5
© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. L’Encéphale (2010) Supplément 6, S183–S187 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques Affective disorders and antidepressant drugs: Therapeutic innovations E. Fakra (a) *, J.-M. Azorin (a) , M. Adida (a) , D. Da Fonseca (b) , A. Kaladjian (c) , D. Pringuey (d) (a) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital S te Marguerite, 270 bd de S te Marguerite, 13274 Marseille CEDEX 09, France (b) Service de Pédopsychiatrie, Hôpital S te Marguerite, 270 Bd de Ste Marguerite, 13274 Marseille CEDEX 09, France (c) CHRU Hôpital R. Debré, av. Général Koenig, 51092 Reims, France (d) Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, Abbaye de S t Pons, Pôle de Neurosciences Cliniques, CHU Pasteur Nice, France Résumé À l’instar d’autres troubles psychiatriques, les hypothèses étiopathologiques de la dépression se sont largement fondées sur la découverte fortuite de traitements pharmacologiques efficaces dans cette maladie. Réciproquement, l’innovation thérapeutique s’est ensuite nourrie de ces hypothèses pour stimuler le développement de nouvelles molécules. Nous proposons ici d’étudier le développement des traitements pharmacologiques à travers les différents modèles neurobiologiques et moléculaires proposés dans la dépression. Nous partirons ainsi de l’hypothèse monoaminergique qui postule l’existence d’un déficit dans la transmission des monoamines (noradrénaline et sérotonine). Si ce modèle a longtemps pu fournir un premier niveau d’explication de l’action des molécules antidépressives, les limitations ont été pointées. Ces insuffisances ont pu déboucher sur un cadre théorique se prêtant particulièrement bien aux exigences de l’expérimentation pharmacologique : le modèle de stress de la dépression. Dès lors, d’autres phénomènes moléculaires et cellulaires ont pu être observés sous l’influence du stress, réversibles sous traitements antidépresseurs. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts. MOTS CLÉS Dépression ; Antidépresseur ; Sérotonine ; Noradrénaline ; Neuroplasticité KEYWORDS Depression; Antidepressant; Serotonine; Norepinephrine; Neuroplasticity Abstract As it is the case in other psychiatric disorders, etiopathogenic hypotheses of depression have chiefly been shaped by the fortuitous discovery of antidepressive drugs. Reciprocally, these hypotheses have largely influenced later innovation in therapeutic drugs. In this paper, we aimed to study the development of pharmacological treatments through the different neurobiological and molecular models proposed in depressive illness through the last half-century. We first started by the monoaminergic hypothesis who postulates the existence of a deficit in monoamine transmission (norepinephrine and serotonine). We also discuss of drugs involving other neurotransmitters than the classic monoamines. If this monoaminergic hypothesis has long provided a first level of explanation for the action of antidepressant drugs, limitations have been pointed out. In the last 15 years, another model for the study of depression has clearly emanated: the stress model of depression. A possible reason for the success of this new hypothesis is its ability to provide a satisfying framework to experimental studies, in man and in animal. In this new background, numerous molecular and cellular events have been observed

Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques

  • Upload
    e-fakra

  • View
    218

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques

© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.

L’Encéphale (2010) Supplément 6, S183–S187

Dispon ib le en l igne sur www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.el sev ier .com/locate/encep

Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiquesAffective disorders and antidepressant drugs: Therapeutic innovations

E. Fakra(a)*, J.-M. Azorin(a), M. Adida(a), D. Da Fonseca(b), A. Kaladjian(c), D. Pringuey(d)

(a) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 270 bd de Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France (b) Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 270 Bd de Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France (c) CHRU Hôpital R. Debré, av. Général Koenig, 51092 Reims, France (d) Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, Abbaye de St Pons, Pôle de Neurosciences Cliniques, CHU Pasteur Nice, France

