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L’enfant, l’adolescent, la famille et les écrans Appel à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques 9 avril 2019 © patrick - stock.adobe.com

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L’enfant,l’adolescent,lafamilleetlesécransAppelàunevigilanceraisonnéesurlestechnologiesnumériques

9avril2019

©patrick-stock.adobe.com

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L’enfant,l’adolescent,lafamilleetlesécransAppelàunevigilanceraisonnéesurlestechnologiesnumériques

Depuis moins de trois décennies, une nouvelle science s’est développée, la scienceinformatique. Une transformation profonde des sociétés et des rapports humains enrésulte,désignéedefaçonglobalecommelarévolutionnumériqueetquipeutprendredemultiples formes, concernant tous les âges de la vie. Longtemps, les écrans de cinémapuis de télévision ont été l’interface principale entre les sens du spectateur et lasignificationdesimagesproposéesàsonregard.Aujourd’hui, lesécransdusmartphone,de la tablette, de l’ordinateur, de la console de jeux, du casque de réalité virtuelleconstituent l’interface principale avec l’immensité des contenus qu’ils mettent àdispositionetquisejouentderrièreeux:réseauxsociaux,jeux,«applis»informatiques,photos et films, simulations, Internet. Le propos du présent Appel ne saurait êtred’évoquer la totalitéde cequ’il est convenud’appeler«lemondenumérique»,de sesenjeux,desesvertusetdesesombres:lesécransn’ensontquelepointd’entrée,visibleetomniprésent.C’estàcetitrequelestroisAcadémiessesaisissentdecettequestion,enportantuneattentionparticulièreàl’enfanceetl’adolescence,danslacontinuitédel’Avisémisparl’uned’entreellesen2013.RésuméexécutifetrecommandationsgénéralesIntroductionILadiversitédesusagesetlesdifférentstypesd’écransIILaquestiondel’addictioncomportementaleIIILesvulnérabilitéssocialesIVLesécransetlesjeunesenfants-ProblèmesdéveloppementauxVLesadolescentsetlestechnologiesnumériquesVIConséquencesmédicalesgénérales

Chronobiologie–troublesdusommeilLaquestiondeseffetspathologiquesdelalumièresurlarétine

VIILesévolutionstechnologiquesencoursConclusion

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RésuméexécutifLesécransoccupentuneplaceconsidérabledans laviedechacunetplusparticulièrementdes enfants. Le numérique a pris une importance croissante et irréversible pour ce quiconcerne l'éducation et la culture et, de façon plus générale, la vie de notre société.D’immensesintérêtséconomiquesetcommerciauxsontenjeu.Ilestnéanmoinsapparu,aufildesannées,quecetteévolutionavaitaussideseffetsdélétèresquisuscitentunegrandeinquiétude,sibienqueledéveloppementrapidedelaprésencedesécransdansnosviesetcelledenosenfantsamènechacunàs’interrogerautantsurlesusagesqu’ilenfaitquesurletempsqu’il ypasse.C’estpourquoi les troisacadémies (Académienationaledemédecine,Académie des sciences, Académie des technologies) ont souhaité faire un point sur cesquestions,souslaformed’un«appel»etnond’un«rapport»,destructureclassique.Unedesprincipalesquestionsquiseposentestdesavoirsil’utilisationexcessivedesécranspeut engendrer une véritable addiction comportementale. Cette notiondoit être abordéeavec précaution car elle répond à une définition médicale précise, réservée à despathologies particulièrement lourdes. En outre, ces addictions comportementalescaractérisées sont souvent associées à des troubles psychiatriques comorbides tels quedépression, anxiété, phobies ou troubles de la personnalité. L’appréhension de cettequestionestcompliquéechezl’enfantetl’adolescentenraisondeladiversitédescontextespsychologiquesetdessituationsindividuelles.On sous-estime généralement le rôle des vulnérabilités sociales, qui interfèrent de façonmajeuredans le rapport aux écrans. En effet, tous les enfants et adolescents ne sontpasplacésdansdescontextesfamiliaux,culturelsetsociauxéquivalentsetlesconséquencesdumauvaisusagedesécransapparaissentd’autantplussérieusesquel’enfantestensituationdevulnérabilité:l’absenceoul’insécuritédel’emploi,lesdifficultésmatériellesdelafamille,unetropgrandedistanceauxserviceséducatifs,sociauxoumédicaux,uncontexteculturelappauvri, sont autant de facteurs qui peuvent rendre difficile, voire inaccessible, lacompréhension du numérique, l’éducation aux usages des écrans, la distance critique etl’indispensableautorégulation.On observe chez certains jeunes enfants (âgés de moins de 3 ans) une surexpositionimportante aux écrans, véritable mésusage en termes de temps consacré. D’un usagerécréatif à un usage utilitaire, on passe à un usage à visée exclusivement «calmante»,proposépuismaintenuparlesparents.Fasciné par les bruits et les lumières vives, totalement passif, le très jeune enfant peutapparaître commedéjà victimed'un trouble comportemental : surexposition chez l'enfant«scotché»àl'écranetréactionsdecolèrelorsduretrait.La question est posée du retentissement de ce comportement sur le développementpsychomoteur et relationnel du jeune enfant, ainsi que sur ses capacités d’apprentissage.Indépendamment de la réponse à cette question très préoccupante, il est difficile dedépartager ce que serait, d’une part, la possible nocivité intrinsèque des écrans pour lesjeunes enfants, et d’autre part des pratiques parentales inadaptées dont la gestion desécrans ne serait qu’un aspect parmi d’autres. L’objectif n'est pas uniquement de limiter

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l'accès aux écrans, sauf, dans une large mesure, chez les plus jeunes enfants, mais detoujoursenaccompagneruneutilisationraisonnableetraisonnée. Chez l'enfant plus âgé, et plus particulièrement chez l’adolescent, le problème est toutautant celui du contenu que celui de la quantité. En particulier, la facilité d’accès à desscènesviolentesoupornographiquesconstitueundanger.Les réseauxsociauxpermettentunélargissementdespossibilitésdecommunicationetunsoutiencontre lasolitude.Àcetitre ilspeuventêtreconsidéréscommepositifs.Enmêmetemps,ilssontunesourced’inquiétudechezl’adolescent,notammentenraisondesrisquesde désinhibition de la communication et de harcèlement facilités par la possibilité del’anonymat.Celaestaggravépar lesstratégiesdesréseaux,visantàretenir l’attentiondesutilisateursetàenobtenirtoujoursplusd’informationssusceptiblesd’alimenterdesbasesdedonnées.Les jeuxvidéoreprésententunautremotifd’inquiétude, largementmédiatisé.Onpeutseposerlaquestiondelaviolencevéhiculéeparcertainsd’entreeux,maisaussidel’absencede frontière absolue entre les jeux de casino et certains jeux vidéo, d’autant plus quecertainséditeurs,utilisantlesservicesdepsychologuesetdespécialistesdesneurosciences,introduisentdesprocédésissusdesjeuxdehasardetd’argent.Cependant,si,dansdescasextrêmes,lebasculementdansl'addictionauxjeuxvidéopeutseproduire sous l'effet conjoint de facteurs de vulnérabilité personnelle ou sociale et ducaractèreparticulièrementaddictogènedecertainsjeux,ilconvientdegarderàl’espritquelatrèsgrandemajoritédesjoueurstrouvedanscettedistractionunesourcedesatisfactionspositivesetd’améliorationdecertainesperformances.Sur le plan strictement médical, les effets négatifs d’une mauvaise utilisation des écransconcernenttouslesâges,maissontévidemmentplusdélétèrespourl’enfantetl’adolescent.Ces problèmes sont principalement liés aux conséquences de l’utilisation vespérale ounocturnedesécrans,dontlalumière,enparticulierlacomposantebleue,accroîtlavigilanceeninhibantlasécrétiondemélatonine,hormoneclédel’endormissement.Lestroublesdusommeil qui en résultent peuvent entraîner une fatigue, des troubles de l’attention etaffecter les résultats scolaires et la vie sociale. Ici encore, le rôle des parents est capital.D’autre part, l’éventuelle toxicité pour la rétine de la lumière diffusée par les écrans doitêtre prise en considération. Elle fait l’objet d’études importantes qui n’apportent pourl’instantpasdeconclusionsignificative.Touslesrisquesquiviennentd’êtreévoquésnedoiventpasocculterlefaitque,bienutilisés,les écrans, et l’information dont ils permettent l’échange, constituent des outils deconnaissanceetd’ouverture sur lemondedont l’intérêtest incontestable. Il faut rappeleravec forceque le rôledesparents,aussibienen tantquemodèled’imitationquecommeautoritééducatrice,resteabsolumentcapitalpourlebonusagedesécransetlaconstructiondel’enfant.Vis-à-visdesadolescents,ilfautégalementrappelerlerôledesenseignantspourunbonusageetpourl’éducationaudiscernementsurl’informationreçue.

