique 12 4Epilepsie post traumatique 2 –Atteinte des paires craniennes 1 1

Les sequelles neuropsychologiques sont dominees par lestroubles attentionnels, les troubles des fonctions executivesavec defaut de flexibilite mentale, de perseverations et lestroubles mnesiques.Cette evaluation a objective une deterioration intellectuelleavec etat d’echec scolaire chez 2 enfants, des troubles del’attention selective chez 8 enfants, des troubles des fonctionsexecutives avec defaut de la flexibilite mentale et perseve-rations chez 5 enfants, et des troubles mnesiques chez 7enfants (tableau III).Cinq patients ont arrete actuellement la scolarite et n’ont euaucune formation et tous les autres patients presentent desdifficultes scolaires.Quant au retentissement du TCC sur la vie familiale, nousavons trouve des divorces dans 3 familles avec souvent dessituations de conflit. Aucune adaptation du domicile n’a etefaite. Malheureusement, aucune famille ne beneficie pur lemoment d’aides associative ou sociale.

Discussion

Le pronostic du TCC a longtemps ete suppose meilleur chezl’enfant du fait de la plasticite cerebrale, mais les etudesrecentes montrent que les sequelles restent souvent severes.La prise en charge de ces enfants doit etre optimale de laperiode pre hospitaliere jusqu’a la phase de reeducation afind’optimiser le pronostic vital et le pronostic fonctionnel [6].Les traumatismes pediatriques ne representent qu’environ14 % de la pathologie traumatique globale [7]. Ils n’en consti-tuent pas moins un veritable probleme de sante publique. Eneffet, dans les pays industrialises, ils representent la premierecause de deces chez l’enfant [8]. Par ailleurs, les traumatismespediatriques non letaux representent la premiere caused’hospitalisation des enfants [9]. En Europe, un TCC estretrouve dans environ plus de 85 % des cas, soit isole, soit

Tableau IIITroubles neuropsychologiques.

Garcons FillesDeterioration intellectuelle 2 –Troubles de l’attention 5 3Troubles des fonctions executives 3 2Troubles mnesiques 4 3

141

Page 4: Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

O. Kharrat et al. Journal de readaptation medicale 2014;34:139-144

en association avec d’autres lesions extra-craniennes s’inte-grant alors dans le cadre d’un polytraumatisme [10]. A notreconnaissance, il n’y a aucune etude qui a evalue l’incidencedes traumatismes cranio-cerebraux en Tunisie.Dans une etude, sur une cohorte de 507 enfants admis dansune unite pediatrique pour traumatisme, les chutes repre-sentaient le mecanisme lesionnel le plus frequent (39 % destraumatismes), suivies par les chocs pietons vehicules moto-rises (31 % des traumatismes) [11]. Enfin, les enfants passagersde vehicules representaient 13 % des traumatismes et leschutes de bicyclette 8 % [11]. Dans notre etude, presque lamoitie des patients etaient des pietons. Une etude plusancienne a montre que les enfants de moins de 5 ans sontamenes a l’hopital apres des chutes de leur hauteur ou plushaut survenues dans les trois quarts des cas a leur domicile. Lapart des accidents de la circulation augmentait avec 10age etavec l’introduction pour l’enfant de la pratique de la bicyclette[12] ; ce qui etait aussi le cas dans l’etude de Luerssen et al. [13].La necessite des hospitalisations en milieu de reeducationpeut aussi explique cette repartition chez nos patients puis-qu’il s’agit souvent de TCC assez graves.Les facteurs de risque de traumatisme chez l’enfant sontrepresentes par l’age, le sexe masculin et le niveau socio-economique. Concernant l’age, on observe une distributionbimodale de la mortalite entre 0 et 18 ans [9]. Les jeunesenfants (moins de 3 ans) sont les plus vulnerables, notam-ment en raison de leur petite taille et de leur incapacite a seproteger d’un agent vulnerant. La mortalite redevient impor-tante chez les adolescents, principalement en raison de latraumatologie routiere et sportive [14]. Chez les enfantspolytraumatises, la predominance masculine est la regle(sex-ratio de 2/3) [15]. De plus, le faible niveau socio-economique represente un facteur de risque independantde traumatisme chez l’enfant [16]. Dans notre etude, lamajorite de nos enfants sont de sexe masculin et de faibleniveau socio-economique (probablement biais de heurtementdans un milieu hospitalier public).Certaines methodes d’evaluation creees pour les adultes sontmal adaptees a l’enfant ; c’est notamment le cas de l’echellede Glasgow (GCS) qui implique theoriquement une reponseverbale [3]. Cette echelle a ete utilisee lors du ramassage denos patients. Une adaptation du GCS est proposee chezl’enfant de moins de cinq ans [17] et de moins de deux ans[18]. Chez l’enfant, plusieurs etudes ont montre que le GCSetait un facteur predictif independant de la mortalite [19].Neanmoins, a la difference du GCS evalue chez l’adultetraumatise cranien, il semble que chez l’enfant, il soit moinsbien correle avec le pronostic. En effet, chez l’enfant avec unTCC isole, l’evolution peut etre favorable meme pour des GCScompris entre trois et cinq [20]. Une etude retrospectiverecente sur un collectif de 74 enfants de moins de 15 ans amontre qu’un GCS compris entre trois et cinq etait synonymed’un pronostic defavorable avec une sensibilite de 79 % et unespecificite de 65 % [16]. Au total, le TCC est grave si le GCS est

