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Tous droits réservés, en vertu des règles de propriété intellectuelle applicables. Sans autorisation écrite de l’éditeur ou d’un organisme de gestion des droits d’auteur dûment habilités, l’œuvre ou parties de celle-ci ne peuvent pas être reproduites, sous quelque forme que ce soit, ni transformées, ni diffusées électroniquement, même pour usage privé, excepté dans les cas prévus par la loi. All rights reserved. e contents of the attached document are copyrighted. Unless you have the written permission of the copyright owner or from an authorised licensing body, you may not copy, in any medium, or otherwise reproduce or resell any of the content, even for internal purposes, except as may be allowed by law. Éléments sous droit d’auteur - © Éditions de Boccard Le Prestige. Autour des formes de la différenciation sociale, HURLET Fr., RIVOAL I. et SIDÉRA I., éd., 2014, p. 147-160 (Colloques de la MAE, René-Ginouvès, 10) * Deutsches Archäologisches Institut – Eurasien Abteilung, Berlin [[email protected]/elise.luneau@ gmail.com]. IDENTIFIER LE PRESTIGE : ÉLÉMENTS DE CONTROVERSE À PROPOS DE QUELQUES OBJETS SINGULIERS DE LA CIVILISATION DE L’OXUS (ASIE CENTRALE, ÂGE DU BRONZE) Élise LUNEAU* Résumé La civilisation de l’Oxus appartient aux sociétés à différenciation sociale forte, qui se constate particulièrement dans les pratiques mortuaires. L’étude des biens funéraires permet de dégager plusieurs types d’artefacts propres à cette entité culturelle, dénommés « objets à caractère symbolique ». Tandis que plusieurs d’entre eux sont incontestablement ostentatoires et marqueurs du prestige des défunts, d’autres objets en apparence peu prestigieux interrogent quant à leur statut de reflet d’un fort capital symbolique et d’un pouvoir social. Le croisement de plusieurs indicateurs (répartition, contexte de découverte, représentations) permet, cependant, d’entrevoir leur valeur symbolique et sociale. La distribution de ces artefacts selon les types de sépultures tend également à révéler un usage funéraire particulier de ces objets, dénotant probablement des fonctions, voire des prestiges différents des individus inhumés, où intervient notamment une distinction par genre, mais pas uniquement. Mots-clés : Asie centrale, protohistoire, âge du Bronze, pratiques funéraires, culture matérielle, statut social, pouvoir, différenciation, genre. Abstract The Oxus civilization belongs to societies with strong social differentiation, particularly visible in the burial practices. The study of the funerary gifts allows to highlight several types of artifacts, specific to this cultural entity, hereinafter “objects with symbolic character”. While some of them are indisputably conspicuous and markers of the prestige of the deceased, other objects – seemingly not very prestigious – question their value of high symbolic capital and social power. The analysis of several indicators (distribution, context of discovery, representations) allows, however, to detect their symbolic and social status. The distribution of these artifacts according to types of burials also tends to reveal a particular funerary use of these objects, which could probably indicate different functions, or even different prestige attached to the individuals, and where a gender distinction, but not only, is noticeable. Keywords: Central Asia, protohistory, Bronze Age, burial practices, material culture, social status, power, social distinction, gender. 2

Luneau E_2014_Identifier le prestige : éléments de controverse à propos de quelques objets singuliers de la civilisation de l'Oxus (Asie centrale, âge du Bronze)

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Tous droits réservés, en vertu des règles de propriété intellectuelle applicables. Sans autorisation écrite de l’éditeur ou d’un organisme de gestion des droits d’auteur dûment habilités, l’œuvre ou parties de celle-ci ne peuvent pas être reproduites, sous quelque forme que ce soit, ni transformées, ni diffusées électroniquement, même pour usage privé, excepté dans les cas prévus par la loi.

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Le Prestige. Autour des formes de la différenciation sociale, Hurlet Fr., rivoal I. et Sidéra I., éd., 2014, p. 147-160

(Colloques de la MAE, René-Ginouvès, 10)

* Deutsches Archäologisches Institut – Eurasien Abteilung, Berlin [[email protected]/[email protected]].

identifier le preStige : élémentS de controverSe à propoS de quelqueS objetS SingulierS de la civiliSation

de l’oxuS (aSie centrale, âge du bronze)