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C’est pourquoi les campagnes alarmistes axées sans distinctions sur les « dangers desécrans» ne risquent pas seulement de faire ignorer aux parents et aux éducateurs lesavantages potentiels des technologies numériques, largement argumentés à ce jour. Ellesrisquent aussi de faire oublier les véritables déterminants de la santé mentale etl’importancedesproblèmes sociaux. La fractureentre ceuxqui sontpréparésàbénéficierdes apports du numérique et ceux pour lesquels celui-ci peut aggraver des difficultéspréexistantes constitue aujourd’hui un problème de justice sociale autant que de santépublique.Laconvergencenumériquead’oresetdéjàrapprochélecinéma,laradio,latélévisionetlatéléphonieenleurimposantunsupporttechnologiquecommun.Trèsbientôt,denouvellesformes d’interactions s’y associeront, utilisant l’intelligence artificielle sous des formesmultiples et encore imprévisibles. Une attitude de vigilance positive devra rester demisefaceàcesévolutions.

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RecommandationsgénéralesLesparents1–Avant3ans:Nepasmettreàladispositiondesenfantslaissésseulslesécranssoustoutesleursformesetsurtout ceuxdont les enfants peuvent eux-mêmes contrôler l'usage (tablettes, portables).Une exception peut être faite en faveur d’un usage accompagné, récréatif, que l’on peutencourager avecmodération et prudence: dans tous les cas, la participation parentale àl'interactivitéestabsolument indispensable.Les règlesd’usagepeuventêtreexplicitéesenmotsetétabliesencommun.2-De3à10ans:Il est importantde fixerun temps ritualisédédiéauxécransafind’apprendreà l’enfant àattendre (ce qui constitue le premiermoment de l’apprentissage de l’autorégulation), depréférerlesécranspartagésetaccompagnésauxécranssolitaires,deparleravecl’enfantdece qu’il voit et fait avec les écrans, et d’éviter d’acheter aux plus jeunes des objetsnumériquespersonnels(commeunetablette)dontils’avèrebiendifficileensuitederégulerl’usage.L’achatd’outilsnumériquesfamiliauxdevraitêtrelarègle.Uneattentionparticulièredoitêtreportéeàl’utilisationdesécranslesoiravantlecoucher,tant en raison du temps consommé au détriment d’autres activités que pour la difficultéd’endormissementainsicréée.3-Après10ans:Il importe que les parentsmaintiennent un dialogue positif sur l’utilisation des écrans etrestent attentifs aux symptômes de fatigue liés aux troubles du sommeil, aux signesd’isolementpouvantconduireàunreplisursoietàunfléchissementdesrésultatsscolaires.Insistonsàcepropossurlafaussebonneidéed’unerécupérationdusommeilleweek-endqui,enréalité,nefaitqueconforterladésynchronisationdel’enfant.4-Pourtouslesâges:Ilfautquelesparentss’emploientàunusageraisonnédeleurspropresoutilsnumériques,notammentquandilsinteragissentavecunjeuneenfant,et,quandl’enfantgrandit,queledialoguesoitmaintenusurcesquestions.LecorpsenseignantetlespouvoirspublicsLa société et les pouvoirs publics doivent demeurer attentifs aux problèmes posés parl’évolution versun«100%numérique»et enmesurer les conséquences auprèsdesplusvulnérables.Dèsl’enfantscolarisé(àtroisansdésormaispourtous)etjusqu’àlafinducollège,laplacedesécransdoitfairel’objetd’uneréflexioncollectiveauseindel’établissementscolaire,eny associant les parents, tout particulièrement dans des contextes de grande vulnérabilité

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sociale. Les usages souhaitables à des fins pédagogiques doivent être explicités, tant enclassequ’àlamaison.Nousappelonslespouvoirspublics,responsablesdel’éducationetdelasanté,àmettreenplace des formations, permanente et continue, pour tous les intervenants auprès de lajeunesse,afindecontribueràréduirelesconséquencesdesdisparitéssociales,notammentdansl’utilisationdesréseauxsociaux.Lavigilancedetous(familles,professeurs,éducateursetpouvoirspublics),estnécessaireence qui concerne la violence, la désinformation, le harcèlement et le prosélytisme sur lesréseauxsociaux.Nousappelonségalementàlaplusgrandevigilancesurlescompétitionsde«e-sport»,quidevraientêtreinterditesauxenfantsdontl’âgeestinférieuràl’âgepréconisépourlesjeuxutilisésdanslescompétitions.Desdispositifscontraignantsdevraientêtremisenplaceencesens.Lesnormesdesécuritéoculairedevraientprendreencomptelaphotosensibilitédecertainsyeux«fragiles» (parexemplealbinosmaisaussi lesyeuxatteintsdemaladies rétiniennesdégénérativesetlessujetstrèsjeunesàcristallintrèsclair),surlesquelsondisposedetrèspeudedonnées.LesinstitutionsderechercheLes difficultés liées à l’interface entre les contenus numériques et leurs divers utilisateurssontencoremalévaluées. Elles requièrentun travail des chercheurs, tant anthropologuesquepsycho-sociologues.Cetravailestàconduireaveclesacteursprochesdecessituations(médecins,travailleurssociaux,enseignants)etauplusprèsdesfamilles.Il faut encourager les études longitudinales en cours, qui permettront une meilleurecompréhensiondeseffetsmultifactorielsdesécranschezlesenfants.Les usages pédagogiques d’Internet et des écrans sont multiples et ne cessent de sediversifier (recherched’information, simulationsnumériques…).Les recherchesconcernantleurs contributions aux apprentissages etles vigilances à exercer sont à développer, ens’assurant que leurs résultats sont partagés avec les éducateurs, et notamment lesprofesseurs.Nous appelons les chercheurs à un dialogue éclairé avec les enseignants, éducateurs,professionnels de la santé, parents, et adolescents eux-mêmes, pour comprendre lesexpériences très variées vécues en ligne par des jeunes d’horizons divers et defonctionnementspsychologiquesdifférents.Lesrecherchesdoiventêtrepoursuiviespourleverlesdoutessurlapertinencedesmargesdesécuritédesnormesactuellesenmatièredeprotectiondel’œilcontreleseffetsnocifsdela lumière. L’essentiel de la toxicité suspectée concerne la composante bleue du spectre,

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pour laquelle un filtrage serait une solution techniquement simple. Il conviendrait depoursuivre les travaux scientifiques sur l’efficacité des différents types de filtres de lalumièrebleue(logiciels,lunettes…).Nous appelons les neurophysiologistes, les psychologues et les philosophes à travaillerensemble à la compréhension des relations homme-machines, afin de poser les baseséthiques des interactions susceptibles d’enrichir le registre des expressions et desinteractionshumaines,etdes’opposeràcellesquicontribueraientàleréduire.LeséditeursdeproduitsnumériquesEn attendant que des bases factuelles plus solides soient établies, nous invitons lesindustrielset les fabricantsd’objetsnumériquesà rappelerauxparents l’importancede lamodération,aussibiendansleurspratiquesquedanscellesdeleursenfants.Toutdoitêtremisenplacepourfaireconnaîtrel’existencedesstratégies,présentesdanslesjeux«12+»,afindepermettreaux joueursd’agirdemanièreéclairéeoudesefaireaiderpourencomprendrelesenjeux.Nous appelons les éditeurs de jeux vidéo, et bientôt les fabricants de films interactifs, àimaginer de nouvelles façons d’informer les consommateurs et les parents. Leurspréconisations ont en effet porté jusqu’ici sur les caractéristiques des contenus, ellesdoiventmaintenantinformeraussisurlavariétédesexpériences-joueurs.Nousappelonsenfinlesindustriels,lespouvoirspublicsetlesorganismesprivéssoucieuxdel’éducation et de la citoyenneté numérique à utiliser les ressources technologiques(streaming et plug-in par exemple) pour inventer de nouveaux espaces d’informationmutuelleassociantlesexperts,lesparentsetlesprofessionnels.Ainsiserontmieuxperçuesetconnueslessituationsindividuellesoucollectives,sourcesdeproblèmespourlesusagersdesécrans.