142

inferieur ou egal a 8 et/ou s’il existe des signes de localisation.Le PTS est un score de gravite initiale et de pronostic simple acalculer qui n’a malheureusement pas ete utilise dans notreserie.La compliance cerebrale est faible chez l’enfant malgre laliberte des sutures et des fontanelles car le volume intracra-nien est petit et la distensibilite de la dure-mere et du craneest faible lors d’une distension rapide. La pression intracra-nienne risque donc de s’elever plus rapidement que chezl’adulte. Les lesions cerebrales primaires sont particulieres,avec une moindre frequence d’hematomes intracraniens(10–30 % des cas). L’œdeme cerebral diffus avec lesionsaxonales diffuses est, en revanche, tres frequent [21]. Cesresultats sont concordants avec nos resultats. Comme chezl’adulte, des lesions secondaires risquent de se surajouter,surtout en presence d’agression cerebrale secondaired’origine systemique.L’arrivee au centre de reeducation est un evenement impor-tant pour l’enfant, sa famille et l’equipe qui va l’avoir encharge. Ce premier contact doit etre, pour l’enfant, le moinsdouloureux possible. Il faut essayer d’assurer la continuite dessoins avec le service de prise en charge initiale (installations,alimentation, nursing, medicaments). Ce changement destructure est le plus souvent vecu positivement par la famille[3]. La prise en charge en milieu de reeducation [1,2] se faitselon un protocole individualise tenant compte de l’age, de lanature des lesions neurologiques et des lesions associees [3].Elle peut schematiquement etre divisee en trois phases suc-cessives. Lors de la phase d’eveil, les soins comprennent desseances de kinesitherapie, d’orthophonie et d’ergotherapie[3]. Les appareillages sont peu utilises a ce stade car ils sontsource d’angoisse et de douleurs. Il faut tout faire pourrassurer l’enfant et favoriser la communication. Chacun estconcerne et en premier lieu la famille qui doit etre soutenuepsychologiquement [3].La phase de reeducation fonctionnelle represente le debutdu travail sur les incapacites. Les deficiences initialess’ameliorent mais d’autres peuvent apparaıtre. En plusd’une reeducation neuromotrice habituelle, une reeducationneuropsychologique et psychopedagogique est indispensable[3]. Les premiers retours en famille sont des elements thera-peutiques indispensables autorises des que possible. Ils favo-risent la restructuration de sa personnalite et l’aident aretrouver ses reperes [3].La troisieme phase correspond a la readaptation et a lareinsertion scolaire et sociofamiliale de l’enfant [3]. Le passagepar une phase de scolarite adaptee est souhaitable. La reedu-cation classique reste de mise en fonction de la gravite desproblemes neuro-orthopediques. Cette prise en charge sederoule souvent sur plusieurs mois ; il s’agit necessairementd’un travail inter- et transdisciplinaire [22]. La place de lafamille dans cette prise en charge est toute particulierepuisqu’elle est a la fois victime de l’accident et acteur pri-mordial de la prise en charge. Dans tous les cas, c’est elle qui

