12
P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE P.3 ÉDITO Voter en Françafrique P.4 CONGO BRAZZAVILLE Denis Sassou Nguesso rappelle au monde qui il est Le coup d'État constitutionnel de Denis Sassou Nguesso se poursuit. En dépit de déclarations tout en ambiguïté, l'Elysée lâche… les démocrates congolais. P.5 COOPÉRATION MILITAIRE L'armée française complice au Congo ? L'armée française, qui coopère activement avec l'armée congolaise, pourrait aussi voir sa responsabilité engagée P.6 RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES Les multinationales contre leur devoir de vigilance Nouveaux épisodes dans la bataille législative autour de la responsabilité juridique des multinationales. P.78 EVASION FISCALE « Loin de résoudre le problème, l'OCDE pourrait même avoir empiré les choses » Entretien avec Tove Maria Ryding, du réseau Eurodad, au sujet du plan d’action contre l'évasion fiscale de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique. P.9 CENTRAFRIQUE Laurent Foucher, un bien étrange ambassadeur Portrait françafricain du nouvel ambassadeur à l'ONU. P.10 GABON Les communicants français d’Ali Bongo Le régime mobilise le ToutParis pour redorer son image. P.11 FRANC CFA Pas de tabou, mais pas de changement non plus La France joue l'ouverture pour étouffer tout débat public. P.12 A VOIR Capitaine Thomas Sankara

Survie - Ensemble contre la Françafrique · P.3 ÉDITO Voter en Françafrique P.4 CONGO BRAZZAVILLE Denis Sassou Nguesso ... Portrait françafricain du nouvel ambassadeur à l'ONU

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P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE

P.3 ÉDITO Voter en FrançafriqueP.4 CONGO BRAZZAVILLE Denis Sassou Nguessorappelle au monde qui il estLe coup d'État constitutionnel de Denis Sassou Nguesso sepoursuit. En dépit de déclarations tout en ambiguïté, l'Elyséelâche… les démocrates congolais.

P.5 COOPÉRATION MILITAIRE L'armée françaisecomplice au Congo ?L'armée française, qui coopère activement avec l'arméecongolaise, pourrait aussi voir sa responsabilité engagée

P.6 RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

Les multinationales contre leur devoir de vigilanceNouveaux épisodes dans la bataille législative autour de laresponsabilité juridique des multinationales.

P.7­8 EVASION FISCALE « Loin de résoudre le problème,l'OCDE pourrait même avoir empiré les choses »Entretien avec Tove Maria Ryding, du réseau Eurodad, au sujetdu plan d’action contre l'évasion fiscale de l’Organisation pourla Coopération et le Développement Economique.

P.9 CENTRAFRIQUE

Laurent Foucher, un bien étrange ambassadeurPortrait françafricain du nouvel ambassadeur à l'ONU.

P.10 GABON Les communicants français d’Ali BongoLe régime mobilise le Tout­Paris pour redorer son image.

P.11 FRANC CFA Pas de tabou,mais pas de changement non plusLa France joue l'ouverture pour étouffer tout débat public.

P.12 A VOIR Capitaine Thomas Sankara

Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 251 Novembre 201 5 - 2,30 euros http://survie.org

Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines

Billets d'Afrique......et d'ailleurs

LES MULTINATIONALESRESTENT HORS D'ATTEINTEMalgré la multiplication des scandales, les multinationales parviennent, en mobilisant depuissants relais, à désamorcer les tentatives de réglementation : évasion fiscale,irresponsabilité légale vis à vis des atteintes aux droits humains ou à l'environnement deleurs filiales à l'étranger… Les firmes préservent les intérêts de leurs actionnaires, audétriment de l' intérêt général. Lire p.6-8.

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2 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Novembre 2015 N°251

En bref

ImpunitépermanenteOn avait déjà compris que ce n'est qu'aprèsavoir tenté d'étouffer l'affaire à l'ONU queles autorités françaises s'étaient résolues àengager une procédure judiciaire àl'encontre des militaires français impliquésdans des viols de mineurs en Centrafrique.Avec le témoignage de Gallianne Palayret,officier des droits de l'homme pour l'ONUqui avait rédigé le rapport incriminant lessoldats de l'opération Sangaris (« Envoyéspécial » sur France 2, 01/10 et FranceInfo, 06/10), on a une nouvelle fois laconfirmation que l'armée française n'a pasvolé son surnom de « grande muette »quand il s'agit des crimes commis par sesmembres, particulièrement en Afrique.L'armée française n'a en effet pas été miseau courant en juillet 2014 comme elle l'aprétendu après qu'Anders Kompass ait prisl'initiative d'envoyer une copie du rapportonusien aux autorités françaises, mais biendès le moi de mai précédent et directementpar Gallianne Palayret. Les officiers de laforce française s'étaient alors empressés derassurer l'enquêtrice de l'ONU sur lesmesures qui seraient prises. Ce n'estpourtant qu'un an plus tard que lagendarmerie prévôtale enverra unemission à Bangui... qui n'entendra pas lesvictimes. Et à ce jour, la justice françaisen'a toujours pas demandé à entendreGallianne Palayret qui a pourtant reçul'autorisation de l'ONU pour témoigner.

Les affaires sontles « affaires »« C’est mon ami, mais je n’ai jamais eu derelation d’affaires avec lui », a réaffirmé leprésident malien en visite d’État en Francele 21 octobre, lors de sa conférence depresse commune avec François Hollande.Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) étaitinterrogé sur ses liens avec Michel Tomi,surnommé « le parrain des parrains », etsuspecté de corruption d'agent publicétranger. Il n'y aurait donc aucunecontrepartie aux multiples cadeaux reçus.Mediapart (21/10) , qui a déjà montré queTomi était une véritable nounou pour leprésident malien, revient sur le contenu del'enquête au moment où ce dernier estélevé au grade de grand­croix de la Légiond’honneur par Hollande : « Les enquêteursnotent que le Corse [Tomi] "fait jouer sesrelations au plus haut niveau desdirigeants de l’État malien afin defavoriser les intérêts" de certainesentreprises amies. Quand ce n’est pas IBKau bout de la ligne, ce sont ses ministresou son plus proche collaborateur,Mahalmoudou Sabane, qui recueillent les

recommandations de Tomi ». Et d'enrajouter une louche sur le contenu desécoutes téléphoniques réalisées par lajustice française : « Tous ces éminentsresponsables politiques, Tomi les appelleaffectueusement ses "neveux".Logiquement, ils lui rendent la pareille enle surnommant "Tonton". Mais au­delà desliens que supposent ces petits noms, lesministres maliens semblent surtout avoirprêté allégeance au “parrain desparrains” tant ils répondent sanssourciller à chacune de ses requêtes. À lamanœuvre sur un nombre considérable desujets, Tomi organise les rencontres, fixeles rendez­vous, presse à la signature descontrats. Bref, il gère les affaires de laRépublique ». Edifiant.

Spécialiste desforums inutilesIl n'y a pas qu'en Afrique que RichardAttias organise des forums pour redorerl'image des dictateurs françafricains. C'esten effet « Richard Attias et associates » enpartenariat avec le journal Le Point, qui aété chargé de l'organisation à Paris dudeuxième forum économique de laFrancophonie, le 27 octobre, sous l'égideconjointe du ministère français desAffaires étrangères et de l'Organisationinternationale de la francophonie (OIF).Cette réorientation de l'OIF vers unsoutien aux entreprises francophones,initiée depuis quelques années etfermement soutenue par Michaëlle Jean,la nouvelle Secrétaire générale cana­dienne, a évidemment reçu la bénédictionde Laurent Fabius, chantre de la« diplomatie économique », en ouverturedu sommet. A l'honneur, côté dirigeantsafricains, l'héritier d'une des plus vieillesdictatures françafricaines : le Gabonais AliBongo (Faure Gnassingbé était un tempsannoncé aussi), mais également lesprésidents sénégalais et malgache, et unministe congolais ­ au moment même oùBrazzaville annonçait ses résultats truquésau referendum sur la Constitution. Lemeilleur reportage sur l'événement estincontestablement celui réalisé par lespécialiste du « comique d'investigation »,Guillaume Meurice (« Si tu écoutesj'annule tout », France Inter, 28/10). Asavourer, les réactions de la député PSSeybah Dagoma qui croit qu'Attias œuvrepour « l'intérêt général », d'Anne Hidalgo,maire de Paris, qui trouve que lesmeilleurs termes pour définir Attias sont :« morale, éthique et valeurs dans lepartage », ou encore d'Hubert Védrine quin'aime pas les « questions polémiquesabsurdes » sur le monde de la finance.