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INTRODUCTIONL’Académie des sciences a publié en janvier 2013 le rapport L’enfant et les écrans. Cerapport, qui avait été rédigéàunmomentoùnombredesmédiasutilisés aujourd’hui, enparticulier lesmartphone,n'étaientpasencoreaussicourammentrépandus,s'étaitefforcéde faire le point sur la situationen s'appuyant sur les données scientifiquesdisponibles àl’époque. L’attention avait été attirée sur les différences fondamentales qui distinguentl'exposition aux écrans selon la tranche d’âge et la nature du média concernées.L’importancedeladimensionéducativeavaitétésoulignée,afindedévelopperchezl’enfantet l’adolescent la capacité d’autorégulation, dont nousmaintenons le rôle essentiel. Pourcela, lesresponsabilitésrespectivesdesparents,ducontextesocialetdusystèmeéducatifavaientétémisesenvaleur.Les conclusions présentées se voulaient pondérées, faisant la part des bienfaits et desinconvénientsdesécrans,mêmesi,aumomentde laparutiondece rapport, certainsontregrettéqu'il n'aitpas suffisamment insisté sur lesdérivesd'une surutilisationdesécrans,pourtantlargementtraitée.Lechantierquenousavonsouvertilyaseptanspeutaujourd’huiêtrenourridenouvellesréflexions autourde cesproblèmes. L'Académienationaledemédecineet l'Académiedestechnologies se sont jointes à l'Académie des sciences pour faire le point sur la situationactuelle. Cette réflexion, qui prend la forme d’un «appel» et non d’un «rapport», destructureclassique,n'apaspourobjectifdefaireuneanalyseexhaustiveetréférencéedesdonnées disponibles dans une littérature de plus en plus abondante, même si les faitsprésentésdansletextecorrespondentàdesréférencesbibliographiquesprécises.D'autresinstitutionsetgroupesdetravailsesontattachésets’attachentàlefaire1.L'idéeestdesepenchersurceproblèmedifficile,sanspréjugémaisavecrigueur,grâceà laspécificitédestroisacadémiesquipermet lacollaborationdeplusieursdisciplinesscientifiques,avecuneouvertureparticulièresurlessciencesfondamentalesmaisaussiunegrandeindépendance.Le texte proposé n'est pas, à proprement parler, un avis, mais plutôt un appel à unevigilanceraisonnée,c'est-à-direfondéesurdesfaitsau-delàdesconvictionsetopinions,toutenreconnaissantlesincertitudesactuelles.C‘estlaraisonpourlaquellenousavonsfavorisélequestionnementauxdépensderecommandationsprécises.Noussouhaitonsparcetappelstimulerlaréflexionsurlessujetstrèsdivers,quipeuventaiderlesparentsetleséducateursà entourer les enfants pour une exposition adaptée aux écrans et àmieux vivre dans cenouveau«mondenumérique».

1Notamment Unicef,Haut conseil de santé publique, Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge,Agencenationaledesécuritésanitairedel’alimentation,del’environnementetdutravail(ANSES),Centrenational de la cinématographie et de l’image animée (CNC), Autorité de régulation des jeux en ligne(ARJEL).

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I- Ladiversitédesusagesetlesdifférentstypesd’écran

Laplupartdestravauxsurlesimpactsdesécranssesontcentrésjusqu’icisurlescorrélationsentre, d’un côté leurs contenus et le temps passé à les utiliser, et de l’autre, lescomportementsdeleursusagers,notammententermesd’agressivité,dedésensibilisationàla violenceetde troublesde l’attention, ceci enquestionnant les éventuelles relationsdecauseàeffets.Parallèlementauxindicateursliésautempsdévoluetauxcontenusdesmédias,ilparaîtdeplus en plus essentiel de prendre en compte beaucoup d’autres facteurs susceptiblesd’influencerleurimpact.Citonsnotamment,etdefaçonnonexhaustive:

- lescaractéristiquesdel'interaction(êtrepassifcommedanslesfilmsouactifcommedans les jeux vidéo ou les réseaux sociaux, mais aussi les impacts de la réalitévirtuelle);

- lecontexted'utilisation(àl'école,àlamaison,maisaussipourlesdevoirsoupourlesloisirs);

- lescaractéristiquesde l’utilisateur (unenfantqui souffrede troublesde l’attentionavechyperactiviténe jouepas lemêmetitrede jeuvidéode lamêmefaçonqu'unenfantquin’ensouffrepas);

- la situationd’apprentissage (formelou informel, à lamaisonouen classe, avecundispositifadaptéounonauxapprentissages);

- l’entourage,etnotammentlastructuredel’environnementfamilial.

II- Laquestiondel’addictioncomportementale

DéfinitionsetlimitesduconceptDuconceptde«dépendance»définipourl’alcoolismeparG.Edwards(OMS,1976)estissucelui «d’addiction». La plus complète définition de ce qu’on appelle «l’addiction sanssubstance» est donnée en 1990 par Goodman, un psychiatre nord-américain : conditionselonlaquelleuncomportementsusceptiblededonnerduplaisiretdesoulagerdesaffectspéniblesdonnelieuàdeuxsymptômesclés:

- l’échecrépétédecontrôlercecomportement(«perteducontrôle»);- lapoursuitedececomportementmalgrésesconséquencesnégatives.

L’addiction est l’étape finale d’un processus physiopathologique commun à laconsommation de toutes les drogues; c’est une condition chronique à rechutes. La poly-consommation est la règle. Au début du processus, la consommation produit un certainplaisir,lequelfaitplaceàlanécessitédeconsommerpouréviterlessignesdusevrage.Ilestessentielderappelerqu’ilexisteunevulnérabilitéindividuelleauxpathologiesaddictives.

Les contraintes socio-économiques entrent dans le cadre des recherches actuelles sur lesdéterminants sociaux de la santé mentale. Certaines évolutions sociétales peuvent alorsdevenirdélétères.

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Depuis une vingtaine d'années, le mot addiction s'est éloigné de sa définition médicalestricteet ilestpassédans le langagecourant,notammentpar lebiaisdesmédias. Ilexistedes dépendances comportementales (telles que le jeu) qui posent la question de leurrelation avec les addictions aux drogues. Deux addictions comportementales sontaujourd’huireconnuesparl’Organisationmondialedelasanté(OMS)au-delàde18ans, legambling disorder et le gaming disorder, traduits dans la version française de l’OMS par«trouble du jeu de hasard et d’argent» et«trouble du jeu vidéo ». Pour ce qui nousconcerne, nous préférons utiliser dans ce texte les termes « jeu de hasard et d’argentpathologique»et«pratiquepathologiquedujeuvidéo»,lejeupouvantêtrelacausedelapathologie, mais aussi sa cible. Quant aumot addiction, sa définition est réservée à despathologies particulièrement lourdes puisqu’on ne peut en parler que dans les cas où seproduisent au moins douze mois de déscolarisation ou d’abandon professionnel completavecunappauvrissementgénéraldelaviesociale.Les addictions comportementales caractérisées (« jeu de hasard et d’argentpathologique»et«pratique pathologique du jeu vidéo») sont souvent associées à destroubles psychiatriques comorbides tels que dépression, anxiété, phobies troubles de lapersonnalité.Commecertainesdrogues,cesaddictionsfontofficed’automédication.Lasurvenued'unsyndromedesevrage,quoiquedenatureenpartiedifférentedusevrageliéauxsubstancestoxiques,estidentifiéepourcertainesaddictionscomportementales.Les addictions comportementales reconnues sont donc construites à la fois à partir dumodèle des addictions à un produit et en rupture avec ce modèle. Elles impliquent larecherche du plaisir immédiat, la difficulté à accepter le sevrage, la poursuite ducomportement malgré ses conséquences négatives et la perte du contrôle. Si certainscomportementssatisfontbienàundecescritères,répondreàunseulsuffit-ilpourdéfiniruneaddiction?S’agit-ilvraimentd’addictionsoudecomportementsmimantl’addictionauxproduits ? On pourrait critiquer l’extensivité de ce concept à tous les comportementshumains associant recherche du plaisir, dyscontrôle, et conséquences éventuellementnégatives.Onsaitquelesaddictionscomportementalesdiffèrentdecellesauxdrogues:lejoueursurécranatteintde«pratiquepathologiquedujeuvidéo»,peuthabituellementreveniràuneutilisationnormale,alorsqu’untoxicomanequiretoucheàladrogueauneforteprobabilitéderechute.Onpeutdoncseposer laquestionde l’absencedefrontièreabsolueentre lesjeuxde casino, reconnus commeuneaddictioncomportementaleauthentique,et certainsjeuxvidéo,d’autantplusquecertainséditeursdejeuxvidéointroduisent,pourretenirleursjoueurs,desprocédésutilisésdanslesjeuxdehasardetd’argent.Ilconvientnéanmoinsdenoterque,silesstratégiesdehasardetd’argentconstituentl’essentieldesmotivationsdesjoueursdecesjeux,ellessontleplussouventàlamargepourlesjoueursdejeuxvidéoquipeuventêtremusparde trèsnombreusesmotivations,etqui trouventdans leurs jeuxdenombreusesautressourcesdeplaisir.Plus généralement, il faut bien prendre conscience que le degré de dépendance auxdifférents types d’écrans, et notamment aux jeux vidéo, est très variable d’un enfant àl’autre. Il est difficile de tracer les frontières entre intérêt acceptable, dépendance

