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Georg Lukacs Ancienne Culture Nouvelle Culture 1919

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Ancienne culture, nouvelle culture (1919)Traduction de Gábor TverdotaCahiers du GRM6 (2014)

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  • Cahiers du GRM6 (2014)Les intellectuels dans la guerre civile europenne. Enjeux philosophiques dune histoire crire

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    Gyrgy Lukcs

    Ancienne culture, nouvelle culture(1919)................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueGyrgy Lukcs, Ancienne culture, nouvelle culture (1919), Cahiers du GRM [En ligne], 6|2014, mis en ligne le23 dcembre 2014, consult le 10 juillet 2015. URL: http://grm.revues.org/551

    diteur : Marco Rampazzo Bazzanhttp://grm.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://grm.revues.org/551Document gnr automatiquement le 10 juillet 2015. La pagination ne correspond pas la pagination de l'ditionpapier. GRM - Association

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    Gyrgy Lukcs

    Ancienne culture, nouvelle culture (1919)Traduction de Gbor Tverdota

    [Comment la culture est-elle possible?]1 Lvolution de la socit est un processus unitaire. Cela signifie quune certaine phase de

    cette volution, un point donn de la vie sociale, ne peut se drouler sans que ses effets serpercutent sur tous les autres points. Cest ce caractre unitaire et cohrent de lvolutionsociale qui permet de dcrire le mme processus, tantt du point de vue dun phnomne,tantt du point de vue dun autre tout en aboutissant toujours la comprhension du mmeprocessus. Cest pourquoi il est possible de parler de la culture comme de quelque chosedapparemment isol par rapport aux autres phnomnes sociaux. Car si nous saisissonsadquatement la culture dune certaine poque, nous saisissons demble les racines delvolution densemble de cette poque, et nous arrivons aux mmes rsultats que si nous tionspartis de lanalyse des rapports conomiques.

    2 Cest la culture que les pleureuses de lordre social capitaliste effondr ont, encore avantleffondrement, le plus bruyamment pleure; elles ont fait passer le souci de leurs intrtsde classe pour le souci des valeurs ternelles de la culture. Au contraire, lide qui constituele point de dpart du raisonnement qui va suivre est que la culture de lpoque capitalistesest effondre delle-mme, avant mme quadvienne leffondrement conomique et politique.Ainsi contrairement cette crainte largement rpandue cest prcisment dans lintrt dela culture que la longue agonie de lordre social capitaliste devait enfin arriver terme, pourque souvre la voie une nouvelle culture.

    3 Si lon apprhende la culture de deux poques du point de vue de la science, alors la questionqui se pose en premier lieu est de savoir quelles sont les prconditions sociales et conomiquesde la subsistance de la culture. De cette relation dcoule la rponse la question par laquellenous aurions d commencer, savoir: quest-ce que la culture proprement parler? Pour lersumer brivement: le concept de culture (contrairement celui de civilisation) renferme enlui tous ces produits et activits de grande valeur qui sont ngligeables du point de vue delautoconservation immdiate. Par exemple: la beaut intrieure et extrieure dune maisonappartient au concept de la culture, contrairement sa solidit, sa capacit dtre chauffe,etc. Et si lon se pose la question des conditions de possibilit sociales de la culture, sous quelordre social la culture fleurit, la rponse doit tre la suivante: dans une socit o les besoinsvitaux primaires sont assouvis de telle sorte que leur satisfaction ne demande pas un labeursi lourd quil absorbe les nergies vitales. Une socit, donc, dans laquelle la culture a desnergies libres sa disposition.

    4 Il en dcoule que toute ancienne culture tait la culture des classes opprimantes. Seules lesclasses opprimantes se trouvaient dans la situation de pouvoir mettre toutes leurs plus hautesfacults au service de la culture, abstraction faite de tous les soucis de la subsistance matrielle.Le capitalisme, ici comme ailleurs, a rvolutionn lensemble de lordre social. En abolissantles prrogatives lies aux tats1, il a galement aboli les prrogatives culturelles de la socitdtats. Car le capitalisme a mis au service de la production aussi bien la classe dominante,la bourgeoisie. Lun des traits distinctifs essentiels de la socit capitaliste par rapport auxsocits antrieures est quen elle la classe exploitatrice elle-mme est soumise au procsde production ; elle-mme est oblige de consacrer ses forces la lutte pour le profit, demanire analogue louvrier qui, lui, y est oblig afin dassurer sa subsistance. (Exemple: ledirecteur dusine et, face lui, le propritaire terrien au temps du servage.) Cette affirmationpeut sembler contredite par ce grand nombre doisifs que la classe des capitalistes a produiten son sein et auxquels elle a fait don dun mode de vie ais. Mais ici aussi, il faut viterque notre attention ne soit distraite par des phnomnes de surface. Depuis toujours, pour laculture, seules les meilleures forces des classes dominantes entrent en ligne de compte. Les

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    poques antrieures au capitalisme avaient places celles-ci dans des rapports sociaux o ellespouvaient mettre leurs aptitudes au service de la culture. En revanche, ce sont prcisment cesforces-l dont le capitalisme a fait des esclaves de la production, de mme que des ouvriers,mme si la compensation matrielle de lesclavage fut bien diffrente dans les deux cas.

