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Un film de Takeshi Kitano L Y C É E N S A U C I N É M A E N R É G I O N C E N T R E

Un film de Takeshi Kitano - CICLICinterne.ciclic.fr/pdf/Hana-Bi.pdf · Gnossienne n°1d’Erik Satie, et laissé son second film (Jugatsu) vierge de toute musique, c’est avec Hisaishi

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Un film de Takeshi Kitano

L Y C É E N S A U C I N É M A E N R É G I O N C E N T R E

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Lycéens au cinéma en région Centre est coordonné par l’Atelier de Production Centre Val de Loire, réalisé avec le soutien du Centre National de laCinématographie, de la Région Centre, de la DRAC Centre et du Rectorat de l’Académie Orléans-Tours et le concours des salles de cinéma partici-pant à l’opération. Livret pédagogique enseignants - Edition AcrirA (Association des cinémas de recherche indépendants de la région alpine) etUniversité Lumière-Lyon 2 pour Lycéens au cinéma en région Rhône-Alpes avec le soutien de la Région Rhône-Alpes. Rédacteur en chef : JacquesGerstenkorn, professeur à l’Université Lumière-Lyon 2. Auteur : Jean-François Buiré. Iconographie : Photogrammes réalisés par Jacques Petat, Filmsde l’Estran, avec l’aimable autorisation de Océan Films. Fonds documentaires : Bibliothèque du Film, Institut Lumière, Cinéma Le France de Saint-Étienne. Coordination des dossiers : Christine Desrumeaux-Thirion. Textes additifs : Elysabeth Boyer, Emmanuel Dreux (Ateliers d’exploitation péda-gogique) © APCVL 2000. Edition APCVL. Maquette : Dominique Bastien.

« Beaucoup de critiques et de journalistes parlent de mes films comme d’œuvres avant tout violentes. Or,pour moi, le rapport entre la douceur et la violence ressemble au mouvement d’un pendule. Plus un hommeest tendre, plus il peut devenir extrêmement cruel et brutal. C’est en lui que l’écart entre les deux étatsd’âme peut être le plus extrême, car il a une capacité de ressentir les émotions les plus profondes. Cela peutparaître une exagération, mais il me semble que l’acte amoureux ultime peut être le meurtre de celui quevous aimez ».

Takeshi Kitano, Entretien avec Michel Ciment, Positif n°441, 1997

SOMMAIREAVANT-PROPOS 3Takeshi qui rit et Takeshi qui pleure

LE CINÉASTE 4Docteur Kitano et Mister “Beat” Takeshi

L’ÉQUIPE DU FILM 5Le musicien et l’homme-orchestre

HISTOIRE DU FILM 6De l’accident à la reconnaissance

LES PERSONNAGES 7Artistes et modèles

ANALYSE DU RÉCIT 8Un escalator narratif

MISE EN SCÈNE 10Le musical et le pictural

CHEMINS DE TRAVERSE 12Le générique de début : tout un programmeAtelier montage

PISTES DE RÉFLEXION 16Un film qui se voit en peinture

AUTOUR DU FILM 19Les femmes et les enfants d’abordExtraits critiques

DOCUMENTS 20L’éternité retrouvéeBibliographie

PISTES PÉDAGOGIQUES 21

LEXIQUE 23

3

Lors d’une planque en compagnie de son

vieil ami Horibe, l’inspecteur Nishi s’absente

pour aller voir son épouse, leucémique incu-

rable et hospitalisée à proximité. Horibe est

blessé durant son absence. Devenu paraplé-

gique, abandonné par sa famille, il confie à

Nishi son projet de se mettre à peindre pour

occuper ses journées.

Démissionnaire à la suite de l’arrestation

sanglante de l’agresseur d’Horibe qui a coûté

la vie d’un jeune policier, Nishi partage ses

préoccupations entre la veuve de ce dernier,

Horibe auquel il adresse un matériel complet

de peinture, et sa propre épouse, traitant en

revanche par la violence et le mépris les

yakuzas qui lui réclament une somme qu’il

leur a empruntée. Déguisé en policier, il

braque une banque avec succès, et envoie de

l’argent à la jeune veuve. Horibe se met à

peindre avec assiduité des toiles mélanco-

liques, à tendance suicidaire.

Nishi et son épouse partent en voiture à tra-

vers le Japon. Il s’emploie à la faire rire. Un

jeune policier rescapé de l’arrestation part à

la recherche du couple, de même que les

yakuzas qui, remboursés par Nishi, lui

demandent les intérêts. Celui-ci les met

définitivement hors d’état de nuire. Le jeune

policier découvre leurs cadavres. En bord de

mer, il retrouve son ancien supérieur qui

obtient de lui un moment de répit pour

rejoindre son épouse sur la plage. Un dernier

jeu, elle remercie Nishi pour tout, pose sa

tête sur son épaule. Un coup de feu retentit,

puis un second. Au loin s’en va la mer.

Takeshi qui rit et Takeshi qui pleureUne balle de base-ball roule jusqu’aux pieds de l’inspecteur Nishi. Un jeune joueur lui demande à distancede la lui renvoyer, Nishi lui fait signe de s’accroupir, effectue un geste de lancer impeccable… mais projettela balle sur sa droite. L’adolescent accroupi reste interdit, Nishi rigole puis redevient impassible. Nous sommesvers le début d’Hana-Bi. À la fin du film, la même expression d’incrédulité se retrouvera sur le visage d’unautre jeune personnage, la fille qui joue au cerf-volant sur la plage, lorsque Nishi y « suicide » son couple. Leraccord imaginaire entre le regard déconcerté du joueur et la mort finale fait sentir à quel point le jeu, vu parl’enfant que n’est plus Kitano, ne saurait être le lieu de l’innocence mais celui de l’absurde, du gag, de l’ir-recevable, comme l’est cette balle lancée de côté. Entre le ludisme de l’enfance et le deuil de l’âge adulte setient le lieu de la violence.

La violence dans Hana-Bi n’est pas seulement l’objet d’un constat fataliste. Quitte à en prendre acte, autanten tirer le meilleur parti en la faisant instrument de création. Ce n’est que lorsque Horibe a connu la violen-ce dans sa chair qu’il se met à peindre ; c’est en « maltraitant » les jeux et en les exposant au spectre de lamort que Nishi invente un nouveau ludisme, déroutant mais cocasse ; c’est en adoptant cette philosophie du« faire avec le réel » (et sa violence) que Kitano assume son rôle de cinéaste, et évite le figement de la « belleimage ». C’est enfin la prise en compte de cette violence qui permet qu’il y ait « du » jeu dans son cinéma,alors que son seul film entièrement axé sur « le » jeu et dénué de violence (L’Été de Kikujiro) s’avère le plussage et le moins fondamentalement joueur — au contraire d’Hana-Bi qui compose au mieux avec les deuxaspects du visage de Kitano que celui-ci y a révélés : le paralysé tragique et le mobile hilare.

Jean-François Buiré

4

FilmographieCOMÉDIEN1983 Merry Christmas Mr. Lawrence (Furyo) de Nagisa Oshima1993 Many Happy Returns de Toshihiro Tenma1994 Johnny Mnemonic de Robert Longo1995 Five of Them de Takeshi Ishii1998 Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin1999 Gohatto (Tabou) de Nagisa Oshima

RÉALISATEUR1989 Violent Cop

Scénariste, acteur, metteur en scène1990 Boiling Point/Jugatsu

Scénariste, acteur, metteur en scène1991 A Scene at the Sea

Scénariste, monteur, metteur en scène1993 Sonatine

Scénariste, monteur, acteur, metteur en scèneSélection Un Certain Regard, festival de Cannes 1993Prix de la critique au festival de Cognac

1995 Getting Any ?Scénariste, monteur, acteur, metteur en scène

1996 Kids ReturnScénariste, monteur, metteur en scèneSélection Quinzaine des Réalisateurs, festival de Cannes 1996

1997 Hana-BiScénariste, monteur, acteur, metteur en scèneLion d’Or, Mostra de Venise 1997

1998 L’Eté de KikujiroScénariste, acteur, monteur, metteur en scèneCompétition Officielle, festival de Cannes 1999

1999 BrothersActeur, metteur en scène

Takeshi Kitano naît le 18 janvier 1947, cadet d’une famille vivant dansles bas-fonds de Tokyo. Son père Kikujiro, dont il donnera le prénom aumalfrat puéril qu’il interprète dans son dernier film (sorti en 1999), estun yakuza de second ordre. Takeshi abandonne ses études scientifiquespour se consacrer au music-hall, créant avec Kiyoshi Kaneko un duocomique à succès intitulé The Two Beats, dans la tradition du manzaïoù l’un des partenaires est agressif et l’autre pas. C’est le début d’unedouce schizophrénie : au générique de ses futurs films, le réalisateursera nommé Takeshi Kitano, et l’acteur « Beat » Takeshi. Kitano, quientame une carrière télévisée très populaire au Japon, évolue vers uncomique collectif plus agressif, celui des owalaï, à base de satire socia-le tous azimuts, de déguisements outranciers et de cruauté surréalisteà l’égard des participants. Outre la télévision, son activité frénétiquetouche à de multiples domaines : radio, journalisme, économie, poli-tique, science, sociologie, littérature, poésie…Sa première interprétation remarquée au cinéma a lieu en 1983 dansFuryo, de Nagisa Oshima. En 1989, il remplace au pied levé son réali-sateur dans Violent Cop, dont il fait un thriller très sombre, où un bur-lesque incongru point au sein de la violence la plus échevelée.L’expérience lui plaît, il continue donc de mener de front ses emplois destar médiatique et de cinéaste confidentiel. Suivent Jugatsu, unematrice esthétique, A Scene at the Sea, premier de ses films qu’il n’in-terprète pas, Sonatine, qui commence à le faire connaître hors de sesfrontières. 1994 n’est pas seulement l’année de l’échec public sansappel de Getting Any ? — une comédie poussant à son point de non-retour le côté « Beat » de Kitano, féroce, bouffon et inconvenant —,mais aussi d’un grave accident de moto qui manque coûter la vie decelui qui avait déjà failli mourir à six ans d’une crise d’asthme, au lycée,dans un premier crash sur deux roues, et qui dit ne devoir son existen-ce qu’au manque d’argent de ses parents pour payer son avortement.Le visage à moitié paralysé, il en réchappe une nouvelle fois et réalisetrois autres « volumes » (désignation utilisée au début d’Hana-Bi poursituer celui-ci chronologiquement dans la filmographie de Kitano) :Kids Return, son premier succès cinématographique au Japon, Hana-Bi qui lui vaut la reconnaissance internationale et L’Été de Kikujiro. n

Docteur Kitano etMister “Beat” Takeshi

LE CINÉASTE

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Le musicien etl’homme-orchestre

L’ÉQUIPE DU FILM

Outre son « staff » de producteurs — Masayuki Mori, Yasushi Tsuge,Takio Yoshida — réunis au sein de l’Office Kitano, société qui permetau cinéaste de ne plus dépendre outre mesure des grandes sociétés deproduction japonaises pour financer ses films (lesquelles ne le soutien-draient sans réserve que s’il se contentait de resservir au cinéma sonpersonnage de comique télévisuel), Hana-Bi fait figurer deux typesd’intervenants réguliers chez lui : son compositeur Joe Hisaishi et cer-tains de ses acteurs. Une fois n’est pas coutume, le directeur de la pho-tographie n’est pas Katsumi Tanagishima, lequel a travaillé sur tous lesautres films de Kitano excepté son premier (Violent Cop), mais HideoYamamoto, ce qui n’empêche pas Hana-Bi d’être tout à fait représen-tatif du style visuel kitanesque : cadres relativement fixes et très com-posés, espace horizontalisé, souci de la respiration des plans, présencesensible de la lumière solaire et stylisation de la « palette » dans le sensde l’autonomisation de certaines couleurs, peut-être sous l’influence del’estampe.