Résumé À l’instar d’autres troubles psychiatriques, les hypothèses étiopathologiques de la dépression se sont largement fondées sur la découverte fortuite de traitements pharmacologiques efficaces dans cette maladie. Réciproquement, l’innovation thérapeutique s’est ensuite nourrie de ces hypothèses pour stimuler le développement de nouvelles molécules. Nous proposons ici d’étudier le développement des traitements pharmacologiques à travers les différents modèles neurobiologiques et moléculaires proposés dans la dépression. Nous partirons ainsi de l’hypothèse monoaminergique qui postule l’existence d’un déficit dans la transmission des monoamines (noradrénaline et sérotonine). Si ce modèle a longtemps pu fournir un premier niveau d’explication de l’action des molécules antidépressives, les limitations ont été pointées. Ces insuffisances ont pu déboucher sur un cadre théorique se prêtant particulièrement bien aux exigences de l’expérimentation pharmacologique : le modèle de stress de la dépression. Dès lors, d’autres phénomènes moléculaires et cellulaires ont pu être observés sous l’influence du stress, réversibles sous traitements antidépresseurs.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts.

MOTS CLÉSDépression ; Antidépresseur ; Sérotonine ; Noradrénaline ; Neuroplasticité

KEYWORDSDepression; Antidepressant; Serotonine; Norepinephrine; Neuroplasticity

Abstract As it is the case in other psychiatric disorders, etiopathogenic hypotheses of depression have chiefly been shaped by the fortuitous discovery of antidepressive drugs. Reciprocally, these hypotheses have largely influenced later innovation in therapeutic drugs. In this paper, we aimed to study the development of pharmacological treatments through the different neurobiological and molecular models proposed in depressive illness through the last half-century. We first started by the monoaminergic hypothesis who postulates the existence of a deficit in monoamine transmission (norepinephrine and serotonine). We also discuss of drugs involving other neurotransmitters than the classic monoamines.If this monoaminergic hypothesis has long provided a first level of explanation for the action of antidepressant drugs, limitations have been pointed out. In the last 15 years, another model for the study of depression has clearly emanated: the stress model of depression. A possible reason for the success of this new hypothesis is its ability to provide a satisfying framework to experimental studies, in man and in animal. In this new background, numerous molecular and cellular events have been observed

Page 2: Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques

E. Fakra et al.S184

Le modèle monoaminergique

L’arrivée impromptue des premières molécules antidépres-sives dans les années 1950 [16], alors que les connaissances neurobiologiques des troubles affectifs étaient très res-treintes, a suscité un riche élan dans la recherche pharma-cologique [19]. Le modèle neurobiologique se façonne et s’inspire alors directement du mécanisme d’action des deux premiers antidépresseurs qui font leur apparition sur le marché : l’imipramine, antidépresseur tricyclique issu des manipulations chimiques du largactil, et l’iproniazide, inhibiteur de la recapture de la monoamine-oxydase, ini-tialement destiné au traitement de la tuberculose. Ces deux traitements ont en commun leur mécanisme d’action en facilitant la transmission d’au moins deux des principa-les monoamines cérébrales. L’hypothèse monoaminergique va alors s’affiner et proposera que la dépression serait due à des taux anormaux de noradrénaline et de sérotonine dans le cerveau [2, 3]. Cette théorie était également confortée par la capacité de certaines molécules, comme la réserpine, d’induire un syndrome dépressif [14]. Cette nouvelle base conceptuelle constitue par la suite le fer-ment du développement de toutes les nouvelles molécules antidépressives. À ce jour encore, l’ensemble des antidé-presseurs utilisés agissent sur au moins un des systèmes monoaminergiques. Bien sûr, depuis l’avènement des pre-mières molécules, d’autres classes d’antidépresseurs sont apparues avec comme principal avantage un bien meilleur profil de tolérance. Ainsi, l’iproniazide, bien que toujours présent sur le marché, voit ses indications se restreindre aux dépressions résistantes où elle peut encore constituer une intéressante alternative thérapeutique. Désormais, d’autres classes lui sont préférées dans le traitement en première intention de la dépression, à commencer par les IMAO sélectifs (c’est-à-dire agissant uniquement sur l’IMAO A, donc essentiellement sur le catabolisme de la séroto-nine) et réversibles tel le moclobémide qui n’imposent pas les mêmes précautions d’emploi. Les tricycliques, bien que d’une efficacité incontestable, voient également leurs indications se restreindre aux dépressions résistantes. S’inspirant du même mécanisme d’action que les tricycli-ques, c’est-à-dire l’inhibition du transporteur de la monoa-mine, plusieurs classes pharmacologiques vont émerger. La plus connue est la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), avec comme chef de file, la fluoxétine, qui se trouve à l’origine d’une nouvelle révo-lution de la thérapeutique pharmacologique tant sa diffu-sion est importante lors de son arrivée sur le marché à la fin des années 1980. Cette classe va vite s’octroyer une place de choix dans les habitudes de prescription des médecins. Malgré la gamme fournie de traitements occupant cette

