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256 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XV - n ° 6 - novembre-décembre 2012 DOSSIER THÉMATIQUE Maladie cœliaque Le diagnostic histologique de la maladie cœliaque et de ses complications Histological diagnosis of celiac disease and its complications Virginie Verkarre, Nicole Brousse* *Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Necker- Enfants-Malades, Paris. Q uel que soit son mode de présentation, la maladie cœliaque (MC) est la cause la plus fréquente d’atrophie villositaire en Europe chez l’enfant et l’adulte (1-3). L’examen micro- scopique reste l’examen de référence indispensable pour confirmer le diagnostic avant la mise en route du régime sans gluten. Ce diagnostic repose sur une combinaison de critères cliniques, sérologiques et histologiques. Le contrôle histologique à distance du début du traitement permet d’objectiver la bonne réponse au régime. Les lésions histologiques de la MC intéressent la muqueuse. Il est recommandé d’effectuer 4 biop- sies du deuxième et/ou du troisième duodénum, en raison de la répartition hétérogène de l’atrophie et des problèmes éventuels d’orientation des biopsies dans les blocs de paraffine pouvant conduire à un diagnostic par excès ou par défaut d’atrophie villo- sitaire (4). Les biopsies sont fixées immédiatement dans du formol tamponné à 10 %, puis incluses en paraffine, coupées à 3 à 4 μm et examinées sur 3 niveaux par la coloration standard hématéine- éosine-safran (HES). La congélation dans l’azote liquide d’une ou plusieurs biopsies est recommandée en cas de suspicion de complications lymphoma- teuses pour rechercher une population clonale T en biologie moléculaire et compléter l’étude immuno- histochimique (1, 5, 6). Diagnostic histologique de la maladie cœliaque Les critères histologiques permettant d’évoquer le diagnostic de MC sur une biopsie intestinale associent des lésions épithéliales sous forme d’atrophie villosi- taire de degré variable avec l'hyperplasie des cryptes et des lésions du compartiment lymphoïde associé à la muqueuse intestinale incluant une augmentation du nombre des lymphocytes intraépithéliaux (LIE) et une inflammation du chorion (revue in 1-2). Atrophie villositaire L’appréciation de l’architecture villositaire nécessite une orientation parfaite des biopsies de manière à obtenir des coupes perpendiculaires à la surface et à visualiser l’axe cryptes-villosités. L’évaluation de l’atrophie villositaire est fondée sur la mesure de la hauteur respective des villosités (V) et des cryptes (C). Une hauteur villositaire normale correspond à un rapport V/C compris entre 2 et 3. La classification que nous utilisons pour quantifier le degré d’atro- phie est simplifiée par rapport à la classification de Tableau I. Classification utilisée pour grader les lésions de la maladie cœliaque ou d’atrophie villositaire (6, 7). Classification de Marsh* Classification simplifiée** 0 : muqueuse normale Muqueuse normale : V/C > 2 à 3 I : augmentation isolée des LIE II : augmentation des LIE + hyperplasie des cryptes sans atrophie IIIa : AV partielle AV partielle : 2 < V/C < 1 IIIb : AV subtotale AV subtotale : V/C < 1 IIIc : AV totale AV totale : disparition totale des villosités *(7). **La classification simplifiée ne tient compte que des lésions d’atrophie (6). AV : atrophie villositaire ; LIE : lymphocytes intraépithéliaux ; V/C : rapport villosité sur crypte.

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256 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012

DOSSIER THÉMATIQUEMaladie cœliaque

Le diagnostic histologique de la maladie cœliaque et de ses complicationsHistological diagnosis of celiac disease and its complications

Virginie Verkarre, Nicole Brousse*

*Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Necker-Enfants-Malades, Paris.

Quel que soit son mode de présentation, la maladie cœliaque (MC) est la cause la plus fréquente d’atrophie villositaire en Europe

chez l’enfant et l’adulte (1-3). L’examen micro-scopique reste l’examen de référence indispensable pour confirmer le diagnostic avant la mise en route du régime sans gluten. Ce diagnostic repose sur une combinaison de critères cliniques, sérologiques et histologiques. Le contrôle histologique à distance du début du traitement permet d’objectiver la bonne réponse au régime.Les lésions histologiques de la MC intéressent la muqueuse. Il est recommandé d’effectuer 4 biop-sies du deuxième et/ou du troisième duodénum, en raison de la répartition hétérogène de l’atrophie et des problèmes éventuels d’orientation des biopsies dans les blocs de paraffine pouvant conduire à un diagnostic par excès ou par défaut d’atrophie villo-sitaire (4). Les biopsies sont fixées immédiatement dans du formol tamponné à 10 %, puis incluses en

paraffine, coupées à 3 à 4 μm et examinées sur 3 niveaux par la coloration standard hématéine-éosine-safran (HES). La congélation dans l’azote liquide d’une ou plusieurs biopsies est recommandée en cas de suspicion de complications lymphoma-teuses pour rechercher une population clonale T en biologie moléculaire et compléter l’étude immuno-histochimique (1, 5, 6).

