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Les conditions de mise en place d’une démarche
compétence dans les communes françaises
AUDREY BECUWE A.T.E.R. à Lyon 3
Centre de Recherche de l'IAE – OREM
6 cours Albert Thomas BP 8242 - 69355 Lyon Cedex 08
Tel : 04 78 78 71 58 – Fax : 04 78 78 77 50
ALAIN ROGER Professeur en Gestion – IAE de Lyon3
Centre de Recherche de l'IAE – OREM
6 cours Albert Thomas BP 8242 - 69355 Lyon Cedex 08
Tel : 04 78 78 71 58 – Fax : 04 78 78 77 50
Résumé
Cette communication décrit la façon dont ces outils sont vus par des responsables de
Ressources Humaines et le service conseil d'un centre de gestion de la fonction publique
territoriale, puis analyse comment la démarche est mise en œuvre dans une municipalité
importante, celle de Saint-Étienne. Ainsi, au-delà du mandat politique, la fonction RH reste
fortement déterminée par le statut de son personnel et très centrée sur le court terme i.e. le
cadre budgétaire, avec des prévisions essentiellement quantitatives portant sur les effectifs par
catégories et grades.
Mots clés
Gestion des compétences, New Public Management, commune.
Merci d’adresser les correspondances à Audrey Becuwe.
INTRODUCTION
Alors que les communes françaises sont traditionnellement gérées selon une logique
statutaire, la mise en place d’une démarche compétence devient pour beaucoup d'entre elles
une priorité1. Cette situation de gestion est a priori paradoxale. Elle traduit une évolution
d'une gestion collective évolueraient vers une gestion individualisée, d'une rupture dans la
régulation de la communauté et de l’action collective. La logique sociale est différente, tant
dans sa dimension technico-économique – autres règles, autres instruments de gestion -, que
dans sa dimension socio-politique – renouvellement des représentations, des valeurs, des
intérêts, des objets de tension et de conflit – (Louart, 1995). Elle signifie par exemple
l’ « abandon » des règles de l’ancienneté pour assurer un certain contrôle du marché interne
des emplois, des carrières et des rémunérations. (Reynaud, 1997).
Plusieurs facteurs contribuent à l'adoption de ce nouveau mode de gestion : il découle de
facteurs exogènes tels que la pression des usagers et l’exigence d’efficacité qui traverse le
management public au niveau mondial (OCDE, 1997), mais ces explications ne sont pas
suffisantes. Au-delà de ces déterminismes, le changement engagé par les communes est
également lié à des causes internes2. Les municipalités ont souvent oublié que les outils
n'étaient pas indépendants et devaient être cohérents avec le contexte. Ainsi, les démarches
d’appréciation mises en place sans une analyse globale et une remise en cause de
l'organisation ont souvent échoué (Desmarais, 1998). David (1998) insiste sur l'importance
d’une co-construction de l’outil par l’organisation, mais aussi de l’organisation par l’outil.
Les instruments de gestion des compétences diffusées dans les communes françaises sont
souvent identiques à ceux du secteur privé, mais les critères de réussite pouvant concourir au
développement de la démarche3 doivent probablement être adaptés au contexte particulier des
communes. Cette recherche analyse l’impact des facteurs organisationnels qui peuvent jouer
sur les modalités de mise en place des pratiques de gestion des compétences dans le contexte
spécifique des communes.
La revue de la littérature sur le contexte des communes françaises et sur les formes
d'introduction de la gestion des compétences dans les organisations permettra de discuter la 1 La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les collectivités territoriales françaises, Etude Enact, Mars 2003. 2 C’est donc une endo-exo-causalité (Morin, 1977) qui permet de comprendre le changement. 3 Pour Roger (1991), il s’agit d’un environnement favorable, d’une culture favorable, du temps et des moyens, des outils et des procédures. Pour Gilbert (1998), il s’agit d’un contexte facilitant, d’un responsable GPEC préparé, et d’un processus de changement maîtrisé.
Journée de recherche Preactis : l'appropriation des outils de gestion - 15 novembre 2005. St Etienne
BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
façon dont ces outils sont vus par des responsables de Ressources Humaines et le service
conseil d'un centre de gestion de la fonction publique territoriale, puis d'analyser comment la
démarche est mise en œuvre dans une municipalité importante, celle de Saint-Étienne
1. REVUE DE LITTERATURE
Le contexte de la fonction publique territoriale présente des spécificités organisationnelles et
elle est confrontée à de nouveaux enjeux. La gestion des compétences, qui se généralise dans
la plupart des entreprises privées pourrait être un moyen de répondre à ces enjeux.
