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Un nouveau manuel de psychiatrie. À propos de… « Manuel de psychiatrie clinique et psychopathologique ». Sous la direction de Vassilis Kapsambelis

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Page 1: Un nouveau manuel de psychiatrie. À propos de… « Manuel de psychiatrie clinique et psychopathologique ». Sous la direction de Vassilis Kapsambelis

L’évolution psychiatrique 78 (2013) 557–563

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

À propos de. . .

Un nouveau manuel de psychiatrie. À propos de. . .

« Manuel de psychiatrie clinique etpsychopathologique ». Sous la direction de Vassilis

Kapsambelis�

Jean Garrabé ∗Président d’honneur de l’Évolution psychiatrique, Président d’honneur de l’Association pour une Fondation Henri Ey,

7, place Pinel, 75013 Paris, France

Je suis d’autant plus heureux de participer à cette présentation du Manuel de psychiatrieclinique et psychopathologique, [1] rédigé par une équipe du 13e arrondissement sous la directionde Vassilis Kapsambelis, que sa parution m’a rajeuni de plus d’un demi-siècle en me ramenant en1960, année où mon maître Henri Ey faisait paraître la première édition du Manuel de psychiatrie[2] qu’il a rédigé avec Paul Bernard et Charles Brisset et où personnellement je reprenais lecours de mon internat interrompu pendant deux ans en raison de ce que l’on nommait alors lesévènements d’Algérie. Je remercie donc très chaleureusement Vassilis Kapsambelis qui en a dirigéla rédaction de m’avoir invité à être un des discutants à cette soirée de présentation au CentrePhilippe Paumelle, siège de l’Association de Santé Mentale du XIIIe Arrondissement.

Nous ne disposions au début de mon internat que du Précis de Psychiatrie clinique,psychophysiologique-thérapeutique [3] d’Henri Baruk (1950), de la Psychiatrie clinique [4] dePaul Guiraud (1956) qui était, en fait, la troisième édition refondue de la Psychiatrie du médecinpraticien publiée en 1929 avec Maurice Dide, mort en déportation à Buchenwald en 1944.

Guiraud a continué à fréquenter jusqu’à un âge avancé la bibliothèque de Sainte-Anne où nouspouvions jeunes internes le rencontrer. Si je donne ces précisions, c’est pour situer le contextephilosophique et politique dans lequel étaient parus ces ouvrages et quel était leur esprit. C’est laPsychiatrie clinique de 1956 [4] qui est cité dans notre moderne manuel au chapitre « Introductionaux pathologies psychotiques » à propos de la notion d’athymhormie juvénile qu’ils avaient intro-duites en 1929 et de la localisation des sources instinctives de la vie mentale dans le Centreencéphale. Monsieur Guiraud était un grand anatomopathologiste ce qui avait valu une terrible

� Kapsambelis V. dir. Manuel de psychiatrie clinique et psychopathologique. Paris: PUF; 2012; 1143 p.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected]

0014-3855/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.05.005

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épreuve écrite de trois heures sur le noyau rouge aux candidats d’un concours d’internat ou demédicat je ne me souviens plus. La deuxième édition du Précis de psychiatrie [5] de Joseph Lévy-Valensi était, elle, parue en 1939 à la veille de la guerre et vous savez que le choix de son auteurpar le conseil de Faculté pour occuper le poste de titulaire de la Chaire de Clinique des MaladiesMentales de Sainte-Anne, alors que les autorités d’occupation interdisaient l’accès de juifs à untel poste allait obliger son auteur à plonger dans la clandestinité pour finalement être pris dansune rafle de l’armée allemande à Nice et mourir à Auschwitz en 1941. Il est curieux que ce soitseulement il y a peu que le nom de Lévy-Valensi ait été donné à un lieu de Sainte-Anne mais je nel’ai pas retrouvé non plus dans l’index du Manuel alors que celui du jeune interne qu’il a associéà sa célèbre publication dans les Annales Médico-psychologiques sur la « schizographie » [6] faitl’objet de pas moins de 12 références. Il est vrai que celui-ci a pris soin de l’inclure sous l’intitulé« Écrits inspirés » comme un de ses « premiers écrits sur la paranoïa » lors de la réédition de sathèse [7]. Ce sont là les caprices de la mémoire et de la postérité et j’ai, comme un lecteur d’À larecherche du temps perdu, vu, en lisant le manuel réapparaître ou disparaître des personnages dupassé.

