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Simon Garcia
Master 1 Philosophie, « religions et sociétés »
Semestre 2 U2 Session 1
Université Bordeaux Montaigne
Dossier bouddhisme :
Sujet d’étude : Le bouddhisme vu par la « Tradition »
Plan :
Qu’est-ce que la « Tradition » ?…………………………………………………………………..……2
René Guénon : Le scepticisme avant la confirmation par l’hérédité
hindouiste.…………………………………………………………………………..……………..……...4
Frithjoff Schuon : Bouddhisme et christianisme : deux vecteurs similaires vers la «
Connaissance »………… ……………………………………………………………….………..…….6
Julius Evola : Le bouddhisme : une doctrine pleinement ancrée dans la « Tradition »
:……………………………………………………………………………………………………………10
Bibliographie…………………………………………………………………..………………………..13
2
Qu’est que la « Tradition » ?
L’école de pensée à laquelle nous allons nous intéresser aujourd’hui est communément nommée
sous le diminutif de la « Tradition ». Son nom complet est « Tradition primordiale » et est
parfois également présentée sous le nom de pérennialisme ou encore de Sophia Perennis. Bien
que l’enseignement ou la philosophie dont il est question ici soit revendiquée comme héritée de
temps immémoriaux, la « Tradition », entendu en terme de courant de pensée ne date que du
début du XXe siècle. C’est en effet à cette époque que le métaphysicien français René Guénon,
sur lequel nous reviendrons, constituera une œuvre qui représentera les fondements de toute
une série de penseurs se penchant sur cette philosophie, certainement pas nouvelle, mais alors
conceptualisée de façon inédite. Qu’en est-il donc de cette « Tradition primordiale » dans les
grandes lignes ?
Comme l’indique son nom, la « Tradition Primordiale » serait la première tradition, à
comprendre ici en terme de pratique spirituelle, révélée à des hommes par ce qui peut
s’apparenter à Dieu mais qui est plus souvent mentionné par les pérennialistes (défenseurs de
la tradition) sous les termes de « Principe » ou d’« Identité suprême ». Cette « Connaissance »
transmise à des hommes, dont l’identité fait débat (pour certains il s’agirait des Egyptiens durant
la 18e dynastie, pour d’autres des mythiques « Hyperboréens », etc…), constitue en soi le
paroxysme de toute spiritualité, l’éveil absolue, la somme des connaissances métaphysiques du
monde.
Ce savoir, transmis dans un premier temps de façon ascendante comme nous venons de le dire,
traversa ensuite les époques et les civilisations à travers les religions. Au-delà de leur aspect
purement exotérique, ces dernières recèleraient donc pour la plupart, de façon plus ou moins
ésotérique, des préceptes ou enseignements métaphysiques similaires ou presque, issus de la
« Tradition primordiale ».
Préceptes et enseignements que l’on retrouverait donc tout autant dans l’hindouisme et son
Advaita Vedanta, le bouddhisme et plus particulièrement celui dit du « grand véhicule », le
Taoïsme, le judaïsme et sa Kabbale, la franc-maçonnerie, l’islam et son soufisme ou le
gnosticisme dans le christianisme ; autant de courants et de cerces spirituels issus des toutes les
religions les plus répandues dans le monde. La diversité des supports religieux de la
3
« Tradition » s’expliquerait par la nécessité d’adapter ces enseignements aux réceptacles de
formes si différentes que constituent les différentes civilisations humaines.
Par ailleurs, les pérennialistes ont en commun de rejeter virulemment l’époque moderne, dont
les sociétés occidentales principalement, mais pas uniquement, auraient rompu tout contact
avec les principes héritées de la « Tradition ». Nous ne pouvons nous appesantir ici trop
longtemps sur la pensée pérennialiste car son étude seule ne représente pas l’objet de ce travail,
mais nous nous devions de visualiser succinctement ses fondements pour mieux comprendre ce
qui va suivre. Les œuvres des philosophes de la « Tradition » s’attardent généralement sur les
différentes religions, afin d’établir leur éventuelle conformité avec précisément cette
« Tradition », notamment au vue de leur éventuelle dégénérescence moderne. Ils ont également
bien souvent recours aux comparaisons entre ces religions afin d’essayer d’approcher des
dénominateurs communs qui dissimuleraient quelques héritages de la « Sophia Perennis ».
