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Algèbre approfondie L3 -

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Algèbre approfondie L3

Thomas Gobet

16 janvier 2022

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Préambule

Ces notes de cours couvrent le programme d'un cours de second semestre de L3 de mathé-matiques donné à l'Université de Tours au semestre d'été (3h de cours hebdomadaires sur 12semaines). Il contient deux parties :

• Une première partie (chapitres 1 et 2) dont le but est de donner une première introductionà l'algèbre commutative. Après quelques rappels sur les anneaux et anneaux quotients(introduits en �n de premier semestre), on y étudie les anneaux de polynômes et leurspropriétés de divisibilité et de factorisation (sans parler d'anneaux euclidiens ou factoriels).On introduit ensuite les extensions de corps et on prouve quelques résultats sur les corps�nis, sans traiter le théorème d'existence et d'unicité d'un corps à pn éléments (on seborne à démontrer qu'il existe un corps �ni à p2 éléments et à traiter des exemples decorps à 4, 8, 9, ... éléments, où l'on fait des calculs explicites).• Une seconde partie dont le but est de traiter la réduction des endomorphismes, avecpour objectif �nal les critères de diagonalisibilité et la décomposition de Dunford. Cettethéorie est traitée dans le chapitre 5, et précédée de rappels d'algèbre linéaire et de dualité(chapitres 3 et 4), sujets traités dans d'autres cours au préalable.

Ces notes se veulent aussi complètes que possible, même si certaines preuves sont laissées enexercice et que celles des chapitres de rappels ne sont pas reproduites. De nombreux exemplesillustrent la théorie générale et quelques exercices non traités en TD sont également donnés iciou là.

Certains chapitres sont basés sur un polycopié du même cours élaboré par Jérémie Guilhot,que je remercie.

Merci de me signaler les erreurs et typos que vous trouverez dans ces notes par email :

[email protected].

Tours, janvier 2022.

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Table des matières

1 Anneaux et idéaux 7

1.1 Anneaux, corps, sous-anneaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.2 Idéaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81.3 Anneaux principaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101.4 Anneaux quotients . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111.5 Idéaux premiers et maximaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121.6 Corps des fractions d'un anneau intègre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

2 Anneaux de polynômes 17

2.1 Dé�nitions et premières propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172.2 Arithmétique des polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

2.2.1 Polynômes associés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182.2.2 Division . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192.2.3 Division euclidienne de polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202.2.4 Polynômes irréductibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212.2.5 Plus grand diviseur commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222.2.6 Factorisation de polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

2.3 Fonctions polynomiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

3 Corps et extensions de corps 31

3.1 Quotients d'anneaux de polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313.2 Extensions de corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333.3 Sous-corps de C . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

3.3.1 Construction de R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373.3.2 Une extension algébriquement close de Q . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

3.4 Quelques résultats sur les corps �nis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

4 Rappels d'algèbre linéaire 41

4.1 Théorie de la dimension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414.1.1 Espace vectoriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414.1.2 Somme de sous-espaces vectoriels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424.1.3 Familles libres, familles génératrices, bases . . . . . . . . . . . . . . . . . . 434.1.4 Dimension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

4.2 Applications linéaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 464.2.1 Premières dé�nitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 464.2.2 Matrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 474.2.3 Changements de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

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6 TABLE DES MATIÈRES

5 Rappels de dualité 51

5.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515.2 Base duale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 525.3 Bidual et base antéduale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 535.4 Orthogonalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555.5 Applications transposées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 595.6 Changements de base dans le dual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

6 Réduction des endomorphismes 63

6.1 Géneralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 636.2 Polynômes d'endomorphismes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 656.3 Polynôme minimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 696.4 Sous-espace caractéristique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 736.5 Polynômes annulateurs et réduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 776.6 Décomposition de Dunford . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 826.7 Applications de la décomposition de Dunford . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

6.7.1 Calcul des puissances d'une matrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 856.7.2 Calcul de l'exponentielle d'une matrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

Page 7: Algèbre approfondie L3 -

Chapitre 1

Anneaux et idéaux

Le but de ce chapitre est de faire quelques rappels et donner quelques compléments sur lesanneaux, les idéaux et les anneaux quotients.

1.1 Anneaux, corps, sous-anneaux

Dé�nition 1.1. Un anneau est un ensemble A muni de deux lois de composition + et ·, tels que1. (A,+) est un groupe abélien,

2. La loi · est associative,3. Pour tous a, b, c dans A, on a

a · (b+ c) = ab+ ac et (a+ b) · c = ac+ bc.

On note 0A (ou 0 par abus de notation) l'élément neutre de A pour la loi +. S'il existe un élémentneutre 1A (aussi noté 1) pour la loi ·, l'anneau est dit unitaire. Si la loi · est commutative, i.e.,si ab = ba pour tous a, b ∈ A, l'anneau est dit commutatif.

Tous les anneaux considérés dans ce cours sont unitaires, mais pas nécessairement commuta-tifs. On ne précisera pas systématiquement que tout anneau considéré est unitaire.

Dé�nition 1.2. Un anneau commutatif A est dit intègre si pour tous a, b ∈ A, si ab = 0, alorsa = 0 ou b = 0.

Dans un anneau intègre, on peut simpli�er : si a ∈ A\{0} et b, c ∈ A satisfont ab = ac, alorsa(b− c) = 0, et puisque A est intègre et a 6= 0, on en déduit que b− c = 0, i.e., que b = c.

Dé�nition 1.3. Un corps K est un anneau commutatif tel que tout élément non nul est inversiblepour la loi ·.

Un corps est nécessairement un anneau intègre.

Exemple 1.4. 1. L'ensemble Z muni de l'addition et de la multiplication est un anneauintègre.

2. Les ensembles R,Q,C, munis des opérations usuelles, sont des corps.3. Soit K un corps et n ≥ 1. Soit A = Mn(K) l'ensemble des matrices de taille n × n et à

coe�cients dans K. Muni de l'addition de matrices et du produit matriciel, A est un anneau(non commutatif et non intègre si n > 1).

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Page 8: Algèbre approfondie L3 -

8 CHAPITRE 1. ANNEAUX ET IDÉAUX

4. Soit n ≥ 2. L'ensemble Z/nZ des classes d'entiers modulo n est un anneau. Il est intègre siet seulement si n est premier. C'est un corps si et seulement si n est premier.

Exercice 1.5. On considère l'ensemble Z[√

2] := {a+ b√

2 | a, b ∈ Z}.1. Montrer que (Z[

√2],+,×) est un anneau commutatif, intègre et unitaire.

2. Soit x = a + b√

2 un élément de Z[√

2] ; montrer que l'écriture de x sous cette forme estunique.

3. Pour tout x = a + b√

2 ∈ Z, on pose N(x) = a2 − 2b2. Montrer que N(xy) = N(x)N(y)pour tous x, y ∈ Z[

√2].

4. Montrer que x = a+ b√

2 ∈ Z[√

2] est inversible si et seulement si N(x) = ±1.

5. L'élément 7− 5√

2 est-il inversible dans Z[√

2] ? Si oui, calculer son inverse.

Dé�nition 1.6. Soit A un anneau. Un sous-anneau S de A est un sous-ensemble de A tel que� (S,+) est un sous-groupe de (A,+),� S est stable par ·,� 1A ∈ S.

1.2 Idéaux

Dé�nition 1.7. Soit A un anneau et I ⊆ A tel que (I,+) est un sous-groupe de (A,+). On ditque I est un idéal à gauche (resp. à droite) si pour tout a ∈ A, x ∈ I, on a ax ∈ I (resp. xa ∈ I).On dit que I est un idéal bilatère si I est à la fois un idéal à gauche et un idéal à droite.

Remarque 1.8. Si A est commutatif, les notions d'idéal à gauche, à droite et bilatère coïncidentet on parle simplement d'idéal.

Exemple 1.9. Soit A = Z. Les idéaux de A sont de la forme nZ, où n ∈ N.

Exemple 1.10. Soit E un espace vectoriel sur un corps K et U ⊆ E un sous-espace. SoitA = End(E) l'anneau (non commutatif si dim(E) ≥ 2) des endomorphismes de E (i.e., desapplications linéaires E −→ E). On pose

I := {f ∈ A | U ⊆ ker(f)}.

Alors I est une idéal à gauche de A. On véri�e en e�et facilement que (I,+) est un sous-groupede A. Soient f ∈ I, g ∈ A. Puisque f(U) = 0, on a

(g ◦ f)(U) = g(f(U)) = 0,

et donc U ⊆ ker(g ◦ f), d'où l'on tire que g ◦ f ∈ I.En revanche, si U 6= 0 et U 6= E, alors I n'est pas un idéal à droite.

Dé�nition 1.11. Soient A, B deux anneaux. Une application f : A −→ B est un homomor-

phisme d'anneaux si f(1A) = 1B et si pour tous a, b ∈ A, on a f(a + b) = f(a) + f(b) etf(a · b) = f(a) · f(b).

Lemme 1.12. Soient A,B deux anneaux, f : A −→ B un homomorphisme d'anneaux, I ⊆ Aun idéal bilatère de A et J ⊆ B un idéal bilatère de B.

1. Montrer que f−1(J) est un idéal de A.

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1.2. IDÉAUX 9

2. Montrer que si f est surjective, alors f(I) est un idéal de B. Quelle structure possède f(I)en général ?

Démonstration. Voir TD.

Remarque 1.13. Soit f : A −→ B un homomorphisme d'anneaux. Puisque 0 est un idéal deB, on a par le point 1 du Lemme 1.12 ci-dessus que le noyau ker(f) = f−1(0) de f est un idéalde A.

Lemme 1.14. Soit A un anneau. Il existe un unique homomorphisme d'anneaux f : Z −→ A.

Démonstration. On dé�nit un homomorphisme f : Z −→ A par f(n) = 1 + 1 + · · ·+ 1︸ ︷︷ ︸n termes

si n ≥ 0 et

f(n) = −(1 + 1 + · · ·+ 1︸ ︷︷ ︸(−n) termes

) si n < 0. On a bien f(1) = 1 et on véri�e facilement que f(n+m) =

f(n) + f(m) et f(n · m) = f(n) · f(m) pour tous m,n ∈ Z. Ceci démontre l'existence d'unhomomorphisme d'anneaux de Z dans A.

Montrons que cet homomorphisme est unique. Soit donc f : Z −→ A un homomorphismed'anneaux. Puisque f(1) = 1 et f(a+b) = f(a)+f(b), on montre par récurrence sur n que f(n) =1 + 1 + · · ·+ 1︸ ︷︷ ︸

n termes

si n ≥ 0. De même, on a f(−1) = −1 et pour n > 0, on montre par récurrence sur

n que f(−n) = −(1 + 1 + · · ·+ 1︸ ︷︷ ︸n termes

). Ainsi, on obtient nécessairement l'homomorphisme construit

plus haut.

Dé�nition 1.15. Soit A un anneau. Soit I le noyau de l'unique homomorphisme d'anneauxZ −→ A (voir le Lemme 1.14 ci-dessus). Puisque tout idéal de Z est de la forme nZ pour unn ∈ N, soit n l'unique entier naturel tel que I = nZ. L'entier naturel n est appelé caractéristiquede l'anneau A. On la note char(A).

Exemple 1.16. Les corps Q, R, C sont de caractéristique nulle. En e�et l'inclusion Z ⊆ K, oùK ∈ {Q,R,C}, est un homomorphisme d'anneaux.

Exemple 1.17. L'anneau Z/nZ, où n > 1, est de caractéristique n. En e�et, l'applicationZ −→ Z/nZ, m 7→ m, est un homomorphisme d'anneaux, de noyau l'idéal nZ ⊆ Z.

Lemme 1.18. La caractéristique d'un corps K est soit nulle, soit égale à un nombre premier.

Démonstration. Soit A un anneau et supposons par contraposition que char(A) = nm, où n,m ≥2 sont deux entiers. Cela signi�e que l'unique homomorphisme d'anneaux ϕ : Z −→ A a pournoyau l'idéal nmZ de Z. On a alors 0 = ϕ(nm) = ϕ(n) · ϕ(m). Or, puisque m,n ≥ 2 etker(ϕ) = nmZ, on a ϕ(n) 6= 0 6= ϕ(m). Ainsi, A n'est pas un anneau intègre. Ce n'est donc pasun corps.

Exemple 1.19. Soit p un nombre premier. L'anneau Z/pZ est un corps (démontrez-le !) conte-nant p éléments, que l'on notera Fp. Sa caractéristique est égale à p. On verra dans ce courscomment construire un corps, également de caractéristique p, contenant p2 éléments.

Dé�nition 1.20. Soit A un anneau commutatif et X ⊆ A un sous-ensemble. On appelle idéal

engendré par X et on note (X) l'ensemble constitué des éléments de la forme{k∑i=1

xiai | k ∈ Z≥0, ai ∈ A ∀i, xi ∈ X ∀i

}.

Page 10: Algèbre approfondie L3 -

10 CHAPITRE 1. ANNEAUX ET IDÉAUX

On véri�e qu'il s'agit bien d'un idéal de A. Si X = {x}, on note simplement (x) l'idéal engendrépar X. Remarquons que dans ce cas on a

(x) = {ax | a ∈ A} = Ax.

Exercice 1.21. Soit A un anneau commutatif.

1. Soient Ij , j ∈ J une famille d'idéaux de A, où J est un ensemble. Montrer que⋂j∈J Ij est

encore un idéal de A.

2. Soit X un sous-ensemble de A. Montrer que l'idéal engendré par X est égal au plus petit

idéal contenant X, c'est-à-dire, à l'intersection des idéaux de A qui contiennent X (qui estun idéal par la question 1.).

3. Une réunion d'idéaux est-elle encore un idéal ?

Dé�nition 1.22. Soit A un anneau et I, J deux idéaux à gauche (respectivement à droite,bilatères) de A. On appelle somme des idéaux I et J , noté I + J , l'ensemble

I + J := {i+ j | i ∈ I, j ∈ J}.

On véri�e que c'est encore un idéal à gauche (resp. à droite, bilatère) de A.

1.3 Anneaux principaux

Dé�nition 1.23. Soit A un anneau commutatif et I ⊆ A un idéal de A. On dit que I estprincipal si I peut être engendré par un unique élément de A, i.e., s'il existe x ∈ A tel que

I = (x) = Ax = {ax | a ∈ A}.

L'anneau A est principal s'il est intègre et si tout idéal de A est principal.

Exemple 1.24. L'anneau Z est principal. En e�et, on sait que tout idéal de Z est de la formenZ pour un entier n ∈ N.

Exemple 1.25. L'anneau Z[X] n'est pas principal : considérons en e�et l'idéal I de Z[X] en-gendré par 2 et X et montrons qu'il ne peut pas être engendré par un unique élément. On doitdonc démontrer qu'il n'existe pas d'élément P de Z[X] tel que I = (P ). Procédons par l'absurdeen supposant qu'il existe un tel polynôme P . Il existe donc Q1, Q2 ∈ Z[X] tels que 2 = PQ1 etX = PQ2. Autrement dit, P divise 2 et P divise X. Or, les seuls diviseurs de 2 dans Z[X] sont{−2,−1, 1, 2}. Mais ±2 ne divise pas X, par conséquent, P = ±1. On en déduit que I = Z[X]tout entier. Or, ceci est une contradiction : en e�et dans ce cas on obtient 1 ∈ I, i.e., il existeR1, R2 ∈ Z[X] tels que 1 = 2R1 + XR2. En évaluant cette égalité polynomiale en X = 0 onobtient 1 = 2R1(0), et puisque R1(0) ∈ Z, cela implique que 1 est un multiple de 2 dans Z, cequi est une contradiction.

Notons que dans A = Q[X] ou R[X], l'idéal engendré par 2 et X est principal (il est égal àl'anneau A = (1) tout entier).

Dans ce cours, nous introduirons formellement les anneaux de polynômes et verrons quelorsque K est un corps, l'anneau K[X] est principal, et possède des propriétés arithmétiquesremarquables.

Page 11: Algèbre approfondie L3 -

1.4. ANNEAUX QUOTIENTS 11

1.4 Anneaux quotients

Lemme 1.26. Soit A un anneau et I ( A un idéal bilatère.

1. Soient x, y ∈ A. On dé�nit une relation ∼I sur A par

x ∼I y ⇐⇒ x− y ∈ I.

Alors la relation ∼I est une relation d'équivalence.

2. On note x la classe d'équivalence de x ∈ A par rapport à ∼I (aussi appelée classe d'équi-valence modulo I). Autrement dit,

x = x+ I = {x+ y | y ∈ I}.

L'ensemble des classes d'équivalence de ∼I est noté A/I. Cet ensemble peut alors être muni

d'une structure d'anneau avec :

x+ y = x+ y et x · y = xy

3. La projection canoniqueπ : A −→ A/I

x 7−→ x

est un homomorphisme (surjectif) d'anneaux.

Démonstration. Exercice.

Exemple 1.27. Soit A = Z, n ∈ N avec n ≥ 2, et I = nZ. Alors pour x, y ∈ Z, on a x ∼I y siet seulement si x− y est un multiple de n. Par conséquent, l'ensemble {0, 1, 2, . . . , n− 1} formeun système de représentants des classes d'équivalence modulo I.

Remarque 1.28. Un idéal I de A est un sous-anneau de A. Pour dé�nir des classes d'équivalencecomme ci-dessus, un sous-anneau S est su�sant, mais A/S n'a alors (en général) qu'une structurede groupe abélien, et non d'anneau. En e�et, si a+S, b+S sont deux classes d'équivalence moduloS, on a (a+S) · (b+S) ⊆ ab+aS+Sb+S mais en général, Sb, aS 6⊆ S, et ab+aS+Sb+S n'estpas inclus dans une classe d'équivalence modulo S. En exercice, on pourra trouver un anneau Aet un sous-anneau S tels que le groupe abélien A/S n'est pas un anneau.

Soit A un anneau et I ⊆ A un idéal bilatère. La projection canonique π : A −→ A/Iinduit une bijection entre les idéaux de A/I et les idéaux de A contenant I.

Proposition 1.29 (Correspondance des idéaux).

Démonstration. On dé�nit une application ϕ allant des idéaux de A contenant I vers les idéauxde A/I par ϕ(J) := π(J). Montrons que ϕ est bien dé�nie et bijective.

L'application est bien dé�nie : puisque π est surjective, par le point (2) du Lemme 1.12, ona que ϕ(J) est un idéal de A/I. Donc ϕ est bien dé�nie.

Page 12: Algèbre approfondie L3 -

12 CHAPITRE 1. ANNEAUX ET IDÉAUX

Injectivité : Soient I1, I2 des idéaux bilatères de A contenant I et tels que π(I1) = π(I2) etsoit x ∈ I1. Puisque π(I1) = π(I2) et x ∈ I1, il existe x′ ∈ I2 avec π(x) = π(x′). Cela signi�eque π(x − x′) = 0, et donc que x − x′ ∈ ker(π) = I. Puisque x′ ∈ I2, I ⊆ I2 et I2 est un idéal,on en déduit que x ∈ I2, et donc que I1 ⊆ I2. En intervertissant les rôles de I1 et I2, on montrel'inclusion réciproque. Ainsi I1 = I2, et ϕ est injective.

Surjectivité : Soit J un idéal de A/I. Posons I ′ = π−1(J). Par le point (1) du Lemme 1.12, onsait que I ′ est un idéal. De plus, puisque 0 ⊆ J , on a I = π−1(0) ⊆ π−1(J) = I ′, ainsi I ′ contientI. Or, puisque π est surjective, on a π(π−1(J)) = J . On a donc

ϕ(I ′) = π(π−1(J)) = J,

ce qui montre que ϕ est surjective.

Exemple 1.30. Reprenons A = Z comme dans l'exemple 1.27. Soit n un entier supérieur ouégal à 2 et I = nZ. En appliquant le théorème ci-dessus, on voit que les idéaux de Z/nZ sont enbijection avec les idéaux de Z contenant I. Soit J un tel idéal ; puisque Z est principal, il existem ≥ 2 tel que J = mZ. On a alors I ⊆ J si et seulement si m divise n. Les idéaux de A/I sontainsi en bijection avec les diviseurs de n.

Soient A,B des anneaux et f : A −→ B un homomorphisme d'anneaux. Alors ker(f)est un idéal bilatère de A, et l'homomorphisme f induit un isomorphisme

f : A/ ker(f) ∼= im(f)

dé�ni par f(a) = f(a) pour tout a ∈ A.

Théorème 1.31 (Premier théorème d'isomorphisme pour les anneaux).

Démonstration. On a déjà vu que ker(f) est un idéal bilatère de A. Par le premier théorèmed'isomorphisme pour les groupes, on sait déjà que f est un isomorphisme de groupes abéliensentre A/ ker(f) et im(f) (et en particulier que f est bien dé�nie). Il su�t alors de véri�er que fest un homomorphisme d'anneaux. Or pour tous a, b ∈ A, on a

f(a · b) = f(a · b) = f(a · b) = f(a) · f(b) = f(a) · f(b),

ce qui conclut.

Exercice 1.32 (Théorème chinois, forme générale). Soit A un anneau commutatif et soient I,J deux idéaux de A. On suppose que I + J = A. Montrer que

A/(I ∩ J) ∼= A/I ×A/J.

1.5 Idéaux premiers et maximaux

Dé�nition 1.33. Soit A un anneau commutatif et I ⊆ A un idéal.

1. On dit que I est un idéal premier si pour tous a, b ∈ A tels que ab ∈ I, on a a ∈ I ou b ∈ I.

Page 13: Algèbre approfondie L3 -

1.6. CORPS DES FRACTIONS D'UN ANNEAU INTÈGRE 13

2. On dit que I est un idéal maximal si I 6= A et si pour tout idéal J de A tel que I ( J , ona J = A.

Exemple 1.34. Les idéaux premiers de Z sont (0) et les pZ pour p premier. Les idéaux maximauxde Z sont les pZ pour p premier.

Soit A un anneau commutatif, I ⊆ A un idéal de A avec I 6= A.

1. L'idéal (0) est premier si et seulement si A est intègre.

2. Plus généralement, l'idéal I est premier si et seulement si A/I est intègre.

3. L'idéal I est maximal si et seulement si A/I est un corps.

4. Tout idéal maximal est premier.

Proposition 1.35.

Démonstration. Voir TD.

Exercice 1.36. Déterminer les idéaux maximaux et premiers de Z/nZ, pour n ≥ 2.

1.6 Corps des fractions d'un anneau intègre

Soit A un anneau intègre. On dé�nit une relation d'équivalence sur l'ensemble A× (A\{0A})par :

(a, b) ∼ (c, d)⇔ ad = bc.

On désigne par ab la classe d'équivalence qui contient l'élément (a, b).

L'ensemble des classes d'équivalence pour la relation ∼ est un corps noté Frac(A) etappelé corps des fractions de A pour les lois suivantes :

a

b+c

d=ad+ bc

bdet

a

b· cd

=ac

bd.

De plus, l'applicationi : A −→ Frac(A)

a 7−→ a1A

est un morphisme injectif d'anneaux. On peut donc voir A comme un sous-anneau deFrac(A).

Proposition 1.37.

Démonstration. Montrons d'abord que les lois sont bien dé�nies, i.e., indépendantes des repré-sentants choisis. Soient a, b, c, d ∈ A et a′, b′, c′, d′ ∈ A tels que a

b = a′

b′ etcd = c′

d′ . Montrons queab + c

d = a′

b′ + c′

d′ . On a

a

b+c

d=ad+ bc

bda′

b′+c′

d′=a′d′ + b′c′

b′d′,

Page 14: Algèbre approfondie L3 -

14 CHAPITRE 1. ANNEAUX ET IDÉAUX

il faut donc montrer que ad+bcbd = a′d′+b′c′

b′d′ , i.e., que (ad+bc)(b′d′) = (a′d′+b′c′)(bd). Cette égalitéest bien véri�ée puisque ab′ = a′b et cd′ = c′d. De même on véri�e que la loi · est bien dé�nie.

On véri�e alors que ces lois munissent Frac(A) d'une structure d'anneau, et que

0Frac(A) =0A1A

, 1Frac(A) =1A1A

, −ab

=−ab

=a

−bpour a ∈ A, b ∈ A\{0},(a

b

)−1=b

apour a, b ∈ A\{0A},

ce qui établit que Frac(A) est un corps.L'application i est un morphisme d'anneaux car i(1A) = 1A

1A= 1Frac(A),

i(a+ a′) =a+ a′

1A=

a

1A+a′

1A= i(a) + i(a′)

pour tous a, a′ ∈ A et on véri�e de même que i(aa′) = i(a)i(a′) pour tous a, a′ ∈ A. Ce morphismeest injectif puisque

a

1A=

a′

1A⇔ a1A = 1Aa

′ ⇔ a = a′.