Le contenu du Manuel de Ey était très différent de ceux qui l’avaient précédé que je viensde citer car, tout en se situant dans un courant de pensée pour moi propre à la psychiatriefrancaise, courant que j’ai retrouvé dans le manuel présenté aujourd’hui, il intégrait les nou-veautés de la révolution psychiatrique de la décennie 1950–60, que se soit la « découverte desneuroleptiques » en 1952, le mouvement dit de « psychothérapie institutionnelle » concomitantou le développement de la « psychanalyse sans divan ». Nous retrouvions cette manière de penserla psychiatrie dans les commentaires que faisait Ey sur les données recueillies lors de l’examenclinique fait par un interne, puis par lui-même, de malades fraîchement arrivés au Service desadmissions de Sainte-Anne, lors de leur présentation à l’ancien amphithéâtre Magnan en complé-ment de son enseignement théorique. C’est en se basant sur les données tirées directementdu « dialogue avec l’insensé » qu’Henri Ey nous apprenait à faire un diagnostic psychopatho-logique et à en tirer les conséquences appropriées tant d’ailleurs quant aux mesures légalesque pour la conduite thérapeutique. Ce n’est pas seulement en lisant des manuels, aussi bonssoient-ils, que l’on apprend la psychiatrie et ce que personnellement j’ai appris de Ey lors deces présentations ce n’est pas tant la psychiatrie qu’à penser la psychiatrie, ce qui n’est pastout à fait la même chose. C’est pourquoi j’ai intitulé « Henri Ey et la pensée psychiatriquecontemporaine » un volume où j’ai tenté de résumer son enseignement [8] ce qui m’a valu uncommentaire sur ma naïveté à croire que les psychiatres contemporains continuaient à penser,mais comme il a été traduit en espagnol en Amérique Latine et que la traduction en japonais parToshiro Fujimoto vient de paraître je crois qu’il y a encore à travers le monde des psychiatresqui pensent. Ey se référait bien sûr dans ses commentaires à sa propre conception organody-namique des maladies mentales, issue des idées d’Hughlings Jackson sur la dissolution de laconscience comme facteur de folie, mais il ne cherchait ni à se référer en premier à cette théorie,ni surtout à l’imposer comme exclusive d’une autre approche plus adaptée au tableau cliniqueprésenté.

Un point fondamental de la théorie organodynamique est celle de la distinction qu’a maintenueEy dans toute son œuvre entre maladies mentales aiguës et maladies mentales chroniques tant ence qui concerne les névroses que les psychoses, distinction qui va disparaître dans les classifica-tions des troubles mentaux proposées ultérieurement, en particulier à partir des années 1970 avecla parution du DSM-III. Nous la voyons réapparaître dans le présent manuel mais uniquementdans la Partie II « Psychoses » de la Section II « Clinique et psychopathologie » mais ni dans laPartie I « Névroses » ni dans la III. « Troubles de l’humeur » de cette section. Mais je n’accuserai

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pas les auteurs de ces parties de déviationnisme organodynamiste sur ce point d’autant qu’ils pour-raient me rétorquer, surtout ceux qui ont recu leur formation initiale à l’Institut Marcel Rivière àLa Verrière que c’est moi qui les ai entraînés dans ce péché. Nous avons pu avec les collèguesde Perpignan publier une réédition critique des Études psychiatriques [9] où les questions declassifications et de théorie ont été traitées par le maître de Bonneval qui a consacré le troisièmetome à la « structure des psychoses aiguës et à la déstructuration de la conscience ». J’ai à cetteoccasion formulé une hypothèse sur les raisons pour lesquelles Ey n’a finalement pas publié lequatrième tome des Études, pourtant annoncé, sur les psychoses chroniques à savoir que danscelles-ci, notamment celles du « groupe des schizophrénies », cette déstructuration de la consci-ence s’accompagne d’une désorganisation de la personnalité ou plus exactement de la personneau sens que lui a donné Jakob Wyrsch dans sa fameuse Étude clinique, psychopathologique etanthropophénoménologique sur La personne du schizophrène (1949) [10] ouvrage que je n’ai pasretrouvé mentionné dans le manuel présenté aujourd’hui, alors qu’il l’est dans toutes les éditionsde celui d’Henri Ey. J’ai eu la surprise de voir cette hypothèse reprise dans une thèse d’histoire dessciences puisque de nos jours ce sont les historiens et non les psychiatres qui étudient l’histoire denotre discipline, l’« athéorisme » s’accompagnant dans la littérature psychiatrique contemporained’une anhistoricité. Il faut dire que définir ce qu’est la personne du point de vue psychopatho-logique est un des problèmes les plus ardus de la psychiatrie et l’exemple de Wyrsch a été peusuivi. Dans le Chapitre 2 « Histoire et évolution des idées en pathologie mentale » écrit par PedroValente je suis moi-même cité à propos de l’Histoire de la schizophrénie que j’ai publié il y a20 ans au moment où les psychiatres oubliaient l’historicité de la psychopathologie et où, je l’aivérifié, j’ai bien fait figurer le livre de Wyrsch dans la bibliographie [11].

