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Suzanne Pairault Infirmière 17 Le Fantome de Ligeac 1980

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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 17

LE FANTOME DE LIGEAC

par Suzanne PAIRAULT

*

Cécile, la nouvelle infirmière, se pose des questions : Comment a-t-on pu voler ce sac de diamants sans que personne n'entende rien? Mme Tyssen a-t-elle été complice? A-t-elle donné un somnifère à sa garde-malade pour l'empêcher de remarquer les bruits faits par le voleur?

Impossible! Mme Tyssen est paralysée depuis la mort de son mari. Et puis, elle est tellement charmante, douce et résignée dans son malheur... Alors?

Cécile ne croit pas à cette histoire de fantôme qui a fait fuir la précédente infirmière, mais, malgré l'atmosphère feutrée de la maison, elle ne peut échapper à son angoisse.

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. Salle des urgences 1976 13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)16. La promesse de Francine 1979 (Francine)17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)18. Florence fait un diagnostic 1981 19. Florence et l'étrange épidémie 198120. Florence et l'infirmière sans passé 198221. Florence s'en va et revient 198322. Florence et les frères ennemis 198423. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)15. La promesse de Francine 1979 (Francine)16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence

1. Salle des urgences 1976 2. Florence fait un diagnostic 1981 3. Florence et l'étrange épidémie 19814. Florence et l'infirmière sans passé 19825. Florence s'en va et revient 19836. Florence et les frères ennemis 19847. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. Dora garde un secret 1974 (Dora)3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence)8. Infirmière à bord 1970 (Juliette)9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)15. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)22. Salle des urgences 1976 (Florence) 23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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SUZANNE PAIRAULT

LE FANTOMEDE LIGEAC

ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I

LE SOIR tombait, l'ombre envahissait la chambre. Pauline, l'employée de maison qui avait conduit Cécile auprès de sa malade, avait prévenu la jeune infirmière : « II ne faut pas allumer brusquement, ça lui fait mal aux yeux. »

Dans la demi-obscurité, le visage de Mme Tyssen semblait très pâle — plus pâle encore du fait des cheveux très noirs qui l'encadraient. Pauline remarqua le contraste frappant entre ce masque glacé et les boucles châtain clair, les joues rosés et le nez mutin de celle qui venait la soigner.

« Comme vous êtes jeune! dit la malade d'une voix faible. Mais vous êtes vraiment infirmière,

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n'est-ce pas? Oh, ce n'est pas que j'aie besoin de beaucoup de soins médicaux. Seulement je ne peux pas bouger — pas même faire ma toilette ou m'alimenter toute seule...

— Ne parlez pas trop, cela vous fatigue, interrompit gentiment la jeune fille. Dans un moment je vous donnerai votre dîner; en attendant, je vais ranger mes affaires. Je laisse la porte ouverte pour vous entendre appeler si vous avez besoin de moi.

— Pauline a tout préparé; la nuit dernière, après le départ de Mlle Simone, c'est elle qui s'est occupée de moi. Remarquez qu'avec mes comprimés je dors très bien, mais elle ne voulait pas me laisser seule.

— Naturellement, cela valait mieux ainsi. Attendez-moi, je reviens dans dix minutes. »

La chambre destinée à l'infirmière communiquait directement avec celle de la malade. Les rideaux avaient été tirés; Cécile alluma une lampe de chevet, ouvrit sa valise et rangea ses vêtements dans le placard dont le bois sombre se détachait sur le mur blanc. Une autre porte, à côté du lit, ouvrait sur une petite salle d'eau, et une troisième, fermée, occupait le centre du mur opposé à la chambre de la malade.

Tout en examinant rapidement les lieux, Cécile se rappelait les circonstances qui avaient provoqué son départ précipité pour Ligeac. Elle connaissait l'endroit de nom : sa tante, Mlle Simone, qui était infirmière comme elle, y travaillait depuis une semaine environ. Cécile venait de passer son dernier examen et attendait son premier poste,

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quand, de bon matin, la directrice de l'Ecole l'avait fait appeler.

« Ma petite Cécile, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre tante Simone est souffrante...

— Tante Simone! » s'écria Cécile. Elle aimait beaucoup sa tante et la nouvelle la bouleversait. « Ce n'est pas très grave, j'espère? Où est-elle soignée? Je pars auprès d'elle, bien entendu.

— Rassurez-vous, dit la directrice, ses jours ne sont pas en danger. Vous savez qu'elle se trouve près de Nevers où elle soignait une malade paralysée...

— Je sais, elle m'a écrit que Mme Tyssen était une malade facile. La pauvre femme a été brusquement frappée de paralysie après la mort subite de son mari. Mais tante Simone, que lui est-il arrivé? Un accident? Elle n'est plus jeune, mais tout de même très robuste...

— C'est le médecin de Ligeac qui m'a téléphoné hier soir; il parlait très fort. Il m'a fait l'impression d'être âgé et peut-être un peu sourd. D'après ce que j'ai compris, il s'agissait de petits troubles mentaux. »

Cécile balbutia :« Des troubles mentaux? Tante Simone! Mais c'est

impossible, madame, vous la connaissez comme moi! C'est la personne la plus normale, la plus équilibrée...

— Le médecin, un certain docteur Vallotton, n'a voulu me donner aucun détail, il m'a seulement dit que Mlle Simone avait dû être hospitalisée à la clinique de Vernay, à quelques kilo-

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mètres de Nevers. Comme sa malade ne peut rester seule, il m'a demandé de lui envoyer d'urgence une infirmière. J'ai aussitôt pensé à vous. Pourriez-vous partir dès aujourd'hui?

— Naturellement, madame.— Il ne m'a pas donné le temps de discuter des

conditions, mais je pense que ce seront les mêmes que pour Mlle Simone. Je ne sais même pas quelle pourra être la durée du séjour.

— Tante Simone l'ignorait aussi, le médecin n'avait pas pu le lui dire. On n'avait pas encore fait d'examen neurologique complet; ma tante pensait que pour cela il faudrait emmener la malade à Nevers, peut-être même à Paris. Dans ce cas, ses services deviendraient inutiles.

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— De toute façon, vous verrez cela sur place. Renseignez-vous immédiatement à la gare et téléphonez

à Ligeac l'heure de votre arrivée, on viendra vous chercher à Nevers. »

A l'arrivée du train, une grosse Bentley attendait la nouvelle infirmière. Elle était conduite par un homme jeune, d'aspect franc et ouvert. Cécile lui demanda s'il était parent de Mme Tyssen.

« Oh non, mademoiselle répondit-il, moi, je m'appelle Marcel Boucard. En principe, je m'occupe du jardin, un peu aussi de l'entretien de la voiture. M et Mme Tyssen n'avaient pas besoin de chauffeur, ils conduisaient tous les deux. Maintenant monsieur est mort, quant à madame...

— C'est elle qui est malade?— Oui, ça l'a prise tout d'un coup, après la mort de

monsieur. Le docteur Vallotton dit que c'est le choc : on s'y attendait si peu! Monsieur se portait très bien, un peu trop gros, c'est tout. Ça n'avait pas l'air de le gêner, et pourtant il est mort d'une attaque...

— Il était très âgé?— Mais non, à peine la soixantaine!— Et madame?— Ça, je ne sais pas au juste. Beaucoup plus jeune

que lui, en tout cas.— Ils n'ont pas d'enfants?— Non. Il n'y a pas très longtemps qu'ils étaient

mariés; ils ont acheté la maison à ce moment-là. Moi je travaillais déjà chez le dernier propriétaire. »

II resta un moment songeur.

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« Je ,1'aimais bien, M. Tyssen; au fond il était très bon. Je dis « au fond », parce qu'il vous piquait de ces colères... Un jour, je m'étais

trompé : j'avais mis des dahlias là où il voulait des glaïeuls. Vrai, j'ai cru qu'il allait me tuer! »

Au souvenir de la scène, le jardinier se mit à rire.« L'erreur n'était pas irréparable, pourtant!

remarqua Cécile.— Bien sûr. Mais voyez comment il était,

mademoiselle. Deux heures plus tard, il est revenu me trouver pour s'excuser de s'être emporté. Vous en connaissez beaucoup, des patrons qui feraient ça?

— Ce doit être rare, en effet. »Elle regrettait de ne pas avoir connu cet homme,

coléreux sans doute, mais assez juste pour reconnaître ses torts.

Elle aurait bien voulu en savoir plus long sur sa malade mais elle ne voulait pas poser de questions personnelles. Elle demanda seulement :

« Tyssen, ce n'est pas un nom français. Vos patrons étaient-ils étrangers?

— Monsieur était d'origine hollandaise; avant de se fixer en France il avait bourlingué un peu partout, je crois. Madame, j'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'elle parle français comme vous et moi. On dit qu'avant de se marier elle faisait du théâtre. »

Une grande maison carrée, sans style particulier, apparut entre les arbres, mais la profusion de fleurs, qui

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l'entourait, l'embellissait. Cécile en fit compliment à son compagnon.

« Oui, soupira-t-il, je l'aime bien, mon jardin. Je me demande si madame me gardera, maintenant qu'elle est seule... »

Près de la grille d'entrée se trouvait un pavillon; des têtes d'enfants se pressaient aux fenêtres. Le jardinier sourit.

« Ce sont mes gosses, dit-il. Ils vous guettent, ils sont curieux de voir votre visage.

— Vous habitez ce pavillon?— Oui. Monsieur permettait aux deux plus

grands de jouer dans le parc, à condition de ne rien abîmer. Pour le petit, qui a deux ans, il n'en est pas question, comme vous pensez, il arracherait tout ce que je plante!

— J'espère bien faire leur connaissance », dit Cécile qui adorait les enfants.

La voiture tourna et s'arrêta devant la porte. Une femme d'une quarantaine d'années vint

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ouvrir. Dès le premier coup d'œil, Cécile la trouva sympathique.

L'intérieur de la maison était luxueux mais triste. Les volets du vestibule n'avaient même pas été ouverts. Malgré le mobilier encore neuf, tout sentait l'abandon. Le maître de maison disparu, la maîtresse malade... Pauline se contentait évidemment d'entretenir les pièces habitées.

« Je pense que vous voulez voir madame d'abord?— Oui », avait répondu Cécile.Après s'être donné un coup de peigne et avoir revêtu le

tablier et la coiffe, insignes de ses fonctions, elle revint dans la chambre de la malade. La nuit maintenant était presque tombée.

« Je pense qu'il faut tout de même allumer, dit la jeune fille.

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— Naturellement, répondit Mme Tyssen. Je ne supporte pas la grande lumière, mais il y a une lampe sur la table ronde, là-bas. Le bouton est à droite de la porte. »

La lampe jetait sur la table un cercle lumineux étroit, mais suffisant pour préparer les médicaments et faire la lecture à la malade si celle-ci en exprimait le désir. Le reste de la chambre restait dans la pénombre.

Cécile s'approcha de Mme Tyssen, elle remarqua près d'elle une grande boîte de chocolats à demi pleine. La malade eut un petit sourire gêné.

« Oui, je suis gourmande, vous voyez. Il est vrai que je n'ai guère d'autres plaisirs! ajouta-t-elle tristement.

— Vous avez un régime?

— Non : les muscles des membres mis à part, mon organisme fonctionne normalement. Autrefois je surveillais ma ligne — maintenant... »

Elle poussa un grand soupir.« Le chocolat fait engraisser, je le sais. Mais tant pis!

Le soir, j'ai besoin de mes bonbons pour m'endormir. C'est puéril, n'est-ce pas?

— Et pourquoi donc? Qu'importé, si cela facilite votre sommeil? Vous retrouverez votre ligne quand vous serez guérie.

— Quelquefois, avant d'aller se coucher, Mlle Simone mettait deux ou trois chocolats sur mon oreiller, pour que je puisse les prendre en tournant un peu la tête. Elle était si gentille, Mlle Simone! Je l'aimais beaucoup, vous savez... »

Cécile était heureuse de savoir qu'on avait apprécié sa tante. Elle aurait bien voulu connaître les circonstances

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exactes qui avaient motivé son départ, mais elle craignait de fatiguer la malade en l'interrogeant. Pauline ou le médecin lui donneraient les explications souhaitées.

« Maintenant, dit-elle gentiment, nous allons nous occuper de votre dîner. Je vais préparer votre plateau. Dites-moi seulement comment on va à la cuisine.

— C'est vrai : vous ne connaissez pas encore la maison. En sortant de la chambre vous tournez à droite; il y a un bouton électrique tout contre ma porte. Vous suivez le corridor, vous traversez le vestibule. A gauche vous avez la porte de la salle à manger et celle du salon, deux pièces inoccupées depuis une semaine, hélas! »

Le visage de Mme Tyssen s'était crispé; sans

doute la pensée de ces pièces désertes ravivait-elle trop de souvenirs douloureux. Elle acheva péniblement :

« La cuisine est tout au fond; vous verrez la porte vitrée. »

Même éclairé, le couloir vide était lugubre. Mais cette pénible impression disparaissait sitôt la porte de la cuisine ouverte. Celle-ci avec ses murs blancs et ses casseroles brillantes offrait un aspect de confort et d'intimité.

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II

«A LORS, vrai, mademoiselle Cécile, ça ne vous i* fait rien de dîner ici, à la cuisine, avec moi? — Bien sûr que non, Pauline, au contraire! » La brave femme avait

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préparé le plateau destiné à la malade. Un menu léger, mais soigné : un soufflé au jambon, des pommes au four. Quand Cécile entra dans la chambre de Mme Tyssen, celle-ci avait les yeux fermés; elle les ouvrit en entendant approcher la jeune fille. Cécile la souleva, sur ses oreillers et commença à la nourrir à la cuiller, comme un enfant. Elle avalait sans trop de difficulté et semblait prendre plaisir à

son repas. Quand elle eut fini elle dit à la jeune fille:« II faut aller dîner maintenant. Prenez votre temps;

j'éprouve toujours le besoin de me reposer après les repas. Plus tard, si vous voulez, vous me ferez un peu de lecture.

— Désirez-vous que j'éteigne?— Non, la lampe est trop éloignée pour me gêner.»En rapportant le plateau de Mme Tyssen, Cécile, par

la porte entrouverte, aperçut la salle à manger où Pauline s'apprêtait à mettre son couvert. C'était une grande pièce lambrissée de chêne, avec des chaises de cuir à haut dossier. Le lustre qui pendait du plafond n'était pas allumé; une lampe basse éclairait un coin de la longue table.

« Du temps de monsieur, c'était bien différent, soupira Pauline. Tout était éclairé, il y avait souvent du monde. Monsieur aimait la jeunesse, on riait beaucoup. Madame portait des robes superbes! Maintenant...

— Ce n'est pas gai, en effet, déclara Cécile. Pourquoi mettre la table ici? Vous m'ayez proposé de dîner à la cuisine avec vous, allons-y.

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— Vous savez, avec Mlle Simone, je n'aurais pas osé, bien sûr. On m'avait dit de la servir ici, j'ai fait ce qu'on me commandait. Mlle Simone n'a rien dit, elle ne se plaignait jamais de rien. Ah, c'était une bonne personne! Quand je pense qu'avant-hier elle était encore ici... »

Cécile entrevit l'occasion souhaitée. « Personne ne m'a dit exactement ce qui s'est passé; j'attendais de voir le médecin pour lui

poser la question. Mais vous étiez là, vous : peut-être pourrez-vous me le dire?

— Je peux vous dire ce que je sais; ça n'est pas grand-chose. Nous pourrons en discuter pendant le repas. Mlle Simone appréciait ma cuisine; elle disait qu'elle avait toujours été maigre, mais que je finirais par la faire grossir!»

Une fois la table mise sur une nappe à carreaux, une bonne soupe de légumes fumant dans la soupière, Pauline reprit la conversation.

« Vous me demandiez ce qui est arrivé à Mlle Simone. Eh bien, figurez-vous que les premiers jours elle était gaie, elle s'efforçait de distraire madame, quelquefois même, elle arrivait à la faire rire. Puis un beau matin, je l'ai trouvée soucieuse. Je lui ai demandé ce qu'elle avait. Elle m'a simplement répondu : « Ne vous inquiétez pas « pour moi inutilement, je suis seulement un peu « lasse, ça passera. » Je n'ai pas insisté par discrétion. Tout le monde a ses soucis, n'est-ce pas, on n'a pas toujours envie d'en parler.

— Et ça a duré cette tristesse?

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— Oui, à partir de ce jour-là elle a été bizarre, nerveuse. Elle se retournait de temps en temps pour regarder derrière elle. On aurait dit qu'elle avait peur.

— Peur! Tante Simone!— Ensuite, il y a deux jours, quand le docteur est

venu voir madame, Mlle Simone a parlé assez longtemps avec lui. Quand il est parti, elle pleurait. Elle l'a accompagné jusqu'à la porte; il lui répétait qu'il ne fallait pas s'inquiéter, que tout s'arrangerait, mais qu'elle avait raison, il était

préférable, pour elle comme pour sa malade, qu'elle aille se reposer quelque temps dans une clinique.

— Il n'a rien dit de plus précis?— Je ne sais pas, car je n'ai pas entendu. On est venu

la chercher avant-hier soir.— Vous savez où on l'a emmenée?— J'étais trop émue, je ne me rappelle pas. C'était un

nom de fleur : les Lilas... les Rosés... En partant elle m'a embrassée; elle m'a dit qu'on viendrait bientôt la remplacer sans me préciser que ce serait sa nièce.

— Elle n'en savait rien : le médecin a demandé une infirmière à mon école, et c'est moi que la directrice a envoyée. »

Pauline poursuivit :« Vous imaginez ma stupéfaction! Je voyais bien

qu'elle était triste, mais je ne savais pas qu'elle était malade. Je me suis dit qu'elle s'était peut-être disputée avec madame; ça aurait expliqué bien des choses. Mais le soir je suis allée coucher dans votre chambre — le docteur ne voulait pas que madame reste seule la nuit — et elle m'a

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parlé de Mlle Simone avec beaucoup d'amitié. Elle m'a dit qu'elle était désolée de la voir partir.

— Vous ne lui avez pas demandé ce qui était arrivé à son infirmière?

— Oh, si! Elle m'a parlé de dépression nerveuse sans me donner d'autres explications. »

Tout en parlant, Pauline sortait de la poêle une escalope dorée et mélangeait avec application une salade appétissante.

« On ne fait plus beaucoup de cuisine maintenant, dit-elle. Monsieur était un gros mangeur, par contre, madame, elle, surveillait sa ligne... M. Noël aimait bien aussi ce qui était bon quand il venait.

— M. Noël? répéta Cécile.— C'est le neveu de monsieur, un garçon bien

sympathique, ma foi. Du vivant de monsieur il venait très souvent ici, seul ou avec des camarades. Maintenant, bien sûr, tout ça a changé. Il vient voir sa tante, mais il ne reste plus pour dîner comme avant. Peut-être que plus tard, si madame guérit... Vous croyez qu'elle va guérir?

— Je ne peux rien dire là-dessus, ma pauvre Pauline. Je ne suis pas médecin, mais cette forme de paralysie qu'a Mme Tyssen, pose des problèmes aux médecins eux-mêmes. Vous m'avez dit que cela lui était arrivé brusquement, n'est-ce pas? »

Pauline inclina la tête.« Quand le pauvre monsieur est tombé, madame a eu

un choc terrible. Je suis accourue tout de suite, vous pensez; elle était toute raide, blanche comme un linge, on aurait dit une statue. Lorsque le docteur Vallotton est arrivé

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et a constaté la mort de monsieur, alors elle s'est évanouie. On l'a couchée. Le docteur lui a donné quelque chose pour la faire dormir. Le lendemain matin, je l'ai trouvée dans son lit, exactement comme elle est maintenant. Elle n'a même pas pu aller à l'enterrement, c'est vous dire...

— Le docteur Vallotton la soigne depuis longtemps?— Je crois bien qu'elle n'avait jamais été

malade. Mais du temps de monsieur il venait souvent, il lui faisait de la morale. Il disait : « Vous « mangez trop, Tyssen; méfiez-vous, un de ces « jours ça vous jouera un mauvais tour... » Le pauvre monsieur se moquait de lui; il aurait bien fait de l'écouter, pourtant...

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—Mme Tyssen a grande confiance en lui?— Oh, oui, il vient la voir tous les jours. »A la salade avaient succédé du fromage, puis une

compote. Pauline, avec sa solide quarantaine, poussait la jeune infirmière à manger.

« Allons, allons, pas de façons! à votre âge on a besoin de forces! Vous ne risquez pas d'engraisser, vous! » ajouta-t-elle avec un peu d'envie.

Le dîner terminé, Cécile reprit le long couloir qui la conduisait vers la malade. La lampe placée sur la table ronde laissait dans l'ombre le visage de Mme Tyssen endormie.

Tout en se déshabillant, la jeune fille passa en revue les événements de la journée. Somme toute, elle était satisfaite de son premier contact avec Ligeac. Elle plaignait profondément la malade, frappée d'un deuil cruel et privée de l'activité qui seule aurait pu l'aider à surmonter sa peine. Mme Tyssen ne souffrait pas physiquement, mais l'immobilité à laquelle elle était condamnée devait être en elle-même un supplice.

A son réveil, la jeune infirmière entendit dans la chambre voisine un souffle calme et régulier. Tout allait bien. Elle n'avait qu'à se lever sans bruit et attendre le réveil de la malade. Sa pensée, délivrée de ce souci immédiat, se reporta aussitôt vers le problème qui lui tenait le plus au cœur : celui de sa tante. Qu'était cette clinique où se trouvait Mlle Simone? Etait-elle assez proche pour que Cécile puisse s'y rendre à-son premier moment de liberté? En tout cas, le docteur Vallotton, le médecin de Mme Tyssen, qui avait conseillé l'hospitalisation, lui donnerait des détails.

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Après le petit déjeuner, elle fit la toilette de la malade. Elle constata alors que seule la tête et une partie du cou conservaient un peu de sensibilité; le reste du corps était inerte, ne réagissant plus à aucun contact.

Le médecin arriva à onze heures. La jeune fille ne s'attendait pas à le trouver aussi âgé. C'était un homme qui avait dû être très grand, mais maintenant il se tenait voûté comme un grand vieillard. De longs cheveux blancs encadraient son visage maigre et retombaient sur ses épaules, le haut de son crâne était dégarni.

A la vue de Cécile, sa première réflexion fut la même que celle de Mme Tyssen :

« Comme vous êtes jeune! »Mais il reprit aussitôt :« A vrai dire, l'état actuel de notre malade n'exige pas

des soins très compliqués. Une surveillance constante, quelques médicaments à administrer — rien de plus pour le moment. La présence de votre jeunesse lui fera du bien. »

Mme Tyssen semblait heureuse de le voir. Cependant, tandis qu'il se penchait sur elle, elle le suivait des yeux avec une expression angoissée. Il l'examina avec attention, fit mouvoir les bras et les jambes; dès qu'il les lâchait, ceux-ci retombaient sur le drap.

« Pas de mieux, n'est-ce pas, docteur? demanda tristement la malade.

— Pas encore, mais prenez patience et gardez courage. Continuez le traitement. Je reviendrai demain matin, comme d'habitude. »

Cécile accompagna le docteur Vallotton dans le vestibule. Elle espérait qu'il lui donnerait quelques

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précisions sur l'état de Mme Tyssen, mais il se borna à murmurer en secouant la tête :

« Vous avez vu... c'est terrible, n'est-ce pas? Cependant j'espère qu'avec le traitement il y aura une légère amélioration d'ici peu. Continuez le VM et la vitamine E. Vous savez masser? Vous pourriez essayer quelques massages légers, avec mobilisation passive des membres.

