LES DĂFIS DU CEA #24012
DOSSIER SANTĂ MENTALE
LES DĂFIS DU CEA #240
Comprendre les troubles psychiques PAR SYLVIE RIVIĂRE
âCi-dessusAtlas dâune centaine de faisceaux courts reliant entre elles des rĂ©gions adjacentes du cerveau.(NeuroSpin/UniversitĂ© de Conception-Chili)©âGuevara, Poupon, Mangin/CEA
LES DĂFIS DU CEA #240 1313LES DĂFIS DU CEA #240 SANTĂ MENTALE
« La psychiatrie ne sera plus le parent pauvre de la mĂ©decine », câest en ces termes quâAgnĂšs Buzyn, alors ministre des Solida-ritĂ©s et de la SantĂ©, a prĂ©sentĂ© en juin 2018 la feuille de route pour la santĂ© mentale et la psychiatrie. Trente-sept mesures y sont dĂ©clinĂ©es, essentiellement axĂ©es sur lâamĂ©lioration des conditions de vie, lâac-compagnement et lâaccĂšs aux soins des per-sonnes souffrant de troubles psychiques. La recherche nâest pas en reste et fait lâobjet de lâaction no 30.
Des mécanismes biologiques encore trÚs mal connusCar le constat est alarmant : les troubles psychiques se situent au troisiÚme rang des maladies les plus fréquentes, aprÚs le can-cer et les affections cardio-vasculaires. Cet ensemble de pathologies diverses, allant
des troubles anxieux Ă la schizophrĂ©nie, est aussi la premiĂšre cause dâarrĂȘts maladie et le premier poste de dĂ©penses par patholo-gie. Un contexte aggravĂ© par des diagnostics souvent trĂšs tardifs et des interventions prĂ©coces insuffisantes. En cause, des mĂ©ca-nismes biologiques encore trĂšs mal connus, mĂȘme si de grands progrĂšs ont Ă©tĂ© accom-plis ces derniĂšres annĂ©es. Ces pathologies sont en effet complexes, trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes et ont des origines multifactorielles. Elles rĂ©sultent le plus souvent dâune interaction entre un terrain gĂ©nĂ©tique de susceptibilitĂ© et des facteurs environnementaux aggra-vants (infection maternelle pendant la gros-sesse, traumatismes psychologiques durant lâenfance, pollution, etc.). Josselin Houe-nou, psychiatre Ă lâhĂŽpital universitaire Henri-Mondor et au Centre NeuroSpin du CEA, ajoute : « Nous sommes tous convaincus
Un Français sur cinq est atteint par une maladie mentale. MalgrĂ© cette forte prĂ©valence, ces pathologies sont trĂšs mal comprises, et beaucoup reste Ă faire sur leur priseen charge. Face Ă cette problĂ©matique, la recherche avance. Avec de belles promesses Ă venir, dans le diagnostic prĂ©coce et les thĂ©rapies prĂ©ventives, ou encore dans la personna-lisation des traitements. â
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cliniques. » Il poursuit : « Aujourdâhui, nous ne disposons que de critĂšres cliniques et donc empiriques, uniquement issus de lâanalyse du comportement du patient, pour diagnos-tiquer ces maladies. Cela pose un problĂšme de subjectivitĂ©. »
Vers lâĂ©mergence de biomarqueurs La recherche se concentre donc sur lâiden-tification de biomarqueurs clairs et prĂ©cis, dans le sang, les gĂšnes, ou encore dans la structure du cerveau⊠Et le CEA entend bien relever le dĂ©fi pour trois pathologies majeures que sont les troubles bipolaires, la schizophrĂ©nie et les troubles du spectre autistique. Des travaux quâil ne mĂšne pas seul, mais en collaboration avec des hĂŽpi-taux et dâautres instituts de recherche fran-çais, voire Ă©trangers. Citons notamment lâhĂŽpital universitaire Henri-Mondor, la
que derriĂšre lâautisme, et câest aussi vrai pour les autres troubles, se cachent plusieurs maladies bien distinctes, qui partagent les mĂȘmes symptĂŽmes, mais qui auraient des origines tout Ă fait diffĂ©rentes. Clarifier ces questions aurait des consĂ©quences impor-tantes dans la prise en charge des patients, mais aussi dans la mise en Ćuvre des essais
Fondation FondaMental, lâInserm et lâIns-titut Pasteur. Au sein de ces projets colla-boratifs, les Ă©quipes du CEA apportent leur expertise en imagerie cĂ©rĂ©brale. Les IRM Ă haut champ de NeuroSpin offrent en effet la possibilitĂ© de plonger au plus profond du cerveau et de « voir » les anomalies, si elles existent, siĂ©geant dans les cerveaux des malades. Comme lâexplique Josselin Houenou, « nous recherchons Ă la fois des biomarqueurs liĂ©s au fonctionnement du cerveau, et anatomiques, comme un change-ment de volume dans une rĂ©gion cĂ©rĂ©brale ». La recherche de marqueurs de lâinflamma-tion, quâils soient sanguins ou cĂ©rĂ©braux, est une autre piste, en plein essor. Les derniĂšres avancĂ©es de la recherche font en effet Ă©tat dâune lĂ©gĂšre inflammation chronique, prĂ©sente dans la plupart des troubles psychiques. Certaines Ă©tudes, par
Les biomarqueursassociĂ©s aux signes cliniques ouvriront la voie Ă de nouvelles perspectives dans le diagnostic et le pronostic dâĂ©volution des troubles autistiques.