En 1970 Julian de Ajuriaguerra pouvait encore publier dans le même esprit, selon moi, quecelui publié par Ey dix ans auparavant un Manuel de psychiatrie de l’enfant[12]. Dans le Manuel2012 trois chapitres de la Partie V sont consacrés respectivement à des « Introductions » à lapsychiatrie de l’enfant (chapitre 45 par Véronique Laurent et Francoise Chaine), de l’adolescent(46 par Alain Braconnier) et à la psychiatrie du sujet âgé (chapitre 47 par Delphine Montagnier,Cécile Hanon et Laurent Glénisson). L’œuvre d’Ajuriaguerra me paraît oubliée de nos joursen France puisqu’un jeune collègue qui me demandait il y a quelques semaines des référencessur la question des hallucinations chez l’enfant et auquel je répondais qu’à ma connaissanceelle était parfaitement traitée dans ce manuel, m’a posé en retour la question de savoir où l’onpouvait en trouver un exemplaire. En revanche, David Cohen m’a demandé de faire deux desposters présentant aux participants au 20e Congrès Mondial de l’IACAPAP en 2012 des pionniersde la psychiatrie de l’enfant en France, ceux consacrés : Julian de Ajuriaguerra (1911–1993) etPaul Moreau de Tours (1844–1908). Je n’ai pas retrouvé dans l’index du Manuel 2012 le nomd’Ajuriaguerra et dans la famille Moreau (de Tours) figure seulement celui de Jacques-Joseph.David Cohen venant de nous annoncer qu’il espérait publier l’ensemble des posters affichés sousforme d’articles dans la Revue de Neuropsychiatrie infantile, nous verrons ainsi Ajuriaguerraréapparaître à Paris. Je pense que ce sont les tristes raisons qui l’ont contraint à abandonner lachaire de neuropsychologie du développement que venait de lui confier en 1976 le Collège deFrance qui ont contribué à son oubli dans notre pays, alors qu’on continue à se référer à sonœuvre bien entendu au Pays basque mais aussi à Genève, lieux où j’ai participé à des colloquesqui lui étaient consacrés notamment sur l’application de l’épistémologie génétique de Jean Piagetà la psychopathologie du sujet âgé. Dans le Manuel Anastasia Toliou et Eugenia Papathanasioucitent page 259 des « tests d’inspiration piagétienne qui visent à explorer la construction et ledéveloppement mathématique d’après une mise a jour récente de l’EMC sur les tests d’intelligenceque je n’ai pas encore lue.