Diagnostic histologique de la maladie cœliaque Les critères histologiques permettant d’évoquer le diagnostic de MC sur une biopsie intestinale associent des lésions épithéliales sous forme d’atrophie villosi-taire de degré variable avec l'hyperplasie des cryptes et des lésions du compartiment lymphoïde associé à la muqueuse intestinale incluant une augmentation du nombre des lymphocytes intraépithéliaux (LIE) et une inflammation du chorion (revue in 1-2).

Atrophie villositaire

L’appréciation de l’architecture villositaire nécessite une orientation parfaite des biopsies de manière à obtenir des coupes perpendiculaires à la surface et à visualiser l’axe cryptes-villosités. L’évaluation de l’atrophie villositaire est fondée sur la mesure de la hauteur respective des villosités (V) et des cryptes (C). Une hauteur villositaire normale correspond à un rapport V/C compris entre 2 et 3. La classification que nous utilisons pour quantifier le degré d’atro-phie est simplifiée par rapport à la classification de

Tableau I. Classification utilisée pour grader les lésions de la maladie cœliaque ou d’atrophie villositaire (6, 7).

Classification de Marsh* Classification simplifiée**

0 : muqueuse normale Muqueuse normale : V/C > 2 à 3

I : augmentation isolée des LIE

II : augmentation des LIE + hyperplasie des cryptes sans atrophie

IIIa : AV partielle AV partielle : 2 < V/C < 1

IIIb : AV subtotale AV subtotale : V/C < 1

IIIc : AV totale AV totale : disparition totale des villosités

*(7). **La classification simplifiée ne tient compte que des lésions d’atrophie (6). AV : atrophie villositaire ; LIE : lymphocytes intraépithéliaux ; V/C : rapport villosité sur crypte.

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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 257

Points forts » La maladie cœliaque est la cause la plus fréquente d'atrophie villositaire, tout âge confondu. » L'augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux est un signe histologique indispensable au diagnostic. » Les complications lymphomateuses de la maladie cœliaque sont rares chez l'adulte et nécessitent une

prise en charge dans les centres spécialisés.

Mots-clés Maladie cœliaque Atrophie villositaire Lymphocytes intraépithéliaux Sprue réfractaireLymphome T intestinal associé à une entéropathie Régime sans gluten

Marsh (7) et comporte 4 sous-types : relief normal, atrophie partielle, atrophie subtotale et atrophie totale (tableau I) [1, 2]. L’atrophie des villosités est associée à une hyperplasie des cryptes avec augmen-tation du nombre des mitoses. Les entérocytes deviennent cubiques, dédifférenciés, avec parfois une diminution de la mucosécrétion. L’atrophie villositaire peut être plus ou moins étendue le long de l’intestin grêle et de degré variable au moment du diagnostic. La sévérité des symptômes n’est pas corrélée au degré d’atrophie (8, 9). En présence d’une discordance anatomoclinique ou en l’absence d’aug-mentation du nombre des LIE, d’autres causes d’atro-phie villositaire doivent être recherchées, incluant les entéropathies auto-immunes et les hypogam-maglobulinémies (10, 11) [revue in 1, 2].

Augmentation du nombre de lymphocytes intraépithéliaux

L’augmentation des LIE (40 à 150 % des cellules épithéliales) est considérée comme un des critères histologiques majeurs et indispensables pour le diag-nostic (1, 2, 12, 13). Le nombre normal de LIE est en moyenne inférieur à 30 % (inférieur à 30 lympho-cytes pour 100 cellules épithéliales). Les LIE adhèrent aux cellules épithéliales grâce à l’expression de l’inté-grine αEβ7 ou CD103, ligand de l’E-cadhérine impli-quée dans la formation des jonctions serrées (14). À l’état normal, les LIE représentent une population hétérogène de lymphocytes T, dont 80 % sont de phénotype CD3+ CD8+ et expriment le récepteur Tαβ (TCRαβ). Les autres sous-types de LIE minori-taires sont TCRγδ+ CD3+ CD4− CD8− (< 10 %), CD7+ sCD3ε−, TCR− (< 5 %) ou encore CD3+ CD4+ (< 5 %). Les LIE contiennent des granules cytotoxiques (TiA1 et granzyme B) [13]. Dans la MC, les LIE sont augmentés dès les premiers stades, avant l’apparition des lésions épithéliales (stade 1 infiltratif de la clas-sification de Marsh) [7]. Cette hyperplasie intéresse plusieurs sous-populations de LIE présentes à l’état normal avec une augmentation presque spécifique de la population de LIE exprimant le récepteur T TCRγδ (> 20 % CE, N < 10). L’augmentation des LIE TCRγδ est également observée dans la dermatite herpéti-forme, les MC asymptomatiques (MC silencieuses),