— Docteur, à quoi exactement attribuez-vous cette paralysie subite?

— Au choc violent qu'elle a éprouvé. Elle a d'abord fait une syncope prolongée; c'est à la suite de

cette syncope que la paralysie est apparue.— N'est-il pas étrange que seuls les membres soient

atteints, alors que les fonctions internes restent intactes?— Ce n'est pas fréquent, mais cela arrive. J'ai vu des

cas analogues autrefois, à l'hôpital.— Ce serait ce qu'on appelle une myasthénie? » II

sourit.« Vous employez des termes bien savants. On voit que

vous sortez de l'école. Faites ce que je vous dis sans chercher plus loin. Empêchez-la de s'ennuyer; les conversations prolongées la fatiguent, mais faites-lui un peu de lecture, comme Mlle Simone...

— Puisque vous parlez d'elle, docteur-Mile Simone est ma tante, je lui suis profondément attachée. Or je ne sais pas ce qui lui est arrivé. On m'a parlé de troubles mentaux...

— C'est bien cela, en effet. Elle a présenté des troubles mineurs, avec menace de dépression...

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— Tante Simone, déprimée! C'est tellement contraire à sa nature! Vous n'avez pas observé de symptômes vraiment inquiétants, docteur? »

II haussa les épaules.« Je ne suis pas psychiatre. J'ai jugé qu'il était

préférable de l'éloigner, dans son intérêt comme dans celui de la malade. Elle était d'ailleurs de cet avis : on ne l'a pas hospitalisée de force. C'est elle qui a demandé à partir.

— Mais qu'en pensez-vous, docteur, vous qui l'avez vue? »

Il ne répondit pas. Evidemment il n'était pas de ceux qui discutent de leurs patients avec les infirmières. Certains médecins — surtout parmi les anciens — se bornent à vous donner des ordres, que vous exécutez sans comprendre. Ils ne se rendent pas compte que l'on soigne plus efficacement quand on est informé.

« Ma directrice m'a dit qu'on l'avait conduite à Vernay?

— Oui, aux Glycines.— C'est une clinique psychiatrique?— Pas tout à fait, plutôt une sorte de maison de

repos.— Vous connaissez l'établissement, docteur?

Ma tante y sera bien?— Dans le cas contraire, je ne l'y aurais pas

envoyée. J'aimais beaucoup Mlle Simone.— Vous croyez que je pourrai la voir? Ce n'est pas

très loin, je crois?

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— Non, pas très. Pauline, qui est du pays, vous indiquera comment vous y rendre. »

Décidément, il n'était pas bavard!... Il remonta dans la voiture qui l'attendait devant la porte : une vieille voiture démodée, qui démarra avec fracas. Il adressa à Cécile un signe amical, ce qui provoqua une embardée, et se dirigea vers la grille.

Il est très âgé, mais il a l'air d'un brave homme, pensa Cécile. Il soigne Mme Tyssen avec beaucoup de dévouement. C'est important, pour une infirmière, d'estimer le médecin qui la dirige.

Elle rentra dans la chambre de la malade, quilui demanda de quoi ils avaient parlé pendant si

longtemps.« Un peu de vous, naturellement, madame. Le

docteur Vallotton m'a expliqué le détail des soins que j'ai à vous donner. Nous avons aussi parlé de ma tante.

— Pauvre Mlle Simone! soupira Mme Tyssen. Il faudra aller la voir, Cécile. »

La jeune fille lui sourit, car elle vit dans cette remarque que sa malade avait du cœur.

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III

TANTE SIMONE avait dit vrai : le travail de l'infirmière, à Ligeac, n'était pas difficile. Mme Tyssen dormait beaucoup, c'était sans doute l'effet des médicaments que lui donnait le médecin. Quand elle s'éveillait, elle parlait peu; la plus grande partie du temps elle restait immobile dans la pénombre, les bras reposant sur son drap, les yeux perdus dans le vague.

Cécile lui demanda si elle avait déjà subi des examens plus approfondis que ceux du docteur Vallotton. Elle répondit que non : elle avait grande confiance dans son médecin et ne voulait pas en voir d'autre.

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« Lui-même aurait pu vous conseiller de voir un neurologue.

— Il l'a fait, mais je m'y suis opposée, et il a compris. J'ai horreur des hôpitaux; si je dois guérir, je guérirai aussi bien dans mon lit.

— Mais dans les hôpitaux on dispose d'un matériel pour faire des analyses et pour soigner que l'on n'a pas chez soi. Rien ne vous empêcherait de revenir ensuite à Ligeac.

— Ne me parlez pas de cela, Cécile, je vous en prie, vous ne feriez qu'aggraver mon cas. Je n'irai jamais dans un hôpital. »

Cécile n'insista pas. Son rôle était d'appliquer le traitement du médecin et non de le critiquer. Elle se promit seulement d'interroger plus longuement Vallotton lorsqu'elle se trouverait seule avec lui.

Non seulement Mme Tyssen n'était pas exigeante, mais elle se montrait amicale avec son infirmière. Dès le lendemain de l'arrivée de Cécile, elle lui dit :

« Ne vous croyez pas obligée de rester constamment près de moi, ma pauvre petite. Je suis comme un bébé, voyez-vous, on me nourrit, on fait ma toilette... Le reste du temps je n'ai besoin de rien. Vous, par contre, vous avez besoin de prendre un peu l'air. Allez vous promener dans le parc, il n'est pas grand, mais nous avons aménagé de jolis coins. »

Elle ajouta en souriant :« Et puis vous me donnerez des nouvelles de mes

fleurs, je les aime tant. »Cécile, en effet, avait grande envie de voir de

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plus près ces plates-bandes dont elle admirait par la fenêtre les couleurs délicates. Le matin elle n'en avait pas eu le temps car, après la toilette et le petit déjeuner de Mme Tyssen, elle lui avait fait un léger massage comme l'avait conseillé le médecin.

Le résultat fut décevant. Quoique les muscles fussent détendus et flasques, au bout de quelques minutes la malade se plaignit que la mobilisation, même passive, lui était pénible.

« Ça ne me fait pas mal, puisque je ne sens rien, mais je ne sais comment m'expliquer, ça me fatigue.

— Dans ce cas, nous allons arrêter, nous en parlerons au médecin puisqu'il ne va pas tarder à venir.»

En l'attendant, Cécile mit de l'ordre dans la chambre. Elle posa les médicaments sur la tablette de la salle de bain et chercha un endroit pour ranger l'alcool et le coton hydrophile. Elle aperçut alors une sorte de petit meuble à tiroirs, laqué de blanc, qui lui parut parfaitement convenir. Elle avançait la main vers un des tiroirs quand Mme Tyssen, qui l'apercevait par la porte entrouverte, l'arrêta.

« Pas là, Cécile, pas là! Ce petit meuble est plein à craquer. Ce sont... des souvenirs, vous comprenez... »

Cécile s'excusa, saisissant la réaction de la malade. Sans doute s'agissait-il d'objets ayant appartenu à son mari, et auxquels elle ne voulait pas qu'on touche.

A ce moment, les freins de la voiture du docteurVallotton grincèrent devant le perron. Le médecin

était ponctuel : onze heures juste, comme la veille. En

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apprenant que le massage n'avait pas eu d'effet heureux, il ordonna de l'interrompre.

« II ne faut pas forcer la nature, dit-il à Cécile. Ne nous inquiétons pas : du moment que l'état général reste bon, c'est l'essentiel. »

De ce côté-là, tout était normal. Mme Tyssen prit son repas avec plaisir; il fallait seulement couper les aliments en petits morceaux et les lui présenter un à un. Une seule fois elle soupira :

« Si vous saviez, Cécile, combien cette situation est humiliante... »

Mais presque aussitôt elle sourit à la jeune infirmière. Son repas terminé elle dit à la jeune fille :

« Maintenant je vais dormir, à votre tour d'aller déjeuner. Ensuite vous ferez un tour dans le parc. Si vous vous intéressez aux fleurs, posez à Marcel toutes les questions que vous voudrez : il adore ça. »

Elle referma les yeux et parut s'assoupir. Cécile rejoignit Pauline à la cuisine.

« Alors? demanda celle-ci. Pas de changement?— Aucun. Ce doit être dur, la pauvre femme!— Tiens, remarqua Pauline, il y a plusieurs jours

que nous n'avons pas vu M. Noël. Peut-être viendra-t-il aujourd'hui. En général, il passe vers la fin de l'après-midi, quand il a fini son travail.

— M. Noël, c'est le neveu de M. Tyssen?— Oui, le fils de sa sœur. M. Tyssen n'a pas

d'enfants. Je crois bien qu'il n'a jamais eu le temps de se marier quand il était jeune! Il passait sa

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vie à voyager dans tous les pays du monde. Quand il est rentré en France — c'est à ce moment-là que je suis entrée à son service — il s'est attaché à son neveu comme si c'était son fils. Le garçon n'avait plus ses parents...

— M. Tyssen n'était pas marié alors?— Il s'est marié peu de temps après. Il a rencontré sa

femme en Belgique, où il paraît qu'elle faisait du théâtre. Mais ils n'étaient plus assez jeunes ni l'un ni l'autre pour fonder une vraie famille, avec des gosses. Noël leur suffisait.

— L'oncle et le neveu s'entendaient très bien?— S'entendre, ce n'est pas le mot qui convient. Ils se

disputaient souvent. Monsieur était très bon, mais terriblement autoritaire. M. Noël a son caractère aussi, il n'aime pas se laisser mener par le bout du nez. Ils ont eu quelquefois de ces scènes... Mais au fond ils s'aimaient beaucoup. La preuve, c'est que monsieur avait fait un testament...

— En faveur de son neveu? Sa femme n'est donc pas son héritière?

— Si, bien sûr, en partie. Elle aura de quoi vivre, ne vous inquiétez pas. D'abord monsieur lui a laissé Ligeac; la propriété a de la valeur, beaucoup de valeur, il paraît. Et puis aussi de l'argent. Seulement, voilà, il faut vous dire... »

Pauline baissa la voix.« Monsieur avait une collection de diamants, qu'il

avait rapportés du Brésil...— Du Brésil! Il est donc allé là-bas?Monsieur avait une collection de diamants. –

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— Entre autres, puisqu'il a fait le tour du monde. Il a vécu au Brésil un certain nombre d'années. On dit que c'est là qu'il a fait fortune. Bref, comme je vous racontais, tous ces diamants il voulait les laisser à M. Noël.

— Mme Tyssen était-elle au courant?— Pour ça, je crois que oui. Ils en parlaient

quelquefois tous les trois. Monsieur disait à M. Noël : « Après moi, tu les vendras si tu veux; « tu pourras acheter le domaine de tes rêves. » II faut vous dire que M. Noël, c'a toujours été son dada, avoir des terres, les cultiver, vivre à la campagne. Monsieur aurait préféré qu'il fasse des affaires, comme lui. Ils se sont querellés bien des fois à ce sujet.

— Que fait-il actuellement, ce M. Noël?— Il est régisseur d'un domaine, pas très loin d'ici.

Evidemment il préférerait avoir des terres à lui.— Pourquoi son oncle qui était si riche ne l'a-t-il pas

aidé à en acheter?— Parce qu'il espérait toujours que son neveu

changerait d'avis, qu'il se mettrait dans les affaires. Et puis, vendre les diamants de son vivant... Que voulez-vous, il les aimait, ces pierres. Il les gardait ici même, dans le coffre-fort qui est dans son bureau. Vous savez, la porte qui est dans votre chambre? Il passait toujours par là, d'ailleurs; le bureau a bien une autre porte qui donne sur le couloir, mais il y a longtemps que la clef est perdue.

— Ce bureau, c'était la pièce où il travaillait?— Il ne travaillait plus : il n'y entrait guère

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que pour regarder et admirer ses pierres. Quelquefois il les montrait à sa femme, à son neveu et même à moi un jour! Oui, peu de temps avant sa mort, il a ouvert son coffre devant moi. Il m'a dit : « Je vais vous montrer quelque chose que « vous n'avez jamais vu, Pauline! » Et il a sorti un gros diamant. De cette taille-là, je n'imaginais pas que ça existait. Et il y en avait au moins une vingtaine.

— Où sont-elles maintenant, ces pierres?— Mais toujours dans le coffre, bien sûr!— A côté de ma chambre, vous voulez dire?— Parfaitement! Oh! n'ayez pas peur, ils n'y

resteront pas bien longtemps. Le coffre sera ouvert devant témoins, par le notaire à qui monsieur avait confié la combinaison et une clef du coffre. L'autre clef, monsieur l'avait toujours sur lui; après sa mort on l'a trouvée dans la poche de son gilet et on l'a remise aussi au notaire.

— Cette ouverture doit avoir lieu bientôt?— Dans quelques jours. »Cécile éprouva une impression de soulagement. Il ne

lui était pas agréable de dormir aussi près d'une fortune qui pouvait attirer des voleurs.

Elle se rendit dans le parc par la porte de la cuisine. Les massifs étaient merveilleux. Il y avait beaucoup de rosés, des blanches, des jaunes, des rosés, des rouges. De grands pavots et des dahlias, aux teintes harmonieuses, témoignaient du goût de celui qui les avait choisis. Le long de la maison, sous les fenêtres des chambres, poussaient des arbrisseaux touffus, étoiles de fleurs couleur de feu.

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Cécile, qui n'avait jamais vu de pareilles fleurs, les regardait avec admiration lorsqu'elle entendit une voix derrière elle.

« Ça vous plaît, mademoiselle? »Elle se retourna et reconnut l'homme qui l'avait

amenée de la gare à Ligeac. Ils échangèrent un sourire amical.

« Tout cela est magnifique! déclara la jeune fille. Mais dites-moi, ces massifs flamboyants, contre le mur, qu'est-ce que c'est? »

Marcel hésita.« Moi j'appelle ça du buisson ardent. Mais on leur

donne aussi un nom plus savant; je vous le trouverai, si vous voulez.

— Surtout pas! « Buisson ardent » c'est si joli! Je trouve toujours dommage de donner des noms prétentieux à d'aussi beaux arbustes.

— Tiens! vous dites comme moi », déclara Marcel.Tandis qu'ils parlaient, une petite fille apparut au

tournant de l'allée. Elle pouvait avoir cinq à six ans. Son visage était doux, un peu timide.

« C'est Monique, mon aînée, dit le jardinier. Que me veux-tu, mon petit?

— Maman demande s'il faut rentrer les caisses qui sont devant le pavillon.

— Non, non, je m'en occuperai tout à l'heure. » L'enfant s'éloigna. Marcel poussa un soupir.

« Elle est gentille, dit-il, et pourtant elle nous donne bien du souci. Dans sa toute petite enfance elle a été très malade et depuis elle n'est pas tout à fait comme les autres enfants. On la dirait

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toujours dans les nuages. Nous l'avons inscrite à l'école maternelle, mais le docteur Vallotton m'a déconseillé de l'y envoyer tous les jours. Ma fille est loin d'être sotte, seulement elle vit dans son petit monde de personnages imaginaires.

— Ça s'arrangera, déclara Cécile, ne vous inquiétez pas.

— C'est ce que dit le docteur. A propos de santé, madame est toujours dans le même état?

— Toujours. Le docteur Vallotton a bon espoir.— Il est bien ce docteur, n'est-ce pas? Vous qui

êtes infirmière, vous pensez qu'il s'y connaît?— Je crois », répondit-elle évasivement.Elle ne pouvait pas dire au jardinier ce qu'elle

pensait : le docteur Vallotton lui semblait consciencieux, dévoué, mais manquant un peu de décision. S'il avait envoyé sa malade dans un service de neurologie...

« Est-ce que je pourrai revoir votre petite Monique? demanda-t-elle.

— Bien sûr! Venez au pavillon quand vous voudrez; ma femme en sera très heureuse. »

II reprit son travail et Cécile continua sa promenade. Le parc n'était pas grand, mais très bien dessiné et planté avec art. En se rapprochant de la maison, la jeune fille reconnut au-dessus du buisson ardent la fenêtre de Mme Tyssen, puis la sienne. Une troisième — celle du bureau, sans doute — était fermée de lourds volets de fer. De ce côté-là, en tout cas, les diamants étaient bien protégés contre les malfaiteurs!

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En rentrant, elle trouva Mme Tyssen toujoursendormie. Elle traversa la chambre sur la pointe des

pieds et pénétra dans la sienne, où elle commença une lettre à ses parents. Elle avait quitté Paris si vite qu'elle n'avait pas même eu le temps de leur annoncer son départ et la maladie de tante Simone.

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IV

LE BRUIT d'une voiture interrompit la correspondance de Cécile; elle se leva et s'approcha instinctivement de la fenêtre. Mais celle-ci donnait sur le côté de la maison, et même en se penchant au-dessus des buissons ardents que Marcel soignait avec tant d'amour, il était impossible de voir l'allée qui menait de la grille à la grande porte du vestibule.

Jetant un coup d'œil à la malade, elle s'aperçut que celle-ci avait les yeux grands ouverts. Elle s'avança vers le lit.

« C'est cette voiture qui vous a éveillée, je pense. Mais vous dormiez déjà depuis longtemps.

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— C'est vrai... murmura Mme Tyssen.— Vous attendez une visite? Le docteur Vallotton

ne revient jamais l'après-midi. »La malade soupira :« C'est mon neveu, certainement. Ou plus

exactement le neveu de mon mari, le fils d'une sœur qu'il a perdue.

— Oui, Pauline m'a dit que M. Tyssen l'aimait beaucoup.

— Beaucoup! répéta Mme Tyssen. Pauline vous a sûrement dit aussi que mon mari avait fait à Noël un legs important, une vraie fortune. Les gens simples comme elle sont toujours très impressionnés par ce genre de dons. Mon mari a eu raison, d'ailleurs, le garçon est sérieux, énergique, cet argent lui permettra de démarrer dans la vie. »

Cécile éprouva une vive sympathie pour sa malade. Mme Tyssen était une femme généreuse. Elle trouvait naturel que son mari eût pensé à assurer l'avenir de son neveu. Peut-être d'ailleurs avait-elle un sentiment maternel pour le jeune homme.

On entendit un bruit de voix dans le vestibule. Mme Tyssen sourit :

« II bavarde avec Pauline. Ils sont grands amis, tous les deux. »

Un pas décidé approchait.« Ne parlez pas trop, recommanda la jeune

infirmière. Il ne faut pas vous fatiguer avant la nuit.— Oh, il ne reste jamais longtemps, il passe juste

pour prendre de mes nouvelles.

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— Vous ne voulez pas que j'allume? Il commence à faire très sombre dans la chambre.

— Non, non, je me repose mieux dans la pénombre. »

On frappa doucement et Noël entra dans la chambre. C'était un garçon de taille moyenne, brun, l'allure souple et sportive, le visage souriant. Il s'approcha du lit. Cécile pensa qu'il allait embrasser sa tante, mais ils se contentèrent d'échanger un sourire, lequel lui sembla un peu contraint.

« Comment vous sentez-vous, ce soir? demanda le jeune homme.

— Comme tu vois : toujours la même chose. Il me faut beaucoup de patience.

— Vous n'avez pas besoin de livres? J'espère que votre nouvelle infirmière vous fait la lecture, comme le faisait Mlle Simone.

— Oh! Cécile, elle aussi, me soigne très bien. Mais je me fatigue vite.

— Et Mlle Simone? avez-vous de ses nouvelles?— Le docteur Vallotton m'en donnera quand il va

venir. »Ils restèrent un moment silencieux. Cécile, pensant

que sa présence pouvait les gêner, allait se retirer dans sa chambre lorsque Mme Tyssen la rappela.

« Ne partez pas, Cécile. Vous reconduirez mon neveu avant de m'apporter mon dîner.

— Je vous laisse, ma tante, dit aussitôt Noël. Puis-je faire quelque chose pour vous?

— Absolument rien. Tu as enfin pris rendez-vous avec le notaire pour l'ouverture du coffre?

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— Oui, il viendra après-demain. Ça a été un peu long, mais avec ces hommes de loi il y a toujours des complications, des formalités administratives qui empoisonnent la vie.

— Après-demain sera vite arrivé, dit Mme Tyssen.— L'ennui, reprit Noël, c'est d'être obligé de vous

déranger à cette occasion, nous allons devoir passer par votre chambre et troubler votre repos; à moins que je ne fasse venir un serrurier pour ouvrir la porte de communication entre le bureau et le corridor.

— Tu n'y penses pas! s'exclama la malade. Vous ne me gênerez nullement en traversant la chambre. Je ne veux pas qu'on touche à la maison. Si jamais je guéris...

— Dites plutôt quand je guérirai, madame! »

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intervint Cécile.Mme Tyssen soupira. Noël s'approcha d'elle et lui

tapota doucement l'épaule, puis s'éloigna.« Accompagnez-le, Cécile », dit la malade.Ils longèrent ensemble le corridor et arrivèrent dans

le vestibule.« Comment la trouvez-vous, franchement? »

demanda le jeune homme.Cécile hésita.« Je ne sais que vous dire, répondit-elle. Vous avez

sans doute interrogé le docteur Vallotton?— On ne peut rien tirer de lui. Vous avez déjà vu

des cas semblables?— Tout à fait semblables, non. Mais les

troubles neurologiques présentent tant de formes... Quand je faisais mon stage dans ce service, il y avait des maladies auxquelles les grands patrons eux-mêmes avouaient ne rien comprendre.

— Je sais, les grands patrons ne sont pas des surhommes. Mais tout de même, si ma tante en voyait un! Depuis qu'elle est dans cet état, elle n'a été soignée que par ce Vallotton. Entre nous, que pensez-vous de lui? »

Cécile hésita à répondre.« II est âgé, évidemment. Il n'est peut-être pas très au

courant des méthodes modernes...— Oui, il va jusqu'aux vitamines, mais pas au-

delà!»Cécile ne put s'empêcher de rire.« Je ne devrais peut-être pas vous dire cela à vous,

qui soignez ma tante à domicile. Mais ne pensez-vous pas qu'elle serait mieux à l'hôpital?

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— Je le pense si bien que j'en ai parlé au docteur Vallotton.

— Et que vous a-t-il répondu?— Qu'elle s'y opposait formellement, et qu'on ne

pouvait pas l'y emmener de force. Elle me l'a d'ailleurs confirmé.

— C'est vrai : elle a une peur terrible des hôpitaux. On trouve encore quelquefois cette crainte chez des vieillards. Mais à son âge! »

Noël réfléchit un instant.« Mlle Simone pensait comme nous. Vous ne

connaissez pas Mlle Simone? Non, c'est vrai que vous n'êtes pas de la même génération.

— Mlle Simone est ma tante. C'est une des raisons pour lesquelles la directrice de l'école a pensé à moi pour la remplacer.

•— Alors sa maladie a dû vous surprendre, vous aussi?

— Plus que je ne pourrais le dire. Vous étiez ici quand cela a commencé?

— Oui, elle a changé du jour au lendemain. Pauline a dû vous dire la même chose. Je ne connaissais pas bien Mlle Simone puisqu'elle n'était pas ici depuis longtemps, mais elle donnait l'impression d'une personne équilibrée.

— Elle l'a toujours été, dit Cécile. Son seul défaut, si elle en avait un, était d'être trop scrupuleuse, trop dévouée. Vous voyez ce que je veux dire; dans un souci de perfection, elle allait parfois au-delà de ses limites physiques. Mais je ne pense pas qu'auprès de Mme Tyssen elle ait eu à se surmener.