Erratum ?On a rapporté dans notre numéro dumois dernier comment un arrêtéconcernant les droits des militairesimpliqués dans l'opération Barkhanerévélait leur présence en Algérie, enLibye ou au Nigéria en plus des cinqpays (Burkina Faso, Mauritanie, Niger,Mali et Tchad) où la force française estofficiellement déployée. Aprèsprotestation de l'Algérie, le ministre de laDéfense a démenti toute présence desoldats français dans les pays indiqués etles ministres français signataires(défense, finances, budget) ont retirél'arrêté au prétexte qu'il était en fait« entaché d'une erreur matérielle » (BlogLignes de Défense, 07/10). Ben voyons...

On s'attend au pire« Comment comprendre – je dirais même,comment accepter – qu’un grand muséed’histoire comme le musée de l’Armée, nedise rien ou si peu de la guerre froide, dela colonisation et de la décolonisation, ouencore les engagements militaires lesplus récents de la France ? », s'estinterrogé le ministre de la Défense envisite aux Invalides (Blog Lignes dedéfense, 6/10). Et d'annoncer : « uneextension du musée de l’Armée, quipermettra de répondre aux deux défismajeurs que je viens d’évoquer ». Onpeut légitimement craindre le pire au vudes publications actuelles du ministère dela Défense sur ses opérations extérieures(Opex). Ainsi par exemple les Cahiers duRetex viennent de publier un numérointitulé « 50 ans d'Opex en Afrique,1964­2014 » (septembre 2015) quidevrait faire dresser les cheveux sur latête de n'importe quel historien sérieux.Ainsi, au Rwanda, en 1994 : l'opérationfrançaise Turquoise va « s’interposerentre le gouvernement hutu, ses forcesarmées et les rebelles tutsis du frontpatriotique rwandais (FPR) et protégerles populations civiles de deux ethnies,cibles de massacres organisés par lesdeux camps ». Un génocide ? Quelgénocide ? Un autre exemple tout aussirévélateur : les tirs de l'armée françaisesur les civils ivoiriens en novembre 2004qui ont fait plus de 60 morts et 2000blessés (Cf. Billets n°240, novembre2014) deviennent soudainement « unexemple révélateur de la pertinence àentretenir l’aptitude permanente desarmées à la réversibilité et à la maîtrisede la force, notamment lorsd’engagements en zone urbaine et desmissions de contrôle de foule ». Une« aptitude » bientôt célébrée au musée..

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N°251 Novembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 3

Une victoirejuridiqueCanal Plus a diffusé en décembre 2013un sketch tournant en dérision lesvictimes du génocide des Tutsi auRwanda. La Communauté rwandaise deFrance a porté plainte. La justice s'estdéclarée incompétente au motif quedans la loi française seules lesassociations de résistants de la secondeguerre mondiale et des victimes de laShoah peuvent porter plainte pourapologie de crimes contre l'humanité.Saisi d'une Question prioritaire deconstitutionnalité (QPC), le Conseilconstitutionnel s'est positionné enfaveur d'une égalité de traitement pourtoutes les victimes des génocidesreconnus. Le gouvernement a jusqu'au1er octobre 2016 pour changer la loi ence sens. Cela ouvre la voie à depossibles actions en justice pourcombattre ceux qui nient le génocidedes Tutsi.

Clause secrèteIl faut croire qu'en plus des habituellescommissions et rétro­commissions, lescontrats de vente d'armes comportentdes clauses secrètes en matière debrosse à reluire. Lors de sa visite (auxaccents présidentiels?) en Egypte pour,selon ses mots, « parrainer » la ventedes deux frégates Mistral (initialementprévues pour la Russie de Poutine, etreprises par Le Caire grâce à des fondsde pays du Golfe), le Premier ministrefrançais Manuel Valls étaitintarissable : « relation d'exception (…)portée par l'histoire et la culture »,« fascination des Français pourl'Egypte », « la France croit en l'Egypte(…) La région, la Méditerranée,l'Europe et donc le monde ont besoind'une Egypte forte et stable » face à« un ennemi commun, Daech ». Que laforme de « stabilité » exercée par lerégime égyptien (cf. Billets n°250,octobre 2015) soit davantage de natureà encourager le terrorisme qu'à lerésorber n'est qu'un détail. Valls aencore souligné la « détermination » dela France « à appuyer le président Sissiet le gouvernement égyptien dans leurvolonté d'assurer la stabilité du pays etson développement, et notamment sondéveloppement démocratique ». Vendredes armes à un dictateur qui a déjàplusieurs centaines de cadavres sur laconscience, quel meilleur moyen depromouvoir la démocratie ? Et aucundoute, la France y est déterminée...

Voter en Françafrique

Dimanche 25 novembre on votait au Congo B et en Côte d' Ivoire. Sidifférentes que soient à première vue les deux votations,référendum constitutionnel à Brazzaville, élection présidentielle à

Abidjan, elles partagent les mêmes caractéristiques, spécifiquementfrançafricaines.

La première est la violence, ouverte ou larvée, qui précède le scrutin :interdiction et répression armée des manifestations populaires, saisie oufermeture des journaux ou médias d'opposition, arrestationsd'opposants et de journalistes. La deuxième est la débauche depropagande qui inonde à grands frais le pays et la disproportionabyssale des moyens déployés par le pouvoir au regard d'une oppositionsymbolique qui n'est là que pour faire de la figuration. La troisième estque le résultat du vote est connu d'avance au point que le scrutin paraîtde pure forme, nombre de Congolais et d' Ivoiriens parlant de « farce »,de « parodie », de « mascarade électorale ». La victoire du pouvoir enplace est en effet écrasante, 92,96 % pour Sassou Nguesso, 83,66 %pour Ouattara. La quatrième enfin est que cette façade triomphaledissimule mal l'abstention massive de populations moins indifférentesque sans illusion sur la crédibilité des résultats. Les taux de participationannoncés, 72,44 % au Congo, 52,86 %, en Côte d' Ivoire font sourire ceuxqui ont constaté sur le terrain cette grève citoyenne. De tous les chiffrestruqués, celui de l'abstention est le plus truqué parce que sa véritésignifierait clairement le désaveu majoritaire d'une population museléeet prise en otage.

Mais obtenir l'assentiment d'une majorité des citoyens est un détailoiseux dans une consultation françafricaine. C'est Paris qui décide de lalégitimité du pouvoir et c'est sur ce point que les scrutins congolais etivoiriens divergent quelque peu. Après avoir louvoyé – le quai d'Orsay secontentant dans un premier temps de prendre note du résultat duréférendum congolais – Paris a estimé que les conditions danslesquelles ce référendum constitutionnel a été organisé dimanche auCongo « ne permettent pas d’en apprécier le résultat, notamment entermes de participation ». Ce lâchage public de Sassou par l'Élysée estnotable ; savoir si on passera des paroles aux actes, en suspendantcertains accords de coopération par exemple, est une autre question.

Pour l'élection ivoirienne par contre, Paris s'est conformé à laprocédure habituelle en Françafrique à l'égard des présidents amis etHollande a chaudement félicité Ouattara pour sa réélection, feignantd' ignorer que ce scrutin n'est pas plus crédible que le congolais. Mais lerégime ivoirien, installé militairement par la France en 201 1 , doitabsolument être sanctuarisé.

En matière d'arithmétique électorale certaines comparaisons sontéloquentes. En Tanzanie, où on votait le 25 octobre, les listes électoralescomptent 23 millions d' inscrits pour 49 millions d'habitants, soit presquela moitié, alors qu'en Côte d' Ivoire ils sont 6 millions pour 20 millionsd'habitants, soit moins d'un tiers, alors que la pyramide des âges y estanalogue. C'est qu'en Françafrique les peuples ne croient pas en lasincérité des élections et hésitent à s’inscrire pour des consultationsqu' ils savent par expérience douteuses. Le changement par les urnes yest beaucoup plus rare que dans le reste de l'Afrique, non que lacontestation des résultats soit absente ailleurs mais elle se règle, bienou mal, entre acteurs locaux. Tant est profonde la rupture creusée par lepoids écrasant de l' ingérence française entre une classegouvernementale hors sol et le pays réel.