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LES DĂFIS DU CEA #240 15LES DĂFIS DU CEA #240 15SANTĂ MENTALE
FOCUS
3 troubles psychiatriques
chroniques
T R O U B L E B I P O L A I R E
Alternance dâĂ©pisodes dĂ©pressifs sĂ©vĂšres et dâexcitation maniaque. Il touche 1â% de la population et dĂ©bute le plus souvent entre 15 et 30 ans.
S C H I Z O P H R Ă N I E
Association de symptĂŽmes dits positifs (idĂ©es dĂ©lirantes et hallucinations)â; nĂ©ga-tifs (troubles dans les interactions socialesâ; troubles cognitifsâ: altĂ©ration de la motivation, mĂ©moire, attention, planification de tĂąchesâŠ)â; et de dĂ©sorganisation (perte du fil conduc-teur logique de la pensĂ©e). La schizophrĂ©nie touche 1â% de la population et dĂ©bute vers la fin de lâadolescence.
T R O U B L E S D U S P E C T R E A U T I S T I Q U E
( T S A )
Troubles de la communication et des interac-tions sociales (langage et communication non verbale)â; troubles du comportement (focali-sation sur des sujets dâintĂ©rĂȘt trĂšs restreints et comportements moteurs rĂ©pĂ©tĂ©s). Autres symptĂŽmes Ă©ventuelsâ: retard mental, Ă©pilep-sie, etc. Les TSA touchent 1â% de la population et dĂ©butent dans les tout premiers mois de vie.
exemple sur la schizophrĂ©nie, ont mĂȘme montrĂ© que lâinflammation Ă©tait associĂ©e Ă des dĂ©ficits cognitifs plus prononcĂ©s et Ă des scores de fonctionnement intellectuel gĂ©nĂ©ral plus bas.
Croiser marqueurs et signes cliniquesPour les chercheurs, le graal serait de rĂ©ussir Ă associer tous ces biomarqueurs â sanguins, imagerie cĂ©rĂ©brale, donnĂ©es gĂ©nomiques â aux signes cliniques pour gagner en finesse dâanalyse. De nombreux projets en ce sens sont en cours. Seuls ou combinĂ©s, ces indices ouvriront la voie Ă de nouvelles perspectives dans le diagnos-tic prĂ©coce et le pronostic dâĂ©volution de la pathologie ; dans lâidentification plus fine des diffĂ©rentes formes cliniques ; dans la prĂ©diction de la bonne ou mau-vaise rĂ©ponse Ă un traitement⊠Ces pistes aideront les praticiens Ă rĂ©pondre Ă une foule de questions pratiques : qui parmi des sujets Ă haut risque dĂ©veloppera tel syndrome ? Quelle maladie doit-on suspec-ter face Ă un premier Ă©pisode psychotique ? Quel traitement sera le plus appropriĂ© pour tel malade ?
