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Nadbitka z pracy zbiorowej Kultura i llteratura dawnej Polski, Warszawa 1967 Quelques remarques OS'f >yy<l sur l' élément bucolique dans la «Dafnis» de Samuel Twardowski Claude Backvis On ne se contentera pas ici de grouper quelques con statations que pourrait re^^er tout aussi bien qui conque lirait d'un oeil attentif le chefd'oeuvre de Sa muel de Skrzypna mais de montrer comment la pré sence — obvie — de l'ambiance bucolique dans son drame pastoral mythologique génétiquement issu d'un spectacle de Cour présente des aspects complexes et projette une lumière caractéristique sur la psychologie fondamentale de son art baroque et même, à un certain égard, de tout art baroque. C'est pourquoi il nous faut tout d'abord évoquer les bases du problème que nous avons en vue. Le regretté Renato Poggioli a admirablement montré dans un article aussi délicieux que profond ' les composantes historicoculturelles du genre ,,mi neur" et précieux qu'est la bucolique. L'un des plus tardvenus dans l'évolution de la littérature grecque, apparu dans cette Alexandrie du Illème siècle avant notre ère qui dans le monde antique était l'équivalent non plus de Bruges, de Venise ou de Cracovie mais 1 Renato Poggloll, The Oaten Flûte, dans Harvard Library Bul letin, vol. XI, nr. 2, Spring 1957, pp. 147—84. En polonais: Wierzbowa fujarka, dans Zagadnienia Rodzajôw Llte- rackich, tôdz, t. III, z. 1 (4), 1960, pp^,3*r7Ti~,

Quelques remarques >yy

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Nadbitka z pracy zbiorowej Kultura i l lteratura dawnej Polski, Warszawa 1967

Quelques remarques OS'f

>yy<l sur l'élément bucolique dans la «Dafnis» de Samuel Twardowski

Claude Backvis

On ne se contentera pas ici de grouper quelques con­statations que pourrait r e ^ ^ e r tout aussi bien qui­conque lirait d 'un oeil attentif le chef­d'oeuvre de Sa­muel de Skrzypna mais de montrer comment la pré­sence — obvie — de l 'ambiance bucolique dans son drame pastoral mythologique génétiquement issu d 'un spectacle de Cour présente des aspects complexes et projet te une lumière caractéristique sur la psychologie fondamentale de son art baroque et même, à un certain égard, de tout ar t baroque. C'est pourquoi il nous faut tout d 'abord évoquer les bases du problème que nous avons en vue.

Le regretté Renato Poggioli a admirablement dé­montré dans un article aussi délicieux que profond ' les composantes historico­culturelles du genre ,,mi­neur" et précieux qu'est la bucolique. L'un des plus tard­venus dans l 'évolution de la l i t térature grecque, apparu dans cette Alexandrie du I l l ­ème siècle avant notre ère qui dans le monde antique était l 'équivalent non plus de Bruges, de Venise ou de Cracovie mais

1 Renato P o g g l o l l , The Oaten Flûte, dans Harvard Library Bul ­letin, vol. XI, nr. 2, Spring 1957, pp. 147—84.

En polonais: Wierzbowa fujarka, dans Zagadnienia Rodzajôw Llte-rackich, t ô d z , t. III, z. 1 (4), 1960, pp^,3*r­7Ti~,

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du New York ou du Londres d 'aujourd 'hui , sous la plume d'un citadin natif de la plus grande ville de Si­cile, ce genre si profondément empreint de tendresse, de volupté et de nonchaloir, baigne par ses racines dans la mélancolie historique d'une nostalgie. Evocation d 'un paradis perdu de facilité et d'innocence, donné pourtant implicitement comme réel et, à sa manière, réaliste (pas toujours, il est vrai, car il se réfère plus d 'une fois par les noms et par les thèmes à une „antiquité" mytholo­gique et mythique, mais dans ces cas c'est en la débar­rassant de son prestige auguste et donc en la rappro­chant de la „vie"), il nous représente des hommes délivrés du poids de l 'histoire le plus souvent, du poids glorieux mais harassant de la civilisation à coup sûr. Ces ,,travailleurs" n'ont en général d 'aut re ,,tâche" que de morigéner de temps en temps un bouc ou une chèvre qui ont transgressé l 'une ou l 'autre limite. Pour le reste, leur vie consiste à aimer et à chanter.