    5 La libration du joug du capitalisme signifie la libration du joug de la domination de la vieconomique. La civilisation ralise la domination de lhomme sur la nature, mais en retourelle le rend esclave des mmes instruments grce auxquels il lui avait t donn de matriser lanature. Le capitalisme signale lapoge de cet esclavage. Dans le capitalisme il ny a aucuneclasse qui, en vertu de sa position dans la production, serait apte produire de la culture. Cestprcisment ici que la destruction du capitalisme, la socit communiste, saisit le problme.Elle sefforce de crer un ordre social dans lequel tous partageront le mode de vie qui taitcelui des classes opprimantes dans les poques davant le capitalisme; une situation qui nepouvait tre celle daucune classe sous le capitalisme.

    6 Ce nest quavec cela que commence vritablement lhistoire de lhumanit. De mme quelhistoire au sens ancien dbute avec la civilisation, relguant ainsi les combats de lhommecontre la nature dans la priode prhistorique, de mme lhistoriographie des temps venir fera-t-elle dbuter la vritable histoire de lhumanit avec le communisme pleinementdvelopp. Et la domination de la civilisation ne figurera que comme le second temps davantlhistoire.

    [Sur le devenir-marchandise des productions culturelles etleur effet sur la possibilit de la culture]

    7 En consquence, lordre social capitaliste se distinguait avant tout par le fait quen lui lavie conomique cessait dtre un instrument du fonctionnement vital de la socit : la vieconomique se dcala vers son centre, elle devint la fin de toute activit sociale. La premireet plus importante consquence fut que la vie de la socit se transforma en un grandrapport dchange, que le tout de la socit apparut sous la forme dun grand march. Auniveau des divers fonctionnements vitaux cela se manifestait de la manire suivante : toutproduit de lre capitaliste, de mme que toute nergie productive ou cratrice, revtit laforme de la marchandise. Toute chose cessa dtre prcieuse par elle-mme, en vertu de sesvaleurs intrinsques (par exemple artistiques, morales, etc.), et neut de valeur quen tant quemarchandise vendre et acheter sur le march. Quelles consquences dvastatrices celaeut sur toutes sortes de cultures que celles-ci se manifestent sous la forme dactivits, decration duvres ou dinstitutions , il nest peut-tre pas ncessaire de lanalyser ici enprofondeur. Ds lors que lindpendance de lhomme et de la culture vis--vis des soucis delauto-conservation, lusage libre et dsintress de ses forces, sont les prconditions humaineset sociales de la culture, toute chose cre par la culture ne peut vritablement tre unevaleur culturelle que si cette valeur lui est intrinsque. partir du moment o elle revt uncaractre de marchandise, o elle intgre la relation dans laquelle elle se mue en marchandise,le caractre de fin-en-soi a disparu, la possibilit de la culture a disparu.

    8 Mais il est galement un autre point sur lequel le capitalisme sen est pris aux racines vitalesdes possibilits sociales de la culture. Ce point est le rapport de cette dernire la crationdes produits. Nous avons vu que du point de vue des produits, la culture ne pouvait existerquen tant que fin-en-soi. Et, du point de vue de la relation entre produit et crateur, la culturenest possible que si, du point de vue de son crateur, la cration de chaque produit est unprocessus unitaire et achev. Plus prcisment: un processus dont les conditions dpendentdes possibilits et des aptitudes de lhomme crateur. Lexemple le plus caractristique dun telprocessus est luvre dart, savoir le cas o la ralisation de toute luvre est exclusivementle rsultat du travail de lartiste, et o chaque dtail de luvre ralise est dtermin par lestraits individuels de lartiste. Dans les poques prcapitalistes, cet esprit artistique rgnait surlensemble de lartisanat. Essentiellement, la production du livre dans limprimerie diffraitaussi peu de son criture que la peinture dun tableau diffrait de la confection dune chaise (sidu moins lon considre la chose partir de la nature humaine de la cration). La production detype capitaliste en revanche non seulement dpossde louvrier de la proprit des instruments

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    de production, mais, par le biais de la spcialisation croissante dans la division du travailde plus en plus pousse, elle segmente le processus dlaboration du produit en des partiesdont aucune ne ralise une chose qui aurait un sens en elle-mme, qui serait acheve entant que telle. Il ny a dsormais plus aucun ouvrier dont le travail serait en rapport directet sensible avec le produit final ; ce produit na de sens que pour le calcul abstrait ducapitaliste, pour qui il nest que marchandise. Le dveloppement de lindustrie mcanique nepeut quaccentuer linhumanit de ce rapport. En effet, tandis que dans le cas de la division dutravail qui se cre au sein de la manufacture, aussi pouss que puisse tre par ailleurs le degrde segmentation du processus de production, la qualit des divers travaux partiels demeureencore indissolublement lie aux possibilits physiques et mentales de louvrier, dans le casde lindustrie hautement mcanise mme ce lien entre produit et producteur se trouve aboli:dsormais ce sont exclusivement les possibilits de la machine qui dictent le processus de laproduction; lhomme se met au service de la machine, il sadapte la machine; la productiondevient compltement indpendante des possibilits et des capacits humaines de louvrier2.

