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Pour citer cet article : Jennane S, et al. Le syndrome douloureux transfusionnel. Transfusion Clinique et Biologique (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.10.005 ARTICLE IN PRESS Modele + TRACLI-2787; No. of Pages 2 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Transfusion Clinique et Biologique xxx (2014) xxx–xxx Lettre à la rédaction Le syndrome douloureux transfusionnel Acute pain transfusion reaction 1. Observation Un homme de 49 ans, sans antécédents, est suivi dans notre formation pour une aplasie médullaire sévère. Il avait béné- ficié d’une allogreffe de moelle osseuse géno-identique avec un conditionnement par du sérum anti-lymphocytaire et du cyclophosphamide, en plus d’une prophylaxie de la réaction du greffon contre l’hôte par du méthotrexate et de la ciclospo- rine. À 7 mois de la greffe, il a présenté un syndrome pseudo grippal associé à une thrombopénie sévère ayant nécessité la reprise des transfusions de plaquettes. Malgré un bilan exhaustif aucune étiologie de la thrombopénie n’a été identifiée. En vingt jours, le patient a été transfusé à 8 reprises par des concentrés plaquettaires d’aphérèse (CPA) irradiés, obtenus par un sépa- rateur de cellules MCS 9000 ® , utilisant un kit Haemonetics 994 CFE ® . Ces transfusions étaient administrées à raison d’un CPA tous les deux à trois jours jusqu’à la remontée spontanée des plaquettes. Les cinq premières transfusions se sont dérou- lées sans complication. Lors des 3 dernières, le patient présentait à chaque fois, une douleur intense au niveau des fosses lom- baires, maximale du côté droit, à type de colique néphrétique, irradiant vers l’abdomen et dont l’intensité évaluée par l’échelle visuelle de la douleur était de 9/10. Cette douleur s’associait à une angoisse, une dyspnée, une augmentation de la tension artérielle, une tachycardie et des sueurs. Elle débutait durant les cinq premières minutes de la transfusion, disparaissait en quinze minutes après l’arrêt de la transfusion et s’atténuait en ralentis- sant le débit de la perfusion. Au premier épisode, la transfusion a été interrompue. Lors des deux derniers épisodes, la transfusion a été poursuivie mais à faible débit et après administration de morphiniques. La prémédication par du paracétamol, des corti- coïdes et des antihistaminiques ne prévenait pas l’apparition de ces douleurs. Cliniquement, le patient ne présentait pas de fièvre ni de frissons ni de signes anaphylactiques. Les urines étaient claires et le bilan biologique fait au moment des 3 épisodes était strictement normal. Le test de COOMBS direct était négatif et l’haptoglobine était normale. Il n’y avait pas de signe biologique d’hémolyse ni de syndrome inflammatoire ni d’altération de la fonction rénale. L’hémoculture était stérile et l’examen cyto- bactériologique des urines ne retrouvait pas de protéinurie ni d’hématurie ni de germes à la culture. L’échographie rénale et abdominale était strictement normale. 2. Commentaire Devant ce tableau, le diagnostic retenu était le « syndrome douloureux transfusionnel » ou acute pain transfusion reaction (APTR). L’APTR est une complication rare. Peu de données existent sur cette entité. Selon l’une des rares études rétros- pectives existantes incluant 29 814 patients transfusés, 146 ont présenté une complication transfusionnelle, dont 12 une APTR [1]. L’APTR se manifeste par une douleur intense, siégeant au niveau du rachis, du grill costal ou de la face proxi- male des membres [2]. Elle s’associe à une angoisse, une dyspnée, une hypertension artérielle et une tachycardie en l’absence de fièvre [2]. Cette douleur survient souvent durant les 5 premières minutes de la transfusion et régresse progressi- vement (en moins d’une heure) après l’arrêt de la transfusion. Il persiste parfois une douleur résiduelle de faible intensité durant la journée [2,3]. L’étiologie de l’APTR reste encore inconnue. Toutefois, sa fréquence est en augmentation depuis la déleucocytation systématique des produits sanguins (culots globulaires et concentrés plaquettaires d’aphérèse). Certaines marques d’hémofiltration ont été incriminées, notamment les filtres de marque HemaSure ® [4] Baxter ® [1,4] et COBE LRS ® [2]. Notre patient est le premier cas décrit dans la littéra- ture qui a présenté une APTR avec des CPA obtenues par un kit Haemonetics 994 CFE ® . Le motif de la transfusion ne semble pas influencer la fréquente de survenue de l’APTR. Celle-ci peut survenir chez tout patient transfusé qu’il soit porteur d’une hémopathie maligne ou d’une hémorragie post- traumatique [5]. En l’absence de moyens diagnostiques, l’APTR reste un diagnostic d’élimination. Toute douleur transfusion- nelle impose l’arrêt immédiat de la transfusion et l’exclusion des autres étiologies, principalement l’hémolyse [5]. Dans notre cas, une cause hémolytique, infectieuse, neurologique ou rénale semble peu probable. L’absence de réaction au cours des pre- mières transfusions ainsi que la survenue constante de l’APTR à partir de la sixième administration des CPA est plutôt en faveur d’un mécanisme immunologique non anaphylactique. À défaut d’une bonne connaissance de la physiopathologie de l’APTR, seul un traitement symptomatique peut être proposé [5]. http://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.10.005 1246-7820/© 2014 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Le syndrome douloureux transfusionnel