Nous avons donc fait le choix de nous pencher sur le bouddhisme et sa perception par l’école
de pensée de la « Tradition », à travers les trois métaphysiciens européens du XXe siècle les
plus reconnus au sein de cette dernière : le fondateur français René Guénon, le « baron » italien
Julius Evola et le suisse alémanique Frithjof Schuon. Comme il aurait été impossible de
condenser tous les écrits des trois auteurs sur le bouddhisme, nous avons opéré des choix quant
à la structure de cette étude. Ainsi, une première partie sur Guénon nous permettra à la fois de
comprendre pourquoi le bouddhisme a d’abord été regardé avec méfiance par les pérennialistes
européens, mais aussi comment il fut considéré par la suite comme conforme à la « Tradition ».
Une seconde partie cherchera, à travers l’œuvre de Schuon, à mettre en lumière cette pratique
symptomatique des pérennialistes qui consiste à comparer les religions dans leur essence, avec,
ici, bouddhisme et christianisme. Enfin, la troisième et dernière partie consacrée à Evola nous
offrira une vision plus globale du bouddhisme par le prisme de la « Tradition », à travers
quelques points importants.
4
René Guénon : Le scepticisme avant la confirmation par
l’hérédité hindouiste.
René Guénon (1886 – 1951)
Nous nous intéresserons tout d’abord au cas de René Guénon dont la pensée sur le bouddhisme,
jonchée de quelques revirements importants, est symptomatique de la compréhension quelque
peu tardive de cette religion en Europe. Dans un de ces ouvrages phares, la crise du monde
moderne, le métaphysicien français s’attèle à décrypter les manifestations de la profonde
dégénérescence spirituelle que connait selon lui le monde et en particulier l’Occident, qui n’est
pas à entendre ici seulement en terme géographique sinon plus largement en terme sociétal et
idéologique, dont l’influence aurait « contaminé » 1également une part des terres d’Orient.
Dans ce tableau qu’il dresse sur les éloignements de la Tradition, Guénon semble dans une
certaine mesure, y incorporer le bouddhisme contemporain. On y lit ainsi que selon lui « le
bouddhisme devait aboutir tout au moins dans certaines de ses branches, à une révolte contre
l’esprit traditionnel, allant jusqu’à la négation de toute autorité, jusqu’à une véritable anarchie,
1Guénon (R.), La Crise du monde moderne, Paris, Bossard, 1927
5
au sens étymologique d’ « absence de principe, dans l’ordre intellectuel et dans l’ordre social.
», ou encore qu’il constitue « la négation de tout principe immuable »2.
Pourtant, au fil de son œuvre, Guénon évoluera et reviendra sur ses analyses pouvant apparaître
aussi intransigeantes que définitives. Dans l’Introduction générale à l’étude des doctrines
hindoues, il approfondira son étude du bouddhisme en s’attardant sur son non-théisme, son
dépassement des dualités, mais aussi sur l’importance des sentiments en établissant un pont
entre le rôle de la compassion dans le bouddhisme et celui de la « charité cosmique » en Islam.
Si ces analyses sont plus poussées, ces critiques, parfois très virulentes, subsistent bel et bien.
Dans ce même ouvrage, Guénon assimile en effet le bouddhisme à une « déviation », une «
anomalie », qualifié une fois encore d’« anti-traditionnelle » et socialement « anarchique »3.