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— On l'a conduite aux Glycines, m'a-t-on dit. L'établissement a très bonne réputation.

— Oui; ce n'est pas loin d'ici, n'est-ce pas? J'irai la voir dès que cela me sera possible.

— Je vous y conduirais volontiers, mais je ne suis presque jamais libre avant le soir.

— Vous vous occupez d'un domaine dans la région, je crois?

— Ah, je vois que vous êtes au courant... Oui, pour le moment, je suis régisseur d'une propriété importante, à quelques kilomètres d'ici. C'est très intéressant, malheureusement je ne peux pas toujours faire ce que je voudrais. D'ici peu, grâce à la générosité de mon oncle, j'aurai enfin des terres à moi. Il y a un domaine, non loin de Ligeac, qui se trouve justement à vendre. J'ai déjà prévenu le notaire que je me portais acquéreur.

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— Vous aimez beaucoup l'agriculture?— Pour moi, c'est le seul métier vraiment

passionnant. Vivre au rythme des saisons, creuser des sillons, semer, voir la récolte pousser de jour en jour, n'est-ce pas la vraie vie?

— Je vous comprends. Mais on m'a dit aussi que votre oncle ne partageait pas vos vues.

— Il aurait voulu me voir dans les affaires, comme lui. Mais rien qu'à la pensée d'avoir sous mes pieds du pavé et non de la terre... C'a été souvent un sujet de discorde entre nous... Mon pauvre oncle! ajouta-t-il avec un soupir.

— Vous l'aimiez beaucoup? demanda Cécile.— Beaucoup. Et il me le rendait! Depuis la mort de

mes parents, il s'est toujours occupé de moi. J'ai vécu avec lui jusqu'au moment de son mariage. Je crois que sa femme était un peu jalouse de l'affection qu'il me portait.

— Cependant — excusez-moi si je parle de choses qui ne me regardent pas — votre tante m'a dit elle-même qu'elle approuvait entièrement les dispositions du testament de son mari.

— C'est vrai », reconnut le jeune homme.Il ouvrit la porte. Les rosés embaumaient; des oiseaux,

profitant des dernières lueurs du jour, gazouillaient dans les arbres. Noël embrassa du geste le jardin que l'ombre envahissait peu à peu.

« Et penser, s'exclama-t-il, qu'il y a des gens qui vivent dans les villes! Y a-t-il là-bas un seul spectacle qui vaille celui-ci?

— Je suis de votre avis, dit Cécile. Moi aussi, j'adore la campagne. Si c'est possible, je voudrais plus tard devenir infirmière visiteuse dans un

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village, aller soigner les malades chez eux avec une petite 2 CV ou même une moto...

— Est-ce que ce n'est pas un travail très dur? ^ — Oh! je suis solide... L'important, dans la vie,

c'est de faire un travail qu'on aime, n'est-ce pas? » Ils se serrèrent la main. La porte se referma, on entendit la voiture qui démarrait.

Cécile retourna près de sa malade et la souleva sur ses oreillers pour lui donner son dîner. L'appétit restait satisfaisant pour une malade immobilisée depuis près de quinze Jours. Malgré tout, les joues se creusaient un peu, les yeux, par moments, brillaient d'un éclat maladif.

« Eh bien, demanda-t-elle, comment trouvez-vous mon neveu?

— Très sympathique », répondit sincèrement la jeune fille.

Mme Tyssen n'insista pas. Quand elle eut achevé son repas, elle ferma les yeux.

« Allez vous détendre, maintenant, dit-elle. Vous pouvez regarder la télévision au salon, si vous voulez.

— Par une si belle soirée, déclara la jeune infirmière, je préfère aller faire une petite promenade. »

Malgré les conseils de Pauline, qui redoutait l'humidité du soir, elle sortit de la maison et fit quelques pas dans le jardin. Comme elle passait devant le pavillon, elle aperçut une silhouette humaine en train de fermer la grille. Un chien se mit à grogner,

« Ici, Filou! dit la voix de Marcel. C'est vous, mademoiselle Cécile, n'est-ce pas? Si vous sortez

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le soir, il vaut mieux que je vous présente à notre gardien! »

Cécile s'approcha et caressa la tête du chien. A ce moment, la porte du pavillon s'ouvrit; la petite Monique s'élança vers son père.

« Je veux dire bonsoir à la gentille dame! déclara-t-elle avec autorité.

— Tu n'es pas encore couchée, toi! dit Marcel. Ah, c'est que vous avez fait une conquête, mademoiselle. Depuis qu'elle vous connaît, elle ne parle que de vous!

— C'est peut-être la coiffe, dit Cécile. En général, cela plaît beaucoup aux enfants. »

Le père secoua la tête.« Non, ce n'est pas seulement cela. Monique a des

sentiments très arrêtés. Elle adore ou elle déteste les gens. Vous appartenez à la première catégorie!

— Eh bien, viens m'embrasser, Monique », dit la jeune fille.

A ce moment la femme de Marcel, portant dans ses bras un bébé endormi, parut sur le seuil.

« C'est Mlle Cécile? demanda-t-elle. Entrez, je vous en prie. Mon mari m'a dit que vous aimiez les fleurs, comme lui. Quant à Monique, regardez plutôt. »

La petite fille était entrée en courant dans le pavillon et revenait avec une poupée de plastique qu'elle mit dans les bras de l'infirmière.

« C'est Barbara, annonça-t-elle. Elle va dormir avec toi. Mais tu me la rendras demain, parce que c'est ma fille.

— Excusez-la, dit Marcel. Confier Barbara à

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quelqu'un, c'est la plus grande preuve d'affection qu'elle puisse donner. Laisse Mlle Cécile tranquille, Monique.

— Mais je suis très contente d'emmener Barbara! dit Cécile. Je te la rendrai demain, c'est promis.

— Entrez un instant, mademoiselle, insista la mère.— Je ne peux pas, il faut que j'aille donner son tilleul

à Mme Tyssen; ensuite j'irai me coucher.— Tu vas te coucher? demanda Monique.— Mais oui — toi aussi, j'espère! »Cécile embrassa l'enfant, complimenta les parents sur

leur petite famille et remonta vers la maison, serrant Barbara contre sa poitrine.

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V

LORSQUE Cécile entra dans la chambre de la malade portant Barbara sur le bras, Mme Tyssen s'exclama :

« Qu'est-ce que cette vieille poupée? Où avez-vous trouvé ça, Cécile?

— C'est la petite Monique, la fille de Marcel, qui me l'a donnée. Prêtée, plutôt, pour la nuit!

— Ma pauvre amie, si vous commencez à vous laisser accaparer par ces gamins...

— Vous n'aimez pas les enfants, madame? » Le visage de Mme Tyssen s'attrista.

« Oh, si! Je n'en ai pas malheureusement, comme vous savez.

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— Peut-être un jour vos petits-neveux...— Peut-être », soupira la malade.Comme Cécile s'apprêtait à préparer le tilleul du soir,

Mme Tyssen lui proposa d'en prendre une tasse avec elle, mais Cécile refusa :

« J'aurais plutôt tendance à trop dormir; ce n'est pas souhaitable pour une infirmière!

— Votre tante en prenait toujours... A propos de votre tante, j'y pense, Cécile, pourquoi n'iriez-vous pas la voir demain? Dans l'après-midi je n'ai pas besoin de vous. En partant de bonne heure, vous seriez de retour pour me donner mes médicaments du soir. »

Cette proposition spontanée émut profondément la jeune fille.

« Demain... Il faudra que je demande au docteur Vallotton si c'est raisonnable... Naturellement je serais très heureuse de voir ma tante, je parlerais à ses infirmières, et je jugerais ainsi par moi-même de son état...

— Alors c'est entendu, vous irez demain.— Vous êtes si bonne, madame! Mais il faut d'abord

que je me renseigne pour savoir si je puis faire l'aller et retour aussi vite. Je sais qu'il y a un car de Ligeac pour Nevers au début de l'après-midi, un autre qui revient à six heures, mais de Nevers aux Glycines... »

Mme Tyssen l'interrompit.« Vous n'êtes pas obligée de passer par Nevers.— Comment cela?— Il n'est pas question que vous preniez le car,

Cécile. Marcel vous conduira avec la voiture et vous attendra à la clinique.

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— Oh, madame! » dit Cécile ravie.Quand la jeune fille se rendit à la cuisine pour faire

l'infusion, elle annonça la nouvelle à Pauline.« C'est déjà très gentil de me donner mon après-midi,

mais me faire conduire aux Glycines!— J'en suis bien contente pour vous, dit la cuisinière

en se détournant vers son four.— Vous paraissez surprise, Pauline. Est-ce que

Mme Tyssen n'est pas toujours très généreuse?— Moi, c'est pour monsieur que je restais. Je l'ai

toujours préféré à madame.— Vous m'avez dit que M. Tyssen était autoritaire.— Oui, mais... Enfin, moi, ces dames de théâtre, je

n'aime pas ça. »Cécile sourit des préjugés de la brave femme. Il

existe encore des gens qui se méfient du théâtre, comme il y en a qui se méfient des hôpitaux.

Le lendemain matin, le docteur Vallotton fit sa visite accoutumée. Toujours le même rituel : auscultation, tentative inutile de mobilisation des membres. En le reconduisant Cécile demanda encore :

« Vous ne croyez pas, docteur, qu'un examen neurologique complet... »

Cette fois il répondit :« Cela ne peut se faire qu'à l'hôpital. Vous voyez

bien qu'elle ne veut pas y aller — que puis-je faire? D'ailleurs, à vrai dire, les hôpitaux... Je les ai bien connus, moi, quand j'étais externe... »

Cécile réprima l'envie de lui dire que depuis

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son temps les hôpitaux s'étaient transformés. Elle préféra changer de sujet.

« Vous ne verriez pas d'inconvénient, docteur, à ce que j'abandonne Mme Tyssen pendant quelques heures pour rendre visite à ma tante aux Glycines?

— Vous rentreriez à temps pour le dîner?— Bien entendu.— En ce cas, allez-y. Si votre tante se souvient de

nous, faites-lui mes amitiés. »Si elle se souvient de nous... Le docteur Vallotton

craignait donc que l'état de Mlle Simone n'eût empiré? se demandait Cécile en roulant auprès de Marcel. Elle avait demandé au jardinier si elle pouvait s'asseoir à côté de lui, et cette initiative avait paru lui faire plaisir.

« Je n'ai pas eu le temps de rapporter Barbara

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ce matin, lui dit-elle. Je le ferai ce soir si je le peux, en tout cas demain matin. Vous direz à Monique que sa fille a très bien dormi, qu'elle a été très sage et n'a pas pleuré du tout. »

Marcel se mit à rire.« Si vous donnez dans toutes ses imaginations, rien

d'étonnant qu'elle vous adore! »La route sinueuse serpentait dans des vallons creux,

au milieu de prés entrecoupés de bosquets encore très verts.

« Quel est le nom de ces beaux arbres? demanda Cécile.

— Des frênes. Vous vous intéressez aussi aux arbres?

— Je n'y connais pas grand-chose, comme vous pouvez le constater, mais j'adore la campagne », répondit-elle.

Ils traversèrent plusieurs villages. Au détour d'un virage ils aperçurent sur la gauche un grand bâtiment blanc.

« C'est là, annonça Marcel.— Je croyais la route beaucoup plus longue, dit

Cécile.— Avec les cars, oui. Mais en prenant les

raccourcis, quand on connaît bien la région... »II s'arrêta devant l'entrée de la clinique.« Prenez votre temps, dit-il. Je laisse la voiture au

parking et je vous attends dans le jardin. J'aperçois là-bas des asters qui m'intéressent. Quand vous voudrez partir, actionnez le klaxon, je ne serai pas loin. »

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En entrant dans le hall blanc et nu de la clinique, Cécile était très émue. Ne sachant pas si on l'autoriserait à voir sa tante, elle demanda d'abord à parler à la surveillante. Cette dernière, une grande femme d'aspect un peu sévère, s'adoucit en apprenant que la visiteuse était infirmière.

« Vous voulez voir Mlle Simone? demanda-t-elle.— Je suis sa nièce, expliqua la jeune fille.

Actuellement, je ,la remplace auprès de sa malade. Dites-moi tout de suite, je vous en prie : est-ce grave? que pensent les médecins?

— Vous savez comme moi que dans les cas de ce genre il est impossible de faire un diagnostic immédiat. Le médecin qui nous l'a envoyée a seulement dit que son état nerveux rendait précaire l'exercice de ses fonctions. J'ai essayé de parler avec elle, mais elle ne veut rien dire à personne.

— Est-elle agitée?— Agitée? oh, non! plutôt dépressive. Je l'ai

surprise tenant sa tête à deux mains et murmurant : « Ce n'est pas possible, non, ce n'est pas « possible! » A part cela, elle se comporte tout à fait normalement.

— Me sera-t-il possible de la voir?— Certainement : il est même probable que votre

visite lui fera du bien. Je vais vous conduire jusqu'à sa chambre. »

Cécile eut un serrement de cœur en apercevant, tassée dans un fauteuil, les yeux perdus dans le vague, celle qu'elle avait vue si peu de temps auparavant vive et alerte. Au bruit de la porte, Mlle Simone leva la tête et

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reconnut Cécile. La surveillante s'éclipsa discrètement.

« Cécile! ma petite fille! »Elle fit un effort pour se lever, mais la jeune

infirmière était déjà auprès d'elle et la serrait dans ses bras.

« Tante Simone! je suis si heureuse de te voir! »Mlle Simone sourit; ses yeux s'éclairèrent un instant,

puis reprirent une expression angoissée.« Que se passe-t-il, tante Simone? Il paraît que tu as

demandé à venir te reposer? Que t'est-il arrivé?— Cécile... tu me comprendras, j'en suis sûre. Je

crains de ne pouvoir reprendre mon métier. Et mon métier, c'est toute ma vie!

— Mais, tante, pourquoi? » Mlle Simone soupira :« Je sais bien que je ne suis plus jeune... Pour-

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tant je pouvais avoir encore quelques années devant moi. Même une fois à la retraite, j'aurais fait des gardes...

— Mais rien n'est changé! Tu es toujours la même. Tu te portes bien...

— Physiquement, oui. Mais j'ai eu des troubles qui ne sont pas compatibles avec le métier d'infirmière.

— Lesquels? Tu peux bien me le dire, à moi : ne suis-je pas un peu comme ta fille? »

Mlle Simone baissa la voix : « Cécile, je... je vois des fantômes! » La jeune fille ne put s'empêcher de sourire. « Voyons, tante Simone, tu ne crois pas aux fantômes?

— Bien sûr que non! Et c'est justement ce qui m'inquiète.

— Comment cela? fit Cécile surprise.— Réfléchis : si j'en vois, il ne peut s'agir que

d'hallucinations. Il se passe là-dedans — elle toucha son front du bout des doigts — quelque chose que je ne comprends pas. Jusqu'ici on ne m'a rien découvert de précis, on m'a laissée d'abord quelques jours au calme. Demain on doit me faire un encéphalogramme, ensuite on verra. »

Elle semblait bouleversée.« Tu comprends bien, Cécile, qu'avec des troubles

pareils je ne peux pas rester au chevet d'une malade. La première qualité d'une infirmière, c'est le bon sens. Or je ne suis plus très sûre de l'avoir encore. »

Cécile lui prit la main.« Raconte-moi tout cela, tante Simone. Comment

est-ce arrivé? Où les as-tu vus, ces fantômes?

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— Chez Mme Tyssen, dans ma chambre, pendant la nuit. Je me suis éveillée, comme cela m'arrive souvent. C'est alors que j'ai vu... Après, quand je me suis enfin rendormie, j'ai eu un sommeil très agité et le matin en me réveillant j'avais mal à la tête, comme un cercle de fer autour du crâne.

— Cela s'est produit plusieurs fois?— Trois fois.— A quoi ressemblait-il, ce fantôme?— A ce qu'on voit dans les livres de contes : une

figure blanche, sans forme bien déterminée.— Et d'où venait-il? que faisait-il?— La première fois, il a surgi par la porte du bureau

— comme s'il était passé au travers. Or tu sais que cette porte est actuellement condamnée. Il s'est avancé ensuite dans la chambre, est passé devant mon lit et a disparu dans la chambre de Mme Tyssen.

— Tu es sûre qu'il ne s'agissait pas d'une personne réelle? »

Cécile pensait aux diamants enfermés dans le coffre et à la visite possible d'un cambrioleur. Mais Mlle Simone secoua la tête.

« Les êtres humains ne traversent pas les portes. Et puis il serait impossible de passer chez Mme Tyssen sans qu'elle s'en aperçoive. Comme elle dort beaucoup dans la journée, elle a le sommeil très léger pendant la nuit.

— Tu lui as parlé à elle de tout cela?— Oui, mais je n'ai pas mentionné le fantôme, elle

se serait moquée de moi. J'ai dit seulement que j'avais eu un cauchemar.

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— C'est probablement ce qui s'est passé, tante Simone. Tu as rêvé cette apparition. Un cauchemar laisse toujours une impression pénible, mais de là à parler d'hallucination!

— Je t'assure que j'étais éveillée. J'ai même fait un geste pour m'en assurer; j'ai remonté ma montre que je garde toujours à mon poignet. Et d'ailleurs le phénomène s'est reproduit!

— Dans les mêmes conditions?— Non : les autres fois je n'ai pas vu entrer le

fantôme; quand je m'éveillais il flottait dans ma chambre, il apparaissait et disparaissait. Je sais très bien, Cécile, que ces visions sont des projections de mon esprit et c'est ce qui m'angoisse.

« Du reste le docteur Vallotton s'est aperçu de

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mon état. Il voyait bien que je n'étais pas normale. Je lui ai dit que j'éprouvais des troubles bizarres et que dans ces conditions je ne pouvais' pas rester auprès d'une malade, j'avais plutôt besoin d'être soignée moi-même. C'est alors qu'il m'a envoyée ici. Je regrettais de quitter Mme Tyssen qui est si agréable...

— Ici tu n'as pas eu de nouvelles hallucinations?— Non, peut-être parce qu'on me donne des

calmants. Dis-moi, Cécile, est-ce que je te semble anormale? »

La jeune fille l'embrassa.« Pas anormale du tout, ma petite tante. Tu es

parfaitement lucide, un peu déprimée, voilà tout. Laisse-toi soigner, tu verras que les examens te rassureront. Tu n'as besoin que de repos.

— Tu reviendras me voir?— C'est promis! »De retour à la villa, Cécile reconnut la voiture de

Noël, arrêtée devant l'entrée. Le jeune homme bavardait avec Pauline sur le seuil de la cuisine. Il s'avança au-devant d'elle.

« J'étais venu, dit-il, parler à ma tante de l'ouverture du coffre. Mais je serais heureux aussi de prendre des nouvelles de Mlle Simone puisque vous venez de la voir.

— J'ai trouvé ma tante beaucoup mieux que je ne pensais.

— J'en suis heureux, elle est si gentille. » Puis ils échangèrent quelques propos vagues

sur la beauté de la campagne, la douceur de la saison. Mais sous ce dialogue apparemment sans

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grand intérêt, on sentait bien que les jeunes gens prenaient grand plaisir à prolonger leur entretien.

Mme Tyssen, elle aussi, demanda à Cécile des nouvelles de sa tante. Elle parut satisfaite d'apprendre que la maladie de Mlle Simone semblait moins grave qu'on ne l'avait craint. Si on pouvait en dire autant pour elle! pensa Cécile avec pitié.

Quand la jeune fille retourna dans la cuisine, Noël n'était pas encore parti. Lorsque enfin il regagna sa voiture, Pauline déclara :

« Depuis la mort de son oncle, jamais je ne l'avais vu venir tous les jours!

— C'est à cause de l'ouverture de ce coffre, dit Cécile.

— Peut-être », répondit Pauline.

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VI

LE LENDEMAIN MATIN, pendant que Cécile faisait la toilette de Mme Tyssen, celle-ci soupira : « Aujourd'hui on va enfin ouvrir ce coffre. J'en suis contente, car cette fortune considérable, qui ne m'appartient pas, n'a rien à faire dans la maison. D'autant plus que si je guéris, je ne resterai pas à Ligeac, ce serait trop pénible...

— Le notaire doit venir à onze heures, dit Cécile. Le docteur Vallotton a-t-il été prévenu? Il vous fera peut-être sa visite un peu plus tard.

— Il viendra à l'heure habituelle. L'ouverture du coffre doit être faite en présence de deux

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témoins. Pour cela, maître Pelletier, notre notaire, ne veut aucune personne appartenant à la maison : ni Pauline, ni Marcel, ni vous-même. Il amènera un de ses clercs, le docteur Vallotton complétera le nombre. »

Cécile appréhendait pour sa malade toutes ces allées et venues dans la maison. Le mouvement, l'émotion pouvaient éprouver les nerfs fragiles de Mme Tyssen. Cécile avait hâte de voir les formalités achevées.

Noël arriva le premier. Il frappa doucement à la porte de la chambre et s'avança sur le seuil. Le visage visiblement tendu.

« Je ne reste pas, tante, je ne voudrais pas vous fatiguer. Je vous dis seulement un petit bonjour. J'attendrai ces messieurs dans le vestibule.

— Tu parais très ému, Noël.— Un peu, je l'avoue. »Elle était émue, elle aussi. Regrettait-elle au fond que

son mari ne lui eût pas laissé les diamants? Elle acceptait sa décision certes, elle la trouvait juste. Mais elle pensait peut-être : « Si c'était moi! »

Quelques instants plus tard, on entendit le bruit d'une voiture : Cécile reconnut la vieille guimbarde du médecin. Il trouva Mme Tyssen un peu agitée et lui fit donner un calmant.

« Tous ces événements doivent forcément la troubler, dit-il à Cécile. Enfin dans un moment tout sera fini. »

Un bruit différent, plus régulier, annonça l'arrivée d'une voiture puissante. Il y eut des voix dans le vestibule, puis on frappa de nouveau à la porte.

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Noël entra suivi d'un homme bedonnant, dont les

lunettes cerclées d'un fil très mince faisaient ressortir les joues pleines et le nez bourgeonnant. « Maître Pelletier... murmura la malade.

— Mes hommages, madame, dit le notaire en s'inclinant aussi bas que le lui permettait son ventre. Depuis que nous nous sommes vus pour la dernière fois, hélas, de tristes événements se sont produits... »

Mme Tyssen eut un sourire douloureux.Ce rappel du passé la bouleversait. Heureusement le

calmant fera bientôt son effet, pensa la jeune infirmière.Le clerc qui suivait maître Pelletier disparaissait

presque entièrement derrière sa volumineuse personne. Le médecin, qui fermait la marche, les dominait de sa haute silhouette dégingandée.

« La porte qui donne accès au bureau est fermée, je crois? demanda le notaire.

— Oui, dit Mme Tyssen, mon mari la fermait toujours. Il laissait la clef dans un tiroir.

— Prudente disposition, vu le contenu du coffre! Cette clef, madame, vous l'avez en votre possession n'est-ce pas?

— Je sais où elle se trouve, c'est exact. » Elle désigna un secrétaire d'acajou placé entre

les deux fenêtres.« Mon mari la rangeait toujours à la même place,

dans le premier tiroir, en haut. »Le notaire ouvrit le tiroir et découvrit aussitôt ce qu'il

cherchait.« C'est bien celle-ci, madame? »

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La malade ne répondit que par un clignement des paupières.