Au cinéma, Joe Hisaishi devient tout d’abord le compositeur attitré dugrand réalisateur de films d’animation Hayao Miyazaki (Mon voisinTotoro, Porco Rosso, Princesse Mononoké). Quant à Kitano, ayantprincipalement utilisé pour Violent Cop une variation sur laGnossienne n° 1 d’Erik Satie, et laissé son second film (Jugatsu) viergede toute musique, c’est avec Hisaishi qu’il entame une véritable colla-boration avec un compositeur de musique de film originale, et cela àpartir de son troisième « volume », A Scene at the Sea. Entre Kitano,qui déclare n’envisager musique et dialogue que comme un complé-ment aux images, et Hisaishi qui a une haute idée de la compositionmusicale et de son implication dans le film, cette collaboration est toutd’abord agitée, jusqu’à ce que le succès en Europe de la bande origi-nale de Sonatine scelle leur travail en commun : depuis Kids Return,Hisaishi assiste aux tournages de Kitano et compose la musique nonplus après coup, mais au fur et à mesure de leur déroulement (saufpour Getting Any ? film exceptionnel à plus d’un titre dans la filmo-graphie de Kitano, et sur lequel Hisaishi n’intervient pas) ; Hana-Bi adonc bénéficié de cette méthode qui, sans être inédite, n’est pas la pluspratiquée. Ce duo artistique constitue un nouvel exemple d’osmose

entre un cinéaste et un compositeur après, toutes proportions gardées,les mariages Eisenstein-Prokofiev, Hitchcock-Herrmann, Fellini-Rota,Kurosawa-Sato, Truffaut-Delerue, Demy-Legrand, Chabrol-Jansen,Leone-Morricone, De Palma-Donaggio, Wenders-Knieper, Cronenberg-Shore et Lynch-Badalamenti. Les compositions d’Hisaishi, parfois enva-hissantes, apportent aux films de Kitano une note de lyrisme mélanco-lique dont celle d’Hana-Bi présente peut-être l’exemple le plus harmo-nieux, tout en faisant ressortir, par leur structure cyclique en nappesrécurrentes, la part d’immuabilité et de simplicité enfantine de ces der-niers (L’Été de Kikujiro, réalisé après Hana-Bi, fait espérer que ce« cyclisme » ne deviendra pas, pour le tandem Kitano-Hisaishi, purepromenade de routine…).

Enfin, n’oublions pas le principal collaborateur de Takeshi Kitano : lui-même, puisqu’il porte les multiples casquettes de scénariste, produc-teur, réalisateur, interprète, monteur et créateur de la matière même decertaines images : les toiles qui apparaissent dans Hana-Bi ont étépeintes par lui, et préexistaient d’ailleurs au tournage, Kitano s’étantconsacré assidûment à la peinture à la suite de son grave accident demoto en 1994 (ce qui rend évident le lien biographique avec le per-sonnage d’Horibe). n

LISTE TECHNIQUE

Titre original Hana-BiOrigine Japon

Production Masayuki Mori Yasushi TsugeTakio Yoshida

Distribution Océan Films

Réalisation Takeshi KitanoScénario Takeshi Kitano

Musique Joe HisaishiPeintures, dessinsTakeshi Kitano

Image Hideo YamamotoLumière Hitoshi Takaya

Dir. artistique Norihiro IsodaMontage Takeshi Kitano

Yoshinori OtaSon Senji Horiuchi

Scripte Hideko Nakata1er assistant Hiroshi Shimizu

Effets spéciaux Tomoo HaraguchiIngénieur du son Akira Nakano

Effets sonores Yukio HokariMasahiko Okase

InterprétationTakeshi Kitano Yoshikata Nishi

Kayoko Kishimoto Miyuki NishiRen Osugi Horibe

Susumu Terajima NakamuraTetsu Watanabe Tesuka

Hakuryu YakusaYasuei Yakushiji le criminel

Taro Itsumi KudoKenichi Yajima le docteur

Makoto Ashikawa TanakaYuko Daike la veuve Tanaka

Film 35 mm, couleur(1/1,85)

Son Dolby SRDurée 1h43mnAnnée 1997

Version originale sous-titrée français

Hana-Bi est en effet marqué par l’accidentde moto de Takeshi Kitano. Il en porte lesstigmates à divers titres : plastiquement, parl’insertion dans le film des toiles qu’il s’estmis à peindre durant sa convalescence ; bio-graphiquement, par la façon dont Horibecommence à peindre à la suite d’un trau-matisme physique ; thématiquement, parl’importance du motif du suicide, Kitanoayant souvent décrit son accident comme unacte manqué suicidaire — lequel s’inscriraitlui-même dans le contexte d’une occurrenceconsidérable de ce motif dans ses films pré-cédents (mais celui-ci devient à ce pointomniprésent dans Hana-Bi qu’il y figuresous la forme d’un idéogramme rouge surune des toiles d’Horibe) ; corporellement,enfin, par les séquelles visibles sur le visage à

moitié paralysé de Kitano, dont ce cligne-ment de l’œil qu’il dissimule dans la vie enportant des lunettes noires. Lunettes queNishi ne se met significativement à porterqu’après le traumatisme des deux explosionsde violence inaugurales, et qui viennentredoubler l’aspect marmoréen de son visage,comme un masque plaqué sur un autremasque.

Le vrai film de convalescence pour Kitanon’est pas Hana-Bi mais Kids Return, le seuldepuis A Scene at the Sea où il ne joue pas.N’ayant pas encore retrouvé la mobilité deson visage, il préfère en effet s’abstenir d’ap-paraître à l’écran. Kids Return est égale-ment le premier succès commercial japonaisdu cinéaste Kitano (habitué au succès à latélévision), lui qui s’étonnait jusque-là den’être pas prophète en cinéma dans sonpropre pays. Vient alors le temps de l’épa-nouissement artistique. Comme l’indique lesous-titre français, Hana-Bi signifie « Feud’artifice », mais allie les idéogrammes« Fleur » (Hana) et « Feu » (Bi), et l’on yassiste bien à une efflorescence (plus qu’à lapyrotechnie spectaculaire suggérée en fran-çais), à un accomplissement stylistique quitend vers la soustraction formelle et dont ontrouve un bon exemple dans le film à traversle devenir abstrait du feu d’artifice, juste-ment : tout d’abord effectivement visualiséquand Nishi en tire afin de distraire safemme, il est ensuite repris sous formed’image fixe dans un des tableaux d’Horibepour n’être plus finalement rappelé que par

la détonation d’une balle jetée dans un feude bois. L’efflorescence est plus littérale lorsdes mouvements d’expansion visuelle à par-tir des personnages à tête florale peints parHoribe. Tout le film tient dans ces mouve-ments alternés de concentration et d’expan-sion. Cet accomplissement esthétique porte-ra ses fruits puisque, après la reconnaissancecommerciale locale de Kids Return, Hana-Bi marque pour Kitano le temps de la recon-naissance artistique internationale avec l’at-tribution du Lion d’Or au Festival de Veniseen 1997.

Retour en arrière. Lorsque, à la suite de KidsReturn, on lui fait remarquer l’absence desfemmes dans ses films, Kitano répond que lesuivant en comportera de nombreuses.Ailleurs, il apporte un bémol : reconnaissantqu’il ne sait pas peindre les personnagesféminins, il promet d’au moins mettre enscène un couple marié et heureux. Résultat,dans Hana-Bi figure effectivement uncouple marié (un seul : ceux d’Horibe etTanaka se délitent dès le début du film), mais« heureux » d’une manière peu orthodoxe,car plongé dans le mutisme, marqué par lesouvenir d’une mort passée (la petite fille deNishi) et par le spectre de celle à venir. Ilsemble qu’en cours de projet la conceptionqu’a Kitano du plaisir de vivre, inséparable dela conscience de la mort, ait repris le dessus.Peut-être cette évolution est-elle égalementdue au fait que le cinéaste, durant le tourna-ge, aurait pour une fois laissé ses acteursexprimer leur avis sur le scénario original. n

6

De l’accident àla reconnaissance

HISTOIRE DU FILM

7

Même s’il est sans doute encore trop tôtpour parler de « troupe » repérable dans lecinéma de Takeshi Kitano, il est notable queHana-Bi, film de synthèse dans sa carrière,met en scène la quasi-totalité des acteurs aux-quels il a régulièrement recours, sans pourautant d’habitude les rassembler ainsi. Parmises huit longs métrages, Susumu Terajima (lejeune policier désabusé) joue dans six et RenOsugi (Horibe) dans quatre, pour ne citer queces deux acteurs.

Évoquer en premier lieu les acteurs à proposdes personnages de Hana-Bi, c’est soulignerà quel point ces derniers ne sont pas descréations fictionnellement fortes, précisé-ment caractérisées sur le modèle du récitoccidental classique ; pas plus, pour autant,

des « véhicules » destinés à mettre en valeurla personnalité particulière d’un comédien,Kitano refusant les acteurs trop célèbres etspécialisés (de peur que leur image ou leurstics de jeu nuisent au film) : excepté KayokoKishimoto, vedette de télévision très populai-re au Japon et à laquelle il donne un de cescontre-emplois qu’il affectionne, celui del’épouse aphasique de Nishi, aucun des inter-prètes n’est à proprement parler une vedetteet, si l’on ne tient pas compte de sa notorié-té, Kitano lui-même ne se signale que par saprésence singulière, faite de laconisme sec,de corporéité immédiate et de réactions nonpréparées. Le personnage kitanesque, sou-vent dénué de nom, n’est que très peu, exis-te à peine, n’évolue pratiquement pas, nes’explique jamais (les dialogues sont réduitsau minimum), pose des actes sans garantiede leur validité : de passage dans ce monde,il a rarement peur de la mort — cette peurest réservée à certains « seconds couteaux »— et s’avère à la fois présent et absent, d’oùla légèreté ludique comme la gravité mélan-colique, les jeux de plage comme la contem-plation désenchantée de l’immensité marine.

Dans une histoire du personnage à l’écran,celui de Kitano serait à la croisée de la pureréactivité du héros burlesque, de lapétrification fonctionnelle du protagonistede film de genre à son stade terminal (leDirty Harry de Clint Eastwood, les person-nages de Jean-Pierre Melville, voire ceux deSergio Leone), de la sobriété habitée des« modèles » de Robert Bresson, enfin de

l’humanité tragi-comique des icônes hitch-cockiennes. Toutes choses allant dans le sensdu refus, non de la psychologie, mais de lapsychologisation, laquelle est court-circuitéepar un aller et retour constant entre l’éviden-ce offerte (des visages, des corps, des statutssociaux) et l’opacité imprévisible (des expres-sions, des postures, des comportements).L’inspecteur Nishi cristallise l’ensemble destraits qui viennent d’être énoncés, et ses per-sonnages-satellites tombent dans l’univocitéschématique selon qu’ils se définissent defaçon plus ou moins exclusive par rapport àl’un de ceux-ci : ainsi, le patron de la casseest un « réactif », le tueur des yakuzas un« pétrifié », le médecin un « modèle » etHoribe un « trop humain », dont le tragi-comique est sensible dans la scène de lamarée montante.

À noter que Kitano, quant à lui, se défend detoute influence cinématographique directe(à l’exception, peut-être, de celle deKurosawa), revendiquant seulement un lienavec la subtilité pointilliste du personnagemasqué dans le théâtre Nô. n

Artisteset modèles

LES PERSONNAGES

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Générique

Violence et souvenirs I :l’agression d’HoribeCe fragment établit l’antériorité de plu-sieurs données : l’amitié de Nishi etd’Horibe qui remonte au lycée, la mort de lafille de Nishi, la leucémie incurable de safemme, qu’il voit peu à cause de son travailet qui ne parle pratiquement plus. Dans le« présent » du fragment, le médecin de sonépouse conseille à Nishi de la faire sortir del’hôpital, et Horibe est blessé au ventre ;paraplégique, abandonné par sa femme etsa fille, il confie à Nishi son désir de semettre à peindre, ce qui conclut le frag-ment.

Violence et souvenirs II :la mort de TanakaIci, tout tourne autour du souvenir éclaté del’arrestation de l’agresseur d’Horibe. La rela-tion intégrale de cet événement vient mar-quer la fin du fragment, et élucide a poste-riori certaines de ses données : pourquoi,outre celles d’Horibe et de son épouse (qu’ila ramenée à la maison), Nishi se préoccupe-t-il de la situation de la veuve du jeune poli-cier Tanaka : celui-ci est mort dans l’arresta-tion ; pourquoi Nishi a-t-il démissionné de lapolice : il n’a pas réussi à appréhender le

meurtrier, et a répondu par la violence à laviolence de ce dernier, en le tuant puis vidantson chargeur sur son cadavre.

Solitude et “reconversion” d’HoribeCe fragment commence à peu près enmême temps que le précédent avec la scènequi montre Horibe surpris par la maréemontante, et suit le parcours artistique del’ex-inspecteur handicapé, en parallèle aveccelui de l’ex-inspecteur démissionnaire : deson suicide raté jusqu’au tableau qui évoqueexplicitement le suicide, en passant par l’éla-boration de ses différentes œuvres et l’ou-verture des colis de matériel de peintureenvoyés par Nishi.