Page 5: Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

Prise en charge des enfants traumatises cranio-cerebraux

devra assurer et assumer l’avenir de l’enfant. Leur une infor-mation reguliere et un soutien psychologique specifique sontnecessaires [3].L’evaluation de la qualite de vie est recente et difficile, du faitde la complexite de sa definition, qui ne fait l’objet d’aucunconsensus, et donc de la difficulte de validation d’echellespertinentes [5]. Sa prise en compte est cependant indispen-sable, l’analyse des autres dimensions (deficiences, incapaci-tes, handicap) n’apportant que des informations exterieuresau patient. Evaluer la qualite de vie des patients, c’est recen-trer la discussion sur le patient lui-meme, souvent « oublie »en raison des sequelles cognitives majeures et du role sub-stitutif de l’entourage qui le prend en charge a la sortie dusecteur hospitalier. En ce qui concerne la mesure d’indepen-dance fonctionnelle (MIF), une version pediatrique (MIF« momes ») [2] a ete validee chez l’enfant, mais elle sous-estime l’importance des troubles neuropsychologiques dansl’autonomie [3]. Ces echelles n’ont pas ete etudiees dans notreetude.Sur le plan cognitif, les acquis au moment de l’accident sontminimes et les lesions alterent les capacites d’apprentissage.A l’impact immediat des lesions vient s’ajouter un effet aretardement par defaut d’apprentissage. Il ne s’agit pas d’unretard mais d’un decalage [23]. Ainsi, la recuperation motriceest assez souvent rapide et complete, ce qui n’est pas le caspour les difficultes cognitives qui constituent le handicap« invisible » et determinent le pronostic [24]. Ces particularitesdu developpement neurologique ont des incidences sur leplan clinique, sur le pronostic, sur la prise en charge et ont unimpact sur le vecu, aussi bien de l’enfant que de sa famille [23].Une autre difficulte est l’impossibilite chez l’enfant de sereferer a un etat anterieur comme pour l’adulte, puisqu’ilfaudrait pouvoir le comparer, le jour de l’evaluation, a ce qu’ilserait devenu si l’accident n’avait pas eu lieu [3].En pratique, les sequelles neuropsychologiques [25] ne peu-vent donc s’evaluer qu’a long terme en fonction des deuxcriteres principaux que sont la fin des apprentissages scolairesd’une part et la qualite de l’insertion sociale d’autre part, cequi aura des incidences medicolegales, impliquant des conso-lidations tres tardives (parfois 10 a 15 ans apres l’accident) [3].Dans notre serie a propos de l’evaluation des troubles neuro-psychologiques, nous objectivons des troubles cognitifs, maisau vu de l’age des enfants, ceux-ci ne sont pas patents car laplupart ne sont pas encore scolarises et ne sont pas encore misen situation d’apprentissage.Les troubles neuropsychologiques qui constituent des ele-ments pronostiques majeurs a considerer dans l’appreciationdes possibilites d’apprentissage, d’insertion et de reinsertion,peuvent apparaıtre de facon retardee lorsque les exigences,qu’elles soient scolaires, sociales ou familiales augmententavec la croissance [3]. Tres souvent, nous pouvons observerdes difficultes scolaires, des situations d’echec, voire de des-colarisation. En effet, l’evaluation de l’enfant traumatisecranien est difficile, d’une part, parce que l’examen de l’enfant

est toujours difficile, d’autre part, parce que le cerveau del’enfant poursuit une maturation jusqu’a l’adolescence, par-ticulierement pour la part neuropsychologique dont le lobefrontal et le corps calleux [26,27].Lors de l’evaluation, il est important de prendre egalement enconsideration le vecu de la famille. Suite au TCC, la famille estsouvent destabilisee face a son role educatif [25]. Selon uneetude precedemment menee dans notre service aupres de 12familles des enfants traumatises cranioerebraux graves, cesfamilles avaient un vecu particulierement difficile et qui aretenti sur l’equilibre familial [25]. Ces resultats sont concor-dants avec nos resultats actuels.

Conclusion

Le traumatisme cranien de l’enfant intervient, sur un cerveauen plein developpement, avec le risque de perturber la mye-linisation et la synaptogenese, ce qui aggrave l’importancedes sequelles neuropsychologiques. Le devenir de l’enfanttraumatise cranio-cerebral grave reste marque par la quasi-permanence des sequelles neuropsychologiques, ce qui a unimpact sur la vie scolaire et la reinsertion sociofamiliale. Laprise en charge de ces enfants doit etre globale, continue etpluridisciplinaire. La famille a un role important dans cetteprise en charge.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

References[1] Barat M, Mazaux JM. Reeducation et readaptation des trau-

matismes craniens. Paris: Masson, Collection de reeducationfonctionnelle et de readaptation; 1986.

[2] Boisson D, Rode G, Tell L, Pichon J, Giraud S, Roatta B. Reedu-cation des traumatises craniens. In: EMC Kinesitherapie. Reed-ucation Fonctionnelle; 1995 [26-461-A-10], 12 p.

[3] Carpentier A, Riegel B, Poidevin P, Dhellemmes P, Krivosic-Horber R. Devenir de l’enfant traumatise cranien. Ann FrAnesth Reanim 2002;21:157–61.

[4] Carpentier A, Maisonneuve B, Hladky JP, Lahousse V, BruandetJM, Dhellemmes P. Evolution des traumatismes crainiens gra-ves de l’enfant et de l’adolescent. A propos d’une serie de61 cas. Ann Readapt Med Phys 1997;40:165–71.

[5] Mailhan L. Qualite de vie apres traumatisme cranien severe.Prat Psychol 2005;11:343–57.