On rappelle que tout morphisme de corps est injectif.

Soit A un anneau intègre, K un corps et α : A→ K un morphisme d'anneaux injectif.Alors il existe un unique morphisme de corps (nécessairement injectif) ϕ : Frac(A)→ Ktel que α = ϕ ◦ i.

Ai //

α''

Frac(A)

∃!ϕ��K

Théorème 1.38 (Propriété universelle du corps des fractions).

Démonstration. On dé�nit une application

ϕ : Frac(A) −→ Ka/b 7−→ α(a)α(b)−1.

L'application ϕ est bien dé�nie. Soit(ab ,

a′

b′

)∈ K2 tel que a

b = a′

b′ . On a ab′ = a′b dans A.

Ainsi

α(a)α(b′) = α(a′)α(b) (car α est un morphisme)

α(a)α(b)−1 = α(a′)α(b′)−1 (dans K)

ϕ(ab

)= ϕ

(a′

b′

).

Page 15: Algèbre approfondie L3 -

1.6. CORPS DES FRACTIONS D'UN ANNEAU INTÈGRE 15

L'application ϕ est un morphisme. On a ϕ(1Frac(A)) = 1K1−1K = 1K. Soient a, b, c, d ∈ A telsque b, d 6= 0. On a

ϕ(ab

+c

d

)= ϕ

(ad+ bc

bd

)= α(ad+ bc)α(bc)−1

=(α(a)α(d) + α(b)α(c)

)α(b)−1α(d)−1

= α(a)α(b)−1 + α(c)α(d)−1

= ϕ(ab

)+ ϕ

( cd

).

On véri�e également que ϕ(ab ·

cd

)= ϕ

(ab

)· ϕ(cd

).

Le morphisme ϕ est injectif. Tout morphisme de corps étant injectif, on en déduit que ϕ estinjectif. Alternativement, on peut le véri�er facilement directement : si ϕ

(ab

)= ϕ

(cd

), on obtient

α(a)α(b)−1 = α(c)α(d)−1. Ainsi on a

α(a)α(d) = α(c)α(b)

α(ad) = α(cb)

ad = bc (car α est injectif)a

b=c

d.

Exemple 1.39. On a Frac(Z) = Q par construction.

Exemple 1.40. Si K est un corps, alors en appliquant la propriété universelle avec le morphismeidentité α = id : K −→ K, on obtient un homomorphisme injectif de corps ϕ : Frac(K) −→ K. Or,puisque ϕ◦i = id, l'application ϕ est surjective. C'est donc un isomorphisme et on a Frac(K) ∼= K.

Exercice 1.41. Soit A un anneau intègre. Si K est un corps contenant A, alors K contient unecopie de Frac(A).

Exercice 1.42. Montrer que le corps des fractions de Z[i] est isomorphe à Q[i] = {a+ bi | a, b ∈Q}. On commencera par montrer que Q(i) est bien un corps.

Page 16: Algèbre approfondie L3 -

16 CHAPITRE 1. ANNEAUX ET IDÉAUX

Page 17: Algèbre approfondie L3 -

Chapitre 2

Anneaux de polynômes

2.1 Dé�nitions et premières propriétés

Dé�nition 2.1. SoitA un anneau commutatif unitaire. On appelle polynôme en une indéterminéeet à coe�cients dans A toute suite P = (an)n∈N d'éléments de A tous nul à partir d'un certainrang.

Les polynômes sont munis des opérations d'addition, de multiplication et de multliplicationpar un élément λ ∈ A, dé�nis comme suit : soient P = (an)n∈N, Q = (bn)n∈N deux polynômesen une indéterminée et à coe�cients dans A. On a alors :

• P +Q := (an + bn)n∈N,

• PQ := (cn)n∈N, où cn :=∑

0≤k≤n akbn−k,

• λP := (λan)n∈N.

On véri�e que le produit de deux polynômes est bien un polynôme, c'est-à-dire, que les termesde la suite (cn)n∈N sont tous nuls à partir d'un certain rang (exercice !).

Pour un entier i ≥ 0, on pose

Xi = (0, . . . , 0, 1, 0 . . .),

où le 1 est situé à la (i+ 1)ième place. On véri�e alors que pour tous i, j ≥ 0, on a

Xi ·Xj = Xi+j .

Ceci justi�e la notation X := X1, puisqu'on a alors (X1)i = Xi.On peut donc écrire tout polynôme P = (an)n∈N sous la forme

P =∑i∈N

aiXi = (a0, a1, . . . , an, 0, . . .).

Les polynômes constants sont ceux de la forme P = (a, 0, . . .) ; dans ce cas, on note simplementP = a.Le degré de P , noté deg(P ), est le plus grand entier n tel que an 6= 0. Par convention deg(0) =−∞. On véri�e alors :

17

Page 18: Algèbre approfondie L3 -

18 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

Lemme 2.2. L'ensemble des polynômes à une indéterminée à coe�cients dans A muni de l'ad-

dition et de la multiplication dé�nies ci-dessus est un anneau commutatif. L'élément neutre pour

l'addition est donné par 0 = (0, 0, . . .). L'élément neutre pour la multiplication est donné par

1 = (1, 0, . . .) = X0.

Démonstration. Exercice.

On note A[X] l'anneau des polynômes en une indéterminée et à coe�cients dans A. On vé-ri�era que l'ensemble des polynômes constants est un sous-anneau de A[X] isomorphe à A.

Dé�nition 2.3. Un polynôme P est dit unitaire s'il est non nul et si son coe�cient dominant,c'est-à-dire le coe�cient du terme de plus haut degré, est égal à 1.

Si A est intègre, alors pour tous P,Q ∈ A[X], on a

deg(PQ) = deg(P ) + deg(Q).

En particulier, si A est intègre, alors A[X] est intègre.

Proposition 2.4.

Démonstration. Si l'un des deux polynômes est nul, alors PQ = 0 et l'égalité devient −∞ = −∞ce qui est vrai. On suppose donc que P et Q sont non nuls. Notons n = deg(P ) et m = deg(Q).On pose P =

∑ni=0 aiX

i et Q =∑m

i=0 biXi, où ai, bi ∈ A. Alors le coe�cient du terme dominant

de PQ est égal à an · bm. Or, puisque an 6= 0, bm 6= 0, et A est intègre, on a nécessairementan · bm 6= 0. On a donc deg(PQ) = n+m.

On note A× l'ensemble des éléments inversibles de A.

Si A est intègre, alors les éléments inversibles de A[X] sont les polynômes de la formeP = a où a ∈ A×.

Proposition 2.5.

Démonstration. Soit P inversible dans A[X]. Il existe Q ∈ A[X] tel que PQ = 1. On a alorsdeg(P ) + deg(Q) = 0, ce qui force deg(P ) = deg(Q) = 0. Ainsi P et Q sont des constantes etpuisque PQ = 1, ces constantes sont inversibles.

2.2 Arithmétique des polynômes

2.2.1 Polynômes associés

Dé�nition 2.6. Deux polynômes P et Q de A[X] sont dits associés s'il existe a ∈ A× tel queP = aQ.

Exemple 2.7. L'ensembles des polynômes associés à X2 + 1 dans Z[X] est

{X2 + 1,−(X2 + 1)}

puisque les seuls éléments inversibles de Z sont 1 et −1.

Page 19: Algèbre approfondie L3 -

2.2. ARITHMÉTIQUE DES POLYNÔMES 19

La notion de polynômes associés dépend évidemment de l'anneau A. Ainsi, dans Z[X], lespolynômes 2X + 2 et X + 1 ne sont pas associés (car 2 /∈ Z× = {−1, 1}), mais ils sont associésdans Q[X].

1. La relation � être associé à � est une relation d'équivalence sur A[X].

2. Si P et Q sont associés et ont le même coe�cient dominant, alors P = Q.

3. Si A est un corps, alors tout polynôme P ∈ A[X] est associé à un unique polynômeunitaire.

Proposition 2.8.

Démonstration. Voir TD.

2.2.2 Division

Dé�nition 2.9. Soient P,Q ∈ A[X]. On dit que P divise Q et on note P | Q s'il existe R ∈ A[X]tel que Q = PR.

Exemple 2.10. 1. Dans Z[X], le polynôme X − 1 divise Xn − 1 pour tout n ≥ 1. En e�et,on a

Xn − 1 = (X − 1)(Xn−1 +Xn−2 + · · ·+X + 1).

2. Soient A = X3 +X + 1 et B = X + 1 dans Z[X]. On verra plus tard que B ne divise pasA.

Soit A un anneau intègre et soient P,Q,R, S ∈ A[X].

1. Si P | Q, et Q | R, alors P | R.2. Si P | Q, et P | R, alors P | (Q+R).

3. Si P | Q, et Q 6= 0, alors deg(P ) ≤ deg(Q).

4. Si P | Q, et R | S, alors PR | QS.5. Si P | Q, alors Pn | Qn, pour tout n ≥ 1.

Proposition 2.11.

Démonstration. Laissée en exercice.

Soient P,Q,R, S ∈ A[X].

1. Si P | Q et Q | P , alors P et Q sont associés.

2. Si P est associé à R et Q est associé à S, alors P | Q⇐⇒ R | S.

Proposition 2.12.

Démonstration. Voir TD.

Page 20: Algèbre approfondie L3 -

20 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

2.2.3 Division euclidienne de polynômes

Soient A,B ∈ K[X] deux polynômes à coe�cients dans un corps K, avec B 6= 0. Alorsil existe un unique couple (Q,R) ∈ K[X]2 tel que A = BQ+R et deg(R) < deg(B).

Théorème 2.13 (Division euclidienne de polynômes).

Démonstration. Montrons que s'il existe, le couple (Q,R) est unique. Supposons donc qu'il existeQ1, R1, Q2, R2 ∈ K[X] tels que

A = BQ1 +R1, A = BQ2 +R2 et deg(R1),deg(R2) < degB.

On a alors B · (Q1 − Q2) = R2 − R1. Cette égalité n'est possible que si Q1 − Q2 = 0 puisquedeg(R2 −R1) < deg(B). On a donc Q1 = Q2 et R1 = R2. Ainsi le couple (Q,R) est unique.

Démontrons l'existence du couple (Q,R). Pour ce faire, on �xe le polynôme B 6= 0, on posem = deg(B) ≥ 0 et on note (Hn) la propriété

Pour tout A ∈ K[X] tel que deg(A) ≤ n− 1, il existe un couple (Q,R) ∈ K[X]2 tel queA = BQ+R

On procède par récurrence sur n. Pour l'initialisation, on remarque que la propriété Hn est vraiepour tout n ≤ m puisque dans ce cas, le degré de B est strictement supérieur au degré de A,et Q = 0, R = A conviennent. Soit donc n ≥ m. On suppose que (Hn) est vraie et on souhaitemontrer que (Hn+1) l'est également. Autrement dit, il faut montrer que pour tout polynôme Ade degré n (si deg(A) < n, on a l'existence par hypothèse de récurrence), il existe un couple(Q,R) ∈ K[X]2 tel que A = BQ+R et deg(R) < deg(B). Notons

A = anXn + an−1X

n−1 + . . .+ a0 et B = bmXm + bm−1X

m−1 + . . .+ b0.

Posons T (X) =anbmXn−m, ce qui est possible puisque bm 6= 0 (car le polynôme B est non nul)

et n ≥ m. Ainsi T est un polynôme de degré n−m. Par conséquent, le polynôme A− TB a undegré inférieur ou égal à n. De plus, son terme de degré n vaut :

an −anbmbm = 0.

Il s'ensuit que deg(A−TB) < n. On peut donc appliquer l'hypothèse de récurrence à ce polynômeet on obtient :

A− TB = BQ0 +R avec deg(R) < deg(B) d'où A = B(Q0 + T ) +R.

En posant Q = Q0 + T , on obtient le résultat au rang n, ce qui conclut.

Exemple 2.14. Soit A = X3 + X + 1 et B = X + 1. Par division euclidienne on trouveA = B · (X2 −X + 2)− 1.

On rappelle qu'un sous-ensemble I d'un anneau commutatif A est un idéal si les deux condi-tions suivantes sont véri�ées :

1. (I,+) est un sous-groupe de (A,+)

Page 21: Algèbre approfondie L3 -

2.2. ARITHMÉTIQUE DES POLYNÔMES 21

2. Pour tout a ∈ A, on a aI ⊂ I. En d'autres termes ∀a ∈ A,∀x ∈ I, ax ∈ I.

Exemple 2.15. Soit A = K[X]. Soit

K[X]+ = {P = (an)n∈N ∈ K[X] | a0 = 0}

le sous-ensemble formé des polynômes sans terme constant. Alors K[X]+ est un idéal. Le po-lynôme nul appartient bien à K[X]+ et si P,Q ∈ K[X]+ avec P = (an)n∈N, Q = (bn)n∈N oùa0 = b0 = 0, alors P −Q = (an − bn)n∈N a pour terme constant a0 − b0 = 0, donc − ∈ K[X]+.Ceci montre que K[X]+, muni de l'addition, est un sous-groupe de (A,+). Si R = (cn)n∈N estun polynôme quelconque de K[X], alors par dé�nition de la multiplication de polynômes, on aPR = (dn)n∈N où dn =

∑0≤k≤n akcn−k, d'où l'on tire que d0 = a0c0 = 0, puisque a0 = 0. Ceci

montre que pour tout R ∈ K[X], on a RK[X]+ ⊆ K[X]+. On a montré que K[X]+ est un idéal.

L'anneau K[X] est principal.

Théorème 2.16.

Démonstration. Soit I ⊆ K[X] un idéal contenant au moins un polynôme non nul. On veutmontrer que I est principal, i.e., qu'il existe un polynôme P tel que I soit exactement l'ensembledes multiples de P . Soit

D = {deg(S) | S ∈ I, S 6= 0}.

Il s'agit d'une partie non vide de N ; elle admet donc un minimum n. Soit P un polynôme dedegré n dans I. Comme I est un idéal, tous les multiples de P sont dans I. Réciproquement,nous voulons montrer que tous les éléments de I sont des multiples de P . Soit donc A ∈ I. Onsait qu'il existe Q,R tels que A = PQ+R avec deg(R) < n. Or −PQ ∈ I donc R = A−PQ ∈ I.Comme deg(R) < n donc, on a R = 0 par dé�nition de n, ce qui donne A = PQ. Ainsi, A estbien un multiple de P .

Remarque 2.17. Il est possible de montrer que pour tout idéal I de K[X], il existe un unique

polynôme unitaire P qui engendre I (voir TD).

Exemple 2.18. Reprenons l'idéal K[X]+ de l'Exemple 2.15. On prétend que K[X]+ = (X). Ene�et, si P =

∑ni=0 aiX

i avec a0 = 0, alors

P = anXn + · · ·+ a2X

2 + a1X = anXn + · · ·+ a2X

2 + a1X

= (anXn−1 + · · ·+ a2X + a1)X = (X),

ce qui montre que que K[X]+ ⊆ (X).Réciproquement, si P ∈ (X), il existe Q ∈ K[X] tel que P = XQ. En notant Q =

∑ni=0 aiX

i,on obtient P = anX

n+1 + · · · + a1X2 + a0X et on a bien P ∈ K[X]+. Ceci montre que (X) ⊆

K[X]+.

2.2.4 Polynômes irréductibles

On suppose que A est un anneau intègre. On rappelle que les polynômes inversibles de A[X]sont les polynômes de la forme P = a où a ∈ A×. Ainsi, comme tous les éléments non nuls d'uncorps sont inversibles, les polynômes inversibles de K[X] sont les polynômes constants non nuls.

Page 22: Algèbre approfondie L3 -

22 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

Dé�nition 2.19. Un polynôme non nul P ∈ A[X] est dit irréductible s'il n'est pas inversible etsi pour tous Q,R ∈ A[X], l'égalité P = QR implique que Q est inversible ou R est inversible.

On dira qu'un polynôme non nul P ∈ K[X] est réductible s'il n'est pas inversible et pasirréductible.

Exemple 2.20. 1. Le polynôme P (X) = 3 est inversible dans Q[X]. Il n'est donc pas irré-ductible. En revanche, il est irréductible dans Z[X].

2. Le polynôme P (X) = X2 + 1 est irréductible dans R[X] mais il est réductible dans C[X]puisque X2 + 1 = (X − i)(X + i).

La notion d'irréductibilité dépend donc de l'anneau A !

1. Les polynômes non nuls réductibles de K[X] sont de degré supérieur ou égal à 2.

2. Tous les polynômes de degré 1 sont irréductibles.

Proposition 2.21.

Démonstration. 1. Si nous avons P = QR avec P non nul et Q et R non inversibles, alorsdeg(Q) ≥ 1 et deg(R) ≥ 1. Par conséquent, nous avons deg(P ) = deg(Q) + deg(R) ≥ 2.2. Soit P avec deg(P ) = 1 et supposons que P = QR. Alors 1 = deg(P ) = deg(Q) + deg(R), cequi implique que deg(Q) = 0 ou deg(R) = 0, et donc que Q est inversible ou R est inversible.Ainsi P est irréductible.

2.2.5 Plus grand diviseur commun

Dé�nition 2.22. Soient P1, . . . , Pn ∈ K[X]. Puisque K[X] est principal, l'idéal

(P1) + . . .+ (Pn) := {A1P1 +A2P2 + . . .+AnPn | A1, . . . , An ∈ K[X]}

est engendré par un unique polynôme unitaire P . Ce polynôme s'appelle le pgcd des Pi et on noteP = pgcd(P1, . . . , Pn).

Propriétés du pgcd. Soient P,Q ∈ K[X]. Alors

1. Le polynôme pgcd(P,Q) est un diviseur commun de P et de Q.

2. Si D est un autre diviseur commun de P et Q, alors D divise pgcd(P,Q).

3. Il existe un couple de polynômes (U, V ) ∈ K[X]2, tel que PU +QV = pgcd(P,Q).

Démonstration. L'idéal I = (P ) + (Q) est égal à l'ensemble des multiples de pgcd(P,Q). OrP ∈ I et Q ∈ I, donc pgcd(P,Q) est un diviseur de P et de Q.

Si D est un diviseur de P et de Q, alors tout polynôme de la forme PU +QV est un multiplede D donc pgcd(P,Q), qui est de la forme PU +QV puisqu'il est dans I, est un multiple de D.

Le troisième point est clair par dé�nition du pgcd puisque pgcd(P,Q) ∈ I = (P ) + (Q).

Dé�nition 2.23. Soient P,Q ∈ K[X]. On dit que P et Q sont premiers entre eux si pgcd(P,Q) =1.

Page 23: Algèbre approfondie L3 -

2.2. ARITHMÉTIQUE DES POLYNÔMES 23

En d'autres termes, si pgcd(P,Q) = 1, alors seules les constantes non nulles divisent à la foisP et Q.

Si P 6= Q sont deux polynômes unitaires irréductibles de K[X], alors P et Q sontpremiers entre eux.

Proposition 2.24.

Démonstration. Supposons par l'absurde qu'il y a un diviseur commun D non constant de cesdeux polynômes. En divisant au besoin par le coe�cient dominant de D, on peut supposer Dunitaire. Il existe alors deux polynômes R et S dans K[X] tels que P = DR et Q = DS. CommeP et Q sont irréductibles et D n'est pas constant, les polynômes R et S sont forcément constants.Comme P , Q et D sont unitaires, on obtient R = S = 1 et donc P = Q = D. Ceci contreditl'hypothèse.

Exemple 2.25. Soient λ 6= µ ∈ K. Les polynômes (X − λ) et (X − µ) sont premiers entre eux.

Algorithme d'Euclide pour trouver le pgcd.

Soient A,B ∈ K[X] tels que B 6= 0 et deg(B) ≤ deg(A). On calcule les divisions euclidiennessuccessives :

A = B ·Q1 +R1 où deg(R1) < deg(B)B = R1 ·Q2 +R2 où deg(R2) < deg(R1)R1 = R2 ·Q3 +R3 où deg(R3) < deg(R2)...Rk−2 = Rk−1 ·Qk +Rk où deg(Rk) < deg(Rk−1)Rk−1 = Rk ·Qk+1 +0

Le degré du reste diminue à chaque division et l'on s'arrête lorsque le reste est nul. Le pgcd estalors le dernier reste non nul Rk (rendu unitaire). On se convainc en e�et aisément que Rk diviseA et B, et que si D divise A et B, alors il divise tous les Ri (et donc en particulier Rk).

En remontant les lignes de calculs, on peut déterminer U et V tels que pgcd(A,B) = AU+BV .

Exemple 2.26. 1. Calculons le pgcd de A = X4 − 1 et B = X3 − 1. On a

X4 − 1 = (X3 − 1) ·X +X − 1X3 − 1 = (X − 1) · (X2 +X + 1) + 0

et donc pgcd(A,B) = X − 1. De plus, on a

X − 1 = (X4 − 1) · 1 + (X3 − 1) · (−X).

Ainsi, si on pose U = 1 et V = −X, on a

pgcd(A,B) = AU +BV.

2. Calculons le pgcd de A = 6X4 + 8X3 − 7X2 − 5X − 2 et B = 6X3 − 4X2 −X − 1. On a

6X4 + 8X3 − 7X2 − 5X − 2 = (X + 2) · (6X3 − 4X2 −X − 1) + 2X2 − 2X6X3 − 4X2 −X − 1 = (3X + 1) · (2X2 − 2X) +X − 1

2X2 − 2X = 2X · (X − 1) + 0

Page 24: Algèbre approfondie L3 -

24 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

et donc pgcd(A,B) = X−1. On part ensuite du pgcd et on remonte les lignes pour trouver :

X − 1 = (6X3 − 4X2 −X − 1)− (3X + 1) · (2X2 − 2X)

= (6X3 − 4X2 −X − 1)− (3X + 1)

·[(6X4 + 8X3 − 7X2 − 5X − 2)− (X + 2) · (6X3 − 4X2 −X − 1)

]= −(3X + 1) · (6X4 + 8X3 − 7X2 − 5X − 2) + (3X2 + 7X + 3) · (6X3 − 4X2 −X − 1).

Ainsi, en posant U = −3X − 1 et V = 3X2 + 7X + 3, on a pgcd(A,B) = AU +BV .

Soient A,B ∈ K[X]2 tels que A 6= 0 ou B 6= 0. Alors A et B sont premiers entre eux siet seulement s'il existe U, V ∈ K[X] tels que AU +BV = 1.

Théorème 2.27 (Théorème de Bézout).

Démonstration. Tout diviseur commun de A et B divise AU +BV = 1. Donc pgcd(A,B) = 1.Réciproquement, supposons que pgcd(A,B) = 1. Comme pgcd(A,B) engendre l'idéal (A) + (B),on a 1 ∈ (A) + (B). Il existe donc U, V ∈ K[X] tels que AU +BV = 1.

Le théorème de Bézout implique les trois résultats importants suivants. La preuve sera faiteen TD.

Soient A,B,C ∈ K[X] trois polynômes non nuls :

1. Lemme de Gauss : Si A | BC et si pgcd(A,B) = 1, alors A | C.2. Lemme d'Euclide : Si A est irréductible et si A | BC, alors A divise B ou A

divise C.

3. A est premier avec BC si et seulement si A est premier avec B et A est premieravec C.

Proposition 2.28.

Remarque 2.29. En utilisant le point 3) de la Proposition 2.28 ci-dessus, on montre que Aet B sont premiers entre eux si et seulement si An et Bm sont premiers entre-eux pour tousn,m ≥ 1. En particulier, en utilisant l'Exemple 2.25, si λ 6= µ ∈ K, alors les polynômes (X −λ)n

et (X − µ)m sont premiers entre eux pour tous n,m ≥ 1.

2.2.6 Factorisation de polynômes

Soit P ∈ K[X] un polynôme non nul. Alors P se décompose de manière unique (àl'ordre des facteurs près) sous la forme

P = αPα11 Pα2

2 · · ·Pαmm

où αi ∈ Z≥1 et les Pi sont des polynômes distincts, unitaires et irréductibles dans K[X]et α ∈ K∗ est le coe�cient dominant de P .

Théorème 2.30.