Élise Luneau*

RésuméLa civilisation de l’Oxus appartient aux sociétés à différenciation sociale forte, qui se constate particulièrement dans les pratiques mortuaires. L’étude des biens funéraires permet de dégager plusieurs types d’artefacts propres à cette entité culturelle, dénommés « objets à caractère symbolique ». Tandis que plusieurs d’entre eux sont incontestablement ostentatoires et marqueurs du prestige des défunts, d’autres objets en apparence peu prestigieux interrogent quant à leur statut de reflet d’un fort capital symbolique et d’un pouvoir social. Le croisement de plusieurs indicateurs (répartition, contexte de découverte, représentations) permet, cependant, d’entrevoir leur valeur symbolique et sociale. La distribution de ces artefacts selon les types de sépultures tend également à révéler un usage funéraire particulier de ces objets, dénotant probablement des fonctions, voire des prestiges différents des individus inhumés, où intervient notamment une distinction par genre, mais pas uniquement.Mots-clés : Asie centrale, protohistoire, âge du Bronze, pratiques funéraires, culture matérielle, statut social, pouvoir, différenciation, genre.

AbstractThe Oxus civilization belongs to societies with strong social differentiation, particularly visible in the burial practices. The study of the funerary gifts allows to highlight several types of artifacts, specific to this cultural entity, hereinafter “objects with symbolic character”. While some of them are indisputably conspicuous and markers of the prestige of the deceased, other objects – seemingly not very prestigious – question their value of high symbolic capital and social power. The analysis of several indicators (distribution, context of discovery, representations) allows, however, to detect their symbolic and social status. The distribution of these artifacts according to types of burials also tends to reveal a particular funerary use of these objects, which could probably indicate different functions, or even different prestige attached to the individuals, and where a gender distinction, but not only, is noticeable.Keywords: Central Asia, protohistory, Bronze Age, burial practices, material culture, social status, power, social distinction, gender.

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La civilisation de l’Oxus, également connue sous le terme de « Bactrian-Margian Archaeological Complex » (BMAC), occupe le sud de l’Asie centrale, depuis le nord

de l’Iran jusqu’au sud de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan actuels. Elle apparaît vers le milieu du IIIe millénaire et s’éteint aux alentours du milieu du IIe millénaire av. n. è. For-tement connectée aux civilisations orientales du Proche et du Moyen-Orient des IIIe et IIe millénaires av. n. è., l’ensemble culturel centrasiatique1, proto-urbain à mode de vie agro-pastoral, forme une société originale et constitue un axe essentiel dans le commerce interrégional du IIIe millénaire en Asie moyenne grâce, en particulier, à la richesse de son sous-sol.

À travers l’étude du mobilier funéraire de la nécropole de Gonur Depe (Turkménistan), l’analyse croisée de la culture matérielle et des pratiques funéraires s’avère particulière-ment propice pour appréhender les notions de prestige et de pouvoir, en raison de la diversité des biens déposés dans les tombes, de leur statut et de leurs fonctions possibles, qui renvoient à la structuration sociale.

Des manifestations funéraires inégalitairesLa civilisation de l’Oxus apparaît fortement hiérarchisée2. L’inégalité sociale se mani-

feste tant au travers de la quantité et de la qualité des biens funéraires que de la situation géographique des tombes, du type de construction funéraire, du type de sépulture ou du mode de traitement du défunt. Outre le regroupement spatial de certaines tombes au sein de grandes nécropoles, plusieurs sépultures remarquables sont situées dans des secteurs particuliers, hors de la nécropole. Tandis que la majorité des sépultures sont des fosses ou des tombes à chambre funéraire, deux autres catégories se démarquent par une construc-tion plus élaborée : des tombes en ciste et des mausolées ou hypogées à plusieurs pièces. Plutôt rares, celles-ci représentent respectivement 2,13 % et 1,9 %3 de l’ensemble des tombes de la nécropole. À côté des sépultures individuelles, majoritaires, certaines tombes se singularisent, tels les cénotaphes ou tombes sans ossements humains, mais pourvues en mobilier, et les tombes d’animaux, pourvues elles aussi d’offrandes funéraires. Ajoutons, enfin, les tombes multiples ou collectives qui contiennent plusieurs individus inhumés.

La quantité et la qualité des biens funéraires constituent également des indices majeurs de différenciation. La plupart des sépultures contiennent du mobilier, et parfois en grande quantité : plus de 30 céramiques par exemple. Le dépôt n’est cependant pas systématique, mais toujours difficile à estimer car les pillages ont été nombreux aux époques anciennes4. La poterie représente le mobilier le plus courant. Les tombes peuvent également contenir des objets en bronze, en pierre, en os et en argile, ainsi que des quartiers de viande, plus rarement des animaux entiers qui peuvent être considérés comme des animaux d’accom-pagnement. Sur le site de Gonur Depe (Turkménistan), considéré comme la capitale de la civilisation de l’Oxus, certaines tombes pourvues d’éléments d’armature de chars en bois et en métal marquent clairement une élite dirigeante voire guerrière.