1.1. SPECIFICITES ET ENJEUX DES COMMUNES FRANCAISES 1.1.1. Des spécificités organisationnelles et statutaires
La coexistence de l'administratif et du politique. Les collectivités territoriales sont des
organisations particulières en ce sens que co-existent en leur sein un pouvoir administratifs et
un pouvoir politique. C’est pourquoi, plusieurs « jeux politiques » sont en œuvre au sein de
ces organisations. Reprenant la typologie proposée par Henry Mintzberg (1990) 4, on peut
alors souligner l’importance : (1) du jeu de la construction d’alliances entre cadres territoriaux
face au pouvoir politique perçu comme autoritaire, arbitraire et provisoire (2) du jeu de la
construction d’empires mené par les cadres pour bâtir leur territoire de pouvoir, en s’appuyant
non plus sur leurs pairs, mais sur les agents de leur propre service, (3) du jeu des cadres
candidats à un poste stratégique dans leur relations avec les politiques, et souvent contre leurs
collègues. L’ensemble de ces jeux aboutit souvent à ce que Mintzberg nomme une « alliance
bancale » : Il définit ainsi un conflit modéré, limité et persistant, relativement stable, mais
inconfortable et pourtant nécessaire, dans lequel les administratifs sont confrontés à une forte
autorité : « Il est devenu très commun de voir des organisations de type "organisation
professionnelle" opérant dans le secteur public, qui doivent soutenir d’une certaine façon une
alliance d’experts et de représentants officiels (…), les uns poussant vers le haut dans le
dessein d’atteindre l’Autonomie professionnelle, les autres tirant vers le bas l’organisation
pour la placer sous leur contrôle ».
4 Mintzberg , « Le management, voyage au centre des organisations ». Les éditions d’organisation, Paris – 1990. Chapitre 13, pages 342 à 365
Journée de recherche Preactis : l'appropriation des outils de gestion - 15 novembre 2005. St Etienne
BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
Aujourd’hui, les directions des ressources humaines sont sous les projecteurs. La symbolique
politique a envahi la gestion interne des moyens. Devenues enjeux politiques, elles se
politisent au sens décrit ici.
Le statut. Le statut a souvent été présenté comme une contrainte et une source de rigidités. Or,
la fonction publique de carrière – dans laquelle se situe la France – offre des souplesses,
notamment par la distinction du grade et de l’emploi, permettant de mettre en place
parallèlement à la gestion statutaire des grades, une gestion optimale des ressources humaines
fondée sur une approche fonctionnelle des emplois et des métiers, ainsi qu’une mobilité. Si le
statut offre un caractère protecteur aux agents communaux, il dote les communes d’une
relative autonomie de gestion de leur personnel en leur laissant des marges de manœuvre.
1.1.2. Enjeux : Un impératif de modernisation liés aux contraintes externes
Smith-Ring et Perry (1985) dans leur comparaison entre les secteurs public et privé soulignent
les facteurs contextuels à l’origine des contraintes rencontrées par les organisations
publiques : la poursuite d’objectifs fixés par le législateur, les réformes politiques visant à
améliorer le fonctionnement des organisations du secteur public, une plus grande ouverture à
l’environnement externe, et la prise en compte des attentes du public. Dans un contexte
communal, les deux derniers facteurs sont déterminants puisqu’ils développent les facultés
d’adaptation de l’organisation communale (Froment et Sayah, 1998).
1.1.2.1.Des évolutions de l’environnement
L'évolution des attentes des usagers. La modernisation du service public communal passe par
l’amélioration de la qualité de ce service qui se traduit principalement par la réponse aux
attentes des clients (Eiglier et Langeard, 1987). Le personnel en contact est considéré comme
l’un des éléments du système de servuction (Eiglier et Langeard, 1987), et ses compétences
constituent pour l’usager des premiers critères d’évaluation de la qualité du service public
communal.
L'impact de l’Europe. Dans la logique communautaire, la notion d’emploi dans
l’administration publique est développée pour interpréter la dérogation au principe de libre
circulation et de mobilité des agents publics en Europe. Elle repose sur l’emploi, et non sur le
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grade. Elle fait référence à « une organisation fondée sur la fiche de poste décrivant les
fonctions à accomplir », dans une logique qui se rapproche de celle d’une gestion des
compétences.
1.1.2.2.Une exigence d’efficacité : les grandes tendances du New Public Management ou
« managérialisme »
Au niveau européen, le management public désigne le vaste mouvement de réforme qui, dans
les années 1980, a poussé la plupart des pays d’Europe occidentale et notamment ceux de
l’Europe du Nord à entreprendre des réformes destinées à moderniser leurs administrations
publiques, réformes que les anglophones ont appelé le « New Public Management ». L’idée
générale du « New Public Management » est de rapprocher les modes de gestion de
l’administration de ceux des entreprises privées en donnant moins d’importance à
l’application des règles et des procédures administratives voire bureaucratiques, en favorisant
la recherche de la rentabilité et les rapports de type contractuel ou commercial et en
privilégiant la satisfaction des citoyens pris en leur qualité de consommateur de services
publics. L’ensemble du processus est représenté dans la figure 1.