    9 ct de ces forces dtruisant la culture, que nous avons envisages jusqu prsent duseul point de vue des produits isols et de leurs producteurs, dautres forces semblables sontgalement oprantes dans le capitalisme. Nous en apercevons la plus importante avec clartsi nous observons les rapports mutuels entre les produits labors. La culture des poquesprcapitalistes tait rendue possible par le rapport de continuit dans lequel se trouvaient lesdivers produits culturels: dans les uns se dveloppaient les questions poses dans les autres,etc. Par-l, la culture montrait les signes dune certaine continuit de lvolution lente etorganique. Cela rendait possible lmergence dune culture en tous points cohrente, unanime,mais tout de mme originale ; une culture dont le niveau outrepassait de loin le niveau leplus lev atteignable par les capacits des individus pris isolment. En rvolutionnant comme chacun le sait le processus de la production, en perptuant par le biais de lanarchieproductive cet aspect rvolutionnaire de la production, le capitalisme a aboli cette continuitet cette organicit des cultures anciennes. Car, du point de vue de la culture, la rvolutionde la production signifie dun ct que le processus de production amne sans cesse lasurface des circonstances qui influent de manire dcisive sur le cours de la production et surson comment, sans quelles soient dans un rapport quelconque avec lessence du produit lui-mme, ce dernier tant entendu comme uvre qui trouve sa fin en elle-mme. (Cest ainsique la matrialit dprit dans toute lindustrie, dans larchitecture, etc.) Dun autre ct,en consquence du fait que cest pour le march que lon produit sans quoi le caractrervolutionnaire de la production capitaliste serait inimaginable , ce sont la pure nouveaut,les lments surprenants, tapageurs, qui se font valoir dans llaboration du produit, sansaucune considration pour le problme de la valeur vritable, intrieure, du produit, sansgards pour le fait que celui-ci sen trouve rehauss ou rabaiss. Le reflet culturel de cecaractre rvolutionnaire de la production est le phnomne que nous avons coutume dappelerla mode. Or, mode et culture se rfrent deux concepts qui, de manire essentielle, sexcluentmutuellement. Le rgne de la mode signifie que la forme, la qualit, etc., des produits lancssur le march se transforment en de courts intervalles de temps, sans aucune considrationpour la question de savoir si, du point de vue de lefficacit ou de la beaut, elles ont fait ou nonleurs preuves. Cest la nature mme dun tel march qui entrane la consquence selon laquelledans des intervalles de temps donns de nouvelles choses doivent voir le jour, et notammentdes choses nouvelles qui sont radicalement diffrentes des anciennes, qui ne doivent nullementse fonder sur les expriences acquises au cours de llaboration des anciennes. En raison dela rapidit de lvolution, soit il savre tout simplement impossible de recueillir et de digrerces expriences, soit personne ne veut de toute manire sappuyer sur elles, puisque la naturede la mode exige prcisment quelque chose de radicalement diffrent de lancien. Aussi toutevolution organique se voit-elle dtruite, et cest une prcipitation sans but fixe, ainsi quunamateurisme prtentieux et fanfaron qui vient prendre sa place.

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    [La crise de la culture en rgime capitaliste: sur lacontradiction entre lidologie comme forme et lordre de laproduction comme contenu de la culture]