Enfin, du point de vue de la culture matérielle, les objets déposés dans les tombes de la civilisation de l’Oxus peuvent être classés en plusieurs catégories : les récipients en céramique, en métal ou en pierre ; les armes et outils ; les parures, objets de cosmétique et

1. FrancFort 2009a.2. Bendezu-Sarmiento et al. 2013.3. Sarianidi 2007, p. 41-42.4. Bendezu-Sarmiento et Grizeaud 2011.

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objets à fonction domestique ; les sceaux ; les éléments de char ; les objets dits à caractère « symbolique »5 que nous détaillerons plus bas. Un nombre abondant de biens peuvent être qualifiés d’objets de luxe.

La valeur de ces objets tient à plusieurs critères qualitatifs et quantitatifs, tels la matière, l’investissement lié à l’acquisition du matériau, la complexité technique, le temps d’ inves tissement pour la réalisation, leur nombre et leur valeur symbolique et sociale. Les matériaux précieux, or, argent, pierres tendres et semi-précieuses, sont largement utilisés par les artisans de la civilisation de l’Oxus. Les savoir-faire et les techniques des artisans spécialisés sont de haut niveau6.

Des objets symboliquesLes biens funéraires peuvent participer au prestige du défunt ou du groupe auquel le

défunt appartient, puisqu’ils diffèrent de façon significative au sein des tombes. Or, parmi l’ensemble des offrandes funéraires, plusieurs objets interrogent quant à leur fonction7, et il s’agit de poser la question de leur statut d’objets de prestige, en ce qu’ils seraient por-teurs d’un « capital symbolique8 ».

L’analyse9 repose sur un corpus d’objets issu d’un vaste ensemble funéraire composé de 2 809 tombes publiées de la nécropole de Gonur Depe10. D’un point de vue chrono-logique, les comparaisons permettent de relier l’ensemble de ce matériel à l’âge du Bronze moyen du sud de l’Asie centrale, entre 2300 et 1800 av. n. è.

Les objets de nature symbolique de la civilisation de l’Oxus peuvent être répartis en quatre catégories :

– Catégorie 1 : Les chars, les haches d’apparat et les harpés sont rares dans l’ensemble des tombes de Gonur Depe (tableau 1). Ils ont des parallèles dans les mondes contempo-rains iranien et moyen-oriental, où les tombes à char, pourvues de morts d’accompagne-ment, forment la demeure funéraire des souverains d’Ur, de Kish, d’Assur et de Suse. Le char, utilisé pour le transport, la guerre, les processions, les jeux et les courses, constitue un instrument et un symbole puissant de domination11.

De même, les haches et harpés sont liées aux cultures du Moyen-Orient. Ces objets dérivent notamment de modèles élamites12, où les représentations iconographiques les désignent comme des insignes de prestige et de pouvoir aux mains de dignitaires de haut

5. FrancFort 2007a, p. 120.6. Voir par exemple aruz et WaLLenFeLS 2003.7. Tous les objets de luxe découverts dans les tombes de la civilisation de l’Oxus (voir Sarianidi 2007 par

exemple) n’ont pas été intégrés à cette étude. Marquant incontestablement le prestige d’une élite, ces objets plus abondants sont toutefois peu indicateurs des stratifications sociales. Par ailleurs, certains, comme les parures, peuvent fonctionner à la fois comme biens marchands et biens de prestige en tant que révélateurs de la richesse (GaLLay 2012), qu’il est difficile de déterminer d’un point de vue archéologique. Notre souhait était de focaliser ici le propos sur plusieurs types d’artefacts moins nombreux, qui permettent de questionner l’identification du prestige et son rapport aux pouvoirs.

8. Bourdieu 1977.9. D’autres objets de ce type ont été découverts en Asie centrale, mais ne peuvent être associés à un contexte

archéologique précis. Cela est notamment le cas de la plupart des objets de Bactriane méridionale issus des pillages des cimetières du nord de l’Afghanistan organisés au cours de plusieurs décennies (Pottier 1984). Ils n’ont donc pas été inclus dans la présente étude.

10. Sarianidi 2002, 2006, 2007, 2008 et 2009 ; duBova 2004 et 2008 ; roSSi-oSmida 2002.11. moorey 1986, p. 205.12. amiet 1986, p. 196.

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Type d’objeT MaTériau NoMbre descripTioN

Colonnettes(fig. 1)

Pierre 43

En pierre monolithique, de forme cylindrique, tronconique ou plus ou moins concave.De 10 à 40 cm de hauteur, avec le plus souvent une gorge sur la base, le sommet et parfois sur le fût. Entièrement polies et parfois recouvertes d’une capsule en cuivre et décorées d’incrustations.

