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Douleurs, 2005, 6, 2 61 ÉDITORIAL Tout ce que la thérapeutique générale peut apporter à la prise en charge des patients douloureux André Muller Il y a peu paraissait dans cette revue un éditorial sous la plume de Patrice Queneau, intitulé « André Muller, pionnier de la lutte contre la douleur, nommé professeur de Thérapeutique à Strasbourg » (Douleurs 2004,5:245-246). Je tiens ici à remercier le professeur Patrice Queneau qui a longtemps « labouré le sillon » de la reconnaissance universitaire d’une activité qui sans sa persévé- rance et son implication n’aurait sans doute pas abouti. C’est en tant que pré- sident du CNEUD, que membre du CNMD, que président de la sous-section 48- 04 du CNU, et que praticien intéressé de longue date par le traitement de la douleur qu’il a su ouvrir les portes de la Thérapeutique aux algologues. Il se trouve, pour paraphraser Coluche, que j’ai été « le premier dans un concours de circonstances », mais, à n’en pas douter, d’autres suivront. Je ne peux pas ne pas mentionner Alain Serrie avec émotion, sans plus, sous peine de verser dans la dithyrambe. Je puis l’avouer, le concours de l’agrégation a pour moi été l’épreuve la plus difficile que j’aie eu à passer, tant du point de vue de la charge émotionnelle que de celui de la préparation intellectuelle. La Thérapeutique est une spécia- lité universitaire qui n’a pas de pendant clinique défini et qui accueille des spécialistes aussi divers que les rhumatologues, les internistes, les néphro- logues, les chirurgiens, les psychiatres, … À quoi correspond cette spécialité de Thérapeutique Générale ? C’est une ques- tion que je m’étais moi-même posée lorsque j’ai été approché pour proposer ma candidature au CNU. Pour « faire court », elle a pour objectifs de traiter au mieux des connaissances actuelles chaque patient, quelle que soit sa pathologie, en tenant compte de données générales (pharmacologie, interfé- rences médicamenteuses, iatrogénie, éthique, conduite d’essais cliniques,…) et individuelles (pathologies, terrain à risque, polymédication, …) et d’ensei- gner cette démarche uniciste aux futurs médecins. Que peut dès lors apporter la Thérapeutique au traitement des patients atteints de douleurs ? Une réponse « sensée », et parfois seulement une ébauche de réponse, à de multiples questions soulevées au quotidien par la prise en charge, médicamenteuse ou non, des patients douloureux chroniques en par- ticulier. Des questions, en voici quelques unes que je me pose encore après 26 années passées au CETD : Quelle est l’efficacité réelle de la stimulation élec- trique transcutanée sur les douleurs de l’accouchement ? L’acupuncture gué- rit-elle l’épicondylite ? Quel est l’intérêt des blocs diagnostiques pronostiques ? Faut-il continuer à faire des thermocoagulations des nerfs de facettes articu- laires postérieures ? Le clonazépam que nous prescrivons quotidiennement Tirés à part : A. MULLER, CETD, HUS, 1, place de l’hôpital, 67000 Strasbourg.

Tout ce que la th,rapeutique g,n,rale peut apporter ... la prise en charge des patients douloureux

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Page 1: Tout ce que la th,rapeutique g,n,rale peut apporter ... la prise en charge des patients douloureux

Douleurs, 2005, 6, 2

61

É D I T O R I A L

Tout ce que la thérapeutique générale peut apporter à la prise en charge des patients douloureux

André Muller

Il y a peu paraissait dans cette revue un éditorial sous la plume de Patrice

Queneau, intitulé « André Muller, pionnier de la lutte contre la douleur, nommé

professeur de Thérapeutique à Strasbourg » (Douleurs 2004,5:245-246).

Je tiens ici à remercier le professeur Patrice Queneau qui a longtemps « labouré

le sillon » de la reconnaissance universitaire d’une activité qui sans sa persévé-

rance et son implication n’aurait sans doute pas abouti. C’est en tant que pré-

sident du CNEUD, que membre du CNMD, que président de la sous-section 48-

04 du CNU, et que praticien intéressé de longue date par le traitement de la

douleur qu’il a su ouvrir les portes de la Thérapeutique aux algologues. Il se

trouve, pour paraphraser Coluche, que j’ai été « le premier dans un concours

de circonstances », mais, à n’en pas douter, d’autres suivront. Je ne peux pas ne

pas mentionner Alain Serrie avec émotion, sans plus, sous peine de verser dans

la dithyrambe.