Si un indéniable revirement eu lieu dans la pensée Guénon sur le bouddhisme, allant même
jusqu’à supprimer les passages cités ci-dessus dans l’édition de 1952 de ce même ouvrage, c’est
notamment grâce aux nombreux échanges qu’il entretenu des années durant avec l’indien
Ananda Coomaraswamy et le britannique Marco Pallis, tous deux à la fois spécialistes de la
religion bouddhiste et proches des cerces pérennialistes.
Par ailleurs, René Guénon relata à plusieurs reprises son émerveillement à la découverte des
Védas et autres textes sacrées hindous. Sa réévaluation du bouddhisme va donc s’opérer par
les liens qu’il va commencer à tisser entre hindouisme et bouddhisme. Déjà dans l’introduction
générale à l’étude des doctrines hindoues il concédait au milieu de ses multiples critiques que
« tout ce que le bouddhisme contient d’acceptable, il l’a pris au Brâhmanisme»4.
Au contact de certaines influences que nous avons mentionné, il va développer l’idée selon
laquelle la raison d’être du bouddhisme est de transmettre les enseignements de l’hindouisme
hors des terres indiennes. Selon lui, l’hindouisme serait trop fortement ancré, enchevêtré à sa
terre ainsi qu’à sa société, une autre forme de religion s’avérant donc nécessaire à la propagation
de sa doctrine traditionnelle. Il comparera ce rapport entre bouddhisme et hindouisme à celui
liant le christianisme au judaïsme. En opérant ce rapprochement entre bouddhisme et
hindouisme, René Guénon reconnaitra le caractère traditionnel de la voie bouddhique ainsi que
le caractère divin du Bouddha.
2 Ibid. 3 Guénon (R.), Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, Paris, Marcel Rivière, 1921 4 Ibid.
6
Frithjoff Schuon : Bouddhisme et christiannisme : deux
vecteurs similaires vers la « Connaissance »
Frithjof Schon (1907 – 1998)
Schuon s’est attardé sur les analogies entre christianisme et bouddhisme. En apparence ce
rapprochement pourrait paraître dans un premier temps osé. En effet, nous avons d’une part
affaire à une religion dont le dogme est construit autour de l’incarnation de Dieu en homme,
d’autre part à une religion dont le théisme est discuté et dont le statut même est remis en
question, certains préférant parler de philosophie. Schuon réfute d’emblée cette idée du
bouddhisme en établissement un rapprochement entre Jésus-Christ et Bouddha dans leur
rapport à la divinité :
« En réalité, la Divinité se trouve concrétisée dans le Bouddha comme elle l’est dans la personne
du Christ: ils apparaissent en effet l’un comme l’autre sous un mode expressément surhumain,
transcendant, divin; le « royaume » du Bouddha, comme celui du Christ, « n’est pas de ce
7
monde »; contrairement à ce qui fut le cas d’autres Avatâras, le Christ et le Bouddha ne sont ni
législateurs ni guerriers, mais prédicateurs errants; le Christ fréquente les « pécheurs » et le
Bouddha les « rois », mais ils le font en étrangers et sans se mêler organiquement à la vie des
hommes. » 5
Cette certaine prise de distance avec la sphère temporelle, observé chez ces deux personnages,
devient la base d’une réflexion de Schuon décrivant une perception du monde très proche dans
les deux religions. Dans les deux cas, on constate un esprit de renoncement qui rejette dans une
certaine mesure le monde temporel. Ce dernier n’est pas perçu comme un support permettant
d’accéder à l’éveil ou comme un ensemble de symboles laissant transparaitre le divin et invitant
l’observateur à approcher Dieu à travers lui. Les deux religions le considéraient plutôt comme
un obstacle, n’envisageant le monde matériel que sous « son caractère de manifestation, de
création, donc de non-divinité, d’imperfection, de corruptibilité, de souffrance et de mort. » 6
Nous rappelons que pour les penseurs de la Tradition, les religions représentent autant de
moyens d’accéder à la « Connaissance », une grande conscience spirituelle dont les
enseignements de la Tradition primordiale ont pu permettre l’accès. Enseignements qui se
trouvent désormais « reformater » à travers les principales religions. Dans cette perspective,
c’est la similitude des deux vecteurs vers le sacré que constitueraient le bouddhisme et le
catholicisme, qui établirait leur plus profonde analogie. Les deux possèderaient en effet « un
caractère intégralement initiatique, et non exo-ésotérique comme le Judaïsme et l’Islam, ni
spécifiquement métaphysique comme l’Hindouisme et le Taoïsme [...].” 7
Ce caractère, et même cette structure initiatique, ont nécessité de la part des deux religions de
ne pas tomber dans le piège de l’élitisme en rendant plus accessibles ces enseignements trop
souvent destinés dans d’autres traditions aux plus disposés intellectuellement et spirituellement.