Bâtons(fig. 6)

Pierre 45

Monolithiques. Deux groupes selon leur taille : de 35 à 50 cm environ, et de 1,20 à 2 m environ. Le plus souvent rectilignes. Les extrémités sont parfois amincies, biseautées et légèrement creusées, et la partie centrale parfois renflée.

Disques(fig. 3)

Pierre 8 De forme circulaire et plate, de 10 à 50 cm environ de diamètre et une dizaine de centimètres d’épaisseur. Ils possèdent souvent une gorge latérale, et parfois des perforations géométriques.

Métal 5

Pommeaux(fig. 2)

Métal ou pierre

17De forme et de taille diverses avec des représentations géométriques et plus rarement figuratives. Une dizaine de centimètres de longueur.

Trompettes(fig. 9)

Or, argent, métal cuivreux ou gypse

10

Une embouchure élargie et un tube de forme cylindrique simple ou à partie centrale globulaire dont certaines sont figurées par des visages humains ou des têtes de bisons.

Haches(fig. 4)

Métal 10

Une lame non tranchante, parfois largement étalée. Elles ont le plus souvent un collet oblique percé d’un trou de fixation, et une pointe ou aileron sur le talon. Elles sont parfois très élaborées et pourvues de compositions figuratives, souvent mythologiques.

Harpés(fig. 5)

Métal 2 Longue épée incurvée.

Éléments de char Bois et métal 4 Pièces en métal cuivreux servant de bandages de roues.

Statuettes composites(fig. 10)

Pierre ou argile

8

De petite taille, rarement plus de 15 cm, et fabriquées à partir de deux matériaux, la chlorite (pour le corps et la coiffure) et le calcaire blanc (pour la tête et les bras). Représentant un personnage féminin en position assise et vêtu d’un vêtement de type kaunakès mésopotamien, elles sont constituées d’éléments distincts collés les uns aux autres.

Figurines anthropomorphiques(fig. 7)

Argile 32

Assez stylisées et généralement plates, elles représentent des personnages le plus souvent debout. Il s’agit majoritairement de femmes, mais des figurines masculines de même type sont aussi répertoriées.

Sceaux(fig. 8)

Métal ou pierre

127De types très divers, ils peuvent être simples, cloisonnés ou cylindres. Les représentations sont géométriques ou figuratives, à signification mythologique.

Tableau 1 - Distribution des objets à caractère symbolique dans la nécropole de Gonur Depe.

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Fig.  1 - Colonnettes (d’après Sarianidi 2007, p.  110, fig.  192). Fig.  2  - Pommeau (ibid., p.  109, fig.  187-188). Fig. 3 - Disque (ibid., p. 110, fig. 191). Fig. 4 - Haches (ibid., p. 76, fig. 82). Fig. 5 - Harpés (Sarianidi 2006, p. 36). Fig. 6 - Bâtons (Sarianidi 2007, p. 176, fig. 85). Fig. 7 - Figurine anthropomorphe en terre cuite (ibid., p. 70, fig. 47). Fig. 8 - Sceau (ibid., p. 104, fig. 195). Fig. 9 - Trompette (Sarianidi 2002, p. 235). Fig. 10 - Statuette composite (Sarianidi 2007, p. 153, fig. 39) (DAO C. Duval, UMR 7055).

Fig. 1 - Légende

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rang13. Un sceau élamite provenant de Suse, celui de Kuk-Simut, chancelier de Idadu II, Ensi de l’Élam, figure le chancelier recevant de son souverain une hache similaire comme insigne de dignité14. Dans le monde iranien, la hache possédait donc une haute valeur symbolique dans la sphère du pouvoir politique. Par ailleurs, d’un point de vue tech-nique, les lames de ces haches, au lieu d’être perpendiculaires au manche sont obliques, ce qui peut révéler leur caractère non utilitaire15. Enfin, la réalisation technique complexe de plusieurs de ces pièces nécessite un savoir-faire et un temps d’investissement d’artisans spécialisés, à la commande des élites.

Ces trois types d’objets, ainsi que l’institution qui leur est rattachée, sont empruntés au Moyen-Orient16 et constituent des signes d’ostentation et probablement de prestige liés à l’exercice du pouvoir politique et guerrier.

– Catégorie 2 : Les figurines en pierre ou en argile peuvent représenter des femmes de haut rang ou, plus probablement dans le cas des statuettes composites, une déesse du panthéon bactro-margien17. Elles seraient alors connectées à une symbolique élitaire et à la sphère publique ou au pouvoir religieux.