    10 Mais les racines de la crise de la culture capitaliste sont encore plus profondes que lesphnomnes ainsi esquisss ne le laisseraient penser. La cause ultime de sa crise permanenteet de son effondrement interne est que lidologie et lordre de la production, lordre social,entrent dans une opposition insurmontable. Comme consquence ncessaire de lanarchieproductive, la classe bourgeoise en lutte pour le pouvoir, puis dominante, ne pouvait avoirquune seule idologie que lon pouvait prendre au srieux : lidologie de la libertindividuelle. Or, la crise de la culture capitaliste devait intervenir ds le moment o cetteidologie sest trouve en opposition avec lordre social bourgeois. Dans la priode o ce futle cas au XVIIIe sicle la bourgeoisie ascendante avait oppos cette idologie aux contraintesde la socit dtats, cette idologie tait lexpression prcise de la situation donne de lalutte des classes. La bourgeoisie de cette poque pouvait ds lors rellement se targuer dtreune couche dtenant une culture vritable. Cependant, ds que la bourgeoisie a accd aupouvoir (cest--dire dj au cours de la Rvolution Franaise), il sest rvl que la ralisationopinitre de cette idologie, son application sur le tout de la socit, taient impossibles sansque lordre social, dont a rsult lide de la libert individuelle comme sa propre idologie,ne sanantisse lui-mme. Bref: il tait impossible pour la classe bourgeoise dappliquer sapropre ide de libert au proltariat. Le caractre insurmontablement pervers de cette situationsexprimait selon la formule suivante: soit la bourgeoisie devait renoncer cette idologie, soitelle devait en user comme dun voile dissimulant des actions qui taient contraires ses propresprceptes. Dans le premier cas, cest une absence totale didaux, une abjection pure qui sensont suivies, parce que la bourgeoisie, en raison de sa position dans le procs de production,sest avre incapable dengendrer une idologie autre que celle de la libert individuelle. Dansle second cas, la bourgeoisie se trouvait face la faillite morale du mensonge interne: elle sevoyait rduite agir sans cesse contre sa propre idologie.

    11 Cette crise fut encore exacerbe en raison de la faillite conomique du principe de la libert.Il nest pas possible dentamer ici une analyse de lpoque du capital financier. Il suffit depointer le fait que laspect hautement organis de la production (les cartels, les trusts) quicaractrise cette poque est dans une contradiction irrductible avec lide dominante delordre conomique du capitalisme prcoce: la libre concurrence. Avec cela, lidologie quinaquit dans son sillage perdit tous ses fondements. Cest comme cela que la bourgeoisie dont les couches suprieures devinrent, de par les consquences ncessaires du capitalismefinancier, les allies naturelles de leurs anciens adversaires, les classes fodales-agraires , dutaller chercher une idologie chez ses nouveaux allis. Cependant, pas plus que les prcdentes,cette tentative harmoniser lidologie avec lordre de la production ne pouvait trefructueuse. Car pour ce qui concerne les fondements vritables des idologies conservatrices la structuration en tats et lordre de la production qui y correspond , cest prcisment lecaractre rvolutionnaire de la production de type capitaliste qui les a extirps de la socit.Certes, le fodalisme possdait jadis une haute culture dune valeur leve. Mais ctait autemps o la socit fodale, dtats, tait dominante ; lorsque ses principes gouvernaientlensemble de la socit. Avec la monte au pouvoir du capitalisme, cette forme de socit a tanantie. Ce fut en vain quune bonne partie du pouvoir politique, conomique et social taitreste entre les mains des tats jadis dominants. Le processus commandant leur capitalisation,lassomption par eux-mmes des formes du capitalisme, ne pouvaient tre refouls. Et par lsimposa ces couches galement la mme perversion de la contradiction entre lidologie etlordre de la production qui simposa au capitalisme, mme si la contradiction se manifestaitdune manire diffrente. Ainsi donc, lorsqu lpoque du capital financier la bourgeoisiepartait la recherche de la source de la rgnration, elle la trouvait au fond dun puits quelleavait elle-mme veill, auparavant, condamner.

    12 Du point de vue de la culture, cette contradiction entre idologie et ordre de la productionsignifie la chose suivante: la grandeur des anciennes cultures (la grcit, la Renaissance, etc.)

