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Les contradictions paradoxales de l’abondance Le vol du Siècle : Leçons de la privatisation russe Nizar HARIRI
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Les contradictions paradoxales de l’abondance
Le vol du Siècle : Leçons de la privatisation russe
Nizar HARIRI
I- Introduction : Les ressources économiques et la mauvaise gouvernance : la
malédiction des ressources ................................................................................................... 3
1) Objectifs de la présentation ........................................................................................ 3
2) Pourquoi voler les entreprises privatisées ? ............................................................... 3
3) La thérapie de choc .................................................................................................... 4
4) Le plan et les acteurs .................................................................................................. 5
II- Le vol du siècle [deal of the century] .............................................................................. 7
1) Première vague de privatisation : Les coupons (1992-1994) ..................................... 7
2) Deuxième vague de privatisation : Prêts-contre-actions (1995-1996) ....................... 9
a) Potanin/Oneksimbank/Norilsk Nickel ........................................................................................... 11
b) Khodorkovski/Menatep/Yukos ...................................................................................................... 12
III- La vengeance de Poutine : Crime et châtiment russes ............................................. 14
1) Poutine et les nouvelles règles du jeu ...................................................................... 15
2) La vengeance du Kremlin ........................................................................................ 15
a) Gusinskii/Most Bank/NTV ............................................................................................................ 15
b) Berezovskii/Sibneft/ORT&TV6 .................................................................................................... 16
c) Khodorkovski/Menatep/Moscow Times & St. Petersburg Times .................................................. 16
d) Potanin/Sidanko ............................................................................................................................. 16
Conclusion ....................................................................................................................... 18
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................... 19
2
Avant-propos
Pourquoi parler de « contradictions paradoxales » de l’abondance ?
Axel Honneth a avancé le concept de « paradoxe » comme principe général
d’explication du développement du capitalisme. Il y a actuellement dans le capitalisme des
« contradictions paradoxales » : contrairement à une contradiction simple, « une contradiction
est paradoxale lorsque, à travers la concrétisation visée d’une intention, se réduit la
probabilité de voir cette intention se concrétiser ».
En effet, la mondialisation vient aujourd’hui pour radicaliser les conséquences les plus
contradictoires de la modernité. Ulrich Beck parle à ce sujet d’une « seconde modernité » qui,
devenue plus réflexive, ne cesse de se retourner sur (ou contre ?) elle-même. Les frontières
deviennent de plus en plus floues entre ce qui relève du « progrès » et ce qui qui relève de la
« régression », entre le progressiste et le réactionnaire, entre ce qui est spécifiquement
moderne et ce qui est résurrection du traditionnel. Pour emprunter l’heureuse formule
d’Anthony Giddens, comment peut-on aujourd’hui penser ces régressions au sein du
progrès ?
L’analyse économique et la critique philosophique s’attribuent ainsi une posture
intellectuelle inconfortable lorsqu’il s’agit de penser les nouvelles justifications « éthiques »
du capitalisme, c’est-à-dire lorsqu’il faut penser en même temps l’élargissement des sous-
systèmes économiques à l’échelle la plus globale et le dérèglement institutionnel qui en
résulte, notamment lorsque ce dernier est accompagné d’un affaiblissement des exigences
normatives. La potentiel normatif n’en disparaît pas pour autant, à cause du (ou grâce au ?)
caractère paradoxal des contradictions capitalistes. Les contradictions paradoxales de
l’abondance sont ici une invitation pour s’installer dans cet inconfort intellectuel.
3
I- Introduction : Les ressources économiques et la
mauvaise gouvernance : la malédiction des ressources
1) Objectifs de la présentation
1) Les ressources naturelles ne sont pas toujours une bénédiction. Les pays riches en
ressources sont généralement des pays sous-développés, avec une population pauvre, et ce
n’est pas une coïncidence historique : les ressources naturelles peuvent être une malédiction et
elles conduisent souvent à la mauvaise gouvernance.
2) Quand elles sont accompagnées de mauvaise gouvernance, les ressources naturelles
conduisent à la corruption officielle, au crime organisé et à une bureaucratie hostile.
3) La privatisation massive [mass-privatization] des grandes entreprises publiques en
Russie a conduit à des marchandages internes [sweetheart deals], massivement corrompus. Le
résultat : une poignée d’hommes bien connectés, surnommés « kleptocrates » par la presse
russe, ont fait leurs premiers milliards de dollars par le vol pur et simple du gouvernement,
par le pillage de l’un des pays les plus riches du monde en ressources naturelles.
2) Pourquoi voler les entreprises privatisées ?
Après la chute de l’URSS, beaucoup d’entreprises publiques n’étaient pas viables dans
un environnement concurrentiel : la liquidation était inévitable, mais la privatisation massive
a eu des conséquences catastrophiques.
Les nouveaux propriétaires ou dirigeants avaient le choix entre deux façons de gagner
des milliards : ou bien développer l’entreprise privatisée et augmenter sa valeur, ou bien voler
la valeur qui existe déjà dans l’entreprise. La première option était difficile, peut-être au-delà
de leur capacité ; la seconde était facile et ils étaient experts en la matière.