Ils chantent — c'est-à-dire que, tout en se t rouvant idéalement soustraits aux conventions restreignantes de la c i v i l i s a t i o n , ils créent de la c u l t u r e au premier chef et, de toute évidence, ils le font avec aussi peu d'efforts, avec une aussi perpétuelle disponibilité, que dans la na ture de paradis perdu qui leur sert de cadre les moissons poussent d'elles-mêmes et les arbres se chargent de f rui t .

Mais surtout ils aiment. Pas toujours, on le sait bien, d'un amour heureux. L 'une des pièces les plus fortes de Théocrite, les Farmakeutriaj — qui sera justement reprise et par Virgile et par Szymonowic — représente avec une force peut-ê t re unique dans la l i t térature grecque un amour-désir (de la par t d 'une femme!) devenu un amour-passion et sur tout un amour-

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- tourment . Et en fade cortège à cette grande maladie dévorante d 'aimer se dresse aussitôt dans notre souve­nir la longue théorie des coqueluches d 'amants buco­liques transis. Mais s'il arrive souvent dans la bucolique que l'on souff re d'aimer, on n ' e n a j a m a i s h o n t e , dans aucune situation. N'y apparaissent notamment jamais l ' inquiétude et la responsabilité d 'une éven­tuelle paterni té ou (au stade tout au moins de ce qui nous est montré) d 'une possible maternité. C'est dans ce domaine sans doute plus que dans aucun aut re que la nostalgie se trouve momentanément résolue par un t ransfe r t d ' imagination: ces „pâtres" n'ont pas à se soucier des convenances, puisque celles-ci sont censées ne pas exister dans leur univers. Comme l'a bien dit Poggioli, ici règne

la legge aurea e felice Che N a t u r a scolpi: „S'ei place, ei lice"

la loi d'or, la loi heureuse Qu'a forgée la Nature: Si cela te plaît, cela t'est licite. Allons même plus loin. La bucolique nous entret ient

d 'êtres simples, mais elle n 'a été écrite ni par ni pour des simples, elle a été écrite par des intellectuels le plus souvent, pour d 'autres intellectuels très souvent, pour des mondains plus encore. L 'amour y apparaî t for tement esthétisé et donc, dans ce sens-là mais dans ce sens seulement, idéalisé. Mais il ne messied nulle­ment, c'est au contraire une des règles du jeu, de se rappeler d e t e m p s à a u t r e , pas à jet continu, que les acteurs de ces petits récits, les récitants de ces monologues et de ces dialogues, sont des rustres, phi-lologiquement des vachers, qui vivent au contact direct et permanent des animaux, naturels et innocents et sin­cères comme ceux-ci. Cela permet de fauf i ler bien des