– Catégorie 3 : La grande diversité typologique et figurative des sceaux, ainsi que l’usage de matériaux précieux, or et argent, permet de supposer leur fonction, si ce n’est uniquement administrative, d’insigne de statut individuel ou communautaire. Les sceaux ont donc pu être associés à un pouvoir administratif, en tant que cachets, ou se faire le reflet du prestige social d’une puissance communautaire, en tant qu’emblèmes individuels ou claniques18.

– Catégorie 4 : Les autres artefacts (colonnettes, disques, bâtons, pommeaux, trom-pettes) forment un groupe ambigu en raison de la difficulté à déterminer leur fonction. Ainsi, la présence d’une gorge médiane traversant la base et le sommet des colonnettes en pierre interroge. Servait-elle au passage d’une lanière ? L’hypothèse de poids a notamment été avancée. Les indications tracéologiques sont ténues : seules des traces techniques de polissage sont visibles sur l’ensemble de la pièce. Peu d’exemplaires présentent des traces d’usage de nature non spécifiée19. L’absence apparente de macrotraces sur ces objets en pierre suggère qu’ils n’aient pas eu d’usage manuel véritable. En lien avec leur découverte dans des bâtiments qualifiés de « temples » ou de « terrasses sacrées » (Tureng Tepe, Altyn Depe, Togolok 21), ces colonnettes et ces disques en pierre ont été qualifiés d’objets « cultuels »20. L’hypothèse d’un usage pour des libations, dont le liquide s’écoulerait le long de la rainure, lors de cérémonies rituelles a été évoquée21. Enfin, leur comparaison avec plusieurs représentations connues sur des sceaux-cylindres du monde oriental ancien permet de les comparer à des supports, en particulier de récipients dans le cadre de céré-monies religieuses22. Ces objets pouvaient donc renvoyer à l’autorité religieuse.

13. Pottier 1984, p. 15 ; amiet 1986, p. 197.14. amiet 1986, p. 149, fig. 83.15. HerzFeLd 1988, p. 131.16. FrancFort 2007a.17. FrancFort 1994.18. Luneau 2008.19. Pottier 1984, p. 41.20. deSHayeS 1977, p. 99 ; Sarianidi 2001, p. 198.21. BoroFFka et Sava 1998.22. aBduLLaev 2010.

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Les disques, parfois considérés aussi comme des poids23, présentent également une gorge latérale, qui les relie du point de vue fonctionnel aux colonnettes.

Pour les bâtons, sont avancées des hypothèses de masses d’armes24 ou d’insignes d’auto-rité, de type bâtons de commandement ou sceptres25. Leur utilisation dans le cadre de cérémonies officielles ou de différents rituels a été mentionnée. Ces bâtons sont occasion-nellement associés à des pommeaux fichés à leur sommet, comme à Gonur Depe ou en Bactriane, mais cela n’est pas systématique. Selon Marie-Hélène Pottier26, les pommeaux devaient être fichés sur des bâtons en bois27 et considérés comme distincts des bâtons en pierre. Cependant, des pommeaux ont aussi été fichés au sommet de bâtons en pierre à Gonur Depe28. Un parallèle a, par ailleurs, été établi entre les masses d’armes d’Asie cen-trale et celles de Mésopotamie, suggérant l’adoption par les populations centrasiatiques de la forme, voire du symbolisme de ces objets ; mais la fonction cultuelle qui leur est attribuée en Mésopotamie n’est pas attestée en Asie centrale29.

Enfin, les hypothèses proposées pour les trompettes évoquent un usage pour la chasse, le dressage des chevaux ou encore l’utilisation des chars30. Ajoutons également celle d’un instrument de musique, comparable au « sufra » des textes avestiques : un cornet destiné à « diriger les hommes et les mener vers un refuge »31.

Les identifications fonctionnelles : éléments de controverseLes trois premières catégories de biens, chars, haches et harpés, figurines anthropo-

morphes et sceaux, peuvent être appréhendées comme d’incontestables attributs fonc-tionnels. Leur caractère exceptionnel et prestigieux démarque le défunt. En revanche, la valeur des attributs que recouvre la quatrième catégorie d’artefacts, les colonnettes, bâtons, disques et trompettes, est plus problématique. S’agit-il d’objets non utilitaires marquant également une fonction et le prestige qui lui est attaché ? Quels sont les critères permettant de les identifier comme tels ?