Considérons une entreprise avec un actif de 1000$. Elle peut rapporter 1000$ si elle
est vendue par morceaux, et 1500$ si elle est vendue à un concurrent qui bénéficierait de ses
« relations clients ». Le gouvernement pourrait vendre l’entreprise pour 1500$ en une vente
aux enchères. Par contre, si l’entreprise est vendue lors d’une privatisation massive, les
4
kleptocrates qui contrôlent l’entreprise vont s’accaparer de son actif. Ils réaliseront 1000$ à
partir de la liquidation par morceaux, et peut-être 1000$ sous forme de transferts de richesse :
- des employés qui travaillent mais ne reçoivent pas de salaire ;
- des fournisseurs qui livrent des biens, mais ne sont pas payés ;
- des clients qui reçoivent une marchandise défectueuse sans aucun recours.
Les contrôleurs s’approprient ainsi des revenus qui, autrement, iraient au
gouvernement comme impôts sur les bénéfices ou aux actionnaires minoritaires en tant que
dividendes. Si les ressources naturelles étaient restées propriété de l’État, les flux de trésorerie
[cash-flow] et les bénéfices actuels pourraient être volés, mais les ressources restantes (les
stocks, par exemple les gisements de pétrole) pourraient être récupérées par un futur
gouvernement honnête. Avec la privatisation à des prix dérisoires, non seulement le flux à
court terme a été volé mais, en outre, le stock de long terme est également perdu, et toute
future réforme est rendue impossible1.
3) La thérapie de choc
La Russie en 1992 était un immense pays avec un gouvernement central faible et des
milliers d’entreprises publiques défaillantes. L’Occident appelait la Russie à pratiquer la
« thérapie de choc », une politique néo-libérale qui remonterait à Milton Friedman et qui
prône la réduction du rôle de l’État dans l’économie par déréglementation rapide des prix,
libéralisation des marchés et privatisation de l’industrie. Jeffrey Sachs, le porte-parole d’une
telle doctrine, prétendait que cette stratégie de choc est pour la Russie un « léninisme
renversé », une nécessité pour introduire la démocratie. Selon Sachs : « La nécessité
d’accélérer la privatisation est la question politique majeure à laquelle l’Europe de l’Est doit
faire face. S’il n’y a pas de percée dans ce sens dans un avenir proche, l’ensemble du
processus pourrait être dans une impasse, pour des années à venir. La privatisation est
urgente et politiquement vulnérable2 ». La thérapie de choc a été présentée comme une
1 Shleifer Andrei and Vishny Robert W. (1994), “Privatization in Russia: First Steps”, in. Olivier Blanchard,
Kenneth Froot, Jeffrey Sachs (eds.), Transition in Eastern Europe, Volume 2, University of Chicago Press, pp.
137-164.
2 Jeffrey Sachs, Accelerating Privatization in Eastern Europe: The Case of Poland, 1 NEW EUR. L. REV. 71,
71 (1992).
5
condition pour instaurer la démocratie, alors qu’elle a conduit au résultat inverse : une
ploutocratie, un gouvernement dominé par les plus riches, par l’argent massif de la corruption
massive.
On prétendait aussi qu’une sale privatisation est toujours préférable à l’absence de
privatisation et l’Occident soutenait le tsar de privatisation, Anatoli Chubaïs, vice-premier
ministre responsable de la politique économique qui poursuivait la privatisation à tout prix. Et
la privatisation en Russie était vraiment très sale. Dans l’ensemble, plus les enjeux sont
importants et plus sale sera l’affaire1.
Et, une kleptocratie a émergé. Quelques individus bien connectés, appelés les
kleptocrates, ont fini par contrôler les ressources naturelles de la Russie et, dans une large
mesure, le gouvernement lui-même. L’opinion publique russe a rapidement associé la
privatisation avec la corruption et la criminalité. En 1992, les Russes avaient déjà créé un
terme nouveau pour la privatisation : prikhvatizatziya, qui veut dire « privatiser et voler ». Le
nouveau mot d’argot combine le mot privatisation [privatizatziya] avec le verbe « saisir » ou
« s’accaparer » [en anglais : to grab], pour former prikhvatizatziya [en anglais :
grabprivatization]. Anatoli Chubaïs était appelé « glavni prikhvatizator », le chef du vol-
privatisation [en anglais : chief grab-privatizer].
4) Le plan et les acteurs
Comment gagner des milliards en travaillant avec l’Etat, et devenir riche à tel point
qu’on puisse ensuite acheter l’Etat ? Réponse russe : arrangez-vous pour gérer les fonds
publics, qui payent peu ou pas d’intérêts au gouvernement, tout en prêtant ces fonds sur les
marchés au cours d’une période de forte inflation quand les taux d’intérêt avoisinent les 30%.
Un audit du gouvernement russe estime que quelque 4,4 milliards de USD de ces fonds ont
disparu2.
1 Huygen Christopher (2011), “One Step Forward, Two Steps Back: Boris Yeltsin and the Failure of Shock
Therapy”, Constellations, Vol. 3, no 1.