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    trouve sa cause dans lharmonie entre lidologie et lordre de la production de manire ce que les produits de la culture puissent crotre de manire organique, partir du socle dela vie sociale. Aussi suprieures quaient t les grandes uvres par rapport la sensibilitde lhomme moyen de lpoque, un certain accord existait tout de mme entre elles. Mais,encore plus dcisif que cela linsertion des produits de la culture au sein de la vie sociale, lharmonie entre lidologie et lordre de la production rendait possible son tour, dunemanire qui allait de soi, lharmonie entre lidologie et le mode de vie. (Que la qualit du modevie des hommes est la fonction de la place que ces derniers occupent dans la production, cela, jelespre, ne ncessite pas de plus amples explications.) Or, dans tout ordre social o le mode devie et son expression idologique sont naturels, o ils sont en harmonie dune manire qui vade soi, lidologie peut sincarner organiquement dans le dveloppement-mme de la culture.Cette unit organique nest possible que dans de telles conditions, car la relative indpendancedes lments idologiques vis--vis de la base conomique signifie quen tant que formes demanifestations humaines, elles sont indpendantes des donnes quelles informent, donnesqui leurs sont destines par lordre socio-conomique de leur poque en tant que ce-qui-doit-tre-mis-en-forme. Mais la matire informe par ces formes ne peut tre autre que la ralitsociale elle-mme. Donc, si une opposition essentielle merge entre idologie et ordre de laproduction, alors de notre point de vue cette opposition doit tre saisie par la tournure suivante:cest la forme et la matire des manifestations culturelles qui sont entres en contradiction.Et par l est abolie lunit organique des uvres de la culture, est aboli pour saisir cettemme situation partir de la perspective des hommes qui se rapportent la culture cecaractre harmonique, jouissif, de la culture, qui caractrisait en propre les cultures anciennes.La culture du capitalisme, dans la mesure o elle tait honnte, ne pouvait tre autre chosequune critique impitoyable de lpoque capitaliste. Cette critique a souvent pu atteindre unniveau trs lev (Zola, Ibsen), mais plus elle tait honnte, leve, plus elle devait manquerde lharmonie simple, naturelle, de la beaut des cultures anciennes: cest--dire de la cultureau sens propre, vridique du terme. Et cette contradiction tait prsente dans tous les champspossibles des manifestations humaines, dans lensemble du champ matriel de la culture.Ainsi, pour ne prendre quun exemple trs frappant, lordre capitaliste a ncessairement donnnaissance dans le cadre de son idologie de la libert lide que lhomme est une fin-en-soi. Nous pouvons dire en toute confiance que dans les poques prcapitalistes, cette grandeide navait jamais reue une expression aussi pure, claire et consciente que dans ces temps-l (par exemple, lidalisme allemand, Kant et Fichte). Mais prcisment, et par opposition cela, jamais aucun ordre social na autant foul au pied cette ide que ne le fit la socitcapitaliste. Le devenir marchandise de toute chose dans le capitalisme ne se confina pas audevenir marchandise de tous les produits. Il gagna galement les rapports humains; il suffit depenser lvolution du mariage, le plus important parmi tous les rapports humains, pour quecette situation apparaisse avec clart. Ainsi, dun ct, la ncessit intrieure de cette tendanceidologique, culturelle, posait lexigence envers tous les produits de la culture de diffuser cetteide de lhomme comme fin en soi. Cependant, la matire informe par ces formes culturellestait la ngation directe de cette ide. La grande posie du capitalisme, par exemple, ne pouvaiten consquence pas tre la simple reprsentation de son poque comme ctait le cas, jeprsume, de la posie grecque, dont la beaut immortelle manait prcisment du caractreexempte de critique et allant de soi de cette reprsentation , mais pouvait seulement tre lacritique de la condition existante.

    13 Dans la mesure o des tentatives de reprsenter les conditions existantes dune manire simpleeurent lieu, cette contradiction entre forme et contenu, entre forme et matire, a bel et bien tsupprime, mais une contradiction encore plus profonde, dissolvant la culture dune manireencore plus radicale, prit alors la place de la prcdente: la contradiction au sein de la forme.Car la reprsentation sans critique de lexistence ne pouvait merger quau prix de la ngation,du masquage, conscient ou inconscient, des aspects pervers de la condition relle. Il sagitl dune source do nul art vritable, nulle science vritable, nulle culture vritable ne peutmaner. De l qu nulle autre poque il ny eut une telle quantit et une telle extension demauvais art et de pseudosciences qu lpoque du capitalisme.

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    [Les pralables pour la rsolution de la crise de la cultureen rgime communiste: sur le changement de fonction delidologie et de lconomique]