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Mais on a dit que le temps des manuels de psychiatrie écrits ou concus par un seul auteur étaitrévolu et que l’on devait désormais les faire rédiger par des spécialistes de chacune des catégoriesdiagnostiques entre lesquelles les manuels classificatoires concus à des fins épidémiologiquescomme la CIM-10, le DSM-III, IV, répartissent désormais les troubles mentaux, catégories quichangent d’ailleurs d’une révision à l’autre en fonction des avis formulés par les experts. Maiscette manière de procéder fait qu’il n’y a aucune continuité ni diachronique ni synchroniqued’un chapitre à l’autre, même si chacun d’entre eux est rédigé par le meilleur spécialiste dumoment de la question. En revanche, il y a dans le Manuel 2012 une continuité de pensée, cequi est le contraire d’une pensée unique, sans doute parce que les auteurs ont eu des formationsanalogues, ce qui me paraît évident pour ceux assez nombreux dont je sais où et comment ils se sontformés et surtout parce qu’elle est centrée sur la clinique psychiatrique dont Vassilis Kapsambelisprend soin, dès le premier chapitre, de souligner la spécificité en se référant notamment à GladysSwain et à Georges Lantéri-Laura. Ces deux noms m’ont évoqué le symposium à l’Eau viveautour de la thèse de la première sur « Le sujet de la folie » [13] et les colloques organisés àl’Hôpital Esquirol, puis la publication de l’Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne(1998) du second [14]. Georges datait ironiquement la fin du troisième paradigme, celui desstructures psychopathologiques, de la mort de notre maître commun Henri Ey en 1977 et semontrait assez pessimiste sur l’apparition au xxie siècle d’un quatrième paradigme, même sinous avons recu depuis plusieurs faire-part nous annoncant sa naissance. Je pense que cettefin est en grande partie due aux attaques subies par la psychopathologie venant de deux côtésopposées : celui des courants antipsychiatriques politiques et celui des neurosciences contestanttous deux la scientificité d’une discipline médicale fondée exclusivement sur la clinique. Tousles antipsychiatres ne récusent pas ces fondement par exemple R. Laing qui sur ce point suit lapsychopathologie phénoménologique d’Eugène Minkowski, ils sont d’ailleurs l’un et l’autre citésà plusieurs reprises dans le Manuel présenté. De même, il y a des chercheurs en neurosciencesqui cherchent à établir des liens entre leurs recherches et les données de la psychopathologie.J’ai remarqué que le chapitre 5 « Psychiatrie et neuroscience », écrit par André Galinowski, setermine par un paragraphe « neuroscience de la conscience » où est d’emblée cité J.H. Jackson quiavait lui-même inspiré Henri Ey. Je suis d’ailleurs étonné de voir le nombre d’articles d’auteursétrangers, notamment japonais, soumis actuellement à des revues francaises présentant un néo-organodynamisme, mais il est vraisemblable que ce soit là un biais les rédacteurs en chef me lesenvoyant en lecture de préférence à d’autres lecteurs ayant moins de contact avec les psychiatresjaponais admirateurs de l’œuvre d’Henri Ey.

Lors du VIIIe Congrès Mondial de Psychiatrie de 1998 à Athènes nous avons présenté avecVassilis Kapsambelis une communication sur l’organodynamisme programmée dans la Sectionhistoire de la psychiatrie, mais nous avons eu la surprise d’être interrogés par le président de séance,éminent historien de la psychiatrie, sur qui était exactement cet Henri Ey dont il n’avait jamaisentendu parler jusque là. Dora Weiner qui enseigne les Humanities à l’UCLA, m’a expliqué lorsquenous préparions une édition critique de la deuxième édition du Traité Médico-philosophique dePinel [15], celle de 1809, qu’elle partageait les semestres d’enseignement d’histoire de la psy-chiatrie avec un collègue qui la faisait naître dans les années 1970 ! Cette histoire du présent n’estd’ailleurs pas sans intérêt et il faudrait sans doute écrire une histoire de la psychopharmacologiemoderne. Cela m’a d’autant plus surpris que lors des Congrès de l’American psychiatric associa-tion, par exemple à celui de Philadelphie en 1994 où était présenté le DSM-IV, le nom de BenjaminRush (1746–1813) est fréquemment mentionné comme un des Pères fondateurs à la fois des États-Unis et de la psychiatrie nord-américaine et que c’est son portrait qui orne toujours le sceau del’APA. Mais on est étonné, comme souvent avec nos collègues nord-américains, d’entrer parfois

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en contact avec certains d’entre eux qui connaissent mieux la psychiatrie francaise et son histoireque certains de nos compatriotes. Dans un récent numéro de History of psychiatry, la revue dirigépar German E. Berrios, professeur d’épistémologie psychiatrique à Cambridge est paru un articlede Laura Hirsheim, de l’université du Michigan The American Psychiatric Association and thehistory of psychiatry [16] où elle parle d’un âge d’or qui aurait duré de 1944 à 1985 suivi d’undésintérêt depuis dont il serait intéressant d’analyser les raisons.