2 Mellow Craig (1999), “The Oligarch Who Knew Better”, Institutional Investor, pp. 95-98, Juin. Voir aussi:
Bivens, Matt and Bernstein Jonas (1998), “The Russia You Never Met,” Democratizatsiya 6:4, automne.
<http://www.wayan.net/journal/russia/feb_22.htm. Voir également : The Abuses of Authorized Banking,”
RADIO FREE EUROPE/RADIO LIBERTY (Jan. 1998)
<http://www.rferl.org/nca/special/rufinance/authorize.html>
6
- Le baron des médias Vladimir Gusinskii, propriétaire de MOST BANK, a fait ses
débuts de cette manière en gérant l’argent du gouvernement municipal de Moscou ; il devient
ensuite l’un des hommes les plus puissants de la Russie ;
- Vladimir Potanin, propriétaire de Oneksimbank, a géré l’argent du ministère des
Finances et du Ministère du Commerce ;
- Mikhaïl Khodorkovski, propriétaire de la Banque Menatep, a manipulé les fonds que
la Russie a consacrés à ses opérations militaires en Tchétchénie en 1996, et plus tard à la
reconstruction de la Tchétchénie.
Une première vague de privatisation s’est déroulée entre 1992 et 1994 par la
distribution de coupons [vouchers] qui permettent d’acheter des milliers de petites entreprises,
souvent de faible valeur.
Mais il y avait encore une énorme valeur dans les entreprises liées aux ressources
naturelles et à l’énergie (pétrole, gaz, acier et aluminium), et aux secteurs de
télécommunication. Le gouvernement a vendu ces entreprises entre 1995 et 1996 aux
nouveaux kleptocrates, par le biais d’autres ventes aux enchères, lors d’opérations de « prêts-
contre-actions » [Loan-for-shares].
Enfin, l’élection de Poutine viendra changer les règles du jeu. Les kleptocrates vont
devoir composer avec un ordre politique nouveau mais les effets du crime du siècle sont
irréversibles et le châtiment du kremlin ne pourra pas renverser la donne.
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II- Le vol du siècle [deal of the century]
La Russie avait des milliers d’entreprises publiques, souvent de taille modeste, dont
une partie seulement était viable. Vendre une par une des milliers d’entreprises publiques ne
pouvait pas respecter le calendrier des « thérapeutes de choc ». Par ailleurs, les vendre au
détail impliquerait des coûts de transaction importants par rapport à la valeur de chaque
entreprise1.
Les entreprises qui ont été privatisées par le biais de privatisation par coupons étaient
grandes en nombre, mais souvent de faible valeur. Mais il y avait une énorme valeur dans les
entreprises russes liées aux ressources naturelles et au secteur des télécommunications. Le
gouvernement a vendu la plupart des petites et moyennes entreprises au cours de la première
privatisation « par coupons » [vouchers], puis vendu des participations de contrôle plus tard,
par le biais d’autres ventes aux enchères appelées prêts-contre-actions [loans for-share].
1) Première vague de privatisation : Les coupons (1992-1994)
Une première vague de privatisation s’est déroulée entre 1992 et 1994 par la
distribution de coupons [vouchers] qui permettent d’acheter des milliers de petites entreprises,
souvent de faible valeur2.
Comment forcer la privatisation dans un pays qui vient à peine de sortir de l’ère
communiste ? La privatisation de masse est présentée comme la seule alternative. Elle offre
en plus une « solution politique » face à la résistance du peuple russe. Cette solution était de
corrompre les gestionnaires et les travailleurs en leur offrant des parts à bas prix afin qu’ils
acceptent de poursuivre volontairement la privatisation.
En 1992, la privatisation a commencé par des ventes aux enchères de petites
entreprises principalement rachetées par leurs propres employés et dirigeants. Puisqu’il n’était
pas facile de les obliger à accepter la privatisation, les employés ont reçu un grand nombre
1 Kaufmann, Daniel & Paul Siegelbaum (1997), “Privatisation and Corruption in Transition,” Journal of
International Affairs, hiver, 50(2), pp. 419-58.
2 Cette stratégie de privatisation a été d’abord introduite en 1991 en République tchèque où un nombre limité de
coupons avait été réservé aux employés et aux managers des entreprises.
8
d’actions à bas prix, dans une idéologie fidèle à l’idéal communiste de la propriété des
moyens de production par les travailleurs.
Le 1er
Octobre 1992, 150 millions de coupons [vouchers], chacun ayant une valeur
nominale de 10.000 roubles (environ 63 $), ont été distribués pour l’achat de parts dans les
entreprises de taille petite et moyenne, (environ un coupon par citoyen russe, dans un pays
peuplé par 130 millions d’habitants).
Le résultat provisoire : la plupart des entreprises privatisées lors de cette première
vague ont été initialement détenues en majorité par les travailleurs et les gestionnaires qui
possèdent désormais 60 à 65% des parts. Les particuliers et les fonds d’investissement
détenaient 20% des parts, alors que les 15 à 20% des parts restantes étaient encore détenues
par l’Etat qui envisageait de les revendre plus tard.