chez les patients atteints de MC devenus tolérants au gluten et chez les sujets sains apparentés partageant l’haplotype HLA-DQ2. Il peut être utile de réaliser une quantification du nombre de LIE exprimant le TCRγδ sur une biopsie pour appuyer le diagnostic de MC dans les cas difficiles sans atrophie villositaire, mais cela nécessite des biopsies congelées (12-15).

Inflammation du chorion

Au cours de la MC, il y a une inflammation du chorion, qui se traduit par une augmentation de la densité cellulaire de l’infiltrat lymphoplasmocytaire normalement présent. Les plasmocytes (essentielle-ment à immunoglobulines A) sont situés préféren-tiellement à la partie supérieure de la muqueuse. Les lymphocytes T CD3+ sont majoritairement CD4+ TCRαβ. Une augmentation des polynucléaires éosinophiles est fréquente, et des polynucléaires neutrophiles peuvent être observés. L’intensité de l’infiltration est en relation avec les altérations de l’épithélium de surface.

Lésions associées : gastrite lymphocytaire, colite lymphocytaire, sprue collagène

L’infiltration par les LIE peut atteindre d’autres segments du tube digestif et se manifester par des lésions de gastrite lymphocytaire, définie par une augmentation des LIE en surface et au niveau de l’épithélium fovéolaire supérieure à 25 % des cellules épithéliales (N < 10 % CE), et/ou de colite lympho-cytaire, définie par une augmentation des LIE (25 % CE ; N = 5 ± 2) de l’épithélium de surface. La préva-lence de la gastrite lymphocytaire est variable, d’environ 39 % chez les patients atteints de MC non traités, et apparaît plus importante dans la MC qu’au cours de la gastrite à Helicobacter pylori (13 %) [16]. Celle de la colite lymphocytaire est de 30 % chez les patients atteints de MC. La sprue collagène est définie par un épaississement de la membrane basale sous-épithéliale de plus de 10 μm, qui présente un aspect feuilleté. Elle s'associe à des lésions d’atrophie

Highlights » Celiac disease is the most

common cause of villous atrophy in adults and children.

» The increase of intra epithe-lial lymphocyte is essential for the diagnosis of celiac disease.

» Lymphoma complications of celiac disease are in the adult and requires care in specialized centers.

KeywordsCeliac disease

Villous atrophy

Intraepithelial lymphocytes

Refractory sprue

Enteropathy associated T cell lymphoma

Gluten free diet

En pratique, quand faire une étude du phénotype des LIE par immunohistochimie sur biopsie ? Quels anticorps utiliser ?•Quand l’augmentation des LIE n’est pas assez franche pour conforter le diagnostic : anticorps anti-CD3+/− CD8 ;•Au cours d’une aggra-vation de la maladie et en cas de suspicion de forme compliquée : anticorps anti-CD3, CD8, CD30, CD4, gran-zyme B au minimum.

Encadré.

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Le diagnostic histologique de la maladie cœliaque et de ses complications DOSSIER THÉMATIQUE

Maladie cœliaque

villositaire souvent sévère correspondant, dans la moitié des cas, à une MC réfractaire, généralement de type 1 (17).

Contrôle des lésions duodénales après mise au régime sans gluten

Le régime sans gluten bien suivi entraîne habituelle-ment une amélioration clinique rapide en quelques jours à quelques semaines (1, 9). Les lésions histo-logiques régressent le plus souvent en quelques mois à 2 ans, plus rapidement et complètement chez l’enfant chez lequel la muqueuse redevient habituellement normale après 1 an de régime. Les lésions épithéliales disparaissent en premier, avec une repousse villositaire partielle ou totale, suivies d’une diminution de la cellularité du chorion et d’une diminution du nombre des LIE, dont le nombre reste plus élevé que la normale. En effet, tandis que le nombre de LIE TCRαβ diminue avec la repousse villo-sitaire, le contingent de LIE exprimant le TCRγδ reste plus élevé que la normale (12, 13, 15).