Il faut dire qu’en France, rares sont les CHU qui proposent encore de nos jours un sémi-naire d’histoire de la psychiatrie aux collègues en formation et que dans les villes où il enexiste un il n’est pas obligatoire mais optionnels. J’ai quand même recu ces dernières annéesdes thèses remarquables soutenues dans les villes où ces séminaires continuent d’exister, parexemple celle de Jérémie Sinzelle Cent ans de démence précoce [17] soutenue à Strasbourgoù l’auteur où a pris soin de traduire les textes des auteurs de langue allemande du xixe

siècle comme Schülle ou Pick sur la Dementia Praecox que nous ignorions et d’en citer desextraits.

Je dois dire que celle qui demeure une grande oubliée de l’histoire de la schizophrénie esttoujours Sabina Spielrein (1885–1941) dont on parle beaucoup à d’autres points de vue. Aucolloque organisé à Strasbourg l’an dernier pour commémorer le « centenaire de la schizophrénie »à l’occasion de la publication par Eugen Bleuler du volume Dementia praecox oder der guppe derSchizophenien en 1911 [18] j’ai rappelé que la première thèse de médecine sur la schizophrénieest celle soutenue par Sabina Spielrein cette année là à Zurich, suivie la même année de son articlesur la « Destruction comme cause du devenir » inspiré par le contenu de sa thèse, article que Freudva immédiatement citer dans son étude sur les Mémoires de Schreber, puis dans « Pour introduirele narcissisme ». Mais ces deux textes fondamentaux continuent d’être ignorés, ils ne sont pascités dans le Manuel 2012 où la notion de « destructivité » est cependant abordée par FrancoiseLaugier dans le chapitre 39 « Clinique et psychopathologie du groupe des états limites » sans quele nom de l’introductrice de la notion de destructivité en psychopathologie soit cité. Comme enplus le gouvernement Poutine a fait déplacer le monument érigé dans le Ravin du Serpent où ellefut exécutée avec ses filles parmi des milliers de juifs de Rostov à leur mémoire son nom n’est pasprès de réapparaître dans l’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse. J’en ai parlé récemmentlors d’une Journée d’études à La Queue en Brie devant un auditoire de professionnels qui avaientpour la plupart vu le film de David Cronenberg A dangerous method mais qui ignoraient la findramatique de l’histoire.

C’est surtout dans le chapitre 56 « Traitements institutionnels » (Serge Gauthier, CatherineJoubert, Victor Souffir) que je me suis retrouvé en terrain connu avec les références au rapport surles « Thérapies institutionnelles » auquel Hélène Chaigneau et Pierre Chanoit m’avaient associéprésenté au Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Francaise à Caen en 1971 que Eycite dans la quatrième édition de son Manuel [19]. J’ai particulièrement apprécié la note dénoncantla confusion regrettable entre la désaliénation que nous prônions et la « désinstitutionalisation »brutale pratiquée aux États-Unis. L’Association L’Elan retrouvé, où Hélène Chaigneau a étéprésente toute au long de sa vie organise le 13 décembre 2012 une journée d’étude « Cliniqueet Institutions » en hommage à sa mémoire. Pour la petite histoire ce rapport n’a pas pu êtrediscuté car la session était présidée par Gaston Ferdière et celui-ci fut attaqué verbalement parses amis surréalistes, ceux là même qui lui avait demandé de sauver de la mort de faim AntoninArtaud interné à Ville-Evrard en zone occupée en le recevant à Rodez encore en zone libremais qui lui reprochaient maintenant de l’avoir traité par électrochoc. Le nom d’Artaud est bienentendu cité par Pedro Valente parmi ceux des grandes figures de la folie évoquées par MichelFoucault.