Les disques, colonnettes et bâtons en pierre sont de fabrication simple, mais requièrent toutefois une grande habilité de la part des lapidaires. Ces objets ne sont pas non plus dans des matériaux précieux. Plusieurs de leurs caractères indiquent, cependant, leur importance symbolique. Tout d’abord, leur matériau est signifiant. En dépit de son carac-tère non précieux, il semble avoir été mis en valeur. Il s’agit le plus souvent de calcaires et de marbres veinés, présentant un contraste de couleur entre le clair et le sombre. Or, l’on retrouve cette spécificité sur les matériaux choisis, chlorite et calcite, pour les statuettes composites. L’origine de ces pierres n’était probablement pas toujours locale, et un effort d’acquisition est donc à supposer. De plus, ces disques, colonnettes et bâtons sont presque toujours présents dans les tombes qualifiées de royales de Gonur Depe. Ils y figurent

23. PumPeLLy 1908, p. 477.24. Pottier 1984, p. 70-72.25. Sarianidi 2001.26. Pottier 1984, p. 70.27. Le bâton en bois devait être tenu par deux petits clous. Des restes de bois ont été découverts à l’intérieur de

la partie creuse.28. Sarianidi 2002, p. 229.29. Pottier 1984, p. 70.30. GHirSHman 1977.31. ducHeSne-GuiLLemin 1979 ; Pottier 1984, p. 72-73 ; LaWerGren 2003, p. 94-96.

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en exemplaire unique ou sont groupés par deux32. Représentés sur les sceaux-cylindres orientaux et largement répandus au plan géographique, ils semblent, de plus, renvoyer à des valeurs culturelles et symboliques communes en Asie moyenne. Notons, par ailleurs, que les objets élitaires ne sont pas nécessairement des biens de luxe. L’ostentation peut également être limitée : « on pouvait n’exhiber [ces objets] qu’aux yeux d’autres élites ou dans des occasions particulières ou encore réserver certains emblèmes aux ombres des tombeaux33. » Si ces objets correspondent donc à un affichage élitaire et au prestige qui s’en suivrait, ils sont dénués de toute connotation de richesse et leur importance ne trans-paraîtrait que par leur présence et le code auxquels ils renvoient.

Quant aux pommeaux en métal ou en pierre, ils surmontent souvent les extrémités des bâtons en pierre. Ces deux objets sont donc fortement associés.

Enfin, les trompettes sont le plus souvent réalisées en matériau précieux : or, argent. Dans les tombes « royales », elles sont associées aux précédents objets. Leur qualité d’insigne et de marqueur du statut social particulier d’un groupe d’individus pourrait en être déduite.

Matériaux luxueux, matériaux humbles Certains de ces types d’objets sont répliqués dans des matériaux différents. De récentes

découvertes sur le site de Gonur Depe ont mis au jour l’existence de colonnettes et de disques, non pas en pierre mais en argile, à l’imitation des exemplaires en pierre34. Les sta-tuettes dites composites, en ce qu’elles associent deux types de pierres, sont également réa-lisées en argile. Des peintures de différentes teintes recréent le matériau initial. Quelques trompettes, communément fabriquées en métal précieux, sont en gypse. Les pommeaux sont réalisés en métal ou en pierre. Les bâtons peuvent être en pierre ou en bois. Enfin, des vases en forme de cornet, interprétés comme des vases élitaires35 destinés à boire le vin dans le cadre de cérémonies accomplies par les classes dirigeantes, sont aussi bien réalisés en or, en argent ou en métal cuivreux, qu’en terre cuite.

Mentionnons un parallèle hors de la civilisation de l’Oxus avec des modèles minia-tures de haches d’apparat en argile36 datées de la fin du IIIe millénaire av. n. è., mis au jour à Suse, comme au Luristan, à Ur et en Assyrie. Les interprétations de ces haches leur accordent la même valeur d’objets de transaction entre dignitaires que les haches d’appa-rat métalliques de grande taille.

S’il apparaît que la morphologie semble primer sur tout autre critère, l’importance du matériau employé dans la valeur des objets en est-elle pour autant insignifiante ? La diver-sité des matériaux employés pour un même type d’objets renvoie-t-elle à des déviations par rapport à un modèle établi, et en quelque sorte, à des substituts de moindre valeur ? En d’autres termes, la matière choisie participe-t-elle du capital symbolique ou matériel de l’objet ? Cette diversité de matériaux pourrait encore constituer un indicateur chrono-logique. Certains exemples, en effet, indiquent que des objets ont d’abord été réalisés

32. Tombe 3200 : un disque, deux colonnettes, deux bâtons et des éléments de char ; tombe 3210 : deux disques, deux colonnettes et une trompette ; tombe 3220 : un disque, deux bâtons et deux colonnettes ; tombe 3225 : un disque et des éléments de char ; tombe 3240 : un disque et des éléments de char.