Une avalanche de donnĂ©esToutes ces Ă©tudes gĂ©nĂšrent des quantitĂ©s de donnĂ©es qui croissent Ă un rythme expo-nentiel et gagnent en complexitĂ©. Elles sâappuient sur des cohortes de patients de plus en plus vastes, dont le suivi sur plu-sieurs annĂ©es nĂ©cessite une actualisation constante des donnĂ©es et dâimportants moyens humains et financiers. JusquâĂ peu cantonnĂ©es Ă une trentaine, voire une centaine dâindividus, elles avoisinent aujourdâhui le millier de sujets. Comme lâexplique Jean-François Mangin, spĂ©cia-liste en analyse dâimages Ă NeuroSpin, « ce qui donne de la robustesse aux rĂ©sultats, câest la puissance de la statistique. Elle repose sur des effectifs les plus larges pos-sibles, apportĂ©s par les grands ensembles de patients ». Exemple avec la cohorte Enigma, la plus grosse Ă©tude jamais rĂ©alisĂ©e sur les troubles bipolaires. Elle rassemble, sur plus de dix ans, les donnĂ©es en IRM de 1 400 malades et de 1 500 sujets sains, collectĂ©es via 26 Ă©tudes diffĂ©rentes dans le monde. Avec ces masses de donnĂ©es vertigineuses quâil faut recueillir et analyser, la recherche sur les troubles psychiques est elle aussi entrĂ©e de plain-pied dans lâĂšre du big data et de lâintelligence artificielle.âą
âREPĂRESâ
1 Européen sur 4 touché par des troubles psychiques au cours de sa vie
2,4âmillionsnombre de Français pris en charge en Ă©tablissement de santĂ© (en 2015)
1 Français sur 5 atteint par une maladie mentale
109 milliards dââŹcoĂ»t Ă©conomique et social des troubles mentaux par an en France, dont 19,3 milliards pour lâassurance maladie
âLEXIQUEâ
BiomarqueurDonnĂ©e biologique mesurĂ©e et Ă©valuĂ©e comme Ă©tant un indicateur dâune pathologie, ou dâune rĂ©ponse Ă un traitement.
IRMImagerie par résonance magnétique.
âPage de gaucheSĂ©ance de prise en charge dâun jeune autiste par thĂ©rapie comportementale.
âCi-contreIRM 7 teslas de NeuroSpin, utilisĂ© pour Ă©tudier les anomalies cĂ©rĂ©brales.
NeuroSpinInfrastructure de rechercheen neuro-imagerie, au CEA-Joliot (Saclay). ©
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Les troubles psychiatriques ont leurs propres signatures cĂ©rĂ©brales. Les dys-fonctionnements gĂ©nĂ©tiques ou encore lâinteraction avec un environnement dĂ©fa-vorable laissent en effet une empreinte sur lâanatomie des rĂ©gions du cerveau et sur leur fonctionnement. Ce sont ces traces, mĂȘme les plus tĂ©nues, que les chercheurs de NeuroSpin traquent, au moyen des dif-
fĂ©rentes techniques dâIRM cĂ©rĂ©brales : IRM anatomique, IRM de diffusion (elle dĂ©voile les rĂ©seaux de connexions entre les rĂ©gions du cerveau) et IRM fonctionnelle (qui per-met de « voir » les zones cĂ©rĂ©brales sollici-tĂ©es par une action mentale). Ces Ă©tudes sont menĂ©es en comparant les images obtenues chez des personnes malades avec celles acquises chez des sujets sains.
Des connexions altĂ©rĂ©es chez les bipolairesâŠLâimagerie a ainsi rĂ©vĂ©lĂ© plusieurs ano-malies dans les connexions entre rĂ©gions cĂ©rĂ©brales. Chez les patients atteints de troubles bipolaires, elles se concentrent dans les aires de traitement des Ă©motions. Dans un cerveau sain, face Ă une stimu-lation Ă©motionnelle â comme un danger soudain â, lâamygdale et lâhippocampe sâactivent fortement et de maniĂšre auto-matique, en une rĂ©action rĂ©flexe. Le cortex prĂ©frontal, participant au rĂ©seau de rĂ©gu-lation volontaire des Ă©motions, intervient dans un second temps, analyse le danger et module lâactivitĂ© de lâamygdale si nĂ©ces-saire. « Nos travaux en IRM de diffusion ont rĂ©vĂ©lĂ© une altĂ©ration de la qualitĂ© des connexions entre les neurones des rĂ©gions de traitement automatique des Ă©motions et ceux du cortex prĂ©frontal », commente Josselin Houenou. Ă ces anomalies sâajoute
âLEXIQUEâ
Connexions cĂ©rĂ©bralesFaisceaux dâaxones (prolonge-ment des corps cellulaires des neurones) entre deux groupes de neurones, permettant le passage de lâinformation.
AmygdalePetite structure du cerveau en forme dâamande, impliquĂ©e dans le dĂ©codage des Ă©motions. Elle est prĂ©sente en double exemplaire (une dans chaque hĂ©misphĂšre).