« Vous ne vous en êtes pas servie depuis la disparition de M. Tyssen? »

Le médecin intervint :« Vous savez bien, maître, que depuis ce malheureux

jour Mme Tyssen est immobilisée dans son lit. »Le notaire bredouilla une excuse. Il se rappelait en

effet que la veuve n'avait pu assister aux obsèques du défunt. On avait assez parlé dans le pays de la fatalité qui s'acharnait sur la pauvre femme.

« Eh bien, allons, messieurs. » II s'exprimait avec la solennité qu'exigeaient sans doute pour lui des circonstances aussi particulières. Puis il traversa la pièce d'une démarche majestueuse, comme un grand prêtre se préparant à célébrer un rite mystérieux.

Pauline s'était glissée dans la chambre. Noël passa un bras autour de ses épaules.

« Venez aussi, Pauline. Si vous ne pouvez pas servir de témoin, c'est parce que vous faites partie de la famille.»

Cécile resta auprès de la malade, qui fermait les yeux. Toutes deux entendirent ouvrir la porte du bureau. Un silence suivit. Le notaire formait la combinaison du coffre. On entendit un déclic au moment où la clé tourna dans la serrure. Puis il y eut un nouveau silence et soudain un cri de Pauline.

« Mon Dieu! mon Dieu! »Mme Tyssen, surprise, ouvrit les yeux.

Il avança un bras dans le coffre. -»

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« Allez voir ce qui se passe », dit-elle à Cécile.La jeune infirmière traversa sa chambre et entra dans

le bureau. La pièce aux volets toujours fermés était éclairée par un lustre. Les assistants formaient un cercle autour de la lourde porte qui bâillait, découvrant trois rayons entièrement vides.

Le silence était impressionnant. Maître Pelletier le rompit et balbutia :

« Ce n'est pas possible... »II avança un bras dans le coffre et tâta le fond des

rayons.« Rien... absolument rien... » murmura-t-il comme

hébété.Il ôta ses lunettes, tira son mouchoir et épongea son

front où perlaient de grosses gouttes de sueur.« Ce n'est pas possible... répéta-t-il. J'avais vu

Tyssen... voyons... le lundi 4, trois jours avant sa mort. Il avait relu son testament devant moi. Il m'avait parlé des diamants... »

Pauline intervint :« Et moi, monsieur me les a fait voir le mardi! »Cécile regarda Noël. Il était très pâle et s'appuyait

d'une main à la porte du coffre.« A moi aussi, dit-il lentement, il me les avait

montrés ce jour-là. Il m'avait dit : « Tu vois, si tu « y tiens tant, tu pourras acheter ta ferme. »

Le médecin parla à son tour.« Moi je ne les ai jamais vus, mais Tyssen m'a dit

plus d'une fois qu'ils étaient dans ce coffre et qu'il les léguait à Noël. »

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Il y eut de nouveau un silence. Puis maître Pelletier se ressaisit.

« Ces diamants ont été volés! déclara-t-il avec force. Après la mort de Tyssen, évidemment. A moins que lui-même, entre le mardi et le jeudi... En ce cas, Mme Tyssen serait au courant. La première chose à faire est de l'interroger. »

II se dirigea vers la chambre mais le médecin l'arrêta.« Dans l'état où se trouve ma patiente, je dois

m'opposer à cet interrogatoire. D'ailleurs, si son mari avait changé d'avis, elle nous l'aurait dit.

— A moins qu'il ne lui ait donné les diamants à elle, dit Pauline.

— Cette hypothèse est impossible, déclara maître Pelletier. Tyssen était un homme d'ordre; jamais, vous m'entendez, jamais, il n'aurait donné

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ces diamants à sa femme sans modifier d'abord son testament.

— Quoi qu'il en soit, dit le docteur Vallotton, ne tracassons pas Mme Tyssen pour le moment. Nous lui annoncerons ce qui s'est passé, mais avec ménagements, pour lui éviter un nouveau choc. »

Mme Tyssen s'était rendormie, ce qui évita toute explication. Le petit groupe traversa les deux chambres et entra dans le vestibule.

« Nous sommes obligés de vous obéir, docteur, dit maître Pelletier à mi-voix. Mais en attendant il faut tout de même faire quelque chose!

— Quelque chose? répéta Noël d'une voix blanche. Que voulez-vous dire?

— Il faut porter plainte — plainte contre X! Il est probable que ces diamants ont été volés. Après la mort de Tyssen, quelqu'un s'est introduit dans le bureau.

— Quelqu'un qui avait la clef du coffre? demanda Pauline.

— A ma connaissance, dit le notaire, il n'en existait que deux : celle que m'avait confiée Tyssen et la sienne. Le docteur Vallotton, qu'on a appelé aussitôt après l'attaque de Tyssen, m'a remis celle-ci dès qu'il a constaté le décès.

— Elle est tombée de la poche de son veston, précisa le médecin.

— Même si quelqu'un avait cette clef et la combinaison du coffre, dit Noël, comment aurait-il pénétré dans le bureau? Les volets sont fermés de l'intérieur; la porte qui donne sur le couloir est condamnée, la clef en a été perdue depuis

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longtemps. Il aurait fallu passer par la chambre de ma tante et par celle de Cécile.

— Madame somnole souvent, remarqua Pauline.— Oui, dit Cécile, mais jamais très longtemps de

suite. Et vous venez de constater que l'ouverture du coffre, même si on est en possession de la combinaison et de la clef, ne peut se faire en une minute. En ce moment Mme Tyssen est sous l'effet du calmant que lui a donné le docteur, mais en temps ordinaire, même quand elle sommeille elle reprend conscience au moindre bruit.

— Cécile a raison, déclara Noël d'une voix plus ferme. Les diamants n'ont pas été volés. »

Les trois hommes se tournèrent vers lui. « Mais alors?

— Alors c'est mon oncle lui-même qui, la veille ou l'avant-veille de sa mort, a jugé bon de disposer autrement de sa fortune.

— Sans m'en parler! s'exclama le notaire.— Allons donc! » murmura le médecin. Maître

Pelletier se tourna vers Noël :« Voyez-vous une raison qui aurait pu inciter votre

oncle à changer brusquement d'avis?— Peut-être », répondit le jeune homme à mi-voix.Personne n'ajouta rien. Le docteur Vallotton annonça

qu'il avait un autre malade à voir et sortit le premier. Maître Pelletier s'avança vers Noël et lui serra la main.

« Je suis désolé, dit-il. Vraiment, vous ne voulez pas porter plainte? »

Le jeune homme fit signe que non.« Je suis désolé... » répéta le notaire.

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Il s'éloigna à son tour, suivi du petit clerc qui trottinait derrière lui.

Cécile se retira vers la chambre de la malade. .Mais avant de refermer la porte, elle aperçut Noël, le front appuyé au mur, les mains crispées dans un geste de désespoir.

« Mon oncle, mon pauvre oncle, tu m'en voulais donc tant! » balbutia-t-il.

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VII

CÉCILE envisageait avec anxiété le réveil de Mme Tyssen. Comment celle-ci réagirait-elle à l'annonce de la disparition des diamants? L'infirmière guettait sur le visage de sa malade le moindre signe d'un retour de la conscience. Mais Mme Tyssen continuait à dormir d'un sommeil paisible. Elle ne bougea pas jusqu'au retour du docteur Vallotton au début de l'après-midi.

Ce fut lui qui, en quelques mots, lui apprit qu'on avait trouvé le coffre vide.

Sur la figure de la malade se peignit une stupéfaction douloureuse.

« Mon Dieu! dit-elle, le pauvre garçon! Jamais je n'aurais cru que mon mari...

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— Personne ne comprend rien à ce qui s'est passé. Si M. Tyssen avait changé d'avis avant sa mort, il vous en aurait sûrement parlé, n'est-ce pas? »

Elle eut son sourire un peu triste.« Ce n'est pas sûr. Il était extrêmement secret, même

vis-à-vis de moi. D'ailleurs il pensait avoir du temps devant lui. Comment se serait-il douté que ses jours étaient comptés? »

Elle avait les larmes aux yeux. Le docteur Vallotton poursuivit :

« Je vais être indiscret, madame. Mais je venais assez souvent chez vous pour me rendre compte de certaines choses. M. Tyssen et Noël ne s'entendaient pas toujours très bien, n'est-ce pas? »

Elle hésita.« Pas toujours. Mon mari était autoritaire. Noël

n'aimait pas se laisser diriger. Ces derniers temps, ils avaient eu des rapports difficiles. Cela ne me regardait pas. Je ne m'en suis jamais mêlée.

— Mais alors pourquoi, si M Tyssen avait voulu déshériter Noël, ne l'aurait-il pas fait à votre profit?

— Parce qu'il avait toujours été convenu que les diamants ne seraient pas pour moi. Je n'ai pas à me plaindre des dispositions testamentaires de mon mari, vous le savez. »

Le médecin continua :« J'ai encore une question à vous poser, la dernière.

Je ne voudrais pas abuser de vos forces, mais au contraire vous éviter un interrogatoire du

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notaire. Maître Pelletier tient à éclaircir certains détails. Je me suis proposé comme intermédiaire, pensant que vous préféreriez sans doute répondre à une vieille connaissance.

— Certainement, docteur. Cette question?— Pendant les trois jours qui ont précédé la mort de

votre mari, l'avez-vous vu aller dans son bureau? »Mme Tyssen réfléchit.« Oui, en effet, mais il me serait impossible de

préciser le jour. Avec toutes les drogues que j'absorbe, je perds un peu la mémoire. »

Le médecin procéda à l'examen habituel. Quand il fut parti, la malade dit à Cécile :

« Je pense à Noël. Il désirait tant cette terre... »Elle soupira :« Comment l'aider?... De toute façon il m'est

impossible de prendre aucune décision avant de savoir comment évoluera ma maladie. Le temps me semble si long... Etre là comme un objet, incapable de faire un geste...

— Vous guérirez, madame, et peut-être bientôt.— Le docteur Vallotton le dit aussi mais pour

l'instant je ne vois pas le moindre progrès.— Je vous assure, madame, que si vous vouliez...

Un examen neurologique complet... »Le visage de Mme Tyssen se durcit brusquement.« Je sais : vous allez me parler des hôpitaux et des

miracles qui s'y produisent. Vous êtes infirmière, vous prêchez pour votre saint, quoi de plus normal? Moi je ne crois pas aux merveilles de la science ni aux traitements miracles. Je n'irai pas

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à l'hôpital, c'est décidé une fois pour toutes. Le docteur Vallotton l'a compris, faites-en autant.

— Excusez-moi, madame », balbutia Cécile. Elle avait de la peine, c'était la première fois

que sa malade lui parlait sur ce ton. Comment pouvait-on encore, à notre époque, avoir cette terreur de l'hôpital?

Mme Tyssen, d'ailleurs, se radoucit bientôt.« Ne m'en veuillez pas, Cécile. J'ai mes idées, que

voulez-vous! Il faut excuser les grands malades. »A la cuisine, Pauline attendait impatiemment la fin

de la journée pour se retrouver seule avec Cécile.« Quelle affaire, hein? s'exclama-t-elle. Pauvre M.

Noël! j'en suis toute retournée.— Nous étions tous désolés pour lui, dit

Cécile, et Mme Tyssen la première.— Elle vous l'a dit?— Vous en paraissez surprise, Pauline! Est-ce que la

tante et le neveu ne s'aiment pas?— Ils se supportent... Que voulez-vous, quand M-

Tyssen s'est marié, ça a dû faire quelque chose à Noël, bien sûr. Et elle, ça se comprend aussi, elle a dû être un peu jalouse de l'affection que M. Tyssen portait à son neveu.

— Il l'aimait beaucoup?— Comme son propre fils. Bien sûr, ils se

disputaient quelquefois, et terriblement, mais ils finissaient toujours par se raccommoder. Cette fois ils n'ont pas eu le temps...

— Il y avait donc eu une scène entre eux peu avant la mort de M. Tyssen?

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— Juste trois jours avant. C'était le dimanche soir; ce jour-là, Noël dînait toujours à la maison. Madame était dans sa chambre; les deux hommes se sont enfermés dans le bureau. Moi, de la cuisine, même avec la porte fermée, j'entends tout ce qui se passe. J'ai tout de suite compris que c'était sérieux. »

Cécile se demanda si la porte de la cuisine était vraiment bien fermée, mais Pauline poursuivait :

« C'est toute une histoire. Vous savez que monsieur a vécu longtemps au Brésil?

— Vous m'avez même dit que c'était de là-bas qu'il avait rapporté ses diamants.

— Il s'y était aussi fait des amis, entre autres un certain Morez, qui avait une fille, Lola. Ce Morez, paraît-il, avait rendu à monsieur beaucoup

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de services. Monsieur ne l'avait pas revu depuis des années; dans l'intervalle Lola avait grandi. Au printemps dernier, quand Noël a terminé ses études, monsieur s'est mis dans la tête de marier les deux jeunes gens.

— Mais Noël ne la connaissait même pas!— Non, mais l'idée de ce mariage plaisait à

monsieur. Il aurait ainsi prouvé sa reconnaissance à Morez, puisqu'un jour son neveu serait l'héritier des diamants. Il était comme ça monsieur, il arrangeait tout à sa fantaisie. Il a invité la petite Morez, sans même parler de son projet à Noël.

— Est-elle venue à Ligeac?— Non, elle habitait à Nevers, chez des amis. Mais

il organisait des rencontres fréquentes entre les deux jeunes; il pensait peut-être que les choses s'arrangeraient d'elles-mêmes. Au bout de quelque temps, voyant l'indifférence de Noël, il lui a dévoilé ses plans.

— Et comment Noël a-t-il réagi?— Comme vous pensez. Il a répondu qu'il se

marierait quand il en aurait envie, et pas avant, que son mariage était son affaire et qu'il n'accepterait aucune pression financière ou affective.

— Alors ils se sont querellés?— Oh, à plusieurs reprises! La dernière fois, c'était

comme je vous l'ai dit, ce fameux dimanche. Lola Morez repartait pour le Brésil le mardi. Monsieur voulait qu'avant son départ Noël parle de fiançailles à Lola. Ils ont eu cette scène terrible dans le bureau. Je ne peux pas vous répéter tout ce qu'ils se sont dit; c'était affreux.

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M. Noël a quitté la maison comme un fou, sans même dire au revoir à sa tante.

— La tante était au courant de tout cela?— Oh! certainement. Peut-être qu'au fond elle n'était

pas mécontente de voir M. Tyssen et son neveu brouillés : si monsieur avait déshérité Noël, comme il l'en menaçait, elle pouvait espérer que les diamants lui reviendraient.

— Vous là croyez donc si cupide, Pauline?— A mon âge, mademoiselle Cécile, on commence

à connaître la nature humaine... Je ne sais pas si monsieur avait vraiment l'intention de modifier son testament; il n'en a pas eu le temps, le pauvre! Le mardi, il a conduit Lola Morez à l'aéroport,

— Avait-elle du chagrin?— Je ne crois pas : elle n'avait jamais su ce que

monsieur mijotait pour elle. Après tout, elle avait fait un beau voyage! »

Cécile réfléchissait.« Le testament n'a pas été modifié, dit-elle. Mais en

trois jours M. Tyssen a parfaitement eu le temps de prendre lui-même les diamants et d'en disposer autrement.

— En disposer? répéta Pauline interrogative.— Par exemple en les donnant à cette jeune fille.

Après tout, en voulant lui faire épouser Noël, il pensait qu'elle en profiterait. »

La cuisinière parut stupéfaite.« Je n'aurais pas pensé à ça, dit-elle. Ça expliquerait

pourquoi il s'est tant dépêché... Savez-vous que c'est bien possible : monsieur avait de si drôles d'idées! Et il était si furieux, si furieux!

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Il disait à Noël : « Tu n'auras rien de moi, jamais, « tu m'entends! » Mais il l'avait dit tant de fois, et ils s'étaient toujours réconciliés... »

Les deux femmes achevaient de dîner quand elles entendirent la voiture de Noël.

« Pourquoi revient-il? murmura Pauline. Il ne veut tout de même pas interroger madame, lui aussi! »

Un moment plus tard, le jeune homme entrait dans la cuisine.

« Je venais prendre des nouvelles de ma tante, expliqua-t-il. Je sais que maître Pelletier voulait lui parler; le docteur Vallotton s'y est opposé en disant que cela pourrait la fatiguer. Savez-vous s'il l'a fait quand même?

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— Le docteur Vallotton s'en est chargé. Il est revenu dans l'après-midi.

— Que lui a-t-elle dit? J'hésite à lui parler moi-même. Pourtant j'aurais, moi aussi, certaines questions à lui poser.

— Elle croit se rappeler que M. Tyssen, dans les quelques jours qui ont précédé sa fin, est allé dans le bureau. Elle n'a pas dit s'il avait ouvert le coffre; sans doute ne le sait-elle pas elle-même. C'est d'ailleurs la seule explication plausible à la disparition des pierres, puisqu'on doit écarter l'hypothèse d'un vol commis après son décès.

— Vous avez raison, Cécile, dit Noël. Plus j'y pense, plus je suis sûr que mon oncle est retourné dans son bureau pour prendre les diamants.

— Mlle Cécile, dit Pauline, se demande s'il ne les aurait pas donnés à Mlle Morez avant son

départ. »Noël se tourna vers la jeune infirmière.« Ah, vous êtes au courant, Cécile? Moi aussi, j'y ai

pensé; cela n'est pas impossible. M. Morez, quand il écrira, en parlera probablement.

— Peut-être, fit Pauline dubitative. Mais ça ne changera pas grand-chose pour vous, pauvre monsieur Noël!

— C'est vrai. Je vous avoue que sur le coup le choc a été rude. J'avais tant de beaux projets, tant d'espoirs... Perrette et le pot au lait, en somme! ajouta-t-il en s'efforçant de sourire. Au moins, moi, je ne cours pas le risque d'être battu!

— Vous avez du courage, Noël, dit Cécile.

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— J'avais peut-être besoin de cette circonstance pour le prouver. Je me reprochais parfois de tout devoir à mon oncle. Maintenant mon avenir est entre mes mains. Je ne renonce à aucun de mes espoirs; je les réaliserai seulement plus tard, avec plus de peine. Finalement ce sera peut-être un bien pour moi. Qu'en pensez-vous, Cécile?

— Je vous admire, Noël », répondit-elle en lui tendant la main.

C'est seulement dans la soirée, en préparant le tilleul habituel, que Cécile s'aperçut qu'ils s'étaient appelés spontanément par leur prénom, comme deux amis.

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VIII

AVEC tous ces événements, Cécile avait oublié la petite Monique et sa poupée. Le matin, à son réveil, elle aperçut Barbara sur un fauteuil.

« La petite va croire que je l'ai négligée! » pensa-t-elle.

Elle fut contrariée d'avoir manqué de parole à un enfant.

Sitôt les soins matinaux achevés, elle se dirigea vers le pavillon du jardinier. Un petit' garçon jouait devant la porte entrouverte. Bientôt Mme Boucard se montra, suivie de Monique. A la vue de la jeune infirmière, l'enfant poussa un cri

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joyeux. Cécile se pencha pour l'embrasser et lui mit la poupée dans les bras.

« Je te ramène ta fille, dit-elle sérieusement. Elle a bien dormi, elle vient de s'éveiller.

— Elle a été sage?—- Très sage. Tu ne sais pas, si tu as un morceau

d'étoffe, nous pourrions lui faire une belle robe. Tu veux?— Oh, Monique ne manque jamais de bouts de

tissu! fit Mme Boucard en riant. Elle entasse tout ce qu'elle trouve, un vrai petit écureuil! »

Tandis que l'enfant s'éloignait, la mère et l'infirmière parlèrent de son comportement. Mme Boucard s'inquiétait de son manque de précocité. Le docteur Vallotton qui la suivait la trouvait aussi un peu en retard pour son âge; Cécile la rassura en lui disant que tous les enfants ne se développaient pas au même rythme et que d'ici un an ou deux Monique pouvait rattraper ce retard.

Sur ces entrefaites, Marcel vint au pavillon chercher un outil. Il salua amicalement la jeune infirmière.

« Vous parliez de tout ce qui s'est passé hier? demanda-t-il.

— Nous n'en avons pas eu le temps, répondit sa femme. Mais c'est extraordinaire, n'est-ce pas, mademoiselle Cécile? Pauline nous a raconté...

— C'est étrange, en effet, dit la jeune fille. Tout le monde semble surpris que M. Tyssen ait déshérité son neveu. »

Marcel secoua la tête.« Vous voulez que je vous dise ce que je pense,

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moi, mademoiselle Cécile? Eh bien, c'est impossible, absolument impossible!

— Comment cela? fit Cécile surprise.— Il l'aimait trop, répondit Marcel. Jamais M.

Tyssen n'aurait fait ça. Je le connaissais bien, moi — mieux que personne, peut-être : il restait souvent dans le jardin à causer avec moi. Et je peux vous dire qu'il aimait Noël autant que s'il avait été son fils.

— Pauline dit la même chose que vous. Pourtant les faits sont là : les diamants ont disparu. Et il est impensable qu'après la mort de M. Tyssen quelqu'un ait pu pénétrer dans le bureau. La pauvre Mme Tyssen est paralysée, mais elle n'est ni aveugle ni sourde.

— Et puis il faudrait supposer que quelqu'un ait la clef et la combinaison du coffre », fit observer Mme Boucard.

Cécile se tourna vers le jardinier. « Vous avez revu M. Tyssen après la querelle avec son neveu? demanda-t-elle.

— Le mardi, je suis allé avec lui chercher la jeune fille brésilienne pour la conduire à l'aéroport. Pendant le trajet du retour, il ne m'a pas dit grand-chose. Il semblait préoccupé. Des querelles avec son neveu, pourtant, il en avait eu des dizaines de fois, ça finissait toujours par des embrassades. On me dira ce qu'on voudra, je suis sûr que monsieur n'a pas déshérité M. Noël!

— Alors? dit Cécile.— Alors, je ne sais pas. Si vraiment personne de

vivant n'est entré, il faut que ce soit un fantôme! »

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Le mot fit sursauter la jeune fille. Un fantôme-Tante Simone prétendait en avoir vu. Bien ( sûr, les fantômes n'existent pas; il ne pouvait s'agir que d'une hallucination. Mais que Marcel prononçât justement ce mot-là... la coïncidence était étrange.

Le jardinier prit l'outil dont il avait besoin et s'éloigna. Un instant plus tard, Monique revenait, portant un morceau de tissu pailleté.

« C'est beau, dis? tout doré... Tu lui feras une robe de princesse?

— Une robe de princesse, c'est promis! »Comme Cécile s'éloignait, l'enfant courut après elle

et glissa quelque chose dans sa poche.« C'est un cadeau pour toi, dit-elle, pour te dire

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merci. Ne le regarde pas tout de suite, c'est une surprise. »

Cécile remercia en riant et retourna à ses fonctions. Comme elle apportait le déjeuner de Mme Tyssen, celle-ci demanda :

« Qu'avez-vous donc dans votre poche, Cécile? »La jeune fille mit la main à sa poche et en tira un

gros marron d'Inde. Elle se souvint alors du cadeau de Monique.

« C'est la petite fille du jardinier qui me l'a donné, expliqua-t-elle. De sa part, c'est un très beau cadeau.

— En tout cas, je remarque qu'elle a une grande affection pour vous.

— Quand les enfants sentent qu'on les aime, il est rare qu'ils ne vous paient pas de retour. »

Après le déjeuner, la malade n'eut pas envie de dormir, et Cécile s'assit près de la fenêtre pour lui faire un peu de lecture. Le lit, comme toujours, restait dans l'ombre; quand la jeune fille levait la tête, elle apercevait les yeux de Mme Tyssen fixés sur elle avec une expression de curiosité.