Odile Tobner

Édito

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4 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Novembre 2015 N°251

Salves

L ’opposition n’est pas restée passive :outre les meetings organisés lessemaines d'avant (dont celui du

27 septembre, d'une ampleur historique,cf. Billets n°250, octobre 2015), desmanifestations ont lieu dès le 20 octobredans tout le pays, avec appel à ladésobéissance civile1. Un climat insurrec­tionnel règne, des bâtiments sont incendiés(dont trois commissariats à Brazzaville, etdes résidences de proches de Sassou).

La démocratie selon SassouLa réponse du pouvoir : des dizainesd’arrestations, au moins vingt morts, desdizaines de blessés. La ville martyre deBrazzaville2 se rappelle qui est à la tête duCongo : des hélicoptères survolent lesquartiers sud, l’armée tire à balles réelles,les réseaux de télécommunications sontcoupés, des émetteurs radios – notammentcelui de RFI – n’émettent plus.Les leaders de l’opposition sont harcelés.Le 20, six porte­paroles de l’oppositionsont arrêtés juste avant une conférence depresse, puis relâchés dans la soirée. Lemême jour, vingt militants sont arrêtés3 audomicile de M. Boungouandza (sénateur etmembre de l’UPADS, un des principauxpartis d’opposition). Du 22 octobre au2 novembre, l'opposant Guy Brice ParfaitKolelas est encerclé par la Gardeprésidentielle à son domicile avec unetrentaine de personnes.C’est dans ces conditions que s’est tenu leréférendum sur le changement deconstitution. Les Congolais ont pu assisterau spectacle de bureaux de vote à peu prèsaussi vides que leur garde­manger ; et àl’annonce sans surprise d’une participationmassive – 72 % – plébiscitant la réforme à93 % des votants. Notons qu’avec l’âge,M. Sassou Nguesso est devenu modeste :le référendum par lequel il a fait validerson coup d’État en 1979 avaitprétendument obtenu 97 % des voix.Le front d’opposition IDC­FROCAD aannoncé son programme : après trois joursde deuil et l’enterrement des leurs, lesmarches doivent reprendre dans lesgrandes villes dès le 5 novembre. Un

grand meeting est prévu dès le 7, et desjournées « ville morte » doivent avoir lieutous les jeudis et vendredis jusqu’aurétablissement de l’ordre constitutionnel.

Médias français « objectifs »Pendant ce temps, dans l’ambiance feutréedes rédactions parisiennes, on sait restermesuré. Il aura fallu attendre le référen­dum pour que la presse française prenneacte de l’illégitimité des manœuvres deSassou. Avant cela, ceux qui savent que leCongo existe gratifient leurs lecteursd’articles ignominieusement « objectifs » –selon la définition qu’en a fait Jean­LucGodard4 –, ouvrant largement leurscolonnes aux supposés « pro­Sassou ».RFI fut en l’occurrence un modèle dugenre, avec le désormais mythique« Congo­Brazzaville : pourquoi tant depolémiques autour du référendum ? »(23/10). Un long article, dont plus de la

moitié est consacré à la position du clanSassou, et le reste à dire que la populationne croit « ni au pouvoir, ni àl’opposition ».Les « manifestants » pro­oui, largementrémunérés d’après nos informations, ontpu se faire filmer dans leurs cortègessillonnant les beaux quartiers deBrazzaville, preuve s’il en fallait que leridicule tue moins sûrement que les balles.

Cacophonie élyséenneLa France officielle a quant à elle donnédans la « communication du sens duvent », ce qui n’est pas facile en pleinetempête. Quelques instants après queLaurent Fabius a reçu le ministrecongolais des Affaires étrangères Jean­Claude Gakosso (le 21/10, en pleinerépression), François Hollande déclare queSassou Nguesso « peut consulter sonpeuple, ça fait partie de son droit ». Le 27,à l’annonce des résultats, le Quai d’Orsayindique en « prendre note », puis le soirmême l’Élysée envoie aux rédactions uncommuniqué – non publié sur son siteofficiel – estimant que les « conditionsdans lesquelles ce référendum a étépréparé et organisé ne permettent pas d’enapprécier le résultat », mais confirmantque « la France [en] prend note ».Si l’on ajoute les prises de position duParti socialiste qui émet régulièrement desréserves sur la stratégie de Sassou5, et unhistorique des déclarations du Présidentfrançais – tantôt mettant en garde lesprésidents tentés de se maintenir aupouvoir6, puis affirmant à l’occasion d’unevisite de Sassou à Paris début juillet que cequi compte, c’est le « consensus » –, oncherche en vain une grille d’analyse.Proposons­en une.

Les raisons du soutienLa France est le premier partenairecommercial du Congo. Premierfournisseur, avec 21 % du marché,premier investisseur, premier créancier.Les entreprises françaises emploient prèsde 12 000 salariés au Congo, dont un

CONGO BRAZZAVILLE

Denis Sassou Nguessorappelle au monde qui il estRedouté depuis des mois, annoncé courant septembre, le passage en force de DenisSassou Nguesso pour rester au pouvoir après 201 6 se poursuit. En dépit de déclarationstout en ambiguïté, l'Elysée lâche… les démocrates congolais, une fois de plus.

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N°251 Novembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 5

Salves

millier d'expatriés. L’entreprise Totalextrait 60 % du pétrole national dans desconditions d’opacité qu’elle n’a pu obtenirque par la guerre7. D’autres entreprises,comme Bolloré qui a obtenu en 2009 laconcession du port de Pointe­Noire sur27 ans, ne sont pas en reste.L’armée et la gendarmerie congolaises –celles­là même qui tirent sur lesmanifestants – bénéficient des accords decoopération avec la France pour laformation des officiers (lire ci­contre),lesquels sont systématiquement recrutéssur base ethniste.Ajoutons deux dossiers chauds : la COP21qui aura lieu du 30 novembre au11 décembre à Paris ne peut pas se passerdu soutien des « amis » africains ; et lechaos en Centrafrique, pays où la Franceveut à tout prix organiser des élections pourdéfendre le bilan de son interventionmilitaire et dans lequel Sassou s’est placéen position de « médiateur » – et de maîtrechanteur (cf. Billets n°244, mars 2015), .Cela n’est que la face émergée de l’iceberg.Après cinquante années de coups fumants8,M. Sassou Nguesso doit bien avoir, selonl’expression d’Alfred Sirven, « de quoifaire sauter vingt fois la République[française] ». Combien de « dossiers » a­t­il en sa possession sur des personnalitéspubliques ou de l'ombre au plus niveau del’État et de l'industrie françaises ?On comprend la situation délicate duPrésident français, pour qui unpositionnement trop cynique est de plus enplus coûteux électoralement. On aimeraitlui suggérer de choisir le droit et ladémocratie, quel qu’en soit le prix.

Guillaume Desgranges1. La désobéissance civile est un acte légal prévupar la Constitution de 2002, à l’inverse duréférendum du 25 octobre.

2. En décembre 1998, Denis Sassou Nguessolivre la ville au « massacre à grande échelle »,lire FIDH/OCDH, Congo­Brazzaville.L’arbitraire de l’État, la terreur des milices,17/06/1999.

3. A l'heure où nous bouclons ce numéro, cesmilitants sont toujours détenus.

4. « L’objectivité à la télévision, c’est cinq minu­tes pour les Juifs et cinq minutes pour Hitler »

5. notamment son communiqué du 24/09/2015.

6. Lors du XVe sommet de la Francophonie àDakar, en novembre 2014.

7. Lorsque le président Lissouba, élu en 1992, aremis en cause les privilèges d’Elf (rachetée en1999 par Total), l’entreprise a tout fait pourréinstaller Sassou. Une perquisition au sièged’Elf a fourni les preuves de l’implicationdirecte de l'entreprise dans le rétablissement deDenis Sassou Nguesso. Lire F­X. Verschave,Noir Silence, Les Arènes, 2000.