21 — Kultura 1 literatura dawnej Polskl

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choses et sur un ton assez direct, pour le plus vif plaisir des lecteurs: n'allons pas oublier que ceux qui les pre­miers ont lu Théocrite ont été aussi ceux qui ont pu et dû lire les mimes d'Hérondas. La bucolique baigne dans une ambiance récurrente non pas seulement de sentimentalisme amoureux mais d'érotisme. Cela n'a rien pour nous étonner chez les Grecs, encore que cette quasi-monomanie de l 'amour-désir qui règne dans la bucolique puisse peut-ê t re apparaî t re à nos yeux avertis comme un trait assez caractéristique pour les sociétés plus que mûres: la nôtre actuelle en tout cas semble­rai t confirmer cette vue de l 'esprit. Cela n'a rien non plus pour nous surprendre de la par t des hommes de cul ture et d 'étude de l 'Humanisme et de la Renaissance qui, après la trop longue diète de silence et d'hypocri­sie imposée par la morale médiévale, n 'ont pas manqué de saisir les opportunités qu 'offrai t la bucolique ^ pour habiller ou plutôt en l'espèce dévêtir par le t ruchement des conventions lit téraires de la „naïve" innocence des pâtres l 'aveu des droits de la nature. On saisit tout de suite que le cas est nécessairement tout aut re avec les hommes de l'âge baroque professant — le plus souvent t rès sincèrement sans doute d a n s u n e p a r t c o n ­s c i e n t e de leur conscience — une morale de con­trition pour laquelle la chair est plus que suspecte et l'ascèse à tout le moins méritoire. On va bien le voir chez notre Twardowski.

Voilà notre problème essentiel. Il f au t encore y a-2 Cf. passim dans le l ivre récent et exce l lent de w . Léonard

G r a n t, professeur à l 'Université de Vancouver, Neo-Latin Llte-rature and the Pastoral, Chapell Hill, The Univers i ty of North Caro-l ina Press, 1965. Cet ouvrage fournit un panorama remarquablement informé, f in et spirituel de la bucol ique en latin dans les d i f férentes l ittératures de l'Europe Occidentale depuis Dante jusqu'à la batail le de Marengo.

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jouter, à t i tre subsidiaire mais non secondaire, un peti t problème d'histoire culturelle. Après les considérations liminaires sur l 'émergence première du genre buco­lique, on admirera une fois de plus à son propos le t a c t historique et l ' a u t h e n t i c i t é qui caracté­risent si heureusement la l i t térature vieille-polonaise. La bucolique y apparaît (du moins avec quelque éclat) tard, sous la lumière vespérale du classicisme huma­niste. Elle y est traitée (avec maîtrise) p a r d e s b o u r g e o i s , qui seuls, en tant que tels, peuvent répondre à ce présupposé de nostalgie vitale et histo­rique qui a soustendu génétiquement le genre. *

La szlachta du même temps nous a laissé une foule de tableautins de la vie campagnarde et ces textes, d 'un

3 Nostalgie vitale du bourgeois qui s'est volontairement et incom-prchensiblement exi lé de la nature, comme le dit avec une délicieuse et percutante naïveté le szlachcic Jôzef D o m a n i e w s k i dans son , ,poème" Byt ziemianshi i miejskl, Lubcz, 1620 (reproduit dans: Stani-staw K G t, Urok wsi i iycia ziemiaûskiego lo poezji staropolskiej, édit ion en brochure, Warszawa, 1937; le passage marquant s'y trouve à la p. 95).

Nostalgie historique du bourgeois- intel lectuel S z y m o n o w i c qui, dès sa dédicace à Mikolaj Wolski, laisse nettement entendre qu'il a conscience de vivre dans un âge de déclin:

Wiçc i to, zes ty prawie sam z grona onego Ludzi ch^dogich zostal, ktôrzy ozdobnego Wieku kwitnçli . . .

et qui, dans un passage où précisément il parle manifestement en son nom et m ê m e comme h o m m e de lettres, écrira:

Wszystko siç pomyka Na dôl (Kiermasz, vv. 34—35). Nostalgie historique dirimante du bourgeois bourgeoisant Bartlo-

miej Z i m o r o w i c qui, non sans raison et avec une é loquence déchirante, place à la f in de son recueil de , .bucoliques ruthènes" les deux longues pièces atroces sur le siège de Lwôw et la sauvage dévastation de ses environs. On remarquera que dans ce tableau de l 'e f fondrement d'une culture l'auteur ne manque pas de consacrer un hémist iche aux okopciale sady, aux vergers noircis de fumée . Ce trait nous émeut parce qu'il est ressenti, parce qu'il vient directement du propriétaire amoureux de ses plantations, de ses vignes, que nous avons appris à connaître dans les pièces précédentes, mais surtout parce qu'il fait toucher du doigt l a b u c o l i q u e d é f i n i t i v e -