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préoccupantedanslamesureoùelleaffectelaviedel’enfant,etdépendancemajeurequiposedevéritablesproblèmesmédicaux.Ilconvientdetenterdecomprendre«pourquoi»les«addictionscomportementales»sontapparuesetserépandent.Ilexistedeuxgrandesorientationsderechercheenaddictologie.L'unedecesorientationsestcentréesurl'objetdel'addiction,cequiimpliquenotammentlarecherchedu«potentieladdictogène»ducomportement.Cepotentielestmarquépourlesmachinesàsousetpourcertains jeuxvidéo,notammentceuxquisont jouésenréseauetceux qui impliquent des stratégies de retenue du joueur calquées sur celles qui sontemployées dans les jeux de hasard et d'argent. Dans le domaine de l’addictioncomportementale, la suppression de l'objet de l'addiction n'est pas toujours possible nisouhaitable.Lebutestplutôtdefavoriserleretouràunusagemodéréoucontrôlé.L’autre orientation est centrée sur l’individu, le rôle central des comorbidités, lesdynamiques développementales et sociétales, les facteurs génétiques etenvironnementaux:elleexplorelescausesdesdifférencesindividuellesetlesdéterminantssociaux des vulnérabilités, des atteintes à la santé mentale en général. Selon cetteperspective, supprimer l’objetne changera rienàunphénomènedont les causesontunetelleampleur.Les pathologies addictives comportementales résultent d'une interaction entre lavulnérabilité psychologique et biologique d'un sujet - l'addictivité - et un contexte socio-environnementalparticulier.En conclusion, il ne suffit pas de s’interroger sur l’objet d’addiction et le comment duprocessuspathologique,ilfautégalementtenterdecomprendrelepourquoidesévolutionsdont l’écran, la drogue, etc., ne sont que des révélateurs et des causes possiblesd’aggravation.Leslimitesduconceptd’addiction,pourtantlargementutilisé,tiennentdoncàl’imprécisiondesadéfinition.Laclassificationdel’Organisationmondialedelasantén’inclutd’ailleurspaslesaddictionscomportementales,misàpart le jeudehasardetd’argentpathologique,et,plusrécemment, lespratiquespathologiquesdu jeuvidéo. «L’addictionauxécrans»est-elle une véritable addiction ? Elle implique certes un usage inconsidéré et excessif desécrans,une«perteducontrôle»surletempspassédevantl’écran,unedifficultédelimiterl’usage sans symptômes comportementaux de sevrage, et des conséquences négativeséventuellessur ledéveloppementpsychomoteurde l’enfant.Toutenexerçantunegrandevigilance,l’ensembledecesélémentsresteàexploreretàmieuxdéfinir.

III- Lesvulnérabilitéssociales

Qu’il s’agisse de l’école, du rapport aux administrations, de l’accès à l’information et seséchanges(réseauxsociaux),duloisir(jeux,filmsenligne...),cesusagesfontaujourd’huidu«numérique» un élément d’avenir, collectif autant qu’individuel, considéré comme

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incontournable. Les performances sans cesse croissantes fabriquent des besoins autantqu’elles les satisfont. Aux aspects concrets d’usage des écrans s’ajoute la dimensionsymbolique d’entrée dans un nouveau monde, signe de modernité et d’appartenancereconnue à celui-ci. Les adultes et jeunes qui accèdent à l’usagemais que leur situationsocialeetculturelleexclutdecettedimensiond’appartenanceprésententunevulnérabilitéaccrue. Ce nouveaumonde est alors perçu commemystérieux et contrôlé par des forcesinconnuesDansleurrapportauxécrans,touslesenfants–ycompristrèsjeunes-etlesadolescentsnesontpasplacésdansdescontextesfamiliaux,culturelsetsociauxéquivalents.L’absenceoul’insécuritédel’emploi,lafamillemonoparentaleconfrontéeauxdifficultésmatérielles,unetrop grande distance aux services éducatifs, sociaux ou médicaux, un contexte culturelappauvri, l’ultra-ruralité dans des territoires non couverts, sont autant de facteurs quipeuventrendredifficile,voireinaccessible,lacompréhensiondunumérique,l’éducationauxusages des écrans, l’éducation au discernement et l’indispensable autorégulation. Cettesituation,troppeuanalyséeencore,peutcontribueràl’exclusionéducativeetsociale,voireàdeshandicapslorsdelaprimeenfance.Ainsi, il arrive que des élèves en classes de SEGPA et possédant un smartphone disentpourtant«n’avoirpasaccèsàInternet»carilsn’ontaucunereprésentationmentaledecequ’estInternet,contrairementàd’autresélèvesdumêmeâgeculturellementplusfavorisés.Les zones blanches recouvrent des territoires appauvris, où les enfants d’âge scolairedoivent faire de longs parcours quotidiens sans liaison Internet, alors que les enseignantsprivilégientaujourd’huicetaccèsdanslesrelationsavecleursélèves.LesqualificationsdedigitalnativeoudegénérationY, fréquentesdans lesmédiasmaisnereposant pas sur des études scientifiques, n’ont donc guère de sens. En outre, ellesprésupposentunejeunessesocialementetculturellementhomogène.Unesortede«fétichisme»desobjetsnumériquespeuts’établir,quiaffaiblitlacapacitéderésistancedesjeunesàuneconsommationexcessiveouaveugledestechnologies.Ilenestainsidetéléphonesportablesrosesoubleusproposésengrandessurfacespourenfantsde2ansoumoins.Demêmedesconsolesdejeuxetsmartphones,dontlesenquêtesmontrantquelesprimo-acquéreurssontenmajoritélesfamillesmodestes.Recommandationsd’usageLa société et les pouvoirs publics doivent demeurer attentifs aux problèmes posés parl’évolution versun«100%numérique»et enmesurer les conséquences auprèsdesplusvulnérables. Enseignants, associations familiales et de parents, personnels soignantspeuvent trouver auprès de la communauté scientifique des éléments de vigilance,d’accompagnementetdediagnostic,auplusprèsdesterritoires.Lebutestd’accompagnerles personnes vulnérables pour une appropriation responsable des écrans et de ce qu’ilscontiennent.

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Nousappelonslespouvoirspublics,responsablesdel’éducationetdelasanté,àmettreenplace des formations, permanente et continue, pour tous les intervenants auprès de lajeunesse,notammentafindecontribueràréduirelesconséquencesdesdisparitéssociales.RecommandationsderechercheLes difficultés liées à l’interface entre les contenus numériques et leurs divers utilisateurssontencoremalévaluées. Elles requièrentun travail des chercheurs, tant anthropologuesquepsycho-sociologues.Cetravailestàconduireaveclesacteursprochesdecessituations(médecins,travailleurssociaux,enseignants)etauplusprèsdesfamilles.

IV- Lesécransetlesjeunesenfants-Problèmesdéveloppementaux

Chezl’enfantdemoinsdetroisansOn observe chez certains jeunes enfants (moins de 3 ans) un usage important etpréoccupantdesécrans(tablettessouvent),véritablemésusageentermesdetempspassédevant l'écran (plusieurs heures par jour). D’un usage récréatif à un usage utilitaire, onpasseàunusageàviséeexclusivement«calmante»,proposépuismaintenuparlesparents.Fasciné par les bruits et les lumières vives, totalement passif, le très jeune enfant peutapparaître commedéjà victimed'un trouble comportemental : surexposition chez l'enfant«scotché» à l'écran et réactions de colère lors du retrait. La question est posée duretentissementdececomportementsurledéveloppementpsychomoteuretrelationneldujeuneenfant,ainsiquesursescapacitésd’apprentissage.S'agit-ild'unevéritableaddiction?Celaresteàconfirmer,maiscecomportementenpartagecertainsaspects.L’Évolutionhumaines’est réaliséeen relationavecunenvironnementphysiqueethumainquiestchangeantetanécessitédesadaptationsperpétuelles.Lescapacitéshumainesonttoujoursétéconfrontéesàdesdéterminantsexternes.Cesderniersexistentplusquejamaisdenosjoursetsontimprévisibles.Poursedéveloppercorrectement,unjeuneenfant,dèslanaissanceetpourtoutesavie,abesoin d’interactions riches et variées qui impliquent tous ses sens. Ces interactions sontindispensablespoursondéveloppementdansquatredomainesaumoins:

- samotricité,etenparticulierledéveloppementdesamotricitémanuellefine;- sonapprentissagedulangageetdelacommunicationparcelui-ci;- sacapacitéàidentifierlasignificationdesdiversesmimiquesetàlesintégrercomme

supportsd’unecommunicationémotionnelleréussie;- et enfin le développement de ses capacités d’attention et de concentration, pour

lesquelles on sait aujourd’hui que les premières années de la vie constituent unmomentessentiel.