Violence III : les yakuzasAutre fragment parallèle, qui commencepeu après le début de « Solitude… » (avecla scène au bar où des sbires viennent récla-mer à Nishi l’argent qu’il a emprunté), setermine sensiblement en même temps quelui (lorsque Nishi décime les gangsters dansleur voiture), et constate avec ironie la vic-toire constante de Nishi sur les yakuzas,qu’il gagne toujours de vitesse dans l’em-ploi de la violence.

Préparatifs du voyageEncore un fragment parallèle, qui commen-ce peu après le début de « Violence III », etdont le signal de départ est donné par lemédecin de l’épouse de Nishi, quand ilconseille à ce dernier de l’emmener envoyage. Après s’être vu refuser un nouveauprêt par les yakusas, Nishi se rend dans unecasse, maquille un taxi volé en voiture depolice et braque une banque avec succès,déguisé en policier.

Voyage en JaponieSuite au fragment précédent, Nishi et sonépouse partent en voyage en voiture à tra-vers le Japon. Visites, jeux, rires, feux d’ar-tifice, pique-nique.

À la recherche de NishiUltime fragment parallèle, qui commencepeu après le début de « Voyage… » avec lerapport qu’établit le jeune policier (rescapédu bain de sang qui avait coûté la vie àTanaka) entre l’envoi de Nishi à la veuve dece dernier et le braquage de la banque. Onsuit le parcours du policier et de son assis-tant sur les pas du couple, jusqu’à ce que,après avoir découvert les cadavres des yaku-zas, ils le retrouvent en bord de mer, l’an-cien subordonné de Nishi lui concédantalors un dernier moment d’intimité avec safemme.

La plageSuccède au fragment précédent mais pour-rait s’intituler « Voyage en Japonie, suite etfin », car il continue et achève le fragment enquestion : observé à distance par les policiers,Nishi rejoint son épouse sur la plage. Il joueavec une adolescente et son cerf-volant, puisson épouse parle pour la première fois : ellele remercie, et pose sa tête sur son épaule.Deux détonations éclatent, l’adolescentereste interdite.

Générique

Structuredu film

ANALYSE DU RÉCIT

9

Si l’on établissait le diagramme narratifd’Hana-Bi avec les fragments relevés ci-contre, on obtiendrait visuellement une sorted’escalier — ou plutôt, par la façon dont lesdifférentes « marches » apparaîtraient lesunes après les autres tout en coexistant et en« glissant » les unes sous les autres : un esca-lator. Autant dire que, pour le spectateurhabitué aux volées d’escalier narrativesimmuables, ce récit n’est pas des plus aisé-ment praticables. Là où l’art de la fuguedevient complexe, c’est moins dans l’entre-mêlement des différents fragments fuguésd’Hana-Bi (jusqu’à quatre différents en« simultané » c’est-à-dire cinématographi-quement non pas super mais juxtaposés) et

leur retour irrégulier, que dans la difficultéqu’il y a par moments à différencier les har-moniques des fondamentales, le mineur dumajeur, le secondaire de l’essentiel, à définirl’importance relative des divers éléments dra-matiques (la « rythmique dramatique »),entre la solitude d’un ex-policier handicapé,la mort prochaine d’une épouse, les effortsde son mari pour la rendre heureuse, lamenace qui pèse sur lui, les créations de l’ap-prenti-peintre, la traque policière…

À première vue, ce n’est pas l’ajout d’épi-sodes hétérogènes à la ligne du récit qui sim-plifie les choses. Ainsi de la relation conflic-tuelle que Nishi entretient avec les ouvriersqui ont eu le culot de déjeuner sur sa voitu-re, du rapport pour le moins difficile du fer-railleur avec un petit conducteur de camion-nette, de la discussion houleuse qui opposeles yakuzas à un débiteur rétif, de la mésa-venture de l’automobiliste accidenté qui faitappel à Nishi tout en le traitant de « voleurd’impôts », etc. Autant d’intermèdes qui nefont pas progresser l’histoire, mais portenttous la même morale : inutile de vouloirparaître fort, c’est la marque du plus faible,lequel reste toujours sur le carreau.Dédaignant les démonstrations de force, seulNishi peut vaincre les « durs » sur leur propreterrain. L’air de rien, cette morale minimalis-te relativise tout ce qui a trait aux rapports deforce (y compris Horibe qui, au début, faitpreuve de dureté hâbleuse à l’égard de sesinférieurs hiérarchiques, avant d’être sévère-ment diminué par le cours du récit), pour

conférer plus d’importance à ce qui touche àl’artistique, au sentimental, à l’élégiaque etau bucolique. Sous les oripeaux du film poli-cier, Hana-Bi se révèle un vrai mélodrame.

Autre source de complexité, de prime abord :la confusion chronologique. Le fait que dans« Violence et souvenirs I » plusieurs informa-tions soient données par le dialogue commeantérieures au récit suggère que le fragmentlui-même est au présent. Mais l’encadrementde celui-ci par l’aller et le retour de Nishi ren-dant visite à son ami handicapé, et l’insertionen son sein de quelques plans de Nishi « pen-sif » à l’extérieur de ce qui se présente aprèscoup comme la maison d’Horibe, font que cen’est qu’a posteriori que le spectateur attentifconsidère l’épisode de l’agression de ce der-nier comme un flash-back affecté à la mémoi-re de Nishi. De même le fragment suivant tra-vaille à la déstructuration du souvenir de l’ar-restation de l’agresseur d’Horibe, et ne nouspermet qu’à sa toute fin d’entrevoir que laviolence exercée à son endroit avait été immé-diatement suivie d’une violence plus grandeencore, laquelle seule explique les bouleverse-ments dans la vie de Nishi. Ce brouillage quel’on pourrait taxer de complication inutile n’ade prix qu’en contrastant avec le retour pro-gressif au strict présent du récit, lorsque Nishisimplifie son existence pour ne plus la consa-crer qu’au bonheur de son épouse, oubliant laconfusion dans laquelle sa vie de policierl’avait plongé : à partir de « Voyage enJaponie », tout n’est (pratiquement plus) quelinéarité, luxe, calme et douce hilarité. n

Un escalatornarratif

ANALYSE DU RÉCIT

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La forme fuguée d’Hana-Bi et le titre d’undes films de Kitano (Sonatine) suggèrent lanature musicale de son cinéma. La composi-tion « horizontale » du récit y est prépondé-rante : Kitano s’avère moins harmoniste quemélodiste et contrapuntiste, il joue moins dela combinaison d’éléments superposés quede la dissociation d’une ligne mélodiqueprincipale en lignes parallèles fuguées, d’oùson rôle crucial de compositeur/chef d’or-chestre/interprète, exécutant principal etgarant de la mélodie de base de son film.Bien qu’affecté de brouillages chronolo-giques, Hana-Bi est mélodique en ce qu’ilapparaît comme une succession linéaire tra-gique, et cela dans la mesure même où« l’après » du film vient à manquer, à causede l’absence ou de la mort des enfants et du

suicide final. Ce tempérament horizontal seretrouve dans le traitement de l’espace(Thierry Jousse parle à ce propos d’« unmonde latéral, peuplé d’espaces quel-conques et disjoints ») 1, la musicalité en tantqu’expression sonore effective étant pour sapart laissée à la charge de Joe Hisaishi, dontla musique elle-même très linéaire sembleparfois redondante par rapport à la musicali-té implicite des films de Kitano, qui n’est passans évoquer une forme de cinéma muet.Kitano accorde de toute façon plus d’intérêtà l’image qu’au son (lequel est traité danscertains cas non comme l’émanation dumonde réel mais comme un pur bruitage,ainsi de la sirène de police qui engendre chezNishi le souvenir de l’arrestation) : durant letournage de ses films, le travail pictural sur lecadre est prioritaire.

AU DÉBUT ÉTAIT LE CADRE

Kitano aime à dire que sa priorité sur untournage consiste à décider de l’emplace-ment de la caméra et de l’angle de prise devues. Passés les cartons liminaires d’Hana-Bidévolus aux instances de distribution et decoproduction, les plans suivants du géné-rique donnent le ton : ce sont des tableaux,à l’image de ceux que l’on verra peints plustard par Horibe. Or ce qui préexiste en pein-ture, c’est le cadre de la toile, le représenténe venant qu’après s’y inscrire, alors qu’apriori c’est le réel à filmer qui prime au ciné-ma, et vient en investir le cadre. Mais, dansHana-Bi, le cadrage (le rapport entre le

cadre et ce qui est cadré) donne lui aussil’impression d’une antériorité du cadre ciné-matographique par rapport au réel filmé,quand bien même, ce qui arrive souvent aucours du film, l’objet de l’intérêt du plan y estinscrit dès son début, de manière particuliè-rement frappante lorsque non seulement ilest déjà là, mais qu’il est en plus immobile(effet comique de surprise visuelle garanti,comme dans les plans qui succèdent auxtableaux introductifs et montrent la confron-tation entre les deux ouvriers et Nishi). Cettepré-inscription fréquente de l’objet du plandans le cadre ne procure pas le sentimentd’un filmage sur le vif, où la caméra, en sou-mettant ses choix de cadrage à ceux-ci, saisi-rait à la volée des morceaux de réel qui exis-teraient en dehors d’elle ou seraient organi-sés pour créer cette impression ; loin de cevérisme documentaire, elle est ressentiecomme le résultat d’une ellipse inaugurale,court-circuitant de façon quasi systématiquetout ce qui est de l’ordre de l’exposition et dela préparation. Kitano n’est pas non plus uncinéaste du suspense, il nous met devant lefait établi, voire accompli. Peut-être faut-il yvoir l’influence de son activité télévisée, où ilest interdit de perdre du temps en exposi-tions « inutiles » ? Toujours est-il que, mêmedans ce cas, la détermination du cadre paraîtantérieure au choix du découpage elliptique,ou plutôt semble l’annexer. Sa primauté estsoulignée par son rapport harmonieux, unrien figé, à la composition visuelle du plan,ainsi que par sa relative fixité de principe,

Le musical et le pictural

MISE EN SCÈNE

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Horibe les colis de matériel de peinture(sauf in extremis par Horibe lui-même, aumoment où cela n’entraîne plus debénéfice émotionnel) ; la nature exacte desenvois de Nishi à la veuve de Tanaka n’estpas non plus précisée. Cette rétention est àprendre au sens de retenue, de pudeur,celle qui permet aussi, formellement, decadrer la violence (émotionnelle ou phy-sique) d’une manière qui ne soit pas obscè-ne : les inserts cités ci-dessus remplacent engénéral des plans exhibant l’affectif ou l’ac-tion brutale. Toutefois, Kitano connaît lerisque d’atrophie autistique engendrée parune trop grande retenue, à l’image de cellequi enferme l’épouse malade de Nishi dansune dignité muette et dépressive (c’estpourquoi son remerciement final revêtautant d’importance). Il sait qu’à partir dumoment où il intègre la violence dans sonfilm, son devoir de cinéaste sera aussi, par-fois, de la montrer, et pas seulement sous laforme elliptique et fragmentée de grosplans évocateurs. Ainsi, au moment du sou-venir de l’arrestation de l’agresseurd’Horibe où la violence culmine, il trouve lemoyen de la présenter « grandeur nature »à l’intérieur du cadre, sans ellipse (au ralen-ti au contraire, ce qui confère au plan sacharge de stupeur), tout en la masquant. Ils’agit du plan en plongée où Tanaka et soncollègue tombent sur le criminel, et oùcelui-ci, du dessous, tire sur leurs deuxcorps superposés : toute la rage meurtrièreest ici concentrée, mais ne se saisit qu’à tra-

vers son effet sur des corps-écrans, et nondans l’étalement d’un conflit qui jouirait deson propre spectacle.