Elles durent toutes deux s’adapter à la nécessité d’être intelligible à un large collectif humain,
à des sociétés entières. Schuon explique que pour se faire, le christianisme a dissimulé son
caractère ésotérique et son « mystère » tandis que le bouddhisme a développé son apparence
rationnelle, dans le but de véhiculer une sagesse plus abordable au profane8.
Les deux religions partageraient également le point commun d’être toutes deux issues d’une
autre tradition, qu’ils ont rejeté par la suite. Toutes deux revendiquent avoir élevé en quelque
5Schuon (F.), L'œil du cœur, seconde édition (revue et corrigée), Dervy-Livres, 1974 6 Ibid 7 Ibid. 8 Schuon (F.), Trésors du Bouddhisme, Nataraj, 1997
8
sorte les principes dont ils ont hérité en les universalisant. Ainsi, la circoncision « dans la chair »
est devenue circoncision « en l’esprit » selon Saint Paul, tout comme Bouddha substitue aux
castes « dans la chair » celles de l’esprit9. Les idées de monothéisme et de messianisme auraient
ainsi dépassé les frontières d’Israël tout comme celles de libération par la Connaissance et de
transmigration ont dépassé celles du monde hindou.
Schuon aborde également la question de la langue sacrée. IL souligne le fait que christianisme
comme bouddhisme en sont dépourvus. Le Verbe, manifestation du divin en toute religion, se
manifesterait dans ces deux religions, moins à travers les textes mais davantage via un mode
plus direct, incarné par le « Corps de l’Homme Dieu »10. De par leur nature, Jesus-Christ et
Bouddha supplanterait en quelque sorte le rôle de la langue sacrée, en offrant respectivement
un accès à leur corps par l’Eucharistie et par l’Image sacramentelle du Bienheureux, « dérivée
de l’ombre même du Bouddha »11. Une langue sacrée permettrait en quelque sorte de
s’imprégner du Verbe tandis que christianisme et bouddhisme offriraient la possibilité de
communier directement avec une incarnation de ce Verbe.
Schuon illustre notamment cette analogie en mentionnant que les enseignements bouddhistes
nous apprennent que Bouddha aurait laissé son image comme un « souvenir », pour mieux faire
le parallèle avec les paroles du Christ lors de l’institution du sacrement eucharistique : « Allez
et faîtes ceci en mon souvenir »12. Contemplation de l’image révélée du Bouddha et communion
chrétienne remplirait donc la même fonction d’absorption du Corps sacré.
Schuon met ainsi en relief ces pratiques par rapport aux langues sacrées :
« [...] si un Livre tel que le Qoran ne peut pas être lu dans une langue autre que celle de la
Révélation, c’est pour une raison analogue à celle qui empêche que les Espèces eucharistiques
soient faites de matières autres que celles que prescrivent les Eglises, ou que les Images
sacramentales du Bouddha soient faites autrement que selon les règles strictement établies »13.