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ARTICLE IN PRESSModele +RACLI-2787; No. of Pages 2

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. Observation

Un homme de 49 ans, sans antécédents, est suivi dans notreormation pour une aplasie médullaire sévère. Il avait béné-cié d’une allogreffe de moelle osseuse géno-identique avecn conditionnement par du sérum anti-lymphocytaire et duyclophosphamide, en plus d’une prophylaxie de la réactionu greffon contre l’hôte par du méthotrexate et de la ciclospo-ine. À 7 mois de la greffe, il a présenté un syndrome pseudorippal associé à une thrombopénie sévère ayant nécessité laeprise des transfusions de plaquettes. Malgré un bilan exhaustifucune étiologie de la thrombopénie n’a été identifiée. En vingtours, le patient a été transfusé à 8 reprises par des concentréslaquettaires d’aphérèse (CPA) irradiés, obtenus par un sépa-ateur de cellules MCS 9000®, utilisant un kit Haemonetics94 CFE®. Ces transfusions étaient administrées à raison d’unPA tous les deux à trois jours jusqu’à la remontée spontanéees plaquettes. Les cinq premières transfusions se sont dérou-ées sans complication. Lors des 3 dernières, le patient présentait

chaque fois, une douleur intense au niveau des fosses lom-aires, maximale du côté droit, à type de colique néphrétique,rradiant vers l’abdomen et dont l’intensité évaluée par l’échelleisuelle de la douleur était de 9/10. Cette douleur s’associait

une angoisse, une dyspnée, une augmentation de la tensionrtérielle, une tachycardie et des sueurs. Elle débutait durant lesinq premières minutes de la transfusion, disparaissait en quinzeinutes après l’arrêt de la transfusion et s’atténuait en ralentis-

ant le débit de la perfusion. Au premier épisode, la transfusion até interrompue. Lors des deux derniers épisodes, la transfusion

été poursuivie mais à faible débit et après administration deorphiniques. La prémédication par du paracétamol, des corti-

oïdes et des antihistaminiques ne prévenait pas l’apparition dees douleurs. Cliniquement, le patient ne présentait pas de fièvrei de frissons ni de signes anaphylactiques. Les urines étaientlaires et le bilan biologique fait au moment des 3 épisodes étaittrictement normal. Le test de COOMBS direct était négatif et’haptoglobine était normale. Il n’y avait pas de signe biologique

Pour citer cet article : Jennane S, et al. Le syndrome doulourehttp://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.10.005

’hémolyse ni de syndrome inflammatoire ni d’altération de laonction rénale. L’hémoculture était stérile et l’examen cyto-actériologique des urines ne retrouvait pas de protéinurie ni

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http://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.10.005246-7820/© 2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

’hématurie ni de germes à la culture. L’échographie rénale etbdominale était strictement normale.