Au bout d'un moment, la malade lui demanda de s'arrêter de lire, elle avait mal à la tête.

« Je crois que tout à l'heure vous aurez une visite, dit la jeune infirmière. Votre neveu est passé hier soir; il a dit qu'il reviendrait. »

Mme Tyssen tourna légèrement la tête comme si elle éprouvait une gêne.

« Mon neveu! fit-elle. Je me demande pourquoi il continue à venir me voir, maintenant que le coffre est ouvert.

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— Il s'intéresse à votre santé, c'est normal.— A ma santé! »La malade eut un petit rire amer.« Vous me trouvez injuste envers Noël, n'est-ce pas,

Cécile? C'est vrai, je n'ai aucune envie de le revoir, je l'avoue. Comment pourrais-je oublier que c'est lui, en somme, qui a causé la mort de mon mari?

— Lui! s'exclama la jeune infirmière.— Oui, Cécile. Mon mari était corpulent,

congestionné. Ces tempéraments-là sont plus exposés que les autres aux accidents circulatoires. Le docteur Vallotton lui recommandait toujours de mener une vie paisible, d'éviter les émotions violentes. Ses querelles avec Noël le tuaient.

— Vous pensez que cette dernière scène...— Vous êtes au courant? C'est Noël qui vous l'a dit?— Non, madame, fit la jeune fille embarrassée.— Alors c'est Pauline. Peu importe, d'ailleurs. Oui,

cette scène a été plus violente que les précédentes. Je n'y ai pas assisté, mais j'entendais les éclats de voix.

— D'après ce qu'on m'a dit, M. Tyssen voulait faire épouser à Noël une certaine jeune fille...

— Oui, Lola Morez, une Brésilienne, la fille d'un de ses vieux amis. Il l'avait fait venir en France dans ce but. Remarquez que, quant à moi, je n'étais pas très partisan de ce mariage.

— La jeune fille ne vous avait pas fait bonne impression?

— Oh, si. Ce serait plutôt le contraire. Noël n'est pas... Enfin mon mari le parait de mille qualités plus ou moins imaginaires... »

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Cécile se sentit blessée. Noël lui était sympathique. Si Mme Tyssen le jugeait mal, ce devait être Mme Tyssen qui se trompait. Elle le défendit.

« Moi, madame, je trouve qu'il a beaucoup de courage. Voyez la façon dont il réagit en se trouvant frustré d'un legs qui lui avait été promis. »

Mme Tyssen eut un léger sourire.« Vous êtes naïve, ma petite Cécile...— Que voulez-vous dire, madame? M. Tyssen avait

promis ces pierres à son neveu, n'est-ce pas? Le fait que Noël ait refusé d'épouser une jeune fille qu'il n'aimait pas justifie-t-il un tel revirement de la part de votre mari?

— Peut-être... Nous ne connaissons pas les

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détails. Il ne faut pas juger aussi hâtivement, Cécile...»

Mme Tyssen semblait nerveuse. La jeune infirmière se reprocha de s'être attardée aussi longtemps sur un sujet qui pouvait agiter la malade. Elle changea la conversation, parla du temps qui s'assombrissait, des glaïeuls qui commençaient à fleurir.

Mme Tyssen se calma. Cécile continua à réfléchir. Elle avait beau se répéter que tout cela ne la regardait pas, que dans cette affaire elle n'avait rien à gagner ni à perdre, elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. Les paroles de Marcel, confirmant celles de Pauline et du docteur Vallotton, l'obsédaient. Personne ne pouvait croire que M. Tyssen ait voulu déshériter son neveu. Personne — sauf Mme Tyssen. Mais pouvait-elle en juger mieux que les autres? Elle avouait elle-même que son mari était très secret... il ne lui disait pas tout.

Ne se trompait-elle pas entièrement? M. Tyssen avait-il confié à un tiers une troisième clef de son coffre? Mais à qui? De toute façon, pour accéder au bureau, il fallait traverser les deux chambres...

A table, Pauline la trouva songeuse.« Vous avez l'air préoccupée. Auriez-vous, vous

aussi, des ennuis.— Non, rien, je vous assure. »Elles achevaient de dîner quand une ombre se

dessina sur la porte vitrée de la cuisine. C'était Marcel. Il tenait entre deux doigts une clef maculée de terre.

« Regardez, dit-il, ce que je viens de trouver!

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Dans la serre, derrière un tas de pots cassés. C'est peut-être une clef de la maison?

— Montrez-moi ça, dit Pauline. Mais oui! c'est celle du bureau, perdue depuis si longtemps! vous savez, la clef de la porte de communication entre le bureau et le corridor.

— Vous en êtes sûre?— Il y a des mois que je ne l'ai pas vue, mais je la

reconnaîtrais entre mille. Vous voyez cette petite encoche, là, sur le côté? Oui, c'est elle, bien sûr. Il faut la montrer à madame. »

Pauline suivit Cécile dans la chambre. En les voyant la malade ouvrit les yeux.

« Qu'y a-t-il? demanda-t-elle. Que tenez-vous là, Pauline?

— C'est une clef, madame, une clef que Marcel vient de trouver dans la serre...

— Montrez, que je la voie. Plus près, s'il vous plaît. Mais, Pauline, c'est la clef du bureau!

— Vous la reconnaissez, vous aussi, madame?— Sans aucun doute. Vous me dites que Marcel l'a

trouvée dans la serre? Comment pouvait-elle se trouver là?

— Marcel dit qu'il l'a découverte en déblayant un tas de pots cassés. Il pense qu'on a dû la cacher derrière. »

Les yeux de Mme Tyssen rencontrèrent ceux de Cécile, puis se détournèrent vivement.

« Rendez cette clef à Marcel, dit-elle. Qu'il la débarrasse de toute cette terre, puis vous la remettrez à sa place. »

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Elle referma les yeux pour indiquer que la conversation était finie. Elle ne semblait pas se soucier de l'incident. Mais pour Cécile, celui-ci faisait naître des idées nouvelles, vagues, un peu effrayantes aussi. Cette clef, disparue depuis longtemps, avait-elle été perdue ou dérobée? Quoi qu'il en soit, quelqu'un avait pu pénétrer dans le bureau sans passer par les chambres. Si ce quelqu'un possédait la combinaison et la clef du coffre... Mais à qui M. Tyssen aurait-il pu les remettre, sinon à une personne en qui il avait toute confiance... à Noël?

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IX

CÉCILE passa une nuit agitée. Après avoir donné à Mme Tyssen sa tasse de tilleul, puis ses bonbons de chaque soir, elle se coucha. Mais elle ne put trouver le sommeil facilement et se retourna longtemps dans son lit. La découverte de la clef la troublait : celui qui avait eu cette clef en sa possession avait pu pénétrer dans le bureau de M. Tyssen sans passer par la chambre de la malade. Encore fallait-il qu'il se fût trouvé dans la maison... Or Noël, lui, avait couché à Ligeac la première nuit après la mort de son oncle,.. Noël coupable, cela expliquait tout, même son

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refus de porter plainte pour étouffer l'affaire...Mais Noël — pourquoi? Puisque les diamants

allaient lui appartenir!La version du jeune homme était que son oncle, irrité

contre lui, avait changé brusquement d'avis et disposé de ses pierres en faveur d'un autre. Mais ceux qui connaissaient le mieux M. Tyssen — Marcel, Pauline, le docteur Vallotton — se refusaient à admettre cette possibilité. Et au fond de son cœur c'était à eux que Cécile souhaitait donner raison.

En faisant la toilette de la malade, le lendemain matin, elle constata avec surprise que Mme Tyssen commençait à avoir des doutes.

« Vous avez vu cette clef? dit-elle à la jeune infirmière. Elle était égarée depuis longtemps, je le sais, mais on a pu la trouver, s'en servir, et la jeter ensuite sous ces pots... »

Comme Cécile ne répondait pas, Mme Tyssen insista:

« Vous savez que Noël, la nuit après notre malheur, a couché dans la chambre que vous occupez maintenant. Il ne voulait pas me laisser seule, disait-il. En fait il avait peut-être une autre idée. Il devait agir vite, avant la visite du notaire.

— Mais, madame, Noël avait-il la clef du coffre?— Mon mari avait confiance en lui; il pouvait très

bien lui en avoir remis une. »Cécile se tut. Une pensée semblable avait déjà

traversé son ( esprit. Restait le point mystérieux : la raison d'un acte inexplicable. Au bout de quelques instants, elle demanda :

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« Pourquoi Noël aurait-il pris les diamants en cachette, puisqu'ils lui revenaient de droit? »

Mme Tyssen eut un sourire triste.« Je vous ai déjà dit que vous êtes naïve, ma pauvre

petite. Ces diamants ont une valeur considérable et les droits de succession auraient été importants. Noël, n'héritant pas, ne doit rien à l'Etat. Il a pu voler les pierres uniquement pour éviter de payer ces droits. »

Cécile était bouleversée. Elle ignorait tout des questions fiscales et des moyens employés par certains pour frauder. Les paroles de Mme Tyssen lui ouvraient des perspectives nouvelles sur une réalité de combines et de compromissions qui l'effrayait.

Noël, sous son apparence honnête, faisait-il partie de ces gens sans scrupules?

Cette pensée troublait tellement la jeune infirmière que ses mains tremblèrent légèrement. Elle dut attendre quelques instants pour ranger les effets de toilette sur la tablette de la salle de bain.

Elle avait beau faire, elle ne se résignait pas à imaginer Noël se glissant la nuit dans le bureau, ouvrant le coffre... S'il n'y avait pas eu cette maudite clef...

Cette clef, au fait, où était-elle? Ah! oui, le jardinier l'avait emportée pour la nettoyer...

Cécile décida d'aller trouver Marcel et de lui demander à la voir. A la fin de la matinée, elle se rendit au pavillon : elle y trouva Mme Boucard en train d'éplucher des légumes. Monique accourut aussitôt.

« Tu venais me voir? demanda-t-elle radieuse. — Non, aujourd'hui c'est à ton père que je voudrais parler.

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— Vous tombez bien, dit Mme Boucard. Il est ici, tout près, en train de tailler les haies autour de la grille. Attendez, je vais l'appeler. »

Elle n'eut pas besoin de le faire. Ayant entendu la voix de la jeune infirmière, Marcel vint prendre part à la conversation.

« Vous avez quelque chose à me dire, mademoiselle Cécile? Ou vous passiez simplement nous dire bonjour?

— Je suis toujours contente de vous voir, vous et les enfants. Mais, je l'avoue, je suis préoccupée par ce qui s'est passé dans la maison. Et c'est à ce sujet que je voudrais vous parler.

— Moi aussi, dit Marcel, cette histoire me tracasse. Plus j'y pense, plus je suis sûr que M. Tyssen n'a pas déshérité son neveu. Et tout de même...

— Ecoutez, monsieur Marcel. Cette clef que vous avez trouvée dans la serre, vous l'avez ici, n'est-ce pas?

— Oui, Pauline me l'a rendue en sortant de chez madame. Je l'ai mise à tremper dans un antirouille pour la nettoyer, comme elle le désirait.

— Je voudrais bien la voir. » Marcel parut surpris.« C'est madame qui la demande? Elle pense peut-être

que je pourrai la remetttre en état? Mais j'ai bien peur que ce ne soit pas possible.

— La clef a été faussée?— Oui, un peu. Mais attendez, je vous l'apporte. »Il s'éloigna et revint presque aussitôt.« Regardez ça, mademoiselle Cécile. Elle est à peu

près propre maintenant, mais il reste des taches de rouille.Et puis elle est un peu déformée. Madame y tient

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donc tant, à cette clef? Il serait plus simple d'en faire faire une autre. »

Le cœur de Cécile battit. Si la clef était hors d'usage, impossible de soupçonner Noël!

« Vous croyez, monsieur Marcel, qu'on a pu s'en servir récemment? »

II se mit à rire.« Ça, je n'en sais rien. Un serrurier pourrait peut-être

vous renseigner. Moi, je ne suis pas du métier! »II tendit la clef à Cécile.« Rapportez-la à madame, c'est elle qui décidera ce

qu'elle veut en faire. » Cécile se troubla légèrement.« Mme Tyssen n'a rien demandé. C'est moi qui étais

curieuse de voir si elle fonctionnait encore.

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— Eh bien, c'est facile; tenez, la voilà. » Cécile prit la clef et s'éloigna. Elle entendit

Monique protester :« Alors, moi, tu ne me dis rien? Tu reviendras

bientôt, dis, mademoiselle? »Cécile rentra dans la maison, s'assura que Pauline

était occupée à la cuisine et se dirigea vers la porte du bureau.

En tremblant un peu, elle chercha à introduire la clef dans la serrure. Avec peine elle finit par y parvenir. Cependant, lorsqu'elle voulut la tourner, la clef grinça lamentablement. Cécile prit peur et voulut la retirer; la clef résista. Pour l'enlever elle dut s'y prendre à deux mains. La clef céda enfin, avec un grincement plus fort que le premier.

La jeune infirmière n'était guère plus avancée qu'avant. Utiliser cette clef était difficile; de là à dire que c'était impossible? Non...

Cécile retourna dans la chambre de la malade. Celle-ci paraissait inquiète.

« Que se passe-t-il, Cécile? J'ai entendu des grincements bizarres.

— C'est moi, madame, avoua la jeune fille. J'ai voulu savoir s'il était possible d'ouvrir la porte du bureau avec la clef qu'a retrouvée Marcel.

— Vous y êtes arrivée?— Non. Mais je constate que vous m'avez entendue.

Vous auriez donc sans doute entendu également si...— Vous oubliez que cette nuit-là on m'avait donné

un somnifère très puissant. On aurait pu tirer le canon sous mes fenêtres sans que je m'en aperçoive.

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— Vous avez réponse à tout », reconnut Cécile. Toute la journée, elle eut l'impression que

Mme Tyssen l'observait. La malade lui en voulait-elle d'avoir été indiscrète? Cependant elle était calme. Elle somnola une partie de l'après-midi, puis demanda qu'on lui fasse la lecture. Mais elle se fatigua vite et ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, elle demanda à la jeune fille :

« Vous n'avez pas de nouvelles de votre tante, Cécile?

— Non, madame. J'hésitais à vous demander la permission de téléphoner aux Glycines pour parler à la surveillante.

— Téléphonez, bien entendu. Mais pourquoi ne retourneriez-vous pas plutôt la voir? Demain, par exemple? C'est si facile de faire l'aller et retour dans l'après-midi.

— Je n'aime pas vous laisser aussi longtemps, madame.

— Ce n'est pas tellement long. Et puis, vous voyez, même la lecture me lasse vite. Vous partirez de bonne heure, comme la dernière fois. Je suis sûre que cette visite vous fera du bien à toutes deux.

— Je le crois aussi. Mais vous êtes trop bonne... »

Cécile était profondément touchée. Si peu de personnes, quand elles sont malades elles-mêmes, se soucient des maladies d'autrui! La jeune infirmière

Toute la journée, elle eut l'impression que Mme Tyssen l'observait. —»

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pensait souvent à sa tante, mais jamais elle ne se serait permis de demander à retourner la voir aussi tôt. Vers la fin de l'après-midi, elle se rendit à la cuisine et recommanda à Pauline de soigner le dîner de la malade. Pauvre Mme Tyssen, elle le disait elle-même, quel plaisir avait-elle actuellement en dehors de sa puérile gourmandise?

« Que pourriez-vous lui faire de très bon? Elle avait aimé ce sabayon, l'autre soir. »

La cuisinière ne répondit pas. Elle regardait par la fenêtre.

« Tiens! fit-elle, voilà encore M. Noël! Il vient tous les jours, à présent! Ce n'était pas son habitude, même du temps de monsieur. »

Le jeune homme entra dans la cuisine. Il portait un paquet à la main.

« C'est pour ma tante, dit-il. Elle aime tant les chocolats... J'ai remarqué qu'il n'y en avait plus beaucoup dans sa boîte.

— Je l'avais remarqué aussi. C'est gentil à vous d'y penser. »

Cécile prépara le plateau et l'orna, comme elle le faisait souvent, d'une fleur cueillie dans un massif voisin.

« Vous aimez bien ma tante? demanda Noël.— Elle est si bonne pour moi! répondit la jeune fille.

Non seulement elle est peu exigeante en tant que malade, mais elle cherche toujours à me faire plaisir. Elle vient de me proposer de retourner demain voir ma tante aux Glycines. Elle met Marcel à ma disposition toute une demi-journée...

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— Marcel ne déteste pas aller se promener, dit Pauline.

— Mais pendant ce temps il ne s'occupe pas du jardin.

— Ecoutez, dit Noël, j'ai, moi aussi, une proposition à vous faire. Je peux très bien me libérer demain après-midi et vous conduire aux Glycines. On dit que l'endroit est très beau; je l'admirerai en vous attendant.

— Je ne sais pas si je dois... » commença Cécile. Noël l'interrompit.

« Moi aussi, dit-il, j'aime me promener. Et je connais mal la région au-delà de Nevers.

— Vrai, vous voudriez...— C'est entendu, je viendrai vous prendre à une

heure et demie. Maintenant, venez avec moi apporter ces bonbons à ma tante. »

A la porte de la chambre, il s'effaça pour laisser passer la jeune fille. En apercevant celle-ci, la malade sourit, puis, l'espace d'un instant, son visage prit cette expression dure que n'aimait pas Cécile. L'instant d'après, elle souriait de nouveau, tandis que Noël s'avançait, sa boîte de bonbons à la main.

« Noël, c'est gentil à toi de t'être souvenu de ma gourmandise. Et des chocolats, encore! »

II ouvrit la boîte et, délicatement, lui posa un bonbon sur les lèvres. Elle le remercia d'un clignement de paupières. Cécile se demanda si c'était bien la même personne qui, quelques heures plus tôt, lui avait parlé de Noël avec tant d'animosité.

« Noël, dit-elle, est assez aimable pour m'offrir de me conduire demain aux Glycines. Je n'au-

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rai pas besoin de vous priver des services de Marcel.»

Mme Tyssen fronça les sourcils.« Mais, Noël, ton travail? Tu ne peux pas t'absenter

aussi longtemps.— Ne vous inquiétez pas, ma tante. Je travaille

assez dur pour m'accorder de temps en temps une demi-journée de détente.

— Malgré tout, il me semble...— Non, non, je sais ce que je fais, n'ayez pas peur. »La malade n'insista pas. Mais Cécile vit bien que la

proposition de Noël la contrariait.

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X

LE LENDEMAIN MATIN, Mme Tyssen paraissait de bonne humeur. Elle déclara délicieuses les brioches que lui apporta Cécile. Cependant, lorsque celle-ci voulut lui passer sur les membres, comme tous les jours, un gant de toilette imbibé d'eau de Cologne, elle l'arrêta.

« Pas aujourd'hui, je vous en prie. Je sens que je ne le supporterais pas.

— Serait-ce que vos bras retrouvent un début de sensibilité?

— Non, malheureusement. Mais le contact du gant me donne une sorte de fourmillement au creux de l'estomac, et cela m'est très pénible... »

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Cécile signal a ce détail au docteur Vallotton qui sembla ne pas y attacher beaucoup d'importance. Cependant, quand la jeune infirmière l'accompagna dans le vestibule, il lui déclara :

« Le traitement n'a pas l'effet que j'en attendais : je ne constate aucun progrès. Patientons encore quelques jours; si cet état persiste, il faudra décider Mme Tyssen à aller subir d'autres examens. Je compte sur vous pour l'accoutumer peu à peu à cette idée. »

Cécile pensa que ces examens auraient dû être faits dès le premier jour. Elle rappela au docteur Vallotton que Mme Tyssen manifestait une crainte maladive des hôpitaux.

^ Noël vint la chercher, comme convenu, aussitôt après le déjeuner. Elle entra sur la pointe des pieds dans la chambre de la malade et constata que celle-ci dormait. Elle recommanda à Pauline d'aller la voir de temps à autre afin de s'assurer qu'elle n'avait besoin de rien.

« N'ayez pas peur, dit Pauline, j'y veillerai. »Une fois en voiture, Cécile se sentit soudain très

heureuse. Même les questions qui la tourmentaient une heure plus tôt semblaient s'être évanouies. Si un doute l'avait traversée au sujet de Noël, elle l'avait oublié. Elle jouissait pleinement de la journée ensoleillée.

« C'est beau, n'est-ce pas, Cécile? demanda le jeune homme.

— Merveilleux! déclara-t-elle avec enthousiasme.— La campagne, dans ce coin, est admirable, elle

n'est pas encore gâchée par les autoroutes

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et les gratte-ciel. Puisque je ne peux pas acheter la propriété dont je rêvais, je commence à prospecter dans la région et j'espère en découvrir une moins chère.

— Savez-vous que je vous admire? dit Cécile. Personne, à vous entendre, ne se douterait que vos plus chers espoirs viennent de s'écrouler d'un coup.

— C'est que j'ai l'habitude de regarder toujours devant moi et jamais derrière. N'est-ce pas la meilleure des philosophies?

— Certainement, et je voudrais bien vivre comme vous. Mais je ne sais pas si j'en aurai jamais le courage.

— Vous pensez beaucoup au passé, vous?— Pas tellement, non. J'ai eu des soucis, comme

tout le monde; ma mère a été sérieusement malade, je devais m'occuper de la maison à sa place et j'avais peur de ne pas réussir mes examens. Elle est rétablie maintenant, Dieu merci. Pendant mes études d'infirmière, une camarade qui ne m'aimait pas m'a fait beaucoup d'ennuis auprès de la surveillante qui avait confiance en elle. Tout cela a fini par s'arranger. Je vis au jour le jour, exerçant un métier, que j'aime beaucoup. Si je n'avais pas actuellement cette inquiétude au sujet de ma tante...

— A Ligeac, la vie ne doit pas être drôle tous les jours. Mme Tyssen a un caractère plutôt difficile.

— Avec moi, elle est toujours très gentille, elle l'était aussi avec tante Simone. Elle est entêtée, c'est vrai. Elle se refuse toujours à subir des examens

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que même le docteur Vallotton, vieux jeu comme il l'est, commence à reconnaître indispensables. Mais, à part cette obstination enfantine... »

II y eut un silence, puis Cécile questionna :« Vous n'aimez pas beaucoup votre tante, Noël? »II hésita.« Je lui en veux de ne pas avoir rendu mon oncle

vraiment heureux. Il était beaucoup plus âgé qu'elle, et elle en profitait pour se faire choyer outrageusement. Elle était frivole, égoïste. Vous ne pouvez pas en juger, car cette terrible maladie l'a beaucoup changée, la pauvre femme.

— Si vous venez la voir, c'est surtout en souvenir de votre oncle? »

Noël inclina la tête.

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« Pour le moment, j'ai pitié d'elle. Plus tard, si elle guérit comme je le lui souhaite, nous nous verrons sans doute moins souvent ».

Il soupira.« Vous ne savez pas ce que j'avais espéré, Cécile? La

propriété de mon oncle lui appartient maintenant, mais elle déteste la campagne, elle ne voudra pas y vivre. Les terres que je convoitais touchent au parc; je me disais que j'aurais pu lui racheter Ligeac...

— Pensez-vous qu'elle aurait aimé vous le vendre? Elle ne vous aime pas beaucoup, elle non plus.

— Elle a toujours été jalouse de l'affection que me témoignait mon oncle.

— Pourtant, elle ne semblait pas irritée que M. Tyssen vous ait destiné ces diamants.