Pour achever cette comparaison élaborée par le métaphysicien suisse-allemanique entre
bouddhisme et christianisme, nous reproduirons cette analogie des dons qu’il effectue dans
9 Schuon (F.), L'œil du cœur, op.cit. 10 ibidem 11 ibidem 12 op.cit 13 Op.cit.
9
« Trésors du Bouddhisme », qui a le mérite d’envisager une perspective des plus poussées entre
les deux doctrines :
« Les quatre dons divins légués par le Bouddha sont:
- la Doctrine de la Délivrance;
- le Symbole visible du Bienheureux;
- la Puissance spirituelle toujours présente;
- le Nom salvateur.
Ces dons peuvent être retrouvés chez le Christ sous la forme suivante:
- la Doctrine de la Rédemption et de l’Amour;
- l’Eucharistie;
- le Paraclet;
- le Nom salvateur de Jésus, tel qu’il est invoqué dans l’Hésychasme »14.
14Schuon (F.), Trésors du Bouddhisme, Nataraj, 1997
10
Julius Evola : Le bouddhisme : une doctrine pleinement
ancrée dans la Tradition :
Julius Evola (18989 – 1974)
Evola se range du côté de ceux qui considèrent le bouddhisme comme étant d’essence non
religieuse à ses origines. Il serait toutefois devenu une religion par la suite, une fois que le
peuple divinisa Bouddha. Evola prend tout de même ses distances avec certaines perceptions
occidentales de la religion, trop ethno-culturellement centrées qui tendrait à déconsidérer le
bouddhisme, non comme Guénon qui ne vit pas tout de suite sa dimension « traditionnelle »,
mais qui par comparaison aux religions abrahamiques ne reconnaissent pas en lui les
caractéristiques d’une véritable religion à proprement parlé.
Au-delà de ces comparaisons, c’est l’éloignement de la civilisation occidentale moderne par
rapport à son modèle traditionnel, qui inhiberait sa propension à reconnaitre des religions
précisément traditionnelles, structurant des sociétés à leur image, comme ont pu le faire
11
certaines traditions occidentales plus anciennes, notamment grecque et romaine, elles aussi
théologiquement trop déconsidérées par l’occident moderne.
Pour Evola, cette incompréhension vis-à-vis du bouddhisme vient du fait « que le concept
central du bouddhisme, celui d’« éveil », a un caractère métaphysique plutôt que religieux et
présente une très nette différence par rapport à tout ce qui est « religion » dans le sens strict,
dévotionnel et surtout chrétien »15. En bouddhisme, le dépassement de la condition humaine
qui est prodigué n’est pas là pour rétablir un péché en pratiquant la repentance ou l’imploration
d’un salut. Il s’agit plutôt ici de palier à une ignorance, un obscurcissement, que l’on corrige
par une initiation de l’être.
Toujours selon l’italien, à l’opposé de ce qu’a pu penser René Guénon à un moment donné, le
bouddhisme ne doit pas être compris comme un bouleversement anti-traditionnel par rapport à
l’enseignement brahmanique, contrairement à ce qu’est, à ses yeux, le protestantisme par
rapport au catholicisme16.
Evola se rapproche plus des considérations plus tardives de Guénon selon lesquelles le
bouddhisme est une adaptation particulière de la doctrine originelle véhiculée par l’hindouisme.
Si sa forme changea, devenant ainsi plus conformes aux structures culturelles de pans de l’Asie
au-delà de l’Inde, la visée essentiellement universelle ne s’en fut que renforcée, vouée à se
répandre, comme il l’illustre à travers des propos du Bouddha « Ainsi, ceux qui, par le passé,
étaient des saints, de parfaits éveillés, ces hommes vénérables n’ont-ils pas bien indiqué aussi
le but aux disciples, comme vous avez vous aussi bien indiqué le but ? Et ceux qui, à l’avenir,
seront des saints, des parfaits, ces hommes vénérables n’indiqueront ils pas aussi le but aux
disciples, comme vous avez vous aussi indiqué le but ? »17.