HippocampePetite structure du cerveau localisĂ©e dans chaque hĂ©mis-phĂšre. Câest lâun des centres de la mĂ©moire, et notamment de la mĂ©moire Ă©pisodique, qui lie chaque Ă©vĂ©nement mĂ©morisĂ© Ă un contexte temporel et spatial.
CortexFine pellicule (quelques mm dâĂ©paisseur) situĂ©e en pĂ©riphĂ©rie du cerveau, dans laquelle sont regroupĂ©s les corps des neurones.
Sonderle cerveauLa neuro-imagerie, et notamment lâIRM, est aujourdâhui la meilleure maniĂšre non invasive dâaborder lâanatomie et le fonctionnement du cerveau. Elle rĂ©vĂšle des anomalies cĂ©rĂ©brales chez les sujets atteints de troubles psychiques, comme des altĂ©rations dans les connexions reliant les diffĂ©rentes zones du cerveau.
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âCi-dessousChez les schizophrĂšnes, lâorganisation interne desfaisceaux courts (ici visualisĂ©e) est en partie diffĂ©rente de celle prĂ©valant chez les sujets sains.
LES DĂFIS DU CEA #240 17LES DĂFIS DU CEA #240 17SANTĂ MENTALE
une augmentation du volume de lâamyg-dale et de lâhippocampe, et une diminu-tion de celui du cortex prĂ©frontal. « Ces indices pourraient en toute logique expli-quer Ă la fois la difficultĂ© de ces patients Ă rĂ©guler leurs Ă©motions, liĂ©e Ă lâaltĂ©ration des connexions avec le cortex prĂ©frontal, et leur hyperactivitĂ© Ă©motionnelle, due Ă un rĂŽle prĂ©dominant de lâamygdale. »
⊠et chez les schizophrĂšnesChez les schizophrĂšnes, le tableau est plus sombre. Toutes les rĂ©gions du cerveau ont un volume diminuĂ©, et la connecti-vitĂ© entre elles est globalement altĂ©rĂ©e. « JusquâĂ prĂ©sent, les Ă©tudes ont portĂ© sur les connexions longues, traversant le cer-veau, tout simplement parce quâelles sont plus aisĂ©es Ă visualiser en IRM de diffusion », prĂ©cise le psychiatre. Quâen est-il des nom-breuses connexions courtes, situĂ©es en pĂ©riphĂ©rie du cerveau, qui relient entre elles des rĂ©gions voisines du cortex ? Lâatlas conçu Ă NeuroSpin a apportĂ© une rĂ©ponse inĂ©dite. VĂ©ritable innovation, il rĂ©pertorie, Ă partir dâimages obtenues par IRM de dif-fusion, une centaine de connexions courtes entre rĂ©gions adjacentes du cortex. « Nous avons ainsi montrĂ© que la connectivitĂ© dans les faisceaux courts Ă©tait elle aussi altĂ©rĂ©e en cas de schizophrĂ©nie, ce qui complĂšte la thĂ©orie actuelle sur la connectivitĂ© longue
distance ( faisceaux longs). » Ce mĂȘme atlas a permis dâexplorer le cerveau de patients atteints de troubles du spectre autistique (TSA). Avec un rĂ©sultat Ă©tonnant, allant Ă lâencontre de la thĂ©orie dominante ! Contre toute attente, lâĂ©tude a montrĂ© que la connectivitĂ© courte distance Ă©tait diminuĂ©e dans les TSA. « Ce qui est intĂ©-ressant, câest que la qualitĂ© des faisceaux courts est trĂšs corrĂ©lĂ©e Ă la situation clinique des patients. Plus ils ont des difficultĂ©s, notamment dans les interactions sociales et lâempathie, plus la connectivitĂ© courte distance est diminuĂ©e. » Or, la communautĂ© scientifique avait jusque-lĂ admis lâhypo-thĂšse inverse, basĂ©e sur une connectivitĂ© courte augmentĂ©e, associĂ©e Ă un dĂ©ficit de connexions longues.
Des thĂ©ories sur les TSA bousculĂ©esSur ces observations, un modĂšle thĂ©o-rique de comprĂ©hension de la maladie avait dâailleurs Ă©tĂ© Ă©laborĂ©, expliquant certains symptĂŽmes, comme les dĂ©fauts dâattention sociale et la concentration sur trop de dĂ©tails Ă la fois. Comme si les infor-mations reçues par le cerveau restaient bloquĂ©es dans des boucles de connexions locales, trop importantes, au lieu dâĂȘtre envoyĂ©es, via les faisceaux longs, dans dâautres rĂ©gions cĂ©rĂ©brales pour y ĂȘtre traitĂ©es. Il semble donc que ce ne soit pas
le cas. Ce rĂ©sultat inattendu, sâil rebat les cartes des mĂ©canismes des TSA, pourrait aussi ouvrir la voie Ă lâexploration de nou-velles approches thĂ©rapeutiques, comme la stimulation magnĂ©tique transcrĂąnienne. La technique, qui consiste Ă soumettre le cerveau Ă un petit champ magnĂ©tique, pourrait en effet ĂȘtre explorĂ©e pour sti-muler ces zones localisĂ©es en pĂ©riphĂ©rie du cerveau.