Cependant, compte tenu de la passivité des travailleurs russes et de leur ignorance des
mécanismes des marchés libres, cette structure de propriété s’est vite transformée en un
contrôle de la plupart des entreprises par leurs gestionnaires, anciens dirigeants de la période
communiste. Ce résultat final était inévitable, car le mécanisme de la privatisation par
coupons ne pouvait que conduire à la concentration des parts entre les mains des gestionnaires
et des dirigeants.
En effet, en Russie, les coupons étaient négociables. Les gestionnaires achetaient des
coupons qu’ils échangeaient contre des actions dans leurs propres entreprises. Ils ont continué
à accumuler des parts, même après la fin des ventes aux enchères, en convainquant ou en
forçant les employés à vendre les leurs à un prix très bas (prix d’une bouteille de vodka), et
parfois en les menaçant de représailles. À la fin de 1993, plus de 85% des petites entreprises
et plus de 82 000 entreprises d’Etat (un tiers du total), avaient été ainsi privatisées.
Certaines ventes aux enchères ont été marquées par d’autres irrégularités. Certains
initiés ont tenté de dissuader les autres de présenter des offres. L’emplacement des enchères
pouvait être annoncé ou modifié à la dernière minute. Dans certains cas, les appels
téléphoniques et les vols aériens vers la ville où la vente aux enchères a lieu ont été
brusquement perturbés peu de temps avant l’ouverture des enchères. Parfois, des hommes
armés excluaient les soumissionnaires non désirés de la vente aux enchères.
9
Mais il y avait encore une énorme valeur dans les entreprises liées aux ressources
naturelles et à l’énergie (pétrole, gaz, acier et aluminium), et aux secteurs de
télécommunication. Le gouvernement a vendu ces grandes entreprises entre 1995 et 1996 aux
nouveaux kleptocrates, lors d’enchères appelées « prêts-contre-actions » [Loans-for-shares].
2) Deuxième vague de privatisation : Prêts-contre-actions (1995-
1996)
La puissance des kleptocrates augmentait rapidement. Ils contrôlent désormais la
plupart des grands journaux et chaînes de télévision russes. Pour suivre un débat politique
dans la presse russe, il faut comprendre quel kleptocrate possède quel journal, et avec quel
politicien il était allié. Eltsine freine la privatisation impopulaire avant les élections de 1996.
Le pouvoir grandissant de certains oligarques qui contrôlent les médias, comme Vladimir
Gusinskii (Baron des média) et Boris Berezovskii, lui assureront sa réélection.
Mais, entre 1995 et 1996, se prépare la seconde vague de privatisation des grandes
entreprises étatiques qui contrôlent les ressources naturelles de la Russie. Cette seconde vague
de privatisation est présentée sous la couverture de « prêts » accordés à l’Etat par les banques
qui obtiennent en échange des actions dans les entreprises publiques. L’Etat est supposé
rembourser sa dette et reprendre le contrôle de ses ressources stratégiques, mais tout le monde
comprenait qu’il n’avait nullement l’intention de rembourser.
Le gouvernement avait désespérément besoin de liquidités. Les banques proposent de
lui prêter des fonds contre des participations de contrôle dans ses entreprises stratégiques. En
vertu des prêts-contre-actions initiés par Vladimir Potanin, le gouvernement a vendu aux
enchères ses parts, accompagnés de droits de vote à titre de garantie pour les prêts, dans un
certain nombre de compagnies liées aux secteurs du pétrole, des métaux et des
télécommunications.
Dans plusieurs secteurs importants, le gouvernement avait créé des structures
pyramidales, en regroupant des participations majoritaires dans un certain nombre de sociétés
opérant sous d’autres sociétés holding. Par la suite il a vendu des participations de contrôle
dans ces sociétés holding. Le gouvernement a créé sept holdings pétroliers : Lukoil, Sidanko,
Sibneft, Rosneft, Tyumen Oil, Yukos, et VNK. L’énergie électrique (avec les systèmes
10
d’énergie Unies dans une société holding principale) et les télécoms (avec Svyazinvest,
holding principal) ont connu une tendance similaire.
Mais ces ventes aux enchères étaient en effet particulières : elles ont été partagées
entre les grandes banques, qui parvinrent à gagner les enchères qu’elles organisaient elles-
mêmes à des prix étonnamment bas.
Le droit de gérer les ventes aux enchères a été partagé entre les grandes banques.
Chaque banque qui gère la vente aux enchères participe à deux consortiums séparés, pour
répondre à l’exigence formelle selon laquelle la vente nécessite l’existence de deux offres au
moins. Personne d’autre n’avait la possibilité de participer aux enchères. Si jamais une autre
offre intervenait, on trouvait des prétextes pour la disqualifier. Les banques étrangères ont été
exclues, parfois par un refus formel et parfois parce qu’on leur laisser comprendre qu’il était
inutile d’essayer de soumettre une offre. Enfin, le gouvernement a exigé officiellement que les
nouveaux actionnaires promettent des investissements futurs dans l’entreprise. Ces promesses
sont restées sans suite, les actions étant transférées ensuite vers d’autres actionnaires qui
n’étaient pas liées par cet engagement. En bref, aucun acheteur honnête pouvait utiliser ces
esquives et emporter les enchères dans de telles conditions, de sorte que les offres les plus
malhonnêtes ont eu tendance à gagner les enchères.