Page 25: Algèbre approfondie L3 -

2.2. ARITHMÉTIQUE DES POLYNÔMES 25

Démonstration. On peut supposer sans perte de généralité que P est unitaire. On cherche alorsà décomposer P sous la forme P = Pα1

1 Pα22 · · ·Pαmm .

Existence de la décomposition.

On raisonne par récurrence sur d = deg(P ). Si d = 0, alors P est un polynôme constant nonnul α ∈ K∗, et le résultat est clair.

On suppose le résultat vrai pour tout polynôme de degré ≤ d. Soit P un polynôme de degréd+1. Soit P est irréductible, auquel cas le résultat est clair ; soit P est réductible et il existe alorsdeux polynômes unitaires Q et R non constants tels que P = QR. Comme Q et R sont de degré≥ 1, on a 1 ≤ deg(Q),deg(R) ≤ d. L'hypothèse de récurrence s'applique donc à Q et à R. Il existealors des polynômes unitaires irréductibles P1, . . . , Pr et Pr+1, . . . , Pm tels que Q = P1 · · ·Pr etR = Pr+1 · · ·Pm. On a alors P = P1 · · ·Pr et on obtient le résultat en regroupant les Pi qui sontégaux (et en les renommant éventuellement).

Unicité de la décomposition.

On suppose que P = Pα11 Pα2

2 · · ·Pαmm = Qβ11 Qβ22 · · ·Q

βkk où les Pi (respectivement les Qi)

sont des polynômes distincts, unitaires et irréductibles dans K[X].

Soit i ∈ {1, . . . ,m}. Puisque Pi | Qβ11 Qβ22 · · ·Q

βkk et Pi est irréductible, on voit au moyen du

lemme d'Euclide que Pi | Qj pour un certain j ∈ {1, . . . , k}. Comme Pi et Qj sont irréductibleset unitaires, on a alors Pi = Qj . Ceci permet de dé�nir une application de {1, . . . ,m} dans{1, . . . , k} telle que Pi = Qj . De plus, comme les Qi sont distincts, cette application est injective.Par symétrie, on peut construire une application injective de {1, . . . , k} dans {1, . . . ,m}, ce quimontre que k = m et

{P1, . . . , Pm} = {Q1, . . . , Qm}.

Quitte à réordonner les facteurs, on supposera que Pi = Qi pour tout 1 ≤ i ≤ m, et doncP = Pα1

1 Pα22 · · ·Pαmm = P β11 P β22 · · ·P

βmm . Pour tout i 6= j on a pgcd(Pαii , Q

βjj ) = 1, ainsi on

déduit du Lemme de Gauss que Pαii | Qβii et αi ≤ βi puisque Pi = Qi. De manière symétrique,

on montre que Qβii | Pαii et βi ≤ αi. Ainsi αi = βi pour tout 1 ≤ i ≤ n.

Exemple 2.31. On considère le polynôme P = X2 + 1. Alors P est à la fois dans R[X] et C[X].Toutefois, sa factorisation n'est pas la même dans ces deux anneaux :

1. P se factorise sous la forme (X − i) · (X + i) dans C[X]

2. P est irréductible dans R[X].

Soient P et Q deux polynômes non nuls. Quitte à autoriser les puissances nulles depolynômes irréductibles, on peut supposer que les Pi intervenant dans la décompositionde P en facteurs irréductibles sont les mêmes que ceux intervenant dans celle de Q.Soit donc P = aPα1

1 . . . Pαnn et Q = bP β11 . . . P βnn leurs décompositions en facteursirréductibles respectives, avec αi, βi ≥ 0 pour tout 1 ≤ i ≤ n et a, b ∈ K∗. Alors

P | Q⇐⇒ αi ≤ βi pour tout 1 ≤ i ≤ n.

Proposition 2.32.

Page 26: Algèbre approfondie L3 -

26 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

Démonstration. Si, pour chaque i, on a αi ≤ βi, alors il est clair que P divise Q.

Réciproquement, si P divise Q, alors il existe un polynôme R tel que Q = PR. Les polynômesqui divisent R divisent également Q donc par unicité la décomposition en facteurs irréductiblesde R ne fait apparaître que les polynômes P1, . . . , Pn ; on a donc

R = c P γ11 . . . P γnn

avec c une constante et γi ∈ N pour tout 1 ≤ i ≤ n. On a alors :

Q = PR = (ac)Pα1+γ11 . . . Pαn+γnn .

Par unicité de la décomposition en facteurs irréductibles, on obtient

ac = b et ∀1 ≤ i ≤ n, αi + γi = βi,

d'où l'on déduit que αi ≤ βi pour tout 1 ≤ i ≤ n.

Corollaire 2.33. Soient P,Q ∈ K[X] avec décomposition en facteurs irréductibles donnée par

P = aPα11 · · ·Pαnn et Q = bP β11 · · ·P

βnn , où αi, βi ≥ 0 pour tout 1 ≤ i ≤ n. Alors on a

pgcd(P,Q) = Pmin{α1,β1}1 · · ·Pmin{αn,βn}

n .

2.3 Fonctions polynomiales

Soit P ∈ K[X]. On désigne par fP la fonction polynomiale associée à P , c'est-à-dire, lafonction :

fP : K −→ Kx 7−→ P (x)

On veillera à ne pas confondre un polynôme P ∈ K[X] avec la fonction polynomiale correspon-dante ; la fonction polynomiale peut en e�et être nulle alors que le polynôme P ne l'est pas,comme le montre l'exemple ci-dessous.

Exemple 2.34. Soit A l'anneau Z/3Z. Alors A est un corps puisque 3 est premier. On peutaussi le véri�er directement : on a A\{0} = {1, 2} et 2 · 2 = 4 = 1, ainsi tout élément non nulde A est inversible. Soit P le polynôme dé�ni par P (X) = X(X2 − 1) ∈ A[X]. On a fP (x) = 0pour tout x ∈ A ; pourtant, P n'est pas égal au polynôme nul. En tant que polynôme c'est lasuite d'éléments de A dé�nie par (0, 2, 0, 1, 0, 0, . . .).

Il est clair que pour tous P,Q ∈ K[X] et tout λ ∈ K, on a

• fP+λQ = fP + λfQ,

• fPQ = fP fQ.

En d'autre termes, l'application P 7−→ fP est un morphisme d'anneaux.Lorsqu'il n'y aura pas d'ambiguité, on désignera la fonction polynomiale simplement par

x 7→ P (x), a�n d'alléger les notations.

Dé�nition 2.35. Soit P ∈ K[X]. On dit que x ∈ K est une racine de P si fP (x) = 0, i.e., siP (x) = 0.

Page 27: Algèbre approfondie L3 -

2.3. FONCTIONS POLYNOMIALES 27

Soit P ∈ K[X] et α ∈ K. Alors α est racine de P si et seulement si le polynôme X − αdivise P .

Proposition 2.36.

Démonstration. Par division euclidienne, il existe deux polynômes Q,R ∈ K[X] tels que

P = Q · (X − α) +R où degR < 1.

Ainsi R est une constante. En évaluant l'expression ci-dessus en α, on obtient P (α) = R(α) = R,d'où l'on déduit que

α est une racine de P⇐⇒ P (α) = 0⇐⇒ R = 0⇐⇒ (X − α) divise P.

Dé�nition 2.37. Soit P ∈ K[X] et soit α une racine de P . On dit que α est de multiplicité

k ≥ 1 si (X − α)k | P et (X − α)k+1 - P .

En d'autres termes, α est racine de multiplicité k de P si et seulement si P = (X − α)k ·Qet Q(α) 6= 0.

Exemple 2.38. Pour déterminer la multiplicité d'une racine, on peut donc e�ectuer des divisionseuclidiennes successives. Soit P = X5 − 2X4 + 2X3 − 3X2 + 3X − 1. On a P (1) = 0, ainsi 1 estracine de P . De plus, on véri�e que

P = (X − 1) ·Q1 avec Q1 = X4 −X3 +X2 − 2X + 1.

On a Q1(1) = 0, on peut donc poursuivre et on trouve

Q1 = (X − 1) ·Q2 avec Q2 = X3 +X − 1

et Q2(1) 6= 0. Ainsi, 1 est racine de multiplicité 2 de P .

Le résultat suivant est utile pour déterminer la multiplicité d'une racine dans R ou C.

Soit P ∈ K[X] avec K = R ou C. Les trois propositions suivantes sont équivalentes :1. α est racine de multiplicité k de P ,

2. P = (X − α)k ·Q et Q(α) 6= 0,

3. On a P (j)(α) = 0 pour tout j ∈ {0, . . . , k− 1}, et P (k)(α) 6= 0, où P (k) désigne ladérivée k-ème de P .

Proposition 2.39.

Démonstration. Voir TD.

Soient P ∈ K[X] et α1, . . . , αr ∈ K des racines deux à deux distinctes de P , de multi-plicités respectives k1, . . . , kr. Il existe Q ∈ K[X] tel que

P = (X − α1)k1(X − α2)

k2 · · · (X − αr)kr ·Q et Q(αi) 6= 0 pour tout i.

En particulier, P est de degré au moins k := k1 + . . .+ kr.

Théorème 2.40.

Page 28: Algèbre approfondie L3 -

28 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

Démonstration. Nous savons que P s'écrit sous la forme (X −α1)k1 ·Q1 où Q1(α1) 6= 0. Comme

(X −α2)k2 est premier avec (X −α1)

k1 (voir la Remarque 2.29) et divise P = (X −α1)k1 ·Q1, le

lemme de Gauss assure que (X−α2)k2 divise Q1. On peut donc factoriser également (X−α2)

k2 .En poursuivant, on parvient à écrire P sous la forme (X − α1)

k1 · · · (X − αp)kp ·Q, où Q est unpolynôme non nul puisque P est non nul et Q(αi) 6= 0 pour tout i. Dès lors, il est évident quen = deg(P ) = k + deg(Q) ≥ k.

Remarque 2.41. On déduit du théorème précédent qu'un polynôme de degré n a au plus nracines. Attention, le résultat précédent n'est pas vrai en général pour des polynômes sur unanneau arbitraire, comme le montre l'exemple ci-dessous.

Exemple 2.42. Soit A = Z/8Z et P = 4X. Alors P (2) = 0 = P (6).

Un polynôme non constant de C[X] possède au moins une racine. En particulier, lespolynômes irréductibles de C[X] sont exactement les polynômes de degré 1.

Théorème 2.43 (d'Alembert-Gauss).

Démonstration. Soit P =∑n

i=1 aiXi un polynôme à coe�cients complexes de degré n ≥ 1. On a

∀z ∈ C∗, |P (z)| = |n∑i=1

aizi| = |an||zn|

∣∣∣∣ a0anzn+ . . .+

an−1anz

+ 1

∣∣∣∣ .On en déduit que |P (z)| → +∞ lorsque |z| → +∞. Ainsi,

∃R > 0, (|z| > R =⇒ |P (z)| > |P (0)|) .

De plus, l'application z 7→ |P (z)| est une application continue sur C et l'ensemble K = {z ∈ C ||z| ≤ R} est un compact de C, ainsi cette application admet un minimum sur K :

∃z0 ∈ K,∀z ∈ K, |P (z)| ≥ |P (z0)|.

Puisque 0 ∈ K on a |P (0)| ≥ |P (z0)|. On a donc

∀z ∈ C, |P (z)| ≥ |P (z0)|.

Pour montrer que P s'annule en au moint un point de C, on procède par l'absurde. Supposonsque P ne s'annule jamais : on a donc

(?) ∀z ∈ C, |P (z)| ≥ |P (z0)| > 0.

Il existe (b0, . . . , bn) ∈ Cn+1 tel que

P (z0 + z) =

n∑i=0

bizi.

De plus b0 = P (z0) > 0 et bn 6= 0 puisque P est de degré n. Soit k = min{i ∈ {1, . . . , n} | bi 6= 0}et soit ω une racine kième de − b0

bk. On a alors pour tout t ∈ R

P (z0 + ωt) = b0 +n∑i=k

bi(ωt)i = b0

(1− tk + tkε(t)

)

Page 29: Algèbre approfondie L3 -

2.3. FONCTIONS POLYNOMIALES 29

où la fonction (complexe) ε(t) tend vers zéro lorsque t→ 0. Ainsi, on peut trouver α > 0 tel que|t| < α implique |ε(t)| < 1/2. Soit 0 < t < min{1, α}. On a alors

|P (z0 + ωt)| =∣∣∣b0 (1− tk + tkε(t)

)∣∣∣ ≤ |b0|(∣∣∣1− tk∣∣∣+ |tkε(t)|)< |b0|(1−

1

2tk) < |b0|

Cette dernière inégalité est en contradiction avec (?) puisque b0 = P (z0).

Corollaire 2.44. Les polynômes irréductibles non constants de R[X] sont ceux de degré 1 et ceux

de degré 2 dont le discriminant ∆ est strictement négatif.

Démonstration. Soit P un polynôme unitaire à coe�cients réels, de degré supérieur ou égal à 2.Pour tout α ∈ C, on a P (α) = P (α), et donc P (α) = 0⇔ P (α) = 0. Ainsi, les racines complexesnon réelles de P apparaissent par paires. On a donc un nombre pair de racines complexes nonréelles α1, α1, . . . , αk, αk. Soient β1, . . . , βr les racines réelles de P . Le polynôme P se factorisealors dans C sous la forme

P =

k∏i=1

(X − αi)(X − αi) ·r∏i=1

(X − βi).

On observe que (X − αi)(X − αi) = X2 − 2Re(αi)X + |αi|2 est un polynôme à coe�cients réelset à discriminant strictement négatif. On peut donc factoriser P sur R sous la forme

P =

k∏i=1

(X2 − 2Re(αi)X + |αi|2) ·r∏i=1

(X − βi).

Finalement, les polynômes de degré 2 dont le discriminant ∆ est strictement négatif sont irré-ductibles sur R puisqu'ils n'ont pas de racines réelles.

Attention : Pour démontrer qu'un polynôme P est irréductible dans R[X], il ne su�t pas dedémontrer qu'il ne possède aucune racine. Ainsi, justi�er qu'un polynôme est irréductible car ilne possède aucune racine est faux. En e�et, le polynôme P = (X2 + 1)2 ∈ R[X] ne possèdeaucune racine, mais est réductible. En revanche, on peut raisonner de la sorte si l'on sait que lepolynôme P est de degré 2 ou 3 : dans ce cas, s'il est réductible, il possède nécessairement unfacteur irréductible de degré 1, et donc une racine. Dans ce cas, il est nécessaire de préciser : "Lepolynôme P étant de degré 2 ou 3 et sans racine, il est irréductible".

Exercice 2.45. On considère le polynôme P = X4 + 1. Déterminer la factorisation de Q enirréductibles dans les anneaux Q[X], R[X] et C[X].

Page 30: Algèbre approfondie L3 -

30 CHAPITRE 2. ANNEAUX DE POLYNÔMES

Page 31: Algèbre approfondie L3 -

Chapitre 3

Corps et extensions de corps

3.1 Quotients d'anneaux de polynômes

Dans cette section, on s'intéresse plus spéci�quement aux quotients d'anneaux de polynômes.Puisque A = K[X] est principal (Théorème 2.16), pour tout idéal I de A, il existe P ∈ K[X] telque I = (P ).

Exemple 3.1. Soit A = K[X] et I un idéal de A. Comme rappelé ci-dessus, il existe doncP ∈ K[X] tel que I = (P ). Pour A,B ∈ K[X], on a alors

A ∼I B ⇔ A−B ∈ I ⇔ A−B ∈ (P ) ⇔ P divise (A−B).

Dans ce cas-là, plutôt que d'écrire A ∼I B, on note aussi A ≡ B (mod P ).

Soit P ∈ K[X] un polynôme de degré n ≥ 1. L'anneau quotient K[X]/(P ) peut êtremuni d'une structure de K-espace vectoriel en posant

∀λ ∈ K, λ ·R = λR.

De plus, la famille (1, X, . . . ,Xn−1) est une base de K[X]/(P ).

Théorème 3.2.

Démonstration. Commençons par véri�er que la multiplication par un scalaire est bien dé�nie ;il faut véri�er que la dé�nition λ ·R = λR ne dépend pas du représentant R choisi pour la classeR. Soient donc P1, P2 ∈ K[X] tels que P1 = P2. On a

P1 = P2 =⇒ P1 − P2 ∈ (P ) =⇒ λ(P1 − P2) ∈ (P ) =⇒ λP1 ≡ λP2 (mod P ) =⇒ λP1 = λP2.

À partir de là, le fait que K[X]/(P ) peut être muni d'une structure de K-espace vectoriel est unevéri�cation facile.

Montrons que la famille F = (1, X, . . . ,Xn−1) forme une K-base de K[X]/(P ) :� C'est une famille génératrice. Soit A ∈ K[X]. Il existe Q,R ∈ K[X] tels que A = PQ+R

et deg(R) < deg(P ). On a donc A = R ∈ Vect(1, X, . . . ,Xn−1). Ainsi F est une famillegénératrice.

31

Page 32: Algèbre approfondie L3 -

32 CHAPITRE 3. CORPS ET EXTENSIONS DE CORPS

� C'est une famille libre. Supposons que∑n−1

i=0 aiXi

= 0 avec ai ∈ K. Alors le polynômeA =

∑aiX

i véri�e A = 0 dans K[X]/(P ). En d'autres termes, P | A mais commedeg(A) < deg(P ), on en déduit que A = 0 dans K[X]. Ainsi ai = 0 pour tout i et F estune famille libre.

Exemple 3.3. Soit P = X3 + X + 1 ∈ R[X]. Tout élément de R[X]/(P ) peut s'écrire sous laforme

aX2 + bX + c1 où (a, b, c) ∈ R3.

Par exemple, la division euclidienne de X5 + 2X2 − 1 par P donne

X5 + 2X2 − 1 = (X2 − 1) · P + (X +X2)

On a donc l'égalité X5 + 2X2 − 1 = X2+X dans R[X]/(P ). Pour la multiplication et l'addition,on procède aussi modulo P ; on véri�era par exemple que

X5 ·X2 − 2 = 4X2 − 2X − 3.

Soit P ∈ K[X] un polynôme non constant. L'anneau K[X]/(P ) est un corps si etseulement si P est irréductible.

Théorème 3.4.

Démonstration. On sait par la Proposition 1.35 que pour un anneau commutatif A et I ( A unidéal, l'anneau quotient A/I est un corps si et seulement si I est maximal.

Or, on verra en TD que si A = K[X] et I est non nul, alors I est maximal si et seulement siI est premier, si et seulement si I = (P ) avec P ∈ K[X] irréductible.

Exemple 3.5. On considère le polynôme P = X2 + 1 ∈ R[X]. Nous avons vu que P estirréductible. Ainsi l'algèbre (anneau+R-espace vectoriel) R[X]/(X2 + 1) est un corps. La famille(1, X) forme une base de R[X]/(X2 +1), i.e. tout élément de R[X]/(X2 +1) s'écrit sous la forme

a1+bX avec a, b ∈ K. D'autre part, on a X2= −1 puisque X2 + 1 = 0. La règle de multiplication

est donc :

(a1 + bX)(c1 + dX) = ac1 + adX + bcX + bdX2

= (ac− bd)1 + (ad+ bc)X

Si on pose X = i et si on écrit a1 = a par abus de notation, la relation ci-dessus devient :

(a+ ib)(c+ id) = ac− bd+ i(bc+ ad).

On a construit C. On a donc

• Dans C, l'élément i est racine du polynôme X2 + 1 ;

• Dans R[X]/(X2 + 1), l'élément X est racine du polynôme 1X2 + 1.

Exemple 3.6. Construction d'un corps à 9 éléments. Dans cet exemple, on va travailler sur lecorps �ni F3. On voit que le polynôme P = X2 + 1 est irréductible sur F3 puisque qu'il est dedegré 2 et n'a pas de racine dans F3. D'après le théorème précédent, l'anneau F3[X]/(P ) est doncun corps. D'apres le Théorème 3.2, la famille (1, X) est une base F3[X]/(P ) en tant qu'espace

Page 33: Algèbre approfondie L3 -

3.2. EXTENSIONS DE CORPS 33

vectoriel sur F3. Ainsi F3[X]/(P ) contient 9 éléments de la forme a01 + a1X, avec a0, a1 ∈ F3.Pour simpli�er les notations, on écrira simplement a01 + a1X = a0 + a1X. Dans ce corps, on a

X ·X = X2 = −1 = 2

puisque P = X2 + 1. Ainsi, on a par exemple

(1 + 2X)(2 + X) = 2 + X + X − 2 = 2X.

Remarque 3.7. Le fait que P soit irréductible dans F3 parce qu'il n'a pas de racine est vrai carP est de degré deux ! Par exemple le polynôme (X2− 2)2 n'a pas de racine dans F3 mais il n'estpas pour autant irréductible.

3.2 Extensions de corps

Dé�nition 3.8. Soient K et L deux corps tels que K ⊂ L. On dit que L est une extension de Ket que K est un sous-corps de L.

Remarque 3.9. Si K est un sous-corps de L alors L est un K-espace vectoriel. Si dimK(L) est�nie, alors dimK(L) s'appelle le degré de L sur K.

Exemple 3.10. Le corps C est une extension de R. De plus, (1, i) est une R-base de C, ainsidimRC = 2 et l'extension est donc de degré 2.

Soient K ⊂ L ⊂ M des corps. Soient (ei)i∈I une base de L sur K et (fj)j∈J une basede M sur L. Alors (eifj)(i,j)∈I×J est une base M sur K. En particulier, si les degrés desextensions sont �nis, on a dimKM = dimK L× dimLM.

Théorème 3.11 (de la base téléscopique).

Démonstration. Montrons que (eifj)i,j est une famille libre. Soient λi,j ∈ K tels que∑

i,j λi,jeifj =0. On a alors ∑

i,j

λi,jeifj =∑j

fj

(∑i

λi,jei

)= 0

et comme (fj)j est une base de M sur L et∑

i λi,jei ∈ L, on obtient∑

i λi,jei = 0 pour tout j.De même, cette dernière inégalité implique que λi,j = 0 pour tout i. Ainsi, (eifj)i,j forme bienune famille libre.

Montrons que (eifj)i,j est une famille génératrice. Soit x ∈M. On a x =∑µjfj avec µj ∈ L.

Puisque µj ∈ L et que (ei)i forme une base de L sur K, on a µj =∑

j λi,jei où λi,j ∈ K pourtout j. Finalement x =

∑i,j λi,jeifj .

Dé�nition 3.12. Soit K ⊂ L une extension de corps et soit α ∈ L\K. On désigne par

1. K[α] le sous-anneau de L engendré par K et α, i.e., le plus petit sous-anneau de L contenantK et α.

2. K(α) le plus petit sous-corps de L contenant α et K.

On véri�e que :

Page 34: Algèbre approfondie L3 -

34 CHAPITRE 3. CORPS ET EXTENSIONS DE CORPS

∗ si x ∈ K[α] alors x s'écrit sous la forme anαn + . . .+ a1α+ a0 avec ai ∈ K et n ∈ N.

∗ si x ∈ K(α) alors x s'écrit sous la formeP (α)

Q(α)avec P,Q ∈ K[X] et Q(α) 6= 0.

Attention, les notations sont trompeuses : comme on le verra rapidement, en général on n'apas K[α] ' K[X] !

Exemple 3.13. On considère l'extension Q ⊂ R. On sait que√

2 ∈ R\Q. Ainsi :

Q[√

2] ={P (√

2) | P ∈ Q[X])}

et Q(√

2) =

{P (√

2)

Q(√

2)| P,Q ∈ Q[X]

}.

Mais comme√

22

= 2, on voit que toute expression (�nie) de la forme∑

i a′i

√2ise réduit sous

la forme a0 + a1√

2 avec a0, a1 ∈ Q. Par exemple 1− 3√

2 +√

22 − (

√2)3 = 3− 5

√2. On a donc

Q[√

2] ={a0 + a1

√2 | a0, a1 ∈ Q

},

Q(√

2) =

{a0 + a1

√2

b0 + b1√

2| (a0, a1) ∈ Q2, (b0, b1) ∈ Q2\{(0, 0)}

}.

Mais on a aussi :

a0 + a1√

2

b0 + b1√

2=

(a0 + a1√

2) · (b0 − b1√

2)

b20 − 2b21=

(a0b0 − 2a1b1b20 − 2b21

)+

(−a0b1 + a1b0b20 − 2b21

)√2

et donc Q(√

2) ⊂ Q[√

2], c'est-à-dire Q(√

2) = Q[√

2].