    14 Considrons maintenant ce que signifie la transformation de la socit dans lesprit ducommunisme du point de vue de la culture. Elle signifie avant tout labolition de la dominationexerce par la vie conomique sur la vie dans son ensemble. Elle signifie par consquentla suppression du rapport pervers et impossible entre lhomme et son travail dans lequelcest lhomme qui est soumis aux moyens de la production et non le moyen lhomme. Endernire analyse, cette situation sociale signifie labolition du caractre de fin-en-soi de la vieconomique. Lordre social capitaliste a plant si profondment sa structure dans la pensede chacun, que peu sont mme de prendre conscience avec une clart suffisante de cetaspect-l des changements. Dautant plus quau niveau des phnomnes superficiels de la viecette partie de la mutation na pas encore pu trouver dexpression. Et pourtant, la matrisede la vie conomique, lorganisation socialiste de la vie conomique signifie la suppressionde lautonomie de la vie conomique. La vie conomique, qui jusque-l tait un processusautonome, avec des lois propres, que la raison humaine ne pouvait que reconnatre, mais pascommander3, devient dsormais une partie de ladministration publique de ltat, une partiedun processus planifi unitaire, non rgi par ses lois propres. Car les mobiles ultimes dece processus social unitaire ne sont dsormais plus de nature conomique. Certes, ici encoreles apparences vont lencontre de ce constat. Car il est vident que tant thoriquement quepratiquement, la rorganisation de la production est irralisable autrement que sur une baseconomique, avec des organismes conomiques, guide par des raisonnements conomiques.Il va de soi en outre quen consquence de la nature de la lutte des classes dans la phasede la dictature [du proltariat, n. d. t.] qui marque lapoge de la lutte des classes laquestion de la rorganisation de lconomie est la question qui se trouve lavant-scne.Mais cela ne veut absolument pas dire que les racines ultimes du processus qui se droulede la sorte seraient galement conomiques. Le changement de fonction impliqu par ladictature du proltariat dans tous les domaines est aussi bien luvre ici. Alors que dansles crises de la socit capitaliste tout lment idologique ntait que la superstructurede ce processus rvolutionnaire qui a finalement men leffondrement du capitalisme,maintenant cette situation se renverse. Je ne dis pas que cest la rorganisation de lconomiequi devient superstructure (cette expression, mme du point de vue de lidologie, nestpas la plus heureuse, parce quelle se prte une srie de malentendus), mais on peut direen revanche quelle a perdu sa qualit de premire importance. Ce qui, la surface, soppose ce constat, vient son renfort, ds que lon apprhende la situation ne ft-ce quavec unpoint de vue dialectique minimal. Dans les crises de la socit capitaliste, ctait toujours lapartie idologique qui se tenait lavant-scne de la conscience. Non pas par hasard, maisen consquence de la ncessit selon laquelle les mobiles ultimes de lvolution ne peuventjamais devenir tout fait conscients dans les masses quils mobilisent. La critique exercepar le socialisme lgard de ces crises et de ces rvolutions tait de lordre du dmasquement:elle pointait les mobiles vritables, ultimes, cest--dire le processus conomique. Avec lachute du capitalisme, quoi de plus naturel que le point de vue jusqu prsent critiquevienne dsormais occuper lavant-scne de la cration ?La question demeure pourtant desavoir si ce changement de fonction na pas supprim le caractre de motif ultime qui taitle sien dans son rle prcdent. Quil lait en effet supprim ressort dj de ce qui prcde.Car le motif conomique comme motif ultime ne peut valoir qu condition que lensemblede la production soit inorganis. Seules les forces motrices de la production inorganisepeuvent fonctionner sur le modle des forces de la nature, comme forces aveugles, et ce nestquen tant que telles quelles peuvent tre les motifs ultimes de toute chose ; ou bien toutlment idologique va saligner ce processus cr par la production inorganise (il serasuperstructure) ou bien il y opposera une rsistance sans efficacit. Cest pour cela que dans lasocit capitaliste tout facteur non-conomique nest que pure idologie. Lunique exceptionest la critique socialiste de lordre social capitaliste. Car celle-ci nest pas un corollaire

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    idologique approbateur ou contestataire de processus particuliers, mais le dmasquement dela totalit: un dmasquement de lensemble du processus conomique, lequel dmasquementest en mme temps une action efficace pour transformer ce processus. Mais ce qui ainsi setransforme, ce nest pas uniquement linorganisation en tant que telle, mais, du mme coup, lecaractre de fin-en-soi de la vie conomique, en dernire instance la direction de celle-ci pardes motifs conomiques. Du fait que la vie conomique sorganise dans lesprit du socialisme,la direction est saisie par les motifs qui, jusqu prsent, pouvaient prtendre tout au plus unstatut de phnomnes corollaires: la domination de la vie intrieure et extrieure de lhommepar des motifs humains et non-conomiques. Nous ne pouvons dsormais plus tre surpris parle fait que dans de telles conditions la transformation de la vie conomique se tient davantage lavant-plan de la conscience rvolutionnaire que llment idologique qui la meut en dernireinstance. Ce changement de fonction dans les consciences se ralise ncessairement avec lavictoire du proltariat. Il sagit l mme dune continuation directe de la lutte des classes leve hauteur de conscience dans les masses du proltariat ; et lessentiel de la conscience declasse a de tout temps consist dans le devenir-conscient des intrts conomiques. Le passageau travail constructif dont ce changement de fonction est lpisode ultime ne concernedailleurs pas la conscience de lintrt de classe immdiat; dans ce dernier le changementde fonction est pour ainsi dire subconscient. Seule la conscience de classe pleine qui, au-del de lintrt direct, sveille la mission du proltariat dans lhistoire universelle, lve cemotif, ce changement de fonction, jusqu la conscience de classe du proltariat4.

    15 Cest ce changement de fonction qui instaure la possibilit de la nouvelle culture. Car laculture est la matrise interne de lhomme sur son milieu, tandis que la civilisation signifiela matrise externe sur son milieu. De mme que la civilisation a cr les instruments decette matrise sur la nature, de mme la culture proltarienne va-t-elle crer les instruments dematrise sur la socit, dans laquelle, justement, la civilisation en sa forme la plus volue,le capitalisme avait dvelopp lesclavage de lhomme vis--vis de la socit, la production,la vie conomique.

    16 Le caractre de fin-en-soi de lhomme est la prcondition sociologique de la culture. Cetteprcondition, qui tait donne aux classes dominantes des socits prcapitalistes, et que lecapitalisme avait confisque tout le monde, la dernire phase de la victoire du proltariatla rendra tout un chacun. Cette transformation, qui signifie le renversement radical de lastructure densemble de la socit, concerne bien entendu tous les phnomnes dont nousavons fait mention lors de lanalyse des effets destructeurs du capitalisme sur la culture.