Ces opérations ont conduit au pillage des ressources naturelles de la Russie. Joseph
Stiglitz, prix Nobel d’économie, estime le montant du vol à 1000 milliards de dollars
américains au moins1. D’autres estimations vont jusqu’à 1500 milliards. C’est le vol du siècle,
et peut-être le record du vol le plus grand de l’histoire de l’humanité.
En effet, tout laisse croire que ces chiffres sous-estiment le montant réel du vol, puisque
les opérations frauduleuses de vente des actions ont bien continué après 1996, et jusqu’aux
derniers jours de la présidence de Eltsine. Par exemple, à la fin de 1999, une société inconnue,
vraisemblablement contrôlée par les gestionnaires de Lukoil, a acheté au gouvernement 9%
des actions Lukoil au prix de 3$ l’action alors que le prix du marché était de 8$. Et c’était la
troisième fois en cinq ans que les dirigeants de Lukoil achètent un bloc d’actions au
gouvernement pour un prix inférieur à celui du marché.
1 Stiglitz Joseph E. (2006), Un autre monde est possible. Contre le fanatisme du marché, Paris : Fayard.
11
Un autre manque à gagner encore plus important : les subventions aux entreprises non
rentables. Le gouvernement russe a effectivement distribué des subventions à ces mêmes
entreprises qui, comble de l’histoire, prétendaient faire des pertes. En plus des subventions
explicites, souvent le gouvernement tolérait le non-paiement des salaires, des taxes et des
impôts ainsi que des factures d’énergie. Les subventions gouvernementales explicites et
implicites à ces entreprises sont d’environ 15 à 20% du PIB russe1.
a) Potanin/Oneksimbank/Norilsk Nickel
Une histoire russe : Le gouvernement russe doit rembourser une dette de 502 millions
de dollars à l’Allemagne (l’équivalent de 25 milliards de dollars aux Etats-Unis en proportion
du PNB). Il donne la somme à Oneksimbank, détenue par le kleptocrate et ancien vice-
premier ministre Vladimir Potanin, mais l’argent n’arrive jamais à sa destination. Personne ne
comprend où il est allé, on n’essaie même pas de le comprendre. Personne à Oneksimbank
n’est allé en prison. Le gouvernement continue de faire des affaires avec Oneksimbank et ne
lui demande jamais de rembourser. En effet, Eltsine nomme Potanin secrétaire du cabinet en
charge de la réforme économique. Potanin commence par accepter, puis décide de ne pas
travailler pour le gouvernement car, visiblement, on peut faire plus de profit avec le
gouvernement russe en opérant de l’extérieur.
La banque Oneksimbank a géré la vente aux enchères de Norilsk Nickel, premier
producteur mondial de Nickel, avec un prix de réserve de 170 millions de dollars. Elle a
organisé trois offres, toutes comprises entre 170 et 170,1 millions de dollars. De façon
inattendue, Rossiiski Kredit Bank a offert 355 millions de dollars, deux fois plus.
Oneksimbank a rejeté l’offre de Rossiiski Kredit en prétendant que le montant de l’enchère
dépasse son capital, alors que ce défaut n’a aucune incidence sur sa capacité à payer le
montant de l’enchère. Ironiquement, Oneksimbank souffrait du même défaut ; pourtant elle
emporta l’appel d’offre à 170,1 millions. De toute manière, les deux offres ne reflètent
absolument pas la valeur de Norilsk Nickel, qui affichait des profits annuels de l’ordre de 400
millions $2.
1 Black Bernard, Kraakman Reinier and Tarassova Anna (2000), “Russian Privatization and Corporate
Governance: What Went Wrong?”, Stanford Law Review, vol. 52.
2 Ibid.
12
Une autre histoire : Sidanko est une importante compagnie de pétrole et de gaz qui a
été contrôlée à 96% par Vladimir Potanin à travers Oneksimbank et ses sociétés filiales en
1998. Après le crash du rouble à la mi-1998, Potanin se trouvait en difficulté financière (sans
compter ses actifs à l’étranger, bien entendu). Il a dépouillé Oneksimbank de la plupart de ses
actifs restants et pillé Sidanko et ses filiales. Les actionnaires minoritaires de Sidanko, y
compris BP Amoco, ont trouvé leurs actions presque sans valeur1.
b) Khodorkovski/Menatep/Yukos
La banque Menatep, contrôlée par le kleptocrate Mikhaïl Khodorkovski, a acquis
Yukos, une importante compagnie pétrolière russe en 1995. Pour 1996, les documents
comptables Yukos montrent des revenus de 8,60$ par baril de pétrole, soit environ 4$ par
baril en dessous du prix qui aurait dû être affiché.