En revanche, au contraire de la violence,« la mort n’est pas chez Kitano un instantqu’on pourrait identifier, cerner, cadrer, etfilmer en tant que tel — et plus particuliè-rement le suicide qui est toujours horschamp » (Thierry Jousse) 3. L’avant-dernierplan de Hana-Bi donne donc lieu à l’un deses très rares amples mouvements de camé-ra (en général, ce sont plutôt des mouve-ments assez peu visibles de recadrage oud’accompagnement), qui se détourne dusuicide pour cadrer l’immensité marine,

seule susceptible de pondérer l’intensité dela mort. André Bazin aurait été heureux :fût-ce douloureusement, le monde est alorsretrouvé. n

1. Voir bibliographie.2. La pensée d’André Bazin, qui a influencé la NouvelleVague française est développée dans l’ouvrage Qu’est-ce que le cinéma, éditions du Cerf, collection 7ème Art,1985.3. Voir bibliographie.

comme si le cadre kitanesque était empêchéd’évoluer spatialement en fonction de cequ’il enregistre. Si l’on devait décrire Kitanoavec les mots du critique de cinéma AndréBazin 2, on dirait qu’il n’est pas vraiment uncinéaste réaliste, au sens où il « cadre » leréel (c’est-à-dire le délimite strictement parles bords de son cadre, en l’organisant com-plètement à l’intérieur de ce dernier) plusqu’il ne le « cache » (qu’il n’en laisse devinerla continuité universelle au-delà de la fron-tière du cadre). Toutefois, son cadre n’est paspurement pictural mais fait aussi office decache, non pas en montrant seulement unepartie du grand tout, mais une chose à laplace d’une autre, souvent par le jeu du planen insert et de l’ellipse conjointe : la main deNishi qu’on voit à peine sortir de sa pocheface aux ouvriers, le plan du vase saisi par letueur des yakusas afin de châtier l’insolenced’un des sbires, le point de vue de la camérade surveillance qui couvre l’essentiel du bra-quage de la banque, le résultat du jeud’adresse auquel s’adonne l’épouse de Nishi,la visualisation des toiles terminées d’Horiberemplacent efficacement un plus grandnombre de plans. Au choix, on dira que larhétorique kitanesque relève de la synec-doque ou de la litote, elle tend en tout cas àprouver que « qui fait le moins peut leplus ».

La notion de « cadre » dans Hana-Bi dépas-se en fait son statut de découpe purementvisuelle. Son importance s’étend ici à celle dela découpe en général, qui s’effectue moinsà l’intérieur « du » monde réel que de celuique Kitano institue dans l’espace de sonfilm, et englobe à ce titre les ellipses, les-quelles n’affectent pas seulement la prépara-tion de certains plans, événements et situa-tions, mais sont omniprésentes, sous desformes diverses : dans la résolution occultéede certains de ces mêmes plans, événementset situations, ou encore dans la rétention decertaines informations. Ainsi, il n’est pas ditexplicitement que c’est Nishi qui envoie à

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L’ouverture du générique de début meten place quelques ingrédients constitu-tifs d’Hana-Bi, de natures très diffé-rentes mais ayant globalement trait àl’artistique, au sentimental et au buco-lique, tout en laissant percer certainsaspects plus funestes :

• LE MUSICAL : il précède le pictural,puisque la musique élégiaque d’Hisaishicommence avec les premiers cartons surfond noir purement informatifs, qui indi-quent les instances de distribution et decoproduction du film, avant l’apparition despremiers cartons peints. Parmi ces derniers,hommage est rendu au compositeur et à lasuavité mélancolique de sa musique grâce à

un plan qui lui est spécialement consacré :son nom est mentionné sur un tableau repré-sentant des partitions en forme de volutes,sur fond floral ;

• LE PICTURAL : la transition entre les pre-miers cartons sur fond noir et les plans peintsse fait par l’insertion d’un plan indiquant le« numéro de série » d’Hana-Bi au sein de lafilmographie de Kitano. On y voit en effet cequi ressemble à un exemplaire de scénarioentrouvert, lequel porte sur sa couverturedes idéogrammes (qui doivent correspondreà « Takeshi Kitano ») suivis, en caractèresoccidentaux, de l’indication « VOL. 7 ». Bienque lui-même peint, ce carton ne fait officeque d’intermédiaire car, par sa fonctionnalitéet son inscription virtuelle dans une série, ilest a priori gratifié de moins de noblesse pic-turale que les plans qui lui succèdent. Ceux-ci, peints dans le style naïf et coloré qui seracelui d’Horibe, préfigurent bien sûr son acti-vité artistique future. L’activité en questionétant consécutive à la violence physique etassociée à l’idée de suicide, la présence inau-gurale de ces tableaux place d’emblée lefilm, fût-ce implicitement, sous le signe de lagravité et du fatalisme. Plus généralement,c’est l’importance du cadre qui est ici posée,ainsi que la recherche d’une simplicité for-melle procédant par soustraction (mais netombant pas dans l’abstraction) et passantpar l’absence de discours, la recherche d’uneluminosité franche (celle, par excellence, dela plage finale), la raréfaction des motifsfigurés ;

• L’ANGE GARDIEN : le premier tableaudonné comme tel représente un ange surfond de voie lactée que l’on retrouve ensui-te, par le jeu d’un fondu enchaîné, devantune cascade coulant au milieu d’un décorverdoyant, avec en parallèle l’inscription« Dans le rôle de Nishi : Beat Takeshi », etannonce le statut d’ange gardien du prota-goniste principal à l’égard de son épouse,d’Horibe et de la veuve de Tanaka. La façondont l’ange est montré dès le tout début dufilm, sans nécessité évidente, résonne avec lecaractère quelque peu volontariste de l’aideque Nishi se sentira obligé d’apporter à ceux-ci. Dans le même temps, ce rapprochement avaleur ironique : prosaïque et peu amène,Nishi ne peut être identifié que métaphori-quement à cet ange venu du ciel. Au contrai-re, d’après sa démarche pesante et sa sobreefficacité, on ne saurait avoir davantage lespieds sur terre… Plusieurs moments du filmse chargent toutefois de nous rappeler quel’habit ne fait pas le moine, le béret l’artiste,l’uniforme le véritable policier, le costumeclinquant le vrai dur, donc que les ailes nefont pas l’ange. Seuls les actes comptent(jusque dans le domaine affectif), c’est pour-quoi Nishi ne commente pas les siens, mêmequand il s’agit de « B.A. » : la morale deKitano relève d’un béhaviorisme pragma-tique. Avant le tout dernier carton du géné-rique de fin, un ultime tableau montrera l’an-ge posé dans un pré fleuri, amputé d’uneaile tombée par terre. Nishi est peut-êtrebien un ange, mais c’est un ange blessé,

Le générique de débuttout un programme

CHEMINS DE TRAVERSE

imparfaitement, ou à contretemps (épi-sodes du retardateur, du « sauvetage » ducache de l’appareil photo, du feu d’artifice,du cerf-volant), et tombent dans l’absurde,n’enlève rien au sérieux du travail sur le jeu,et ne le met que plus en rapport avec celuieffectué sur le gag par les grands auteursburlesques, qui souvent lui aussi reposaitsur la faillite d’une action, et pourtant résul-tait d’un énorme labeur.

À la suite de ces plans-tableaux, les pre-mières prises de vues « réelles » jusqu’àce que le générique se termine (avecl’apparition retardée du titre) mettenten place quant à elles ce qui tient del’urbain et de la violence, de l’enversnégatif du film qui, au moins pendanttoute sa première partie, sera en faitson endroit :

• OBSCURITÉ DES TENANTS ET DESABOUTISSANTS : un « plan tampon » denuages permet d’assurer la transition avecles plans peints précédents, par son videfiguratif et l’intensité picturale du bleu duciel, lequel va migrer vers les bleus de travail

des deux ouvriers que l’on découvre d’uncoup dans le plan rapproché suivant, sanspréparation. Nishi apparaît de la mêmemanière immédiatement après, impéné-trable derrière ses lunettes noires, et s’ensuitun conflit dont la cause est tellement ellip-sée qu’on a du mal à la définir, sinon par sonanecdotisme (d’après les restes qui le jon-chent, les ouvriers se seraient permis dedéjeuner sur le capot de sa voiture). La vio-lence est obscure parce que, comme cespremiers personnages que l’on découvreabruptement, elle semble avoir toujours étélà, sans origine ni résolution définitive ;

• VITESSE ET IMPRÉVISIBILITÉ DE L’AC-TION DE NISHI : n’ayant laissé échapperpour toute réprobation qu’un infime dodeli-nement de la tête à la vue de la nourrituresur le capot, Nishi est celui qui, commedurant tout le reste du film, va ouvrir leshostilités avant que la partie antagoniste nele fasse, dépouillant la violence de ses posespréparatoires afin de gagner en efficacité.Sur ce point, son attitude est aux antipodesde celle du héros chez Sergio Leone : il n’estplus nécessaire de jauger l’adversaire, l’inti-midation ne réside plus dans une attente

abîmé par le deuil, arrimé au sol par la vio-lence du monde ;

• LA NATURE : elle est présente à travers lesecond décor devant lequel l’ange volette.Hana-Bi tend vers cet horizon bucoliquedélimité par la mer, et sa seconde partie s’ydéroule, loin du morne cadre urbain de lapremière moitié du film. Notons que cedécor peint fonctionne en tant qu’évocationgénérale de la nature et non comme annon-ce d’éléments précis du film (la cascade parexemple ne s’y retrouvera pas) ;

• LE JEU : le tableau du feu d’artifice, quel’on reverra peint par Horibe au cours dufilm, installe le monde du jeu et conjointe-ment celui de l’enfance et du bonheur fami-lial. Les trois personnages hilares représentésen bas à gauche de la peinture — unhomme en débardeur, une femme en robeet une fillette en jupe —, ce sont aussi bienNishi qu’Horibe avec leur épouse et fille,avant que le malheur ne les sépare, figésdans l’expression naïve d’un état de grâce liéà la présence d’un enfant, laquelle manquecruellement dans le film. Naïve, comme l’estl’image de l’ange gardien par rapport à laréalité de Nishi, car si les deux hommes par-viennent dans une certaine mesure à retrou-ver cet état de grâce, l’un par le jeu, l’autrepar l’art, ce ne sera qu’en pratiquant chacuncette activité avec gravité, celle qui unit leludisme de l’enfance et le travail de l’adultequand il est fait avec conscience (autreaspect du pragmatisme de Takeshi Kitano,cette attention accordée au sérieux du tra-vail, qui remet en perspective la bouffonne-rie ravageuse du comique « Beat » Takeshi ;c’est d’ailleurs sur le plan du feu d’artificequ’apparaît la mention « Scénario, mise enscène, montage : Kitano Takeshi »). Horibese met à peindre parce qu’il n’a fait que tra-vailler toute sa vie, et même s’il cherche àdérider sa femme, Nishi ne se départ qu’inextremis de son masque imperturbable lors-qu’il met ses jeux en pratique. Le fait queceux-ci en général ne marchent pas, ou

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qu’ils formulent littéralement à l’écran, l’unune volonté de donner la mort, l’autre undésir de la recevoir, un simple idéogrammeétant en l’occurrence plus fort qu’unelongue série d’images. Dans le même ordred’idée, on peut jeter un autre pont entre ledébut et la fin d’Hana-Bi, là aussi entreune manifestation de violence inauguraleet une acceptation de mort finale : il relie-rait la coupure brusque de la premièreoccurrence de la musique dans le film(lorsque l’ouvrier nettoie le pare-brise deNishi) et celle de sa dernière occurrence

avant le générique de fin, due aux coups defeu par lesquels Nishi entraîne son coupledans la mort. n

soigneusement ménagée dont on pressentl’éclatement, mais dans le silence neutre deNishi, aux retombées imprévisibles. Le pland’ensemble suivant situe la scène sur un par-king en terrasse et surtout produit uncontraste brutal, par resserrement soudain,avec l’insert sur la poche de Nishi qui lui suc-cède, d’autant que cette brutalité est accen-tuée par l’atteinte faite alors à la fameuse« loi des 180° » (qui veut que lorsqu’on filmedeux personnages en champ-contrechamp,on ne franchisse pas la ligne imaginaire quiles réunit, sous peine d’une sensation dedérèglement spatial) puisque ce gros plan estcadré selon une orientation inverse de cellequi régissait jusqu’ici les positions respectivesdes personnages par rapport à la caméra.Ellipse de la fin du plan de la poche qui nedure qu’une demi-seconde (que sort Nishi decelle-ci ?), retour très court sur les deuxouvriers dans l’attente, raccord soudain surune surface obscure occupant presque toutel’image, qui se révèle être le chiffon qu’undes ouvriers utilise pour laver le pare-brise dela voiture de Nishi. Le bruit mat de sonimpact sur la vitre coupe sans préavis lamusique d’Hisaishi pour mieux nous laisserassister au résultat du rapport de force qui,en lui-même, a été occulté : la mise au pasdes ouvriers, obligés de nettoyer le véhiculesous l’œil impitoyable de son propriétaire. Cepassage extrêmement concentré, qui dureune vingtaine de secondes, présente undouble intérêt : suggérer la violence physiquepar une violence formelle, faite de ruptures,contrastes, ellipses et syncopes — ce en quoila musicalité kitanesque peut flirter avec celledu jazz —, et établir une fois pour toutes lasupériorité rythmique de Nishi dans l’emploide cette violence. Sa supériorité rythmique,c’est ici le montage qui l’impose, mais dans lereste du film elle s’accomplit parfois à l’inté-rieur du plan, sans coupe, que ce soit lors dela seconde rencontre de Nishi avec lesouvriers ou quand les yakuzas viennent luiréclamer l’argent au bord du lac. De la sorte,elle s’avère d’autant plus imprévisible, le pas-

sage à l’action de Nishi s’inscrivant alors dansun continuum qui va de l’impassibilité appa-rente à la distribution des coups, qu’il accom-pagne d’un déplacement monocorde et inin-terrompu, témoignant là encore d’un art dela progression mécanique que n’auraient pasrenié les grands acteurs du burlesque améri-cain ;

• LA VILLE : survient ensuite l’un des deuxseuls plans généraux de la ville, visibles dansHana-Bi, un panoramique le long d’un pontimmense qui relie deux de ses berges, et surlequel apparaît le titre du film. Celui-ci estainsi associé à une présence de la ville telle-ment implacable qu’elle n’a pas besoin d’êtreplus amplement illustrée, le second plangénéral étant sensiblement similaire au pre-mier, si ce n’est qu’il se déroule de nuit etque le panoramique s’y déploie en sensinverse. Le décor est planté, mais pour lereste Kitano se cantonne plutôt à desespaces urbains « quelconques », sans cher-cher à singulariser la ville (bien qu’il s’agissetrès probablement de Tokyo) ni à lui conférerune grandeur architecturale ou spatiale. Peuaprès ce plan, on assiste d’ailleurs au départde la ville de Nishi en voiture, le long de cettemer que l’on retrouvera, hors de tout contex-te urbain, à la fin du film.