    17 Aussi le caractre rvolutionnaire et bouleversant de la production sera-t-il aboli aveclorganisation de la production. la place de la succession anarchique engendre par laconjoncture, que nous avons coutume dappeler la mode, viendra se substituer la continuitorganique, le progrs vritable. Un progrs o chaque pisode dcoule de manire ncessairedes prconditions matrielles de lpisode prcdent. O, donc, tout moment nouveau apportedes solutions aux questions qui sont restes non-rsolues dans le prcdent, et en mmetemps pose des questions rsoudre au prochain moment venir. La consquence culturellencessaire dune telle volution dcoulant de lessence des choses (et non de la conjoncture) estque le niveau de la culture dpasse nouveau les capacits des individus isols. Lassociationrciproque au travail dautrui, la continuation mutuelle du travail de chacun par autrui lautreprcondition sociologique de la culture devient nouveau possible. cela contribue le faitquaussi bien les produits de la culture que les relations humaines perdent leur caractre demarchandise. Labolition du rapport marchand rend son aspect de fin-en-soi tout ce qui,sous le joug du capitalisme, apparaissait exclusivement ou avant tout comme moment dunrapport conomique. Et la possibilit de la culture se fonde, comme on le sait, sur le fait desassurer que la plus grande part possible des formes de manifestations de la vie humaineacquire, de manire toujours plus profonde et plus forte, un caractre de fin-en-soi, ou, cequi est quivalent: quelle en vienne servir lhumanit de lhomme. Car ces deux formesdtre en-vue-de-soi ne sexcluent pas, au contraire, elles sont au service lune de lautre et secompltent mutuellement. Si un certain produit (maison, meuble, etc.) est labor non pas entant que marchandise, mais de faon intensifier au maximum ses propres possibilits dtre

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    beau, alors cela signifie la mme chose que si lon disait que la maison, le meuble, etc., sont auservice de lhumanit de lhomme, en sadaptant aux exigences de celle-ci. Ce nest donc pasun processus conomique indpendant de toute exigence humaine qui les produit, un processusdans lequel ces produits ne figurent que comme marchandises abstraites, et les hommes commevendeurs et consommateurs tout aussi abstraits. Simultanment, la spcialisation malsainepropre au capitalisme doit galement disparatre. Ds que ce nest plus leffort abstrait en vuede la vente et de lachat sur le march qui dtermine la qualit productive des hommes, maisbien le processus devenu unitaire, et mobilisant lhomme dans son entiret, de la productionet de la jouissance du produit en vue de lui-mme, alors la spcialisation traverse elle aussiun changement de fonction. Ce nest pas seulement sa qualit de classe, son caractre deprrogative qui sont supprims dans la rvolution proltarienne, mais en mme temps sa qualitdtranget vis--vis de la vie humaine. Avec la ralisation du caractre de fin-en-soi desproduits, ceux-ci se rattachent involontairement la totalit de la vie humaine, aux questionsultimes de la vie humaine. Avec la suppression de lisolement, de lindividualisme anarchiquede lhomme, la socit humaine forme un tout organique unitaire tant au niveau des individusquau niveau des produits, un tout dont les parties, se soutenant et se compltant les unes lesautres, servent toutes lide de la supriorit de lhomme.

    [Lhomme comme fin-en-soi: la culture communiste commeaccomplissement libre des principes de la philosophie delidalisme allemand]

    18 Avec cet objectif, nous sommes arrivs lessence de la question. Si le but de la nouvellesocit ntait que laugmentation de la russite, du bien-tre des hommes, alors tousces changements de fonction nadviendraient pas ou, plutt, leur porte passerait presqueinaperue. Alors la tche de ltat proltarien pourrait se borner lorganisation de laproduction et de la redistribution, et la vie conomique avec, certes, des buts modifis continuerait dominer lide de lhomme. Alors, naturellement, lvolution arriverait termebien plus rapidement que de cette manire. Car alors, avec lorganisation juste de la productionet de la redistribution, lvolution aurait atteint son but, alors quainsi la rorganisation enquestion na fait que raliser la possibilit imprissable de parvenir au but. Or, la ralisationelle-mme demeure lobjet dune lutte part que lhumanit doit encore livrer.