classe, un effort soutenu est toujours déployé afin de per-fectionner le mécanisme d’action de ces molécules. Le dernier exemple est fourni par l’escitalopram, né de la dis-tinction des deux énantiomères du citalopram [10].

Une autre classe, encore plus proche des tricycliques, va à son tour connaître un succès important : les antidé-presseurs d’action duale, inhibant à la fois la recapture de la sérotonine et la recapture de la noradrénaline (inhibi-teur de la recapture de la sérotonine et de la noradréna-line : IRSNA). Bien que n’agissant pas directement sur la recapture de ces monoamines (mais potentialisant tout de même leur transmission) la mirtazapine est également associée à cette classe. Les IRSNA seraient plus efficaces que les ISRS sur les symptômes de ralentissement moteur, bien que cette donnée soit encore débattue à ce jour. En revanche, le consensus semble plus important concernant l’habileté de cette classe à agir sur les symptômes doulou-reux, la noradrénaline étant impliquée dans le rétrocon-trôle de la douleur. Ainsi, le milnacipran a pu obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) aux États-Unis pour la fibromyalgie et la duloxétine, arrivée très dernière-ment en France, a obtenu une AMM pour le traitement de la neuropathie diabétique douloureuse. À noter qu’il existe un inhibiteur « pur » de la noradrénaline, la riboxetine. Toutefois, ce traitement, non commercialisé en France, semble avoir une efficacité bien moins prononcée que les autres molécules dans la plupart des tableaux dépressifs.

D’autres neurotransmetteurs que les monoamines « classiques » ?

Un troisième système monoaminergique, bien moins consi-déré, se trouverait également impliqué dans la dépression : le système dopaminergique. Le bupropion, traitement dont l’AMM se restreint en France au sevrage tabagique (mais qui a obtenu l’indication de traitement antidépresseur aux États-Unis), inhibe surtout la recapture de la dopamine et de la noradrénaline et dans une moindre mesure, de la sérotonine. Plusieurs autres molécules avec un mécanisme d’action similaire sont actuellement en phase d’essai. Le rationnel pour développer ce type d’antidépresseurs s’ap-puie sur les interconnections entre neurones monoaminer-giques pouvant donc possiblement être à l’origine d’une efficacité supérieure ou plus rapide [7].

L’apparition récente sur le marché français de l’agomé-latine, une molécule possédant une action sur les récep-teurs mélatoninergiques, a suscité un vif intérêt. Ainsi, cette action mélatoninergique contribuerait à resynchroni-ser les rythmes circadiens, ceux-ci étant largement pertur-bés dans les épisodes dépressifs. Bien sûr, en plus de ce

under the influence of stress, and these injuries appear to reverse with antidepressants. It thus seems that antidepressant agents have the ability to opposite the impact of stress through molecular actions, which directly or indirectly influence neuroplasticity.© L’Encéphale, Paris, 2010. All rights reserved.