Dé�nition 3.14. Soit K ⊂ L une extension de corps et soit α ∈ L.

1. On dit que α est algébrique sur K s'il existe un polynôme P ∈ K[X] non nul tel queP (α) = 0. Dans ce cas, on appelle polynôme minimal de α l'unique polynôme unitairegénérateur de l'idéal {P ∈ K[X] | P (α) = 0}.

2. On dit que α est transcendant si α n'est pas algébrique.

Il est facile de voir que le polynôme minimal de α est irréductible.

Exemple 3.15. 1. Le nombre réel√

2 est algébrique sur Q puisque c'est une racine de X2−2.

2. L'entier 5 est algébrique sur Q puisque c'est une racine de X − 5

3. Le nombre e n'est pas algébrique sur Q, mais la démonstration dépasse le cadre de ce cours.

On pose :εα : K[X] −→ L

P 7−→ P (α).

Alors εα est un morphisme d'anneaux. Son noyau est l'ensemble des polynômes P ∈ K[X] telsque P (α) = 0 : c'est l'idéal engendré par le polynôme minimal de α. Par dé�nition on a εα estinjectif si et seulement si α est transcendant.

Page 35: Algèbre approfondie L3 -

3.2. EXTENSIONS DE CORPS 35

Soit K ⊂ L une extension de corps et soit α ∈ L. Les propriétés suivantes sont équiva-lentes :

1. L'élément α est algébrique sur K,2. On a K[α] = K(α),

3. On a dimKK[α] < +∞Plus précisément, si P est le polynôme minimal de α sur K alors dimKK[α] = deg(P ).

Théorème 3.16.

Démonstration. Si α est algébrique, alors εα n'est pas injectif. On a ker(εα) = (Pα) où Pα estle polynôme minimal de α. On voit alors grâce au premier théorème d'isomorphisme pour lesanneaux que

εα : K[X]/(Pα) −→ K[α]

est un isomorphisme d'anneaux. De plus, comme P est irréductible, l'anneau quotient K[X]/(Pα)est un corps. Ainsi, puisque ε est un isomorphisme d'anneaux, l'anneau K[α] est également uncorps. Ainsi K[α] = K(α). De plus, dimK(K[α]) = deg(Pα) d'après le Théorème 3.2. On a doncmontré que (1)⇒ (2) et (1)⇒ (3).

Si α est transcendant alors εα est injectif. Dans ce cas, K[X] ' K[α], dimKK[α] = +∞ etK[α] 6= K(α) puisque K[X] n'est pas un corps. Ainsi (3)⇒ (1) et (2)⇒ (1).

Exemple 3.17. Soient K ⊆ L et α, β ∈ L algébriques sur K. Il se peut qu'en tant que sous-corpsde L, les corps K(α) = K[α] et K(β) = K[β] soient tels que K[α] 6= K[β], mais K[α] ∼= K[β]. Onverra par exemple en TD que si K = Q, L = C et α = 3

√2, β = ω 3

√2, où ω = e2iπ/3, alors ce

phénomène se produit.

Soit K ⊂ L une extension de corps. On pose

M := {x ∈ L | x est algébrique sur K}.

Alors M est un sous-corps de L.

Théorème 3.18.

Démonstration. Soient α, α′ ∈ M . Considérons le sous-anneau K[α, α′] de L engendré par α etα′ . On a K[α, α′] = K[α][α′]. Comme α est algébrique sur K, l'anneau K[α] est un corps, et doncα−1 ∈ K[α]. Comme α′ est algébrique sur K (et donc sur K[α]), l'anneau K[α][α′] est aussi uncorps. D'après le théorème de la base téléscopique on obtient dimK(K[α, α′]) < +∞. Mais K[α·α′]et K[α+ α′] sont inclus dans K[α, α′], on a donc dimKK[α+ α′] < +∞ et dimKK[α · α′] < +∞.Ainsi, M est un anneau où chaque élément est inversible. On en déduit que c'est un corps.

Exemple 3.19. On sait que√

2 et√

3 sont algébriques sur Q. D'après le théorème ci-dessus,√2 +√

3 est aussi algébrique sur Q. On cherche à déterminer son polynôme minimal. On a

(√

2 +√

3)2 = 5 + 2√

6 et(

(√

2 +√

3)2 − 5)2

= (2√

6)2 = 24.

Page 36: Algèbre approfondie L3 -

36 CHAPITRE 3. CORPS ET EXTENSIONS DE CORPS

Ceci montre en particulier que√

2 +√

3 est racine du polynôme P (X) = (X2 − 5)2 − 24, ce quiredémontre qu'il est algébrique sur Q. Factorisons P dans C[X]. On a

P (X) = (X2 − 5)2 − 24

=(X2 − 5− 2

√6)·(X2 − 5 + 2

√6)

=(X2 − (

√2 +√

3)2)·(X2 − (

√2−√

3)2)

=(X − (

√2 +√

3))·(X + (

√2 +√

3))·(X − (

√2−√

3))·(X + (

√2−√

3))

Ceci permet de voir que P ne possède aucune racine dans Q. S'il était réductible sur Q, il seraitdonc un produit de deux polynômes de degré 2 dans Q[X]. On véri�e par calcul immédiat queles produits de deux facteurs linéaires dans la décomposition ci-dessus ne donnent jamais unpolynôme de Q[X], ce qui permet de conclure que P est irréductible sur Q. Ainsi

√2 +√

3 estalgébrique sur Q, de degré 4.

Exercice 3.20. Soit K ⊆ L une extension de corps et soient α1, α2, . . . , αn des éléments de L quisont algébriques sur K. On désigne par K(α1, α2, . . . , αn) le plus petit sous-corps de L contenantK et α1, α2, . . . , αn. Montrer que K(α1, α2, . . . , αn) est une extension �nie de K.

Remarque 3.21. 1. Il n'est pas toujours évident de trouver le polynôme minimal de α+α′.Par exemple, il n'est pas du tout évident de trouver un polynôme à coe�cient dans Q quis'annule en 7

√5 + 3√

7 · 5√

3 mais les polynômes minimaux de 7√

5, 3√

7 et 5√

3 sont X7 − 5,X3 − 7 et X5 − 3 respectivement.

2. Soit Q := {x ∈ C | x est algébrique sur Q}. L'extension Q ⊂ Q n'est pas �nie. On peut ene�et montrer que le degré de n

√2 est n pour tout n ∈ N≥2.

Dé�nition 3.22. Une extension K ⊆ L est dite algébrique si tout élément de L est algébriquesur K.

Exemple 3.23. Toute extension de degré �ni est algébrique : si α ∈ L est transcendant, alorsdimKK(α) = ∞, et donc dimK L = ∞ puisque K ⊆ K(α) ⊆ L. La réciproque est fausse engénéral, comme le montre l'exemple de l'extension Q ⊆ Q.

Soit K un corps. Les propriétés suivantes sont équivalentes

1. Tout polynôme irréductible dans K[X] est de degré 1.

2. Tout polynôme non constant dans K[X] est scindé, i.e., produit de polynômes dedegré 1.

3. Tout polynôme non constant dans K[X] possède au moins une racine dans K.4. Si K ⊆ L est une extension algébrique, alors K = L.

Proposition 3.24.

Démonstration. Il est clair que 1 implique 2 et que 2 implique 3.

Montrons que 3 implique 1. Soit P (X) un polynôme irréductible de K[X]. Par 3, il existea ∈ K tel que P (a) = 0, ce qui implique queX−a divise P (X), et donc que P (X) = (X−a)·Q(X)

Page 37: Algèbre approfondie L3 -

3.3. SOUS-CORPS DE C 37

pour Q(X) ∈ K[X]. Or, l'irréductibilité force Q(X) à être inversible, i.e., on a Q(X) ∈ K∗. AinsiP (X) est degré 1.

Montrons que 1 implique 4. Soit donc L une extension algébrique de K et α ∈ L. Il s'agitde montrer que α ∈ K. On sait que le polynôme minimal Pα de α sur K est irréductible. On endéduit par 1 qu'il est de degré 1, et que Pα = X − α ∈ K[X], d'où l'on déduit que α ∈ K.

Montrons que 4 implique 1. Soit P ∈ K[X] un polynôme irréductible. Puisque P est irréduc-tible, l'anneau L = K[X]/(P ) est un corps, et puisque dimK L = deg(P ), on en déduit que cetteextension est algébrique (voir l'Exemple 3.23). Par 4, on en déduit que

1 = dimK L = deg(P ),

et donc que P est de degré 1.

Dé�nition 3.25. Si l'une des conditions équivalentes ci-dessus est satisfaite, on dit que K estalgébriquement clos.

Exemple 3.26. 1. Le corps C est algébriquement clos : par le Théorème de d'Alembert-Gauss(Théorème 2.43), on sait que la condition 3 de la Proposition ci-dessus est véri�ée.

2. Le corps R n'est pas algébriquement clos : le polynôme X2 + 1 est irréductible sur R, dedegré 2.

3. On verra dans la section suivante que Q est algébriquement clos.

3.3 Sous-corps de C

3.3.1 Construction de R

On va construire R à partir de Q. Soit

A := {(an)n≥1 | (an)n≥1 est une suite de Cauchy dans Q}.

Alors A est un anneau unitaire. Soit

I := {(an) ∈ A | (an) converge vers 0}.

Alors I est un idéal de A.

Dé�nition 3.27. L'anneau R des nombres réels est dé�ni par A/I.

L'anneau R est un corps.

Proposition 3.28.

Démonstration. Soit (an)n≥1 un élément de A/I. Pour démontrer la proposition, il faut trouverun inverse multiplicatif de cette suite dans A/I. Puisque (an) ne converge pas vers zéro mais estconvergente, il existe N ∈ N tel que pour tout n ≥ N , an 6= 0. On considère alors la suite

(bn)n≥1 :=

. . .︸︷︷︸arbitraire

,1

aN,

1

aN+1, . . .

,

Page 38: Algèbre approfondie L3 -

38 CHAPITRE 3. CORPS ET EXTENSIONS DE CORPS

où 1aN

est en position N . C'est une suite de Cauchy, donc un élément de A. La suite (anbn)n≥1est alors égale à 1 à partir du rang N , elle est donc égale à la suite (1)n≥1 modulo Ipuisque(anbn)n≥1− (1)n≥1 vaut zéro à partir rang N (et est ainsi dans I). On en déduit que la classe de(an)n≥1 est inversible dans A/I, d'inverse la classe de (bn)n≥1.

3.3.2 Une extension algébriquement close de Q

Considérons l'extension Q ⊆ C. Soit

Q := {a ∈ C | a est algébrique sur Q}.

Le corps Q est algébriquement clos.

Proposition 3.29.

Démonstration. Soit P ∈ Q[X] un polynôme. Puisque C est algébriquement clos, on peut facto-riser P en produit de polynômes de degré 1 dans C[X], disons

P (X) = (X − α1)(X − α2) · · · (X − αn).

On veut montrer que αi ∈ Q pour tout i, ce qui implique que P (X) est scindé dans Q et donc,par le point 2 de la Proposition 3.24, que Q est algébriquement clos. Puisque αi est racine deP (X), il est algébrique sur Q. Mais puisque les coe�cients a0, a1, · · · , an de P sont algébriquessur Q, on a que αi est algébrique sur une extension �nie L de Q (par l'Exercice 3.20). On endéduit que αi est algébrique sur Q, d'où αi ∈ Q.

Lemme 3.30. Le corps Q est dénombrable. En particulier, on a Q 6= C, et il existe des nombres

a ∈ C transcendants sur Q.

Démonstration. Voir TD.

3.4 Quelques résultats sur les corps �nis

Rappel : Soit n ≥ 2. L'anneau Z/nZ est un corps si et seulement si n est premier. Si p est unnombre premier, on note Fp le corps Z/pZ.

On a vu dans l'Exemple 3.6 qu'il est possible de construire un corps à 9 éléments. On peutdémontrer que pour tout nombre premier p et tout entier n ≥ 1, il existe un corps �ni Fpn(unique à isomorphisme près) contenant pn éléments. Le cas n = 1 est donné par l'anneauZ/pZ. La construction générale dépasse le cadre de ce cours ; nous nous contentons ci-dessous dedémontrer l'existence d'un corps Fp2 à p2 éléments, pour tout nombre premier p.

Soit p un nombre premier. Il existe un corps �ni Fp2 à p2 éléments.

Proposition 3.31.

Page 39: Algèbre approfondie L3 -

3.4. QUELQUES RÉSULTATS SUR LES CORPS FINIS 39

Démonstration. On va construire Fp2 comme quotient de Fp[X]. On sait que tout idéal I deFp[X] est principal et par le Théorème 3.4, le quotient Fp[X]/(P ) est un corps si et seulementsi P ∈ Fp[X] est irréductible. De plus, on sait que l'anneau quotient Fp[X]/(P ) possède unestructure de Fp-espace vectoriel de dimension deg(P ) (y compris si P n'est pas irréductible).

Il su�t donc, pour conclure, de démontrer qu'il existe un polynôme irréductible de degré 2dans Fp[X]. Nous distinguons le cas p = 2 des autres cas.

Si p = 2, la construction d'un corps à 4 éléments se fera en TD.Supposons donc p impair. Soit a ∈ F∗p et P (X) = X2− a. Puisque P est de degré 2, on a que

P est irréductible si et seulement si P n'a pas de racine, si et seulement si a n'est pas un carrédans F∗p. L'ensemble F∗p contient p− 1 éléments et le carré d'un élément est égal au carré de sonopposé dans Fp. Puisque p est impair, cela implique qu'il existe au plus (p− 1)/2 éléments dansF∗p qui sont des carrés, et donc, qu'il existe a ∈ F∗p qui n'est pas un carré. On a alors que X2 − aest irréductible, ce qui conclut.

Remarque 3.32. Dans la Proposition ci-dessus, on n'a pas démontré l'unicité à isomorphismeprès d'un corps à Fp2 éléments, mais seulement l'existence d'un tel corps !

Remarque 3.33. On n'a jamais Fp2 ∼= Z/p2Z. En e�et, l'anneau Z/p2Z n'est pas intègrepuisque p ·p = 0, et ne peut donc pas être un corps. Les corps Fp2 ne possèdent pas de descriptioncombinatoire simple : pour déterminer, par exemple, le produit de deux éléments, il faut utiliserla dé�nition de Fp2 comme anneau quotient et sa structure d'espace vectoriel sur Fp.

Dé�nition 3.34. Soit K un corps. On appelle groupe multiplicatif de K le groupe (K∗, ·).

Dans le cas d'un corps �ni à pn éléments, le groupe multiplicatif de Fpn est un groupe �ni àpn − 1 éléments. On peut démontrer qu'il est cyclique.

Exemple 3.35. Soit F9 le corps à 9 éléments construit dans l'Exemple 3.6. Rappelons qu'il estdé�ni par l'anneau quotient F3[X]/(P ), où P = X2+1 (qui est irréductible). On a donc |F∗9| = 8.Montrons que l'élément X + 1 du quotient engendre le groupe multiplicatif F∗9. Son ordre est undiviseur de 8. On a

(X + 1)2 = X2 + 2X + 1 = 2X 6= 1,

(X + 1)4 = (2X)2 = 4X2 = −1 6= 1.

On déduit que l'ordre de X + 1 est 8.

Page 40: Algèbre approfondie L3 -

40 CHAPITRE 3. CORPS ET EXTENSIONS DE CORPS

Page 41: Algèbre approfondie L3 -

Chapitre 4

Rappels d'algèbre linéaire

Dans ce chapitre, nous faisons un résumé succinct des notions à connaître. Il est impératif

de connaître et de savoir manipuler ces notions a�n de pouvoir suivre la suite de ce cours.

Dans ce qui suit, K désigne un corps.

4.1 Théorie de la dimension

4.1.1 Espace vectoriel

Dé�nition 4.1. Soient K un corps et E un ensemble muni d'une loi interne + et d'une loiexterne ·, c'est-à-dire de deux applications :{

E × E −→ E(x, y) 7−→ x+ y

et

{K× E −→ E(λ, x) 7−→ λ · x

On dit que (E,+, ·) est un K-espace vectoriel ou un espace vectoriel sur K si :

1. (E,+) est un groupe commutatif (dont l'élément neutre 0E ou 0 est appelé le vecteur nul) ;

2. Pour tous x, y ∈ E et λ, µ ∈ K on a :

(a) λ · (x+ y) = λ · x+ λ · y(b) (λ+ µ) · x = λ · x+ µ · y(c) λ · (µ · x) = (λµ) · x(d) 1 · x = x

Exemple 4.2. Exemples fondamentaux de K-espaces vectoriels :1. Kn muni des lois :

(x1, . . . , xn) + (y1. . . . , yn) = (x1 + y1, . . . , xn + yn) et λ · (x1, . . . , xn) = (λx1, . . . , λxn)

2. L'ensemble des polynômes en une indéterminée et à coe�cients dans K ;

3. L'ensemble des suites KN à valeurs dans K ;

4. L'ensemble des fonctions de K dans K ;

5. L'ensemble des matricesMn,p(K) à n lignes et p colonnes à coe�cients dans K.

41

Page 42: Algèbre approfondie L3 -

42 CHAPITRE 4. RAPPELS D'ALGÈBRE LINÉAIRE

Dé�nition 4.3. Soit (E,+, ·) un K-espace vectoriel. On dit que F est un sous-espace vectoriel

de E si F ⊂ E et si F est un K-espace vectoriel.On écrira parfois s.e.v à la place de sous-espace vectoriel.

Exemple 4.4. 1. Les ensembles {0E} et E sont des sous-espaces vectoriels de E.

2. L'ensemble Kn[X] = {P ∈ K[X],deg(P ) ≤ n} est un sous-espace vectoriel de K[X].

Soit (E,+, ·) un K-espace vectoriel et soit F ⊂ E. Alors (F,+, ·) est un sous-espacevectoriel de E si et seulement si les deux conditions suivantes sont véri�ées :

1. F 6= ∅2. ∀x, y ∈ F,∀λ ∈ K, x+ λy ∈ F

Proposition 4.5.

4.1.2 Somme de sous-espaces vectoriels

Lemme 4.6. (1). Soient F et G deux sous-espaces vectoriels d'un K-espace vectoriel E. L'en-semble

F +G := {xF + xG | xF ∈ F, xG ∈ G}est un s.e.v de E. Il s'agit du plus petit sous-espace vectoriel de E contenant F ∪G.

(2). Plus généralement, si (Ei)i∈I est une famille �nie de sous-espaces vectoriels de E, alorsl'ensemble ∑

i∈IEi =

{∑i∈I

xi | xi ∈ Ei pour tout i ∈ I

}est un s.e.v de E. Il s'agit du plus petit sous-espace vectoriel de E contenant ∪i∈IEi, appelé

somme des Ei.

Exemple 4.7. Soit E := F(R,R) l'espace vectoriel des fonctions de R dans R. On désigne par Ple sous-espace vectoriel des fonctions paires, et I le sous-espace vectoriel des fonctions impaires.On a alors P + I = F . En e�et, soit f ∈ F . On dé�nit deux fonctions :

fp : R −→ R

x 7−→ f(x) + f(−x)

2

etf i : R −→ R

x 7−→ f(x)− f(−x)

2

.

On a alors f = fp + f i avec fp ∈ P et f i ∈ I, d'où le résultat.

Dé�nition 4.8. Soient F et G deux sous-espaces vectoriels d'un K-espace vectoriel E. On ditque F et G sont en somme directe lorsque F ∩ G = {0}. La somme de F et de G se note alorsF ⊕G et on parle de somme directe de F et de G.

Soient F et G deux sous-espaces vectoriels d'un K-espace vectoriel E. Les assertionssuivantes sont équivalentes :

(1) F et G sont en somme directe

(2) tout élément de F +G s'écrit de manière unique sous la forme xF +xG où xF ∈ Fet xG ∈ G.

Proposition 4.9.

Page 43: Algèbre approfondie L3 -

4.1. THÉORIE DE LA DIMENSION 43

Exemple 4.10. La somme dans l'exemple 4.7 est directe. En e�et, une fonction à la fois paireet impaire est nulle.

Dé�nition 4.11. Soient (Ei)i∈I une famille �nie de sous-espaces vectoriels de E. On dit que Eest la somme directe des (Ei)i∈I si les deux conditions suivantes sont véri�ées :

(1) E =∑

i∈I Ei,

(2) Si∑

i∈I xi = 0 avec xi ∈ Ei pour tout i ∈ I, alors xi = 0 pour tout i ∈ I.La deuxième condition implique que tout élément de E s'écrit de manière unique sous la formex =

∑xi avec xi ∈ Ei pour tout i ∈ I.

4.1.3 Familles libres, familles génératrices, bases

Dé�nition 4.12. Soit E un K-espace vectoriel et soit H une partie quelconque de E. Il existeun plus petit sous-espace vectoriel contenant H. On le note Vect(H) et on l'appelle sous-espace

vectoriel engendré par H.

Exemple 4.13. On véri�era facilement que le plus petit sous-espace vectoriel de E = R3 qui

contient les vecteurs

100

et

010

est

x

y0

| x, y ∈ R

.

Soit E un K-espace vectoriel et H une partie de E. Alors :

Vect(H) =

{∑i=1

λixi | ` ≥ 0, (λ1, ..., λ`) ∈ K`, (x1, ..., xl) ∈ H`

}Proposition 4.14.

Lorsque H = {e1, . . . , en} on écrira Vect(e1, . . . , en) au lieu de Vect({e1, . . . , en}) pour alléger lesnotations.

Dé�nition 4.15. Soit E un K-espace vectoriel et soient e1, e2, ..., en des vecteurs de E.

1. On dit que la famille (e1, ..., en) est une famille libre ou encore est linéairement indépendante

si pour tous λ1,...,λn dans K, on a

n∑i=1

λiei = 0 =⇒ λi = 0, ∀i = 1, . . . , n

Si la famille n'est pas libre, on dit qu'elle est liée.

2. On dit que la famille (e1, ..., en) est une famille génératrice de E si

Vect(e1, ...., en) = E,

autrement dit : ∀x ∈ E,∃(λ1, . . . , λn) ∈ Kn, x = λ1e1 + ...+ λnen.

3. On dit que famille (e1, ..., en) est une base si c'est une famille libre et génératrice de E.

Page 44: Algèbre approfondie L3 -

44 CHAPITRE 4. RAPPELS D'ALGÈBRE LINÉAIRE

Soit E un K-espace vectoriel et soit (e1, ..., en) une famille de vecteurs de E. Les pro-priétés suivantes sont équivalentes :

1. (e1, ..., en) est une base.

2. Pour tout x ∈ E, il existe une unique famille (λ1, ..., λn) de scalaires tels que :

x =n∑i=1

λiei.

Les scalaires λi s'appellent les coordonnées du vecteur x dans la base (e1, ..., en).

Proposition 4.16.

Notation. Soit B = (e1, . . . , en) une base d'un espace vectoriel E. On écrit :

[x]B =

λ1λ2...λn

⇐⇒ x =n∑i=1

λiei

Notons que l'ordre des éléments de la base est important !

Exemple 4.17. 1. On véri�era facilement que la famille B = (v1, v2, v3) où

v1 =

111

, v2 =

−110

, v3 =

10−1

forme une base de R3. De plus, les coordonnées de

120

dans la base B sont

111

. En

e�et 120

= v1 + v2 + v3

2. On véri�era facilement que la famille B = (1, 1−X,X −X2, X2 −X3) forme une base deR3[X]. Le polynôme F = 8X3 −X2 + 3X s'écrit sous la forme

F = 10 · 1− 10 · (1−X)− 7 · (X −X2)− 8 · (X2 −X3) et donc [F ]B =

10−10−7−8

.

On dit qu'un espace vectoriel E est de dimension �nie s'il existe une famille génératrice deE constituée d'un nombre �ni de vecteurs.

Page 45: Algèbre approfondie L3 -

4.1. THÉORIE DE LA DIMENSION 45

Soit E un K-espace vectoriel de dimension �nie. Soit G une famille génératrice �nie deE et soit L une famille libre inclue dans G. Alors il existe une base B de E telle queL ⊂ B ⊂ G. En particulier :

• Tout espace vectoriel de dimension �nie possède une base.• Toute famille libre de E peut être completée en une base de E. (Théorème de

la base incomplète)• On peut extraire une base de toute famille génératrice.

Théorème 4.18.