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
Figure 1 : Processus de transformation de l’administration vers une approche NPM
Finger & Ruchat (1997)
Ainsi, la mise en œuvre des trois processus – mouvement d’autonomisation de l’organisation,
rapprochement entre l’organisation et ses « clients », transformation et dynamisation de
l’administration) semblerait ne pouvoir avoir que des conséquences sur le statut ? Mais le
NPM ne se résume pas à la substitution d’un modèle privé à un modèle public mais plutôt à
l’élaboration progressive d’un nouveau modèle hybride, non encore achevé. (Pettigrew, 1997)
Il correspond donc à une volonté de modernisation de l’appareil de la gestion publique, sans
porter atteinte aux principes fondamentaux des services publics. Ainsi, pour Pettigrew (1997),
le New Public Management « constitue un exemple historique de rationalisation d’un
ensemble de pratiques définies comme légitimes pour le secteur public et qui donne lieu à une
institutionnalisation de ces pratiques». C’est ainsi que le NPM a forgé, au fil du temps, une
Recherche d’une gestion plus
efficace et plus efficiente
Identification des prestations Identification des « clients »
Réorganisation / Restructuration
Gestion de l’information (tableaux de
bord, indicateurs de performance)
Gestion des ressources humaines
Gestion financière des produits et des
processus
Gestion de la production des
prestations
Passage d’une administration préoccupée uniquement par le traitement égalitaire de ses administrés à une administration opérant selon les principes du NPM
Elaboration de stratégie, de culture
d’innovation et d’apprentissage
Dynamisation du service administratif. Passage d’une organisation weberienne (bureaucratique, structure fonctionnelle) à une organisation de type entrepreneuriale (fondée sur le management, organisation par prestations)
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
sorte de réponse commune au choix politique que doit effectuer tout gouvernant qui
entreprend une réforme de la fonction publique.
Les outils de gestion, définis par Moisdon (1997) comme « une formalisation de l’activité
organisée, de ce qu’elle est ou de ce qu’elle sera, ou encore de ce qu’elle devrait être », se
font le véhicule de la modernisation des villes (Desmarais, 2002). Dans le cadre du NPM,
plusieurs « innovations » sont plébiscitées dans une logique de « modernisation ». Si l’idée de
modernisation de l’administration n’est pas nouvelle, elle devient aujourd’hui une priorité
pour de nombreuses villes. Elle se traduit par une « managérialisation des services publics »
où s’efface progressivement la frontière entre le secteur privé et le secteur public.
1.2. LES APPROCHES DE LA GESTION DES COMPETENCES
Si la frontière entre secteur privé et secteur public s'efface progressivement, on peut penser
que des démarches largement développées dans l'un pourront s'appliquer à l'autre. La notion
de compétence est devenue depuis quelques années l'un des concepts clés de la gestion des
ressources humaines dans les entreprises privées. Ce qui pouvait apparaître au début des
année 90 comme une mode s'est révélé être une tendance profonde qui remet en cause de
nombreuses pratiques. Nous en présenterons les fondements et les implications pour analyser
dans la partie suivante comment une telle démarche peut être appliquée dans des
municipalités françaises.
1.2.1. Les fondements de la gestion des compétences
La gestion des compétences s'inscrit généralement dans une démarche plus large de GPEC
(Gestion Prévisionnelle de l'Emploi et des Compétences). Elle permet de jeter un pont entre
deux univers difficiles à rapprocher, celui des emplois qui caractérisent l'organisation de
l'entreprise et celui des personnes appelées à les occuper. En proposant un langage commun
pour définir les compétences requises par les emplois et celles que possèdent les individus,
elle permet d'améliorer l'adéquation entre les besoins de l'entreprise et les ressources
humaines qu'elle peut mobiliser.
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
La période actuelle se caractérise par une normalisation de la démarche, et les compétences5.
Le discours se généralise dans les milieux professionnels (ANDCP, MEDEF, …) comme dans
les milieux académiques (AGRH, IAS, …). La plupart des systèmes d'information de gestion
des ressources humaines (SIRH) proposent un module "compétences"6. L'AFNOR a créé une
norme pour définir la compétence7, et l'Agence Nationale Pour l'Emploi a d'établi avec la
participation de nombreux organismes d'études le ROME (Répertoire Opérationnel des
Emplois et des Métiers) qui identifie les métiers à partir des compétences de base communes à
un ensemble d'activités. Sur ce modèle, de nombreuses entreprises ont établi des "cartes des
métiers" pour analyser les proximités entre métiers et proposer des cheminements possibles.
Ainsi, comme le soulignent Klarsfeld et Roques (2003), c'est à la fois sous l'influence de
contraintes, de normes professionnelles et par mimétisme, en modelant les pratiques sur celles
des autres entreprises, que le management des compétences a pris son essor. Les entreprises
ont aussi répondu aux attentes de leurs salariés, de plus en plus qualifiés, qui aspiraient à plus
d'autonomie et de participation et ressentaient parfois le cadre des descriptions de poste
traditionnelles comme une sorte de carcan. Enfin, la démarche compétence permet aussi aux
entreprises de répondre de façon plus souple à la transformation de leurs structures
organisationnelles. "La compétence devient le nouveau concept appliqué lorsque des postes
s'enrichissent en même temps que leur stabilité et leur durée de vie devient incertaine"
(Freiche, 1992).
Certains auteurs, sur la base des travaux américains de Spencer et Spencer (1993) ont défini
les compétences comme les caractéristiques fondamentales d'un individu qui le conduisent à
obtenir ou à améliorer sa performance au travail sur la base de critères précis. Lévy-Leboyer
(2000) évoque les travaux de psychologues du travail comme Boyatis décrivant la
compétence comme "ce qui différencie la performance d'un cadre efficace de la performance
d'un cadre médiocre" (p. 66).