Page 3: Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques

Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques S185

mécanisme d’action tout à fait original, l’agomélatine pos-sède également une action sur une autre monoamine plus classiquement impliquée dans la dépression grâce à ses propriétés antagonistes du récepteur 5-HT2c.

Enfin, un certain nombre de molécules en développe-ment visent le système glutamatergique. Le glutamate est le neurotransmetteur excitateur le plus répandu dans le système nerveux central. Il joue un rôle tout à fait fonda-mental dans les phénomènes de neuroplasticité notamment par l’intermédiaire d’un de ses récepteurs, le NMDA. Toutefois, en concentrations excessives, le glutamate est à l’origine d’excitotoxicité entraînant la mort neuronale. Or, il semblerait qu’une activité glutamatergique anormale soit retrouvée dans la dépression sévère [23]. Des molécu-les à l’essai proposent donc d’apporter une efficacité anti-dépressive en bloquant les récepteurs NMDA. Pour l’instant, le développement semble limité par le potentiel de ces molécules à provoquer des symptômes psychotiques.

Critique du modèle monoaminergique

Toutefois plusieurs critiques à l’encontre du modèle monoa-minergique ont pu être formulées. Une première matière à suspicion fut la découverte, chez les patients souffrant de dépression, d’une hypersensibilisation des récepteurs séro-toninergiques et noradrénergiques, ainsi que d’une désen-sibilisation des transporteurs des monoamines [15]. Ces constatations rendaient caduque la simple explication d’un « défaut » de monoamines dans la dépression. Aussi, le délai d’action des traitements antidépresseurs posait-il une énigme supplémentaire : alors que ces molécules devraient agir très rapidement sur la balance synaptique des neuro-nes monoaminergiques, leurs premiers effets thérapeuti-ques cliniques n’apparaissaient qu’au bout d’une à deux semaines. Ce questionnement va stimuler une recherche plus poussée sur les mécanismes d’adaptation des récep-teurs aux modifications neurobiologiques induites par le traitement. Il est alors proposé que l’action thérapeutique de ces molécules ne soit pas directement la conséquence du blocage du transporteur, mais plutôt des phénomènes de régulation secondaires, en particulier de l’hypersensibilisa-tion de certains récepteurs. Ainsi, pour les ISRS, le blocage des transporteurs de la sérotonine va certes augmenter les taux de sérotonine synaptique, mais très rapidement cet afflux de sérotonine va déborder de la synapse pour activer les autorécepteurs 5-HT1a, élément central dans la modu-lation du système sérotoninergique. Ceci va donc entraîner une diminution de la libération de la sérotonine. L’effet thérapeutique n’apparaîtrait que lors de (et parallèlement à) la désensibilisation de ces récepteurs 5-HT1a, levant ainsi le frein de libération sérotoninergique [1]. Toutefois, certains auteurs ont rétorqué que ces délais de désensibili-sation des récepteurs étaient eux aussi bien inférieurs à ceux observés pour la réponse thérapeutique, ce qui ren-dait cette explication peu satisfaisante.

Une deuxième ligne d’arguments à l’encontre du modèle de déficit monoaminergique dans la dépression vient d’une molécule très particulière, la tianeptine. Ce traitement antidépresseur aurait un mécanisme d’action totalement

inverse à celui des ISRS, il potentialiserait la recapture de la sérotonine. Comment expliquer alors que des molécules ayant des actions pharmacologiques inversées puissent aboutir à un même effet thérapeutique ?

Dès lors, le simple modèle monoaminergique, peu capa-ble de rendre compte de l’ensemble des phénomènes rencontrés durant la dépression, ainsi que durant son trai-tement, va susciter moins d’engouement. Un autre modèle très en vogue va le supplanter, sans doute grâce à ses remarquables capacités à répondre aux impératifs de la recherche expérimentale. Il s’agit du modèle de stress.