8. Sassou fait partie du cercle d’officiers quirenverse Alphonse Massamba­Débat en 1968.

D ans un communiqué publié le2 novembre, les organisationsmembres de la campagne

« Tournons La Page » et l'ACAT1

réclament « qu’une enquête indépendantedétermine s’il y a eu un usagedisproportionné de la force létale par lesforces de l’ordre et si ces dernières ontmanqué de partialité dans leur mission demaintien de l’ordre ». Les ONG ne se fontpour autant pas d'illusion sur la nature durégime, précisant qu'il « est vain d’espérerdes autorités congolaises la moindreenquête indépendante et impartiale sur detels faits. L’impunité des éléments desforces de l’ordre est en effet patente enRépublique du Congo depuis desdécennies et les instances judiciaires,normalement compétentes en la matière,manquent cruellement d’indépendancevis­à­vis du pouvoir exécutif ». Cesorganisations demandent donc « uneenquête internationale » et « appellent lacommunauté internationale, et plusparticulièrement l’Union africaine,l’Union européenne, le Haut­commissariataux droits de l’homme des Nations unies, àse concerter avec les autorités congolaisesen vue de la mise en place d’une tellecommission d’enquête et de sondéploiement rapide sur le terrain ». Or,comme Survie l'a signalé en amont duréférendum, « la France a uneresponsabilité particulière au Congo­Brazzaville » : et il n'est pas simplementquestion ici de l'appui historique à SassouNguesso dans son accession au pouvoir,via le faux­nez de l'entreprise publique Elf,mais bien de la façon dont laresponsabilité française pourraitéventuellement être engagée pour lesviolences de ces dernières semaines. Eneffet, l’accord de coopération militairesigné en 1974 entre le Congo et la Franceest toujours en vigueur2. Et il n'est pastombé dans l'oubli, loin de là : quelquesmois avant ce nouvel épisode derépression sanglante, les deux pays ontsigné des conventions que les autoritésfrançaises se sont bien gardées de rappeler

dans leur communication sur la crise :l’une, signée en janvier dernier, concernenotamment la formation, l’entraînement etl’organisation du commandementopérationnel des Forces arméescongolaises (ADIAC­Congo, 24/01) ; uneautre, fin juin, concerne les liens entre lesgendarmeries française et congolaise. Desliens étroits, puisqu'un officier français, leLieutenant­colonel Eric Misserey, est misà disposition du commandant de lagendarmerie congolaise3. Ce type decoopération française, bien plus directeque la coopération militaire faite defourniture d'armes que la Suède ainterrompue au printemps avec l'ArabieSaoudite du fait des violations des droitshumains (AFP, 10/03), n'est évidemmentpas une spécificité du Congo, enFrançafrique (voir par exemple le Togo,cf. Billets n°245, avril 2015). Mais cettefois, une convention est signée ourenouvelée et, seulement 4 mois après, « lapolice et la gendarmerie vont tirer, parfoisà balles réelles » (Jeuneafrique.com,3/11), peut­on lire même sous la plumebarbouzarde de François Soudan, neveupar alliance de Sassou Nguesso (cf. Billetsn°250, octobre 2015). Le journal en ligneThe Dissident (2/11) a interrogé le Quaid'Orsay, qui « n’a pas souhaité donné lesraisons qui justifiaient de maintenir cesaccords militaires avec le Congo, estimantque "les autorités françaises se sont [déjà]exprimées sur ce scrutin" ». Si le silencemédiatique et politique persiste sur cettecoopération criminelle, la justice nepourrait­elle pas désormais s'en mêler ?

Thomas Noirot

1. Action des Chrétiens pour l'Abolition de laTorture

2. « Accord de coopération technique enmatière de formation de cadres etd’équipement de l’armée populaire nationaleentre la République française et la Républiquepopulaire du Congo », signé en 1974

3. voir l'article « Signature de la convention degendarmerie » sur le site internet del’ambassade de France au Congo.

COOPÉRATION MILITAIRE

L'armée françaisecomplice au Congo ?L'épisode de violence qui a précédé le référendum estemblématique du pouvoir de Brazzaville. Mais l'arméefrançaise, qui coopère activement avec les forces arméeset la gendarmerie congolaises, pourrait aussi voir saresponsabilité engagée.

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6 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Novembre 2015 N°251

Dossier

D epuis 2013, les lobbies du secteurprivé sont vent debout contre laproposition de loi (PPL) relative

au devoir de vigilance des sociétés­mèreset des entreprises donneuses d’ordres, quicherche à combler une faille du droit :une société, en tant qu'entité juridique,n'est pas attaquable devant les tribunauxfrançais des violations des droitscommises par ses filiales à l'étranger,même si elle en récupère les bénéficespour ses actionnaires. Après avoir réussi àfaire rejeter par les députés socialistes lapremière version de la loi (à laquelles'opposait le gouvernement PS pro­entreprises)1, les multinationalesfrançaises ne sont pas loin de réussir àbloquer cette 2ème PPL dont le vote auSénat, initialement prévu le 21 octobre, aété reporté au 18 novembre2.Celle­ci a d’ailleurs failli êtredéfinitivement enterrée « grâce » auxefforts du rapporteur de la loi, le Sénateurdes Français de l’étranger Christophe­André Frassa (Les Républicains) qui sefait le meilleur relais des entreprisesfrançaises au Sénat. Cet ancien consultantjuridique, Président délégué du groupeFrance­Afrique Centrale et désigné pourreprésenter le Sénat au sein d’ExpertiseFrance (organisme public actif au sein dela fameuse « diplomatie économique »), aen effet tenté un véritable coup de forceen cherchant à faire passer une motionpréjudicielle en commission des lois le14 octobre dernier.

Préjudice démocratiqueCette motion de censure, extrêmementrare (elle n’avait été utilisée qu’une seulefois depuis la seconde guerre mondiale),permet de bloquer tout débat dans lesdeux chambres parlementaires, et cejusqu’à ce que soit remplies lesconditions inscrites dans la motion : ici,jusqu’à l’adoption d’un cadre juridiqueeuropéen sur ce sujet… Bien que cettemotion ait été retirée au dernier momentsuite à une importante mobilisation de lasociété civile3­ mais aussi de certainssénateurs­ cela montre bien que cette loi

ne tient qu’à un fil, et que les acteursopposés à ce texte sont prêts à tout pourempêcher toute réglementation potentiellecherchant à obliger les entreprises àrespecter les droits de l’Homme… et toutcela au nom de la « compétitivité » desentreprises françaises (Cf. Billets n°242,janvier 2015).

C’est ainsi que les multinationalesfrançaises, qui se cachent habituellementsur ce sujet derrière le Medef et l’AFEP4 ­ceci afin de ne pas ternir ouvertement leurbelle image d’entreprise respectueuse desdroits humains et de l’environnement ­n’ont pas hésité à faire venir unereprésentante de la chambre du commercedes États­Unis (l’un des plus puissantslobbies des entreprises américaines).Cette dernière a ainsi pu expliquer, dansune tribune publiée par le journal LesÉchos (28/09), qu’une telle loi coûteraitsûrement « des centaines de millionsd’euros par an » aux entreprisesfrançaises… Quitte à inventer deschiffres, autant viser toujours plus haut !

David contre GoliathPourtant les impacts de la version actuellede la loi seront plus que limités, tantcelle­ci a déjà été rabotée de toute partpar rapport à son objectif premier deprotection des droits humains par les

entreprises françaises ainsi que leursfiliales et sous­traitants. C’est ainsi quedans la version actuelle, moins de200 entreprises françaises sontconcernées par cette loi, mettantnotamment de côté de nombreusesentreprises à risque, comme certainesliées au secteur extractif (comme Perencoou Morel & Prom qui ont été vivementcritiquées dans un rapport publié par leCCFD­Terre Solidaire et le SecoursCatholique­Caritas France débutseptembre5), ou encore à celui dutextile… De plus, différents contratscommerciaux potentiels, entre lesmaisons mères de multinationalesfrançaises et d’autres entreprises, ne sontpas concernés, diminuant encore lechamp d’application de cette loi (commeles « contrats d’importation » qu’utilisaitpar exemple le groupe Auchan avec desentreprises présentes dans l’immeuble duRana Plaza, effondré en 2013 auBangladesh).Enfin, les quelques entreprises qui serontconcernées par ce devoir de vigilance nerisqueront quasiment rien, dans l’étatactuel du texte, vis­à­vis des futurespotentielles victimes. En effet, ilreviendra à ces dernières d’apporter lapreuve du manquement au devoir devigilance et du lien de causalité entre cemanquement et les dommages causés…ce qui est quasiment impossible dansl'état actuel du droit.

Thomas Bart1. Alors que ce groupe avait pourtant lui­même co­rédigé cette première proposition deloi (Cf. Billets n°243, février 2015).