— En tout cas, elle n'en a rien montré. N'oubliez pas qu'elle a été comédienne, et même, dit-on, bonne comédienne. Mais je pense que la disparition des diamants a dû lui être plutôt agréable. Quitte à les perdre, elle préférait sans doute les voir appartenir à n'importe qui plutôt qu'à moi. Si nous apprenons que mon oncle les a donnés à la Brésilienne, elle pensera sans doute : Bien fait pour Noël! »

Cécile se tut : la soudaine dureté du jeune homme lui était pénible. Au bout d'un moment elle s'écria :

« Oh, Noël, regardez ces arbres magnifiques! Qu'est-ce que c'est? Des chênes?

— Non, des hêtres. On en voit rarement d'aussi gros.

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— Ayant toujours vécu en ville je n'ai guère connu la campagne que pendant mes vacances. Plus tard, si je parviens à obtenir un poste dans un village... »

Ils parlèrent de bois, de prés, de champs. Tout à coup la maison des Glycines apparut à travers les arbres.

« Déjà! » pensa Cécile.« Je vous dépose devant la porte, dit Noël. Quand

vous aurez besoin de moi, vous klaxonnerez. »Dans le vestibule, Cécile rencontra la surveillante.« Vous venez voir votre tante? demanda celle-ci.— Oui; comment va-t-elle?— Très bien, ma foi. Depuis qu'elle est ici, elle n'a

présenté aucun symptôme anormal. Au contraire, le patron faisait remarquer hier qu'elle a l'esprit très vif pour son âge. C'est elle qui insiste pour être examinée plus à fond. »

Mlle Simone tricotait devant sa fenêtre. Elle se leva vivement pour embrasser la visiteuse.

« Ma petite Cécile! je ne pensais pas te voir aussi tôt! Comment va notre malade?

— Aucun changement, tante Simone. Mais c'est de toi qu'il faut parler. Comment te sens-tu?

— Très bien. A croire que je n'ai jamais été malade. Le patron est très encourageant. Si je n'avais pas le souvenir de ces moments terribles... Le genre de crise que j'ai eue peut se reproduire à l'improviste, n'importe où, n'importe comment.

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Pourrai-je jamais, avec cette inquiétude, assumer des soins auprès d'un malade?

— Tante Simone, parlons sérieusement. Depuis que tu es ici, tu n'as jamais revu de fantômes?

— Jamais.— Ecoute-moi bien, tante. Redis-moi exactement

comment tout cela s'est passé. »Mlle Simone répéta tout ce qu'elle avait déjà dit à sa

nièce. Mais tandis qu'elle parlait, l'idée venait soudain à Cécile qu'on pouvait envisager les événements d'une tout autre façon. Elle se demandait comment elle avait pu ne pas y penser jusqu'ici.

« Tu comprends bien, acheva Mlle Simone, que pour avoir de telles hallucinations il faut avoir la tête dérangée.

— Et s'il ne s'agissait pas d'une hallucination, mais d'une réalité? »

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Mlle Simone se mit à rire. « Tu ne vas pas me dire qu'à Ligeac il y a de vrais fantômes?

— Non, mais que dans la demi-obscurité une personne se déplaçant sans bruit peut en donner l'illusion. Un cambrioleur, par exemple.

— Tu imagines un cambrioleur drapé de blanc comme une apparition?

— Pourquoi pas, s'il cherche à faire peur?— Mon pauvre petit, ce n'est pas possible.

D'abord, personne ne pouvait entrer dans ma chambre sans passer par celle de Mme Tyssen...

— A moins d'emprunter la porte du bureau.— Elle était toujours fermée.— Tante Simone, tu ne prenais jamais rien, le soir,

avant de te coucher?— Je prenais du tilleul avec Mme Tyssen. Tu lui en

donnes sans doute, toi aussi?— Oui, tous les soirs.— Je le lui préparais moi-même — comme toi,

probablement —, je remplissais sa tasse et je buvais ce qui restait. J'avais d'ailleurs décidé de ne plus en prendre.

— Pourquoi cela?— Parce que cela ne me réussissait pas. Le matin

j'avais toujours un peu mal au cœur. »Cécile s'était levée. Tout ce qu'elle venait de vivre

depuis quelques jours lui apparaissait sous un jour nouveau. Et si, dans la disparition des diamants, Mme Tyssen avait été complice? Si elle avait versé dans le tilleul de son infirmière un somnifère quelconque pour l'empêcher d'entendre le voleur? Si Mlle Simone, dont le sommeil était

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toujours léger, s'était éveillée malgré tout, si elle avait, non pas imaginé, mais vu, une forme humaine traverser sa chambre?

Mais Mme Tyssen était incapable de verser quoi que ce fût dans une tasse. Elle pouvait tout au plus approcher ses lèvres du bord!

A moins que...« Qu'as-tu, Cécile? demanda Mlle Simone. On dirait

que tu trembles. Tu n'as pas pris froid, au moins? Tu n'es pas très couverte.

— Il fait très doux, tante, ne crains rien. Maintenant il faut que je parte. Je reviendrai bientôt, je te le promets.

— Mme Tyssen est vraiment très gentille de te laisser partir aussi souvent! »

Mme Tyssen...Pendant le trajet du retour, Cécile dut faire un effort

pour soutenir la conversation avec Noël, tant d'idées apparemment folles lui traversaient l'esprit. Si Mme Tyssen exagérait l'importance de sa paralysie, si elle pouvait faire un geste, un tout petit geste, celui de verser quelques gouttes dans une tasse à portée de sa main... En ce cas elle avait un complice. Alors... Noël? Non : elle le détestait trop pour jouer cette comédie dans son intérêt... A moins qu'il ne lui eût promis une partie des diamants — pour une valeur inférieure à la somme qu'eut exigée le fisc...

Non, disait une voix intérieure que Cécile ne parvenait pas à réduire au silence — pas Noël! pas Noël!

En rentrant à Ligeac, elle croisa la petite Monique sur le seuil du pavillon.

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« Tu viens me voir? demanda l'enfant.— Ce soir, je n'ai pas le temps. Mais demain, je te le

promets.— Bien vrai?— Puisque j'ai promis! »Elle entra vivement dans la maison. Mais ce fut avec

un sentiment de gêne qu'elle pénétra dans la chambre de la malade. Celle-ci l'accueillit d'un sourire.

« Eh bien, Cécile, notre chère Mlle Simone? comment l'avez-vous trouvée?

— Mieux, madame, merci. Et pour vous, l'après-midi s'est bien passé?

— Pas mal. Pauline, si je l'avais laissée faire, serait venue me voir toutes les cinq minutes. Mais elle m'agaçait et je lui ai dit de laisser simplement les portes ouvertes pour l'appeler en cas de besoin. »

Chaque mot qu'elle disait semblait maintenant suspect à la jeune fille. Mme Tyssen ne voulait pas être surveillée, pourquoi? Pourquoi aussi redoutait-elle tant la lumière et se tenait-elle toujours dans la pénombre? On attribuait ces singularités à son état — mais s'il y avait une autre raison?

Sans rien laisser paraître de son trouble, Cécile servit le dîner de la malade et fit sa toilette du soir. La boîte de chocolats était posée sur la table de chevet, comme de coutume, près du bord opposé à l'oreiller. Cécile remarqua que Pauline avait dû distribuer trois chocolats à sa patronne dans l'après-midi, comme le laissaient supposer les trois alvéoles vides du coffret.

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Elle mit un peu d'ordre et se retira dans sa propre chambre. Elle venait de se coucher lorsqu’elle entendit la malade appeler :

« Cécile, vous avez oublié mes chocolats! »Tout poussait l'infirmière à répondre à la demande de

sa malade. Elle se raidit : sa raison lui disait de faire la sourde oreille et d'observer.

Elle feignit donc de ne pas avoir entendu. Mme Tyssen appela encore une fois, puis se tut.

Le lendemain matin, dès son réveil, Cécile passa un peignoir et entra dans la chambre de la malade. Mme Tyssen ouvrit les yeux; ses bras pendaient, inertes, sur le drap.

« Vous ave/ bien dormi, madame?— Très bien, merci.— Je vous apporte votre petit déjeuner tout de

suite.»La jeune fille débarrassa la table de chevet pour faire

de la place pour le plateau. La boîte de chocolats était toujours au même endroit. Mais en la posant sur la commode, Cécile s'aperçut que le nombre des chocolats avait encore diminué, maintenant six alvéoles se trouvaient vides.

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XI

LA PREUVE était faite : pendant la nuit, Mme Tyssen, incapable de résister à la tentation des chocolats, avait avancé la main vers la boîte. Elle était donc capable tout au moins d'allonger le bras. Mais pourquoi vouloir le dissimuler?

Tout en se dirigeant vers la cuisine, Cécile essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Mme Tyssen était réellement paralysée : les examens du docteur Vallotton, pour incomplets qu'ils fussent, ne pouvaient laisser aucun doute à ce sujet. Mais elle voulait se faire passer pour plus impotente qu'elle ne l'était réellement. Dans quel but?

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Plus la jeune fille réfléchissait, plus elle était persuadée que ce mystère avait un rapport avec la disparition des diamants. Elle imaginait Mlle Tyssen versant un somnifère dans le tilleul de Mlle Simone pour permettre au voleur de traverser la chambre de l'infirmière sans que celle-ci s'en aperçût. Mais bien d'autres questions se posaient encore : comment le voleur avait-il pu pénétrer dans la maison? comment possédait-il la clef du coffre?

Soudain une idée traversa l'esprit de Cécile : et si le voleur n'était autre que Mme Tyssen elle-même? A première vue l'hypothèse semblait exclue étant donné l'état de la malade. Il faudrait alors supposer que le docteur Vallotton était son complice, qu'il faisait semblant de constater une paralysie qui n'existait pas... Mais Cécile se revoyait penchée sur la patiente, replaçant sur le drap le bras inerte et flasque. Vallotton, d'ailleurs, était connu et respecté dans toute la région; il n'était pas moderne, mais il était compétent, honnête-Une autre possibilité s'offrait : que la maladie de Mme Tyssen connût des moments de rémission. Le médecin ne lui en avait jamais parlé; était-ce médicalement possible?

Quand le docteur Vallotton vint faire sa visite, ce matin-là, Cécile l'observa avec attention, puis le suivit dans le vestibule.

« Toujours rien de nouveau, docteur? demanda-t-elle.

— Rien... Si dans quelques jours — disons lundi — l'état restait stationnaire, il faudrait nous décider à agir.

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— Vous voulez dire à l'hospitaliser? Elle n'y consentira jamais!

-— En ce cas, je ferais venir un spécialiste de Nevers ou même de Paris. Je voulais lui éviter les gros frais que représenterait cette solution. Mais je ne peux pas porter indéfiniment une telle responsabilité. »

II se dirigeait vers la porte. Cécile le retint.« Je voudrais vous demander quelque chose, docteur.

Est-il possible qu'un malade paralysé retrouve par intermittence l'usage de ses membres? »

Vallotton parut surpris.« Pourquoi me posez-vous cette question? Auriez-

vous constaté qu'à certaines heures les membres de Mme Tyssen reprenaient quelque élasticité? »

Cécile hésita : était-il de son devoir de rapporter au médecin l'incident des chocolats? Il lui sembla que non : il ne s'agissait pas d'un symptôme médical, mais d'une supercherie.

« Non, non, docteur, dit-elle vivement. Vous pensez bien que je vous l'aurais signalé. Mais depuis que je soigne Mme Tyssen, il est naturel que je m'intéresse davantage aux problèmes de la paralysie. Je voulais savoir si le fait est possible, voilà tout. »

Le vieux médecin secoua la tête.« A ma connaissance, non. La paralysie peut

régresser — j'espère bien que cela se produira finalement pour notre malade. Mais jamais cette

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affection ne présente de symptômes intermittents.« Je vois, mademoiselle Cécile, que vous cherchez à

vous instruire, c'est bien. A condition, naturellement, que vous ne vous mettiez pas à faire vous-même des diagnostics! »

Depuis qu'il la connaissait mieux, le médecin se montrait plus cordial et même la taquinait gentiment.

Quant à Cécile, sous l'apparente froideur du vieil homme, elle découvrait une profonde humanité.

Elle se reprochait de l'avoir soupçonné, ne fût-ce qu'un instant, de complicité dans une affaire douteuse.

Ils se séparèrent amicalement. Mais quand Cécile rentra dans la chambre de la malade, elle était songeuse. L'explication qu'elle avait crue

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médicalement plausible ne l'était donc pas... «Alors, vous avez encore parlé de moi? interrogea gaiement Mme Tyssen. Qu'est-ce que le docteur vous a dit? Il ne me trouve pas plus mal?

— Non, mais il m'a dit que puisque vous refusiez toute consultation à l'hôpital, il se verrait obligé de faire venir un spécialiste de Paris. »

Etait-ce une illusion? La jeune infirmière crut surprendre dans les yeux de la malade une expression d'effroi.

« L'ennui, poursuivit Cécile, c'est que cela coûtera cher, très cher, alors qu'à l'hôpital de Nevers il y a un corps médical tout aussi compétent et que probablement le spécialiste parisien vous y enverra. »

Mme Tyssen ne répondit pas. Au bout d'un moment elle reprit son expression douce et résignée.

« Qu'allez-vous me donner de bon à déjeuner aujourd'hui, ma petite Cécile?

— Une escalope. Et comme dessert une tarte aux framboises.

— Vous me gâtez! »Elles bavardèrent ainsi un moment, échangeant des

propos anodins. Après le repas, Mme Tyssen fit sa sieste habituelle, tandis que Cécile allait déjeuner.

« Vous avez l'air préoccupée, remarqua Pauline. Ce n'est pas ce que vous a dit le docteur Vallotton qui vous inquiète?

— Oh, non. Mais je pensais à Mme Tyssen, c'est exact. Je me demandais si elle finirait par consentir à se faire hospitaliser.

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— C'est vrai que ça changerait bien des choses pour vous. Si elle allait à l'hôpital, elle n'aurait plus besoin d'une infirmière; vous seriez obligée de quitter Ligeac. »

Jamais encore Cécile n'avait envisagé la question sous cet angle. Ne plus voir Mme Tyssen, dont maintenant elle se méfiait, serait plutôt une délivrance. Mais une fois partie, reverrait-elle jamais Noël? Brusquement, elle prit conscience, de la place qu'en quelques jours le neveu de M. Tyssen avait prise dans sa vie.

Elle rentra dans la chambre en proie à des sentiments contradictoires. Mme Tyssen mentait, mais dans quelle intention? Etait-elle complice de Noël, ou au contraire cherchait-elle à le léser? Cécile avait besoin de le savoir. Dans le premier cas, elle était prête à excuser beaucoup de choses; dans le second...

Elle jeta machinalement les yeux autour de la chambre. La porte de la salle de bain était restée ouverte; Cécile apercevait contre le mur de droite le petit chiffonnier blanc auquel la malade lui avait demandé de ne pas toucher. Elle ne s'était pas étonnée de cette défense: Mme Tyssen lui avait dit elle-même que ce petit meuble renfermait des souvenirs. Tout à coup elle se demanda s'il ne renfermait pas autre chose, par exemple... les diamants!

L'idée, d'abord, lui sembla folle. Pourtant, à la réflexion, si Mme Tyssen avait pris les diamants, elle n'avait pu les cacher que dans cette chambre, sous d'autres objets, peut-être dans ces tiroirs que personne n'ouvrait jamais...

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Cécile se tourna vers la malade. Celle-ci somnolait apparemment et ne tarderait pas à se réveiller. Elle demanderait peut-être à la jeune fille de lui faire la lecture, puis elle dormirait de nouveau jusqu'au dîner. Pendant ce sommeil, Cécile en profiterait pour aller dans la salle de bain explorer les tiroirs...

Comme prévu, Mme Tyssen ouvrit bientôt les yeux et Cécile lui fit la lecture. Durant celle-ci, la jeune fille se sentit mal à l'aise, sa résolution d'inspecter les placards de la salle de bain la préoccupait. Certes, ce ne serait qu'une indiscrétion anodine puisque le tiroir qu'elle ouvrirait n'était même pas fermé à clef. Elle ne prendrait rien, jetterait seulement un regard... Si ce n'était la pensée que Noël était frustré, volé, elle eût volontiers laissé les choses suivre leur cours sans intervenir!

« J'ai l'impression que ce livre ne vous intéresse pas beaucoup, Cécile », dit Mme Tyssen.

A vrai dire, la jeune infirmière lisait mécaniquement et le sens des mots lui échappait. Toute à ses pensées : « Oserai-je? » et la réponse venait toujours la même : « II le faut »...

« De toute façon, dit Mme Tyssen, j'en ai assez, moi aussi. »

Elle désigna des yeux la pendule.« II est quatre heures et demie. Je prendrais bien une

tasse de thé. »Pour Cécile, l'heure du goûter était un moment de

répit. Des gestes à faire : le thé, les biscuits, la confiture...« Je mangerais bien aussi un ou deux chocolats,

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dit Mme Tyssen. Ceux que m'a apportés Noël sont excellents. »

Cécile se sentit rouge. N'était-ce pas grâce à ces friandises qu'elle avait eu la preuve du mensonge de la malade?

« Prenez-en, vous aussi, dit Mme Tyssen. Un seul? vous êtes trop discrète. Un pour chaque main, comme disent les enfants. »

Elle souriait si gentiment en disant ces mots que Cécile éprouva un remords. Et si tous ses soupçons n'étaient qu'un fruit de son imagination? si la malade était vraiment telle qu'elle la jugeait quelques jours plus tôt : bienveillante, humaine...

« Maintenant je vous délivre. Vous devez avoir envie d'aller vous promener un peu. Vous n'avez pas encore vu votre grande amie Monique, il me semble?

— J'irai la voir tout à l'heure, je le lui ai promis. Mais je voudrais d'abord écrire une lettre. »

Par la porte entrouverte de sa chambre, elle apercevait le visage pâle de Mme Tyssen, ses cheveux très noirs sur l'oreiller blanc. Les yeux restèrent immobiles un moment, fixant le plafond, puis ils papillotèrent, se fermèrent. Le souffle régulier de la malade attestait la présence du sommeil.

Cécile se leva lentement et se dirigea vers la porte. Au moment où elle franchissait le seuil, une lame du parquet craqua légèrement sous son pas. Son cœur battit; elle leva les yeux vers la malade. Mais celle-ci était toujours aussi calme.

Lentement, à pas de loup, Cécile s'avança dans la pièce. Depuis quelques jours elle imaginait tous

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les détails d'un cambriolage possible, et c'était elle maintenant qui marchait comme un cambrioleur. Avant d'entrer dans la salle de bain, elle jeta un dernier regard vers Mme Tyssen, puis, rassurée, ouvrit la porte et s'approcha du chiffonnier.

Elle ouvrit le premier tiroir, celui qui se trouvait à la hauteur de sa main. A sa grande surprise, il était vide. Elle apercevait seulement, dans un coin, ce qui lui parut être un flacon de pharmacie — objet assez naturel, en somme, dans une salle de bain. Une seringue de petite taille était posée à côté du flacon.

Elle refermait doucement le tiroir quand elle entendit un léger bruit derrière elle. Avant qu'elle eût le temps de faire le moindre mouvement, deux mains la saisirent à la gorge.

Dans un sursaut, elle essaya de se dégager. Elle agrippa de toutes ses forces une des mains qui l'étranglaient et parvint à lui faire lâcher prise. Alors, se retournant, elle découvrit d'un regard l'aspect insolite de la chambre : le lit grand ouvert, la literie éparse sur le tapis. Et tout près d'elle, presque méconnaissable, le visage haineux, menaçant, de Mme Tyssen.

Elle tenta de pousser un cri; une main s'appliqua sur sa bouche, tandis qu'une autre lui tordait le poignet. De sa main libre, elle parvint à se dégager, mais un coup de genou l'atteignit au ventre. Sous l'effet de la douleur elle faiblit un instant, puis, raidissant tous ses membres, tenta de repousser Mme Tyssen.

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XII

LES DEUX FEMMES luttaient en silence, le corps -Li tendu, les dents serrées. Non seulement Mme Tyssen n'était nullement paralysée, mais elle était robuste. Plus grande que Cécile, elle était aussi plus vigoureuse. La jeune infirmière ne pouvait même pas appeler au secours et elle sentait que si elle relâchait son effort ne fût-ce qu'un instant, elle était perdue.

Elle ne se posait plus de questions; elle n'avait qu un but : échapper à la forcenée. Malgré toute son énergie, elle sentait ses forces l'abandonner. En reculant, elle fit un faux pas et glissa sur le carrelage; adossée au mur, elle voyait s'avancer

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vers son visage le masque effrayant de Mme Tyssen, les yeux brillants de rage.

Les genoux de Cécile fléchissaient; elle entendait dans ses oreilles un bourdonnement sourd comme celui de la mer.

A ce moment, elle perçut un bruit dans le couloir. Quelqu'un frappait à la porte — une fois, deux fois. Elle eut un sursaut d'énergie et parvint à se redresser. L'instant d'après, Noël entrait dans la chambre.

« Cécile! » s'écria-t-il.Il bondit dans la salle de bain, saisit Mme Tyssen

par-derrière, à bras le corps, et tordit la main qui serrait la gorge de la jeune fille. Mme Tyssen se retourna brutalement et lui lança en plein visage un coup de poing qui le fit tituber. Il recula d'un pas, puis, lâchant la furie, s'élança vers Cécile.

« Vous n'avez pas de mal? » demanda-t-il inquiet.Elle fit signe que non; tous deux se retournèrent vers

Mme Tyssen. Celle-ci était debout au milieu de sa chambre, toute droite dans sa longue chemise blanche.

« Le fantôme! » murmura Cécile.Noël tenta de s'avancer.« Ma tante... » commença-t-il.Il tendait les mains vers elle. Elle resta un instant

immobile, comme hésitante, puis, brusquement, fonça vers la chambre de l'infirmière et referma la porte derrière elle. La clef tourna dans la serrure. Les deux jeunes gens se regardèrent.

« Cécile, demanda Noël, que se passe-t-il? »

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La jeune fille haletait encore.« Je vous expliquerai tout. Mais il ne faut pas la

laisser ainsi. »Ils essayèrent de parlementer à travers la porte... Ils

entendaient Mme Tyssen aller et venir fébrilement, mais elle ne répondait pas.

« Si vous n'ouvrez pas, menaça le jeune homme, j'enfonce la porte! »

Toujours rien.« Ecartez-vous, Cécile », dit Noël.La porte était solide. Il se lança contre elle à

plusieurs reprises sans autre résultat que de l'ébranler. Pendant ce temps Cécile, qui s'était écartée comme il le lui avait demandé, s'approchait de la fenêtre et jetait les yeux au-dehors.

Tout à coup elle poussa un cri. La fenêtre de la chambre voisine s'ouvrait brusquement. Mme Tyssen, drapée dans le manteau bleu de Cécile et portant un paquet sous le bras, sautait dans le massif de buisson ardent.

Au même instant, la porte céda enfin; Noël fit irruption dans la chambre de l'infirmière et aperçut la silhouette de sa tante fuyant, pieds nus, vers la cour.

« Ma voiture! » s'exclama-t-il.Il sauta à son tour par la fenêtre. Mais il était trop

tard. Mme Tyssen avait pris place sur le siège de l'Austin, qui démarrait en trombe.

Cécile, qui avait fait le tour par le vestibule, arriva juste à temps pour voir la voiture franchir la grille et disparaître au tournant du chemin.

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Les deux jeunes gens échangèrent un regard stupéfait.