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L’enfantnedoitpasêtreprivédesapprentissages fondamentaux, intellectuels, langagiers,delacommunicationinterpersonnelle,del’observation,delamaîtrisedesenvironnementsobligeantàl’usagedessensetdelamotricité.Noussavonsdoncqueledéveloppementd’unjeuneenfants’organisetrèstôtautourdesescapacitésd’imitation,motriceetémotionnelled’uncôté,etd’attentionconjointedel’autre.Autrement dit, le jeune enfant a tendance à imiter le comportement d’un adulte et àregarder ce qui intéresse celui-ci. Le rapport du jeune enfant aux écrans est tout autantconditionnéparlesmodalitésdel’utilisationdeleurspropresécransparlesparentsqueparle temps passé par l’enfant. Ainsi, l’usage – très répandu - d’un téléphonemobile par unadulte parallèlement à ses interactions avec un jeune enfant s’accompagne demimiquesmoins nombreuses et d’échanges verbaux plus limités, réduisant du même coup lesinteractionsmimiquesetverbalesdel’enfantenretour.S’ilexisteunconsensusscientifiquequantauxeffetsdesécrans,surtoutdelatélévision,surlasantéphysiquedesjeunesenfants(notammentpourcequiconcernelerisqued’obésité),c’est loin d’être le cas pour les éventuelles conséquences psychologiques. Quelquesexemplesdebébésexposésplusdesixheurespar jourà l’âgedesixmoisontétédonnés,mais ils sont si extrêmes qu’il est difficile d’imaginer que d’autres aspects de leur vien’entrentpasenlignedecomptedanslestroublesdudéveloppementconstatés.Autrementdit,ilestdifficilededépartagercequeseraitd’unepartlapossiblenocivitéintrinsèquedesécranspourlestrèsjeunesenfants,d’autrepartdespratiquesparentalesinadaptéesdontlagestiondesécransneseraitqu’unaspectparmid’autres.Entrenocivitépossibledesécransetnocivitéd’unedéfaillanceparentaledont lesécransconstitueraientunsigned’alerte, ledébat n’est pas tranché. Le lien n’est pas établi non plus entre les activités physiquespratiquéesparlejeuneenfantetl’expositionauxécrans.S’ilestavéréquel’expositionauxécrans,mêmemodérée,retiredutempsdisponiblepourd’autresactivitésetpeutêtreàl’origined’undéfautdesommeiletdedifficultésscolaires,néanmoins, dans de nombreux cas de vulnérabilités sociales, l’environnement du jeuneenfantpeutparfoisserévéleraussipeufavorableàsondéveloppementquenel’estl’écran,voirefranchementpathogène(dépressionsparentales,addictions,pathologiesdiverses…).Rappelonsquedansunphénomènededemandeinteractive,l’imitationparl’enfantamplifieles gestes de l’adulte. Cette synchronisation interactive est un besoin vital qui peut êtregravementperturbéparl’abusd’écran,carcelui-cin’estpassynchroniséavecl’enfant.C’estpourquoicertainspraticiensontformuléleconcept«d’expositionprécoceetexcessiveauxécrans» (EPEE), comme trouble neuro-développemental dû à une forme de toxicité del’abus d’écrans. Certains psychiatres ont évoqué la survenue de désordres durables desrelations sociales en cas d’exposition majeure, mais ces observations doivent êtreconfirmées.Il faut bien réaliser que cette problématique est compliquée par la quasi-impossibilité derassemblerdesdonnéesépidémiologiquesfiablesavecdesgroupes-contrôle.Sanscontesterles faits cliniquesmentionnésci-dessus, il faut insister sur le faitquecesobservationsonttrait à des enfants ayant été soumis à des expositions massives (plus de six heuresquotidiennes), ce qui en ce cas pose le problème, évoqué plus haut, de la responsabilitéfamiliale, indépendamment de l’exposition. En outre, de telles surexpositions semblent

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heureusement rares et il n’existe pas de données permettant de savoir si de tels faitspourraientêtreobservésdanslecasd’expositionplusmodérées. Chezl’enfantplusâgéOn rencontre chez l’enfant de 4 à 10 ans certains comportements caractéristiquesd’enfants plus âgés, mais les problèmes, évoqués plus loin pour le pré-adolescent etl’adolescent,nesontpasvraimentpréoccupants,carcettetranched’âgenesemblepastrèsintéresséeparlesréseauxsociaux.Enrevanche, lesjeuxvidéo12+,16+et18+sontjouésdèshuit ans par certains enfants de façon intensive. D’autre part, la question des contenusviolents et pornographiques, accessibles sur Internet, se pose dès avant l’adolescence. Enoutre, les problèmes médicaux qui concernent tous les âges (sommeil, attention, vision,résultatsscolaires…,voirsectionVI)prennentdéjàtouteleurimportance.Le rôle des parents est central dans cette tranche d’âge, où l’enfant les écoute. Commeindiqué pour les plus petits, l’usage massif des écrans par les membres plus âgés de lafamille appelle à l’imitation, qui est une des modalités du développement: l’excès chezl’adultepeutdoncprovoquerl’excèschezl’enfant.Uneplacecroissanteestdésormaisdonnéeàl’usagedesécrans,trèstôtdanslaviescolaire(usagepédagogique,distributiondetablettes,circulationdel’informationentrelesmaîtreset les élèves, voire entre élèves..), tant par souci d’efficacité que de «modernité».L’équilibreentrelecontrôledel’usage(téléphonesportablesparexemple)etsesbénéficesest difficile à trouver. Au-delà de textes réglementaires de cadrage, cet équilibre ne peutreposer que sur une gestion intelligente, exercée par les enseignants, les responsablesd’établissement et sur les conseils associant les parents, en dialogue avec les élèves. Lacompréhensiondecequi«secache»derrièrelesécransestdésormaisfacilitéeparl’entréed’élémentsdescienceinformatiquedans lesprogrammesd’écoleetdecollège.Desoutils,impliquantlessciencescognitivesetmisàdispositionparLamainàlapâte,visentàfaciliterlacompréhensiondesélèves,doncl’autorégulationquiestrecherchée.Recommandationsd’usageLerisquededévelopperdescomportementsdesurconsommationprochesd'uneaddictionimpliquepourlesparents:Enfantsdemoinsde3ans-,denepasmettreà ladispositiondesenfants laissés seuls lesécrans sous toutes leurs formes et surtout ceux dont les enfants peuvent eux-mêmescontrôler l'usage(tablettes,portables).Uneexceptionpeutêtrefaiteenfaveurd’unusageaccompagné,récréatif,que l’onpeutencourageravecmodérationetprudence:danstousles cas, laparticipationparentale à l'interactivitéest absolument indispensable. Les règlesd’usagepeuventêtreexplicitéesenmotsetétabliesencommun.Àpartirde3ans-,defixeruntempsritualisédédiéauxécransafind’apprendreàl’enfantàattendre (ce qui constitue le premiermoment de l’apprentissage de l’autorégulation), depréférerlesécranspartagésetaccompagnésauxécranssolitaires,deparleravecl’enfantdece qu’il voit et fait avec les écrans, et d’éviter d’acheter aux plus jeunes des objets

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numériquespersonnels(commeunetablette)dontils’avèrebiendifficileensuitederégulerl’usage.L’achatd’outilsnumériquesfamiliauxdevraitêtrelarègle.Uneattentionparticulièredoitêtreportéeàl’utilisationdesécranslesoiravantlecoucher,tant en raison du temps consommé au détriment d’autres activités que pour la difficultéd’endormissementainsicréée.En attendant que des bases factuelles plus solides soient établies, nous invitons lesindustrielset les fabricantsd’objetsnumériquesà rappelerauxparents l’importancede lamodération,aussibiendansleurspratiquesquedanscellesdeleursenfants.Pour tous les âges-, de faire un usage raisonné de leurs propres outils numériques,notamment quand ils interagissent avec un jeune enfant, et quand l’enfant grandit, demaintenirundialoguepositifsurcesquestions.Lerôledesparentsestégalementessentieldansl’exerciced’unerésistanceauxséductionscommerciales.Dèsl’enfantscolarisé(àtroisansdésormaispourtous)etjusqu’àlafinducollège,laplacedesécransdoitfairel’objetd’uneréflexioncollectiveauseindel’établissementscolaire,eny associant les parents, tout particulièrement dans des contextes de grande vulnérabilitésociale. Les usages souhaitables à des fins pédagogiques doivent être explicités, tant enclassequ’àlamaison.RecommandationsderechercheIl faut encourager les études longitudinales en cours, qui permettront une meilleurecompréhensiondeseffetsmultifactorielsdesécranschezlesenfants.Les usages pédagogiques d’Internet et des écrans sont multiples et ne cessent de sediversifier (recherched’information,simulationsnumériques...).Lesrecherchesconcernantleurs contributions aux apprentissages etles vigilances à exercer sont à développer, ens’assurant que leurs résultats sont partagés avec les éducateurs, et notamment lesprofesseurs.