    19 Cependant, la rorganisation de la vie conomique en est une prcondition invitable, et pasuniquement en vertu des causes sociologiques que nous venons dnumrer ni en vertu dufait que seuls des hommes heureux seraient capables de culture. La raison en est bien pluttcette structure spcifique de la conscience humaine qui veut que les soucis et les misresimmdiats, malgr leur bassesse comparative par rapport aux questions ultimes de lexistencehumaine, lexception des hommes les plus extraordinaires, masquent ces questions ultimesdans la conscience humaine, ne les laissant pas affleurer la surface. Pour clairer la situationavec un exemple trs simple: supposons que quelquun est en train de se creuser la tte surune grande dcouverte scientifique et quun terrible mal de dent le saisisse ; il est certainque, dans la plupart des cas, il sera incapable de continuer la rflexion jusqu ce que lemal immdiat ne soit soulag. Lannihilation du capitalisme, la rorganisation sociale de laproduction, signifient pour lensemble de lhumanit la gurison de tous les maux de dents.Disparat de la conscience des hommes tout ce qui les empche de vivre pour les questionsvraiment essentielles : leur conscience est dsormais ouverte lessence. Mais lexempleclaire galement les limites de la transformation. Il est certain quafin que le travail de lespritpuisse tre repris, le mal de dent doit cesser, mais il est tout aussi sr quune fois le mal dedent parti, la reprise du travail ne soprera pas delle-mme, de manire automatique. Il fautalors un nouvel effort, une nouvelle attitude, un nouvel lan. Lhumanit uvrant nest pasnon plus arrive au but, si toutes ses misres conomiques sont supprimes, tout au contraire,elle naura fait que fonder la possibilit dentamer avec des forces renouveles le chemin versson but vritable. La culture est lincarnation de lide de lhomme. La culture est donc faitepar les hommes, et non pas par les circonstances. Toute transformation de la socit nest

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    donc que cadre, nest que possibilit pour lauto-action, pour la force cratrice spontane deshommes libres.

    20 Cest pourquoi la sociologie doit sarrter lanalyse des cadres. Quelle sera, du point devue de son contenu, de son essence, la culture proltarienne, seules les forces productives enpasse de se librer la dtermineront, faute de quoi toute tentative de prdiction apparatraitridicule. Ce que lanalyse sociologique a pu accomplir ntait rien de plus que de montrerque cette possibilit-l, la socit proltarienne la ralise et que ce nest prcismentque sa possibilit qui a t ralise. Toute articulation plus pousse dpasse le cercle desinvestigations scientifiques qui sont ici possibles ; tout au plus pourrait-on sinterroger surles valeurs culturelles quune socit nouvelle peut reprendre de lancienne et les continuer.Car lide de lhomme comme fin-en-soi, lide de base de la nouvelle culture, est lhritagede lidalisme classique du XIXe sicle. La vritable contribution de lpoque du capitalisme la construction de lavenir consiste crer, sur les ruines mmes de son effondrement,les possibilits fondamentales de la construction de lavenir. De la mme manire que lecapitalisme a cr les prconditions conomiques de sa propre annihilation, de la mmemanire dont il cre larmature spirituelle crasante de sa critique par lesprit proltarien(rapport de Marx Ricardo), de la mme manire il cre ici encore, dans la philosophie deKant et de Fichte, lide de cette socit nouvelle qui est appele par ncessit amener sapropre suppression.

    Notes

    1 Ou ordres (Stnde). (N. d. t.)2 Certains lient ce processus la division du travail au sein de lindustrie et prsentent la chose comme si, cause de cela, elle [la division du travail] devait persister galement au-del de la chute du capitalisme.La question ne peut tre expose ici, je me borne seulement mentionner que Marx lui-mme voyaitla chose autrement. Il pensait que lorganisation du travail social et la division du travail lintrieurde lindustrie taient inversement proportionnelles: dans une socit o lune sest dveloppe, lautrergresse, et vice-versa (cf. Misre de la philosophie). (Note de Lukcs).3 Lconomie politique en tant que science autonome est le pendant de cette situation. Avant que celle-cine se soit dveloppe, il nexistait pas de science de lconomie au sens moderne et avec la disparitionde celle-ci, celle-l devra galement disparatre. Cest pure idologie capitaliste que de voir dans les loisde lconomie politique des lois ternelles de la nature. (Note de Lukcs).4 Jai crit de manire plus dtaille sur les deux sortes de conscience de classe dans mon article intitulLa question de la direction intellectuelle et les ouvriers intellectuels, paru dans Internationale,5e numro (note de Lukcs).

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Gyrgy Lukcs, Ancienne culture, nouvelle culture (1919), Cahiers du GRM [En ligne], 6|2014,mis en ligne le 23 dcembre 2014, consult le 10 juillet 2015. URL: http://grm.revues.org/551

    Droits dauteur

    GRM - Association

    Notes de la rdaction

    Traduit, annot et prsent par Gabor Tverdota.

    Nos remerciements chaleureux vont Nomie Charri et Alain Loute, qui nont pas mnagleur peine pour amliorer ces traductions par leur relecture attentive et leurs suggestionsprcieuses.

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    Nous remercions M. Zoltn Mosczi pour nous avoir permis la publication de la traductionfranaise de ce texte.

    Premire parution: Internationale, le 15 juin 1919. La traduction est faite partir de Rgikultra, j kultra, In: Gyrgy Lukcs, Trtnelem s osztlytudat [Histoire et consciencede classe], Budapest, Magvet, 1971, pp. 29-47 (N.d.t.).