2. Cette deuxième PPL est passée de justesseen première lecture à l’Assemblée nationale le30 mars dernier.

3 Notamment Amnesty International, LesAmis de la Terre, CCFD­Terre Solidaire,Collectif Ethique sur l’Etiquette, Sherpa(Membres du Forum citoyen pour la RSE)

4. Association française des entreprises privées,qui regroupe les plus grandes firmes françaises.

5. « Le baril ou la vie ? » CCFD­TerreSolidaire et Secours Catholique­CaritasFrance, en partenariat avec deux associationspéruviennes, le CAAAP et CooperAcción

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES

Les multinationalescontre leur devoir de vigilanceVantant à l'envi la « Responsabilité Sociale des Entreprises » (RSE) lorsque celle-ci se faitsur une base volontaire, les multinationales font tout pour bloquer la moindre évolutionréglementaire, même bien peu exigeante.

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N°251 Novembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 7

Dossier

Billets d'Afrique : Pouvez­vous nousrappeler brièvement ce qu’est le planBEPS de l’OCDE ?Tove Maria Ryding : Au début, l'OCDEaffirmait que l'objectif du plan BEPS étaitde réformer le système fiscalinternational et de s'assurer que lesentreprises payaient leur juste partd'impôts. Mais aujourd'hui, il semble queBEPS soit plus une révision des règlesexistantes qu'une réelle réforme. Leschangements introduits ne sont que desajustements mineurs qui ne permettrontpas de faire en sorte que les entreprisespaient leur juste part d'impôts.

Y­a­t­il des éléments positifs dans ce planBEPS et dans les propositions de l’OCDE ?Il y avait plusieurs éléments dans ce pland’action dont nous espérions des résultatspositifs.Par exemple, nous espérions que leprocessus BEPS introduirait plus detransparence sur les activités desmultinationales et les impôts qu'ellespayent dans chacun des pays où elles sontprésentes.1

Nous espérions aussi que l'OCDEdévelopperait davantage la méthode du"partage des bénéfices" [profit splitmethod, en anglais] : il s’agit d’uneméthode alternative pour taxer lesentreprises multinationales qui peut êtremieux adaptée pour les pays en

développement. Et enfin, nous avions étéravis d'apprendre que l'OCDE envisageaitde se débarrasser de ces structuresfiscales controversées qu'on appelle enanglais les patent boxes (en françaisrégimes préférentiels sur les revenus tirésde la propriété intellectuelle): ce sont cesstructures qui ont, entre autres, étéutilisées par McDonald's pour éviter depayer ses impôts.Malheureusement, au final, l'OCDE n'estpas parvenue à supprimer les patent boxeset n'a pas réussi non plus à avancer sur laméthode du "partage des bénéfices". Etl’OCDE a décidé que les informationsconcernant les activités de chaqueentreprise et les impôts qu’elle paye danschacun des pays où elle est présente neseront pas rendues publiques. Cesinformations ne seront en effetdisponibles que pour les administrationsfiscales des pays qui seront conformes àcertains critères. En réalité, cela va trèsprobablement signifier que seules lesadministrations des pays riches aurontaccès à ces informations, celles des payspauvres restant sur la touche.

Quelles sont vos principales critiques?Nous en avons trois. Tout d'abord, BEPSne résout pas le problème : lesmultinationales seront toujours en mesurede ne pas payer leur juste part d'impôt.Ensuite, le processus BEPS pourrait

même avoir empiré certaines choses. Parexemple, maintenant que l'OCDE a établises lignes directrices sur comment mettreen place une "patent box", de plus en plusde pays européens ont décidé de s'endoter, ce qui signifie très simplement queles entreprises pourraient avoir encoreplus d'opportunités pour éviter de payerleurs impôts. Et dans le débat public surla transparence et le droit des citoyens deconnaître les contributions fiscales desentreprises, on voit de plus en plus depays européens s'aligner sur lespropositions de l'OCDE et déclarer queces informations doivent resterconfidentielles et être mises uniquement àla disposition des administrationsfiscales. Du coup, les recommandationsde l'OCDE sont devenues une mauvaiseexcuse pour ne pas rendre cesinformations publiques, une conditionpourtant nécessaire pour faire toute lalumière sur ces pratiques.Enfin, le fait que le processus BEPS soitpar essence anti­démocratique est unvéritable problème. Plus de 100 pays endéveloppement ont été exclus du

EVASION FISCALE

« Loin de résoudre leproblème, l'OCDEpourraitmêmeavoirempiré les choses »Le 1 5 novembre 201 5, les Etats du G20 vont formellement adopter le plan d’action del’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique) pour luttercontre l'évasion fiscale. Entretien avec Tove Maria Ryding, responsable du plaidoyer surles questions de justice fiscale au sein du réseau Eurodad, qui regroupe une quarantained’ONG issues d'une vingtaine de pays européens et mobilisées sur les questions definancement du développement.

RappelEn 2013, les Etats du G20 mandatent l'OCDE pour concevoir un plan d'action contreles pratiques d’érosion de la base fiscale et de transfert de bénéfices des entreprisesmultinationales (ou plan BEPS ­ Base erosion and profit shifting en anglais). Ce planen 15 points, présenté le 4 octobre par l’OCDE après deux années de travail, a étésalué dans les médias et par la France comme une véritable victoire, censée mettre unsérieux coup de frein à l’évasion fiscale des entreprises qui fait perdre chaque annéedes centaines de milliards d’euros, aux pays développés comme aux pays les pluspauvres. La société civile a été beaucoup plus critique, reprochant à l’OCDE nonseulement de ne pas avoir rempli ses objectifs mais aussi d'avoir exclu plus d’unecentaine de pays de ce processus de révision des règles fiscales internationales. Voirégalement à ce sujet l'analyse de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, dontSurvie est membre : www.stopparadisfiscaux.fr

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8 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Novembre 2015 N°251

Dossier

processus de décision, ce qui estprobablement un point clé pour expliquerpourquoi ces résultats sont si mauvais dupoint de vue des pays pauvres. Mais leplus triste, c'est que l'on attend des paysen développement qu'ils suivent les règlesde l'OCDE, alors même qu'ils n'étaientpas les bienvenus au moment de négocieret décider ces règles.

Le plan BEPS aura­t­il un impact sur lespays en développement ?L'évasion fiscale des entreprisesmultinationales impacte encore plusfortement les pays en développement queles pays développés, parce qu'ils ont depetites économies et parce qu'ils ontbeaucoup de difficultés à lever d'autrestaxes et impôts.Donc le fait que le système internationalreste aussi défaillant est un désastre pourles pays en développement.Ensuite, les règles BEPS de l'OCDE sontextrêmement complexes, en particulier lesystème de contrôle des prix de transfert,qui nécessite énormément de ressourcespour être mis en place. En tentant demettre en œuvre ces règles, les pays endéveloppement vont utiliser beaucoup deressources, qui auraient pu servir à autrechose si l'OCDE était parvenue àdévelopper des systèmes alternatifscomme la méthode du profit split, qui estbeaucoup plus facile à mettre en œuvre.Enfin, comme cela a déjà été évoqué, il y

a un vrai risque que les administrationsfiscales des pays riches aient accès à plusd'informations que les pays pauvres,concernant les activités des entreprisesmultinationales et les impôts qu'ellespayent dans chacun des pays où elles sontprésentes. Cela peut en réalité avoir uneffet pervers, en incitant les entreprisesmultinationales à transférer une partie deleurs contributions fiscales depuis lespays pauvres vers les pays riches2, lesseuls dont l'administration fiscale sera encapacité de comparer ces paiements avecl'activité réelle des entreprises.

Que va­t­il se passer maintenant ? Quellessont les prochaines étapes ?L'OCDE va maintenant faire pressionpour que le plan d'action BEPS soit misen œuvre dans tous les pays du monde.Mais il est très important de comprendreque la bataille pour la transparence desentreprises et pour une réelle réforme dusystème fiscal international n'est pasterminée : elle continue dans d'autresendroits, y compris au sein de l'Unioneuropéenne. Au cours de ces dernièresannées, l'UE a été beaucoup plusprogressiste que l'OCDE et a par exempleintroduit de plus en plus de transparencesur les entreprises. En ce moment même,il y a une proposition sur la table quidonnerait au public le droit de savoir ceque les entreprises multinationales payenten impôt et où elles ont une activitéréelle. Ce sera une bataille cruciale pour

l'année qui arrive. Et contrairement àl'OCDE, l’UE peut adopter des règlescontraignantes. C'est donc beaucoup plusimportant que les recommandations quepropose l’OCDE, qui risquent dedétourner l’attention de l’Unioneuropéenne, mais qui ne peuvent enaucun cas l’empêcher d’aller de l’avant.Une autre bataille importante est celleque les pays en développement mènentpour pouvoir prendre part sur un piedd’égalité aux décisions concernant lesstandards fiscaux internationaux. Lacréation d’un organisme fiscal au sein desNations Unies permettrait de répondre àcette demande, et c'est aussi un enjeu trèsimportant pour l’année qui arrive.