Le cervelet impliquĂ©Les chercheurs sont aussi allĂ©s enquĂȘter du cĂŽtĂ© du cervelet. Cette petite structure, logĂ©e Ă la base du cerveau, contient 50 % des neurones cĂ©rĂ©braux. Connu pour son rĂŽle crucial dans la coordination motrice, il participe aussi Ă de nombreux processus cognitifs et Ă©motionnels. « Chez les schizo-phrĂšnes comme chez les autistes, cette zone impliquĂ©e dans les fonctions cognitives est diminuĂ©e en volume, commente Josselin Houenou. Chez les autistes, nous avons mĂȘme Ă©tabli un lien entre ce volume et le temps de fixation du regard sur les yeux de lâinterlocuteur, altĂ©rĂ© chez ces patients. » Ces dĂ©couvertes, qui relient des caractĂ©-ristiques morphologiques du cerveau Ă des signes cliniques, sont Ă lâorigine de plusieurs essais cliniques majeurs, explo-rant des voies thĂ©rapeutiques. Les premiers rĂ©sultats sont attendus dâici cinq ans.âą
âCi-contreAtlas rĂ©pertoriant plusieurs centaines de faisceaux courts du cerveau (NeuroSpin-UniversitĂ© Aix-Marseille-UniversitĂ© de Conception).© N. Labra-Avila, F. Poupon, C. Poupon, J-F Mangin/CEA
LES DĂFIS DU CEA #24018 DOSSIER LES DĂFIS DU CEA #240
LES DĂFIS DU CEA #240 19SANTĂ MENTALE
DirigĂ© par Jean-François Deleuze, le CNRGH explore la composante gĂ©nĂ©tique dâun vaste panel de maladies humaines, avec des techniques de sĂ©quençage de gĂ©nome Ă haut dĂ©bit comptant parmi les plus performantesen France. Interview.
Quels sont vos objectifs de recherchesur les maladies psychiatriques ?Les experts sont aujourdâhui unanimes pour reconnaĂźtre la forte implication des facteurs gĂ©nĂ©tiques dans ces maladies. Nos travaux contribuent Ă en dessiner les contours. Nous cherchons donc Ă identifier les gĂšnes dont les variants, dus Ă des mutations, concourent Ă lâĂ©mergence de ces troubles dans un environ-nement donnĂ©. Nous tentons aussi dâidenti-fier les gĂšnes impliquĂ©s dans la rĂ©ponse aux traitements, qui peuvent ĂȘtre tout Ă fait diffĂ©-rents de ceux associĂ©s aux maladies, comme un problĂšme dâabsorption du mĂ©dicament par exemple. Ces variants gĂ©nĂ©tiques sont des biomarqueurs de diagnostic ou de la rĂ©ponse thĂ©rapeutique.
Il semble quâun grand nombre de gĂšnes soient impliquĂ©s...Ces maladies sont souvent polygĂ©niques. Elles impliquent parfois plus dâune centaine de gĂšnes dont la variation individuelle a probablement peu dâeffet. La combinaison de multiples variations augmenterait en revanche le risque de provoquer la patholo-gie. Par exemple, dans la schizophrĂ©nie, une rĂ©cente analyse de la littĂ©rature a dĂ©nombrĂ© prĂšs de 200 gĂšnes, plus ou moins fortement associĂ©s Ă la maladie. Cette polygĂ©nie va de pair avec la trĂšs grande hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de ces pathologies. Nos recherches vont donc aussi nous aider Ă mettre en Ă©vidence des sous-catĂ©gories dans chaque syndrome.