21*

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art simple et souvent prolixe, d 'un art qui ne choisit pas ou guère, o f f ren t par leur cordialité directe, par le rendu immédiat et souvent ingénieux de l 'impression ressentie, un charme unique dans la l i t térature euro­péenne du temps, auquel un lecteur étranger est sans doute plus sensible que les Polonais eux-mêmes. Mais là il n ' y a pas et il ne pouvait y avoir aucune nostalgie. Quand ces hommes pensaient et écrivaient sur les affaires publiques, le plus souvent avec une terrible naïveté, ils p rennent le plus volontiers, comme ont achevé de le démontrer les précieuses publications du spécialiste auquel le présent volume vient offr i r un t r ibut d'hommages, le ton et la stylisation de la quae-rimonia Rei Publicae ou des roulements d'orage pro­phétique annonçant la perdition totale de la nation. Là au contraire où ils évoquent leur v i e p r i v é e de paysans privilégiés, non sans une raison vitale que l 'historien-économiste pourra juger peu profonde mais qui pour eux était évidente, ce n'est pas du tout le f an ­tôme charmant et f ragi le d 'un paradis perdu qu'ils nous présentent, comme dans la bucolique littéraire, mais le constat sans nuage d'un paradis vécu, conservé et persistant. J an Gawinski, vers la f in de cette époque, le dira tout net :

Prawdy nie obrazç, Gdy wizerunk zlotego wieku wies wyrazç

Je n'offenserai pas la vérité Quand je dirai que le village est le tableau ressemblant de

l'âge d'or (Zywot ziemianski i dworski, vv. 65—66). *

m e n t s a c c a g é e . Littérairement el le ne s'en relèvera plus en Pologne.

4 On pourrait objecter que cette pièce a paru justement dans un recueil de... bucoliques, les Slelanki nowo napisane (éd. en 1668; en

L'ËLÊMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 325

C'est aussi que, comme il l'a déclaré un peu plus haut en une jolie formule:

Wies z niebem handel wiedzie Le village a commerce avec le ciel {ibidem, v. 47)

et, comme on sait, c'est sur d 'autres marchés qu'en général les bourgeois mènent leur négoce. fait Jan G a w i n s l î i avait publié dès 1650 des Sielankl l rôine na-grobki. N'ayant eu sous la main aucun des deux volumes, je ne saurais dire s'il y dans l 'édition de 1668 des pièces reprises à cel le de 1650 ou si nowo indique qu'il s'agit d'écrits qui n'avaient jamais encore paru sous le nom de l'auteur, ce qui n'est pas toujours le cas quand l'adjectif ou l'adverbe f igurent dans le titre d'un ouvrage publié au XVII-ème siècle. C'est en tout cas de l'édition de 1668 que sont repris les t ex tes réédités par Al. B r u c k n e r dans Sielanka polska XVII w., BN I 48, Krakôw, 1922, où j'ai lu la pièce en ques­tion).

Mais il faut tenir compte de ce qu'en dépit de la distinction l imi­naire qu'il f a l l a i t faire ici entre les deux courants parallèles dans le temps et touchant leur objet, de la bucol ique en tant que genre l ittéraire d'une part et du traitement ,,informai", éjaculation lyrique non construite et non styl isée (avec d'ailleurs des bonheurs d'expression au mot le mot parfois dél ic ieux et portant elle aussi un témoignage de valeur sur les réussites de cette , ,recherche devenue naturel le" qui caractérise si curieusement récriture du baroque mûr) sur le thème Beatus aie qui procul negotlis dans la poezja szlache-cka de la première moitié du XVII-ème siècle de l'autre, il n'a pas pu manquer de se produire de s ignif icat ives interférences entre les deux registres; 1) d'un côté parce que le modèle de vie et de style de la gent i lhommerie était si év idemment prédominant dans cette société qu'il a pénétré par osmose dans la Weltanschauung morale et a f fect ive du monde bourgeois: 2) dans le sens opposé, parce que le prestige artistique qu'exerçait la pastorale en tant que genre lit­téraire a entraîné vers ses formes un milieu social foncièrement étranger à son tréfonds psychologique.