Propos recueillispar Thomas Noirot

Notes liées à la traduction :

1. Cette mesure est connue sous le nom de« reporting pays par pays »: il s’agit d’unerevendication portée par la société civile depuisprès de 10 ans, qui obligerait les entreprises àrendre publiques des informations sur leursactivités (chiffre d’affaires, bénéfices, nombred’employés) et les impôts qu’elles payent danschacun des pays où elles sont implantées.L’objectif de cette mesure est de vérifier que lesentreprises payent bien leurs impôts là où ellesont une activité réelle et de lutter ainsi contreles transferts artificiels de bénéfices dans lesjuridictions à fiscalité faible.

2. au lieu de mettre fin aux pratiquesd'évitement fiscal

La bataille françaisedu « reporting pays »Suite à la présentation du plan d'action del'OCDE, le gouvernement français aannoncé la mise en œuvre de plusieurs deses mesures, à l'occasion du projet de loide finances rectificative (PLFR)... dontle « reporting pays par pays » prévu parle plan BEPS, c’est­à­dire non public etavec un seuil élevé (chiffre d'affairessupérieur à 750 millions d’euros dechiffre d’affaires, excluant de nombreusesentreprises). Pourtant, au niveau del'Union européenne, deux processus sonten cours de discussion pour un reportingpublic et concernant davantage d'entre­prises (la directive droit des actionnaireset l’étude d’impact de la Commissioneuropéenne). En transposant immé­diatement en droit français le reportingproposé par l’OCDE, la France pourraitdonc freiner la dynamique européenne.Lors de l'examen du PLFR au Parlementmi­novembre, l'enjeu sera donc d'essayerde faire inscrire une obligation dereporting public, sur le même modèle quecelle faite aux banques depuis la loibancaire de 2013.

Le 4 novembre, veille de l'anniversaire du scandale « Luxleaks », sur la révélation d'accordsnégociés entre le Luxembourg et des centaines de multinationales pour y défiscaliser leurs

bénéfices, la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires avait décidé de siffler symboliquement lafin de l'évasion fiscale devant le ministère de l'Economie, pour réclamer des actes en ce sens.

Crédit photo : CCFD­Terre Solidaire

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N°251 Novembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 9

L aurent Foucher est un de cespersonnages caractéristiques duversant affairiste de la

Françafrique. Ancien conseiller de lacompagnie pétrolière Maurel & Prom,très active au Gabon et au Congo­Brazzaville, il a par ailleurs été lereprésentant de Jean­ChristopheMitterrand au début des années 2000 dansun sulfureux business en Mauritanie. Il ydirigeait la conserverie de poisson àlaquelle le fils Mitterrand destinait lesfonds pour lesquels il a été condamné en2008 pour abus de biens sociaux. C'étaitlors du procès de l'Angolagate, célèbrescandale de ventes d'armes à l'Angola,pays où Foucher était connu « pour sesrelations avec [Pierre] Falcone » selonLibération (09/03/2004).

Facture télécomsFin juin 2013, alors que la Centrafriques’enfonce dans le chaos à la suite de laprise du pouvoir par les rebelles de laSéléka, Laurent Foucher débarque àBangui (Mediapart, 3/12/2013). Il estaccompagné de Jean­Charles Charki, sonpartenaire en affaires dans deux sociétésbasées au Luxembourg, Niel Telecom etNiel Petroleum, ainsi que de ClaudeGuéant, l’ancien ministre français del’Intérieur et ancien Secrétaire général del’Élysée sous Nicolas Sarkozy1. Dans leviseur des deux premiers, les potentiellesressources naturelles du pays d’une part,mais aussi le secteur des télécoms etnotamment l’opérateur Telecel. Quelquesjours plus tard, le magazine Jeune Afrique(03/07/2013) annonce que Niel Telecomva reprendre les filiales burundaise etcentrafricaine de Telecel Globe pour unmontant supérieur à 75 millions d’euros.L’opération n’arrivera jamais à son terme,les deux pépites étant finalementrachetées par le groupe Econet WirelessGlobal (Agence Ecofin, 20/10/2014).Qu’à cela ne tienne, Laurent Foucher aplusieurs fers au feu.Le remplacement à la tête du pays deMichel Djotodia par Catherine Samba­Panza en janvier 2014 (cf. Billets n°232,

février 2014) ne va pas troubler notrehomme. Celui­ci va participer à unmontage inédit : le financement de laformation de la gendarmerie centrafricaine2

par des fonds privés, en l’occurrence ceuxde Niel Telecom (lemonde.fr, 13/06/2014).Ou comment s’attirer les bonnes grâces dupouvoir en place.

Avantage diplomatiqueLa confiance des autorités centrafricainesenvers Laurent Foucher est telle quecelles­ci viennent de le nommerambassadeur de la Républiquecentrafricaine à l’ONU (Mondafrique,17/09) ! L’accès à un poste diplomatique,et donc à l’immunité qui l’accompagne,est un sésame de la plus haute importancepour certains hommes d’affaires peuscrupuleux. Il y a le cas célèbre de PierreFalcone, négociant en armes nommé en2003 ambassadeur de l'Angola àl'UNESCO pour échapper à la justicefrançaise. Mais l’exemple est aussi donnépar Mads Brügger dans son documentaire« The Ambassador » (2011). On l'y voitacheter une accréditation pour être consuldu Libéria à Bangui, dans le but officieuxde faire sortir illégalement des diamantsdu pays, via l’inviolable valisediplomatique. Ce commerce despasseports « de complaisance » n’estévidemment pas une spécificitélibérienne, le régime du présidentcentrafricain François Bozizé en ayant luiaussi octroyé un grand nombre avant sachute. La femme de l’oligarque kazakhMoukhtar Abliazov avait ainsi éténommée, sous un faux nom, « conseillèrediplomatique à la présidence », avec lepasseport diplomatique afférent(jeuneafrique.com, 30/04/2014). Hasardde la vie mondaine, selon Mondafrique(17/10/2015) Laurent Foucher seraitjustement un proche de MoukhtarAbliazov…

Yanis Thomas1. On est en famille : Jean­Charles Charki estle gendre de Guéant !

2. La formation sera dispensée par Gallice, unesociété militaire privée française.

Salves

CENTRAFRIQUE

Laurent Foucher,un bien étrange ambassadeurA Bangui, les autorités de transition ne savent pas comment sortir de la crise, mais ellessavent mobiliser les vieux réseaux françafricains : le nouvel ambassadeur de laCentrafrique à l'ONU est tout sauf un inconnu...

ProconsulL'Elysée voudrait remettre en selle ledictateur tchadien, reçu en visite« privée » début octobre, pour gérer lacrise centrafricaine, si l'on en croit lesite Mondafrique.com (2/10) audétriment du « médiateur » congolaisSassou Nguesso englué dans sonprojet de putsch constitutionnel.« Cette transition doit s’arrêter. Il faut(mieux) une mauvaise élection plusqu’une transition chancelante », adéclaré Deby, à l’issue de sonentretien avec le président français.Mais pourquoi choisir ? Avec lesefforts conjugués des conseillerstchadiens et français, on aurafacilement les deux : une transitionchancelante et une mauvaise élection.

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10 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Novembre 2015 N°251

A lors qu’Ali Bongo et son brasdroit, Maixent Accrombessi,perdent de plus en plus d’alliés au

sein du PDG (parti au pouvoir) et au seinmême de la famille Bongo, les maîtres duPalais du bord de mer font tout pourmaintenir le soutien de l’Elysée qui, lui,n’a jusqu'ici jamais fait défaut aux Bongopère et fils, ceci depuis maintenant cinqdécennies… En effet, confrontés à desproblèmes juridiques (voir encadré) etmédiatiques1 au sein de l’Hexagone, lesdeux patrons du Gabon cherchent àredorer leur image, aidés en cela pardifférents acteurs français bénéficiairesdes largesses des pilleurs de l’État.