4.1.4 Dimension

Soit E un K-espace vectoriel de dimension �nie. Toutes les bases de E ont le mêmecardinal n. Cet entier n est appelé la dimension de E et on le note dim(E).

Théorème 4.19.

Exemple 4.20. On a dim(Rn) = n, dim(Rn[X]) = n+ 1, dim(Mn(R)) = n2.

Soit E un K-espace vectoriel de dimension n ∈ N∗. Alors1. Tout famille libre de n vecteurs forme une base de E.

2. Toute famille génératrice de n vecteurs forme une base de E.

Proposition 4.21.

Soit E un K-espace vectoriel de dimension n ∈ N∗ et soient E1, . . . , Ek des s.e.v de E.Alors E = E1⊕E2⊕. . .⊕Ek si et seulement si E = E1+E2+. . .+Ek et n =

∑dim(Ei).

Proposition 4.22.

Démonstration. Exercice.

Soient F et G deux sous-espaces vectoriels d'un K-espace vectoriel E de dimension�nie. On a

dim(F +G) = dim(F ) + dim(G)− dim(F ∩G)

Proposition 4.23.

Dé�nition 4.24. Soit E unK-espace vectoriel. Le rang d'une famille de vecteurs F = (e1, . . . , en)est dé�ni par :

rang(F) := rang(e1, . . . , en) := dim(Vect(e1, . . . , en))

Page 46: Algèbre approfondie L3 -

46 CHAPITRE 4. RAPPELS D'ALGÈBRE LINÉAIRE

4.2 Applications linéaires

4.2.1 Premières dé�nitions

Dé�nition 4.25. Soient E et F deux K-espaces vectoriels. Une application f : E → F est ditelinéaire si pour tous x, y ∈ E et pour tout λ ∈ K, elle véri�e

f(x+ y) = f(x) + f(y) et f(λx) = λf(x).

L'ensemble des applications de E dans F est noté L(E,F ). C'est un K-espace vectoriel.

Notons que les deux propriétés ci-dessus peuvent être reformulées en une seule propriété, desorte que f : E → F est linéaire si et seulement si pour tous x, y ∈ E et pour tout λ ∈ K, ellevéri�e

f(x+ λy) = f(x) + λf(y).

Soient E et F deux K-espaces vectoriels.

1. Une application linéaire de E dans E est appelée un endomorphisme. On note L(E) :=L(E,E) l'ensemble des endomorphismes de E.

2. Une application linéaire bijective est appelée un isomorphisme.

3. Une application linéaire bijective d'une espace vectoriel E dans lui-même est appelée unautomorphisme. L'ensemble des automorphismes de E est noté GL(E).

4. S'il existe un isomorphisme entre E et F , on dit que E et F sont isomorphes.

Soient E et F deux K-espaces vectoriels et soit f ∈ L(E,F ). L'image d'un sous-espacevectoriel de E par f est un sous-espace vectoriel de F .

Proposition 4.26.

Lemme 4.27. Soient E et F deux K-espaces vectoriels et soit f ∈ L(E,F ). On pose

ker f = {x ∈ E | f(x) = 0} et Im f = {f(x) | x ∈ E}

Alors

• Le sous-ensemble ker f est un sous-espace vectoriel de E,• Le sous-ensemble Im f est un sous-espace vectoriel de F ,• L'application f est injective si et seulement si ker(f) = {0}.

La dimension de Im f est appelée le rang de f .

Soient E et F deux K-espaces vectoriels de dimension �nie et soit f ∈ L(E,F ). On a

dim(E) = dim(ker f) + dim(Im f).

Théorème 4.28 (Théorème du rang).

Page 47: Algèbre approfondie L3 -

4.2. APPLICATIONS LINÉAIRES 47

4.2.2 Matrices

Soient E et F deux K-espaces vectoriels de dimension �nie. Soit u ∈ L(E,F ). Soient B1 =(e1, ..., ep) une base de E et soit B2 = (f1, ...., fn) une base de F . L'application u est entièrementdéterminée pas les vecteurs u(ej) exprimés dans la base (f1, ...., fn). Pour tout j ∈ {1, ..., p}, ilexiste des scalaires aij ∈ K avec i ∈ {1, ..., n} tel que :

u(ej) =n∑i=1

aijfi.

On obtient alors la matrice M ∈Mnp(K) en prenant pour vecteurs colonnes les coordonnées desu(ej) en fonction des fi. Cette matrice est appelée la matrice de u dans les bases B1 et B2. Onla note :

M = B2 MatB1(u) =

a11 a12 .... a1pa21 a22 ..... a2p... ... ... ...an1 an2 ... anp

Notez bien que sous le symbole Mat, on écrit la base d'arrivée B2 avant la base de départ

B1. Cette convention a priori surprenante est utile pour exprimer les formules de changement debase, comme on le verra par la suite.

Lorsque E = F et B1 = B2 = B, on écrira simplement MatB(u) pour désigner B2 MatB1(u).

Soit u une application linéaire de E vers F deux K-espaces vectoriels de dimension�nie. Soient B1 une base de E et B2 une base de F . On a pour tout x ∈ E :

y = u(x) ⇐⇒ [y]B2 = B2 MatB1(u) · [x]B1

Théorème 4.29.

Soient E,F,G trois K-espaces vectoriels et soit u1 : E −→ F et u2 : F −→ G deuxapplications linéaires. Soient BE ,BF et BG des bases de E, F et G respectivement. Ona

BG MatBE (u2 ◦ u1) = BG MatBF (u2) · BF MatBE (u1)

Proposition 4.30.

Démonstration. On a par le théorème précédent :

[u2 ◦ u1(x)]BG = BG MatBF (u2) · [u1(x)]BF et [u1(x)]BF = BF MatBE (u1) · [x]BE

d'où :[u2 ◦ u1(x)]BG = BG MatBF (u2) · BF MatBE (u1) · [x]BE .

D'autre part, on a[u2 ◦ u1(x)]BG =BG MatBE (u2 ◦ u1) · [x]BE .

Ces égalités étant véri�ées pour tout x ∈ E, on en déduit l'égalité souhaitée.

Page 48: Algèbre approfondie L3 -

48 CHAPITRE 4. RAPPELS D'ALGÈBRE LINÉAIRE

Soient E,G deux K-espaces vectoriels de dimension �nie et soient BE ,BG des bases deE et G respectivement. L'application

L(E,F ) −→ Mn,p(K)u 7−→ BG MatBE (u)

est un isomorphisme d'espaces vectoriels. En particulier, dim(L(E,F )) = n× p.

Proposition 4.31.

Exemple 4.32. Soit f l'application de R3 dans lui-même dé�nie par

f(x, y, x) = (x− y, y + z, x+ z).

La matrice de f dans la base canonique B est1 −1 00 1 11 0 1

.

On considère maintenant la famille B′ = (e′1, e′2, e′3)

e′1 = (1, 0, 0), e′2 = (0, 2, 1), e′3 = (−1, 0, 1)

On véri�e facilement que c'est bien une base de R3. On veut déterminer la matrice de f danscette nouvelle base. Pour cela, on calcule les images des vecteurs e′i puis on les décompose dansla base (e′1, e

′2, e′3). On a

f(e′1) = (1, 0, 1) = 2e′1 + e′3,

f(e′2) = (−2, 3, 1) = −5

2e′1 +

3

2e′2 −

1

2e′3,

f(e′3) = (−1, 1, 0) = −3

2e′1 +

1

2e′2 −

1

2e′3.

La matrice de f dans la base des e′i est donc2 −52 −3

2

0 32

12

1 −12 −1

2

.

Par ailleurs, la matrice de f ◦ f dans la base B est donnée par1 −1 00 1 11 0 1

·1 −1 0

0 1 11 0 1

=

1 −2 −11 1 22 −1 1

et ainsi (f ◦ f)(x, y, z) = (x− 2y − z, x+ y + 2z, 2x− y + z).

Page 49: Algèbre approfondie L3 -

4.2. APPLICATIONS LINÉAIRES 49

4.2.3 Changements de base

Soit E un K-espace vectoriel de dimension �nie et soit BE = (e1, . . . , en) et B′E = (e′1, . . . , e′n)

deux bases de E. La matrice identité de taille n× n est notée In.

Lemme 4.33. On dé�nit la matrice B′EPBE , appelée matrice de changement de base, par

B′EPBE :=(

[e1]B′E ; [e2]B′E ; . . . ; [en]B′E

)On a alors pour tout x ∈ E

B′EPBE [x]BE = [x]B′E ,

B′EPBE · BEPB′E = In,

en particulier, la matrice B′EPBE est inversible. De plus, on a

B′EPBE = B′E MatBE (Id).

Soit F un espace vectoriel de dimension �nie et soit BF = (f1, . . . , fp) et B′F = (f ′1, . . . , f′p)

deux bases de F . Soit u une application linéaire de E dans F .

On a B′F MatB′E (u) = B′FPBF · BF MatBE (u) · BEPB′E .

Proposition 4.34.

Démonstration. Soit x ∈ E et y = u(x). On a [y]B′F = B′F MatB′E (u) · [x]B′E . De plus

B′FPBF · BF MatBE (u) · BEPB′E · [x]B′E =B′F PBF · BF MatBE (u) · [x]BE

=B′F PBF · [y]BF

= [y]B′F

d'où le résultat.

Exemple 4.35. On reprend les bases et les notations de l'Exemple 4.32. On a

BPB′ =

1 0 −1

0 2 0

0 1 1

et B′PB =

1 −12 1

0 12 0

0 −12 1

.

On a donc

Mat B′(f) = B′PB ·MatB(f) ·B PB′

=

1 −12 1

0 12 0

0 −12 1

·1 −1 0

0 1 1

1 0 1

·1 0 −1

0 2 0

0 1 1

=

2 −52 −3

2

0 32

12

1 −12 −1

2

,

ce qui est cohérent avec ce qui a été établi à l'Exemple 4.32.

Page 50: Algèbre approfondie L3 -

50 CHAPITRE 4. RAPPELS D'ALGÈBRE LINÉAIRE

Page 51: Algèbre approfondie L3 -

Chapitre 5

Rappels de dualité

Dans tout ce chapitre et sauf mention explicite du contraire, on désignera par E un K-espacevectoriel de dimension �nie.

5.1 Généralités

Dé�nition 5.1. 1. Une forme linéaire sur E est une application linéaire de E dans K.2. L'ensemble L(E,K) des formes linéaires sur E s'appelle l'espace dual de E et se note E∗.

Lemme 5.2. 1. L'ensemble E∗ est un K-espace vectoriel.

2. Si E est de dimension �nie, alors dimE∗ = dimE.

Démonstration. On a E∗ = L(E,K) et on a vu que l'ensemble des applications linéaires entredeux K-espace vectoriel forme un K-espace vectoriel. La seconde assertion est une conséquencede la Proposition 4.31 où l'on a vu, entre autres, que dim(L(E,F )) = dimE × dimF lorsque Eet F sont de dimension �nie.

Les résultats suivants se montrent facilement au moyen notamment du théorème du rang.

1. Si ϕ ∈ E∗ est non nulle, alors ϕ est surjective.

2. Si ϕ ∈ E∗ est non nulle, alors dim(kerϕ) = n− 1.

On appelle hyperplan de E tout sous-espace vectoriel de E de dimension n− 1. Le noyau d'uneforme linéaire non nulle est donc un hyperplan de E. La réciproque est aussi vraie : tout hyperplande E est le noyau d'une forme linéaire non nulle.

Exemple 5.3. 1. L'application suivante est une forme linéaire :

Tr : Mn(K) −→ KA = (ai,j) 7−→

∑ni=1 ai,i

.

2. Soit α ∈ K. L'application suivante est une forme linéaire :

εα : K[X] −→ KP 7−→ P (α)

.

51

Page 52: Algèbre approfondie L3 -

52 CHAPITRE 5. RAPPELS DE DUALITÉ

5.2 Base duale

Soit B = (e1, . . . , en) une base de E. Il existe une unique base (e∗1, . . . , e∗n) de E∗ véri�ant

la condition e∗i (ek) = δi,k pour tous i, k = 1, . . . , n. Cette base est appelée la base duale

de B et est notée B∗. On a

∀ϕ ∈ E∗, ϕ =n∑i=1

ϕ(ei)e∗i

∀x ∈ E, x =n∑i=1

e∗i (x)ei

Théorème 5.4.

Démonstration. Montrons tout d'abord que (e∗1, . . . , e∗n) forme bien une base de E∗. On sait que

E∗ est de dimension n. Pour montrer que B∗ est une base de E∗ il su�t donc de montrer quec'est une famille libre. Soient λi ∈ K tels que

∑λie∗i = 0. On a, pour tout k ∈ {1, . . . , n} :

0 =∑

λie∗i (ek) = λk.

Ainsi λk = 0 pour tout k = 1, . . . , n et la famille (e∗1, . . . , e∗n) est libre. C'est donc une base de

E∗.Soit ϕ =

∑λie∗i ∈ E∗. En évaluant ϕ en ek, on trouve

ϕ(ek) =n∑i=1

λie∗i (ek) = λk et donc ϕ =

n∑i=1

ϕ(ei)e∗i .

Soit x =∑λiei ∈ E. En calculant e∗k(x) on trouve

e∗k(x) =n∑i=1

λie∗k(ei) = λk et donc x =

n∑i=1

e∗i (x)ei.

Finalement, montrons l'unicité de la base B∗. Supposons que (f∗i )1≤i≤n est une autre base deE∗ satisfaisant la condition f∗i (ek) = δi,k pour tous i; k = 1, . . . , n. Avec la relation précédente,on a alors pour tout k = 1, . . . , n

f∗k =n∑i=1

f∗k (ei)e∗i =

n∑i=1

δi,ke∗i = e∗k

d'où le résultat.

Exemple 5.5. Dans R3 muni de sa base canonique B0 = (e1, e2, e3), on pose

u1 = e1 + e3, u2 = e1 − e2 et u3 = e2 − e3.

On véri�e facilement que B = (u1, u2, u3) est une base. On va déterminer sa base duale B∗. Onpose B∗ = (u∗1, u

∗2, u∗3). On doit donc résoudre :

u∗i (uj) = δi,j pour tout 1 ≤ i, j ≤ 3.

Page 53: Algèbre approfondie L3 -

5.3. BIDUAL ET BASE ANTÉDUALE 53

i = 1 On pose u∗1 = ae∗1 + be∗2 + ce∗3 où a, b, c ∈ R. On au∗1(u1) = a+ c = 1

u∗1(u2) = a− b = 0

u∗1(u3) = b− c = 0

=⇒

a = 1/2

b = 1/2

c = 1/2

i = 2 On pose u∗2 = ae∗1 + be∗2 + ce∗3 où a, b, c ∈ R. On au∗2(u1) = a+ c = 0

u∗2(u2) = a− b = 1

u∗2(u3) = b− c = 0

=⇒

a = 1/2

b = −1/2

c = −1/2

i = 3 On pose u∗3 = ae∗1 + be∗2 + ce∗3 où a, b, c ∈ R. On au∗3(u1) = a+ c = 0

u∗3(u2) = a− b = 0

u∗3(u3) = b− c = 1

=⇒

a = 1/2

b = 1/2

c = −1/2

Finalement on a B∗ = (12(e∗1 + e∗2 + e∗3),12(e∗1 − e∗2 − e∗3), 12(e∗1 + e∗2 − e∗3)).

Remarque 5.6. Attention, les notations sont trompeuses : la construction de e∗1 ne dépend pasque de e1, mais aussi de e2, . . . , en ! Par exemple, soit B∗ la base duale de la base canonique deR3. Considérons maintenant la base B′ = (e1, e2, e1 + e3). Un petit calcul montre que la baseduale de B′ est (e∗1 − e∗3, e∗2, e∗3).

5.3 Bidual et base antéduale

On rappelle que E est supposé de dimension �nie. Cette hypothèse est cruciale dans lethéorème suivant.

Soit x ∈ E. On note x l'application de E∗∗ dé�nie par :

x : E∗ −→ Kϕ 7−→ ϕ(x)

.

Alors l'applicationt : E −→ E∗∗

x 7−→ x

est un isomorphisme de K-espaces vectoriels.

Théorème 5.7.

Démonstration. Soient x, y ∈ E, ϕ ∈ E∗ et λ ∈ K. On a

t(x+ λy)(ϕ) = ϕ(x+ λy) = ϕ(x) + λϕ(y) = t(x)(ϕ) + λt(y)(ϕ)

Page 54: Algèbre approfondie L3 -

54 CHAPITRE 5. RAPPELS DE DUALITÉ

et donc t(x+ λy) = t(x) + λt(y). L'application t est donc linéaire.Il reste à montrer que t est un isomorphisme. Pour cela, grâce au théorème du rang, il su�tde montrer que t est injectif. Soit x ∈ ker(t). Soit B = (e1, . . . , en) une base de E et soitB∗ = (e∗1, . . . , e

∗n) sa base duale. On a

x =n∑i=1

e∗i (x)ei = 0 car e∗i (x) = x(ei) = 0 pour tout i = 1, . . . , n.

Ainsi x = 0 et t est injectif.

Il est important de remarquer que l'isomorphisme t est canonique (i.e., il ne dépend pas du choixd'une base).

Soient ϕ ∈ E∗ et x ∈ E. On introduit le crochet de dualité x(ϕ) = 〈ϕ, x〉 = ϕ(x). On noterala symétrie dans l'égalité ci-dessus. On a alors

• 〈ϕ+ λψ, x〉 = 〈ϕ, x〉+ λ〈ψ, x〉,• 〈ϕ, x+ λy〉 = 〈ϕ, x〉+ λ〈ϕ, y〉.

Soit Bϕ = (ϕ1, ϕ2, . . . , ϕn) une base de E∗. Il existe une unique base (e1, . . . , en) de Etelle que e∗i = ϕi pour tout 1 ≤ i ≤ n. Cette base s'appelle la base antéduale de B∗.

Théorème 5.8 (Base antéduale).

Démonstration. La base duale (ϕ∗1, ϕ∗2, . . . , ϕ

∗n) de B∗ est une base de E∗∗. D'après le théorème

précédent, il existe e1, . . . , en ∈ E tels que ϕ∗i = ei. On a alors :

ϕk(ei) = ei(ϕk) = ϕ∗i (ϕk) = δi,k.

Ceci montre que (e1, . . . , en) est bien la base duale de Bϕ. L'unicité provient du fait que (1) labase duale B∗ϕ est unique et (2) t est un isomorphisme.

Exemple 5.9. Dans E = R2[X] muni de sa base canonique B = (1, X,X2), on considère lestrois formes linéaires suivantes : ϕ0(P ) = P (0), ϕ1(P ) = P (1) et ϕ2(P ) = P (2). On véri�erafacilement que c'est une base de E∗. On veut déterminer sa base antéduale. On cherche donc unefamille de polynômes (P0, P1, P2) telle que

ϕi(Pj) = δi,j pour tous 0 ≤ i, j ≤ 2

j = 0 On pose P0 = a+ bX + cX2 où a, b, c ∈ R. On aϕ0(P0) = a = 1

ϕ1(P0) = a+ b+ c = 0

ϕ2(P0) = a+ 2b+ 4c = 0

=⇒

a = 1

b = −3/2

c = 1/2

On a donc P0 = 1− 32X + 1

2X2. En procédant de la même manière, on trouve P1 = 2X −X2 et

P2 = −12X + 1

2X2.

Page 55: Algèbre approfondie L3 -

5.4. ORTHOGONALITÉ 55

5.4 Orthogonalité

Dé�nition 5.10. 1. Soit A un sous-ensemble de E. On appelle orthogonal de A le s.e.v. deE∗ dé�ni par

A⊥ = {ϕ ∈ E∗ | ∀a ∈ A, 〈ϕ, a〉 = 0}

2. Soit B un sous-ensemble de E∗. On appelle orthogonal de B le s.e.v. de E dé�ni par :

B◦ = {b ∈ E | ∀ϕ ∈ B, 〈ϕ, b〉 = 0}

La proposition suivante relie les deux types d'orthogonaux via l'isomorphisme t et justi�e laterminologie utilisée. En e�et, si B ⊂ E∗, on peut dé�nir B⊥ qui est un sous-ensemble de E∗∗.On a alors

Soit B ⊂ E∗. On a t(B◦) = B⊥.

Proposition 5.11.

Démonstration. Soit x ∈ B◦. On a x ∈ B◦ ⇐⇒ ∀ϕ ∈ B,ϕ(x) = 0 ⇐⇒ ∀ϕ ∈ B, 〈ϕ, x〉 = 0 ⇐⇒x ∈ B⊥ ⇐⇒ t(x) ∈ B⊥.

Soient A,A1, A2 ⊂ E et B,B1, B2 ⊂ E∗. On a

1. A1 ⊂ A2 =⇒ A⊥2 ⊂ A⊥12. B1 ⊂ B2 =⇒ B◦2 ⊂ B◦13. Vect(A)⊥ = Vect(A⊥) = A⊥

4. Vect(B)◦ = Vect(B◦) = B◦

Proposition 5.12.

Démonstration. On prouve (1) et (3). Soit ϕ ∈ A⊥2 . Alors, pour tout x ∈ E, on a

x ∈ A1 =⇒ x ∈ A2 =⇒ ϕ(x) = 0

ainsi A⊥2 ⊂ A⊥1 .(3) Puisque A ⊂ Vect(A), on a Vect(A)⊥ ⊂ A⊥ par le point (1). Soit ϕ ∈ A⊥ et y ∈ Vect(A).On a

y =

n∑i=1

λixi où xi ∈ A.

Ainsi ϕ(y) =∑λiϕ(xi) = 0 et ϕ ∈ Vect(A)⊥.

Les points (2) et (4) peuvent être prouvés directement (voir TD). On peut aussi utiliser t et (1),(3) :

B1 ⊂ B2 =⇒ B⊥2 ⊂ B⊥1 =⇒ t−1(B⊥2 ) ⊂ t−1(B⊥1 ) =⇒ B◦2 ⊂ B◦1 .

De mêmeVect(B)⊥ = B⊥ =⇒ t−1(Vect(B)⊥) = t−1(B⊥)

ce qui donne Vect(B)◦ = B◦ = Vect(B◦).

Page 56: Algèbre approfondie L3 -

56 CHAPITRE 5. RAPPELS DE DUALITÉ

Méthode 5.13 (Pour déterminer A⊥). Etant donnée une partie de A ⊂ E, on procède de la

manière suivante pour déterminer A⊥ :

1. On détermine une base F = (e1, . . . , ep) de Vect(A) ;

2. On complète F en une base B = (e1, . . . , ep, ep+1. . . . , en) de E ;

3. On calcule la base duale B∗ ;4. On a alors F⊥ = A⊥ = Vect(e∗p+1, . . . , e

∗n).

Démonstration. On a

ϕ ∈ A⊥ ⇐⇒ 〈ϕ, x〉 = 0,∀x ∈ Vect(A)

⇐⇒ 〈ϕ, ei〉 = 0,∀i = 1, . . . , p

⇐⇒ ϕ =n∑j=1

〈ϕ, ej〉e∗j =n∑

j=p+1

〈ϕ, ej〉e∗j

⇐⇒ ϕ ∈ Vect(e∗p+1, . . . , e∗n)

Méthode 5.14 (Pour déterminer B◦). Etant donnée une partie de B ⊂ E∗, on procède de la

manière suivante pour déterminer B◦ :

1. On détermine une base F = (e∗1, . . . , e∗p) de Vect(B) ;

2. On complète F en une base B = (e∗1, . . . , e∗p, e∗p+1. . . . , e

∗n) de E∗ ;

3. On calcule la base préduale B = (e1, . . . , en) ;

4. On a alors F◦ = B◦ = Vect(ep+1, . . . , en).

Démonstration. On a

x ∈ B◦ ⇐⇒ 〈ϕ, x〉 = 0, ∀ϕ ∈ Vect(B)

⇐⇒ 〈e∗i , x〉 = 0,∀i = 1, . . . , p

⇐⇒ x =

n∑j=1

〈e∗j , x〉ej =

n∑j=p+1

〈e∗j , x〉ej

⇐⇒ x ∈ Vect(ep+1, . . . , en)

On peut aussi utiliser l'isomorphisme t. On désigne par (e1, . . . , en) la base duale de B dans E∗∗.D'après le résultat précédent, on sait que

B⊥ = Vect(ep+1, . . . , en)

et donc

B◦ = t−1(B⊥) = t−1(Vect(ep+1, . . . , en)) = Vect(t−1(ep+1), . . . , t−1(en)) = Vect(ep+1, . . . , en).