V- Lespré-adolescents,lesadolescentsetlestechnologiesnumériques

Bien que le smartphone soit parfois pointé comme un facteur amplificateur du malaiseadolescent, un nombre croissant de recherches suggère que le temps passé en lignebénéficieàunemajoritédejeunesquienfontplutôtunbonusage.Ilexisteenrevanchedescorrélationsnégativesmesurablespour lespersonnestrèsutilisatricesdecestechnologies,maisiln’estpaspossiblededéterminersic’est l’expositionauxécransquiconduitaumal-êtrepsychologiqueousic’estl’inverse.Lesréseauxsociauxetlesjeuxvidéosonttouràtourenquestion.

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LesréseauxsociauxL’utilisation croissante et mouvante des réseaux sociaux par les adolescents est un faitincontournablede la sociétéactuelle. Lorsquecetusage reste raisonnable–en termesdetempspasséetd’implicationpersonnelle–iln’yapaslieudes’inquiéteroutremesure,au-delàdesconséquencesmédicalesévoquéesàlasectionVI.Cesoutilsoffrentdesnouvellesfaçonsd’êtreen rapportavec lesautres. Il en résulteunélargissementdespossibilitésdecommunicationetdesopportunitésd’échapperàlasolitudequipeuventparfoissauverdesvies.Néanmoins, la responsabilitéd’accompagnementdesparents resteentière,mêmesielle est plus difficile à exercer que chez les enfants plus jeunes. Certains problèmes sontapparusavec letemps,telsque laplacecroissantede laviolence,de ladésinformationoumême du harcèlement et du prosélytisme. Ces nouvelles menaces justifient une vraievigilance,nonseulementdesparentsmaisaussidespouvoirspublicsausenslarge.En effet, la relation possible entre l’usage des réseaux sociaux et la dépression desadolescents - voire leurs tendances suicidaires - reste à l’état d’investigation, mais cesréseauxconstituentunesourced’inquiétudeimportante,notammentàcausedesrisquesdedésinhibition de la communication et de harcèlement facilités par la possibilité del’anonymat. Cela est aggravé par les stratégies que les concepteurs de réseaux ontdéveloppéespourretenirl’attentiondesutilisateurs,leurcommuniquerlapeurdemanquerunévénementimportantetenobtenirtoujoursplusd’informationssusceptiblesd’alimenterleurs bases de données: cette «économie de l’attention» est inséparable du modèleéconomique de prélèvement permanent des données personnelles de chacun. Apprendrepourquoi tout semble gratuit sur Internet, alors que rien ne l’est en réalité, relève de lamêmeéducationqu’apprendreàgérerlesmultiplesmenacessursavieprivée.Mais si lesusagesproblématiquesdes réseaux sociauxmenacent tous les jeunes, tousn’ysont pas sensibles de la même façon. D’abord, ceux qui ont des antécédents devictimisation,desdifficultésdeconcentrationenclasse,unepropensionauxcombatsouquifont face àplusd'adversitédans leur viehors ligne sont lesplus susceptiblesde subir leseffets négatifs de l'utilisation de smartphones et autres appareils numériques quand ilscommencentàlesutiliser.La«courseaulike»estd’autantplusnocivequel’estimedesoiestfragile.LasectionIIIadéveloppél’importancedesdéterminantssociaux.Lesjeunesissusdemilieuxsocio-économiques défavorisés bénéficient de moins de curiosité et de moinsd’accompagnementdeleursparents,etleurutilisationdesoutilsnumériquess’enressent.Ilaétéégalementmontréquelaconstructionparchaquejeunedesonréseausocialenlignedépenddesasociabilitéprécédente.Danslesmilieuxpluspopulaires,leréseauestàlafoisplusrestreint,plushomogène(ilouvreàmoinsdediversitésculturelles)etparfoiscentrésuruneculture«trash».C’est pourquoi les campagnes alarmistes axées sans distinctions sur les « dangers desécrans» ne risquent pas seulement de faire ignorer aux parents et aux éducateurs lesavantages potentiels des technologies numériques pour ce groupe d’âge, largementargumentésàcejour.Ellesrisquentaussidefaireoublier lesvéritablesdéterminantsdelasanté mentale et l’importance des problèmes sociaux. La fracture entre ceux qui sont

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préparés à en bénéficier et ceux pour lesquels elles peuvent aggraver des difficultéspréexistantes constitue aujourd’hui un problème de justice sociale autant que de santépublique.Recommandationsd’usageCommeindiquésurunplanplusgénéralàlasectionIII,nousappelonslespouvoirspublicsàmettre en place des formations pour tous les intervenants auprès des adolescents,notamment afin de contribuer à réduire, dans l’utilisation des réseaux sociaux, lesconséquencesdesdisparitéssociales.Lavigilancedetous(familles,éducateurs,professeursetpouvoirspublics),estnécessaireencequiconcerneladésinformation,leharcèlementetleprosélytismesurlesréseauxsociaux.Il importe que les parents maintiennent un dialogue positif sur ces questions et restentattentifs aux symptômes de fatigue liés aux troubles du sommeil, aux signes d’isolementpouvantconduireàunreplisursoietàunfléchissementdesrésultatsscolaires.RecommandationsderechercheNousappelonsleschercheursàundialogueéclairéaveclesenseignants,leséducateurs,lesprofessionnels de la santé, les parents, et les adolescents eux-mêmes, pour partager etcomprendrelesexpériencestrèsdifférentesvécuesenlignepardesjeunesd’horizonsdiversetdefonctionnementspsychologiquesdifférents. LesjeuxvidéoDansdescasextrêmes,lebasculementdansl'addictionauxjeuxvidéopeutseproduiresousl'effet conjoint de facteurs de vulnérabilité personnelle ou sociale et du caractèreparticulièrement addictogène de certains jeux. Cette situation extrême peut conduire aufléchissementscolaireetà l'isolementsocial, quandlaréalitédesamitiésprochess'effacederrièredesrelationsvirtuelleset lointaines.Ainsi, ladésinsertionsociale intervientquandl’utilisation excessive des écrans plonge les jeunes dans unmonde virtuel et retentit surl’apprentissage concret de la vie, en gommant la confrontation à autrui et aux difficultéspratiques.Plusgénéralement,laquestiondesavatarsetdeladépersonnalisationmériteraituneétudeapprofondie.Les jeuxvidéoposentenoutreplusieursproblèmesdontuneévolution récentequiparaîtparticulièrement préoccupante. Certains concepteurs de jeux utilisent les services depsychologuesetdespécialistesdesneurosciencesafind’introduiredestechniquesinspiréesde celles qui ont fait leurs preuves dans les jeux de hasard et d’argent pour tromper larationalité du joueur et l’obliger à rester, et à payer. Il existe notamment la possibilité, àl’intérieurmêmedeces jeuxconseilléspour lesplusdedouzeans,d’achatsenargentréelquines’accompagnentpasd’uneespérancedegainfinancier,maisd’unaccèsàdesobjetsvirtuelscommedesarmesoudesvêtements.Bienquelarevente,illégale,decesobjetsneconcernequ’uneminoritédejoueurs,ilestpermisdes’inquiéterdurisquequelapratiquedetels jeuxfasseglisserensuitelesadolescentsdevenusadultesversdespratiquesréelles