IncontournableAnne HommelEn juin dernier, Bongo a recruté AnneHommel du cabinet Majorelle PR &Event, pour gérer son image à Paris(Lettre du Continent, 17/06). Cettedernière a été choisie pour sesnombreuses connexions dans la galaxiesocialiste, mais aussi en sa qualité decommunicante spécialisée dans lessituations de crise. Ces derniers temps,elle avait par exemple géré la communi­cation de Dominique Strauss­Kahn et deJérôme Cahuzac… Elle s’est ainsichargée, cet été, après l’arrestation débutaoût d'Accrombessi, d’éteindre le feumédiatique sur ce sujet, concentrant sesefforts sur l’engagement du Gabon enmatière d’environnement : outre l'imagede prétendu bon élève dans la région, ellea insisté sur sa mobilisation pour lapréparation et la réussite de la COP21,qui attire toute l’attention du gouver­nement et de l'Elysée ces derniers mois.Ali Bongo, qui multiplie les virées à Paris(il vient d’effectuer en octobre son 3ème

voyage en moins de 6 mois), en profitepour rencontrer le plus possible dejournalistes et embellir son image, aidépour cela par Anne Hommel. Selon LaLettre du Continent (30/09), il a ainsireçu le 14 septembre Jean­PierreElkabbach dans sa suite, mais aussi uneéquipe de Paris Match ou encore leprésident du directoire du quotidien LeMonde, Louis Dreyfus. Ce dernier, suite à

cet article, a d’ailleurs demandé un droitde réponse afin de préciser qu’il n’avait« en aucun cas sollicité de financementquel qu'il soit et pour quel événement quece soit auprès des autorités gabonaises etnotamment auprès du président AliBongo ». Une précision surprenante parsa spontanéité, puisque l'article ne parlaitpas de financement...

Libé en renfortLes collectivités françaises ayant décidéde bouder les « Forums citoyens » deLibération jugés bien trop onéreux, lequotidien a alors décidé de se rabattre surle continent africain. Le premier forum dugenre a eu lieu à Libreville les 9 et 10octobre, permettant à nouveau au régimede redorer son image à l’international.Comme de coutume au Gabon, il règneune totale opacité sur le financement dece forum, Valérie Bruschini, la directricedu développement du quotidien, refusantde donner des éléments d’informations àla journaliste d'Arrêts Sur Images (24/09)qui l'interrogeait, expliquant seulementque « de toute façon, le principe estsimple : c’est le même que pour lesforums citoyens en France ». Or, enFrance, l’organisation d’un tel forumnécessite des centaines de milliersd’euros, du fait de la prise en charge de lalogistique par les financements publics,ajoutée à des « achats d’espace publi­citaires » comme l’avaient expliqué descollectivités à Arrêts Sur Images(8/02/2013). Cela avait ainsi coûté prèsde 300.000€ à la ville de Rennes…

L'édition du forum affichait des thèmescomme la « démocratisation » ou la« liberté de la presse », grâce auxquelsLaurent Joffrin assume de l’avoirorganisé à Libreville : « C’est lepluralisme d’idées qui fera évoluer leschoses et fera en sorte que la situationsur le plan politique, social, etéconomique s’améliore » (Libération,12/10). Dans un pays où les pressions àl’approche des élections de 2016 se fontcroissantes sur tous les militants2, et où laliberté de la presse est en recul chaqueannée3, le directeur de la rédaction faitmine de ne pas s'interroger sur l'intérêtpour le régime d'instrumentaliser à boncompte l'image de l'événement, auqueldes ministres ont pu participer pourmontrer qu'une fois dans l'année, le débatétait possible dans cette dictature.Mais le quotidien ne compte pas s’arrêterà Libreville, le prochain forum deLibération étant prévu au Maroc, autregrand pays respectueux des droitshumains et de la liberté de la presse…

Thomas Bart1.Notamment avec la série de révélationsfaites par Mediapart en mars 2015.

2. Un militant étudiant, Ballack Obame,observateur certifié de France 24, a encore étéarrêté le 30 octobre. Il a depuis été libéré aprèsavoir subi différents sévices de la part de lapolice, sans que celle­ci ne l'interroge au sujetdu motif officiel de son arrestation : le vold’une clé USB à un autre étudiant…

3. D’après le classement de Reporter SansFrontière, le Gabon a perdu 9 places entre2013 et 2014. Cela n’a hélas pas empêchél'ONG d’être partenaire de ce forum.

Salves

GABON

Les communicants français d’Ali BongoComme souvent, les dictateurs françafricains sont plus soucieux de leur image à Parisque des intentions de vote aux prochains scrutins : la communication à l' internationalprime sur des processus électoraux qui ne servent que d'habillage démocratique, et laFrance regorge de bonnes âmes prêtes à secourir un régime aux abois.

PDG : les Problèmes Deviennent GénérauxOutre des manifestations et grèves récurrentes dans tous les secteurs d’activités auGabon (cf. Billets n°242, janvier 2015) la contestation s’étend aujourd'hui jusqu’ausein même du parti au pouvoir, le PDG, au point que le Premier ministre Daniel OnaOndo n’ose plus affronter le vote de confiance des députés (bien que 114 des 120 élussont du PDG). La Constitution le lui impose pourtant suite au remaniementministériel du 11 septembre dernier, et ce dans un délai de 45 jours – qui n'a donc pasété respecté. En France, outre l’affaire médiatisée des Biens Mal Acquis, Ali Bongoconnaît également des problèmes juridiques en lien avec l’héritage d’Omar Bongo. Ildoit en effet fournir son acte de naissance au tribunal de Nantes suite à une plaintedéposée par l’une de ses demi­sœurs, ce qu’il n’a pas l’air de vouloir, ou pouvoirfaire... Le n°2 du régime, M. Accrombessi, a quant à lui été mis en garde à vue à Parisle 4 août, dans une affaire où il est soupçonné d’avoir touché des commissionsoccultes de la part du groupe français Marck (cf. Billets n°250 d’octobre 2015).

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N°251 Novembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 11

Salves

Le dictateur tchadien Idriss Debyavait fait sensation cet été en tenantdes propos très critiques sur le franc

CFA – qui relevaient en réalité d'uneposture et sans doute d'un marchandageavec Paris (cf. Billets n°249, septembre2015), à l'instar de ceux tenus dans ParisMatch par le Congolais Sassou Nguessoun an et demi plus tôt (cf. Billets n°231,janvier 2014). La réunion semestrielle desministres des Finances et des gouverneursdes banques centrales de la zone franc, quis'est tenue à Paris le 2 octobre, a permis declarifier les choses.Mais précédée par la médiatisation de lacabale lancée par le Directeur national dela Banque centrale d'Afrique de l'Ouest,Kossi Tenou, contre l'économiste KakoNubukpo (ses critiques du franc CFA luiont coûté son siège de ministre au Togo),cette sortie très intéressée de Deby aremis la monnaie coloniale dans le débatpublic. Quelques jours avant la réunion,Jeune Afrique (27/09) citait un proche del'Elysée : « il n’y a aucun doute, leministre français des Finances et duBudget, Michel Sapin, mettra les pointssur les « i » et demandera clairement auxdirigeants africains de prendre leursresponsabilités. Hélène Le Gal [la con­seillère Afrique de François Hollande]est favorable au principe du débat et neconsidère guère la question du franc CFAcomme un tabou ». Rien n'a filtré dans lecommuniqué final, mais les quelquesréponses de Michel Sapin à la presse ontété largement gonflées dans les médiaspro­gouvernementaux de certainesdictatures françafricaines. Pour LesDépêches de Brazzaville (6/10), « laFrance met les pays africains au pied dumur ». Cette feuille de choux pro­Sassoumet en avant que le ministre françaisaurait affirmé que « la France estentièrement ouverte à toutes lesdiscussions. Tous les pays­membres decette zone monétaire sont libres etindépendants, ils peuvent donc demanderà rediscuter les accords monétaires quiles lient à la France. (…) Rien n'est figéni tabou ». Dans son article « le débat estouvert sur l'Avenir du Franc CFA »,Cameroon Tribune (6/10) va encore plusloin : « D'après Paris, les Etats africains

sont libres de rester ou de sortir de lazone Franc ». Chiche ? Sauf que si unEtat doit sortir, c'est plutôt la France...