Formes compliquées de maladie cœliaqueLes formes compliquées de MC surviennent uniquement chez l’adulte et peuvent soit révéler une MC paucisymptomatique ou silencieuse, soit se manifester par la persistance ou l’aggravation de symptômes sous un régime sans gluten strict suivi pendant au moins 6 mois, traduisant clinique-ment une sprue réfractaire (18-21). Après un bilan endoscopique et radiologique adapté, les biopsies digestives systématiques ou dirigées sur des lésions suspectes de masse ou d’ulcération permettent de

distinguer 4 types de lésion : la sprue réfractaire de type 1 (non tumorale), 2 complications lymphoma-teuses : la sprue réfractaire de type 2 et le lymphome T invasif classique (EATL [Enteropathy-Associated T-cell Lymphoma] de type 1), ainsi que la jéjunite ulcéreuse, qui peut être associée aux 3 autres. Une étude immunohistochimique est indispensable pour établir un diagnostic précis et permet d’étudier le phénotype des LIE avec les anticorps anti-CD3, CD8, CD4 et CD30+/− TCRbF1 et TCRδ1 en congélation. En cas d’infiltrat suspect de lymphome dans le chorion, il faudra compléter par d’autres anticorps (Mib1, marqueurs de cytotoxicité [granzyme B et TiA1], CD20, CD56 et éventuellement les TCR et le CD103 en congélation) [tableau II] (22).

Sprue réfractaire de type 1

Les lésions histologiques de la sprue réfractaire de type 1 sont similaires à celles de la MC active, mais ne régressent pas sous un régime sans gluten bien suivi d’au moins 12 mois. Elles associent une atrophie villositaire de degré variable, partielle à totale, une inflammation du chorion et une augmentation des LIE de phénotype normal, CD3+ CD8+. Il n’y a pas de prolifération clonale (21, 22).

Sprue réfractaire de type 2

La sprue réfractaire de type 2 correspond à un lymphome T intraépithélial pouvant se compliquer dans près de 40 % des cas d’un lymphome invasif. Néanmoins, son aspect morphologique est le même que celui d’une MC classique ou d’une sprue réfrac-taire de type 1. Seul le phénotype des LIE et une étude de clonalité permettent de les distinguer des 2 autres entités (1, 6 et 19-22). Le phénotype anormal des LIE se manifeste par une perte du récep-

Tableau II. Récapitulatif des principaux critères histologiques distinguant la maladie cœliaque des formes compliquées.

Lymphocytoseintraépithéliale

Phénotype des LIE Population monoclonale T

Prolifération infiltrante

MC + Normal* : CD3+ CD8+ Non Non

Sprue réfractaire de type 1 + Normal* : CD3+ CD8+ Non Non

Sprue réfractaire de type 2 + Anormal : iCD3+ CD8− TCR− > 50 % Oui Non

Jéjunite ulcéreuse + muqueuse adjacente

Variable selon le type de la sprue réfractaire +/- Non

EATL I + Variable : CD3+ CD8− CD4− CD56 CD30+ Oui Oui

*Phénotype des LIE sCD3+ iCD3+ CD8− TCR− < 50 %.LIE : lymphocytes intraépithéliaux ; MC : maladie cœliaque ; EATL : lymphome T associé à une entéropathie.

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DOSSIER THÉMATIQUE

teur T (TCR−), du CD8 et du CD3 de surface (sCD3ε), avec conservation de la partie intracytoplasmique du CD3 (iCD3ε+). Ce phénotype aberrant est détectable en immunohistochimie sur coupe en paraffine avec perte d’expression du CD8 pour au moins la moitié des LIE exprimant le iCD3 (CD3 intracytoplasmique) [22]. Le nombre de LIE CD4 reste faible ou nul. Le phénotype peut être affiné dans les cas difficiles ou lors du diagnostic initial sur coupe à congéla-tion (perte du TCRαβ et du TCRγδ, conservation du CD103) ou dans un centre spécialisé par une étude en cytométrie de flux effectuée à partir de LIE isolés de biopsies digestives. Le profil monoclonal des LIE est détectable sur une biopsie digestive par une étude des réarrangements du TCRγ (1, 6 et 19-22).Cette population particulière de LIE, de phéno-type anormal, peut infiltrer tout le tube digestif, de l’estomac au rectum, sous forme d’une gastrite lymphocytaire et/ou d’une colite lymphocytaire (16).