En effet, Yukos a exporté environ 25% de sa production, à des prix mondiaux de
l’ordre de 18$ par baril, et vendu le reste à des prix intérieurs de l’ordre de $10.50/baril. Les
revenus manquants ont probablement fini dans des comptes bancaires « offshore » contrôlées
par M. Khodorkovski et ses complices.
Khodorkovski s’accapare ainsi de 30 cents par dollar de recettes, auxquels il faut
ajouter un transfert de richesse par extorsion2 :
- il prive ses travailleurs d’une part de leurs salaires ;
- il vole l’Etat et le contribuable russe en détournant l’argent des impôts ;
- il détruit la valeur de l’entreprise en privant les actionnaires minoritaires de Yukos et
de ses filiales d’une partie de leurs avoirs.
Suite de l’histoire : Entre 1997 et 1998, Khodorkovski s’endette lourdement auprès
des banques occidentales, en s’appuyant sur les parts et les garanties de Yukos. Lorsque le
rouble russe s’est effondré en 1998, la banque Menatep de Khodorkovski, comme la plupart
1 Hare P., Muravyev A. (2002), « Privatization in Russia », Russian-European Centre for Economic Policy,
RESEARCH PAPER SERIES, August.
2 Kahn Joseph & O’Brien Timothy L. (1998), “For Russia and Its U.S. Bankers, Match Wasn’t Made in
Heaven”, N.Y. TIMES, Oct. 18.
13
des banques russes, a été fortement exposée. Khodorkovski aurait sûrement pu résister à cette
tempête, mais il a plutôt choisi de laisser couler Menatep et Yukos.
Yukos était en défaut de remboursement de ses emprunts, ce qui signifie que 30% de
ses actions seront bientôt saisies par les prêteurs occidentaux. Mais Khodorkovski contrôlait
Yukos pour le moment, et il a utilisé ce contrôle pour dépouiller Yukos de sa valeur, en
s’accaparant de ses filiales productrices de pétrole (Tomskneft, Iouganskneftegaz,
Samaraneftegaz), chacune ayant une valeur de plusieurs milliards de dollars sous forme de
réserve de pétrole1.
Après l’effondrement de la banque Menatep en 1998, Khodorkovski a transféré ses
actifs à une banque nouvelle, Menatep-Saint-Pétersbourg, en laissant les déposants et les
créanciers se prendre à la carcasse de l’ancienne banque. Afin de s’assurer que les opérations
ne pourront pas être retracées plus tard, Khodorkovski s’est arrangé pour qu’un camion
contenant la plupart des dossiers des dernières années de la Banque Menatep soit renversé
d’un pont dans la rivière Dybna. On peut présumer que les dossiers y sont toujours.
Enfin, s’opposer à Yukos pouvait être dangereux pour la santé. Le maire de
Nefteyugansk a été assassiné en 1998, peu de temps après qu’il ait publiquement exigé qu’une
filiale de Yukos, Iouganskneftegaz, paye ses impôts locaux et les arriérés de salaires. En
1999, Evgueni Rubin, le chef d’une société qui avait gagné un procès contre Yukos, a vu sa
voiture exploser près de son domicile. Par chance, il n’était pas à l’intérieur, mais ses gardes
du corps ont été moins chanceux. Le comportement de Khodorkovski n’a pas troublé les hauts
fonctionnaires russes. Au milieu du scandale, il a accompagné le premier ministre Evgueni
Primakov lors d’un voyage pour rencontrer le président Clinton (lorsque l’OTAN a
commencé à bombarder la Serbie). Il a fallu attendre le règne de Poutine pour que la justice
russe condamne Yukos et Khodorkovski pour leurs actes criminels.
1 Black Bernard, Kraakman Reinier and Tarassova Anna (2000), op. cit., p. 9. Toutes ces informations sont
également confirmées par: Graham Houston of National Economic Research Associates. De même, ces
informations sont reprises par Whalen Jeanne (1998), “Shareholders Rights: Round 2”, MOSCOW TIMES, Feb.
17, 1998.
14
III- La vengeance de Poutine : Crime et châtiment russes
La tragédie russe se résume ainsi : en même temps que les pauvres voyaient rétrécir
leur part du gâteau, le volume du gâteau rétrécissait encore plus rapidement.
La productivité de la Russie a fortement chuté au cours des années 1990. La
productivité moyenne du travailleur russe a chuté de moitié entre en 1992 et 1999. Les
investissements en capital ont plongé à seulement 13% du PIB alors qu’ils étaient de 40% en
1992.
Le PIB par habitant diminue de 40% dans les années 1990, alors que les inégalités
augmentent : le pourcentage de Russes vivant dans la pauvreté totale est passé d’une petite
fraction de la population en 1989 à environ 55 millions (37% de la population) en 1999. Le
coefficient de Gini a augmenté, passant d’environ 24 en 1988 à 47 en 1997 (par rapport à un
niveau d’environ 43 aux Etats-Unis dans la même période)1.