Evola réfute par ailleurs une certaine idée selon laquelle le bouddhisme rejetterait le principe
d’autorité spirituelle sous prétexte que le Bouddha se révolta contre les brahmanes. Selon lui,
cette révolte trouve son sens dans le fait qu’elle fut menée à l’encontre d’une caste qui n’était
plus digne de représenter un pouvoir spirituel. Celle-ci était belle et bien capable d’élever ses
membres vers la perfection de l’âme mais n’était globalement plus à même de transmettre les
enseignements sacrés dans de plus larges mesures. Le bouddhisme ne nie donc pas le brâhmana,
15 Evola (J.), La Doctrine de l’éveil, Éditions Archè, 1976 16 Ibid. 17 Ibid, citant Majjhima-nikāya, LI.
12
car sa voie ascétique se rapproche même beaucoup de cette notion, mais entend en quelque
sorte le restaurer, l’épurer afin de lui rendre sa pleine dignité du « vrai » brâhmana.
Considérer le bouddhisme comme une doctrine universaliste, égalitariste voire démocratique,
est pour Evola une des plus grandes erreurs d’interprétation et de compréhension de la part de
certains cercles spiritualistes occidentaux, dont leur méconnaissance n’aurait d’égale que leur
culturocentrisme. Les castes ne sont pas rejetées dans le bouddhisme, mais elles sont poussées
à se légitimer, « Car celui qui, en servant quelqu’un, devient pire et non meilleur à cause de ce
service, je dis qu’on ne doit pas le servir. Mais celui qui, en servant quelqu’un, devient meilleur
et non pire à cause de ce service, je dis qu’on doit le servir »18.
On s’en remet donc dans une certaine mesure à la responsabilité de l’individu qui, s’il doit
respecter les castes et honorer la sienne, doit avant tout avoir une perspective spirituelle
individuelle, entreprendre le chemin de l’éveil en lui-même et par lui-même. Ce faisant, le
bouddhiste doit exploiter ses capacités données, exploiter ses qualités héritées, et, à l’image du
Bouddha, multiplier les efforts pour tendre seul vers l’accomplissement personnel,
« Comme un soldat égaré doit compter avant tout sur lui-même pour rejoindre le gros de
l’armée »19.
Le métaphysicien italien voit enfin dans le bouddhisme une opportunité de renouer avec la
tradition pour les occidentaux. Il évoque non seulement les occidentaux qui se sont éloignés de
toute forme de spiritualité mais également ceux qui se cantonnent aux premiers strates des
religions monothéistes qui, en se basant trop sur la foi et la sentimentalité, ultimes vecteurs vers
le sacré pour les plus profanes, se seraient éloigné définitivement de toute possibilité d’accès à
la « Connaissance » de la Tradition Primordiale. Par ailleurs, le bouddhisme revêtirait
également l’avantage d’être plus intelligible que les Vedantas, par ailleurs plus fidèles à la
« Tradition » et plus complète dans ces enseignements, mais nécessitant déjà en amont de son
étude, un degré de spiritualité très élevé. Pour les occidentaux qu’Evola observent, le
bouddhisme constitue donc le moyen privilégié d’accès à la « Connaissance » de la « Tradition
Primordiale ».
18 Op.cit. citant Majjhima-nikāya, XCVI. 19 Op.cit. ibid.
13
Bibliographie :
René Guénon :
Guénon (R.), La Crise du monde moderne, Paris, Bossard, 1927
Guénon (R.), Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, Paris, Marcel Rivière,
1921
Frithjof Schuon :
Schuon (F.), L'œil du cœur, seconde édition (revue et corrigée), Dervy-Livres, 1974
Schuon (F.), Trésors du Bouddhisme, Nataraj, 1997
Julius Evola :
Evola (J.), La Doctrine de l’éveil, Éditions Archè, 1976