Enfin, après ce dernier plan du génériqueproprement dit, il en est encore un qui porteune mention écrite, mais cette fois directe-ment enregistrée au tournage, et non plusrajoutée en surimpression : il s’agit de l’idéo-gramme rouge tagué sur le sol du parking oùles ouvriers et Nishi se sont affrontés, et quele sous-titre traduit par l’injonction« Crève ! ». Qu’importe son explication (onpeut toujours penser que les ouvriers l’ont,par vengeance, tracé à l’endroit où station-nait la voiture de Nishi), cela donne lieu à unultime plan avant-coureur qui préfigure poursa part un autre idéogramme rouge, celuipeint par Horibe sur la dernière toile qu’onverra de lui et signifiant « Suicide ».L’intensité de ces deux plans provient de ce

Le jeu dans Hana-Bi n’est pas l’apanagedes protagonistes. Au moment du monta-ge, étape de la « post-production » dontKitano s’acquitte lui-même, il a ainsi joué àétablir des rapports surprenants entre Nishiet d’autres éléments du film :

1 – à l’hôpital, Nishi allume une cigarette,mais à la flamme du briquet se substitue lecanon de l’arme de l’agresseur d’Horibe,qui fait feu sur ce dernier ;

2 – le tueur des yakuzas tire sur le débiteurrétif : plan du visage de celui-ci qui s’ef-fondre, raccord sur Nishi lui-même en trainde tirer des balles à blanc qu’il vient de pré-parer en vue du braquage ;

3 – Nishi est assis dans sa fausse voiture depolice, sur le point de braquer la banque.Changement de plan, de l’autre côté de larue se tient un jeune homme qui l’observe.Contrechamp sur Nishi qui baisse sa vitre,pointe son revolver sur lui. Frayeur du jeunehomme, Nishi dit « Bang ! ». Retour aujeune homme : il joue le jeu, porte la mainà son ventre avec un air de douleur, puis seredresse et rigole ;

4 – après avoir décimé les yakuzas, Nishitire sur leur dernier sbire en fuite. Coupe surla percussion du chien, raccord avec le jetde peinture rouge sur la toile d’Horibe por-tant l’idéogramme « Suicide ».

Qu’il s’agisse de créer l’illusion d’une conti-nuité signifiante entre deux événements enréalité séparés (1, 2 et 4), ou bien d’établirun simple champ-contrechamp (3), ces pro-cédures de montage n’ont rien de compli-qué. Elles sont complexes en revanche dansleurs implications d’ensemble, faisant deNishi à la fois le responsable de la violence(1 : c’est en partie à cause de son absencequ’Horibe est grièvement blessé), son com-plice (2 : même à blanc, les balles de Nishirelèvent du champ de la violence), son sati-riste (3 : la violence n’est plus qu’un jeudérisoire) et sa victime (4 : s’ajoutant aubain de sang précédent, cette pression detrop sur la gâchette — dont il n’est mêmepas sûr qu’elle soit effectivement meurtriè-re, étant donné l’amorce du bruit de la per-cussion qui pourrait indiquer que le barilletest vide — semble signer le suicide prochainde Nishi, par l’entremise de la toiled’Horibe). Dans ces quatre exemples, le rap-port de Nishi à la violence est d’autant pluséquivoque qu’il y est déréalisé, et renduindécidable par le jeu du montage. En 3, sila grossièreté délibérée du procédé nousamenant à nous identifier au jeune hommebon public (Nishi pointe son revolver dansl’axe de notre regard) rend encore plus iro-niquement soulageante la révélation du« Ce n’était qu’un jeu », elle n’en jette pasmoins un voile d’inquiétude sur la positionde Nishi vis-à-vis de cette violence, et le fauxstatut de policier de cet ex-véritable inspec-teur n’est pas fait pour atténuer l’ambiguïté

de la scène. N’est-il vraiment que dans lesimulacre ludique, celui qui fonde en partiele contrat entre le cinéma et son spectateur,et, en l’occurrence, où le jeu s’arrête-t-il ?Cette question n’est pas neuve au cinéma(qu’il suffise de citer un auteur tel que FritzLang, et l’ouverture fulgurante de son filmChasse à l’homme), mais Kitano la posed’une façon très directe, littéralement fron-tale, à la fois moqueuse et grave.

Il faut citer pour finir le petit enchaînementde plans suivant : Nishi, ayant envoyé autapis l’un des deux ouvriers qui l’attendaitavec un couteau, lui laisse tomber la lamedessus ; plan de l’ouvrier qui interceptecelle-ci entre ses deux mains, en une attitu-de évoquant irrésistiblement la prière ; ellip-se, plan des mains de Nishi dans sa voiture,abîmées par la bagarre. L’ouvrier « sup-pliant » aux pieds de Nishi, les « stigmates »de ce dernier au dos des mains, tout inviteà voir alors en lui un Christ pour le moinsatypique. L’ouverture du film l’avait déjàassocié à un ange, autre figure religieuseoccidentale, mais s’il est ange gardien pourcertains, il est aussi pour d’autres angeexterminateur. n

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Ateliermontage

CHEMINS DE TRAVERSE

Après les tableaux avant-coureurs du géné-rique de début [voir CHEMINS DE TRAVERSE,pages 12 à 14], la peinture dans Hana-Bi esttout d’abord temporairement « remisée ».De façon littérale, dans certains plans :quand Nishi monte l’escalier de l’hôpitalpour aller voir sa femme, on aperçoit untableau au fond du champ, dans un couloir.Lors de la première scène où il prend desnouvelles de la veuve de Tanaka, un autre estvisible sur le mur derrière lui, en partie occul-té. Et dans celle au bar où le jeune policierrescapé de l’arrestation de l’agresseurd’Horibe discute avec Nishi, une toile appa-raît encore au fond des plans (grâce au refletd’un miroir, dans l’un d’eux). Mais c’est aucours de cette scène que la place accordée àla peinture commence à évoluer. En effet,

hors de tout point de vue assignable à unpersonnage, un plan vient s’y insérer quimontre exclusivement la toile en question. Lepassage « en force » de ce plan de focalisa-tion est souligné par son arbitraire narratif,son imprécision temporelle (il est l’occasiond’une ellipse dans la scène) et le sentimentqu’a le spectateur d’une opérationspécifique nécessaire à son filmage (immé-diatement après, on retrouve le tableau enarrière-plan derrière Nishi, filmé dans lemême axe, comme si dans le précédent planil avait fallu escamoter le personnage ou bienque la caméra s’intercale entre lui et letableau).

À partir de là, l’idée (fixe) de peinture que lefilm a derrière la tête devient manifeste, quit-te à passer parfois devant. Ainsi, le tableauaperçu à l’hôpital réapparaît lorsque lemédecin de l’épouse de Nishi passe devantlui, et reste seul à l’écran après la sortie duchamp de ce dernier, le temps de se rendrecompte qu’il représente quatre anges quifilent la métaphore du générique. La premiè-re incursion dans l’antre des yakuzas débutepar la peinture d’un effrayant dragon pleinécran, manière de planter immédiatementun décor voulu intimidant par les maîtres deslieux. En revanche, cette scène ne montrequ’en arrière-plan un tableau proposant uneimage peu valorisante de ces gangstershâbleurs, mais que l’on découvrira plus tardde près, lorsque, malmenés par Nishi, ilsauront commencé à perdre de leur superbe :dans un style naïf et enfantin qui caractéri-

sait déjà l’image métaphorique de l’angegardien (Kitano semble penser que, artisti-quement, la vérité sort de la bouche desenfants), il s’agit d’une bande de yakuzas ali-gnés dans le plus simple appareil, le corpsrecouvert de tatouages comme il est de misedans ce milieu, et le sexe en érection.Derrière le clinquant des costumes qu’ilsarborent, il n’y aurait donc que de la convoi-tise, particulièrement obscène dans un filmd’où l’appât (du gain, du sexe) est parailleurs absent. D’ailleurs, le plan sur cetableau inaugure une scène dans laquellel’un des sbires raille le statut social respec-table que cherche à se donner leur chef. Lapetite bande mafieuse se dévoile égalementà travers la parodie d’estampe ancienne (duplus mauvais goût) qui trône chez elle ; unpersonnage y tient entre ses mains son visa-ge, peint de façon traditionnelle, et révèle àla place le vrai visage de ces faux amateursd’art que sont les yakuzas, une tête de morthorrible à voir.

Évidemment, la peinture figure aussi dansHana-Bi à titre d’activité, celle que pratiqueHoribe à la suite de l’agression qui le clouedans un fauteuil roulant. Avant cette agres-sion, la perception artistique n’a pas du toutl’air de faire partie de ses préoccupations,son autoritarisme l’empêchant alors deregarder autour de lui (lorsque sa fille lui ditau téléphone avoir fait un dessin à son inten-tion dans son agenda, sa première réactionn’est nullement d’enthousiasme, alors qu’iln’aura de cesse de pratiquer plus tard,

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Un film qui se voiten peintures

PISTES DE RÉFLEXION

lorsque sa fille l’aura quitté, un dessin d’en-fant, fût-ce par manque de technique). Ungros plan en apparence inutile, au cours de lascène du début où il vient relever ses subor-donnés de leur surveillance, vient renforcercette impression : c’est l’image furtive, làencore non assignable au regard d’un per-sonnage, des fleurs roses d’un massif d’ar-bustes, sans doute des lauriers-roses, quel’on remarque à peine au fond des plans sui-vants, mais qui, au moment de la chuted’Horibe sous les balles, se retrouvent dans lapartie gauche du cadre. Or, par la suite nousverrons Horibe faire feu pictural de tout bois(après avoir observé les taches lumineuses àla surface de l’eau, il dessine derechef dansle style pointilliste) et plus particulièrementde toute fleur, jusqu’à se plaindre de man-quer de sujets de peinture. Son état de« manque figuratif » ne sera que la punitionde son incapacité première à observer autourde lui, celle dont Kitano cherche à se préser-ver en ouvrant ses films à tout ce qui se pré-sente dans leur entourage, que ce soient lesfleurs roses citées ou encore ces mulets sau-tant hors de l’eau dont le cinéaste a insérél’image après la séquence du suicide raté deNishi — deux plans filmés en longue focale,comme volés à la réalité.

Commençant à peindre, Horibe se rend chezle fleuriste afin de trouver de quoi alimenterses tableaux. Les plans de fleurs auxquelles ilprête désormais attention, tournés sur le

modèle de celui des lauriers-roses, alternentavec la visualisation des toiles futures quis’en inspireront, représentant des êtreshybrides, humains ou animaux à motifs flo-raux. Ces plans de toiles sont des projectionsmentales, ils précèdent narrativement leurréalisation, mais puisqu’en réalité lestableaux en question préexistaient au tour-nage d’Hana-Bi, on peut noter que desœuvres déjà peintes dans la réalité devien-nent dans la fiction cinématographique deKitano des œuvres à peindre, comme si, ausein de son film, une œuvre d’art en elle-même achevée n’avait plus d’existencepropre, devait être réinventée, reprojetée parle cinéma (c’est-à-dire retravaillée commeprojet cinématographique) afin qu’il se l’ap-proprie. Ainsi, le cadre cinématographiquene va pas coïncider avec celui de ces toilesprojetées, elles seront recadrées par le jeu demouvements de caméra et de prises de vuesobliques. Et pour mieux se dessaisir detableaux qu’il a lui-même peints, Kitano lesattribue à un autre personnage que celuiqu’il interprète, tandis qu’au sien il confie unouvrage de peinture beaucoup plus pro-saïque : la transformation d’un taxi en voitu-re de police, montrée en parallèle avec le tra-vail pictural d’Horibe.