On obtient comme corollaire immédiat :

Corollaire 5.15. Soit F est un s.e.v de E et G un s.e.v de E∗. On a

Page 57: Algèbre approfondie L3 -

5.4. ORTHOGONALITÉ 57

1. dimF + dimF⊥ = dimE,

2. (F⊥)◦ = F ,

3. dimG+ dimG◦ = dimE,

4. (G◦)⊥ = G.

Corollaire 5.16. Soient ϕ1, . . . , ϕp ∈ E∗ telles que rang(ϕ1, . . . , ϕp) = r. Le s.e.v. F = ∩ kerϕide E est de dimension n − r. Réciproquement si F est un s.e.v. de E de dimension q = n − r,alors il existe r formes linéaires indépendantes ϕ1, . . . , ϕr telles que F = ∩ri=1 kerϕi.

Démonstration. Il su�t de remarquer que ∩ kerϕi = Vect(ϕ1, . . . , ϕp)◦ pour obtenir la première

assertion. La seconde s'obtient comme corollaire de l'égalité F⊥◦ = F .

Corollaire 5.17. 1. Soient A1, A2 deux s.e.v de E. On a

(A1 +A2)⊥ = A⊥1 ∩A⊥2 et (A1 ∩A2)

⊥ = A⊥1 +A⊥2

2. Soient B1, B2 deux s.e.v de E. On a

(B1 +B2)◦ = B◦1 ∩B◦2 et (B1 ∩B2)

◦ = B◦1 +B◦2

Démonstration. On a {A1 ⊂ A1 +A2

A2 ⊂ A1 +A2

=⇒ (A1 +A2)⊥ ⊂ A⊥1 ∩A⊥2 .

Réciproquement, soit ϕ ∈ A⊥1 ∩A⊥2 et soit a1 + a2 ∈ A1 +A2. On a alors

ϕ(a1 + a2) = ϕ(a1) + ϕ(a2) = 0

d'où A⊥1 ∩A⊥2 ⊂ (A1 +A2)⊥. On a donc la première égalité. Montrons la deuxième.

dim(A1 ∩A2)⊥ = n− dim(A1 ∩A2)

= n− dimA1 − dimA2 + dim(A1 +A2)

et

dimA⊥1 +A⊥2 = dimA⊥1 + dimA⊥2 − dim(A⊥1 ∩A⊥2 )

= dimA⊥1 + dimA⊥2 − dim(A1 +A2)⊥

= 2n− dimA1 − dimA2 − n+ dim(A1 +A2)

= n− dimA1 − dimA2 + dim(A1 +A2)

= dim(A1 ∩A2)⊥.

Les deux sous-espaces ont ainsi même dimension. De plus, on a{A1 ∩A2 ⊂ A1

A1 ∩A2 ⊂ A2

=⇒

{A⊥1 ⊂ (A1 ∩A2)

A⊥2 ⊂ (A1 ∩A2)⊥ =⇒ A⊥1 +A⊥2 ⊂ (A1 ∩A2)

Page 58: Algèbre approfondie L3 -

58 CHAPITRE 5. RAPPELS DE DUALITÉ

d'où le résultat.Pour (2), on utilise (1) et le fait que t est un isomorphisme d'espaces vectoriels :

(B1 +B2)◦ = t−1((B1 +B2)

⊥)

= t−1(B⊥1 ∩B⊥2 )

= t−1(B⊥1 ) ∩ t−1(B⊥2 )

= B◦1 ∩B◦2

et

(B1 ∩B2)◦ = t−1((B1 ∩B2)

⊥)

= t−1(B⊥1 +B⊥2 )

= t−1(B⊥1 ) + t−1(B⊥2 )

= B◦1 +B◦2 .

Exemple 5.18. Déterminer un système d'équations des sous-espaces F = Vect(1, 2, 1) et G =Vect((1, 2, 1), (0, 1, 0)) de R3. Posons

u1 =

1

0

0

, u2 =

0

1

0

, u3 =

1

2

1

.

On véri�e facilement que B = (u1, u2, u3) forme une base de R3. Calculons sa base dualeB∗ = (u∗1, u

∗2, u∗3).

i = 1 On pose u∗1 = ae∗1 + be∗2 + ce∗3 où a, b, c ∈ R. On au∗1(u1) = a = 1

u∗1(u2) = b = 0

u∗1(u3) = a+ 2b+ c = 0

=⇒

a = 1

b = 0

c = −1

i = 2 On pose u∗2 = ae∗1 + be∗2 + ce∗3 où a, b, c ∈ R. On au∗2(u1) = a = 0

u∗2(u2) = b = 1

u∗2(u3) = a+ 2b+ c = 0

=⇒

a = 0

b = 1

c = −2

i = 3 On pose u∗3 = ae∗1 + be∗2 + ce∗3 où a, b, c ∈ R. On au∗3(u1) = a = 0

u∗3(u2) = b = 0

u∗3(u3) = a+ 2b+ c = 1

=⇒

a = 0

b = 0

c = 1

Page 59: Algèbre approfondie L3 -

5.5. APPLICATIONS TRANSPOSÉES 59

On obtient ainsi B∗ = (e∗1 − e∗3, e∗2 − 2e∗3, e∗3). On a alors

u =

x

y

z

∈ F ⇐⇒ u =

x

y

z

∈ (F⊥)◦ ⇐⇒ u ∈ Vect(u∗1, u∗2)◦

⇐⇒ u ∈ ker(u∗1) ∩ ker(u∗2)⇐⇒

{x− z = 0

y − 2z = 0.

De façon analogue, on a

u =

x

y

z

∈ G⇐⇒ u =

x

y

z

∈ (G⊥)◦ ⇐⇒ u ∈ Vect(u∗1)◦

⇐⇒ u ∈ ker(u∗1)⇐⇒ x− z = 0.

5.5 Applications transposées

Dé�nition 5.19. Soient E et F deux K-espaces vectoriels. Soit u ∈ L(E,F ). Pour tout f ∈ F ∗,on a f ◦ u ∈ E∗. L'application

F ∗ −→ E∗

f 7−→ f ◦ u

est appelée application transposée de u et est notée tu.

Soient BE = (ei)i et BF = (fi)i des bases de E et F respectivement. Soit u ∈ L(E,F ).On désigne par B∗E = (e∗i )i et B∗F = (f∗i )i les bases duales respectives. On a

1. ∀x ∈ E,∀ϕ ∈ F ∗, 〈ϕ, u(x)〉 = 〈tu(ϕ), x〉,

2. B∗E MatB∗F (tu) = t

(BF MatBE (u)

).

Proposition 5.20.

Démonstration. Soit x ∈ E et ϕ ∈ F ∗. On a 〈ϕ, u(x)〉 = ϕ(u(x)) = tu(ϕ)(x) = 〈tu(ϕ), x〉., ce quimontre la première égalité.

Puisque

u(ek) =n∑i=1

〈f∗i , u(ek)〉fi,

on a [BF MatBE (u)

]i,k

= 〈f∗i , u(ek)〉.

De même, en utilisant (1) et le Théorème 5.4, on a :

tu(f∗k ) =

n∑i=1

〈tu(f∗k ), ei〉e∗i =

n∑i=1

〈f∗k , u(ei)〉e∗i

Page 60: Algèbre approfondie L3 -

60 CHAPITRE 5. RAPPELS DE DUALITÉ

ce qui montre que [B∗E MatB∗F (tu)

]i,k

= 〈f∗k , u(ei)〉.

On peut reformuler cette proposition en disant que tu est l'adjoint de u pour le crochet de dualité.

Soient E et F deux K-espaces vectoriels de dimension �nie et u ∈ L(E,F ). On a

rang(u) = rang(tu) et Im(tu) = (keru)⊥

Proposition 5.21.

Démonstration. Le premier point est une conséquence du résultat précédent (car le rang d'unematrice est toujours égal au rang de sa transposée). On a d'une part

dim(Im(tu)) = rang(tu) = rang(u) = dim(Im(u)) = dimE − dim keru

et d'autre partdim(keru)⊥ = dimE − dim keru.

Il su�t donc de montrer une inclusion. Soit ϕ ∈ Im(tu). Il existe f ∈ F ∗ tel que ϕ = tu(f) = f ◦u.On a

∀x ∈ keru, ϕ(x) = tu(f)(x) = f ◦ u(x) = f(0F ) = 0K

et donc ϕ ∈ (keru)⊥.

Soit E un K-e.v de dimension �nie, F un s.e.v de E et u ∈ L(E). On a

u(F ) ⊂ F ⇐⇒ tu(F⊥) ⊂ F⊥.

En d'autres termes, le sous-espace F est stable par u si et seulement si F⊥ est stablepar tu.

Théorème 5.22.

Démonstration. Soit (e1, . . . , ep) une base de F que l'on complète en une base B = (e1, . . . , en)de E. On désigne par B∗ = (e∗1, . . . , e

∗n) sa base duale. En termes matriciels on a :

F est stable par u ⇐⇒ ∃A ∈Mp(K),MatB(u) =

(A ∗0 ∗

)

⇐⇒ ∃A ∈Mp(K),MatB∗(tu) =

(tA 0

∗ ∗

)⇐⇒ F⊥ est stable par tu.

Page 61: Algèbre approfondie L3 -

5.6. CHANGEMENTS DE BASE DANS LE DUAL 61

Exemple 5.23. Reprenons l'Exemple 5.18. Soit F = Vect(1, 2, 1). Considérons l'applicationlinéaire u : R3 −→ R3 dé�nie par

u(x, y, z) = (y − z, y, x).

On a u(1, 2, 1) = (1, 2, 1), ainsi u(F ) ⊂ F . Montrons que tu(F⊥) ⊂ F⊥. Soit B0 la base canoniquede R3. On a

B0MatB0(u) =

0 1 −1

0 1 0

1 0 0

,

d'où l'on déduit par transposition que

B∗0MatB∗0 (tu) = t (B0MatB0(u)) =

0 0 1

1 1 0

−1 0 0

.

Ainsi, pour (x, y, z) ∈ (R3)∗ exprimé dans la base duale B∗0 de la base canonique, on a

tu(x, y, z) = (z, x+ y,−x).

Or, F⊥ = Vect(u∗1, u∗2) = Vect(e∗1 − e∗3, e∗2 − 2e∗3). On a donc

tu(u∗1) = tu(1, 0,−1) = (−1, 1,−1) = −u∗1 + u∗2 ∈ F⊥,

ettu(u∗2) = tu(e∗2 − 2e∗3) = tu(0, 1,−2) = (−2, 1, 0) = −2u∗1 + u∗2 ∈ F⊥.

(Attention ! En général, u(F ) = F n'implique pas que tu(F⊥) = F⊥ ! On pourra s'enconvaincre en reprenant le sous-espace F ci-dessus, et l'endomorphisme u de R3 dé�ni paru(x, y, z) = (x, 2x, x)).

5.6 Changements de base dans le dual

Soit B = (e1, . . . , en) une base de E et B∗ = (e∗1, . . . , e∗n) sa base duale. Soit Bf =

(f1, . . . , fn) une autre base de E et soit B∗f = (f∗1 , . . . , f∗n). On a alors

BPBf = tB∗P

−1B∗f

Théorème 5.24.

Démonstration. On rappelle que la matrice BPBf n'est rien d'autre que la matrice de l'applicationidentité exprimée de la base Bf vers la base B. Or, l'application transposée de l'identité estl'identité. D'après la Proposition 5.20 et le Lemme 4.33 on a donc

BPBf = tB∗fPB∗ = t

B∗P−1B∗f.

Notons que l'écriture tA−1 a bien un sens puisque (tA)−1 = t(A−1).

Page 62: Algèbre approfondie L3 -

62 CHAPITRE 5. RAPPELS DE DUALITÉ

Exemple 5.25. Reprenons l'Exemple 5.5. On a

B0PB =

1 1 0

0 −1 1

1 0 −1

et on véri�e que B0P−1B =

1/2 1/2 1/2

1/2 −1/2 −1/2

1/2 1/2 −1/2

et on avait calculé

B∗0PB∗ =

1/2 1/2 1/2

1/2 −1/2 1/2

1/2 −1/2 −1/2

Page 63: Algèbre approfondie L3 -

Chapitre 6

Réduction des endomorphismes

Dans toute cette partie, on désignera par E un K-espace vectoriel de dimension �nie n.

6.1 Géneralités

Dé�nition 6.1. Soit f ∈ L(E). Le scalaire λ ∈ K est une valeur propre de f s'il existe u ∈ E−{0}tel que f(u) = λu. On dit alors que u est un vecteur propre de f associé à la valeur propre λ.Dans ce cas, on note

Eλ := {v ∈ E | f(v) = λv}

et on appelle Eλ l'espace propre associé à la valeur propre λ.

On véri�e facilement que Eλ est un s.e.v de E. On notera qu'il est constitué de l'ensembledes vecteurs propres de valeur propre λ ainsi que du vecteur nul.

Lemme 6.2. Soit λ ∈ K. Alors λ ∈ K est valeur propre de f si et seulement si f − λ Id n'est

pas injectif.

Démonstration. On a les équivalences

f − λ Id n'est pas injectif ⇐⇒ ker(f − λ Id) 6= 0

⇐⇒ ∃u ∈ E\{0} tel que (f − λ Id)(u) = 0

⇐⇒ ∃u ∈ E\{0} tel que f(u) = λu

⇐⇒ λ est valeur propre de f.

Soient E1, . . . , Ep des sous-espaces vectoriels de E. On rappelle que

E1 + E2 + . . .+ Ep = {x1 + x2 + . . .+ xp | x1 ∈ E1, . . . , xp ∈ Ep}.

On rappelle également que les espaces E1, . . . , Ep sont dits en somme directe si pour tout(x1, . . . , xp) ∈ E1 × . . .× Ep on a

x1 + . . .+ xp = 0 =⇒ xi = 0 pour tout i ∈ {1, . . . , p}.

Dans ce cas, la somme E1 + · · ·+ Ep se note E1 ⊕ · · · ⊕ Ep.On véri�era en exercice les propriétés suivantes :

63

Page 64: Algèbre approfondie L3 -

64 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

1. Deux s.e.v E1 et E2 de E sont en somme directe si et seulement si E1 ∩ E2 = {0}.2. L'implication "Si E1∩E2∩E3 = {0}, alors E1, E2 et E3 sont en somme directe" est fausse.

.

3. Soit E1 ⊕ · · · ⊕ Ep une somme directe de s.e.v de E. Tout élément x de E1 ⊕ · · · ⊕ Ep sedécompose de façon unique sous la forme

x1 + . . .+ xp avec xi ∈ Ei pour tout i.

4. Soit E1 ⊕ · · · ⊕ Ep une somme directe de s.e.v de E. Soit Bi une base de Ei pour touti ∈ {1, . . . , p}. Alors la concaténation des bases Bi forme une base de E1 ⊕ . . .⊕ Ep.

5. Si E1, . . . , Ep−1 sont en somme directe et si Ep est en somme directe avec E1 + · · ·+Ep−1alors les s.e.v E1, . . . , Ep sont en somme directe.

Soient λ1, . . . , λk des valeurs propres deux à deux distinctes de f . Alors les sous-espacespropres Eλ1 , . . . , Eλk sont en somme directe.

Théorème 6.3.

Démonstration. On procède par récurrence. On montre que pour tout p ∈ {1, . . . , k} la sommeEλ1 + · · · + Eλp est directe. Lorsque p = 1, le résultat est clair. Soit p > 1. Par récurrence, onsait que la somme Eλ1 + · · ·+Eλp−1 est directe. Soit (x1, . . . , xp) ∈ Eλ1 ×Eλ2 × . . .×Eλp tel que

(∗) x1 + . . .+ xp = 0.

En appliquant f on obtientf(∗) λ1x1 + . . .+ λpxp = 0.

Une combinaison linéaire de ces deux équations donne

(λp − λ1)x1 + . . .+ (λp − λp−1)xp−1 = 0.

Par récurrence, on a donc (λp − λi)xi = 0 pour tout 1 ≤ i ≤ p − 1 et comme λp − λi 6= 0 pourtout i, on a xi = 0 pour tout 1 ≤ i ≤ p− 1. Par (∗) on déduit que xp est également nul.

Dé�nition 6.4. Soit A ∈ Mn(K). Le polynôme caractéristique χA ∈ K[X] de A est dé�ni parχA(X) = det(A−X Id).

Remarque 6.5. 1. Soit f ∈ L(E). Le polynôme caractéristique de la matrice de f dans unebase B ne dépend pas de la base B. On l'appelle le polynôme caractéristique de f et on lenote χf . En e�et, pour toutes matrices P ∈ GLn(K) et A ∈Mn(K) on a

det(P−1AP ) = det(P−1) det(A) det(P ) = det(A),

et on conclut en utilisant la formule de changement de base.

2. Le scalaire λ ∈ K est valeur propre de f si et seulement si χf (λ) = 0. En e�et, on a leséquivalences

λ est valeur propre de f ⇐⇒ f − λ Id n'est pas injectif

⇐⇒ f − λ Id n'est pas inversible

⇐⇒ det(f − λ Id) = 0

⇐⇒ χf (λ) = 0.

Page 65: Algèbre approfondie L3 -

6.2. POLYNÔMES D'ENDOMORPHISMES 65

Exemple 6.6. Soit E = R3. On considère l'endomorphisme f de E dont la matrice dans la base

canonique est donnée par A =

1 1 4

2 0 0

1 −12 1

. On a

χf = χA = det(A−X Id) = det

1−X 1 4

2 −X 0

1 −12 1−X

.

En développant selon la dernière colonne, on obtient

χf = det

1−X 1 4

2 −X 0

1 −12 1−X

= 4 det

(2 −X1 −1

2

)+ (1−X) det

(1−X 1

2 −X

)

= 4(−1 +X) + (1−X)(X2 −X − 2)

= (1−X)(X2 −X − 6) = (1−X)(X − 3)(X + 2).

On en déduit que f a trois valeurs propres λ1 = 1, λ2 = 3, λ3 = −2.

Exercice 6.7. Déterminer les espaces propres associés à chaque valeur propre de l'exemple ci-dessus.

Soit f ∈ L(E) et soit F un s.e.v de E stable par f . Soit g = f|F ∈ L(F ) la restrictionde f à F . Alors χg | χf .

Proposition 6.8.

Démonstration. Choisissons une base B de E formée d'une base BF de F complétée en une basede E. Puisque F est stable par f , la matrice de f dans la base B est de la forme(

A ∗0 B

)

La matrice A est la matrice représentative de g dans la base BF . On a

χf = χA · χB = χg · χB.

Ainsi, χg | χf .

6.2 Polynômes d'endomorphismes

Soit P = a0 + a1X + . . .+ anXn ∈ K[X]. On pose alors

1. Pour tout f ∈ L(E), P (f) = a0 IdE +a1f + a2f2 + . . .+ anf

n ∈ L(E)

2. Pour tout A ∈Mn(K), P (A) = a0In + a1A+ . . .+ anAn ∈Mn(K).

Page 66: Algèbre approfondie L3 -

66 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Si A est la matrice de f dans une base B, alors la matrice de P (f) dans cette même base estdonnée par P (A) ; ceci est une conséquence du fait que l'application qui à un endomorphisme ude E associe sa matrice dans la base B est un isomorphisme d'anneaux.

Soit f un endomorphisme de E, soient P et Q deux polynômes à coe�cients dans K etsoit λ ∈ K. On a

1. P (f) +Q(f) = (P +Q)(f)

2. P (f) ◦Q(f) = Q(f) ◦ P (f) = (PQ)(f)

3. (λP )(f) = λP (f)

4. ker(P (f)) et Im(P (f)) sont stables par f .

Théorème 6.9.

Démonstration. Le fait que P (f)+Q(f) = (P +Q)(f), P ◦Q(f) = (PQ)(f) et (λP )(f) = λP (f)est une simple véri�cation en utilisant le fait que f i ◦ f j = f i+j et XiXj = Xi+j . PuisquePQ = QP il est clair que P (f) ◦Q(f) = (PQ)(f) = Q(f) ◦P (f). La quatrième assertion est uneconséquence du fait que P (f) et f commutent (voir l'exercice ci-dessous).

Exercice 6.10. Montrer que si u et v commutent, alors ker(u) et Im(u) sont stables par v.

On a donc montré que l'application

ϕf : K[X] −→ L(E)

P 7−→ P (f)

est un morphisme d'algèbres, i.e., qu'elle est à la fois• un morphisme d'anneaux de (K[X],+, x) dans (L(E),+, ◦),• une application K-linéaire de l'espace vectoriel K[X] dans l'espace vectoriel L(E).

Exemple 6.11. Soit T ∈ Mn(K) une matrice triangulaire supérieure de termes diagonauxt1,1,. . . tn,n. Soit P =

∑aiXi. Alors la matrice P (T ) est triangulaire supérieure ; ses termes

diagonaux sont donnés par P (t1,1), . . . , P (tn,n).

Exercice 6.12. Soit n ≥ 2, P = Xn − nX + (n− 1), A =

(1 1

0 1

).

1. Montrer que P (A) est la matrice nulle.

2. Montrer que χA(A) est la matrice nulle.

Soit f ∈ L(E). Soient P1, . . . , Pk ∈ K[X] des polynômes deux à deux premiers entreeux et soit P = P1P2 · · ·Pk. Alors

kerP (f) =k⊕i=1

kerPi(f).

Théorème 6.13 (Lemme des noyaux).

Page 67: Algèbre approfondie L3 -

6.2. POLYNÔMES D'ENDOMORPHISMES 67

Démonstration. On procède par récurrence sur k ≥ 2. Pour k = 2, comme P1 et P2 sont premiersentre eux, il existe U, V ∈ K[X] tels que P1U + P2V = 1.

Soit x ∈ kerP1(f) ∩ kerP2(f). On a x = (P1U + P2V )(f)(x) = U(f) ◦ P1(f)(x) + V (f) ◦P2(f)(x) = 0E . Ainsi kerP1(f) ∩ kerP2(f) = {0E}. On a donc

kerP1(f) + kerP2(f) = kerP1(f)⊕ kerP2(f).

Soit x ∈ kerP (f). On a x = UP1(f)(x) + V P2(f)(x). De plus

P2(UP1(f)(x)) = (P2UP1)(f)(x) = (UP1P2)(f)(x) = UP (f)(x) = U(f) ◦ P (f)(x) = 0E

et

P1(V P2(f)(x)) = (P1V P2)(f)(x) = (V P1P2)(f)(x) = V P (f)(x) = V (f) ◦ P (f)(x) = 0E .

On voit donc que UP1(f)(x) ∈ kerP2(f) et V P2(f)(x) ∈ kerP1(f). On a montré que kerP (f) ⊆kerP1(f)⊕ kerP2(f). L'inclusion réciproque est claire, puisque P = P1P2.

Soit k > 2. On a P = (P1 · · ·Pk−1) ·Pk. Les polynômes (P1 · · ·Pk−1) et Pk sont premiers entreeux. Par le cas k = 2 on a donc

kerP (f) = ker(P1 · · ·Pk−1)(f)⊕ kerPk(f).

De plus par récurrence

kerP1 . . . Pk−1(f) =k−1⊕i=1

kerPi(f).

D'où le résultat.

Exemple 6.14. On considère le polynôme P = (X2 + 1) · (X − 1) ∈ R[X]. Les polynômes(X2+1) et (X−1) premiers entre eux, car distincts et irréductibles. Considérons l'endomorphisme

f ∈ L(R4) dont la matrice dans la base canonique est donnée par A =

0 −1 1 0

1 0 2 0

0 0 2 1

0 0 0 1

. On

véri�e que

A2 + Id4 =

0 0 0 1

0 0 5 2

0 0 5 3

0 0 0 2

, A− Id4 =

−1 −1 1 0

1 −1 2 0

0 0 1 1

0 0 0 0

,

et on déduit que

P (A) =

0 0 0 0

0 0 5 5

0 0 5 5

0 0 0 0

.

Page 68: Algèbre approfondie L3 -

68 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

On a donc que (e1, e2, e3 − e4) forme une base de ker(P (A)), que (e1, e2) forme une base deker(A2 + Id4), et que (12e1 −

32e2 − e3 + e4) forme une base de ker(A− Id4).

On a

Vect(e1, e2,1

2e1 −

3

2e2 − e3 + e4) = Vect(e1, e2, e3 − e4).

On a donc bienkerP (f) = ker(f2 + Id)⊕ ker(f − Id).