Ă quelles avancĂ©es votre unitĂ© a-t-elle contribuĂ© ?Nous participons par exemple Ă dâimpor-tantes recherches sur les gĂšnes impliquĂ©s dans les troubles du spectre autistique. Lâun de ces programmes a consistĂ© Ă sĂ©quencer
plus de 600 exomes de patients atteints de TSA. Ce travail gigantesque a abouti Ă la dĂ©couverte de nombreux gĂšnes. Le plus souvent, ils semblent ĂȘtre impliquĂ©s dans la formation ou le fonctionnement des synapses, ces points de contact entre les neurones, qui permettent le passage de lâinformation.Nous dĂ©marrons actuellement une autre Ă©tude, de plus grande ampleur, dans laquelle nous allons sĂ©quencer les gĂ©nomes complets de 1 000 malades, qui seront comparĂ©s avec les 1 000 gĂ©nomes dâindividus sains de notre base de donnĂ©es. Mais aujourdâhui, il sâagitde dĂ©passer la logique du catalogue de gĂšnes. On en dĂ©nombre plus de 500 associĂ©s Ă lâautisme ! Lâenjeu, câest dâarriver Ă les relier aux symptĂŽmes des patients. Au CNRGH, nous essayons donc de les classer dans des grandes voies communes biologiques, et de comprendre comment ils interagissent les uns avec les autres.
Vous Ă©voquiez Ă©galement des gĂšnes de rĂ©ponse au traitementâŠIdentifier de tels marqueurs permettrait au praticien de cibler le traitement le plus pertinent dĂšs les premiers symptĂŽmes. Et ce nâest pas toujours le cas aujourdâhui ; tous les patients ne rĂ©pondent pas de la mĂȘme maniĂšre au mĂ©dicament choisi. Arriver Ă prĂ©dire cette rĂ©ponse, notamment via une simple analyse sanguine, serait une avancĂ©e considĂ©rable. Câest lâobjectif du projet europĂ©en Optimise, conduit sur une cohorte dâenviron 200 jeunes adultes prĂ©sentant les premiers symptĂŽmes de la schizophrĂ©nie. Nous avons pour cela collectĂ© et sĂ©quencĂ© les ARN totaux prĂ©sents dans le sang de sujets malades, sous traitement et non traitĂ©s, et dans celui de sujets contrĂŽles. Ceux-ci nous donnent une image de lâensemble des gĂšnes exprimĂ©s Ă un moment donnĂ©. Il semble que le profil dâexpression dâun certain nombre de gĂšnes soit en corrĂ©lation directe avec la qualitĂ© de la rĂ©ponse future au traitement. Lorsque lâon combine des donnĂ©es cliniques Ă ces donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques, la prĂ©diction de la rĂ©ponse au traitement atteint presque les 80 % ! Câest un rĂ©sultat trĂšs encourageant.âą
« On dĂ©nombre plus de 500 gĂšnes associĂ©sĂ lâautisme... »Jean-François DeleuzeDirecteur du CNRGH
âLEXIQUEâ
SĂ©quençageProcĂ©dĂ© utilisĂ© pour dĂ©terminer lâordre des bases dans lâADN ou lâARN. Ces bases constituent les briques Ă©lĂ©mentaires de lâADN.
Exome Partie du génome (environ 5 %) contenant les gÚnes.
ARN Acide ribonuclĂ©ique ; intervient dans lâexpression de lâinformation portĂ©e par lâADN.
âPage de gaucheMicroscopie dâun neurone. En jauneâ: les synapses, points de contacts Ă©tablis avec dâautres neurones. ©âInstitut Pasteur/Christelle Durand
La pistegénétique
CNRGHCentre national de recherche en génomique humaine (CEA-Jacob).
LES DĂFIS DU CEA #24020 DOSSIER LES DĂFIS DU CEA #240
« Le lithium, par exemple, est le traitement le plus efficace du trouble bipolaire depuis 70 ans. Mais on ne connaßt toujours pas son mode opératoire ! », avoue Josselin Houe-nou. Plusieurs études, dans lesquelles les équipes du CEA sont fortement impliquées, tentent de lever le voile. Le suivi des 1 500
patients de la cohorte Enigma a notamment montrĂ© que le traitement par lithium amĂ©-liorait sensiblement la connectivitĂ© entre les deux rĂ©gions cĂ©rĂ©brales de contrĂŽle des Ă©motions, Ă savoir lâamygdale et le cor-tex prĂ©frontal. Les mĂȘmes patients sous lithium ont Ă©galement plus de connexions courtes entre neurones du cortex, liĂ©es Ă un plus grand nombre de synapses, suggĂ©rant un effet direct du lithium sur la plasticitĂ© du cerveau. « Avec ce type de rĂ©sultat, nous commençons Ă mieux comprendre lâeffet des traitements », ajoute le psychiatre.