Dans le cas de G a w i n s k i la compénétration est encore plus complète parce que: 1) le thème sur lequel brode la pièce évoquée ici se trouve justement être le thème favori par exce l lence de la l ittérature szlachicka campagnarde, et ce depuis les origines litté­raires de cette poésie, depuis Andrzej Z b y l l t o w s k i ; 2) par son état-civi l m ê m e G a w i n s k i appartient à la frange intermédiaire. D'après les données sur sa carrière dont nous disposons (mariages, menues fonct ions civi les qu'il a remplies) il nous apparaît tantôt en qualité de szîacïicic et tantôt comme bourgeois.

Dernier détail piquant: comme pour nous donner raison, cet homme qui a écrit des Sielanki, est aussi l'auteur de Dujorzanki (Dtuorz«n-

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Si nous nous demandons maintenant dans quelle am­biance ou plutôt dans quelles ambiances l 'amour (lar-gissimo sensu) t rouve son expression dans la poezja szlachecka, on constate que ses divers aspects se t rouvent assez strictement cloisonnés, sans raideur aucune d'ailleurs.

Dans la poésie de la vie agricole-domaniale se fera jour le plus souvent l 'estime affectueuse, confiante, on dirait volontiers pratique, pour l'épouse, pour le towa-rzysz (significatif masculin!), la compagne des t ravaux et des jours, des satisfactions et des soucis, sur qui on peut à ce point se fonder qu'il est loisible de la tenir pour un compagnon dans une société demeurée émi­nemment virile.

L 'amour sentimental de jeunesse ou plus générale­ment d 'avant le mariage appart ient à une catégorie l i t téraire toute aut re — qui peut, bien entendu, avoir été cultivée par le même homme à un aut re moment de sa carrière — celle du lyrisme madrigalisant. Celui-ci n'est pas du tout nécessairement fade ni ex­sangue; au moins est-il, non sans se permet t re quelque­fois des allusions quelque peu mutines, nécessairement convenable, à tout prendre très discret.

Ainsi se reflète parfai tement la situation culturelle axée sur le double fond de sa récente tradition. Comme tout groupe social assez vaste qui accède au pouvoir et au prestige, la szlachta du XVI-éme siècle a été émi­nemment ,,vertueuse"; elle en conserve et continuera à conserver, tout au moins à l 'égard du public, un solide fond de sérieux, de réserve, dans ses moeurs privées. D'autre part , au moment de son accession à la

ki albo epigrammata polskle, Krakôw 1664, qui appartiennent évi-dçpiment à un autre genre).

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 327

haute culture, elle a été marquée par le charme joyeux et délicat de la Renaissance; c'est de là qu'elle con­serve d'assez beaux restes de pétrarquisme et, à t ravers lui, chronologiquement par-dessus lui, des at t i tudes et des rites de la poésie courtoise qu'elle n 'avait pas con­nue au moment de son épanouissement en Occident. ^

Enfin, comme ces hommes n 'étaient pas, et de loin, des anges asexués, les poussées du tempérament et de l ' imagination (plutôt naïvement) luxurieuse trouvent leur exutoire dans une troisième catégorie littéraire, la fraszka, le plus souvent d'ailleurs (dans ce registre-là) consternante, allusion non pas seulement , .drastique" mais tout uniment physiologique. Son caractère de pure gaudriole, non seulement évident mais „emphati-sé" au sens anglais du mot, le situe par là-même hors cadre et par tan t la désamorce" : on ne peut lui accorder

5 Comme l'a encore récemment mis en évidence la très jolie étude consacrée par Czeslaw H e r n a s au hejnal (Hejnaly polskie. Stu-dium z historii poezji melicznej). (Studia staropolskie, t. IX, Wro-claw 1961). On y voit comment cet „appel du veilleur", strictement militaire dans ses origines, a pu devenir, justement à l 'époque qui nous concerne, une véritable et souvent très attrayante , ,ciianson d'aube". Remarquons ici en passant, ne serait-ce qu'à l ' intention de possibles lecteurs non-polonais, que cette acceptation du capital des sent iments et des formes de l 'amour courtois ne comporte aucune­ment cel le de la conception de l'amour ,,platonique", à laquel le les anciens Polonais sont restés rigoureusement imperméables .