Gilbert (2003) évoque la notion plus large de gestion par les compétences8 lorsque les
compétences sont utilisées plus largement pour assurer le fonctionnement global d'une
organisation. Flück (2001), remarque cependant que le terme "gestion" a une connotation
lourde et "descriptive" qui prend le pas sur le "sens à donner" et surtout sur l'efficacité
5 Elles sont même devenues un objet de certification dans la version 2000 des normes ISO 9000. 6 Dans ces modules, les entreprises sont invitées par exemple à recueillir des informations sur les compétences requises par les emplois et celles qui sont possédées par les salariés afin d'identifier les candidats potentiels en cas de vacance de poste 7 Norme X50-750 qui définit la compétence comme "mise en œuvre, en situation professionnelle, de capacités qui permettent d'exercer convenablement une fonction ou une activité" 8 Expression utilisée également par Parlier (2000) ou Igalens et Scouarnec (2001).
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
opérationnelle qui peuvent être attendus de la démarche. Elle parle de management des
compétences et pose la compétence comme "un levier majeur des décisions pour faire évoluer
et progresser les salariés" (p. 17). A un niveau plus large, elle définit le "management par les
compétences" comme une démarche cohérente, intégrée dans les dispositifs managériaux
existants, et qui relie l'avenir de l'entreprise aux résultats quotidiens sur le terrain.
1.2.2. Les implications d'une gestion des compétences
Alors que de nombreux auteurs, comme Lawler (1994) ont eu tendance à opposer une vision
"classique" de la GRH fondée sur les postes à une vision nouvelle fondée sur le management
des compétences, Ferrary et Trépo (1997) considèrent que l'évolution n'est pas aussi tranchée.
Plutôt qu'une rupture dans la logique de gestion des ressources humaines, ils y voient "un
progrès méthodologique qui permet de dépasser les limites inhérentes au concept d'emploi
dans la description des activités humaines de production et d'améliorer l'articulation entre les
différentes pratiques de GRH (formation, évaluation, rémunération, recrutement, etc.) avec
la stratégie de l'entreprise" (p. 7).
Les implications d'une gestion des compétences en gestion des ressources humaines se situent
principalement à trois niveaux : l'acquisition, la stimulation et la régulation des ressources
humaines (Retour, 2002).
Au niveau de l'acquisition des ressources humaines, une démarche compétence peut apporter
une plus-value importante, mais elle suppose que l'entreprise soit en mesure de bien définir
son besoin, non seulement en termes d'affectation immédiate, mais aussi à plus long terme.
Elle cherchera à savoir si un candidat possède les compétences souhaitées, mais aussi s'il
saura développer les nouvelles compétences dont elle aura besoin. Cette dimension de la
compétence est mise en avant par Amadieu et Cadin (1996) ou Marbach (1999), mais peu
d'entreprises ont développé des approches précises d'évaluation des potentiels pour prédire la
capacité d'une personne à acquérir de nouvelles compétences. Lorsqu'elles souvent peu de
visibilité et qu'il est difficile d'identifier les compétences dont elles auront besoin, les
entreprises cherchent à développer une flexibilité interne ou externe. Les compétences qu'elles
cherchent à acquérir sont alors des compétences générales d'adaptation et d'apprentissage plus
que des compétences techniques spécifiques liées à un emploi précis.
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
La stimulation des ressources humaines suppose l'existence d'un système d'évaluation et de
rémunération qui reconnaisse et valorise le développement de nouvelles compétences. Les
compétences peuvent alors contribuer à revoir les échelles de rémunération pour les fonder
sur de nouvelles bases. De nombreux systèmes d'évaluation de fonctions étaient déjà fondés
en partie sur les compétences requises dans un emploi9. L'utilisation du référentiel de
compétences comme base du système de classification rend le système plus clair et plus
cohérent. Du Roy et al. (2003) posent cependant le problème de l'articulation de nouveaux
référentiels, basés sur la compétence, avec les échelles existantes. La transition doit être gérée
avec beaucoup de précautions pour surmonter les inévitables résistances au changement.
Parallèlement à ce système qui définit un cadre général fondé sur la valeur des rôles à partir
des compétences requises, la gestion des salaires est parfois fondée sur l'évaluation des
compétences démontrées. Il s'agit alors d'encourager et de mobiliser le personnel en liant en
partie sa rémunération à la validation de ses compétences.
La régulation des ressources humaines consiste à ajuster les compétences en temps voulu
pour répondre aux besoins de l'entreprise et aux projets professionnels des individus. Elle
passe par des actions de formation et par une mobilité interne. Le management des
compétences est alors un outil fondamental pour cet ajustement.
2. L'INTRODUCTION DE LA DEMARCHE COMPETENCE DANS LES
COMMUNES
Pour analyser les conditions dans lesquelles des démarches de gestion des compétences
pouvaient être mises en place dans des communes, nous avons utilisé deux sources
d'information : la première est une documentation élaborée par des groupes de travail
composés de responsables de ressources humaines de collectivités locales dans le département
du Rhône10, et portant, le premier sur les outils de la Gestion Prévisionnelle de l'Emploi et des
Compétences, et le second sur l'évaluation du personnel. La seconde est une étude de cas
réalisée à la municipalité de Saint-Etienne. Cette étude est fondée principalement sur un
matériau discursif (entretiens semi-directifs et non directifs). Au total, vingt entretiens ont été
9 La méthode Hay par exemple, largement répandue pour les emplois de cadres, comporte depuis des dizaines d'années une dimension "compétence" définie comme "la somme globale de toutes les connaissances, savoirs et savoir-faire, quel que soit leur mode d'acquisition, nécessaires pour satisfaire les obligations de l'emploi confié" 10 Documentation du Centre de Gestion de la Fonction Publique Territoriale du Rhône, CDG 69, Décembre 2004 (évaluation du personnel) et Avril 2003 (GPEC).