Un jeu subtil de parallélismes se met enplace, dès lors qu’Horibe s’engage en pein-ture. Il détient le pouvoir de conserver labeauté, celle des fleurs ou du bonheur fami-

lial, alors que le bouquet cueilli par l’épousede Nishi est condamné à se faner, comme lebonheur de son couple (d’où la cruauté de lascène dans laquelle un importun lui serinequ’il est inutile de donner de l’eau à desfleurs fanées). Cet embaumement de labeauté et du bonheur par l’art est traduit aumieux lors du fondu enchaîné passant du feude Bengale allumé par Nishi, fatalementappelé à une extinction rapide, à la toiled’Horibe représentant un feu d’artifice(Hana-Bi, « Fleur-feu ») figé dans son instantde plus grande expansion. Mais à la vision decette toile mettant en scène une famille heu-reuse succède celle d’Horibe seul à sa table

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de travail, l’air vide, cependant qu’il pleut au-dehors. L’art neremplace pas la vie et les relations humaines, ne suffit pas àcombler les vides de l’existence. « C’est dur tout ce tempslibre », confie Horibe à son ancien subordonné, malgré sonintense activité picturale. Toutefois, le choix de Nishi de secantonner aux plaisirs fugaces, aux jeux, aux formes évanes-centes du bonheur, n’empêche pas non plus en fin de comp-te la courbe descendante de la vie d’avoir le dessus. Pour l’uncomme pour l’autre, le suicide semble constituer la seuleporte de sortie.

Avant même le dernier tableau où figure l’idéogramme« Suicide », celui-ci est évoqué dans une composition inspiréeà Horibe par des arbres en pleine efflorescence. Le blanc desfleurs envahit sa toile montrant un homme accroupi, de dos,son sabre planté en terre à côté de lui, peut-être sur le pointde se faire « seppuku ». Dans le bouddhisme, le blanc estassocié à la mort et au deuil ; c’est l’une des deux principalesreligions pratiquées au Japon, où les morts sont traditionnel-lement enterrés en blanc. Ce blanc va migrer du tableaud’Horibe pour se retrouver sous forme de neige dans sonœuvre « suicidaire », et contaminer l’avant-dernière partie duvoyage de Nishi et de son épouse. Elle se déroule dans despaysages enneigés et correspond à l’accélération du senti-ment de la fin prochaine du bonheur du couple, avec lamélancolie qui va de pair. Partie faire ses besoins dans laneige, la femme de Nishi tombe à moitié dans une petite cre-vasse. Lorsqu’il la voit presque entièrement prise dans le blancglacé, Nishi semble affolé pour la première fois et se met àcourir vers elle. C’est aussi dans cette blancheur généraliséequ’a lieu l’exécution des yakuzas par Nishi. Pour ne pas pla-cer sa mort sur le même plan, Nishi mettra fin à la vie de safemme sous le soleil, face au bleu de la mer.

Juste après l’épisode de la crevasse, l’épouse de Nishi se faitphotographier au chalet où ils se sont arrêtés. La gaieté de lascène antérieure au cours de laquelle le couple se prenait enphoto au retardateur a disparu. Nishi ne veut pas figurer surce nouveau cliché, et en laisse la responsabilité à l’hôtesse. Ilattend dans son coin que cette ultime photo soit réalisée, afinqu’elle annule l’image de sa femme impuissante dans legrand blanc de la crevasse, presque déjà morte. Celle-ci seprête avec une gêne contenue à cet exercice d’adoucissementdu deuil, voulu par son mari. Elle pose devant un tableauoccupant une large portion du plan, composé d’arbres à l’ins-tar de celui d’Horibe, mais qui regorge de couleurs, rose,jaune, bleu, orange, vert, atténuant l’omniprésence du blanc.À cette occasion, peinture et cinéma se rejoignent enfin sur lemême plan, pour susciter ensemble un moment d’émotion. n

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Trois des meilleurs films sortis au Japon en1997 sont L’Anguille (Unagi) de ShoheiImamura, Cure (Kyua) de Kiyoshi Kurosawaet Hana-Bi, dont les auteurs sont issus degénérations et de parcours différents. Audébut de L’Anguille, le personnage principaltue son épouse qu’il a surprise en plein adul-tère, à la suite semble-t-il d’une lettre dedénonciation anonyme. Au seuil de sa réin-tégration à une communauté humaine, il enviendra à se persuader que la lettre en ques-tion n’avait été qu’une vue de son esprit, etqu’il était bien le seul responsable de la mortde sa femme. Dans Cure, un inspecteurtraque un jeune hypnotiseur, qui incite sesvictimes à se débarrasser des personnes deleur entourage constituant un poids, un han-dicap ou un objet de rancœur. Le policierfinit par se laisser suggestionner et assassinesa propre femme, dont il devait se préoccu-per quotidiennement car elle était atteintede troubles mnésiques. À la fin de Hana-Bi,les deux détonations entendues hors champne peuvent valoir que pour Nishi et sonépouse, elle dont la leucémie compte lesjours, lui qui sinon aurait dû la laisser seulepour aller en prison.

Trois couples sans enfant, deux femmesmalades, trois maris qui tuent leur femme.Trois films qui posent la question de la res-ponsabilité de cette mort : le héros deL’Anguille arrive à l’assumer pleinement, nela rejetant plus sur le corps social ; certessous le coup de l’hypnose, celui de Cureabdique ses engagements moraux et affec-

tifs, et se décharge du poids que représenteson épouse, assumant quant à lui son amo-ralité nouvelle. Sous couvert d’un romantis-me désespéré qui fait l’émotion de la find’Hana-Bi, Nishi est peut-être finalement lepersonnage qui prend le moins en charge cequi reste pourtant un meurtre. En effet,même s’il refuse de s’en expliquer, tout porteà croire qu’il l’accomplit au nom de motifsaltruistes et sentimentaux autant qu’en sonnom propre. Comme dans le cas des autrespersonnages dont il s’improvise l’ange gar-dien, il force dans une certaine mesure lamain de sa femme (dont on ne peut que sup-poser le consentement), pour le meilleur et

pour le pire. Par ce caprice sentimental jus-qu’au-boutiste (« Ni avec toi car tu vas mou-rir, ni sans toi car je ne veux pas te laisserseule »), Nishi, celui-là même qui peut êtrevu par ailleurs comme le mari et l’adulteidéaux, remplace l’enfant absent, et, en tantque tel, doit lui aussi mourir, à la fin de cetteœuvre malade qu’est Hana-Bi — malade,comme nombre de films japonais contempo-rains, du modèle sociétal de la famille tradi-tionnelle, avec les femmes et les enfantspour victimes expiatoires. n

Les femmes etles enfants d’abord

AUTOUR DU FILMLE CINÉMA JAPONAISCONTEMPORAINLes bases du cinéma japonais se sonteffondrées [...]. C’est l’angoissanteimage qui vous vient à l’esprit au vude ses films plats, faibles, quasi inexis-tants de ses derniers mois. Propos du critique de cinéma japonaisSadao Yamané datant de 1989, rapportéspar Yoichi Umémoto dans « Paysage duvide », Cahiers du cinéma n° 512,

avril 1997.

Qu’à présent la maladie, inextricable-ment physique et mentale (car, dansce cinéma, dès qu’on est malade onest aussi un peu fou), soit l’unique fai-seuse de fiction, que la dissidence nes’inscrive plus qu’en creux, en négatif,est preuve que le Japon va mal. Neufpersonnages sur dix ont l’air de sortirde l’asile, et les enfants sont toustarés : pas un qui ne soit symbolique-ment (réellement dans Hana-Bi) déjàmort.Emmanuel Burdeau, « La tache dans le

tableau », Cahiers du cinéma n° 521.

À partir du moment où il n’y a plus depères, de repères, s’ouvre un vide ver-tigineux. Le paysage de la plage dansles films de Takeshi Kitano nous inter-pelle alors. Dans Boiling Point, AScene at the Sea et Sonatine, onretrouve ce paysage vide où rien n’ac-croche le regard. Ce paysage est à lafois celui du cinéma japonais et de lasociété japonaise actuelle. Voilà oùnous en sommes et d’où nous pou-vons repartir.Yoichi Umémoto, ibid.

« La structure du gag [...] est dans le schémadu mouvement instantané et aussitôt replié.Le poing de Kitano s’abat sur la figure de sesadversaires et les anéantit à peu près dans letemps qu’il fallait à Charlot pour dérober,une à une, toutes les saucisses d’un mar-chand ambulant, en reprenant, dans chaqueintervalle, la pose du spectateur distrait.L’action de Kitano exécutant de la loi — de lapolice ou des yakuzas — a la vitesse méca-nique du gag, et elle ne traduit ni ne produitle moindre changement sur son visage. Maiscette mécanique impassible n’a rien à voiravec les parodies décontractées du genrequ’affectionnent les habiles. Kitano ne paro-die pas les films de bagarre, il les évide de

l’intérieur. Il les ramène à la situation nucléai-re : un désordre imprévu, une interventionfulgurante et le calme revient. Mais ce n’estplus le simple retour burlesque de l’ordre.L’ancien policier n’a pas seulement pris leparti fictionnel de la transgression des lois.L’excès de vitesse du gag, en cassant lemécanisme du film d’action, en interdisant àla fois les facilités de sa parodie et les lour-deurs de sa psychologisation, a confisqué lespouvoirs de l’action. Il en a fait une purepuissance de contemplation. Et c’est celle-ciqui va s’émanciper. Elle deviendra alors l’at-tention éblouie d’un visage qui sait qu’il neverra bientôt plus rien. Elle s’élargira auxdimensions mythiques de cette plage infinieque le recul de la caméra offre au regard desdeux policiers en service obligé et dérobe enmême temps à leur pouvoir d’action. Ilsn’ont pas même besoin d’indulgence enversleur ancien chef, passé de l’autre côté del’ordre. Celui-ci est désormais hors de leurportée. La puissance étirée du gag est deve-nue monde. Elle est le monde de celui qu’ilschercheraient vainement dès lors à appré-hender. L’éternité rimbaldienne de la merallée avec le soleil, celle que cherchait — tropabstraitement, trop ironiquement peut-être— le héros godardien d’antan, est retrouvée.La puissance d’immobilité intérieure au mou-vement des images s’est autonomisée. Cemouvement suspendu infinitisé pourrait êtrela tragédie cinématographique » Jacques Rancière, « Le mouvement suspendu »,Cahiers du cinéma n° 523, avril 1998, p. 36.

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BIBLIOGRAPHIEÀ LIREOn se reportera avec profit à l’ensembleparu en novembre 1997 dans le n° 518des Cahiers du cinéma lors de la sortiede Hana-Bi, et au texte de ThierryJousse « Kitano le maître fou » parudans le n° 25 de la revue Trafic (prin-temps 1998), qui envisage l’œuvre kita-nesque jusqu’à Hana-Bi, non sanstémoigner d’une inquiétude bien tem-pérée : « Quant à cette sanctification deKitano, auteur qui entre à partir demaintenant dans la catégorie recher-chée et redoutable des signatures, [...]elle est peut-être déjà contenue dansHana-Bi, où l’idée de sacrifice commeaccès à la beauté et la vision de l’artistecomme saint laïque sont esquissées. Ence sens, Hana-Bi est aussi le premierfilm de Kitano où il semble entièrementconscient et maître de ses effets, et l’in-tensité du film vient précisément d’unetension entre cette pleine conscience ducinéma et la capacité de s’endéprendre. »

À VOIRExceptions faites du récent Été deKikujiro et de ce film maudit qu’estGetting Any ? tous les longs métragesde Kitano ont été édités en VHS ouDVD. Outre Hana-Bi, recommandonsparticulièrement deux de leurs meilleursreprésentants : un Kitano avec Kitano,Jugatsu, et un Kitano sans Kitano, AScene at the Sea. Enfin, autre docu-ment vidéo précieux, le documentairede Jean-Pierre Limosin pour la sérieCinéma de notre temps (Arte) : TakeshiKitano l’Imprévisible.

