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La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXX - n° 5 - septembre-octobre 2015 | 167 ÉDITORIAL Traitement antirétroviral précoce : it is time to start ! Immediate antiretroviral therapy: it is time to start! M ême si les dernières recommandations internationales et européennes soulignaient le bénéfice de l’introduction d’un traitement antirétroviral indépendamment du chiffre de CD4, le niveau de preuve restait dépendant de leur valeur. Autant le consensus était fort pour un taux au-dessous de 500/mm 3 , autant il était plus nuancé au-delà. Il faut dire que, malgré plus de 30 ans de lutte contre le VIH, et surtout depuis la mise à disposition de molécules permettant des combinaisons du type HAART, aucun essai n’avait été construit pour répondre enfin clairement à cette question : quand doit-on commencer un traitement antirétroviral ? Il fallait se contenter d’études de cohortes et de modélisations qui donnaient parfois des résultats contradictoires. Rien ne vaut, en effet, un bel essai prospectif randomisé ! L’année 2015 restera une année charnière dans la lutte et l’établissement des stratégies thérapeutiques contre le VIH. En effet, au Sud comme au Nord, 2 essais publiés dans le même numéro du New England Journal of Medicine ne laissent place à aucune équivoque. Dans l’essai START (1), qui comparait une introduction immédiate du traitement antirétroviral avec une introduction différée lorsque la valeur des CD4 devient inférieure à 350 cellules/mm 3 , 4 685 patients ont été suivis sur une période moyenne de 3 ans. À l’inclusion, la valeur médiane de la charge virale était de 12 500 copies/ml et les CD4 étaient à 651/mm 3 . L’analyse intermédiaire planifiée a entraîné l’arrêt de l’essai le 15 mai 2015 par le Comité indépendant en raison du bénéfice observé dans le groupe “traitement immédiat”. Le critère principal de jugement (critère composite) était défini par la survenue d’un événement classant sida ou d’un événement non classant sida, incluant le décès. Ce critère a été observé chez 42 patients du groupe traitement immédiat (1,8 %), versus 96 patients du groupe traitement différé (4,1 %), soit un HR à 0,43 (IC 95 : 0,32-0,62 ; p < 0,001). Il faut noter que, dans le groupe traitement différé, le traitement antirétroviral était introduit pour une valeur moyenne de 428 CD4/mm 3 . Le bénéfice significatif d’un traitement précoce est observé, en dehors du critère principal, sur la réduction significative du risque de tuberculose, de sarcome de Kaposi, de cancer, de lymphome et d’infection bactérienne. Dr Jean-Luc Meynard Service des maladies infectieuses, hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris.

Traitement antirétroviral précoce : it is time to start

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Page 1: Traitement antirétroviral précoce : it is time to start

La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXX - n° 5 - septembre-octobre 2015 | 167

ÉDITORIAL

“Traitement antirétroviral précoce : it is time to start !Immediate antiretroviral therapy: it is time to start!

Même si les dernières recommandations internationales et européennes soulignaient le bénéfice de l’introduction d’un traitement antirétroviral indépendamment du chiffre

de CD4, le niveau de preuve restait dépendant de leur valeur.

Autant le consensus était fort pour un taux au-dessous de 500/mm3, autant il était plus nuancé au-delà. Il faut dire que, malgré plus de 30 ans de lutte contre le VIH, et surtout depuis la mise à disposition de molécules permettant des combinaisons du type HAART, aucun essai n’avait été construit pour répondre enfin clairement à cette question : quand doit-on commencer un traitement antirétroviral ?

Il fallait se contenter d’études de cohortes et de modélisations qui donnaient parfois des résultats contradictoires. Rien ne vaut, en effet, un bel essai prospectif randomisé !

L’année 2015 restera une année charnière dans la lutte et l’établissement des stratégies thérapeutiques contre le VIH. En effet, au Sud comme au Nord, 2 essais publiés dans le même numéro du New England Journal of Medicine ne laissent place à aucune équivoque.

Dans l’essai START (1), qui comparait une introduction immédiate du traitement antirétroviral avec une introduction différée lorsque la valeur des CD4 devient inférieure à 350 cellules/mm3, 4 685 patients ont été suivis sur une période moyenne de 3 ans. À l’inclusion, la valeur médiane de la charge virale était de 12 500 copies/ml et les CD4 étaient à 651/mm3. L’analyse intermédiaire planifiée a entraîné l’arrêt de l’essai le 15 mai 2015 par le Comité indépendant en raison du bénéfice observé dans le groupe “traitement immédiat”. Le critère principal de jugement (critère composite) était défini par la survenue d’un événement classant sida ou d’un événement non classant sida, incluant le décès. Ce critère a été observé chez 42 patients du groupe traitement immédiat (1,8 %), versus 96 patients du groupe traitement différé (4,1 %), soit un HR à 0,43 (IC95 : 0,32-0,62 ; p < 0,001). Il faut noter que, dans le groupe traitement différé, le traitement antirétroviral était introduit pour une valeur moyenne de 428 CD4/mm3. Le bénéfice significatif d’un traitement précoce est observé, en dehors du critère principal, sur la réduction significative du risque de tuberculose, de sarcome de Kaposi, de cancer, de lymphome et d’infection bactérienne.

Dr Jean-Luc MeynardService des maladies infectieuses,

hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris.

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ÉDITORIAL

Il faut souligner que les analyses en sous-groupes confirment les résultats quels que soient l’âge et le sexe pour des valeurs faibles de charge virale (> 5 000) et un taux de CD4 supérieur à 600/mm3.

En Afrique subsaharienne, le poids de l’infection par le VIH et de la tuberculose est considérable. Jusqu’à ce jour, les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) étaient encore dépendantes du taux de CD4 ; elles vont évoluer à la suite des résultats de l’essai TEMPRANO (2).

Dans cet essai, le bénéfice d’un traitement antirétroviral précoce versus l’introduction selon les recommandations de l’OMS et une prophylaxie ou non de la tuberculose par isoniazide (INH) étaient évalués. Le critère principal de jugement était composite, associant la survenue d’un événement classant sida, d’un cancer non lié au VIH, d’une infection bactérienne ou d’un décès à M30.

Un total de 2 056 patients a été inclus. L’introduction précoce d’un traitement antirétroviral (CD4 > 500/mm3) et une prophylaxie de la tuberculose par INH pendant 6 mois sont toutes 2 associées à une réduction de près de 50 % de la fréquence de survenue d’une complication liée au sida ou d’un décès.

Ces 2 essais démontrent clairement et sans ambiguïté le bénéfice de l’introduction précoce d’un traitement antirétroviral. Les outils existent avec un arsenal plus que conséquent. Le principal défi reste le dépistage de l’infection à un stade thérapeutique précoce pour que le bénéfice du traitement antirétroviral puisse être maximal, et le poids à court et à moyen terme de la maladie enfin réduit.

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L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec BMS, Gilead Sciences,

Janssen-Cilag, Abbvie, MSD, ViiV Healthcare et Astellas (participation

à des interventions ponctuelles et invitations à des congrès).

1. INSIGHT START Study Group; Lundgren JD,

Babiker AG, Gordin F et al. Initiation of antiretroviral

therapy in early asymptomatic HIV infection. N Engl J Med

2015;373(9):795-807.

2. TEMPRANO ANRS 12136 Study Group; Danel C, Moh R,

Gabillard D et al. A trial of early antiretrovirals and

isoniazid preventive therapy in Africa. N Engl J Med 2015;

373(9):808-22.

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