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conduits entre auprès d’élus, de syndicats, de responsables des ressources humaines et de
services fonctionnels, et de consultants. Les entretiens, dont la durée a oscillé entre quarante-
cinq minutes et deux heures, ont été enregistrés avec l’autorisation préalable du répondant. Le
guide d’entretien comportait exclusivement des questions ouvertes, abordant de manière
chronologique le processus de mise en œuvre de la démarche de gestion des compétences11.
2.1. LES PRECONISATIONS DU CENTRE DE GESTION DU RHONE
La politique préconisée par le groupe de travail du CDG du Rhône insiste sur la définition des
besoins de la commune et prend en compte, au-delà du cadre d'emploi défini pas un statut, la
notion de poste, définie sur la base des missions, activités et compétences des agents, permet
de définir un profil qui servira de base pour les recrutements et pour une évaluation annuelle
réalisée dans un esprit de développement. Les compétences requises sont définies en termes
de savoir, savoir-faire et savoir-être, et elles permettent d'élaborer un répertoire dans lequel
sont identifiés des emplois-types, base essentielle d'une GPEC.
Pour bâtir ces répertoires de compétences, les communes peuvent s'appuyer sur la
nomenclature des métiers territoriaux élaborés par le Centre National de la Fonction Publique
Territoriale (CNFPT). Cette nomenclature fournit un outil d’identification des métiers,
d’analyse des activités qu’ils impliquent, et des compétences que leur exercice requiert. Les
métiers répertoriés n'ont pas de relation directe avec le statut : à un grade peuvent
correspondre plusieurs métiers, à un métier plusieurs grades. Répertoire et descriptif des
métiers territoriaux, la Nomenclature se veut un document opérationnel, et elle est présentée
comme immédiatement exploitable par les collectivités territoriales.
Les outils préconisés pour les communes sont donc similaires à ceux qui sont utilisés dans
d'autres types d'organisations. Toutefois, le contexte institutionnel peut rendre leur mise en
application plus difficile car ils ont du mal à s'articuler avec le cadre statutaire qui, dans la
fonction publique territoriale, définit la nature et le niveau hiérarchique des emplois, et qui a
longtemps été la seule base de gestion. Ce cadre statutaire existe bien dans les entreprises
privées qui doivent respecter les règles et les classifications des conventions collectives, mais
il constitue pour la plupart d'entre elles un simple garde-fou : les conditions d'emploi
dépassent très souvent les conditions minimales imposées par ces conventions. Dans la
11 Principaux thèmes abordés : contexte à l’adoption de la démarche GPEC, contenu et mise en place de la démarche, résultats et perspectives
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fonction publique au contraire, le statut est la norme, et l'introduction d'une logique
compétence apparaît comme un bouleversement des pratiques.
Alors qu'une approche par les compétences pourrait, nous l'avons vu, apporter un langage
commun pour définir les profils des emplois et ceux des individus, il semble que la démarche
proposée ici n'utilise pas complètement cette opportunité. La définition des postes identifie de
façon assez précise, au-delà des activités, les compétences requises en termes de
connaissances, de techniques et de comportement, mais l'identification des ressources internes
se fait sur la base des acquis des formations suivies et sur le domaine et le niveau de
responsabilité des fonctions exercées.
Il est probable qu'une évaluation détaillée des personnes sur la base d'une grille de
compétences plus précise aurait plus de mal à être acceptée. Dans ce contexte où la notation
reste une obligation statutaire pour évaluer la "valeur professionnelle" et la "manière de
servir", il était déjà difficile d'introduire une démarche de développement fondée sur un
entretien et sur la définition d'objectifs. Les communes qui le souhaitaient ont pourtant adapté
les critères de notation (l’obligation statutaire) à une nouvelle logique d’évaluation dans
laquelle l’évaluation reste certes un outil de rétribution-sanction, mais elle participe au
développement et à la dynamisation des relations hiérarchiques. On retrouve alors la logique
« d’intégration » telle que décrite par Desmarais (1998) qui repose sur une conversation entre
le responsable et le managé.
En matière d'évaluation du personnel, les démarches centrées sur les compétences restent
"encore rares dans les organisations territoriales" et réservées à des collectivités "plutôt de
taille importante, qui s'inscrivent dans une logique de gestion prévisionnelle des ressources
humaines et de gestion des mobilités verticales (progression hiérarchique, prise de
responsabilité) et horizontales (changement de poste, d'emploi, voire de métier)". Pourtant,
dans un dossier d'experts sur la GPEC édité par la Lettre du Cadre Territorial, Philippe Biard
et Dominique Roux soulignent que, dans les collectivités territoriales qui souhaitent dépasser
la gestion traditionnelle des statuts et des effectifs, "les règles du jeu et des pratiques de GRH
d'aujourd'hui sont peu adaptées à la gestion des compétences (…) mais il existe dès à présent
des espaces de liberté d'action, souvent ignorés ou non utilisés".