EN LIGNECôté Internet, on peut aller surfer sur unsite en français complet et passionnéconsacré à Kitano : http://www.multi-mania.com/martinlang/

L’éternitéretrouvée

DOCUMENTS

Hana-Bi est un film beau et dur, éprouvant,non par les quelques scènes de violence phy-sique qui l’articulent, l’ossaturent, mais parl’idée de la mort qui habite toutes les autresséquences. Le cinéma de Kitano est toujoursd’abord une méditation sur le nihilismecontemporain. Elle incline ici vers un romantis-me que ce siècle n’a fait que semblant decongédier : d’un côté, la séparation, l’amourimpossible à tenir entre Horibe et sa femme,du fait d’un réel trop difficile à assumer, del’autre, entre Nishi et sa femme, un amourpossible, même s’il se donne dans la guise dela fuite, avec pour horizon la mort. Le monden’est pas complètement noir : il est possibleartistiquement de résister. Il est possible defaire un film pour mettre en scène, pourrendre compte et interroger les apparences dumonde. Quelle forme permet d’évoquer, detoucher le réel du monde ? Horibe est ledouble de Nishi, eux-mêmes sont les doublesde Kitano. Horibe fait de la peinture pour segarder du suicide, de la mort subjective. Sonart (naïf) naît de l’observation de la nature, desgestes humains. Hana-Bi, contrairement àSonatine, est ancré dans un monde réel danslequel il prélève une imagerie courante —peintures naïves, écrans vidéo de surveillance,tags… —, pour l’épurer, pour lui conférer untraitement distancié. La violence est considé-rée par Kitano comme part de cette imageriecourante, qu’il s’agit de traiter par des opéra-tions artistiques.

QUELLE VIOLENCE ?

“Violence” est un nom donné à des situationspour en masquer le réel, pour l’indifférencier.“Violence” aujourd’hui, désigne aussi bien,pêle-mêle, le terrorisme, les enfants à l’école,

le sexe, les guerres… Ce qui confère aumonde présent ce degré de violence réelle,c’est son indiscernabilité elle-même.

On pourra réfléchir au mode sur lequel le filmaborde la violence en gardant à l’esprit l’écartentre la définition de “violence” du Littré(XIXème siècle) « qualité de ce qui agit avecforce », et celle, actuelle, du Larousse : « forcebrutale des êtres animés ou des choses ». Onpeut noter une nette substantialisation dumot, ainsi que sa spécification du côté du mal.

Le cinéma est le lieu idéal d’où cet écart peutêtre pensé. Il y a chez Kitano un travail deréflexion, de présentation de la violence, ensoustraction des représentations classiques :mise en scène du vide, absence de lien entreles personnages, impassibilité des acteurs,défaut d’action… — autant de soustractionsau réalisme qui vont préparer, mais sans le sus-pense classique, au surgissement d’une violen-ce qu’on peut dire mise à distance, mais pré-sente. Or, cette présentation de la violence,dégagée de sa gangue dramatique, permet laréflexion. La violence chez Kitano n’est pas del’ordre du constat. Il s’agit de la détacherd’une action qui emporterait le spectateurdans un sentiment soit de fascination, soit dedégoût. Il s’agit de montrer le contexte de laviolence, sa gestation, bien plus que de mon-trer des images violentes. Les scènes violenteschez Kitano sont froides et dures, et, point trèsimportant et récurrent, sont regardées par destémoins présents dans le plan. C’est le cas desviols, qu’il s’agisse de celui de Violent Cop oude Sonatine. C’est le cas aussi du meurtrenocturne d’un yakuza par immersion répétéedans l’eau du port, l’homme suspendu parune grue. La complète indifférence des yaku-

zas témoins est l’élément le plus violent, leplus insupportable de la séquence car iltémoigne d’un vide subjectif de tous les prota-gonistes sans exception.

UN EXEMPLE

La violence, désynchronisée de l’action, per-met de considérer des faits, des actes, demettre l’accent davantage sur l’indifférencedes rapports entre les gens, point d’où, en réa-lité, se génère la violence.

Prenons comme exemple les rapports entre leferrailleur (seul personnage comique du film)et la fille qui travaille avec lui. Le ferrailleur,grande brute en combinaison de travailblanche, bouscule (physiquement et verbale-ment) son employée qui fume affalée sur unechaise en restant indifférente à ses injonctions.Plus tard dans le film, alors que lui est assis,lisant sur le journal le braquage de la banque,c’est la fille qui, au passage, lui tape sur la têteavec un bidon vide pour l’envoyer au travail.Geste surprenant. Cette symétrie (ce rapportd’indifférence brisé, même violemment) faitpasser au second plan la violence, défait l’idéed’un rapport de force, pour ne retenir (dansune version comique) que l’idée du principed’égalité nécessaire à tout amour (ici l’amour-vache). La brutalité première des gestes del’homme s’en trouve atténuée. Le montageachève de constituer ce couple fruste commeun couple, par le contraste (effet carte posta-le, ou cliché) de celui de Nishi et sa femme unisdans la contemplation du mont Fuji.

D’autres séquences, plus violentes, serontconsidérées, pensées à partir du repérage deleur mise à distance, de l’évidement de la ten-sion dramatique. Par exemple dans Hana-Bi,la scène découpée en plusieurs séquencesbrèves entre Nishi et les deux ouvriers qui ontpique-niqué sur sa voiture.

LA VIOLENCE AILLEURS AU CINÉMA

Nous vivons aujourd’hui dans un monde où ilne s’agit plus de trouver et d’exhiber l’imagehorrible rare, jamais vue. Il n’est guère possiblede surenchérir du côté du “gore”.

On assiste à un renchérissement dans la formemême des films, non dans l’image en tant que

telle : chez John Woo, la violence est saisie,maîtrisée dans une calligraphie ralentie de l’ex-plosion générale. John Woo est le cinéaste dela crise asiatique. Dans The Killer (1989), ilmêle deux genres, le film de yakuza et le mélo-drame. La chorégraphie saisit tous les élé-ments filmiques (harmonie des mouvementsd’explosions en tout genre, de la musique, desregards échangés) pour restituer au mondeune dimension dans laquelle subsiste une idéedu bien, arrachée, mais pas complètement, aumanichéisme chrétien. Le film dissout par saforme son propre code, sans souci de réalisme,ponctué çà et là d’éléments comiques. Le jeude symétrie entre les bons et les méchants (icipoliciers et yakuzas) maintient à l’arrière-planune distribution des bons et des méchants(hors camps). C’est pour John Woo un pointde résistance au règne du Capital pour quibons, méchants, bien et mal sont indifférents.

Dans Killer (Tueur à gages, 1998) deDarezhan Omirbaev, la violence est montréecomme le résultat de l’indifférence des rap-ports entre les gens. La violence n’est pasvisible, quasiment hors-champ ; la vie suit soncours. Rien ne distingue un type de la pègrepuisqu’il est en apparence un bon père defamille. La mise en scène de Killer est celled’une dramaturgie de l’indifférence danslaquelle les objets, les décors jouent un rôle àégalité avec les personnages. La violence s’ins-crit dans un passage de l’immobilité, dans l’in-sistance des silences et non pas dans le feud’une action. Les scènes de violence manifestesont préparées, puis éludées. Non pas pure-ment soustraites, mais remplacées par uneautre scène allusive. Seuls les effets sont mon-trés : le désordre d’une pièce après une bagar-re, le sang, les ecchymoses sur un visage.

La violence au cinéma ne peut se donner, ni sepenser frontalement. Les journaux télévisésrendent les images violentes absolument indif-férenciables, laissent la pensée pétrifiée, enprise aux sentiments sauvages. La violence seniche moins dans le contenu de l’image, dansses indices visuels choquants, que dans cetteincapacité d’intelligence dans laquelle noussommes tous laissés pour compte.

Elysabeth Boyer

Les représentations dela violence

PISTES PÉDAGOGIQUES

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UN TRAITEMENT BURLESQUE

Hana-Bi, dans sa tonalité générale commedans les situations qu’il décrit, est très prochedu mélodrame. Le personnage principal, ycompris dans ses accès de violence, a quelquechose de profondément mélancolique. MaisHana-Bi adopte aussi dans sa deuxième et satroisième partie (la préparation du hold-up, levoyage du couple) un ton plus léger, parfoisfranchement comique — le personnage duferrailleur, la série de gags provoqués ou subis

par Nishi — parfois plus ironique, qui atténuela gravité du film et met à distance les situa-tions. Cette distance, c’est celle du regard queKitano porte sur les choses, cet humour, par-fois froid mais aussi souvent attachant, aveclequel il propose sans jamais l’imposer unaspect risible des choses et du monde, que cesoit l’absurdité d’une situation ou l’étrangetéd’un comportement. En ce sens Kitano, quandil a recours à l’humour, est assez proche decelui de Jacques Tati, qui comme l’écritBarthélémy Amengual « invente d’introduire

le burlesque dans le film » 1, c’est-à-dire defaire passer le comique par la conscience despersonnages en même temps que par celle duspectateur. Nombreux sont les momentscomiques d’Hana Bi où les personnages rienten même temps que nous, ici d’une voiturequi entre dans le champ d’une photographieprise au retardateur, là d’un feu d’artifice quiexplose au moment où l’on ne s’y attend plus.Ce n’est pas tant le dérèglement de la situa-tion qui fait rire que la réaction qu’il provoque.Ailleurs, on ne voit pas Nishi faire sonner lacloche du temple, mais on se réjouit de l’en-tendre transgresser la règle et de contredireainsi la leçon stupide qu’un père vient de don-ner à son fils. Tout Kitano est dans cette scène,dans cette façon de résister un peu, de s’op-poser malgré tout, de dérégler le prévisible, defaire vivre un moment ce qui est mort ou cequi va mourir.

LE CORPS BURLESQUE

Nishi-Kitano est une figure plus qu’un véri-table personnage. On le regarde agir (ou nepas agir), on observe son masque et ses gestessans savoir quels sont ses sentiments niconnaître vraiment ses motivations. Notre rap-port avec cette “présence” relève moins del’identification classique que de la connivenceavec un être hybride qui est à la fois la figurede l’écran et l’auteur qui le fait agir. Le statutd’“amuseur public” de Kitano au Japon nouspermet d’assimiler sa présence à celle d’unburlesque, à propos duquel Petr Kràl souligneque « si une complicité se crée entre lui etnous, elle nous lie moins à son personnagequ’à son créateur, à cette part de lui qui, “assi-se dans la salle”, nous fait en quelque sortedes clins d’œil dans son propre dos » 2. Cetteprésence qui déborde l’écran est tangible chezKitano d’abord dans le fait que sa figure, au-delà des différents rôles qu’il interprète dansses propres films, ne varie guère (à l’instar desburlesques qui ne changent pas de défroqueet restent eux-mêmes de film en film). Ensuitedans sa maîtrise du plan et de la coupe, « pri-vilège des auteurs-acteurs » selon EmmanuelBurdeau, par laquelle il fait ostensiblementpart de ses prérogatives sur le déroulement du

film. Le geste de Nishi dans Hana-Bi se résu-me souvent à son seul surgissement : il estcoupé dans l'élan qui précède sa durée et isoléde sa cause. Il en résulte une "présence"immédiate, fulgurante, celle d'un corps quis'obstine à "être là" (Keaton), à s'inscrire entravers (Hulot), à lutter contre sa propre dispa-rition (Moretti).

UNE CONSTRUCTION BURLESQUE

La construction d'Hana-Bi, par juxtapositionou succession d'éléments disjoints rappelle elleaussi une des caractéristiques du burlesque,dont le récit dramatique, en tant que faitssignificatifs, est sacrifié au profit de la succes-sion de gags. L'argumentation signifiante lais-se ici la place au collage dont chaque élémentest souligné pour lui-même avant de s'intri-quer dans l'ensemble du film. La constructiond'Hana-Bi procède par ellipses, évacue sanscesse la cause, abolit l'aspect factuel des évé-nements — de la violence par exemple — pouren souligner les conséquences, s'arrêter untemps sur un nouvel état des choses, lui-mêmesuspendu, en passe d'être interrompu.L'imprévisible préside au déroulement du filmet arrache chaque plan au temps et la drama-turgie classique, pour laisser la place à un artdu cadre où se révèle l'immédiateté concrètedes choses, d'un corps, d'un tableau, del'océan. Le comique, chez Kitano, découle decette nécessaire expérience du monde. Si Nishisort vainqueur et indemne de tous les com-bats, le gag est souvent pour lui le lieu d'uneépreuve corporelle, qui occasionne coups,chutes et blessures légères. Un lieu où l'imagerévèle peu à peu l'humain, comme dans ceplan où, penché en équilibre pour récupérer lecache de son objectif photographique, il s'éta-le de tout son long et de tout son poids dansla délicieuse harmonie d'un jardin zen.