Je puis l’avouer, le concours de l’agrégation a pour moi été l’épreuve la plus

difficile que j’aie eu à passer, tant du point de vue de la charge émotionnelle

que de celui de la préparation intellectuelle. La Thérapeutique est une spécia-

lité universitaire qui n’a pas de pendant clinique défini et qui accueille des

spécialistes aussi divers que les rhumatologues, les internistes, les néphro-

logues, les chirurgiens, les psychiatres, …

À quoi correspond cette spécialité de Thérapeutique Générale ? C’est une ques-

tion que je m’étais moi-même posée lorsque j’ai été approché pour proposer

ma candidature au CNU. Pour « faire court », elle a pour objectifs de traiter

au mieux des connaissances actuelles chaque patient, quelle que soit sa

pathologie, en tenant compte de données générales (pharmacologie, interfé-

rences médicamenteuses, iatrogénie, éthique, conduite d’essais cliniques,…)

et individuelles (pathologies, terrain à risque, polymédication, …) et d’ensei-

gner cette démarche uniciste aux futurs médecins.

Que peut dès lors apporter la Thérapeutique au traitement des patients

atteints de douleurs ? Une réponse « sensée », et parfois seulement une ébauche

de réponse, à de multiples questions soulevées au quotidien par la prise en

charge, médicamenteuse ou non, des patients douloureux chroniques en par-

ticulier. Des questions, en voici quelques unes que je me pose encore après

26 années passées au CETD : Quelle est l’efficacité réelle de la stimulation élec-

trique transcutanée sur les douleurs de l’accouchement ? L’acupuncture gué-

rit-elle l’épicondylite ? Quel est l’intérêt des blocs diagnostiques pronostiques ?

Faut-il continuer à faire des thermocoagulations des nerfs de facettes articu-

laires postérieures ? Le clonazépam que nous prescrivons quotidiennement

Tirés à part : A. MULLER, CETD, HUS, 1, place de l’hôpital, 67000 Strasbourg.

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est-il d’une efficacité égale à la gabapentine ? Pourquoi tel anticonvulsivant

est-il efficace chez un patient et non pas chez tel autre qui souffre de la même

pathologie ? Suis-je capable de définir précisément l’objectif principal d’une

étude que je souhaite mener ? Quels sont tous les biais qui, à mon insu, me

font dire que tel traitement est efficace, alors qu’il ne l’est pas du point de vue

d’autres praticiens aussi expérimentés ? Une approche cognitivo-comporte-

mentale est-elle plus « efficace » qu’une psychothérapie ? La liste est longue et

non exhaustive. Un exemple de tentative de résolution, dans le droit fil de la

médecine factuelle, figure dans un article de ce fascicule, article qui tente de

répondre à une question d’actualité, à savoir : dois-je prescrire des opioïdes

à une douleur qui fait suite à un zona, chez un patient en particulier ?

Je me souviens des débuts de l’activité de prise en charge de patients atteints

de douleurs chroniques. Nous avons, chacun dans notre coin, « bricolé » avec

ce que nous savions faire, ravis dès lors que les patients ne se plaignaient

plus, sans doute plus interventionnistes quand nous n’arrivions pas à « faire

taire ». Une meilleure communication entre praticiens d’horizons divers, la

prise en compte par les politiques des problèmes posés par les douloureux, les

progrès de la recherche fondamentale sont autant d’éléments qui ne doivent

pas nous faire croire que toutes les douleurs peuvent être calmées, les patients

se chargeant de nous apporter la preuve du contraire ! Peut-être ne faisons

nous pas aussi bien que nous le pourrions, et la Thérapeutique peut nous

aider en cela.

Il me reste, de par ma situation, à œuvrer dans deux directions : la reconnais-

sance universitaire de l’activité de traitement de la douleur, et « l’injection »

d’une dose de bonnes pratiques thérapeutiques dans la prise en charge des

douloureux.