2.2. LA GESTION DES COMPETENCES A LA VILLE DE SAINT-ÉTIENNE
La décision d’adopter une logique de compétences
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
La logique de compétences adoptée à la ville de Saint-Etienne s'inscrit dans une démarche
globale de G.P.E.C. (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences). Cette
démarche, débutée en septembre 1999 à la Mairie, vise à accroître, par anticipation,
l'adéquation entre les besoins et les ressources de l'entreprise tant du point de vue quantitatif
que qualitatif.12 Ainsi, conformément au modèle de référence classique, après avoir mesuré
les écarts prévisibles, il s'agit de mettre en place les moyens appropriés pour ajuster ces
ressources aux besoins futurs. A cette étape décisionnelle de la démarche, on peut noter qu’un
acteur, Michel, a alors un rôle déterminant dans la décision d’adoption du projet GPEC par la
collectivité. La démarche de G.P.E.C. ne pouvait être lancée sans l’accord du Directeur
Général, et après deux ans d'efforts, il a réussi à le convaincre de l’utilité du projet.
Une entrée dans la gestion des compétences par les emplois « sensibles »13
Dans un premier temps, le projet consiste à réaliser un état des lieux des métiers pour un
repérage priorisé des métiers pénibles, déficitaires et émergents. Cet état des lieux a pour
objet de connaître les métiers de la collectivité et de « repérer là où il y avait des métiers
pénibles, là ou il y avait des lacunes de compétences importantes, là ou il y avait des métiers
où déjà les responsables de services pressentaient des évolutions rapides. » (extrait
d’entretien). Un premier objectif concerne les métiers pénibles : il faut anticiper les problèmes
de reclassement en préparant les réorientations des agents qui exercent des métiers jugés
pénibles et dont la durée de vie supportable au même poste est limitée. Un second objectif
concerne les métiers déficitaires : il s'agit de réduire les écarts entre les compétences
nécessaires à l’exercice de activités principales du métier et les compétences actuelles des
agents qui exercent ce métier. Un troisième objectif concerne les métiers émergents : les
missions nouvelles de la Ville de Saint-Etienne doivent être satisfaites sans déficit de
compétences en privilégiant la préparation des agents de la ville à ces situations nouvelles.
La formalisation d’outils.
Le répertoire des métiers est un document décrivant sommairement les métiers exercés par
les agents occupant un emploi permanent à la ville de Saint-Etienne. Il constitue l’outil de
base de la GPEC. L’index par famille professionnelle, regroupe les métiers par domaines
d’activité cohérents et définit des structures cibles permettant de mieux suivre les grandes
évolutions. Il propose ainsi des aires de mobilité probables, compte tenu des compétences et
12 Définition de la GPEC telle que formalisée par la ville de Saint-Etienne. 13 Cf. Mallet (1991), Thierry et Sauret (1993)
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BECUWE Audrey, ROGER Alain. Les conditions de mise en place d’une démarche compétence dans les communes françaises
des habitudes culturelles. Il détermine ainsi les parcours professionnels possibles des agents.
La mise en place de cette démarche a constitué une véritable "révolution" à la ville où chacun
était très attaché à son grade. Lorsqu'ils se sont vu attribuer un métier, les agents redoutaient
des conséquences sur leur grade et donc sur leur paie. De plus, tous ne comprenaient pas la
différence entre grade et métier. « Pour empêcher toute confusion, nous avons tenté d'éviter
toute ressemblance entre les noms de métier et les grades existants. Ainsi, un Agent
administratif (grade) peut très bien s'être vu attribuer le métier d'Agent de gestion
administrative. » (extrait d’entretien)
La constitution de trois nouvelles bases de données. Une première base a recensé 250
métiers exercés en Mairie. Une deuxième base de données – la base de données diplômes – a
complété la base de données existante des agents municipaux. La ville souhaitait connaître le
niveau scolaire moyen de chaque "population métier". Enfin, une base de donnés "métiers
remarquables" a été constituée. Cette étude avait pour but de déterminer quels étaient les
"problèmes" rencontrés sur chaque métier
Les prévisions de départs à la retraite. La ville a constitué un échéancier des postes vacants et
anticipé le départ des agents en encourageant le transfert de compétences, même si « ce
dernier point paraît encore difficile à réaliser. »
La formalisation d’un « guide du recrutement » permet enfin de palier au manque de
professionnalisme dans le recrutement et de mieux prendre en compte la notion de
compétence.
L’intégration de la logique compétence dans les pratiques de ressources humaines
Dans les pratiques de formation. La formation est de plus en plus centrée sur la maîtrise des
compétences spécifiques de l’organisation avec des formateurs internes du fait de la création
d'une école des métiers internes : « Les formations apprises au CNFPT sont théoriques et on
n’apprend pas forcément la procédure qui existe à la ville de Saint-Etienne. Or, ces
formateurs internes connaissent forcément la procédure qui existe donc ce sont des
formations plus opérationnelles. Donc on en a, en finances, en ressources humaines, dans les
marchés publics, dans les métiers de la prévention essentiellement. Et ce sont des formateurs
occasionnels c’est-à-dire qu’ils font ça en plus de leur travail. Ils n’ont pas un emploi de
formateur. » (extrait d’entretien)
Dans les pratiques de mobilité. La création d’un service d’orientation professionnelle et de
gestion des potentiels. Ce service permet de proposer des prestations d’accompagnement
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d’élaboration au projet professionnel, de coaching, de régulation, et de re-mobilisation
professionnelle.