Exemple 6.15. Soit p ∈ L(E) une projection, c'est-à-dire, un endomorphisme tel que p2 = p.Le polynôme P = X(X − 1) est donc un polynôme annulateur de p, i.e., le polynôme P (p) estl'application linéaire nulle, dont le noyau est E tout entier. Puisque les polynômes X et X − 1sont premiers entre eux, on a d'après le lemme des noyaux que

E = ker p⊕ ker(p− Id).

Si B est une base de E de la forme B = ( e1, . . . , ep︸ ︷︷ ︸base de ker p

, ep+1, . . . , en︸ ︷︷ ︸base de ker(p− Id)

), on en déduit que

MatB(p) =

(0 0

0 In−p

).

Exemple 6.16. Soit s ∈ L(E) une symétrie, c'est-à-dire, un endomorphisme tel que s2 = 1. Lepolynôme (X + 1)(X − 1) est donc un polynôme annulateur de s. Les polynômes X − 1 et X + 1sont premiers entre eux si la caractéristique de K est di�érente de 2. Supposons donc que K soitde caractéristique di�érente de 2. Dans ce cas, on a

E = ker(s− Id)⊕ ker(s+ Id).

Si B est une base de E de la forme B = ( e1, . . . , ep︸ ︷︷ ︸base de ker(s− Id)

, ep+1, . . . , en︸ ︷︷ ︸base de ker(s+ Id)

), on en déduit que

MatB(s) =

(Ip 0

0 −In−p

).

Remarque 6.17. Soient λ1, . . . , λk des valeurs propres deux à deux distinctes d'un endomor-phisme f . Alors les polynômes Pi = X − λi (i = 1, . . . , k) sont deux à deux premiers entre eux.On a kerPi = ker(f − λi Id) = Eλi et par le lemme des noyaux,

kerP (f) =⊕

Eλi , où P =

k∏i=1

(X − λi)

Exercice 6.18. Soit u un endomorphisme d'un K-espace vectoriel E, soit P ∈ K[X] un polynômeannulateur de u tel que P = QR, où Q,R sont deux polynômes premiers entre eux. Montrer queker(Q(u)) = Im(R(u)) et ker(R(u)) = Im(Q(u))

Page 69: Algèbre approfondie L3 -

6.3. POLYNÔME MINIMAL 69

6.3 Polynôme minimal

On rappelle que l'application

ϕf : K[X] −→ L(E)

P 7−→ P (f)

est un morphisme d'algèbres. En d'autres termes :

• ϕf est un morphisme d'anneaux de (K[X],+,×) dans (L(E),+, ◦) ;• ϕf est une application K-linéaire de K[X] dans L(E).

En particulier, puisque dim(K[X]) = +∞ et dim(L(E)) = (dim(E))2, on voit que ϕf ne peutpas être injectif et donc son noyau est un idéal de K[X] non réduit à 0.

On rappelle que l'anneau K[X] est principal, c'est-à-dire, que tout idéal I de K[X] peut êtreengendré par un seul polynôme. De plus, pour tout idéal I de K[X], il existe un unique polynômeP unitaire tel que I = (P ).

Dé�nition 6.19. Le polynôme minimal de f , noté Πf , est l'unique polynôme unitaire tel queker(ϕf ) = (Πf ).

Le polynôme minimal de f ∈ L(E) est donc le polynôme unitaire de plus petit degré quiannule f . De plus, si P est un polynôme annulateur de f , alors P ∈ ker(ϕf ) = (Πf ), et donc Πf

divise P .

Soit A ∈Mn(K). L'application

ϕA : K[X] −→ Mn(K)

P 7−→ P (A)

est un morphisme d'algèbres. Le polynôme minimal ΠA de A est l'unique polynôme unitairequi engendre ker(ϕA). Puisque pour toute base B de E, tout endomorphisme f ∈ L(E) et toutP ∈ K[X] on a

P (MatB(f)) = MatB(P (f)),

ainsi tout polynôme annulateur de f annule la matrice de f dans n'importe quelle base etréciproquement, si un polynôme annule la matrice de f dans une base donnée, alors il annule f .On conclut que si B est une base telle que A = MatB(f) alors Πf = ΠA et que si B′ est une autrebase de E et B = MatB′(f), alors Πf = ΠB = ΠA. On peut donc choisir une base privilégiéepour calculer le polynôme minimal de f .

Exemple 6.20. Soit D =

1 0 0

0 1 0

0 0 2

. Par l'Exemple 6.11, pour tout P ∈ K[X] on a

P (D) =

P (1) 0 0

0 P (1) 0

0 0 P (2)

.

Page 70: Algèbre approfondie L3 -

70 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Ainsi P (D) = 03 ⇐⇒ P (1) = 0 et P (2) = 0. En particulier on a ΠD(1) = ΠD(2) = 0 cequi implique que (X − 1)(X − 2) | ΠD. De plus le polynôme (X − 1)(X − 2) est un polynômeannulateur de D puisque

(X − 1)(X − 2)(D) = (D − I3) · (D − 2I3) =

0 0 0

0 0 0

0 0 1

·−1 0 0

0 −1 0

0 0 0

= 0M3(K).

Ceci montre que ΠD | (X − 1)(X − 2). Ainsi ΠD = (X − 1)(X − 2).

Exemple 6.21. Soit T =

1 1 0

0 1 0

0 0 2

. Par l'Exemple 6.11, pour tout P ∈ K[X], on a

P (T ) =

P (1) ∗ ∗0 P (1) ∗0 0 P (2)

.

Ainsi P (T ) = 03 =⇒ P (1) = 0 et P (2) = 0. En particulier on a ΠT (1) = ΠT (2) = 0 ce quiimplique que (X − 1)(X − 2) | ΠT . On calcule

(T − I3) · (T − 2I3) =

0 1 0

0 0 0

0 0 1

·−1 1 0

0 −1 0

0 0 0

=

0 −1 0

0 0 0

0 0 0

,

(T − I3)2 · (T − 2I3) =

0 1 0

0 0 0

0 0 1

2

·

−1 1 0

0 −1 0

0 0 0

=

0 0 0

0 0 0

0 0 1

·−1 1 0

0 −1 0

0 0 0

=

0 0 0

0 0 0

0 0 0

.

On en déduit que (X − 1)2 · (X − 2) est un polynôme annulateur de T . Ceci implique queΠT | (X − 1)2(X − 2). Ainsi, puisque (X − 1)(X − 2) | ΠT , on déduit que ΠT = (X − 1)(X − 2)ou ΠT = (X − 1)2(X − 2) et comme (T − I3)(T − 2I3) 6= 0 on a nécessairement

ΠT = (X − 1)2(X − 2).

Exemple 6.22. Soit T =

a 1 0

0 a 1

0 0 a

, où a ∈ K. Pour tout P ∈ K[X], on a

P (T ) =

P (a) ∗ ∗0 P (a) ∗0 0 P (a)

.

Page 71: Algèbre approfondie L3 -

6.3. POLYNÔME MINIMAL 71

Ainsi P (T ) = 03 =⇒ P (a) = 0. Le polynôme minimal de T est donc un multiple de (X − a). Oncalcule

(T − aI3) =

0 1 0

0 0 1

0 0 0

, (T − aI3)2 =

0 0 1

0 0 0

0 0 0

, (T − aI3)3 =

0 0 0

0 0 0

0 0 0

,

ce qui montre que

• ΠT divise (X − a)3 ;

• ΠT 6= (X − a) et ΠT 6= (X − a)2.

On conclut que ΠT = (X − a)3.

On peut remarquer que deg(Πf ) ≤ dim(E)2 puisque, par le premier théorème d'isomorphismepour les anneaux, le morphisme ϕf induit un morphisme injectif :

ϕf : K[X]/(Πf ) −→ L(E)

et dim(L(E)) = n2.

Soit f ∈ L(E). Alors λ est valeur propre de f si et seulement si Πf (λ) = 0.

Proposition 6.23.

Démonstration. Si x est un vecteur propre de f associé à la valeur propre λ, alors pour toutP ∈ K[X] on a

P (f)(x) =∑

aifi(x) =

∑aiλ

ix = P (λ)x.

Si P est un polynôme annulateur de f alors P (λ) = 0. En particulier, on a Πf (λ) = 0.

Réciproquement, soit λ ∈ K tel que Πf (λ) = 0. On a alors Πf = (X − λ) · P et P (f) 6= 0par minimalité de Πf . (On peut avoir P = 1 et P (f) = IdE .) Il existe x ∈ E\{0} tel queP (f)(x) 6= 0E . On a alors

0 = Πf (f)(x) = ((f − λ Id) ◦ P (f))(x) = (f − λ Id)(P (f)(x)),

et donc f − λ Id n'est pas injectif. On en déduit que λ est valeur propre de f .

Soit f ∈ L(E) et soit F un sous-espace vectoriel stable par f . Soit g = f|F la restrictionde f à F . Alors Πg | Πf .

Proposition 6.24.

Démonstration. Le polynôme Πf véri�e

∀x ∈ E,Πf (f)(x) = 0.

Donc a fortiori, Πf est un polynôme annulateur de g sur F . Par minimalité, on conclut queΠg | Πf .

Page 72: Algèbre approfondie L3 -

72 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Soit f ∈ L(E). On a χf (f) = 0L(E). En d'autres termes, Πf | χf , i.e., le polynômeminimal divise de f divise son polynôme caractéristique.

Théorème 6.25 (Théorème de Cayley-Hamilton).

De manière équivalente, on a χA(A) = 0Mn(K) pour tout A ∈Mn(K).

Démonstration. Nous allons donner deux preuves di�érentes de ce résultat. Attention, le raison-nement suivant est incorrect : χA(A) = det(A−A · In) = det(0n) = 0K. Le calcul det(A−A · In)donne comme résultat un élément de K, alors que χA(A) est par dé�nition un élément deMn(K).

Preuve 1 : Matrices compagnons. Soit P = Xn + an−1Xn−1 + . . .+ a1X + a0. On dé�nit la

matrice compagnon de P par

C(P ) =

0 . . . . . . 0 −a01 0 . . .

... −a10 1

. . ....

......

. . . . . ....

...

0 . . . 0 1 −an−1

On peut alors montrer par récurrence que χC(P ) = (−1)nP (voir TD).

Soit x ∈ E et soit p le plus petit entier tel que la famille (x, f(x), . . . , fp(x)) soit liée. Parminimalité, la famille (f i(x))0≤i≤p−1 est libre ; il existe donc il existe a0, . . . , ap−1 ∈ K tels que

fp(x) +

p−1∑i=0

aifi(x) = 0E .

En posant Px = Xp+ap−1Xp−1 + . . .+a1X+a0, l'égalité ci-dessus se réécrit Px(f)(x) = 0E . On

complète (f i(x))0≤i≤p−1 en une base B de E. La matrice de f dans cette base est alors donnéepar (

C(Px) ∗0 B

).

On en déduit que χf = χC(Px) ·χB = (−1)deg(Px)Px ·χB et χf (f) = ±Px(f) ◦χB(f) = ±χB(f) ◦Px(f). En évaluant en x on trouve

χf (f)(x) = ±χB(f) ◦ Px(f)(x) = ±χB(f)

(Px(f)(x)

)= 0E .

Ceic étant vrai pour tout x, on conclut que χf (f) est l'endomorphisme nul.

Preuve 2 : Comatrice. On a besoin du résultat suivant. Soit M ∈Mn(A) où A est un anneaucommutatif unitaire. On a M · t comM = det(M)In.

Page 73: Algèbre approfondie L3 -

6.4. SOUS-ESPACE CARACTÉRISTIQUE 73

Soit A ∈Mn(K) où n ≥ 1. On pose{R = A−XInS = t comR

.

On a S,R ∈ Mn(K[X]) et det(R) = χA = (−1)nXn + an−1Xn−1 + . . . + a0. Les coe�cients de

la matrice S sont des polynômes en X de degré inférieure ou égale à n− 1. On peut donc écrire,en regroupant les termes de même degré :

S = Xn−1Sn−1 + . . .+XS1 + S0 où Si ∈Mn(K).

L'égalité RS = det(R)In se réécrit :

(A−XIn) · (Xn−1Sn−1 + . . .+XS1 + S0) = χAIn.

On a alors

−Sn−1 = (−1)nIn

ASn−1 − Sn−2 = an−1In... =

...

AS1 − S0 = a1In

AS0 = a0In

On multiplie la première ligne par An, la deuxième par An−1, etc., et on somme le tout pourobtenir :

0 = An + an−1An−1 + . . .+ a1A+ a0 = χA(A),

ce qui conclut.

6.4 Sous-espace caractéristique

Dans cette partie, les endomorphismes nilpotents jouent un rôle primordial. On rappelle quepour un endomorphisme u d'un K-espace vectoriel E de dimension �nie, les propositions suivantessont équivalentes :

1. u est nilpotent, i.e., il existe k ∈ N∗ tel que uk = 0E ,

2. χu = (−1)nXn pour un n ∈ N,3. Il existe p ∈ N tel que Πu = Xp ; l'entier p est l'indice de nilpotence de u,

4. u est trigonalisable avec des 0 sur la diagonale ;

Dé�nition 6.26. Soit u ∈ L(E) et soit λ une valeur propre de u de multiplicité α dans χu. Onappelle sous-espace caractérsitique de f associé à λ le sous-espace vectoriel

Nλ := ker(u− λ Id)α.

Soit u ∈ L(E) tel que χu est scindé : χu =∏ki=1(X − λi)αi , où les λi sont deux à deux

distincts. Alors

1. Le sous-espace Nλi est stable par u,

2. On a E = Nλ1 ⊕Nλ2 ⊕ . . .⊕Nλk ,

3. On a dimNλi = αi.

Proposition 6.27.

Page 74: Algèbre approfondie L3 -

74 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Démonstration. 1. Soit x ∈ Nλi . Puisque (u−λi Id)αi est un polynôme en u, les endomorphismesu et (u− λi Id)αi commutent. On a alors

(u− λi Id)αi(u(x)) = (u− λi Id)αi ◦ u(x) = u ◦ (u− λ Id)αi(x) = u(0) = 0

et donc u(x) ∈ Nλi .

2. C'est une simple application du Lemme des noyaux.

3. La restriction v de u− λi Id à Nλi :

v : Nλi −→ Nλi

x 7−→ (u− λi Id)(x)

est nilpotente par dé�nition de Nλi . On sait donc que le polynôme caractéristique de v estχv = (−X)dimNλi . Ainsi le polynôme caractéristique de u|Nλi est ±(X − λ)dim(Nλi ) et comme ildivise χu, on a dimNλi ≤ αi. Puisque

∑dimNλi =

∑αi = n, on a le résultat.

Remarque 6.28. Par dé�nition de Nλi , on a :

La restriction de (u− λi Id) à Nλi est nilpotente d'indice ≤ αi

Soit u ∈ L(E) tel que χu est scindé : χu =∏ki=1(X − λi)

αi , où les λi sont deux à deuxdistincts. Pour tout i on désigne par ui la restriction de u à Nλi :

ui : Nλi −→ Nλi

x 7−→ u(x).

Soit B = B1 ∪ . . . ∪ Bk une base de E telle que Bi est une base de Nλi . La matrice de u danscette base est diagonale par bloc :

MatB1(u1) 0 . . . 0

0 MatB2(ui). . .

......

. . . . . . 0

0 . . . 0 MatBk(uk)

.

Si f est un endomorphisme nilpotent, on notera Nil(f) son indice de nilpotence.

Soit u ∈ L(E) tel que χu est scindé, i.e., tel que χu =∏ki=1(X − λi)αi , où les λi sont

deux à deux distincts. Alors

Πu =k∏i=1

(X − λi)βi , où βi = Nil(u− λi Id)|Nλi≤ αi

Théorème 6.29.

Page 75: Algèbre approfondie L3 -

6.4. SOUS-ESPACE CARACTÉRISTIQUE 75

Démonstration. On sait que Πu | χu donc Πu est de la forme∏ki=1(X − λi)

βi avec βi ≤ αi.Posons Ni := Nλi pour alléger les notations. Il rest à montrer que βi = Nil(u − λi Id)|Ni . SoitB = B1 ∪ · · · ∪ Bk une base de E telle que Bi est une base de Ni pour tout i = 1, . . . , k. Soit Ala matrice de u dans la base B et pour tout i = 1, . . . , k, soit Ai la matrice de ui := u|Ni dans labase Bi. On a alors

A =

A1 0 . . . 0

0 A2. . .

......

. . . . . . 0

0 . . . 0 Ak

.

Pour tout polynôme P ∈ K[X], puisque la matrice A est diagonale par blocs, on a :

P (A) =

P (A1) 0 . . . 0

0 P (A2). . .

......

. . . . . . 0

0 . . . 0 P (Ak)

.

On introduit les notations suivantes : pour tout i, j on désigne par Ai,j la matrice Ai−λjIαi .Comme Ai n'admet que λi pour valeur propre, on a det(Ai − λjIαi) 6= 0 pour tout j 6= i. End'autres termes, la matrice Ai,j est inversible dès que i 6= j. Pour résumer :

1. La matrice Ai,j est inversible pour tout i 6= j,

2. La matrice Ai,i est nilpotente d'indice βi.

Pour tout polynôme P de la forme∏ki=1(X − λi)pi et tout j ∈ {1, . . . , k} on a

P (Aj) =k∏i=1

(Aj − λiIαj )pi =k∏i=1

Apij,i

P (A) =

P (A1) 0 . . . 0

0 P (A2). . .

......

. . . . . . 0

0 . . . 0 P (Ak)

=

∏ki=1A

pi1,i 0 . . . 0

0∏ki=1A

pi2,i

. . ....

.... . . . . . 0

0 . . . 0∏ki=1A

pik,i

Fixons j ∈ {1, . . . , k}. On a

k∏i=1

Apij,i =

j−1∏i=1

Apij,i︸ ︷︷ ︸inversible

·Apjj,j ·k∏

i=j+1

Apij,i︸ ︷︷ ︸inversible

Le produit ci-dessus vaut 0 si et seulement si Apjj,j = 0. De plus A

pjj,j = 0 si et seulement si

pj ≥ βj . Finalement, on a montré que

P (A) = 0⇐⇒ pi ≥ βi pour tout i.

Le polynôme minimal de A est donc bien∏ki=1(X − λi)βi .

Page 76: Algèbre approfondie L3 -

76 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Exemple 6.30. On considère u ∈ L(E) de matrice dans une base B de E :

A =

0 −2 0 1

−4 −3 5 0

−2 −3 3 1

−1 −1 2 1

On peut véri�er que χA(X) = (X + 2)(X − 1)3.Déterminons les sous-espaces caractéristiques de u.

Sous-espace caractéristique N−2. On a

(A+ 2I4) =

2 −2 0 1

−4 −1 5 0

−2 −3 5 1

−1 −1 2 3

et ker(A+ 2I4) = Vect

1

1

1

0

.

Sous-espace caractéristique N1. On a

(A− I4)3 = −27

1 1 −1 0

1 1 −1 0

1 1 −1 0

0 0 0 0

et N1 = Vect

1

0

1

0

,

−1

1

0

0

,

0

0

0

1

.

On trouve que la matrice de u dans la base B′ = ((1, 1, 1, 0), (1, 0, 1, 0), (−1, 1, 0, 0), (0, 0, 0, 1))composée des vecteurs ci-dessus est donnée par

−2 0 0 0

0 1 −1 1

0 1 1 0

0 1 0 1

On véri�e que la matrice de (u − id)|N1dans la base B′, donnée par M :=

0 −1 1

1 0 0

1 0 0

, est

nilpotente d'indice 3 (il su�t de voir que M2 6= 0,M3 = 0). Le polynôme minimal de u est donc(X + 2)(X − 1)3.

Exemple 6.31. On considère u ∈ L(E) de matrice dans une base B de E :

A =

−2 −3 3 0

−2 −2 2 1

−2 −3 3 1

1 0 −1 2

Page 77: Algèbre approfondie L3 -

6.5. POLYNÔMES ANNULATEURS ET RÉDUCTION 77

On a χA(X) = (X + 2)(X − 1)3. On a donc le même polynôme caractéristique que dansl'Exemple 6.30 ! On va voir que le polynôme minimal, quant à lui, di�ère de celui obtenu dansl'Exemple 6.30.

Déterminons les sous-espaces caractéristiques de u.

Sous-espace caractéristique N−2. On a

(A+ 2I4) =

0 −3 3 0

−2 0 2 1

−2 −3 5 1

1 0 −1 4

et ker(A+ 2I4) = Vect

1

1

1

0

.

Sous-espace caractéristique N1. On a

(A− I4)3 = −27

1 1 −1 0

1 1 −1 0

1 1 −1 0

0 0 0 0

et N1 = Vect

1

0

1

0

,

−1

1

0

0

,

0

0

0

1

.

On trouve que la matrice de u dans la base B′ = ((1, 1, 1, 0), (1, 0, 1, 0), (−1, 1, 0, 0), (0, 0, 0, 1))composée des vecteurs ci-dessus est

−2 0 0 0

0 1 −1 1

0 0 0 1

0 0 −1 2

On véri�e que la matrice de (u − id)|N1dans la base B′, donnée par M :=

0 −1 1

0 −1 1

0 −1 1

est

nilpotente d'indice 2 (il su�t de voir que M2 = 0). Et donc le polynôme minimal de u est(X + 2)(X − 1)2. Comparer avec l'Exemple 6.30 !

6.5 Polynômes annulateurs et réduction

On rappelle qu'un endomorphisme u d'un K-espace vectoriel E de dimension �nie est ditdiagonalisable (resp. trigonalisable) s'il existe une base de E dans laquelle sa matrice est diagonale(resp. triangulaire supérieure). Notons qu'un endomorphisme u de E est diagonalisable si etseulement s'il existe une base de E formée de vecteurs propres de u.

Page 78: Algèbre approfondie L3 -

78 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Soit f ∈ L(E). Les propositions suivantes sont équivalentes :

1. L'endomorphisme f est diagonalisable,

2. Il existe un polynôme annulateur de f scindé à racines simples,

3. Le polynôme Πf est scindé à racines simples,

4. Le polynôme χf est scindé et pour toute racine λ de χf , la dimension de Eλ estégale à la multiplicité de λ dans χf .

Théorème 6.32 (Critères de diagonalisabilité).

Preuve du Théorème 5.1. On rappelle que les valeurs propres d'un endomorphisme f de E sontexactement les racines de son polynôme caractéristique χf .

Il est immédiat que (3) implique (2) ; réciproquement, s'il existe un polynôme P scindé àracines simples qui annule f , alors P ∈ (Πf ), et donc Πf divise P . On déduit que Πf est aussiscindé à racines simples. Ainsi, les conditions (2) et (3) sont équivalentes.

Montrons que (1) implique (2). Si f est diagonalisable, alors il existe une base B de E telleque la matrice de f dans cette base est diagonale. Les éléments de la base sont alors formés devecteurs propres de f . Notons λ1, λ2, . . . , λk les valeurs propres associées (deux à deux distinctes).On a alors que

(f − λ1Id) ◦ (f − λ2Id) ◦ · · · ◦ (f − λkId)(v) = 0 ∀v ∈ E.

En e�et, cette égalité est véri�ée pour tout vecteur v de la base B, puisque les endomorphismesf − λiId commutent deux à deux et que v est un vecteur propre pour l'une des valeurs propresλ1, λ2, . . . , λk. Elle est donc véri�ée pour tout v ∈ E (puisqu'il su�t qu'un endomorphismes'annule sur une base de E pour qu'il s'annule partout). On a ainsi démontré que le polynômeP = (X − λ1)(X − λ2) · · · (X − λk), qui est scindé et à racines simples, annule f , ce qui montreque (2) est véri�ée.

Montrons réciproquement que (2) implique (1). Supposons donc que P = (X − λ1)(X −λ2) · · · (X −λk), où les λi ∈ K sont deux à deux distincts, est un polynôme tel que P (f) = 0. Lelemme des noyaux (Théorème 6.13) assure alors que

E = Eλ1 ⊕ Eλ2 ⊕ · · · ⊕ Eλk ,

ce qui implique que f est diagonalisable.

Montrons que (4) implique (1). Puisque χf est scindé, par la Proposition 6.27, on déduit queE est la somme directe des sous-espaces caractéristiques de f et que la dimension de Nλi estégale à la multiplicité de λi dans χf . Or, puisque pour toute valeur propre λi, on a Eλi ⊆ Nλi , onconclut que Eλi = Nλi pour tout i, et donc que E est la somme directe des sous-espaces propresde f , ce qui revient à dire que f est diagonalisable.