Le modèle de stress dans la dépression

L’hypothèse que la dépression soit fermement attachée aux processus de stress est bien sûr née de constatations empi-riques, mais a pu également avoir un accueil théorique favorable avec le très influent modèle de vulnérabilité [26]. Ainsi, des individus portant une vulnérabilité plus ou moins prononcée, sous l’effet de facteurs environnementaux ou facteurs de stress, déclencheraient un trouble psychia-trique. Cette relation entre stress, vulnérabilité et l’appa-rition de symptômes dépressifs a pu être clairement explicitée dans plusieurs travaux épidémiologiques [12]. De manière intéressante, Kendler et ses collaborateurs ont pu montrer non seulement qu’il existait une relation robuste entre stress et apparition de troubles dépressifs, mais éga-lement que la force de cette association diminuait avec le nombre d’épisodes précédents et l’importance du risque génétique (antécédents familiaux de dépression). Enfin, il a pu également être constaté une hyperactivité de l’axe corticotrope au cours des états dépressifs majeurs qui résulte vraisemblablement d’une hypersécrétion de CRF (Corticotropin Releasing Factor). Par ailleurs, les cellules et les tissus chez le patient déprimé montrent une résis-tance aux effets des glucocorticoïdes, comme en témoigne souvent l’absence de freination de la sécrétion de cortisol par la dexaméthasone [9].

Stress et axe corticotrope

Ces constatations sont à l’origine du développement de molécules visant à corriger le dysfonctionnement de l’axe corticotrope. Ainsi, plusieurs antagonistes des récepteurs CRF1 sont actuellement à l’essai, ayant déjà montré une efficacité sur les modèles animaux [8], mais les essais chez les patients apparaissent moins prometteurs dans le cadre de la dépression [11] et leur usage semble être confronté dans certains cas à un potentiel élevé de toxicité hépatique [25]. D’autres traitements cherchant à diminuer la syn-thèse ou à bloquer la fonction des glucocorticoïdes ont également été proposés avec des résultats parfois plus encourageants, mais le développement de ces traitements a là aussi été limité par leurs effets indésirables [22].

Stress, dépression et volume cérébral

Au-delà des répercussions sur l’axe corticotrope, le stress induit également des modifications au long cours au niveau cérébral. Ces modifications sont visibles aussi bien au

Page 4: Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques

E. Fakra et al.S186

niveau macroscopique, à travers les études d’imagerie cérébrale, qu’au niveau microscopique grâce aux études de biologie moléculaire. Ainsi dès 1997, Duman et al. propo-sent une théorie « moléculaire et cellulaire » de la dépres-sion [6]. Ces auteurs notent l’existence d’une diminution de volume de certaines structures cérébrales associées à la dépression et postulent que l’action thérapeutique des antidépresseurs surviendrait à travers des mécanismes intracellulaires aboutissant à l’augmentation des facteurs neurotrophiques.

L’hippocampe a été la région dont la perte de volume a été le plus robustement associée à la dépression, toutefois un article de synthèse et une méta-analyse récents indi-quent que le volume du cortex cingulaire antérieur (en par-ticulier subgénual), le cortex orbito-frontal et les ganglions de la base [13, 17] sont également touchés dans cette pathologie. De surcroît, le nombre d’épisodes dépressifs (ou de multiples rechutes) apparaît également impliqué dans cette perte de volume. Enfin, fait notable, certaines études suggèrent qu’un traitement antidépresseur permet de restaurer la perte du volume hippocampale survenue durant la dépression [18, 21]. Il faut toutefois noter que l’association entre perte de volume de certaines régions cérébrales et dépression n’implique pas nécessairement une causalité entre ces deux événements. D’autre part, l’atrophie hippocampique constitue un marqueur non spé-cifique retrouvé dans de nombreuses pathologies psychia-triques et neurologiques [5].