La ville, comme beaucoup d'autres (Pigeyre, 1994), semble donc éprouver des difficultés à
articuler la gestion des compétences avec certaines dimensions de la gestion des ressources
humaines, et principalement avec les pratiques d’évaluation et de rémunération. On peut
considérer que sa démarche est axée sur le « développement des compétences », mais qu'elle
omet le « contrôle des compétences » constitué par les volets évaluation & rémunération. Si
les outils formalisés par la Ville de Saint-Etienne ont un impact sur les pratiques de
recrutement, de formation et de mobilité (avec la cellule orientation professionnelle et gestion
des potentiels), ils ne remettent pas en cause le compromis social : égalitarisme,
reconnaissance de l’ancienneté … Les pratiques de rémunération (i.e. la modulation du
régime indemnitaire) restent inchangées et ne prennent pas en compte la reconnaissance de
compétences validées. En revanche, la démarche en cours relative à la refonte de l’entretien
d’évaluation, devrait produire une « rupture », d’une part en en le liant aux pratiques de
rémunération et en modifiant les règles de promotion, et d’autre part, en démontrant une
volonté d’inscrire la culture managériale dans l’organisation.
Discussion
Loin de nous l’idée de croire que la simple implantation d’outils de gestion des compétences
va garantir la « réussite » d’une démarche compétence dans les communes. Un minimum de
culture managériale est nécessaire. Comme nous l’avons souligné en introduction, nous
souhaitons – au-delà « du » modèle de la compétence – restituer les aspects contingents de la
situation présentée. A partir du cas de la ville de Saint-Etienne, il nous semble que deux
catégories de facteurs caractérisent l’applicabilité de la gestion des compétences dans le
contexte des communes : des facteurs liés aux acteurs et des facteurs organisationnels.
(1) Le rôle des acteurs.
La volonté conjointe de la Direction générale et des élus. Ce cas met en évidence
l’importance de la volonté de la Direction Générale et des élus, d'abord pour le lancement du
projet : Deux ans ont été nécessaires à Michel pour convaincre le Directeur Général de
l’utilité du projet. Ces efforts ont dû être renouvelés par la suite, lors du turnover des
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dirigeants (DGS, DGA, et DRH) et des élections municipales. Cette contrainte « politique »
est liée au principe de libre administration des collectivités locales : l’autorité territoriale
décide de la politique à entreprendre au sein de la collectivité. Or, une démarche compétence
efficace a pour but de prévoir cett alors rendue plus ardue par la fréquence du mode de
renouvellement des autorités territoriales14. Comme les élections municipales ont lieu tous les
six ans, cela signifie que l’autorité territoriale est susceptible de changer tous les six ans, de
même que la politique menée. Il en résulte donc une difficulté pour anticiper sur les besoins
des collectivités au-delà de ce laps de temps de six années.
L’évolution du rôle des managers. La gestion des compétences peut être un vecteur de
changement organisationnel, et la connaissance du personnel ne peut être centralisée dans les
services de GRH.
« Pour l’instant c’est difficile de responsabiliser les services à nos objectifs de gestion des
ressources humaines. C’est pourquoi on a mis en place deux processus : le recrutement et
l’accueil intégration, pour essayer de faire participer les directions en leur faisant
comprendre que les ressources humaines, c’est une gestion partagée. Ce n’est pas qu’une
gestion de la direction des ressources humaines. Parce que, dans le recrutement par exemple,
il y a forcément la participation du service qui définit un profil de poste, qui participe aux
entretiens de recrutement puisque c’est lui qui a la compétence experte pour nous dire si telle
personne est adaptée ou non au poste. Et pour l’intégration, c’est pareil, cette dernière ne
s’arrête chez nous, (Service RH) car ce ne serait pas un accueil complet. Le service a un rôle
très important à jouer. Donc on peut dire que la gestion partagée vers laquelle on cherche à
tendre, c’est aussi un objectif de gestion des emplois et des compétences. » (extrait
d’entretien)
(2) Des facteurs organisationnels.
La professionnalisation et l'implication stratégique de la Direction des Ressources
humaines. Pour que le référentiel des emplois et des compétences joue un rôle dans la
transformation des métiers et de l’organisation du travail, les acteurs doivent le faire vivre et
14 En effet, la nouvelle autorité territoriale peut choisir de mener une politique totalement différente de la précédente. Par exemple, une collectivité orientée à gauche pourrait avoir tendance à favoriser le développement du service public, alors qu’une collectivité orientée à droite pourrait favoriser davantage les externalisations, dans le but de diminuer le poids du service public dans les charges de la collectivité. Il est donc difficile de prévoir à long terme quelles seront les politiques menées par les collectivités.