Jéjunite ulcéreuse

La jéjunite ulcéreuse, exceptionnelle, est aussi un mode évolutif possible de la MC ; elle est retrouvée chez 28 à 67 % des patients ayant une sprue réfrac-taire respectivement de type 1 ou de type 2 (21). Les biopsies ou les pièces de résection montrent un infiltrat inflammatoire polymorphe non spécifique dépourvu de grandes cellules T. Si la jéjunite ulcé-reuse complique une sprue réfractaire de type 2, ou si elle y est associée, la même population monoclo-nale T est détectée. La jéjunite ulcéreuse peut se compliquer d’un lymphome T invasif (21).

Lymphome T associé à une entéropathieCes lymphomes T intestinaux sont très rares et repré-senteraient moins de 5 % des lymphomes primitifs digestifs. Ceux qui sont associés à la MC corres-pondent aux EATL de sous-type 1 de la classification OMS (23). La quasi-totalité des cas d’EATL a été décrite chez des adultes entre 50 et 70 ans (6, 24). Ils peuvent révéler ou compliquer une MC ou une sprue réfractaire, le plus souvent de type 2 que de type 1 (21). Dans 20 à 50 % des cas, la découverte du lymphome et de la MC est simultanée. Dans ces cas, une évaluation de la muqueuse à distance de la tumeur doit être faite afin de caractériser précisément le type d’entéropathie sous-jacente : MC ou sprue réfractaire de type 1 ou 2 (1, 6, 21). Sur

le plan macroscopique, ce lymphome T se présente classiquement par une masse tumorale infiltrante, volontiers transpariétale, responsable de sténoses digestives, d’indurations de la paroi ou de perfora-tions. Plusieurs variétés histologiques sont classique-ment rapportées, mais il s’agit dans la majorité des cas d'une infiltration tumorale de cellules de taille moyenne à grande et d’aspect pléomorphe (58 %),

Figure. Aspect histologique de la maladie cœliaque et étude phénotypique des LIE. A. MC avec atrophie villositaire subtotale (HES, × 50). B. MC avec atrophie villositaire partielle (HES, × 50). C. MC traitée avec relief villositaire normalisé (HES, × 50). D. SR II compli-quée de jéjunite ulcéreuse (HES, × 25). E-H. Étude immunohistochimique des LIE avec les anticorps anti-CD3 (E et F, × 100) et les anticorps anti-CD8 (G et H, × 100) d’une MC avec phénotype normal des LIE CD3+ et CD8+ (E et G) et d’une SR de type 2 avec perte du CD8 comparé au CD3 (F et H).

A

C

E

G

B

D

F

H

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Le diagnostic histologique de la maladie cœliaque et de ses complications DOSSIER THÉMATIQUE

Maladie cœliaque

avec un index mitotique élevé, fréquemment asso-ciées à un contingent d’intensité variable de cellules réactionnelles polymorphes incluant de petits lymphocytes, des histiocytes, des polynucléaires surtout éosinophiles, voire des granulomes épithé-lioïdes. Parmi les autres aspects, on retiendra la possibilité d’une infiltration par des cellules d’aspect immunoblastique, d’aspect anaplasique. Le CD30 est souvent exprimé par les grandes cellules. ALK (Anaplastic Lymphoma Kinase) est négatif. Une carac-téristique majeure et incontournable, témoignant de l’origine de la tumeur à partir des LIE, est l’épi-théliotropisme très important des cellules tumorales à l’égard de l’épithélium de surface et des glandes. Le phénotype tumoral est classiquement CD3+ CD4−, CD8−, CD103+, TCR−, CD30+/−, CD5+/−. Un immunomarquage CD8+ est possible, beaucoup plus rarement CD4+. Les cellules tumorales sont

cytotoxiques et expriment les marqueurs classiques TIA1 et granzyme B (1, 6, 21, 23).

Conclusion

La biopsie duodénale reste l’examen de référence pour le diagnostic de MC. Le diagnostic micro-scopique, habituellement facile, repose sur 3 signes : atrophie villositaire de degré variable, augmentation des LIE et inflammation du chorion. Une mauvaise réponse au régime sans gluten ou une aggravation des symptômes nécessite de nouvelles biopsies pour éliminer un lymphome T intestinal. Cette complica-tion rare et grave est secondaire à la transformation maligne des LIE et peut se révéler sous 2 formes : une forme invasive classique et une forme intraépithéliale correspondant au type 2 de la sprue réfractaire. ■

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