33. FrancFort 2007b, p. 175.34. Travaux menés sous la direction de Nikolaus Boroffka (Deutsches Archäologisches Institut – Eurasien

Abteilung) et Victor I. Sarianidi (Académie des Sciences de Russie).35. FrancFort 2009b.36. amiet 1986, p. 274-275, fig. 81-82.

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en matériaux humbles avant qu’ils ne soient reproduits en matériaux précieux. Citons en particulier les disques en or utilisés comme décors de vêtements découverts dans la nécropole néolithique de Varna (Bulgarie), qui imiteraient des disques en argile et en cuivre antérieurs connus sur le site de Pietrele (Roumanie)37 par exemple. La civilisation de l’Oxus, toutefois, connaît de profonds bouleversements aux alentours de 1800 av. n. è., marquées par un ralentissement important des échanges et des réseaux d’acheminement suprarégionaux, qui aboutit à la quasi-disparition des matériaux précieux38. Nous pou-vons alors poser comme autre hypothèse que la diversité des matériaux correspond plus tardivement au maintien des traditions sous une autre forme.

Quoi qu’il en soit, les cas de variation des matériaux de certains objets de la civilisa-tion de l’Oxus illustrent la diversité des instruments du prestige au service d’une classe sociale dirigeante aux fonctions diversifiées et démontrent, par ailleurs, l’absence d’asso-ciation systématique entre richesse, luxe et hiérarchie sociale. En effet, les tombes pour-vues d’objets symboliques en matériau humble ne sont pas nécessairement les plus riches, alors même que les éléments de chars les relient à la fonction politique voire guerrière des individus qu’ils accompagnent.

Catégories d’objets et fonctions socialesLes biens évoqués ont été répartis en six ensembles selon le type de sépultures dans

lesquelles ils ont été mis au jour. Ceci permet d’interroger le lien entre les objets et les catégories sociales.

– Ensemble 1 : Les colonnettes, les disques et les bâtons en pierre (graph. 1) sont apparentés au genre masculin39, mais sans exclusion totale de genre, et aux tombes dites royales.

– Ensemble 2 : Les statuettes composites, les figurines en argile et les sceaux40 (graph. 2) sont, quant à eux, en majorité réservés aux tombes féminines. Ceci sans systématique puisque, outre les sépultures dont le sexe de l’individu n’a pu être identifié, des sépultures individuelles d’hommes, des sépultures doubles ou multiples, et des cénotaphes, ont pu en contenir également, bien qu’en quantité nettement moins importante.

– Ensemble 3 : Les éléments de chars (graph. 3) sont découverts dans les tombes mul-tiples dites « royales », où certains individus sont considérés comme des morts d’accompa-gnement. Le nombre d’hommes est, semble-t-il, supérieur à celui des femmes dans ces tombes.

– Ensemble 4 : Les trompettes (graph. 3) sont associées aux cénotaphes, mais non exclusivement.

– Ensemble 5 : Les pommeaux et les haches d’apparat (graph. 3) apparaissent dans tous les types de tombes, mais en supériorité numérique dans les tombes individuelles mas-culines. La différence n’est, peut-être, toutefois pas assez significative pour que ces pièces constituent un attribut genré.

– Ensemble 6 : Les harpés (graph. 3) sont, elles, strictement associées aux tombes de caprinés. L’étude du mobilier funéraire de ces tombes, malgré l’absence de restes humains,

37. HanSen et al. 2008, p. 68, fig. 70 et p. 70, fig. 73.38. Luneau à paraître a.39. Sous réserve d’identification biologique du sexe des individus (Luneau 2008).40. Mentionnons un parallèle à l’époque sassanide : certaines femmes possédaient des sceaux utilisés pour une

fonction de scellement notamment (GiGnoux et GySeLen 1989).

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Fig. 1 - Légende

Graphique 1 - Répartition des colonnettes, bâtons, disques en pierre et en métal par type de sépulture dans la nécropole de Gonur Depe.

Graphique 2 - Répartition des statuettes composites, des figurines en argile et des sceaux par type de sépulture dans la nécropole de Gonur Depe.

Graphique 3 - Répartition des pommeaux, haches, chars, trompettes et harpés par type de sépulture dans la nécropole de Gonur Depe.

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les associe au genre masculin41. Le nombre de harpés mis au jour est toutefois trop faible pour conclure. Il faut, par ailleurs, souligner que les haches d’apparat ne sont pas associées aux tombes d’animaux, ces deux catégories pourraient donc être exclusives, de même que l’est probablement leur usage et les valeurs auxquelles elles renvoient.