Coup de pouce financierLa « discussion », pour le moment, devraiten réalité se limiter à une petite révisionfavorable au budget tchadien. En effet,selon Jeune Afrique (11/10) « le franc CFAa bien fait l’objet de quelques explicationsentre Michel Sapin, le ministre françaisdes Finances, et Lucas Abaga Nchama, legouverneur de la Banque des États del’Afrique centrale (Beac), lors du petit­déjeuner de travail qui s’est tenu à huisclos ce jour­là. D’après nos informations,Nchama a assuré au ministre français quele Tchad n’avait aucune intentiond’abandonner le franc CFA et que lespropos d’Idriss Déby Itno avaient étésortis de leur contexte. D’après une sourceproche des participants à cette réunion, "leTchad [dont le président a d’ailleurs étéreçu quelques jours plus tard par FrançoisHollande] mais aussi les autres pays de laCEMAC souhaiteraient que, dans le cadrede l’accord monétaire qui les lie au Trésorfrançais, des dispositifs soient mis en placepour les aider à faire face à des situationsde crise grave" ». En clair, une demandede facilités financières auprès de laBanque des Etats d'Afrique centrale.Gageons que la France, qui a l'habitude dedépasser largement son budget militaireprévisionnel au titre de la « guerre contrele terrorisme », saura demander à sonTrésor public d'étudier cette demandepour aider le frère d'armes Deby à financerl'effort de guerre…

Alice Primo

FRANC CFA

Pas de tabou,mais pas de changement non plusLa réunion des ministres de la zone Franc a permis, une fois de plus, d'évacuer toutecritique trop radicale du Franc CFA. Paris s'en tient à des aménagements à la marge.

RappelLa Zone franc est le système monétaireet économique qui lie quinze pays à laFrance, au travers de 3 zonesmonétaires : UEMOA (Union écono­mique et monétaire ouest­africaine :Bénin, Burkina­Faso, Côte d’Ivoire,Guinée­Bissau, Mali, Niger, Sénégal,Togo), CEMAC (Communauté écono­mique et monétaire de l'Afriquecentrale : Cameroun, Centrafrique,Congo­Brazzaville, Gabon, GuinéeEquatoriale, Tchad) et les Comores. Cesystème est directement hérité du francdes Colonies Françaises d’Afrique(CFA), créé par De Gaulle en 1945 afinde préserver le commerce colonial del'impact des dévaluations successives dufranc de la métropole. Aujourd'hui, CFAveut dire « Communauté FinancièreAfricaine » en Afrique de l'Ouest, et« Coopération Financière de l'Afriquecentrale », et ces quinze pays doiventdéposer 50% voire 65 % (pour lesComores) de leurs réserves de changesur un compte d'opérations au Trésorpublic français, dont des représentantssiègent au sein des Conseilsd'administration des banques centrales,avec une minorité de blocage. Outrecette atteinte directe à leur souveraineté,les pays africains de la zone francdisposent d'une libre convertibilité vis àvis de la France, mais pas pour leséchanges entre les trois zonesmonétaires. Ce principe facilite donc lesinvestissements français et européens enAfrique, le rapatriement de capitaux etl’importation de matières premières,mais bloque les échanges inter­africains.Au passage, la politique de change étantla même dans la zone franc et la zoneeuro, les décisions de la Banque centraleeuropéenne (sur lesquels les Étatsafricains n'ont aucune emprise) et lesfluctuations de l’euro par rapport auxautres monnaies mondiales se répercu­tent directement sur l’économie de lazone franc. Les économies nationales,généralement fortement extraverties,subissent de plein fouet les chutes decompétitivité de leurs exportationsqu'un Euro « fort » peut entraîner.

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12 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Novembre 2015 N°251

Billets d’Afrique et d’ailleursÉdité par Survie, 47 avenue Pasteur, 931 00 Montreuil. Tél. : 01 44 61 03 251 1 numéros par an pour tout savoir sur la face cachée de lapolitique de la France sur le continent africain et les jeux troubles dela « Françafrique ». Au long de ses 1 2 pages, Billets d’Afriquedécortique ainsi les principaux faits de l’actualité franco-africainepour en proposer une analyse critique originale.

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Le 25 novembre sortira dans les sallesfrançaises le documentaire d'hom­mage à Sankara de Christophe

Cupelin1. Réalisé avant l'insurrectiond'octobre 2014, ce long­métrage ne traitepas de ce que devint le Burkina Faso sousle règne de Blaise Compaoré, durant les27 ans qui suivirent l'assassinat durévolutionnaire burkinabè. Il n'évoque pasplus les éléments, déjà connus ou restant àclarifier, concernant le complotinternational qui scella le sort du jeuneleader. Le film, entièrement dédié auxannées 1983 à 1987, prend le partid'illustrer plutôt tout ce qui fut réalisé en sipeu de temps : souveraineté alimentaire,écologie, condition de la femme, logement,infrastructures ferroviaires, santé,culture… Les relations avec la France, laLibye, Cuba, sont évoquées maismalheureusement sans une remise enperspective historique ­ notammentconcernant son assassinat. De même, lesdébats et polémiques qui existent encoreaujourd'hui sur les dérives de la révolutionburkinabè, régulièrement brandies pourfragiliser son héritage et affaiblir ceux quis'en réclament, sont à peine évoquées. Onvoit alors Thomas Sankara, modeste etsincère, reconnaissant des « erreurs »collectives, dont l'exécution de7 complotistes présumés ; mais les Comitésde Défense de la Révolution (CDR) sontprésentés sans aucune mention desrèglements de comptes qu’entraîne unejustice populaire directe ; et pas un mot,

non plus, sur les syndicats, dont plusieursténors actuels conservent une dent contre lesankarisme. Tout au long des 90 minutesdu documentaire, on n'entendra hélas pasd'autres acteurs de l'époque ou deshistoriens expliquer la façon dont ces« dérives » servirent des intérêts particu­liers, et comment leur traitement politiqueet médiatique international permit deconstruire les bases du renversement deSankara, au profit de la Françafrique.Malgré ces écueils, qui limitent la portéepédagogique du film pour un public nonaverti si sa projection n'est pas suivie d'unebrève discussion, le remarquable travail desélection et de compilation d'archives, dontcertaines inconnues même pour desspécialistes, ravira quiconque a déjàentendu parler de Thomas Sankara etsouhaite mieux découvrir ce personnageexceptionnel, sa psychologie, sa relationavec Blaise Compaoré et les réalisations dela révolution burkinabè. En particulier, àl'heure du grand raout de la COP21 et desfadaises du « développement durable », laclairvoyance du jeune capitaine sur lesthématiques environnementales dénote, etsa conception de la diplomatie séduit(allant jusqu'à subtiliser un avion à la Libyede Kadhafi pour obtenir que les promessessoient tenues !). Ce film qui montreThomas Sankara sans commentaire ou trèspeu, vise à créer l'émotion, l'envie desavoir, et il atteint son objectif. En sortant,il revient alors à chacun de faire le lienavec les combats héroïques menés par les

Burkinabè ces derniers mois, lorsquerésonne l'une des déclarations de Sankara :« Le Burkinabè a confiance en lui­même,désormais. (…) C'est la première et la plusimportante des victoires ».

Thomas Noirot1. « Capitaine Thomas Sankara », de ChristopheCupelin, 1h30. Infos : http://vendredivendredi.fr

Criblé de ballesLes rapports d’expertise et de balistique,suite à l’exhumation des corps de ThomasSankara et de ses compagnons, ont étécommuniqués aux familles et à leursavocats le 13 octobre dernier.A l’issue de cette audience, qui a duréprès de 4 heures, on a appris que dixpersonnes étaient déjà inculpées dontplusieurs ex­membres du Régiment deSécurité présidentielle, qui était àl'époque commandé par Gilbert Diendéré.Les résultats des tests ADN devront êtrecommuniqués plus tard, mais selonl'avocat de la famille Me BénéwendéSankara (sans lien de parenté), beaucoupd’éléments concourent à pouvoir direqu’il s’agit du corps de Thomas Sankara.Selon Me Ambroise Farama, un autredéfenseur de la famille Sankara, « en cequi concerne le corps de ThomasSankara, (…) on peut dire qu'il a étépurement et simplement criblé de balles,à tous les niveaux et même en bas desaisselles, ce qui montre certainement qu'ilavait levé les bras ».

A voir

Capitaine Thomas Sankara