[6] Emeriaud G. Traumatisme cranien grave de l’enfant : prise encharge en reanimation, principaux objectifs. Ann Fr AnesthReanim 2009;28:690–1.

[7] Ahmed S, Bierley R, Sheikh JI, Date ES. Post-traumatic amnesiaafter closed head injury: a review of the literature and somesuggestions for further research. Brain Inj 2000;14(9):765–80.

[8] Sleet DA. Motor vehicle trauma and safety belt use in thecontext of public health priorities. J Trauma 1987;27:695–702.

143

Page 6: Prise en charge des enfants traumatisés cranio-cérébraux : une expérience tunisienne

O. Kharrat et al. Journal de readaptation medicale 2014;34:139-144

[9] Moreau J, Laurent-Vannier A, Agostini M. Etalonnage de laversion francaise du Children’s Orientation and Amnesia Test(COAT-VF), questionnaire d’evaluation de l’amnesie post-trau-matique chez l’enfant. Ann Readapt Med Phys 2008;51:24–30.

[10] De Broca A. Le developpement de l’enfant. Aspectsneuropsychosensoriels, 2nd ed., Paris: Masson; 2002.

[11] Orliaguet GA, Meyer PG, Blanot S, Jarreau MM, Charron B,Buisson C, et al. Predictive factors of outcome in severelytraumatized children. Anesth Analg 1998;87:537–42.

[12] Masson F, Salmi LR, Maurette P, Dartigues JF, Vecsey J, GarrossB, et al. Particularite des traumatismes craniens chez lesenfants : epidemiologie et suivi a 5 ans. Arch Pediatr1996;3(7):651–60.

[13] Luerssen TG, Klauber MR, Marshall LP. Outcome from headinjury related to patient’s age. A longitudinal prospertivestudy of adult and pediatric head injury. J Neurosurg1988;68:409–16.

[14] Bennett-Levy JM. Long-term effects of severe closed headinjury on memory: evidence from a consecutive series of youngadults. Acta Neurol Scand 1984;70(4):285–98.

[15] Ewing-Cobbs L, Levin HS, Fletcher JM, Miner ME, Eisenberg HM.The Children’s Orientation and Amnesia Test: relationship toseverity of acute head injury and to recovery of memory.Neurosurgery 1990;27(5):683–91.

[16] Fortuny LA, Briggs M, Newcombe F, Ratcliff G, Thomas C.Measuring the duration of post-traumatic amnesia. J NeurolNeurosurg Psychiatry 1980;43(5):377–9.

[17] Raimondi AJ, Hirschauer J. Head injury in the infant andtoddler. Coma Scoring and Outcome Scale. Childs Brain1984;11:12–35.

[18] Simpson D, Reilly P. Paediatric Coma Scale. Lancet 1982;II:450.

144

[19] Trabold F, Meyer P, Orliaguet G. Les traumatismes craniens dunourrisson et du petit enfant : prise en charge initiale. Ann FrAnesth Reanim 2002;21:141–7.

[20] Lieh-Lai MW, Theodorou AA, Sarnaik AP, Meert KL, Moylan PM,Canady AI. Limitations of the Glasgow Coma Scale in predictingoutcome in children with traumatic brain injury. J Pediatr1992;120:195–9.

[21] Orliaguet GA, Meyer PG, Baugnon T. Management of criticallyill children with traumatic brain injury. Pediatr Anesth2008;18:455–61.

[22] Cohadon F, Castel JP, Richer E, Mazaux JM, Loiseau H. Lestraumatismes craniens ; de l’accident a la reinsertion. Paris:Arnette; 1998: 227–56.

[23] Anderson V, Catroppa C, Morse S, Haritou F, Rosenfeld J.Functional plasticity or vulnerability after early brain injury?Pediatrics 2005;116(6):1374–82.

[24] Miri I, Kabani Ben Ammar R, Ben Souileh R, Othmani I, Rahali H,Koubaa S, et al. Quelles problematiques de la reparation dudommage corporel dans le cadre du traumatisme cranio-cere-bral grave de l’enfant ? J Readapt Med Prat Med Phys Readapt2012;32(1):33–7.

[25] Verger K, Junque C, Jurado MA, Tresserras P, Bartumeus F, NoguesP, et al. Age effects on long-term neuropsychological outcome inpediatric traumatic brain injury. Brain Inj 2000;14:495–503.

[26] Dugas M. Stabilisation des sequelles neuropsychologiqueschez les enfants victimes de traumatismes craniens graves.Rev Fr Dommage Corpor 1992;18:4.

[27] Kinsella G, Prior M, Sawyer M, Murtagh D, Eisenmajer R,Anderson V, et al. Neuropsychological deficit and academicperformance in children and adolescents following traumaticbrain injury. J Pediatr Psychol 1995;20(6):753–67.