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Je me suis aussi retrouvé en terrain connu avec le rappel des deux colloques organisées pourle bicentenaire de la Révolution francaise à La Salpêtrière et à Bicêtre autour de la libérationdes aliénés de leur chaînes dont j’ai pu recueillir dans un volume [20] les interventions sur cettelibération qui n’est pas un mythe mais une réalité, même si Foucault a défendu la thèse selonlaquelle Pinel aurait remplacé les chaînes de fer par celles du traitement moral. Or celui-ci supposeau contraire l’abandon de tous moyens physiques barbares utilisés pour traiter les fous pour établirle dialogue avec ceux qui étaient considérés jusque là comme des insensés. Curieusement, on estpassé d’une littérature hagiographique sur Pinel au xixe siècle à une littérature souvent critiquemais aussi abondante au xxe. Je pense que ce n’est pas par hasard que l’historien qui a le mieuxsaisi comment Pinel se situe historiquement Aux portes de la psychiatrie [21] est un hellénisteJackie Pigeaud qui parle de lui comme de l’Ancien et le Moderne. L’ancien car Pinel se situelui-même dans la tradition hippocratique, mais l’hippocratisme moderne apparu au xviiie siècle àMontpellier qui a donné naissance à la clinique comme l’a montré paradoxalement Foucault et quidemeure pour moi caractéristique de la médecine francaise. Dans le Manuel, dirigé par VassilisKapsambelis, les références à Hippocrate sont au nombre d’une dizaine tantôt directes, tantôt parl’intermédiaire du livre de Jouanna. Elles ne se limitent pas à des questions de terminologie etportent sur des points conceptuels répartis dans de nombreux chapitres, sur les théories humorales,le tempérament, l’hystérie, la paranoïa, etc. Nous pouvons comme le Petit Poucet retrouver notrechemin dans la forêt de la psychopathologie en suivant les cailloux laissés sur notre chemin.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

[1] Kapsambélis V. Manuel de psychiatrie clinique et psychopathologique. Paris: PUF; 2012.[2] Ey H, Bernard P, Brisset C. Manuel de psychiatrie. Paris: Masson; 1960.[3] Baruk H. Précis de psychiatrie. Clinique, psychopharmacologie-thérapeutique. Paris: Masson & Cie; 1950.[4] Guiraud P. Psychiatrie clinique. Paris: Le Francois; 1956.[5] Lévy-Valensi J. Précis de psychiatrie. Paris: J.B. Baillière & fils; 1939.[6] Lévy-Valensi J, Migault P, Lacan J. Troubles du langage écrit chez une paranoïaque présentant des éléments délirants

de type paranoïde (schizographie). Ann Med Psychol (Paris) 1931;II:508–22.[7] Lacan J. De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité suivie de premiers écrits sur la paranoïa.

Paris: Le Seuil; 1971.[8] Garrabé J. Henri Ey et la pensée psychiatrique contemporaine. Le Plessis-Robinson: Institut Synthélabo ; Les

Empêcheurs de penser en rond; 1997.[9] Ey H. Études psychiatriques (1954) [Préfaces J. Garrabé et P. Belzeaux]. Nouv éd. Perpignan: CREHEY; 2006.

[10] Wyrsch J. La personne du schizophrène. Étude clinique, psychopathologique et anthropophénoménologique (1949).Trad fr. Paris: PUF; 1956.

[11] Garrabé J. Histoire de la schizophrénie. Paris: Seghers; 1992.[12] De Ajuriaguerra J. Manuel de psychiatrie de l’enfant. Paris: Masson; 1970.[13] Swain G. Le sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie. Toulouse: Privat; 1977.[14] Lantéri-Laura G. Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Paris: Éditions du Temps; 1998.[15] Pinel P. Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale [Présenté et annoté par J. Garrabé et D. Weiner].

[Seconde édition entièrement revue et très augmentée (1809)]. Paris: Les empêcheurs de penser en rond/Le Seuil;2005.

[16] Hirshbein L. The American Psychiatric Association and the history of psychiatry. Hist Psychiatry 2011;22(3):302–14.[17] Sinzelle J. Cent ans de démence précoce Grandeur et décadence d’une maladie de la volonté [Thèse de médecine].

Strasbourg: Université Louis Pasteur; 2008.

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[18] Bleuler E. Dementia praecox oder der Gruppe der Schizophrenien (1911). Dementia praecox ou groupe des schizo-phrénies. Paris: EPEL-Grec; 1993.

[19] Chaigneau H, Chanoit P, Garrabé J. Les thérapies institutionnelles. Rapport au Congrès de psychiatrie et neurologiede langue francaise 1971. Paris: Masson; 1971.

[20] Garrabé J, Pinel P. Les Empêcheurs de penser en rond. Le Plessis-Robinson: Département Communication Synthe-labo; 1994.

[21] Pigeaud J. Aux portes de la psychiatrie. Pinel, L’Ancien et le Moderne. Paris: Aubier; 2011.