. Commentaire

Devant ce tableau, le diagnostic retenu était le « syndromeouloureux transfusionnel » ou acute pain transfusion reactionAPTR). L’APTR est une complication rare. Peu de donnéesxistent sur cette entité. Selon l’une des rares études rétros-ectives existantes incluant 29 814 patients transfusés, 146 ontrésenté une complication transfusionnelle, dont 12 une APTR1]. L’APTR se manifeste par une douleur intense, siégeantu niveau du rachis, du grill costal ou de la face proxi-ale des membres [2]. Elle s’associe à une angoisse, une

yspnée, une hypertension artérielle et une tachycardie en’absence de fièvre [2]. Cette douleur survient souvent durantes 5 premières minutes de la transfusion et régresse progressi-ement (en moins d’une heure) après l’arrêt de la transfusion.l persiste parfois une douleur résiduelle de faible intensitéurant la journée [2,3]. L’étiologie de l’APTR reste encorenconnue. Toutefois, sa fréquence est en augmentation depuisa déleucocytation systématique des produits sanguins (culotslobulaires et concentrés plaquettaires d’aphérèse). Certainesarques d’hémofiltration ont été incriminées, notamment lesltres de marque HemaSure® [4] Baxter® [1,4] et COBE LRS®

2]. Notre patient est le premier cas décrit dans la littéra-ure qui a présenté une APTR avec des CPA obtenues parn kit Haemonetics 994 CFE®. Le motif de la transfusion neemble pas influencer la fréquente de survenue de l’APTR.elle-ci peut survenir chez tout patient transfusé qu’il soitorteur d’une hémopathie maligne ou d’une hémorragie post-raumatique [5]. En l’absence de moyens diagnostiques, l’APTReste un diagnostic d’élimination. Toute douleur transfusion-elle impose l’arrêt immédiat de la transfusion et l’exclusiones autres étiologies, principalement l’hémolyse [5]. Dans notreas, une cause hémolytique, infectieuse, neurologique ou rénaleemble peu probable. L’absence de réaction au cours des pre-ières transfusions ainsi que la survenue constante de l’APTR

partir de la sixième administration des CPA est plutôt enaveur d’un mécanisme immunologique non anaphylactique.

ux transfusionnel. Transfusion Clinique et Biologique (2014),

défaut d’une bonne connaissance de la physiopathologie de’APTR, seul un traitement symptomatique peut être proposé5].

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Mohammed V, Hay Riad, 10100 Rabat, Maroc

Lettre à la rédaction / Transfusion C

éclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Orton T, Andres M, Bielski R, Olshock H, Thompson DR, Ambruso T.Acute pain transfusion reactions: an under-recognized adverse transfusionevent associated with leuko-reduced components. Blood 2001;98 [Abstract].

2] Hardwick J, Osswald M, Walker D. Acute pain transfusion reaction. OncolNurs Forum 2013;40:543–5.

3] Schonegevel LA, McDonald EJ, Badami KG. Transfusion reactions manifes-ting predominantly with pain. In: The combined HSANZ, ANZSBT, ASTH(HAA) annual scientific meeting; 2008 [Abstract P008].

Pour citer cet article : Jennane S, et al. Le syndrome doulourehttp://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.10.005

4] Alvarado-Ramy F, Kuehnert MJ, Alonso-Echanove J, Sledge L, HaleyNR, Epstein J, et al. A multistate cluster of red blood cell transfusionreactions associated with use of leucocyte reduction filter. Transfus Med2006;16:41–8.

e et Biologique xxx (2014) xxx–xxx

5] Davenport RD. Acute pain transfusion reactions. In: Popovsky, editor. Trans-fusion reactions. Bethesda, MD: AABB Press; 2012.

S. Jennane a,∗A. Raissi a

E.-M. Mahtat a

H. Zahid b

N. Messaoudi b

K. Doghmi a

M. Mikdame a

a Service d’hématologie clinique, hôpital militaired’instruction Mohammed V, Hay Riad, 10100 Rabat, Marocb Laboratoire d’hématologie, hôpital militaire d’instruction

ux transfusionnel. Transfusion Clinique et Biologique (2014),

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Jennane)