Pour conclure, montrons que (1) implique (4). Puisque f est diagonalisable, il existe une baseB de E formée de vecteurs propres de f . En calculant le polynôme caractéristique de f au moyende la matrice de f dans la base B, on déduit que χf est scindé. De plus, la forme diagonale decette matrice nous permet de conclure que la dimension de l'espace propre Eλi est égale à lamultiplicité de λi dans χf .

Page 79: Algèbre approfondie L3 -

6.5. POLYNÔMES ANNULATEURS ET RÉDUCTION 79

Remarque 6.33. Le Théorème 6.32 fournit une méthode pour véri�er qu'un endomorphisme fest diagonalisable :

1. On calcule le polynôme caractéristique χf de f . S'il n'est pas scindé, f n'est pas diago-nalisable. Les racines de ce polynômes (dans K) sont exactement les valeurs propres def .

2. Si χf est scindé, on calcule une base des di�érents espaces propres Eλi := ker(f − λiId),pour chaque valeur propre λi.

3. Si pour tout i, la dimension de Eλi est égale à la multiplicité αi de λi dans χf , alors f estdiagonalisable. S'il existe i tel que dim(Eλi) < αi, alors f n'est pas diagonalisable.

Exemple 6.34. 1. Soit p une projection. Alors le polynôme R = X(X − 1) est un polynômeannulateur de p. Or R est scindé à racines simples donc p est diagonalisable. On l'a déjàconstaté au moyen d'une autre méthode dans l'Exemple 6.15.

2. Soit s une symétrie. Alors le polynôme P = (X+1)(X−1) est un polynôme annulateur dep. Or si K n'est pas de caractéristique 2, alors P est scindé à racines simples et donc s estdiagonalisable. On l'a déjà constaté au moyen d'une autre méthode dans l'Exemple 6.16.

3. Soit u ∈ L(E) un endomorphisme de matrice représentative A =

2 0 −1

−1 1 1

0 0 1

dans la

base canonique. On a

χu = −X3 + 4X2 − 5X + 2 = −(X − 1)2(X − 2).

A ce stade, pour déterminer si u est diagonalisable ou pas, on peut

(a) Déterminer E1 et E2 et calculer dimE1 + dimE2.

; Si dimE1 + dimE2 < 3 alors u n'est pas diagonalisable.

; Si dimE1 + dimE2 = 3 alors u est diagonalisable.

(b) Calculer (A− I3) · (A− 2I3).

; Si (A− I3) · (A− 2I3) = 0, alors u est diagonalisable puisqu'il existe un polyn �mescindé à racines simples qui annule u.

; Si (A− I3) · (A− 2I3) 6= 0, alors u n'est pas diagonalisable.

L'avantage de la première méthode est que dans le cas où u est diagonalisable, on obtientune base de E formée de vecteurs propres de u. Dans la cas présent, on trouve

E1 = Vect

1

0

1

,

0

1

0

et E2 = Vect

1

−1

0

ainsi que

(A− I3) · (A− 2I3) =

1 0 −1

−1 0 1

0 0 0

· 0 0 −1

−1 −1 1

0 0 −1

= 0.

On a donc montré de deux manières di�érentes que u est diagonalisable.

Page 80: Algèbre approfondie L3 -

80 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Soit f ∈ L(E). Les propositions suivantes sont équivalentes :

1. L'endomorphisme f est trigonalisable ;

2. Il existe un polynôme annulateur de f scindé ;

3. Le polynôme Πf est scindé ;

4. Le polynôme χf est scindé.

Théorème 6.35 (Critères de trigonalisabilité).

Démonstration. Montrons que (1) implique (4). Puisque f est trigonalisable, il existe une base Bde E telle que la matrice représentative de f dans la base B est triangulaire supérieure. En notantλi les coe�cients diagonaux de cette matrice, on obtient χf =

∏ni=1(λi −X), ce qui montre que

χf est scindé.

Il est clair que (4) implique (3), puisque Πf | χf . De même, il est clair que (3) implique (2).

Pour conclure, montrons que (2) implique (1). Supposons donc qu'il existe un polynômescindé P qui annule f , et écrivons P =

∏ki=1(X − λi)ai , où les λi sont des scalaires deux à deux

distincts. Puisque P (f) = 0, le Lemme des noyaux donne une décomposition

E = ker((f − λ1Id)a1)⊕ ker((f − λ2Id)a2)⊕ · · · ⊕ ker((f − λkId)ak).

Puisque f et (f − λiId)ai commutent, le sous-espace vectoriel Ni := ker((f − λiId)ai) est stablepar f et par f − λiId, et la restriction de f − λiId à Ni est un endomorphisme nilpotent de Ni

par dé�nition de Ni, et donc trigonalisable.Pour tout i, soit donc Bi une base de Ni qui trigonalise (f − λiId)|Ni . Alors Bi trigonalise

aussi f|Ni , puisque la matrice de l'identité est diagonale dans toute base. On en déduit que, dansla base B = B1 ∪ · · · ∪ Bk, la matrice de B est triangulaire supérieure par blocs, ce qui montreque f est trigonalisable.

Corollaire 6.36. Soit E un C-espace vectoriel de dimension �nie. Tout endomorphisme de Eest trigonalisable.

Démonstration. On sait que tout polynôme de C[X] est scindé grâce au Théorème de d'Alembert-Gauss. On en déduit que le polynôme caractéristique (ou le polynôme minimal) de tout endomor-phisme f ∈ L(E) est scindé. Le fait que f est trigonalisable est alors une conséquence immédiatede la proposition précédente.

Exemple 6.37. Le résultat ci-dessus n'est pas vrai si l'on remplace le corps C par R. Parexemple, prenons E = R2 et la matrice

A =

(0 1

−1 0

)représentative d'un endomorphisme f ∈ L(E) dans la base canonique. Le polynôme caractéris-tique de A est égal àX2+1, qui n'est pas scindé dans R[X]. L'endomorphisme de E correspondantn'est donc pas trigonalisable. Comme exercice, on pourra trigonaliser la matrice A en considérantqu'elle représente un endomorphisme de C2.

Page 81: Algèbre approfondie L3 -

6.5. POLYNÔMES ANNULATEURS ET RÉDUCTION 81

Exemple 6.38. On considère la matrice représentative

A =

1 1 0

0 1 0

1 −1 2

d'un endomorphisme f ∈ L(R3) dans la base canonique. On cherche à déterminer si f estdiagonalisable, ou trigonalisable.

En développant selon la deuxième ligne de la matrice A−XI3, on calcule le polynôme carac-téristique

χf = (1−X)2(2−X).

Ce polynôme est scindé. On en déduit que f est trigonalisable. Pour déterminer si f est diago-

nalisable, on peut soit déterminer son polynôme minimal, soit calculer les sous-espaces caracté-ristiques N1 et N2 et véri�er si E1 = N1, N2 = E2. Remarquons que, puisque 1 est racine demultiplicité 1 de χf , on a E2 = N2 par dé�nition de E2 et N2. Puisque χf est scindé, par laProposition 6.27 on sait que E = N1 ⊕N2 et que dim(N1) = 2, dim(N2) = 1.

Déterminons l'espace propre E1 = ker(A− Id). On a

A− Id =

0 1 0

0 0 0

1 −1 1

.

Les calculs montrent que ker(A− Id) = Vect

1

0

−1

, et donc que dim(E1) = 1 < 2. On

en déduit que f n'est pas diagonalisable.

On aurait pu établir ce résultat en calculant le polynôme minimal de f . On peut soit utiliserle fait qu'il divise χf (Théorème de Cayley-Hamilton), soit utiliser le Théorème 6.29 pour ledéterminer : on sait que Πf = (X − 1)β1(X − 2)β2 , où βi est l'indice de nilpotence de (A−λiId).En général, on peut calculer explicitement ces indices de nilpotence pour déterminer si f estdiagonalisable ou pas. Ici, on peut s'aider du fait que cet indice vaut forcément au minimum 1,et donc en utilisant le fait que Πf | χf on voit qu'on n'a que deux options pour le polynômeminimal de f : soit Πf = (X − 1)2(X − 2), soit Πf = (X − 1)(X − 2). Or, on a

(A− Id) · (A− Id) =

0 1 0

0 0 0

1 −1 1

·−1 1 0

0 −1 0

1 −1 0

=

0 −1 0

0 0 0

0 0 0

6= 0.

On conclut que Πf 6= (X − 1)(X − 2), et donc que Πf = (X − 1)2(X − 2), qui est scindé maisn'est pas à racines simples. L'endomorphisme f n'est donc pas diagonalisable.

Page 82: Algèbre approfondie L3 -

82 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Soient (fi)i∈I une famille d'endomorphismes de E telle que fi ◦ fj = fj ◦ fi pour tout(i, j) ∈ I2.

1. Si tous les fi sont diagonalisables alors on peut les diagonaliser dans une mêmebase,

2. Si tous les fi sont trigonalisables alors on peut les trigonaliser dans une mêmebase.

Théorème 6.39 (Diagonalisation et trigonalisation simultanée).

Nous ne démontrons pas ce résultat ici, mais le point 1 sera abordé en TD.

6.6 Décomposition de Dunford

Soit u ∈ L(E) tel que χu est scindé, i.e., χu =∏ki=1(X−λi)αi , où les λi sont deux à deux

distincts et αi ≥ 1 pour tout i. Alors il existe un unique couple (d, n) d'endomorphismestels que

1. d est diagonalisable,

2. n est nilpotent,

3. u = d+ n,

4. d ◦ n = n ◦ d.

Théorème 6.40 (Décompositon de Dunford).

Exemple 6.41. Si u ∈ L(E) est diagonalisable, alors sa décomposition de Dunford est u =u + 0. On voit donc que la décompositon de Dunford de l'endomorphisme de R2 représenté

par la matrice

(1 1

0 2

)dans la base canonique n'est pas

(1 0

0 2

)+

(0 1

0 0

)puisque la matrice(

1 1

0 2

)est diagonalisable. La condition ci-dessus qui n'est pas véri�ée pour la décomposition(

1 0

0 2

)+

(0 1

0 0

)est la condition d ◦ n = n ◦ d.

Démonstration. Montrons l'existence de la décomposition. Puisque χu est scindé, les sous-espacescaractéristiques sont en somme directe (Proposition 6.27). Il su�t donc de dé�nir, pour chaquei, des endomorphismes di et ni de Ni qui satisfont les quatre conditions de l'énoncé. On prolongedi et ni en des endomorphismes di et ni de E en imposant que pour tout i,

(di)|Ni = di, (di)|Nj = 0 si i 6= j,

(ni)|Ni = ni, (ni)|Nj = 0 si i 6= j.

Page 83: Algèbre approfondie L3 -

6.6. DÉCOMPOSITION DE DUNFORD 83

On a alors que 0 = di ◦ nj = di ◦ dj = ni ◦ dj = ni ◦ nj pour tous i 6= j, et en posant d =∑

i di,n =

∑i ni, on obtient un endomosphisme diagonalisable d et un endomorphisme nilpotent n de

E satisfaisant les conditions de l'énoncé.Soit donc i ∈ {1, . . . , k}. On a

u|Ni = (u− λiIαi)|Ni︸ ︷︷ ︸nilpotent

+ λiIαi︸ ︷︷ ︸diagonalisable

On pose alorsni : Ni −→ Ni et di : Ni −→ Ni

x 7−→ u(x)− λix x 7−→ λix.

On voit que di et ni commutent puisque di = λi Id.

Si x ∈ E alors x s'écrit de manière unique sous la forme x1 + . . .+ xk avec xi ∈ Ni pour touti et on a

n(x) = n1(x1) + . . .+ nk(xk) et d(x) = d1(x1) + . . .+ dk(xk).

On a alors

1. d est diagonalisable ;

2. n est nilpotent (d'indice r = max{Nil(ni) | 1 ≤ i ≤ r}) ;3. d et n commutent.

Il reste à voir que u = n+ d. Pour x ∈ E on a

(n+ d)(x) =k∑i=1

(ni + di)(xi) =k∑i=1

u|Ni(xi) =k∑i=1

u(xi) = u

(k∑i=1

xi

)= u(x),

ce qui montre que u = d+ n.

Montrons l'unicité de cette décomposition.

Supposons qu'il existe un autre couple (d′, n′) qui satisfait les hypothèses de l'énoncé. Alors,puisque d′◦n′ = n′◦d′ on voit que d′ et d′+n′ = u commutent. On en déduit que les sous-espacesNi sont stables par d′. Comme d|Ni = λi Id, on voit que d et d′ commutent sur Ni. Finalement, det d′ commutent sur E puisque les Ni sont en somme directe, et cette somme directe est égale àE tout entier. Ainsi, puisque d et d′ commutent, ils d et d′ sont diagonalisables dans une mêmebase (Théorème 6.39), et d− d′ est alors aussi diagonalisable dans cette base.

Montrons maintenant que n − n′ est nilpotent. On remarque tout d'abord que n et n′ com-mutent puisque n = u−d et n′ = u−d′, et que d et d′ commutent. Soit r ≥ max{Nil(n),Nil(n′)}.On peut alors appliquer la formule du binôme de Newton (puisque n et −n′ commutent) :

(n− n′)2r =

2r∑k=0

(2r

k

)nk(−n′)2r−k = 0 car soit k ≥ r soit 2r − k ≥ r.

Ainsi n− n′ est nilpotent. Finalement d− d′ = n− n′ est un endomorphisme à la fois nilpotentet diagonalisable, il est donc nul. On en déduit que d = d′ et n = n′.

Page 84: Algèbre approfondie L3 -

84 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Remarque 6.42. Il est possible de montrer que d et n sont des polynômes en u.

Exemple 6.43. Dans cet exemple, nous allons voir comment déterminer la décomposition deDunford d'une matrice A dont le polynôme caractéristique est scindé. Soit donc u ∈ L(E) dematrice dans une base B de E :

A =

0 −2 0 1

−4 −3 5 0

−2 −3 3 1

−1 −1 2 1

On a vu dans l'Exemple 6.30 que le polynôme caractéristique de u est donné par (X+2)(X−1)3.Il est donc scindé, et l'on a E = N1 ⊕ N−2. On a calculé dans l'Exemple 6.30 la matrice de udans une base B′ obtenue comme réunion de bases de N1 et de N−2. Ainsi, on a vu que

A = P ·

−2 0 0 0

0 1 −1 1

0 1 1 0

0 1 0 1

· P−1 où P =

1 1 −1 0

1 0 1 0

1 1 0 0

0 0 0 1

,

et A′ =

−2 0 0 0

0 1 −1 1

0 1 1 0

0 1 0 1

est la matrice de u dans la base B′. La preuve de l'existence de la

décomposition de Dunford montre que d (respectivement n) est obtenue comme somme d'endo-morphismes di (resp. ni), un pour chaque sous-espace caractéristique, et chaque di (resp. ni) estdé�ni comme λiId (resp. (u− λi)|Ni) sur Ni, et 0 sur les autres sous-espaces caractéristiques. Il

en résulte que, dans la base B′, la matrice de d est donnée par D′ =

−2 0 0 0

0 1 0 0

0 0 1 0

0 0 0 1

, et celle de

n est donnée par N ′ =

0 0 0 0

0 0 −1 1

0 1 0 0

0 1 0 0

. Il su�t alors de conjuguer à nouveau par la matrice de

changement de base P pour revenir dans le base initiale B. On a donc :

Page 85: Algèbre approfondie L3 -

6.7. APPLICATIONS DE LA DÉCOMPOSITION DE DUNFORD 85

A = P ·

−2 0 0 0

0 1 0 0

0 0 1 0

0 0 0 1

+

0 0 0 0

0 0 −1 1

0 1 0 0

0 1 0 0

· P−1

=

−2 −3 3 0

−3 −2 3 0

−3 −3 4 0

0 0 0 1

︸ ︷︷ ︸

D

+

2 1 −3 1

−1 −1 2 0

1 0 −1 1

−1 −1 2 0

︸ ︷︷ ︸

N

La décomposition de Dunford de A est donc donnée par D +N .

6.7 Applications de la décomposition de Dunford

6.7.1 Calcul des puissances d'une matrice

L'un des intérêts de la décomposition de Dunford u = d+ n d'un endomorphisme u ∈ L(E)de polynôme caractéristique scindé est que les endomorphismes d et n commutent. On peut doncappliquer la formule du binôme de Newton pour calculer une puissance de u : pour m ∈ N on a

um = (d+ n)m =

m∑i=0

(m

i

)ni ◦ dm−i.

Si m ≥ Nil(n), cette formule se réécrit

um = (d+ n)m =

Nil(n)−1∑i=0

(m

i

)ni ◦ dm−i.

Exemple 6.44. Soit A =

−1 −2 −2

−1 1 −1

3 2 4

. Calculons An. Le polynôme caractéristique de A

est donné par (X−1)2(2−X), qui est scindé. On en déduit que A possède une décomposition deDunford. Pour la calculer, déterminons une base des espaces caractéristiques de A. Les calculsmontrent que

N2 = ker(X − 2I3) = Vect(

0

1

−1

︸ ︷︷ ︸

=:u1

),

N1 = ker((X − I3)2) = Vect(

1

0

−1

︸ ︷︷ ︸

=:u2

,

0

1

0

︸ ︷︷ ︸

=:u3

).

Page 86: Algèbre approfondie L3 -

86 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

Pour obtenir la décomposition de Dunford de A, on calcule la matrice A′ de l'endomorphisme uassocié à A dans la base B = (u1, u2, u3). On trouve Au1 = 2u1, Au2 = u2, Au3 = −2u2 + u3.On a donc

A′ =

2 0 0

0 1 −2

0 0 1

et P−1 ·A · P = A′ où P =

0 1 0

1 0 1

−1 −1 0

.

La décomposition de Dunford de A′ est donc donnée par

A′ =

2 0 0

0 1 0

0 0 1

︸ ︷︷ ︸

=:D′

+

0 0 0

0 0 −2

0 0 0

︸ ︷︷ ︸

=:N ′

.

On a An = P · (A′)n · P−1 et on calcule (A′)n en utilisant la décomposition de Dunford de A′.La matrice N ′ est nilpotente d'indice 2, on a donc

(A′)n =

(0

n

)(D′)n +

(1

n

)(D′)n−1 ◦N ′

=

2n 0 0

0 1n 0

0 0 1n

+ n

2n−1 0 0

0 1n−1 0

0 0 1n−1

·0 0 0

0 0 −2

0 0 0

=

2n 0 0

0 1 0

0 0 1

+

0 0 0

0 0 −2n

0 0 0

=

2n 0 0

0 1 −2n

0 0 1

On en déduit que

An = P · (A′)n · P−1 =

1− 2n −2n −2n

−2n + 1 1 −2n + 1

2n − 1 + 2n 2n 2n + 2n

.

6.7.2 Calcul de l'exponentielle d'une matrice

Un autre intérêt de la décomposition de Dunford d'une matrice à coe�cients réels A, si elleexiste, réside en le calcul de l'exponentielle de A. On rappelle que

exp(A) =

∞∑k=0

Ak

k!.

Si A et B commutent, on a exp(A + B) = exp(A) exp(B). Ainsi, si A est une matricedont le polynôme caractéristique est scindé, et A = D + N est sa décomposition de Dunford,alors exp(A) = exp(D + N) = exp(D) exp(N). La matrice N étant nilpotente, le calcul de sonexponentielle ne pose pas de problème. Quant à D, on sait qu'il existe une base dans laquellecette matrice est diagonale. Autrement dit, il existe une matrice inversible P et une matricediagonale D′ telles que D = PD′P−1. Or, on a d'une part que

exp(D) = exp(PD′P−1) = P exp(D′)P−1.

Page 87: Algèbre approfondie L3 -

6.7. APPLICATIONS DE LA DÉCOMPOSITION DE DUNFORD 87

D'autre part, puisqueD′ =

d1 0 · · · 0

0 d2 · · · 0

0 0. . . 0

0 0 0 dn

, on a exp(D′) =

exp(d1) 0 · · · 0

0 exp(d2) · · · 0

0 0. . . 0

0 0 0 exp(dn)

.

On peut ainsi calculer exp(A).

Exemple 6.45. Soit A =

3 2 4

−1 3 −1

−2 −1 −3

et u l'endomorphisme associé. On souhaite calculer

exp(A). On trouve χA = −(X + 1)(X − 2)2, qui est scindé. On en déduit que l'endomorphismeu possède une décomposition de Dunford. On trouve

N−1 = E−1 = Vect(f1) où f1 :=

−1

0

1

et

N2 = ker(u− 2 Id)2 = Vect(f2, f3) où f2 =

−2

0

1

, f3 =

0

1

0

.

Soit P = (f1|f2|f3) =

−1 −2 0

0 0 1

1 1 0

. La formule de changement de base donne

−1 0 0

0 1 −1

0 1 3

= P−1 ·A · P.

La décomposition de Dunford de P−1 ·A · P est donnée par−1 0 0

0 1 −1

0 1 3

=

−1 0 0

0 2 0

0 0 2

+

0 0 0

0 −1 −1

0 1 1

et on pose

D = P ·

−1 0 0

0 2 0

0 0 2

· P−1 =

5 0 6

0 2 0

−3 0 −4

N = P ·

0 0 0

0 −1 −1

0 1 1

· P−1 =

−2 2 −2

−1 1 −1

1 −1 1

.

Page 88: Algèbre approfondie L3 -

88 CHAPITRE 6. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES

La matrice D est diagonalisable et la matrice N est nilpotente et la décomposition de Dunfordde la matrice A est D +N . L'indice de nilpotence de N est deux. On obtient

exp(A) = exp(D +N)

= exp(D) exp(N)

= P ·

e−1 0 0

0 e2 0

0 0 e2

· P−1 · (I3 +N)

=

−e−1 2e2 −2e−1

−e2 2e2 −e2

e−1 −e2 2e−1

.

Page 89: Algèbre approfondie L3 -

Index

adjoint, 60algébrique, 34anneau, 7anneau commutatif, 7anneau quotient, 11anneau unitaire, 7application linéaire, 46application transposée, transposée, 59automorphisme, 46

base, 43base antéduale, 54base duale, 52bidual, 53

caractéristique (d'un anneau), 9classe d'équivalence modulo un idéal, 11comatrice, 72coordonnées, 44corps, 7corps algébriquement clos, 37corps des fractions, 13crochet de dualité, 54

décomposition de Dunford, 82degré, 17degré (d'une extension), 33diagonalisable, endomorphisme diagonalisable,

77diagonalisation simultanée, 82dimension, 45dimension �nie, 44diviseur (polynômes), 19dual, 51

endomorphisme, 46endomorphisme trigonalisable, trigonalisable, 73espace propre, 63espace vectoriel, 41exponentielle de matrice, 86

extension algébrique, 36extension de corps, 33

famille génératrice, 43famille liée, 43famille libre, 43fonction polynomiale, 26forme linéaire, 51

groupe multiplicatif d'un corps, 39

homomorphisme d'anneaux, 8hyperplan, 51

idéal (à gauche), 8idéal (anneau commutatif), 20idéal bilatère, 8idéal engendré par un sous-ensemble, 9indépendance linéaire, 43indice de nilpotence, 73intègre, 7isomorphe, 46isomorphisme, 46

Lemme d'Euclide, 24Lemme de Gauss, 24

matrice compagnon, 72matrice de changement de base, 49morphisme d'algèbres, 66multiplicité, 27

nilpotent, endomorphisme nilpotent, 73

orthogonal, sous-espace orthogonal, 55

pgcd, 22polynôme, 17polynôme caractéristique, 64polynôme irréductible, 22polynôme minimal, 34

89

Page 90: Algèbre approfondie L3 -

90 INDEX

polynôme minimal (d'un endomorphisme), 69polynôme minimal d'une matrice, 69polynôme réductible, 22polynôme unitaire, 18polynômes associés, 18polynômes premiers entre eux, 22principal, 10principal (idéal), 10projection, 68

racine, 26rang, 45rang (d'une application linéaire), 46

scindé, 36somme d'espaces vectoriels, 42somme d'idéaux, 10somme directe, 42, 43, 63sous-anneau, 8sous-espace caractéristique, 73sous-espace vectoriel, 42sous-espace vectoriel engendré, 43symetrie, 68

Théorème de Cayley-Hamilton, 72transcendant, 34trigonalisable, endomorphisme trigonalisable, 77

valeur propre, 63vecteur nul, 41vecteur propre, 63