Stress, dépression et neuroplasticité

Parallèlement à la perte de volume cérébral, un certain nombre d’événements observés au niveau moléculaire vont renforcer l’hypothèse d’une neurotoxicité due au stress et à la dépression, réversible sous traitement antidépresseur [14]. Ainsi, chez l’animal, le stress a pu être associé à plu-sieurs événements délétères touchant la neuroplasticité tels que le fonctionnement dendritique, le remodelage synaptique, la potentialisation à long terme, la croissance axonale et même la neurogenèse (bien que certains auteurs réservent ce dernier aux rats immatures et se gardent bien d’extrapoler ce résultat à l’homme). L’administration de traitements antidépresseurs va là encore prévenir ces modifications. Un des mécanismes les mieux exposés est sans doute l’action sur les facteurs neurotrophiques. Ainsi, il a été montré que le stress et les traitements antidépres-seurs possédaient des actions opposées sur la production des facteurs neurotrophiques, notamment le BDNF [24]. De manière intéressante, cette action sur les facteurs trophi-ques apparaissait uniquement en cas d’administration pro-longée (et non ponctuelle) du traitement antidépresseur [20]. Ainsi, cette action a pu être établie pour différentes classes et types de traitements antidépresseurs. Par la suite, plusieurs études ont pu montrer de manière trans-versale l’action du stress sur les acteurs moléculaires de la prolifération cellulaire et, conséquemment, la réversibilité de cet impact délétère du stress par les traitements anti-dépresseurs [4].

ConclusionDepuis son apparition, l’hypothèse monoaminergique a pré-valu dans le champ de la neurobiologie comme hypothèse étiopathogénique de la dépression. Elle se trouve donc à l’origine du développement de l’ensemble des traitements antidépresseurs actuellement disponibles. Toutefois, depuis une quinzaine d’années, les critiques de ce modèle ont progressivement débouché sur la découverte d’autres phé-nomènes, au niveau moléculaire et cellulaire, liés à l’admi-nistration continue des traitements antidépresseurs. Il semblerait ainsi que l’ensemble des agents antidépresseurs ait la capacité de prévenir les effets du stress au travers d’actions moléculaires impliquées directement ou indirec-tement dans la neuroplasticité. Ces phénomènes de neuro-plasticité pourraient dès lors constituer des marqueurs innovants de l’efficacité des antidépresseurs et ouvrir une ère nouvelle dans le traitement de la dépression.

Références [1] Blier P, Abbott FV. Putative mechanisms of action of antide-

pressant drugs in affective and anxiety disorders and pain. JJ Psychiatry Neurosci 2001 ; 26 : 37-43.

[2] Bunney WE, Davis JM. Norepinephrine in Depressive Reactions - a Review. Arch Gen Psychiatry 1965 ; 13 : 483-94.

[3] Coppen A, Shaw DM, Malleson A et al. Tryptamine Metabolism in Depression. Br J Psychiatry 1965 ; 111 : 993-8.

[4] Czeh B, Michaelis T, Watanabe T et al. Stress-induced changes in cerebral metabolites, hippocampal volume, and cell prolif-eration are prevented by antidepressant treatment with tianeptine. Proc Natl Acad Sci U S A 2001 ; 98 : 12796-801.

[5] Dhikav V, Anand KS. Is hippocampal atrophy a future drug tar-get? Med Hypotheses 2007 ; 68 : 1300-6.

[6] Duman RS, Heninger GR, Nestler EJ. A molecular and cellular theory of depression. Arch Gen Psychiatry 1997 ; 54 : 597-606.

[7] Guiard BP, El Mansari M, Blier P. Prospect of a Dopamine Con-tribution in the Next Generation of Antidepressant Drugs: The Triple Reuptake Inhibitors. Current Drug Targets 2009 ; 10 : 1069-84.

[8] Gutman D, Owens MJ, Nemeroff CB. Corticotropin-releasing factor receptor and glucocorticoid receptor antagonists: new approaches to antidepressant treatment. In: Current and Future Developments in Psychopharmacology, J.A. Den Boer and G.J. ter Host, Editors. 2005, Benecke: Amsterdam. p. 133-58.