L’analyse de la répartition de ces différents ensembles de biens dans les tombes de la nécropole de Gonur Depe montre une division sociale et fonctionnelle solide de la société, où différentes catégories d’objets fonctionneraient comme des attributs de pou-voirs dans différents domaines de compétence. La distinction par genre est forte42, mais non exclusive. Elle renvoie au principe guerrier et politique masculin, figurant avec des chars, des haches d’apparat et des objets symboliques. Les tombes animales, avec les har-pés, semblent associées à cette catégorie sociale masculine. Les femmes présentent des attributs, figurines et sceaux, plus énigmatiques, mais qui pourraient renvoyer à des fonc-tions administratives, cérémonielles ou religieuses complémentaires. D’autres différen-ciations fonctionnelles et sociales, bien qu’encore obscures, se font jour, puisque certains types d’objets, telles les trompettes, sont plus strictement associés aux cénotaphes. Ainsi, à l’exemple des sociétés mésopotamiennes et élamites, où elle prend en partie sa source, la civilisation de l’Oxus est construite sur une structuration sociale forte et singulière, fon-dée sur des fonctions sociales distinctes entre les individus.

Pourquoi qualifier ces objets de biens de prestige ? Les réflexions développées par Alain Gallay43 révèlent l’insuffisance d’une prise en

compte des caractéristiques purement intrinsèques d’un objet pour son identification en tant que bien de prestige. En revanche, les modalités des transactions et la nature des biens qui circulent au sein de réseaux, en particulier non marchands, est plus pertinente pour entrevoir la question du prestige attaché à un objet. La difficulté est donc de distinguer les objets de luxe à valeur d’usage et marchande, de ceux à valeur de prestige circulant dans la sphère sociale hors du domaine économique. Alain Gallay insiste, par ailleurs, sur le pro-blème de son appréhension en archéologie et de notre restriction aux données matérielles.

Toutefois, l’étude peut faire appel à des critères extrinsèques, notamment le contexte de découverte. Il ressort de notre analyse de la répartition de quelques biens funéraires issus des tombes de la vaste nécropole de Gonur Depe que les objets mentionnés peuvent être regroupés par ensembles en fonction du type de sépulture. Six groupes d’artefacts princi-paux se distinguent. L’un apparaît davantage associé aux tombes des femmes, constituant des symboles religieux ou des insignes communautaires. Un voire deux ensembles sont davantage associés aux sépultures des hommes. Ils pourraient représenter des symboles du pouvoir politique ou d’un contexte cérémoniel. Un groupe pouvant renvoyer à des insignes politico-guerrier est relié aux sépultures dites royales, un autre ensemble, de fonc-tion indéterminée, aux cénotaphes, et le dernier, peut-être des insignes guerriers, aux sépul-tures des animaux. Tous ces objets paraissent représenter des attributs d’activités sociales liées à divers types de pouvoir, qu’il soit politique, guerrier, économico- administratif ou religieux et de manifestations cérémonielles. Ces biens révèleraient le prestige d’une fonc-tion et de la classe sociale ou de l’individu qui l’occupe, puisque la « signification [d’un

41. Luneau à paraître b.42. Luneau 2008.43. GaLLay 2010 et 2012.

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bien de prestige] n’est pas indépendante des partenaires qui le possèdent, le manipulent ou l’échangent44 ». L’objet peut donc être qualifié de bien de prestige en ce qu’il est lié à l’affichage de différents pouvoirs, à la démonstration des hiérarchies par les élites, et à la valorisation des individus associés à ces diverses puissances sociales.

Par ailleurs, la plupart de ces objets sont particulièrement rares. Certains sont non « utilitaires », en marge des besoins de la vie quotidienne. Ils possèdent un caractère exceptionnel, hors du commun, et pourraient ainsi ne pas être inscrits dans des réseaux d’échanges marchands.

Pour terminer, insistons également sur la relation non systématique entre l’affichage d’une richesse matérielle par l’utilisation de matériaux précieux, et celui du prestige illus-tré par certains de ces objets. Si la richesse participe au prestige des élites de la civilisation de l’Oxus, elle n’est pas toujours matérialisée au travers des biens déposés dans les tombes. Le prestige peut se fonder sur une richesse plus importante, mais ne lui est pas nécessai-rement conditionné. Dans le contexte socioculturel de l’âge du Bronze en Asie centrale méridionale, il reposerait sur des assises variées. Or c’est bien la pluralité de la matéria-lisation du prestige qui est ici au cœur de la problématique associée aux objets présentés dans cet article.

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44. GaLLay 2012, p. 8.

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