PrĂ©dire la rĂ©ponse au lithiumUne partie des patients reste cependant peu sensible au lithium. Trouver des bio-marqueurs qui pourraient aider Ă prĂ©dire la bonne ou mauvaise rĂ©ponse Ă cet Ă©lĂ©ment ferait gagner un temps considĂ©rable dans la prise en charge des malades. Câest prĂ©cisĂ©-ment lâobjectif de lâessai clinique europĂ©en RLink lancĂ© il y a un an, avec 300 patients sous lithium suivis pendant deux ans sur vingt sites europĂ©ens. LâidĂ©e est de collecter un maximum dâinformations mĂ©dicales : tests cognitifs, sanguins, ADN, ARN, IRM⊠pour Ă©laborer, par des techniques dâappren-
âCi-dessusLes imageurs TEP-IRM du SHFJ sont aussi sollicitĂ©s dans certains essais cliniques. Ici, interprĂ©tation des images cĂ©rĂ©brales.
âLEXIQUEâ
EEGLâĂ©lectro-encĂ©phalogramme mesure les minuscules courants Ă©lectriques qui parcourent le cortex, au moyen dâĂ©lectrodes posĂ©es sur la tĂȘte.
TEPTomographie par Ă©mission de positons.
SHFJService hospitalier Frédéric Joliot (CEA-Joliot).
Autour destraitementsIn fine, lâenjeu pour la recherche est la thĂ©rapeu-tique. Les psychothĂ©rapies, centrales pour les malades, continuent Ă ĂȘtre amĂ©liorĂ©es. Tout comme les traitements et la comprĂ©hension de leurs mĂ©canismes dâaction, explorĂ©s par les Ă©quipes du CEA.
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LES DĂFIS DU CEA #240 21LES DĂFIS DU CEA #240 21SANTĂ MENTALE
tissage automatique (lire ci-contre), un algorithme capable de prĂ©dire la rĂ©ponse au traitement Ă partir des donnĂ©es dâen-trĂ©e concernant le malade. « Au sein de RLink, nous pilotons tout le volet analyse de donnĂ©es et machine learning », prĂ©cise Ădouard Duchesnay, spĂ©cialiste en dĂ©ve-loppement dâalgorithmes de machine lear-ning Ă NeuroSpin. Câest aussi le cas dans le vaste projet français PsyCare, dĂ©diĂ© aux psychoses (dont fait partie la schizophrĂ©-nie). Une quinzaine de partenaires, pilotĂ©s par lâhĂŽpital Sainte-Anne, sont mobilisĂ©s pour trouver des marqueurs prĂ©dictifs de lâĂ©volution vers la maladie â lâidĂ©e Ă©tant de faciliter la dĂ©tection prĂ©coce â et identifier les cibles thĂ©rapeutiques correspondantes.
Apprendre Ă rĂ©guler son amygdaleJosselin Houenou Ă©voque une autre piste. « Lâhyperactivation de lâamygdale chez les patients atteints de troubles bipolaires nous a incitĂ©s Ă dĂ©buter un essai clinique de neurofeedback. » La mĂ©thode consiste Ă montrer en temps rĂ©el Ă des patients lâactivitĂ© de leur amygdale en IRM fonc-tionnelle, sous forme dâun petit thermo-mĂštre, pour quâils apprennent Ă la contrĂŽler. Avec une difficultĂ© technique majeure, celle du traitement du signal, qui doit ĂȘtre ultrarapide. « Nous avons collaborĂ© avec les Ă©quipes mĂ©thodologiques de NeuroSpin pour Ă©laborer un algorithme spĂ©cifique. Le rĂ©sultat dĂ©livrĂ© en une seconde nâest certes pas trĂšs dĂ©taillĂ©, mais reste suffisant pour lâexercice », commente le psychiatre.Ă terme, si la mĂ©thode fonctionne, les cher-cheurs opteraient pour un neurofeedback en EEG, beaucoup moins lourd Ă mettre en Ćuvre en routine.