[9] Holsboer F, Barden N. Antidepressants and hypothalamic pitu-itary adrenocortical regulation. Endocr Rev 1996 ; 17 : 187-205.

[10] Jacquot C, David DJ, Gardier AM et al. Escitalopram and cit-alopram: the unexpected role of the R-enantiomer. Encéphale 2007 ; 33 : 179-87.

[11] Kehne JH, Cain CK. Therapeutic utility of non-peptidic CRF1 receptor antagonists in anxiety, depression, and stress-related disorders: Evidence from animal models. Pharmacol Ther 2010 ; 128 : 460-87.

[12] Kendler KS, Thornton LM, Gardner CO. Genetic risk, number of previous depressive episodes, and stressful life events in predicting onset of major depression. Am J Psychiatry 2001 ; 158 : 582-6.

[13] Koolschijn P, van Haren NEM, Lensvelt-Mulders G et al. Brain Volume Abnormalities in Major Depressive Disorder: A Meta-Analysis of Magnetic Resonance Imaging Studies. Hum Brain Mapp 2009 ; 30 : 3719-35.

Page 5: Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques

Troubles affectifs et antidépresseurs : innovations thérapeutiques S187

[14] Lanni C, Govoni S, Lucchelli A et al. Depression and antide-pressants : molecular and cellular aspects. Cell Mol Life Sci 2009 ; 66 : 2985-3008.

[15] Leonard BE. Evidence for a biochemical lesion in depression. J Clin Psychiatry 2000 ; 61 : 12-7.

[16] Lopez-Munoz F, Alamo C. Monoaminergic neurotransmission: the history of the discovery of antidepressants from 1950s until today. Curr Pharm Des 2009 ; 15 : 1563-86.

[17] Lorenzetti V, Allen NB, Fornito A et al. Structural brain abnor-malities in major depressive disorder : A selective review of recent MRI studies. J Affect Disord 2009 ; 117 : 1-17.

[18] Malykhin NV, Carter R, Seres P et al. Structural changes in the hippocampus in major depressive disorder: contributions of disease and treatment. J Psychiatry Neurosci 2010 ; 35 : 337-43.

[19] Missa J-N. Naissance de la psychiatrie biologique. 2006 : PUF. [20] Nibuya M, Morinobu S, Duman RS. Regulation of Bdnf and Trkb

Messenger-Rna in Rat-Brain by Chronic Electroconvulsive Sei-zure and Antidepressant Drug Treatments. J Neurosci 1995 ; 15 : 7539-47.

[21] Nordanskog P, Dahlstrand U, Larsson MR et al. Increase in Hip-pocampal Volume After Electroconvulsive Therapy in Patients With Depression A Volumetric Magnetic Resonance Imaging Study. Journal of Ect 2009 ; 26 : 62-7.

[22] Rakofsky JJ, Holtzheimer PE, Nemeroff CB. Emerging targets for antidepressant therapies. Curr Opin Chem Biol 2009 ; 13 : 291-302.

[23] Sanacora G, Zarate CA, Krystal JH et al. Targeting the gluta-matergic system to develop novel, improved therapeutics for mood disorders. Nat Rev Drug Discov 2008 ; 7 : 426-37.

[24] Smith MA, Makino S, Altemus M et al. Stress and Antidepres-sants Differentially Regulate Neurotrophin-3 Messenger-Rna Expression in the Locus-Coeruleus. Proc Natl Acad Sci U S A 1995 ; 92 : 8788-92.

[25] Zobel AW, Nickel T, Kunzel HE et al. Effects of the high-affin-ity corticotropin-releasing hormone receptor 1 antagonist R121919 in major depression: the first 20 patients treated. J Psychiatr Res 2000 ; 34 : 171-81.

[26] Zubin J, Spring B. Vulnerability - a new view of schizophrenia. J Abnorm Psychol 1977 ; 86 : 103-26.