Emmanuel Dreux

1. Barthélémy Amengual, L’Etrange comique deMonsieur Tati, Cahiers du cinéma n°32 et 34.2. Petr Kràl, Les Burlesques ou la parade des som-nambules, Stock, 1986, p. 16.

Kitano etle burlesque

PISTES PÉDAGOGIQUES

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(les mots en italique renvoient à des définitions)

AMBIANCE (son) Bruits produits par les éléments naturels(le vent...), les comédiens (les vêtements...), etc.ANAMORPHOSE Principe de compression horizontaled’une image, utilisé dans le CinémaScope.ANGLE (de prise de vue) Détermine le champ enregistrépar la caméra (Il varie selon la focale de l’objectif utilisé).AUDITORIUM Studio d’enregistrement des voix, des bruitsou du mixage.AUTEUR Personne ayant acquis des droits de propriétéincorporelle par sa participation à la création d’une œuvre(Scénariste, Dialoguiste, Réalisateur et Musicien).BOUT À BOUT Premier montage lâche (Syn. “Ours”)

BRUITAGE Opération consistant, en auditorium, à créer età enregistrer des bruits, en synchronisme avec les imagespréalablement tournées.CADRE Limite du champ visuel enregistré sur le film.CADREUR Responsable du cadre et des mouvements d’ap-pareil.CHAMP Partie de l’espace visuel enregistré sur le film.CHAMP-CONTRECHAMP Opération de montage consis-tant à juxtaposer un plan montrant le champ et un autremontrant le contrechamp (Cf. Deux personnages se regar-dant mutuellement).CHEF-OPÉRATEUR Responsable du rendu de l’image(éclairage, cadrage, mts d’appareil ; suivi laboratoire, éta-lonnage). Syn. : Directeur de la photographie.CINÉMASCOPE Procédé consistant à comprimer horizon-talement l’image à la prise de vue (anamorphose à l’aided’un objectif hypergonar) et à la décomprimer à la projec-tion pour obtenir une image très large (1 x 2,35).CLAP (ou Claquette) Deux plaquettes de bois reliées parune charnière et portant l’identification du plan. En la fai-sant claquer devant la caméra, on crée un repère visuel etsonore pour synchroniser le son et l’image.CODE En sémiologie, signe ou ensemble de signes consti-tué en système et susceptible de caractériser le langagecinématographique : on parlera de codes cinématogra-phiques généraux ou particuliers (à un genre, par ex.), desous-codes spécifiques (au cinéma) ou non-spécifiques...(Cf. Christian Metz).CONTRECHAMP Espace visuel opposé au champ. Ildécouvre le point de vue d’où était vu le champ.CONTRE-PLONGÉE Prise de vue effectuée du bas vers lehaut.COPIE DE TRAVAIL Copie positive servant au travail demontage.COPIE STANDARD (ou Copie d’exploitation) Film positifservant à la projection dans les salles commerciales.CROIX DE MALTE Pièce mécanique servant à créer lemouvement de rotation intermittent de l’avancée du filmdans le projecteur ou la caméra.

CUT (Montage) Juxtaposition de deux plans, sans artificede liaison (du type fondu ou volet).DÉCOUPAGE (technique) Description des plans à tourner(avec leurs indications techniques : position de caméra,cadre, etc.).DIAPHRAGME Orifice réglable, situé dans l’objectif, etlaissant passer plus ou moins de lumière. Chaque cran (ou“diaph”) augmente ou diminue du double la quantité delumière (f 8 à 100 asa = f 11 à 200 asa).DOUBLAGE Opération consistant à substituer à la bande“paroles” originale une bande dans une autre langue réali-sée en postsynchronisation.EFFETS SPÉCIAUX Terme générique recouvrant les mani-pulations techniques apportées à l’image ou au son(Fondus, Surimpressions, Trucages, etc.).ÉMULSION Face mate d’une pellicule sensible à la lumière.ÉTALONNAGE Opération consistant en laboratoire à recti-fier et harmoniser la luminosité et l’équilibre des couleurssur les copies positives.FILTRE Lame de verre placée devant l’objectif pour modi-fier l’image (gris, dégradé, couleur, polarisant...).FINAL CUT Finalisation du montage qui, à l’époque desgrands studios américains, était refusée aux réalisateurs.FLASH-BACK Principe de récit consistant à faire un “retouren arrière” sur une action s’étant déroulée antérieurement. FLASH-FORWARD Principe de récit consistant à faire unbond dans le futurFOCALE (Distance) Distance entre la lentille et son foyeroptique. Elle détermine la largeur de l’angle de prise devue (Courte focale, inf. à 50 mm = angle large. Longuefocale, sup. à 50 mm = angle étroit).FOCALE VARIABLE Objectif possédant la faculté de fairevarier sa distance focale (= Zoom) et de passer, en cours deprise de vue, d’un grand-angulaire à un téléobjectif.FONDU Action d’obscurcir progressivement l’image (“fer-meture”) ou de la faire progressivement apparaître(“ouverture”).FONDU-ENCHAÎNÉ Surimpression d’une fermeture etd’une ouverture en fondu, ayant pour effet de faire dispa-raître une image pendant que la suivante apparaît.FORMAT (Pellicule) Largeur du film (Standard : 35 mm ;Substandard : 16 mm ; Amateur : 8 mm)FORMAT D’IMAGE Rapport entre la hauteur et la largeurde l’image (Muet : 1/1,33. Sonore : 1/1,37. Pano. : 1/1,66.Large : 1/1,85. CinémaScope : 1/2,35).GONFLAGE Opération de laboratoire consistant à agrandirl’image (la faire passer d’une pellicule 16 mm à une pellicu-le 35 mm) GRAND-ANGULAIRE Objectif de courte focale donnantun angle large, une grande profondeur de champ, un éloi-gnement des objets, une exagération des perspectives etde la vitesse apparente des déplacements.HORS-CHAMP Partie exclue par le champ de la caméra (=Off).HORS-CHAMP INTERNE Partie cachée par un décor dansle champ de la caméra.IN Ce qui est visible dans le champ. Son “in” : son produitpar un objet ou un personnage visible dans le champ.INGÉNIEUR DU SON Responsable de l’enregistrement duson. Syn. : Chef-opérateur du son.

INSERT Plan bref destiné à apporter une informationnécessaire à la compréhension de l’action.INTERTITRE Texte de dialogues ou d’explication inséréentre les images.MÉTRAGE Longueur d’un film. (Inf. à 60’, soit 1 600 m en35 mm = Court métrage. Sup. à 60’ = Long métrage).MIXAGE Mélange et équilibrage, en auditorium, des diffé-rentes bandes son (paroles, musiques, bruits).MONTAGE Opération consistant à assembler les plansbout à bout, et à en affiner les raccords. Elle est dirigée parun chef-monteur.MONTAGE PARALLÈLE Type de montage faisant alternerdes actions différentes mais simultanées.NÉGATIF Film impressionné dans la caméra. Les lumièreset les couleurs y apparaissent inversées (les blancs sontnoirs, etc.).OBJECTIF Ensemble des lentilles optiques qui permet deformer une image sur la pellicule, ou sur l’écran en projec-tion. Il comporte en outre un diaphragme.OBTURATEUR Disque ajouré qui, en tournant dans unecaméra ou un projecteur, permet d’occulter la lumière pen-dant l’avancée du film, entre deux images.OFF Ce qui est situé hors du champ. Son “off” : son pro-duit par un personnage ou un objet non visible dans lechamp.PANORAMIQUE Mouvement de rotation de la caméra surelle-même.PANOTER Effectuer un panoramique.PHOTOGRAMME Image isolée d’un film.PISTE SONORE Placée sur le bord de la pellicule, elle sup-porte une bande photographique (“optique”) ou magné-tique servant à la lecture du son.PLAN Morceau de film enregistré au cours d’une mêmeprise. Unité élémentaire d’un film monté.PLAN (Échelle de ...) Façon de cadrer un personnage (Planmoyen, Plan américain - à mi-cuisse -, Plan rapproché, Grosplan ; ou bien : Plan-pied, Plan-cuisse, Plan-taille, Plan-poi-trine, etc.) ou un décor (Plan général, Plan grand ensemble,Plan d’ensemble, Plan de demi-ensemble). PLAN DE TRAVAIL Planning donnant l’ordre dans lequelsont tournés les plans.PLAN-SÉQUENCE Prise en continu d’une scène qui auraitpu être tournée en plusieurs plans.PLONGÉE Prise de vue effectuée du haut vers le bas.POINT (Faire le ...) Régler l’objectif de telle sorte que l’ima-ge soit nette.POSITIF Film tiré à partir d’un négatif. Les lumières et lescouleurs y apparaissent telles qu’on les verra sur l’écran.POST-PRODUCTION Ensemble des opérations postérieuresau tournage (montage, bruitage, mixage, etc.)POSTSYNCHRONISATION Opération consistant à enregis-trer en auditorium les dialogues, en synchronisme avec desimages préalablement tournées.PRODUCTEUR Société assurant la fabrication d’un film(Producteur délégué, représentant des coproducteurs ; pro-ducteur éxécutif, mandataire du producteur délégué).PROFONDEUR DE CHAMP Zone de netteté dans l’axe dela prise de vue (1/3 devant, 2/3 derrière par rapport aupoint).RACCORD Façon avec laquelle on juxtapose deux plans au

montage.RÉALISATEUR Responsable technique et artistique de lafabrication d’un film.RÉEL C’est, au cinéma, ce que l’on ne “reconnaît” qu’àtravers le référent, lui-même produit par les signes du textefilmique.RÉFÉRENT Produit par le signe, il ne doit pas se confondreavec le “réel filmé”. REFLEX (Visée) Sur une caméra, système de visée à traversl’objectif permettant de voir exactement ce qui seraimpressionné sur la pellicule.RUSHES Premiers tirages positifs des plans tels qu’ils ontété tournés.SCÈNE Sous-ensemble de plans ayant trait à un même lieuou une même unité d’action.SCRIPTE Personne assurant les "rapports", et vérifiant lacohérence des plans les uns par rapport aux autres, sur letournage.SIGNE (Sémiologie) Unité constituée du signifiant et dusignifié.SIGNIFIANT Manifestation matérielle du signe.SIGNIFIÉ Contenu, sens du signe.SON DIRECT Un son lié à la prise de vue et synchrone avecl’imageSOUS-EXPOSITION Aspect d’une pellicule ayant reçu unequantité insuffisante de lumière (= trop sombre, en positif).SOUS-TITRAGE Texte transparent figurant dans le bas del’image (par destruction chimique ou laser de l’émulsion,ou par tirage surimpressionnée d’une “bande noire” com-portant le texte)STORYBOARD Technique consistant à dessiner chaqueplan avant le tournage.SUPER 16 Procédé consistant à impressionner une pellicule16 mm dans sa pleine largeur. Utilisé en double-bandepour la TV, il est gonflé en 35 mm pour le cinéma.SUPPORT Face brillante d’une pellicule sur laquelle estcouchée l’émulsion.SUREXPOSITION Aspect d’une pellicule ayant reçu unetrop grande quantité de lumière (= trop clair, en positif).SYNOPSIS Résumé d’un scénario.TABLE (de montage) Appareil permettant de visionner unebande image et plusieurs bandes son, et destiné à réaliserle montage d’un film.TÉLÉOBJECTIF Objectif de longue focale donnant unangle étroit, une faible profondeur de champ, rapprochantles objets, aplatissant les perspectives et réduisant l’impres-sion de vitesse des personnages se déplaçant dans l’axe dela prise de vue.TRAVELLING Déplacement de la caméra (avant, arrière,latéral, etc.)TRAVELLING OPTIQUE Procédé consistant à simuler untravelling avant ou arrière en utilisant un objectif à focalevariable (ou zoom). Il présente l’inconvénient de modifierles caractéristiques du système de représentation (VoirTéléobjectif ou Grand-angulaire).VISEUR DE CHAMP Dispositif optique utilisé par le réalisa-teur pour trouver son cadre, avant de placer la caméra.ZOOM Objectif à focale variable.

(J. P.)

LLeexxiiqquuee

Lycéens au cinéma en région Centreest initié dans le cadre de la convention de développement cinématographique signée entre le Ministère de la Culture et de laCommunication (CNC, DRAC Centre) et la Région Centre. L’opération est coordonnée par l’Atelier de Production Centre Val de Loire(Pôle Régional d’Education et de Formation au cinéma et à l’audiovisuel) et le Rectorat de l’Académie d’Orléans-Tours (DARIC-ActionCulturelle) et repose sur l’engagement des enseignants volontaires et des salles de cinéma partenaires.