DĂ©celer lâinflammation cĂ©rĂ©braleLa voie de lâinflammation chronique, suspectĂ©e dans la plupart de ces troubles, est elle aussi explorĂ©e. « Avec le SHFJ, et lâutilisation dâun traceur biologique suivi par TEP, nous testons si la prĂ©sence de mar-queurs de lâinflammation cĂ©rĂ©brale chez des sujets schizophrĂšnes est corrĂ©lĂ©e avec celle de marqueurs de lâinflammation dans le sang », explique Josselin Houenou. Autre-ment dit, est-ce quâune simple prise de sang pourrait renseigner sur une inflammation cĂ©rĂ©brale ? Si tel est le cas, ce geste simple permettrait de choisir les patients suscep-tibles de recevoir des anti-inflammatoires, au sein dâessais cliniques par exemple. âą
De puissants algorithmesĂ lâĆuvreSans lâintelligenceartificielle et les techniques de machine learning, point de neuro-imagerieâ! «âCe que nous faisons en imagerie cĂ©rĂ©brale, ce nâest pas de la radiolo-gie, rien nâest visible Ă lâĆil nu, prĂ©cise dâemblĂ©e Jean-François Mangin, spĂ©-cialiste en analyse dâimages. Analyser la masse et la complexitĂ© des don-nĂ©es fournies par les IRM, comparer des milliers de cerveaux, en faire Ă©mer-ger les caractĂ©ristiques communes ou de lĂ©gĂšres anomalies, câest hors de portĂ©e pour lâesprit humain.â» Seuls lâordinateur et la puissance des algo-rithmes sont capables de dĂ©couvrir au sein de ces ocĂ©ans dâinformations les signatures de pathologies. «âEt mĂȘme de dĂ©celer les premiers changements cĂ©rĂ©braux, bien avant lâapparition de symptĂŽmesâ». Ce que les chercheurs imaginent pour lâavenir, câest un outil de routine hospitalier, capable, Ă la seule lecture dâune IRM cĂ©rĂ©brale, de rĂ©aliser ces diagnostics prĂ©coces ou encore de prĂ©dire la rĂ©ponse Ă un traitement. «âAujourdâhui, nos algorithmes arrivent Ă reconnaĂźtre un cerveau atteint de schizophrĂ©nie avec un taux de rĂ©ussite de 80â%, annonce Ădouard Duches-nay. Mais nous devons aller plus loin, pour repĂ©rer ces futurs malades bien plus tĂŽt.â»
Quand la machine apprendâŠPour relever le dĂ©fi, les algorithmes conçus Ă NeuroSpin font de lâap-prentissage (ou machine learning). Ils ingĂšrent une foule de donnĂ©es
mĂ©dicales essentiellement issues des IRM, mais de plus en plus de la gĂ©nĂ©tique, des analyses biologiques et des scores cognitifs, concernant des sujets Ă un stade prĂ©coce de la pathologie, puis au fil de leur Ă©volution dans le temps. La machine apprend dâelle-mĂȘme Ă reconnaĂźtre, dĂšs leur apparition, les signatures biologiques caractĂ©ristiques de la maladie. «âPlus on dispose de donnĂ©es pendant la phase dâapprentissage, plus prĂ©cise sera la performance de lâalgorithme. Les Ă©tudes auxquelles nous partici-pons portent en gĂ©nĂ©ral sur un millier de sujets, mais lâobjectif serait dâaller vers des cohortes de 10â000 patientsâ», indique Ădouard Duchesnay.
⊠sans sur-apprendreLes obstacles sont cependant nom-breux, comme ceux de la variabilitĂ© naturelle entre tous les cerveaux sains, la variabilitĂ© interIRM, inter hĂŽpitaux⊠«âNous cherchons un filon dâor dans une Ă©norme montagne de terreâ; des petites diffĂ©rences, subtiles, unique-ment liĂ©es aux pathologies. Comment faire pour trouver lâinformation per-tinente dans ce bruit de fondâ? Câest tout lâenjeuâ», commente Ădouard Duchesnay. En dâautres termes, il faut empĂȘcher lâalgorithme de tomber dans le «âsur-apprentissageâ» de dĂ©tails non reproductibles. «âPour cela, on force lâalgorithme Ă trouver une solution la plus simple possible. On encode des a priori biologiques, comme la structure du cerveau, qui vont contraindre une solution orga-nisĂ©e en rĂ©gions plutĂŽt quâen pixels dissĂ©minĂ©s formant une carte âpoivre et selâ ininterprĂ©table et peu plausible biologiquement.â» Mais pour sâaf-franchir totalement de la variabilitĂ© Ă©norme mais normale entre cerveaux humains, le chemin Ă parcourir serait cependant encore bien long. «âIl faudrait construire notre algorithme Ă partir dâune immense base de donnĂ©es, trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšne, pour quâil apprenne Ă reconnaĂźtre toutes les variations normales, et ainsi iden-tifier mieux et plus vite les cerveaux pathologiques. Pour le moment, cela reste de lâordre du rĂȘveâŠâ», conclut le chercheur.ââą