« Elle est guérie, murmura Noël. Mais elle est devenue folle, ce qui est pire...

— Elle n'a jamais été paralysée, dit sombrement Cécile. Il faut prévenir la police, tout de suite. Mme Tyssen est partie avec vos diamants. »

Noël la regarda sans comprendre. « Mes diamants? répéta-t-il. Qu'ont-ils à voir avec tout ceci?

— Ce paquet qu'elle emporte... Je vous raconterai tout. Mais appelez la police immédiatement, je vous en prie! Dites qu'on vous a volé les diamants et que le voleur est en fuite. »

II hésitait.« Mais, Cécile, ces diamants ne m'appartiennent pas.

Vous savez comme moi que le coffre était vide. Si elle les emporte, elle est peut-être dans son droit. Mon oncle a pu les lui donner lui-même après notre brouille.

— Alors elle n'aurait pas fait ouvrir le coffre ni joué toute cette comédie! Appelez, Noël, je vous en supplie. Il faut la rattraper! il le faut! »

Noël se décida brusquement.« Inutile d'alerter la police, déclara-t-il, je vais

prendre la Bentley, avec cette grosse voiture je la rejoindrai rapidement. Le seul moyen d'y voir clair est de la faire parler.

— N'allez pas trop vite, Noël! » supplia la jeune fille en l'accompagnant jusqu'à la porte.

Elle resta seule, bouleversée. Sa première pensée fut de se réfugier auprès de Pauline, mais elle réfléchit qu'il était peut-être préférable de ne rien dire à personne tant

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que la situation ne serait pas éclaircie. Elle décida de dissimuler son trouble et de paraître indifférente, au moins jusqu'au retour de Noël.

Alors qu'elle traversait le vestibule, Pauline passa la tête par la porte de la cuisine.

« Je fais un flan pour madame. Vous aimez ça aussi, n'est-ce pas?

— Oui, beaucoup. »Elle revint lentement vers la chambre de Mme Tyssen.

La pièce était dans un désordre indescriptible : deux, chaises renversées, draps et couvertures épars sur le sol. Elle avait peine à réaliser ce qui venait de se passer. Pouvait-on simuler une telle paralysie? Mme Tyssen était comédienne de métier, certes, mais comment avait-elle pu rester immobile, les membres inertes, des heures, des jours. Elle s'était jouée magistralement de tout son entourage.

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Cécile se souvint alors de la façon, dont la prétendue malade évitait la lumière, du désir qu'elle manifestait souvent de rester seule. Lorsqu'elle envoyait son infirmière aux Glycines voir Mlle Simone, n'était-ce pas dans le but de sortir quelques heures, sans témoin gênant, d'une immobilisation insoutenable? Plus inconcevable encore était le comportement du docteur Vallotton. Il examinait Mme Tyssen chaque jour depuis deux mois. Aucun médecin n'aurait été dupe... Fallait-il croire à une complicité entre le médecin et sa malade? Mais Pauline et Marcel affirmaient qu'il avait bonne réputation dans le pays. Il n'était pas moderne, mais il était consciencieux, capable...

Cécile pénétra dans la salle de bain, s'approcha du chiffonnier et ouvrit les trois tiroirs. Celui du haut et celui du bas étaient vides; dans le troisième, elle prit le flacon de pharmacie qu'elle avait remarqué et l'examina. Il ne portait aucune étiquette. Elle le déboucha : l'odeur était assez désagréable, mais ne lui rappelait aucun médicament. Etait-ce là le somnifère que Mme Tyssen avait administré à Mlle Simone? Mais en ce cas pourquoi tant de mystère? Des somnifères, l'armoire à pharmacie en contenait plusieurs...

La jeune infirmière passa ensuite dans sa propre chambre; le vent qui s'engouffrait par la fenêtre ouverte la fit frissonner. Elle s'aperçut que sous cette fenêtre un morceau de la plinthe avait été arraché; par-derrière se trouvait une cavité au fond de laquelle une fente étroite lui-sait au soleil couchant. C'était là, sans doute, que Mme Tyssen avait caché les diamants, et les y avait pris avant de fuir.

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Instinctivement, Cécile se baissa et passa la main contre les parois du trou. Mais elle ne ramena au bout de ses doigts que des traces de poussière rougeâtre, comme de la brique écrasée.

Elle se releva et resta un moment immobile. Elle pensait à Noël : pourvu que dans son désir de rattraper la fugitive il ne fît pas d'excès de vitesse! Il n'avait pas l'habitude de conduire une voiture aussi puissante que la Bentley. Elle imaginait un accident, se souvenait des blessés de la route qu'on descendait de l'ambulance, devant la porte de l'hôpital.

Pour chasser ces affreuses pensées, elle résolut d'aller au pavillon voir Monique à qui la veille elle avait promis sa visite. La nuit commençait à tomber; Marcel avait fini sa journée; il se chauffait devant le fourneau sur lequel une marmite répandait une bonne odeur de pot-au-feu. Sa femme, debout devant l'évier, préparait une salade.

« Ah! mademoiselle Cécile! s'exclama-t-elle. Monique croyait que vous l'aviez oubliée. Mme Tyssen ne va pas plus mal, j'espère?

— Non, non, répondit vivement la jeune infirmière. J'ai été occupée, voilà tout. »

Déjà la petite fille se pressait contre elle et glissait un objet dans sa poche.

« C'est un cadeau pour toi, rien que pour toi! »La mère sourit.« Elle doit finir par vous ennuyer, avec ses marrons!

Que voulez-vous, quand elle aime beaucoup les gens, elle éprouve le besoin de leur donner quelque chose.

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— C'est très gentil, déclara Cécile. Cela prouve qu'elle ne sera ni avare ni égoïste. Ses petits présents me font toujours plaisir.

— Dites-moi donc, interrompit le jardinier, que s'est-il passé il y a un moment? Je sortais de la maison lorsque j'ai aperçu la Bentley rouler à vive allure vers la route. M. Noël qui était au volant m'a vaguement salué. J'ai pensé qu'il avait des ennuis avec sa voiture et qu'il filait chercher un réparateur. Mais j'ai regardé dans la cour, la petite Austin n'y est pas. »

Cécile ne savait que répondre.« Je n'ai pas bien compris ce qui s'est passé. Il a

laissé sa voiture je ne sais où; il est venu chercher celle de sa tante... »

Marcel secoua la tête.« Ces petites voitures, voyez-vous, au fond ça ne

vaut jamais grand-chose. Je sais bien que M. Noël ne peut pas se payer une Bentley...

— S'il avait hérité comme il le devait, il l'aurait pu! » remarqua sa femme.

Il y eut un silence, puis le jardinier reprit : « J'ai remarqué aussi que vous aviez laissé la fenêtre de votre chambre ouverte. Ce n'est pas très prudent : l'air est frais dès que le soleil se couche.

— Vous avez raison, je vais aller la fermer », dit Cécile en se levant, heureuse d'éviter des questions plus embarrassantes.

Elle sortait du pavillon juste quand la Bentley rentrait. Elle s'élança au-devant de Noël. « Alors? Vous ne l'avez pas retrouvée? »

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Le jeune homme fit signe que non.« J'espérais la rattraper avant la bifurcation, mais une

fois là, impossible de savoir quelle direction elle avait prise. J'en ai suivi une au hasard, mais bientôt, n'apercevant pas mon Austin, j'ai pensé que je faisais fausse route.

— Alors téléphonez vite à la police. Il faut alerter tous les postes avoisinants.

— Je l'ai déjà fait, Cécile; je me suis arrêté à une cabine téléphonique sur la grand-route. J'ai signalé qu'on avait pris ma voiture; le brigadier de gendarmerie m'a demandé si j'avais une idée de l'identité du voleur. J'ai répondu que non; je n'avais pas le courage d'accuser ma tante. Ai-je eu tort, Cécile?

— Vous en jugerez par vous-même. Quand je vous aurai tout raconté. »

Comme ils passaient devant la cuisine, Pauline demanda ce qui arrivait, et si madame attendait son repas du soir.

Ce fut Noël qui répondit :« Elle n'est pas très bien; il vaut mieux qu'elle reste

un peu à la diète.— Mais dites donc, dans son état il faut qu'elle

mange, ou bien elle va encore s'affaiblir! Mon flan était si bien réussi! ajouta tristement Pauline.

— Ne vous tourmentez pas pour lui, dit le jeune homme. Je reste pour dîner, si cela ne vous dérange pas.

— Me déranger, vous, monsieur Noël! Au contraire, ça me rappellera le bon temps de monsieur. Je vais vite mettre vos deux couverts dans la salle.

Elle s'élança au devant de Noël. -»

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— Mais je peux très bien dîner à la cuisine avec vous.

— Jamais de la vie! »Noël n'insista pas, il avait hâte de se trouver seul

avec Cécile et de connaître les événements de la journée.

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LE FANTÔME DE LIGEAC

XIII

PENDANT le dîner, ils parlèrent de façon décousue, interrompus par les allées et venues de Pauline. Ils mettraient la cuisinière au courant demain, mais pour le moment ils préféraient ne rien lui dire. Cécile raconta à Noël ses premiers doutes, la part de comédie qu'elle découvrait — mais qu'elle croyait alors partielle. La vérité, elle ne l'avait comprise que deux heures auparavant, quand Mme Tyssen s'était jetée sur elle.

« Si j'avais ouvert les yeux plus tôt, Noël, rien de tout cela ne serait arrivé... Mais j'ai de l'espoir malgré tout. Je suis sûre que la police... »

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Noël secoua la tête.« La police retrouvera ma tante, je n'en doutepas. Ma vieille Austin ne va pas vite; les gendarmes

feront garder toutes les routes qui partent du carrefour où je l'ai perdue de vue. Pour les diamants, raisonnablement, je ne pense pas qu'on me les rende.

— Comment cela, Noël? Le testament de votre oncle...

— Elle peut dire que son mari les lui avait donnés en lui interdisant d'en parler. Elle peut inventer n'importe quoi. De toute façon, personne ne croira qu'elle ait pu s'en emparer, surtout si le docteur Vallotton témoigne du contraire.

— C'est justement à lui que je pensais. Il est impossible qu'un médecin se trompe à ce point!

— Je ne sais pas, Cécile, moi non plus je ne comprends pas. Mais savez-vous que malgré tout cela, je suis heureux.

— Vraiment?— Oui. Je sais maintenant que mon oncle ne m'a pas

déshérité, qu'il n'est pas mort fâché contre moi. Si vous saviez à quel point cette pensée m'a tourmenté depuis l'ouverture du coffre! Je me disais que pour en arriver là il avait dû beaucoup souffrir par ma faute. Savoir qu'il n'en est rien, c'est un soulagement immense... »

L'entrée de Pauline les interrompit.« Madame prendra peut-être son tilleul un peu plus

tard?... Mais il ne fait pas chaud ici, la salle a été fermée depuis trop longtemps. Si vous passiez au salon? Il y a des bûches dans le panier. Voulez-vous que je vous prépare une flambée?

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— Non, merci, dit Noël, nous nous en occuperons nous-mêmes. Venez, Cécile. »

Dans le salon il y avait une grande cheminée. On n'y avait pas allumé de feu depuis la mort de M. Tyssen, cependant le panier était rempli de bûches, de petit bois, même de vieux journaux.

« Vous savez faire une flambée? demanda Noël.— Je n'ai eu guère l'occasion d'en faire, habitant en

ville où il y a le chauffage central, et je n'allais à la campagne que l'été.

— Alors je vais vous apprendre à faire un beau feu.»Cécile regarda le jeune homme placer le petit bois

sous les bûches, puis approcher son briquet du papier. Une flamme joyeuse jaillit dans l'âtre.

« Que c'est beau! déclara Cécile.— N'est-ce pas? Quand j'aurai une maison à moi, il

y aura une grande cheminée, comme celle-ci. »La flamme baissa, comme toujours quand elle se

communique du papier au bois, puis elle reprit en crépitant. Les deux jeunes gens la regardaient, côte à côte, jouissant de l'intimité créée par la chaleur du foyer.

Tout à coup un tison tomba sur les dalles. Cécile, saisissant les pincettes, se baissa vivement pour le remettre sur les bûches. Comme elle se penchait en avant, un objet rond, enveloppé de papier, glissa de sa poche et roula vers le feu.

« Le marron de Monique! » fit-elle en souriant.Mais le papier flambait déjà, découvrant une petite

masse arrondie qui fit pousser un cri à Noël :« Un diamant! »

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II se pencha à son tour et ramassa l'objet. C'était un gros diamant, en effet, il étincelait à la lueur du feu, dans la paume ouverte du jeune homme.

« Comment... comment est-ce possible? » balbutia Cécile.

Noël examinait la pierre avec attention.« C'est un de ceux que mon oncle m'avait montrés,

déclara-t-il. Il m'avait fait remarquer que la taille n'est pas la même qu'en Europe. »

II releva la tête vers Cécile. Celle-ci tremblait de la tête aux pieds. Noël allait-il croire qu'elle avait trempé dans cette affaire de diamants? Mais cette idée ne l'effleura même pas.

« Que vouliez-vous dire, Cécile, par « le marron de Monique »? interrogea-t-il.

— La fille du jardinier a l'habitude de me faire de petites surprises à sa façon, en fourrant dans ma poche un objet quelconque. Elle m'a donné ça avant dîner. J'ai cru que c'était un marron comme la dernière fois.

— Elle vous a évidemment donné ceci sans se douter de sa valeur. Savez-vous que ce diamant, à lui seul, représente déjà une fortune? Pour elle, c'était sans doute un joli caillou brillant, rien de plus.

— J'en suis sûre, dit Cécile. Mais cela ne nous explique pas comment ce joli caillou a pu se trouver entre ses mains.

— En effet. Mon oncle était un original, mais pas au point de donner un diamant à une enfant pour s'amuser. Je pense que ma tante, en emportant les diamants comme c'est probable, en aura

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laissé tomber un; dans sa précipitation elle n'aura rien remarqué.

— C'est sans doute la seule explication plausible. Monique a l'habitude de fureter un peu partout dans le jardin; elle aura découvert la pierre brillante et l'aura cachée dans son « trésor ».

— Cela, Monique seule pourra nous le dire. » Noël se levait déjà; Cécile l'arrêta.

« II est près de minuit : à cette heure-ci toute la famille est couchée. D'ailleurs je pense qu'il vaudrait mieux questionner la petite en tête à tête. Elle est très secrète; si elle consent à parler, elle le fera plus facilement sans la présence de ses parents.

— Vous avez raison, Cécile, vous connaissez les enfants mieux que moi. Mais la nuit va me sembler bien longue.

— Elle ne sera plus bien longue maintenant, dit la jeune fille. Marcel se lève avec le jour; un peu plus tard sa femme éveille Monique, l'habille, la fait déjeuner, puis la conduit jusqu'à la route où le car de ramassage de l'école vient la prendre à huit heures, je crois.

— Vous pensez que les parents nous laisseront emmener la petite à ce moment-là, et lui feront manquer l'école?

— Ce n'est pas bien grave de manquer la maternelle; cela lui arrive souvent. Il faudra seulement avertir le chauffeur du car. »

Noël soupira.« Alors nous n'avons plus qu'à attendre. Allez vous

coucher, Cécile.

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— Et vous, Noël?— Je m'allongerai ici, sur le divan.— Je vais vous apporter des couvertures.— Inutile, j'entretiendrai le feu. »Cécile s'éloigna à regret. Elle ne se déshabilla pas et

ôta seulement sa blouse pour s'étendre sur son lit.Elle ne ferma pas l'œil de la nuit. Il faisait à peine

jour quand elle entendit sonner le téléphone. Elle passa vivement sa blouse et courut jusqu'au vestibule. Noël était déjà là, l'écouteur à la main.

« Oui, brigadier, c'est moi... Ah, vous avez retrouvé ma voiture! Abandonnée au coin d'une route, dites-vous?»

II fit signe à Cécile de prendre le second écouteur.« La voiture était vide, dit le gendarme. Le voleur a

évidemment continué la route à pied. La voiture est en bon état; a priori il n'y manque rien. Vous ne m'avez pas précisé hier soir si elle renfermait des objets d'une certaine importance. En ce cas il faudrait continuer la poursuite. Sinon, il est probable qu'on a pris votre voiture simplement pour la commodité du transport. Les gens ne se gênent plus, de nos jours...

— Je pense que vous avez raison, brigadier; ma voiture ne contenait aucun objet précieux; on me l'aura « empruntée » pour faire un bout de route. Vous me l'avez retrouvée, c'est tout ce que je voulais, et je vous en suis très reconnaissant. Vous dites qu'on me la ramènera dans l'après-midi? c'est parfait... »

II raccrocha.

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« Vous n'avez pas parlé des diamants, remarqua Cécile.

— Qu'en aurais-je dit? » soupira-t-il. Pauline, ayant entendu du bruit, apparut dans

un peignoir à fleurs.« Qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qui se passe?— Pauline, dit Noël, il s'est passé en effet bien des

choses. Je vous expliquerai tout, je vous le promets.— Mais madame? Tout ça ne l'a pas éveillée?— Madame n'est plus ici, dit Cécile.— Ah, mon Dieu! elle allait donc plus mal? on l'a

transportée à Nevers pendant la nuit? Et moi qui n'ai rien entendu! »

Comme les jeunes gens ne répondaient pas, elle demanda, désappointée :

« Alors je ne peux servir à rien?— Si, Pauline, dit gentiment le jeune homme. Si

vous ne voulez pas aller vous recoucher, vous pouvez nous faire un café très chaud. Nous en avons bien besoin.»

Ils prirent leur café avec plaisir, attendirent un moment encore, puis se dirigèrent vers le pavillon. Devant la porte ils croisèrent Marcel qui sortait.

« Vous vous levez bien tôt! remarqua celui-ci en les voyant. Ça ne va pas plus mal là-haut, j'espère?

— Non, non. Mais il fait bon, à cette heure-ci, dans le jardin.

— C'est le meilleur moment de la journée », déclara Marcel avec conviction.

Au bruit dés voix, Mme Boucard parut sur le

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seuil. Monique, en pyjama de nuit, était accrochée à ses jupes.

« Mademoiselle Cécile! s'écria l'enfant. Maman, je peux aller avec elle?

— Pourquoi pas? dit Cécile. Vous lui permettez de venir prendre un bol de chocolat avec nous, madame Boucard?

— Oh! oui! oui! » s'écria Monique ravie. La mère hésitait.

« II y a l'école, dit-elle. Et puis ça ne plaira peut-être pas à madame.

— Je vous assure que madame ne dira rien. Alors, c'est oui? »

Mme Boucard céda. Elle envoya son mari prévenir le chauffeur du car que la petite n'irait pas à la maternelle ce jour-là. Puis elle habilla Monique en hâte et la regarda s'éloigner, la main dans la main de sa grande amie.

« Mlle Cécile la gâte, comme toujours, dit-elle à Marcel. Mais on ne m'ôtera pas de l'idée que depuis hier il se passe quelque chose d'anormal! »

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XIV

« LAISSEZ-MOI FAIRE, avait dit Cécile à Noël. Si nous voulons que la petite parle, il ne faut pas la questionner immédiatement. Nous devons commencer par la mettre en confiance.

— Je m'en remets à vous, Cécile », dit Noël.Ils entrèrent dans la maison et le jeune homme

demanda à Pauline stupéfaite de préparer un chocolat au lait bien sucré. Quand il la pria de l'apporter dans la salle à manger, la pauvre femme eut l'impression que les événements de la nuit avaient dérangé les esprits des habitants de Ligeac.

« C'est pour la gamine? demanda-t-elle.— Oui, répondit Noël.

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— Ses parents ne peuvent plus la nourrir, à présent?»

Le jeune homme ne put s'empêcher de rire.Pauline, un peu vexée d'être tenue à l'écart,

bougonna:« Au moins, dites-moi si vous serez là pour déjeuner.

Il faut que je le sache, si vous ne voulez pas mourir de faim.

— Oui, Pauline, je serai là. Je reste à Ligeac au moins toute la journée.

— Moi aussi, Pauline, dit Cécile. Je ne partirai sans doute que demain matin.

— Alors vous partez aussi, vous? Vous n'attendez pas le retour de madame? Je vais donc rester seule dans cette maison, où je mourrai de peur...

— Vous avez peur des fantômes, Pauline? » demanda Noël en jetant à Cécile un coup d'œil malicieux.

La cuisinière se fâcha.« Vous vous moquez de moi, monsieur Noël, je le

vois bien. Mais qu'est-ce que vous en savez, vous, des fantômes? Je connais des gens aussi calés que vous qui y croient! »

Puis elle sortit pour préparer le chocolat.Pendant ce temps, dans la salle à manger, Monique

regardait avec admiration le grand buffet avec sa vitrine derrière laquelle brillaient des objets d'argent.

« C'est joli, ici! déclara-t-elle.— Tu n'y étais jamais venue?— Si, une fois, à Pâques, monsieur nous avait donné

des œufs en sucre. Mais j'étais encore toute petite! » ajouta-t-elle en se redressant.

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L'enfant jeta alors un regard discret vers la poche de Cécile.

« Tu l'as toujours? » chuchota-t-elle.Puis, comme Cécile faisait « oui » de la tête, elle

posa un doigt sur ses lèvres.« Chut! » fit-elle d'un air mystérieux.La jeune infirmière comprit : pour Monique, les

cadeaux qu'elle lui faisait devaient rester un secret entre elles deux. Elle fit un signe à Noël.

« Si vous alliez demander quelques rosés à Marcel? Il y en a qui viennent de s'ouvrir. »

Noël se leva et sortit de la salle. Aussitôt la petite fille demanda :

« Fais-la voir, la pierre. Je veux te montrer comme elle brille au soleil. »

La pierre, Cécile ne l'avait plus; elle l'avait remise à Noël.

« Tout à l'heure, dit-elle. Mais je voudrais te demander quelque chose, Monique. Qui te l'a donnée, cette belle pierre?

— Personne; c'est moi qui l'ai trouvée.— Hier soir? juste avant de me la donner?— Oh! non, il y a longtemps, plusieurs jours.— Mais où donc?— Au même endroit que les autres. » Cécile haussa

les sourcils.« II y en a donc d'autres? » L'enfant hocha la tête

avec énergie. « Oui, beaucoup — plus de dix. Je sais compter jusqu'à dix, après je m'embrouille. Je t'en donnerai encore, si tu viens me voir. »

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Cécile était plus émue qu'elle ne voulait le montrer. Elle s'efforça de parler avec calme. « Mais où les as-tu trouvées?

— Tu ne le répéteras à personne? Je ne veux pas que papa et maman le sachent; ils me gronderaient d'avoir désobéi.

— Tu peux me le dire; personne ne te grondera.— Sûr?— Oui, sûr.— Eh bien, tu sais que ce n'est pas permis d'aller

jouer tout près de la maison : monsieur et madame avaient peur que j'abîme les plates-bandes. Seulement, après, monsieur n'était plus là, madame était dans son lit, elle ne pouvait pas me voir. Alors, quelquefois, en cachette de papa, je m'amusais dans le buisson ardent, juste sous ta fenêtre. Comme ça je me disais que j'étais près de toi... »

Le cœur de Cécile battait très fort : elle allait avoir la clef du mystère. Mais à ce moment un bruit au-dehors lui fit tourner la tête; une voiture s'arrêtait devant la porte : c'était le docteur Vallotton. Il venait pour sa visite quotidienne, ainsi elle allait pouvoir le questionner.

Il entra dans le vestibule, suivi de Noël.« Attends-moi un instant, dit Cécile à la petite fille.