Et, une oligarchie a émergé. Quelques individus ont fini par contrôler les ressources
naturelles de la Russie, ses grandes entreprises, ses principales chaînes de télévision, ses
journaux, et, dans une large mesure, le gouvernement lui-même. La puissance des
kleptocrates ne cessait d’augmenter et les nouveaux oligarques de la nouvelle Russie
utilisaient leurs médias afin de soutenir l’élection de politiciens proches et pour maintenir un
contrôle fort sur l’opinion publique et sur les élus.
Et voilà une autre histoire russe : Boris Berezovskii contrôle un empire médiatique qui
lui assure un pouvoir politique sans conteste : les chaînes de télévision ORT, TV6 et STS, la
radio NSN et plusieurs journaux et magazines. Berezovskii apporte son soutien à la réélection
d’Eltsine en 1996. En échange, la même année, le Kremlin vend 51% du pétrole de Sibérie à
une entreprise qui deviendra plus tard Sibneft, contrôlée par Berezovskii, pour un maigre
montant de 100 millions USD. Noyabrskneftegaz est une filiale de Sibneft (en 1997, elle était
détenue à 61% par Sibneft). En 1996, avant Berezovskii, Noyabrskneftegaz gagnait 600
millions de dollars américains. En 1997, elle gagnait 0$.
1 Milanovic Branko (1998), “Income, Inequality, and poverty during the transition from planned to market
economy”, World Bank Research <http:/ /www.worldbank.org/research/transition/inequal.htm>
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1) Poutine et les nouvelles règles du jeu
« Si la politique ressemble à un jeu, alors la
politique russe est certainement une roulette russe ».
Boris Berezovskii
Vladimir Poutine arrive au pouvoir, après l’étonnante démission d’Eltsine en
décembre 1999. Vladimir Gusinskii, Boris Berezovskii et les autres oligarques qui l’ont aidé à
accéder au pouvoir pensaient qu’ils étaient capables de le contrôler. Mais l’ancien colonel du
KGB comprenait bien la menace que représentait pour son pouvoir cette poignée de
milliardaires qui contrôlaient les ressources de la Russie, qui possédaient tous les médias et
qui pouvaient financer tous les partis d’opposition. Il leur expliqua rapidement les nouvelles
règles du jeu : Enrichissez-vous, autant que vous voulez, mais restez très loin de la politique.
Ceux qui ont franchi la ligne rouge ont été immédiatement réprimés. Poutine
n’hésitera pas à orchestrer des tribunaux fabriqués sur mesure pour remettre la main du
gouvernement sur les ressources de la Russie. Le géant russe du gaz, Gazprom, jouera un rôle
considérable dans le châtiment organisé par le kremlin.
La richesse de Gazprom est fabuleuse. Même avec l’estimation officielle de sa valeur
à 600 milliards de dollars, elle serait largement sous-évaluée. Ses bénéfices déclarés sont
environ $30 milliards par an. Bien entendu, ses bénéfices réels sont difficiles à évaluer.
Au début des années 2000, le gouvernement possédait encore 38% de Gazprom. Mais
personne ne sait qui possède le reste. En 2000, l’ancien Premier ministre russe Viktor
Tchernomyrdine dirige Gazprom et il est souvent cité comme étant le principal actionnaire1.
2) La vengeance du Kremlin
a) Gusinskii/Most Bank/NTV
Le Baron des médias Vladimir Gusinskii a été le premier oligarque à tomber pendant
l’ère de Poutine. Il s’attira un châtiment terrible pour sa couverture négative du président dans
ses médias. En Juin 2000, Gusinskii a été arrêté pour détournement de fonds et son
1 Sur Gazprom, voir : Karian Adell (1999), “Russia’s Dirtiest Secret: Where the Money Goes”, Russia Journal,
Aug. 23. <http://www.russiajournal.com/start/business/article_26_70.htm>
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conglomérat de médias a été repris par Gazprom, le monopole russe du gaz toujours contrôlé
par l’Etat. Aujourd’hui, Gusinskii vit à Tel-Aviv.
b) Berezovskii/Sibneft/ORT&TV6
Boris Berezovskii, qui a ouvertement critiqué Vladimir Poutine pour sa lente réaction
face à la catastrophe du sous-marin Koursk en 2000, a été le second oligarque à tomber sous
le feu du Kremlin.
Berezovskii a remporté un siège à la Douma en 1999, mais la pression impitoyable des
autorités l’a amené à démissionner et à fuir la Russie six mois plus tard. Depuis, il a été
accusé de fraude et de blanchiment d’argent, et il vit entre la Grande-Bretagne, la France et
Tel-Aviv. Encore une fois, c’est Gazprom qui s’accapare de son empire médiatique et qui
achète en 2005 le géant pétrolier Sibneft à Roman Abramovich, l’ancien associé de
Berezovskii.