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dejeuxdehasardetd’argent.Cerisqueestd’autantplusmarquéquelesopérateursdejeuxd’argentenligneutilisent lesmêmespersonnageset lesmêmeshabillagesgraphiquesquedanslesjeuxvidéodontcesadolescentssontfamiliers.Recommandationsd’usageToutdoitêtremisenplacepourfaireconnaîtrel’existencedesstratégies,présentesdanslesjeux«12+»,afindepermettreaux joueursd’agirdemanièreéclairéeoudesefaireaiderpourencomprendrelesenjeux.Nous appelons les éditeurs de jeux vidéo, et bientôt les fabricants de films interactifs, àimaginer de nouvelles façons d’informer les consommateurs et les parents. Leurspréconisations ont en effet porté jusqu’ici sur les caractéristiques des contenus, tels queviolence ou scènes de frayeur. Elles doiventmaintenant informer aussi sur la variété desexpériences-joueurs,tellesqueladuréedesparties,lecaractèrenarratifounond’unjeu,lecontexteconseilléd’utilisation,etlastructuredesrécompensessusceptiblesd’entraînerplusou moins de modifications des comportements, notamment dans les micro-transactionsassociéesauxjeuxfree-to-play.Nousappelonségalementàlaplusgrandevigilancesurlescompétitionsde«e-sport»,quidevraientêtreinterditesauxenfantsdontl’âgeestinférieuràl’âgepréconisépourlesjeuxutilisésdanslescompétitions.Desdispositifscontraignantsdevraientêtremisenplaceencesens.RecommandationsderechercheNousappelonsleschercheursàfaireavancerlaconnaissancesurlesinteractionscomplexesentrelesprocessuscognitifs,affectifsetcomportementaux,etl’ensembledesfacteursliésàla nature d’un média et aux différences individuelles. Ces travaux sont non seulementessentiels pour faire progresser les connaissances dans le domaine des applicationséducatives et thérapeutiques des médias numériques, mais aussi pour éviter d’éventuelseffetsproblématiquessurcertainescatégoriesd’usagers.

VI- ConséquencesmédicalesgénéralesLasurexpositionauxécranspeutavoirdenombreusesconséquencesmédicales.Nousavonsdéjà discuté les conséquences d’ordre psychologique et psychiatrique. Nous avonségalement mentionné le risque accru d’obésité provoqué par des expositions trèsfréquentesetprolongées.Nousdiscuteronsicidedeuxproblèmesquitouchentlesenfantsdetousâges,demêmequelesadultes:lestroublesdusommeiletleseffetspathologiquesdelalumièresurlarétine.

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Chronobiologie,troublesdusommeilLa lumière est le synchroniseur le plus puissant chez l’homme. Elle entraîne son horlogeinternesur24heures. Lamélatonineest considéréecomme l’aiguilledecettehorlogecarc’est elle qui transmet à l’organisme le signal de la lumière et de l’obscurité. La lumièrecontrôlelasécrétiondemélatonineetagitdemanièredifférenteenfonctiondel’heure,deladuréed’exposition,desonintensité,etduspectrelumineux.Lorsquel’expositionalieulanuitaumomentdupicdesécrétion(02-03heuresdumatin),lamélatonineesttotalementinhibéependanttouteladuréed’expositionenraisondelaneutralisationparlalumièredel’activitédel’enzymeclédelasynthèsedel’hormone,laN-acétyltransférase(NAT).Lalumièreartificielledusoirprovoquedoncunebaissedelasécrétiondemélatonine,etce,mêmelorsqu’ils’agitdel’éclairagepublicpénétrantdansunechambreàtraverslafenêtre.La lumière bleue des écrans accroît la vigilance naturelle provoquée par le jeu ou parl’activitéde conversation sur les réseaux sociaux, et accentue la baissede la sécrétiondemélatonine.Quellequ’ensoit l’origine, ladésynchronisationsemanifestepardessymptômescliniquesatypiquestelsquefatiguepersistante,troublesdusommeilpouvantaboutiràuneinsomniechronique,troublesde l’humeurpouvantconduireàunedépression, troublesde l’appétit,diminutiondesperformancescognitivesetphysiquesetdelavigilance,etc.Même une intensité lumineuse faible comme celle apportée par les LEDs dans les écransd’ordinateuroudetélévision, letéléphoneportableoulestablettes,estcapabled’agirsurl’horloge en entraînant un retard de phase, de freiner la sécrétion de mélatonine et dedésynchroniser l’horloge(prèsde90%desadolescentsontunsmartphone,35%des7-19ansontune tablette).S’agissantde laquantitédesommeil, il convientde rappelerque larecommandationestde9heuresparnuitjusqu’àl’adolescence,et8heuresensuite.Chezlesadolescents,trèsamateursd’écranslesoir,leretarddephaseestsouventassociéàtermeàunedettedesommeilretrouvéechez30%des15-19ans.Plusde12%seplaignentd’insomnie chronique à l’origine de troubles préjudiciables à leur santé et d’unedésynchronisation appelée «jet lag social», car l’horloge n’est plus en phase avec la viesociale.Cetteprivationdesommeilentraînedesdésordresnotablesquisemanifestentparune fatigue et une somnolence diurne unanimement remarquées dans les établissementsscolaires, des troubles de l’humeur, des perturbationsmétaboliques, une dégradation del’appétit,voiredestroublesneurocognitifsavecdiminutiondelavigilanceetdel’attention.Silemêmerisqueexistepourl’adulte,ladifférenceestquel’adulteestdéjàconstruit,alorsque l’enfantest en constructionetque l’onn’apaspour lui de recul sur les effets à longtermedecesnouvellespratiques.Recommandationsd’usageLa baisse des performances scolaires et le repli sur soi de l’adolescent sont deux signauxessentielsquidoiventalerterlesparentssurdestroublesdusommeil.Insistonsàcepropossurlafaussebonneidéed’unerécupérationdusommeilleweek-endqui,enréalité,nefait

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queconforterladésynchronisationdel’enfant.Iciencore, lesparentssontoudevraientêtre lesélémentsessentielsdepréventiondecestroublesetconduitesàrisque. LaquestiondeseffetspathologiquesdelalumièresurlarétineToute lumière intense expose au-delà d’un certain seuil à une toxicité rétinienne. Laquestion qui se pose actuellement est celle de la toxicité de doses habituellementconsidéréescommesansdangerpourl’espècehumaine,ledébatsefocalisantsurlalumièrebleuedesLED.Surleplanépidémiologique,contrairementàunecroyancerépandue,iln’estpasclairementdémontréquel’expositionàlalumièresolairesoitassociéeàuneplusgrandeincidencedemaladies rétiniennes, en particulier de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA),certaines études niant cette relation, d’autres la soutenant fortement. Le fait que ladégénérescencemaculaire liée à l’âge soit multifactorielle, associant facteurs génétiques,locaux (pigmentation de l’œil) et environnementaux (tabac en particulier) ne facilite pasl’identificationd’unfacteurenvironnementalsupplémentairetelquelalumière.ÀnoterquelespaysàfortensoleillementnesemblentpasprésenteruneincidencedeDMLAsupérieureauxautres.Lesexpérimentationsanimalesontétéeffectuéesprincipalementsurlesanimauxnocturnesalbinos(ratsWistarouSprague-Dawley)doncphylogénétiquementsansdoutepeuprotégéspar l’évolution contre la lumière bleue, dépourvus de la protection naturelle qu’est lamélanine présente dans la rétine de l’ensemble des mammifères sauvages. Ces étudesrapportent une toxicité rétinienne dose-dépendante affectant les photorécepteurs et lescellules de l’épithéliumpigmentaire en deçà des doses communément reconnues commemaximales.Larésilienceàlongtermedelarétineestencoremalconnue.La pertinence des protocoles expérimentaux est sujette à caution. Il faut rappeler quelalumièreextérieure (dusoleil,donc),mêmeencasdecielnuageux,estglobalementplusintense que la lumière d’une pièce fermée(bien que de spectre différent) ; que nous nefixons que rarement une ampoulede près ; que l’éclairage direct par les LED est le plussouventatténué(abat-jourparexemple).La puissance lumineuse des écrans est beaucoup plus faible que la lumière ambiantenaturelledejour.La luminositémoyennedesécransestcompriseentre250et400cd/m2.Celledesécransdesmartphoneestdumêmeordre.Aucuneétudeinvivon’apudémontrerdemanièreirréfutableunequelconquetoxicitédansl’œildetellesintensitéslumineuses.Entout état de cause, les effets de la lumière émise par un écran sontmoins forts lorsquel’écranestentouréd’autressourceslumineuses.On n’a pas abordé ici les symptômes de gêne visuelle sur écran (éblouissement,démangeaisons, sensation de sable…), qui relèvent soit d’un trouble de l’hydratationcornéenne,soitd’unephotosensibilitéintrinsèque(seuildephotophobieabaissé).