Ne bouge pas jusqu'à ce que je revienne.— Tu me prêtes la jolie pierre pour que je m'amuse

avec? Je te la rendrai, tu sais.— Je ne peux pas, je l'ai rangée. Bois tranquillement

le chocolat que t'a apporté Pauline et amuse-toi à regarder les vitrines. »

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Elle rejoignit le médecin et Noël devant la porte de la chambre.

« Docteur... Noël vous a dit ce qui s'était passé? Hier, à la fin de l'après-midi, Mme Tyssen s'est levée...

— Levée! »Le vieux médecin eut un haut-le-corps.« Que me racontez-vous là? Mme Tyssen est

incapable de faire un mouvement. Hier matin encore, quand je l'ai examinée, elle n'avait aucune réaction musculaire... Je vais d'ailleurs m'en assurer, ajouta-t-il en saisissant la poignée de la porte.

— Vous ne verrez rien, docteur, dit l'infirmière. Mme Tyssen s'est enfuie.

— Enfuie! »II ouvrit la porte de la chambre. A la vue du lit

ouvert et de la literie éparse, il poussa une exclamation.« Ce n'est pas possible! Où est-elle?— Docteur, demanda Cécile, vous êtes sûr,

absolument sûr, qu'elle était paralysée?— Tellement sûr que je ne crois rien de ce que vous

me racontez. Je constate qu'on a emmené la malade. Mais qui? où?

— Personne d'autre que nous n'est entré dans cette chambre, déclara Cécile.

— Alors c'est vous qui... Où l'avez-vous transportée? à Nevers peut-être? Je sais que vous, Cécile, étiez partisan de l'hospitalisation. »

La jeune infirmière rougit. « Je l'étais, docteur, comme vous-même hier. Mais vous pensez bien que je ne me serais pas

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permis de prendre une décision pareille. Je suis ici pour exécuter vos ordres, rien de plus.

— Docteur, intervint Noël, pardonnez-moi de vous demander cela, mais n'auriez-vous pas commis une erreur de diagnostic? Ne vous froissez pas, vous savez comme moi que cela arrive aux plus grands médecins.

— Dans un cas pareil c'est impossible! répliqua Vallotton. Je ne prétends pas être infaillible, loin de là. Mais je l'examinais tous les jours; je trouvais les membres toujours aussi flasques, les réflexes abolis. Cela, j'en jurerais sur ma propre tête! »

Son bouleversement était sincère. Il demanda des détails. Passant sous silence l'agression qu'elle avait subie, elle lui raconta que la malade avait bondi de son lit, s'était enfermée dans sa chambre à elle, Cécile, et finalement avait sauté par la fenêtre.

« Elle a pris ma voiture et s'est enfuie, acheva Noël. Les gendarmes ont retrouvé la voiture, par contre ma tante a disparu.

— Vous n'avez pas fait poursuivre les recherches?

— Sous quel prétexte? Elle est partie de son plein gré.

— Sans doute dans un moment de folie. Rien dans la journée ne permettait de supposer qu'elle n'avait plus sa tête à elle?

— Je suis sûr qu'elle savait parfaitement ce qu'elle faisait.

— Elle avait donc des raisons de vouloir s'enfuir? D'ailleurs, là n'est pas la question : ce que

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je ne comprends pas, c'est comment elle a pu le faire. Non, ce n'est pas possible! » répétait-il en se frappant le front.

Il réfléchit un instant.« Professionnellement, je dois avertir la police de la

disparition incompréhensible de ma malade. Je donnerai ma parole comme quoi elle était paralysée, incapable de faire un geste. Malheureusement on commencera par vous soupçonner tous les deux, comme je l'ai fait moi-même au premier abord... »

Cécile l'écoutait à peine, obsédée par la découverte de Monique dans le massif de buisson ardent, quelques jours plus tôt. Comment certains diamants avaient-ils pu se trouver dans ce massif, alors que Mme Tyssen possédait une cachette autrement sûre?

Tout à coup, Cécile se souvint du flacon de pharmacie qu'elle avait découvert dans le chiffonnier.

« Docteur, dit-elle, je voudrais vous demander quelque chose. »

Elle s'approcha du tiroir, qui était resté entrouvert, et prit le flacon.

« II ne porte pas d'étiquette. Savez-vous ce que c'est, docteur? »

Le médecin déboucha le flacon et le porta à son nez.« A première vue, non. Vous pensez que ce produit

aurait une importance?— Je le crois, Mme Tyssen ne voulait pas qu'on le

découvre. Pourriez-vous le faire analyser?— Certainement. Je vais le donner au laboratoire. »II mit le flacon dans sa poche.

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« Je vous téléphonerai le résultat dès que je l'aurai. De votre côté, prévenez-moi si vous apprenez quelque chose dans la journée. »

Noël accompagna le médecin jusqu'à la porte. Cécile, qui avait hâte de se retrouver seule avec Monique, retourna dans la salle à manger. Elle trouva l'enfant en contemplation devant des animaux d'argent qui garnissaient une vitrine.

« C'est joli, dis, mademoiselle Cécile?— Très joli, répondit l'infirmière. Mais pas

autant que ton cadeau! Tu me dis que tu as trouvé d'autres pierres pareilles à celle-là... Où les as-tu trouvées? Dans le massif?

— Non, pas dans le massif. Mais pendant que j'étais sous le buisson ardent, un jour, le soleil est passé entre les feuilles et j'ai aperçu quelque chose qui brillait dans une petite fente du mur. A cet endroit-là, ce n'est pas des grosses pierres, c'est des briques. J'ai voulu voir ce qu'il y avait derrière. J'ai pris un outil de papa et je suis arrivée à en faire sauter une parce qu'elle ne tenait pas bien. Alors j'ai découvert un trou... »

Cécile pensa à la fente qu'elle avait aperçue au fond de la cachette de Mme Tyssen. Cette fente ne devait être visible de l'intérieur qu'à l'heure où le soleil couchant la frappait presque horizontalement; elle avait donc pu échapper à Mme Tyssen.

J'ai enfoncé mon bras, continua Monique, et j'ai trouvé un sac plein de jolies pierres. Il y en

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avait une qui était sortie du sac, c'est pour ça que la fente brillait.

— Et ensuite? demanda Cécile haletante.— C'était joli, tu comprends, toutes ces

pierres : je les ai prises pour les mettre dans mon trésor.— Tu n'as pas pensé qu'elles appartenaient à

quelqu'un?— Non, puisqu'elles étaient dans le mur. Je les ai

emportées et je les ai cachées avec toutes les belles choses que je garde dans des boîtes. Après j'ai voulu remettre la brique pour qu'on ne voie pas le trou. Seulement, maintenant qu'il n'y avait plus rien derrière, la brique ne voulait pas tenir...

— Alors? fit Cécile qui retenait son souffle.— Alors, comme je n'avais pas besoin du sac, je l'ai

rempli de cailloux et je l'ai remis à sa place pour faire tenir la brique.

— Tu as mis le sac dans le trou?— Oui, dit la petite fille. Mais pourquoi ris-tu

comme ça, mademoiselle Cécile? »La porte d'entrée se refermait derrière Vallotton;

Noël revenait dans le vestibule. Cécile s'élança au-devant de lui.

« Noël! Noël! Ce que Mme Tyssen a emporté, c'est un sac de cailloux! »

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XV

« Nous FAISONS encore un feu de bois, Cécile? IN — Nous nous comportons comme si nous étions chez nous, remarqua la jeune infirmière. Mais cette maison appartient à Mme Tyssen; elle peut revenir d'un moment à l'autre.

— Il faudra bien, en effet, qu'elle revienne.— A sa place, dit Cécile, je n'oserais jamais!— Vous n'auriez pas osé non plus agir comme elle

l'a fait! Je sais qu'elle a été comédienne; il lui était sans doute plus facile qu'à aucun d'entre nous de jouer un rôle. Et cependant...

— Il y a le médecin, Noël! Qu'elle m ait trompée,

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moi, cela me semble déjà difficile. Mais lui! Pour moi c'est là le grand mystère.

— Un mystère que seule au monde elle pourrait nous éclaircir... »

Après le départ du docteur Vallotton, Pauline était venue demander à Cécile des nouvelles de madame; elle pensait que le médecin en avait apporté.

« Et vous, mademoiselle Cécile, vous restez ici en attendant qu'elle revienne?

— Je partirai demain matin », répondit la jeune fille.Pauline poussa un grand soupir. « Je ne sais rien, on

ne me dit rien... Monsieur, lui, me considérait comme de la famille!

— Mais vous en êtes, Pauline! seulement tout est si soudain, si imprévu... »

L'après-midi, les deux jeunes gens discutèrent du meilleur moyen de récupérer les diamants. Le plus facile serait de laisser Monique les apporter un à un à sa grande amie. Mais, outre le fait que Cécile ne pouvait s'attarder à Ligeac, Noël répugnait à reprendre les pierres à la petite fille sans que ses parents en fussent avertis.

Cécile arrangea l'affaire. Elle alla trouver Marcel, lui faisant promettre à l'avance de ne rien dire à Monique. Sans parler de Mme Tyssen, elle expliqua que les diamants de Noël se trouvaient au fond d'une cachette, dans l'épaisseur du mur, que la petite les avait découverts par hasard et rangés précieusement dans son « trésor ».

« Venez avec moi, allons les chercher », dit

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aussitôt le jardinier en se dirigeant vers l'appentis qui servait de salle de jeu à Monique.

Cécile, craignant de traumatiser l'enfant, proposa de demander elle-même les diamants à la petite fille et de lui offrir en compensation la bicyclette dont Monique rêvait depuis longtemps.

— Une compensation, pourquoi? dit le père. En somme, Monique a volé!

— Elle ne s'en est pas rendu compte, dit vivement Cécile. Vous savez qu'elle est fragile, impressionnable; il ne faut pas la brusquer. Ne lui dites rien, monsieur Marcel, laissez-moi faire.

— Puisque je vous l'ai promis... » dit le jardinier sceptique.

C'est ainsi que, le soir, Noël se trouva en possession des diamants. Il décida de dîner avec Cécile, et de repartir de bonne heure; lui promettant de venir la chercher le lendemain pour la conduire à la gare en voiture.

Après le dîner, Noël parla de ses projets d'avenir, il achèterait le domaine qu'il convoitait; il en ferait une installation modèle, réaliserait le vœu qu'il caressait depuis longtemps.

« Vous verrez, Cécile...— Je ne verrai rien : je serai bien loin », répondit-

elle tristement.— Cécile... je n'osais pas vous parler alors que

j'avais si peu à vous offrir. Mais à présent... si je vous proposais de partager cette grande entreprise avec moi

— Noël... »

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Avant qu'elle eût le temps de répondre, un bruit leur fit tourner la tête à tous deux. Une voiture s'arrêtait, des pas résonnaient dans le vestibule. Pauline poussa un cri :

« Madame! Et debout!— Vous pourriez ajouter : « et affamée », Pauline »!

fit une voix ironique.Un instant plus tard, Cécile et Noël, stupéfaits, virent

Mme Tyssen entrer dans le salon. Elle était toujours enveloppée du manteau bleu qu'elle avait saisi dans la chambre de la jeune infirmière avant de sauter par la fenêtre, et sous lequel dépassait sa longue chemise de nuit. Elle avait dû marcher longtemps, car ses pieds nus étaient rouges et gonflés.

« Si tu allais payer mon taxi, Noël, dit-elle tranquillement. Tu me dois bien ça, il me semble? »

Puis, comme les deux jeunes gens ne savaient que répondre :

« Vous ne m'attendiez pas, fit-elle d'un ton moqueur. Vous avez dîné sans moi, je suppose? Ce n'est pas très gentil. »

Elle s'avança vers la cheminée, se laissa tomber dans un fauteuil et tendit les mains vers la flamme. Elle n'avait plus ni son expression bienveillante du passé, ni le visage grimaçant et furieux de la veille, mais un air moqueur, insolent, qui glaça Cécile jusqu'aux os.

« Tu as gagné, Noël, c'est entendu, déclara-t-elle. Je suis bonne joueuse, je reconnais avoir perdu. Mais nous pourrions peut-être régler ensemble certaines questions, au bénéfice de l'un et de l'autre. Qu'en dis-tu? »

Le jeune homme, revenant de sa surprise, demanda :

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« Dites-nous d'abord ce qui s'est passé.— Tu n'as pas deviné? Je te croyais plus malin. Je

ne pouvais pas supporter l'idée que ton oncle te donnait cette fortune. Je résolus donc de lui faire changer d'avis; je m'y employais avec patience; j'aurais fini par y parvenir, mais il a disparu quelques jours trop tôt... Dès l'instant de sa mort, j'ai pensé que tu allais hériter des diamants. A moins que... je puisse prendre les pierres avant la venue du notaire. Ton oncle m'avait laissé une clef du coffre... »

Elle ricana :« La première nuit, l'opération aurait été facile.

Malheureusement tu as fait du zèle, Noël, tu n'as pas voulu me laisser seule, tu as insisté pour coucher ce soir-là dans la chambre qui sépare la mienne du bureau. Pendant toute la nuit, j'ai réfléchi au moyen de m'emparer des diamants avant l'ouverture du coffre, sans que personne pût me soupçonner. Une idée m'est venue — baroque, sans doute, mais qui pouvait être efficace. Le lendemain je me suis éveillée paralysée...

— Mais le docteur Vallotton...? » dit Cécile. Mme Tyssen se mit à rire.

« Ce qu'il a pu m'ennuyer, celui-là! D'abord en exigeant une infirmière. Et puis ses examens! Je suis bonne comédienne, mais je ne m'en serais pas tirée si... Bah, au point où nous en sommes, je peux tout vous dire. Ton oncle, Noël, avait rapporté d'Amérique du Sud un poison dont les Indiens se servaient pour enduire leurs flèches. Ce poison, mortel à forte dose, peut servir à provoquer un relâchement musculaire momentané...

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— Un peu comme le curare, qu'on utilise en anesthésie, murmura Cécile.

— Quelque chose du même genre, mais inconnu jusqu'ici en Europe. Mon mari avait fait devant moi des expériences sur des animaux; je connaissais donc bien le maniement du produit. Il suffisait d'une petite piqûre... Quand Vallotton est venu m'examiner, j'étais bel et bien paralysée!

— Le flacon... murmura la jeune infirmière. Le flacon du tiroir, c'était cela!

— Exactement. L'effet dure quelques heures; ensuite je devais simuler. Le jeu n'était pas toujours facile. J'évitais la lumière, je feignais de dormir pour qu'on cesse de me surveiller. Dès que je le pouvais, je faisais mouvoir mes membres. Mais il y avait des moments terribles : la toilette, le massage... Oh, ce massage! il me semblait que je n'y résisterais pas... J'essayais d'éloigner l'infirmière ?

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de rester seule le plus souvent possible. Et la frayeur de ces « examens plus approfondis », à l'hôpital, où on aurait découvert la vérité! »

Elle rit de nouveau.« II fallait que je sois très douce, très gentille, pour

jouer la victime, pour qu'on ne se méfie pas de moi. Ma composition de martyre n'était pas trop mal réussie, qu'en dites-vous, Cécile? »

Elle s'interrompit.« Tu n'aurais pas une cigarette, Noël? Deux semaines

sans fumer, c'était dur, je t'assure... J'avais beau essayer de ne pas y penser... »

Machinalement, le jeune homme lui tendit une cigarette et l'alluma.

« Merci, fit-elle tranquillement. Où en étais-je? ah, oui, l'infirmière! Au début, j'ai eu cette brave Mlle Simone. Elle n'était pas trop difficile à rouler. A trois reprises, j'ai glissé un somnifère dans le tilleul qu'elle prenait avec moi : quand je la voyais endormie je m'occupais des diamants. Les prendre, c'était simple, mais il fallait aménager la cachette. Cette cachette que vous avez découverte pour mon malheur! »

Elle croisa les jambes, secoua la cendre de sa cigarette dans le foyer.

« Cette excellente Mlle Simone, poursuivit-elle, même droguée, ne dormait que d'un œil... Elle a aperçu une ombre dans la chambre; l'idée qu'il pouvait s'agir de moi ne l'a pas même effleurée, Dieu merci; elle s'est imaginé qu'elle avait des visions. Le docteur Vallotton a préféré la mettre au repos; il m'en a envoyé une autre, plus futée.

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mais peu m'importait, ce que j'avais à faire était fait.»L'aplomb de Mme Tyssen stupéfiait ses auditeurs.

Elle les regarda d'un air ironique.« Mon plan était assez astucieux, il me semble? Je ne

pouvais pas me douter que cette sainte nitouche de petite infirmière découvrirait ma cachette et te remettrait les diamants... Car c'est bien ainsi que les choses se sont passées, n'est-ce pas, Noël? »

II ne répondit pas. Cécile, elle, pensait à sa tante. Chère tante Simone, quelle joie pour elle d'apprendre qu'elle n'avait pas eu d'hallucinations, que le « fantôme » existait réellement, qu'elle pouvait reprendre sans scrupules son métier bien-aimé...

Mme Tyssen poursuivait :« Quand j'ai vu que vous vous entendiez si bien, tous

les deux, j'ai commencé à m'inquiéter un peu. A deux on est souvent plus clairvoyant que seul. D'autre part, tout le monde semblait si sûr que ton oncle ne pouvait pas t'avoir déshérité... J'ai tenté alors de détourner les soupçons sur toi, Noël. Mais cette jeune personne ne semblait guère disposée à me croire... »

Elle regarda Cécile avec tant de haine que celle-ci balbutia :

« Quand vous vous êtes jetée sur moi, madame, vous aviez vraiment l'intention de m'étrangler? »

Mme Tyssen se détendit :« Je crois que j'en aurais été capable, répondit-elle

avec calme. Mon flacon découvert, le produit identifié, tous mes espoirs s'écroulaient d'un

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coup. Je me suis dit que ma seule chance était alors de fuir avec les diamants le plus vite possible. Mon beau plan avait échoué, mais j'emportais une fortune. Je ne me doutais pas que vous aviez déjà remplacé les diamants par des cailloux. Ah! vous vous êtes bien moqués de moi, tous les deux!

— Si vous aviez réussi, demanda Noël, que comptiez-vous faire ensuite?

— C'était bien simple : retrouver peu à peu l'usage de mes membres; faire constater par Vallotton mes progrès, puis ma guérison. Un peu plus tard, quitter Ligeac avec les diamants, pour ne jamais y revenir.

— Vous détestez donc bien Ligeac?— Je l'ai toujours détesté. Mais toi, tu l'aimes, n'est-

ce pas? C'est précisément la raison pour laquelle je suis revenue. Je suis prête à te vendre la propriété; concluons la vente tous les deux, chez maître Pelletier, sans aucun intermédiaire. Ainsi tout le monde sera content. Qu'en dis-tu, Noël? »

Comme le jeune homme restait interdit, elle insista :« Tu es d'accord? Décide-toi vite, je suis pressée. Je

n'ai pas l'intention de coucher ici; je vais prendre mon carnet de chèques et j'irai à l'hôtel. »

Pauline apportait un plateau. Mme Tyssen se tourna vers elle.

« Pauline, voulez-vous descendre la grande malle et y mettre mes objets personnels, vêtements, etc. Marcel la chargera sur la Bentley. Le reste ne m'intéresse pas; tout sera vendu avec la

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maison. J'irai voir maître Pelletier demain matin et lui donnerai une procuration pour agir à ma place.

— Vous quittez Ligeac, madame? demanda Pauline.

— Oui, Pauline, et pour toujours. Mais je pense que vous pourrez rester avec les nouveaux propriétaires — si toutefois M. Noël daigne me donner une réponse! » ajouta-t-elle sur le même ton moqueur.

A ce moment, le jeune homme releva la tête et déclara :

« Je suis d'accord. »Mme Tyssen, qui n'avait rien mangé depuis la veille,

dévora les œufs au jambon qu'avait apportés Pauline. Lorsqu'elle eut fini, elle se leva :

« J'ai perdu, dit-elle, mais je me suis bien amusée.

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Tu peux déjà te considérer comme chez toi, Noël. Et maintenant, adieu! »

Elle disparut. Un moment plus tard, on entendit un pas d'homme, Marcel emportait la malle. Le moteur ronronna, puis, dans le silence, on entendit un oiseau chanter.

Cécile et Noël se regardèrent.« Elle est terrifiante! murmura la jeune fille. Je ne

crois pas aux fantômes, mais elle me ferait croire aux sorcières. En tout cas, elle ne semble pas affectée par son échec.

— Voulez-vous que je vous dise ma pensée, Cécile, cette femme joue encore la comédie par vanité vis-à-vis de nous, car au fond elle est folle de déception et de rage.

— Malgré tout, elle ne doit pas être heureuse.— C'est une femme qui ne le sera jamais. Le mieux

est de l'oublier. Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous consulter pour l'acquisition de Ligeac...

— Mais Noël, cela ne regarde que vous! » II sourit.« C'est vrai, vous n'avez pas encore répondu à la

question que je vous avais posée. Serais-je trop présomptueux en espérant que la réponse est « oui »?

— Oh, Noël! »Pauline, que la curiosité attirait au salon, entrouvrit

doucement la porte. Mais elle hocha la tête et s'éloigna discrètement sur la pointe des pieds.

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Biographie

Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en 1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et obtient la Croix de guerre 1939-1945.

Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français. À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de traducteur.

Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. »

Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault décède en juillet 1985.

Bibliographie Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans 1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon.1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes.1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse).1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée.1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 196.1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 255.

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1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection Idéal-Bibliothèque.1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection Nouvelle Bibliothèque rose no 195.1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278. Illustrations de J.-P. Ariel.1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.Série Jeunes Filles en blanc Article détaillé : Jeunes Filles en blanc.Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure.1968 : Catherine infirmière (no 367)1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983)1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987)1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984)1973 : L'Inconnu du Caire1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990)1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre1974 : Le lit n°131974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986)1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984)1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984)1976 : Salle des urgences (réédition en 1984)1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988)1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984)1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986)1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983)1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988)1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993)1981 : Florence et l'étrange épidémie1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990)1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992)1984 : Florence et les frères ennemis1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série DominoCette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose.1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier.1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard.1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard.1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard.1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet.1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet.1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet.

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1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet.1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet.1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet.1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie 1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque n°101.1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose).1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (Idéal-Bibliothèque).1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque).1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose.1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette, Coll. Bibliothèque rose.1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique 1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque  1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  no 128.1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 205.1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ]1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque).1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

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Série Sissi 1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983, illustrations de Paul Durand.1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et 1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle 1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339.1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte.1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet.1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet.1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet.1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet.1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet.1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose.1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 218.1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose).1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 220.1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 242.1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

Série Une enquête des sœurs Parker

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Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987.1966 : Le Gros Lot.1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste.1967 : L'Orchidée noire.1968 : La Villa du sommeil.1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee.1969 : L'Inconnu du carrefour.1969 : Un portrait dans le sable.1969 : Le Secret de la chambre close.1970 : Le Dauphin d'argent.1971 : La Sorcière du lac perdu.1972 : L'Affaire du pavillon bleu,1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde 1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose).1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219.1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ]1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose, illustré par Pierre Dessons).1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette, Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons).1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en 1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries 1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd. Jean-Goujon).1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette.1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers.1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed. Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle).1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque verte.1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette, collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille).1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll. Vermeille.

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1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette.1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque n°283.1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains - Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard, D.L.).

Prix et Distinctions Croix de guerre 1939-1945.Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

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