c) Khodorkovski/Menatep/Moscow Times & St. Petersburg Times
Mikhaïl Khodorkovski était l’oligarque le plus riche de la Russie. Il franchit la ligne
rouge dans une entrevue télévisée avec Poutine en février 2003, lorsqu’il parla ouvertement
de la corruption du gouvernement russe. La justice du Kremlin condamna Khodorkovski à la
peine de prison pour fraude et évasion fiscale. Certains dirigeants de Yukos ont été également
condamnés pour des meurtres. « Le vol du siècle » est soudainement devenu « le procès du
siècle ». L’empire pétrolier de Khodorkovski a été démantelé, puis racheté par Gazprom.
d) Potanin/Sidanko
Une dernière histoire russe : la procédure de faillite de Sidanko, le holding pétrolier
détenu par Potanin, et la faillite de Chernogoneft et Kondpetroleum, deux filiales clés de
Sidanko. Chernogoneft et Kondpetroleum ont fait faillite après la vente de pétrole à Sidanko,
qui n’a pas payé sa facture ! et qui a été elle-même si cruellement pillée qu’elle a fait faillite.
Dans la procédure de faillite de Chernogoneft, 98% des créanciers ont voté pour un
gestionnaire externe, mais le juge local a nommé un autre gestionnaire ayant des liens avec
Tyumen Oil, appartenant à un autre kleptocrate, rival de Potanin, Mikhaïl Fridman. Le
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tribunal a également rejeté une offre de Chernogoneft selon laquelle celle-ci proposait de
payer tous les créanciers dans leur intégralité !
Tyumen a été en mesure d’acheter Chernogoneft pour 176 millions de dollars et
Kondpetroleum pour 52 millions de dollars (une petite fraction de la valeur réelle1), et Potanin
a publiquement parlé « d’une atmosphère de pression sans précédent sur le système
judiciaire ». Ce qui signifie apparemment que Tyumen ne se contentait pas de soudoyer les
juges (sinon Sidanko aurait offert des pots-de-vin de son côté), mais les menaçait aussi. En
effet, un juge qui a rendu une décision préalable contre Tyumen avait été battu et laissé
presque mort2.
Ceci dit, après les retentissements du procès de Khodorkovski, beaucoup de
kleptocrates ont tenté de conserver un profil bas. Toutefois, Mikhaïl Prokhorov, actuellement
la troisième fortune de la Russie, inaugure une nouvelle ère dans les rapports du kremlin avec
les kleptocrates. Par exemple, Prokhorov n’hésite pas à rappeler que la force des kleptocrates
peut conduire la Russie, « s’il le faut », vers la guerre civile3. Prokhorov ne se retient pas non
plus lorsqu’il s’agit de critiquer ouvertement Poutine, notamment dans la période qui a
précédé la réélection de ce dernier en 2012. Prokhorov est arrivé en troisième position à la
présidentielle. Or, contre toute attente, Poutine l’invite à entrer au gouvernement !
1 Blanchard Olivier (1997), The Economics of Post-Communist Transition, Oxford, Oxford University Press.
2 Voir : Rules of War, ECONOMIST, Dec. 4, 1999.
3 Entrevue avec le journal allemand Der spiegel, du 31 janvier 2012, 'In the Worst Case there'll be Civil War'
http://www.spiegel.de/international/world/interview-with-putin-challenger-prokhorov-in-the-worst-case-there-ll-
be-civil-war-a-812309.html
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Conclusion
Très médiatisée, l’affaire Khodorkovski/Yukos a reflété la nature paradoxale de la
Russie du nouveau millénaire. L’Union soviétique n’était certainement pas un endroit très
honnête. Dans le même temps, l’échelle de la malhonnêteté était limitée. Les chaînes de
contrôle bureaucratique assuraient la surveillance de ceux qui avaient accès à l’argent. Par
ailleurs, l’argent de la corruption à grande échelle ne pouvait pas acheter beaucoup. Et si vous
êtes pris pour avoir été trop gourmands, vous êtes confrontés à une longue peine dans une
misérable prison russe ou au goulag. Ainsi, il n’est pas justifié de dire que la Russie était déjà
désespérément corrompu au début des années 1990 ni qu’il n’était pas possible de contrôler le
vol des ressources de la Russie.
La privatisation n’est pas elle-même à l’origine de tous les malheurs. La richesse
économique d’un pays ne se détermine pas en fonction de ses ressources, encore moins en
fonction de la structure de propriété de ces ressources. La bonne gouvernance est une
ressource rare, parfois plus importante que toutes les richesses naturelles. Un Etat corrompu et
défaillant, qui pille les entreprises publiques ou qui n’arrive pas à assurer la continuité des
services publics, doit être remplacé par le secteur privé. Mais un Etat corrompu qui ne peut
pas conduire honnêtement des enchères ne peut pas sélectionner les bons investisseurs : le
secteur public malhonnête sera remplacé par un secteur privé encore plus sale. Une étape
critique qui précèderait la privatisation aurait été de s’attaquer à la corruption et au crime
organisé.
Une solution envisageable pour la Russie serait aujourd’hui une renationalisation
sélective, dont l’objectif serait de reprendre le contrôle des ressources naturelles du pays, en
vue d’une privatisation ultérieure dans des conditions plus avantageuses. Mais, là aussi,
comment un Etat criminel peut-il conduire de telles mesures ?
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