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accepter de voir leur propre rôle évoluer et leur travail se professionnaliser. Or, les
gestionnaires du personnel ont souvent un rôle assez administratif de suivi de la paye, des
congés et de relais d’information des emplois vacants. La Direction des Ressources
Humaines, peu impliquée dans la stratégie future de l’organisation et soumises aux contraintes
temporelles liées au mandat des élus, conserve un rôle centré sur les aspects à court terme et
administratifs de leurs métiers (Bournois et Brooklyn, 1994). Une des caractéristiques de la
commune de Saint Etienne à cette époque est bien l’absence de vision à long terme.
« Le projet m’a intéressé car c’était premièrement engager une démarche métier, c’est-à-dire
ne plus appréhender la situation du personnel à travers son grade ou sa situation syndicale ;
mais à partir de ce qu’ils faisaient et des compétences nécessaires pour le faire. Le deuxième
aspect qui m’intéressait c’est qu’à mon avis, ça aurait dû permettre de sortir d’un des grands
écueils qu’on avait et qu’on a peut-être encore, qui est une gestion un peu au jour le jour. On
gère les besoins des services sans trop savoir sur l’avenir ce qui va se passer […] Ainsi,
quand vous avez une évolution importante qui arrive, je parle notamment des NTIC, on se
retrouve complètement démuni» (extrait d’entretien)
Le chef de projet GPEC à la ville de Saint-Etienne pointe l'implication de son groupe, mais
au-delà, au sein même du service Ressources Humaines, il avait peu d'impact. Les agents ont
vu la constitution des bases de données comme une charge de travail supplémentaire et non
comme quelque chose qui les touchait pleinement. Ce manque d'implication est peut-être la
conséquence d'un manque d'intérêt pour le projet mais, il est aussi lié à un manque de temps
du fait des sous-effectifs.
L’aplatissement des hiérarchies. La « réussite » d’une démarche compétence dépend de la
configuration de l’organisation dans laquelle elle s’insère. Ainsi, à son arrivée, le DGS a
modifié l’organigramme de la ville de Saint-Etienne. Pour lui, l’organisation doit respirer
grâce à des liens horizontaux transversaux fonctionnels, grâce à des démarches par projet qui
permettent de fédérer autour d’un chef de file les compétences provenant des différents
services.
« Bien entendu, j’ai conscience qu’à chaque changement de Directeur général, un nouvel
organigramme a été mis en place et cela finit par lasser. Cela ne peut malgré tout justifier
l’immobilisme. Je dirais qu’il faut avoir conscience qu’un organigramme n’est pas quelque
chose de figé et qu’il ne faut pas avoir peur des changements. » (extrait d’entretien)
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CONCLUSION
Le management des compétences ne peut être mis en place dans une organisation sans tenir
compte de sa culture et de son contexte. Alors que la mise en place de référentiels suppose un
environnement relativement stable qui ne remette pas en cause trop rapidement les outils
développés, de nombreuses communes vivent au rythme des élections et des mutations des
dirigeants. Ce manque de continuité conduit à des remises en cause fréquentes des démarches
entreprises, et il est difficile de garder une même ligne de conduite centrée sur une démarche
compétence qui nécessairement implique l'ensemble des acteurs de l'entreprise. Dans le
contexte d'une entreprise industrielle, Klarsfeld (2003) illustrait bien, au-delà des facteurs de
contingence traditionnels, le rôle des acteurs impliqués dans la démarche. L'instrumentation
varie dans le temps, en étant "considérée tour à tour comme indispensable, modifiable ou
facultative par les acteurs chargés de la mettre en place" (p. 163).
La complexité du système est un deuxième handicap à surmonter, car elle augmente
l'investissement nécessaire pour mettre en œuvre une démarche de gestion des compétences.
Nous avons vu que la ville de Saint-Etienne recense 250 métiers, et elle a choisi de centrer
son effort sur les emplois "sensibles", pénibles, déficitaires ou émergents. Une analyse globale
aurait probablement été vouée à l'échec.
Si les démarches utilisées et certaines conditions de réussite rejoignent celles des entreprises,
en revanche, nous avons pu relever des contraintes internes propres aux communes. Ainsi, au-
delà du mandat politique, la fonction RH reste fortement déterminée par le statut de son
personnel et très centrée sur le court terme i.e. le cadre budgétaire, avec des prévisions
essentiellement quantitatives portant sur les effectifs par catégories et grades. Des marges de
liberté existent cependant qui permettent d'évoluer vers des systèmes considérés comme plus
"modernes" dans l'esprit du courant du "New Public Management", des systèmes qui se
rapprochent dans les faits de ceux qu'utilisent nombre d'entreprises privées.
L'appropriation du système par les acteurs de l'entreprise repose alors en grande partie sur la
qualité du processus de changement adopté pour le mettre en place. Il est difficile de changer
des habitudes et des traditions ancrées dans les esprits depuis de nombreuses années.
L'encadrement joue alors un rôle clé, car il sert de relais pour expliquer et entraîner l'adhésion
de son personnel, et il est nécessairement partie prenante dans la définition des compétences.
Le Gall (1996) insiste sur le fait qu'un tel projet doit être collégial pour faire émerger des
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solutions de compromis largement acceptées avec un bon niveau de cohésion. C'est une
création collective dans laquelle l'écoute et l'analyse sont essentielles, et dont la réussite est en
grande partie liée aux actions de communication entreprises et à la capacité de conviction des
dirigeants.
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