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L’essentiel de la toxicité est attribué à la composante bleue du spectre. À ce jour, lalittératurescientifiqueestrelativementpauvreenrésultatsexpérimentauxpertinentspourlarétinedemammifèreenconditionsréelles.L’extrapolationdecesrésultatsexpérimentauxàl’espècehumainedoitdoncêtrefaiteprudemment.RecommandationsderechercheLesrecherchesdoiventêtrepoursuiviespourleverlesdoutessurlapertinencedesmargesdesécuritédesnormesactuellesenmatièredeprotectiondel’œilcontreleseffetsnocifsdelalumièresurlarétine.Lesnormesdesécuritéoculairedevraientprendreencomptelaphotosensibilitédecertainsyeux«fragiles» (parexemplealbinosmaisaussi lesyeuxatteintsdemaladies rétiniennesdégénérativesetlessujetstrèsjeunesàcristallintrèsclair),surlesquelsondisposedetrèspeudedonnées.L’essentieldelatoxicitésuspectéeconcernelacomposantebleueduspectre,pourlaquelleun filtrage serait une solution techniquement simple. Il conviendrait de poursuivre lestravaux scientifiques sur l’efficacité des différents types de filtres de la lumière bleue(logiciels,lunettes…).Des travaux épidémiologiques, au demeurant très difficiles, doivent être entrepris pourpréciserlerôleaccélérateuréventueldelalumièrebleuesurlasurvenuedelaDMLA.

VII- Lesévolutionstechnologiquesencours

Laconvergencenumériquead’oresetdéjàrapprochélecinéma,laradio,latélévisionetlatéléphonie en leur imposant un support technologique commun. Très bientôt, elle varapprocher les jeux vidéo, le cinéma, les interfaces conversationnelles et des évolutionsrécentes de la robotique, de telle façon que les frontières vont s’estomper pour leursutilisateurs.Grâceaustreaming généralisé, les films interactifs«jouables»,notammentsur téléphonemobile, vont effacer la distinction traditionnelle entre écran actif et écran passif etbouleverser le système de protection des mineurs actuellement fondé sur la différenceradicaleentrefilmsetjeuxvidéo;lemondedanslequelnousvivronsmêleraindifféremmentcréationréelleetvirtuelle,etproposeradesexpériencesinteractivesbaséesàlafoissurducontenu3D,surdelaréalitévirtuelleetaugmentée,enoffrantlapossibilitédedonneruneréalité tangible non seulement à des informations fausses,mais également à desmondesentièrement programmés ; le développement des robots conversationnels mettra fin àl’interface écran comme support privilégié d’interaction et concurrencera l’actuelleéconomie de l’attention, exploitée sur les réseaux sociaux, par une « économie de laconfidence » basée sur de nouvelles formes d’intimité artificielleavec des compagnonsnumériques;ledéveloppementdesrobotsd’accueiletdecompagniesusciteradenouvellesformesd’animismeenentretenantl’illusionquel’hommeinteragitavecunemachinedotée

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d’autonomieetd’émotionsindépendantesalorsquecelle-ciinteragiraavecl’hommequilaprogramme ; et les émotions caricaturales et stéréotypées simulées par les machinesmenaceront,àtouslesâges,d’appauvrirl’expressiondesémotionschezl’êtrehumainenledétournantàlafoisdeleursubtilitéetdel’observationd’autresélémentsimportantsdanslarelation,commel’identificationdespostures.Recommandationsd’usageDe nouvelles formes de pathologies pourront apparaître, caractérisées par un rapportparticulier –par exemple addictif – à certains contenus,mais ladifférencedevra toujoursêtre faite entre ces contenus et les supports permettant aux usagers d’y accéder et unevigilancepositivedevraêtremaintenue.RecommandationsderechercheNous appelons les neurophysiologistes, les psychologues et les philosophes à travaillerensemble à la compréhension des relations homme-machines, afin de poser les baseséthiques des interactions susceptibles d’enrichir le registre des expressions et desinteractionshumaines,etdes’opposeràcellesquicontribueraientàleréduire.Les rapports complexes de la technologie et de la santé ne concernent pas seulement lapossibilité de faire servir certaines applications de la première pour la seconde. Ilconviendrait de mettre en place un principe de vigilance quant à des technologies quisemblent d’abord apporter un «plus» et provoquer un engouement (économique et/oupsychologique),mais peuvent se révéler dans un second temps engendrer des problèmesquiauraientpuêtreanticipés.Nousappelonsaussilesindustriels,lespouvoirspublicsetlesorganismesprivéssoucieuxdel’éducation et de la citoyenneté numérique à utiliser les ressources technologiques(streaming et plug-in par exemple) pour inventer de nouveaux espaces d’informationmutuelleassociantlesexperts,lesparentsetlesprofessionnels.Ainsiserontmieuxperçuesetconnueslessituationsindividuellesoucollectives,sourcesdeproblèmespourlesusagersdesécrans.

CONCLUSIONGENERALE

L’expositiondesenfantsetdesadolescentsauxdiverstypesd'écransadeseffetsmultiples,trèsdifférentsselonlatranched'âge.Chezletoutpetit,leproblèmeestavanttoutceluidela surexposition. Chez l'enfant plus âgé, et plus particulièrement chez l’adolescent, leproblèmeesttoutautantceluiducontenuqueceluidelaquantité.Le problème de la dépendance, sous ses différentes formes, est préoccupant, sans qu'onconnaissecomplètementsesbasesphysiopathologiquesetsesrelationsavecl'addiction.

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Les conséquences sur les comportements et l'activité intellectuelle et sociale dépendentbeaucoupdescasmaisapparaissentd'autantplussérieusesquel'enfantestensituationdevulnérabilité.Cesaspectsnégatifs,trèsvariablesd'unenfantà l'autreselonlesmodalitésdel'expositionauxécrans,doiventappeleràunegrandevigilance,toutspécialementdelapartdesparentsetdeséducateurs.L’objectifn'estpasuniquementde limiter l'accèsauxécrans,sauf,dansune largemesure,chez les plus jeunes enfants,mais d'en accompagner l’utilisation en sachant qu'un usageapproprié a également des effets très positifs sur la performance intellectuelle et lasocialisation.Plutôtquedes'opposerà l’inévitable,mieuxvaut l’accompagnerenveillantaurespectdeconditionsd’utilisationoptimalesauregarddelasantépublique.

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CompositiondugroupedetravailJeanADÈS–AcadémienationaledemédecineYvesAGID–Académiedessciences Jean-FrançoisBACH–AcadémiedessciencesetAcadémienationaledemédecineCatherineBARTHÉLÉMY–AcadémienationaledemédecinePierreBÉGUÉ–AcadémienationaledemédecineAlainBERTHOZ–AcadémiedessciencesetAcadémiedestechnologiesLouisDUBERTRET–AcadémiedestechnologiesBrunoFALISSARD–AcadémienationaledemédecineMichelLEMOAL–AcadémiedessciencesPierreLÉNA–AcadémiedessciencesSergeTISSERON–AcadémiedestechnologiesCoordinationéditoriale:Jean-YvesCHAPRON,directeurdespublications,Académiedessciences.

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Personnalitésauditionnées

DimitriBARABÉ-informaticien-spécialistedesjeuxvidéoDominiqueCARDON–sociologue–directeurduMédialabdeSciencePoDavidCOHEN-chefduservicedepsychiatriedel'enfantetdel'adolescentàl'hôpitaldelaPitié-Salpêtrière-professeuràl'universitéPierre-et-Marie-CurieSylvianeGIAMPINO-présidenteduConseildel'enfanceetdel'adolescenceduHautconseildelafamille,del’enfanceetdel’âge(HCFEA)KateGRIEVE–ingénieur,InstitutdelavisionDanielMARCELLI -professeurdepédopsychiatriede l’enfantetde l’adolescent-présidentde la Société française de psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent et des professionsassociées – président d’honneur de la Fédération nationale des Écoles des parents etéducateurs.MichelPAQUES–CHNOdesQuinze-VingtsElenaPASQUINELLI–membresdelafondationLamainàlaPâte–philosophe-chercheuseen sciences cognitives, associée à l'Institut Nicod (CNRS-EHESS-ENS) -membre du Conseilscientifiquedel’ÉducationnationalePascalPLANTARD–professeurdesciencesdel’éducationàl’universitéRennes2-CREAD-anthropologuedesusagesdestechnologiesnumériquesSimonRICHIR–professeur-directeurdel’InstitutLavalArtsetMétiers-présidentdeLavalVirtualAliciaTORRIGLIA-directeurderechercheInserm,CentrederecherchedesCordeliers,DelaphysiopathologiedesmaladiesrétiniennesauxavancéescliniquesYvanTOUITOU-Académienationaledemédecine-FondationA.deRothschild,Mécanismesetphysiopathologiedesrythmescircadiens