6 L'un de ces poètes, Olbrycht K a r m a n o w s k i , l'a exprimé sur un mode signif icatif:

Jako ociec oczc iwy dzieli syny swoje Od dzieci zlego loza, choc jego oboje,

Tak ja od pism statecznych dzlelç swoje zarty, Bo one za godny pl6d, te mam za bqkarty.

Comme un père fait la dif férence entre ses f i ls honorables Et ceux d'un lit honteux, quoiqu'ils soient les uns et les autres

de lui, De m ê m e je sépare de mes écrits sérieux mes badinages, Car je t iens les premiers pour mon digne fruit, ceux-c i pour mes

bâtards.

328 CLAUDE BACKVIS

sérieusement la signification ni d 'une exception ni même d 'une transgression.

Retenons-en surtout dans l 'optique de la présente étude que dans les affaires de l 'amour la poezja szla-checka ne mêlait pas les torchons avec les serviettes.

C'est sur ce double fond de l 'ambiance de la buco­lique traditionnelle et de celle de la poezja szlachecka que nous allons envisager le cas vraiment très à par t de Samuel Twardowski.

Il est szlachcic et les grands poètes-gentilshommes de la génération suivante l 'ont parfois invoqué comme un magnus parens. Après les remarques de Roman PoUak, après la pénétrante étude de Rôza Fiszerowna, nous comprenons beaucoup mieux que nos prédécesseurs combien justifiée était cette respectueuse estime. Mais du même mouvement nous distinguons combien elle portait un peu à faux. En effet, raboteux plus qu'il n 'est licite, tombant assez souvent dans une obscurité entortillée qui n'est hélas pas même un effet de la préciosité mais le f ru i t d 'une véritable détresse styli­stique, il n 'en est pas moins évident que Twardowski est un grand et même à bien des égards un très grand poète. Mais il est non moins évident que s'il nous paraî t ,,annoncer" quelqu'un, c'est, à voir les choses dans leur spécificité profonde, bien plus que Zbigniew Morsztyn ou que même Waclaw Potocki, les surréa­listes. Et ceci est vrai non pas seulement parce que le palais de la Gloire des Leszczynski dans les Miscellanea faisait se lever à l 'avance devant les yeux de notre imagination de lecteur (et en beaucoup plus fort) le château de la Bête que nos yeux physiques ont vu dans le fi lm de Jean Cocteau, mais, plus profondément,

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 329

en raison du charme étrange, inquiétant, pervers, qui émane par exemple du boudoir d'Apollon dans la Jolie Pasqualine.

Je tiens à spécifier aussitôt qu'à mon sens le rap­prochement que je viens de lancer est purement indi­catif et que surtout il ne procède à aucun degré du désir de ,,faire un compliment" à Twardowski en le fa rdan t au goût du jour ou plutôt au goût d 'avant-hier . En vérité, dans leurs propres registres, Twardowski est beaucoup plus for t que les surréalistes, p a r c e q u ' i l e s t p l u s s é r i e u x , parce qu'il est plus sincère. Le frisson insolite qu'il s 'entend à faire courir dans ses vers ne procède pas du désir d ' , ,épater" le lecteur mais d 'une transe réelle, intime et permanente qui l 'habite.

Au fond, comme cela arrive à plus d 'une reprise dans l 'histoire des styles, il n 'a l 'air d 'un isolé parmi les baroques que parce qu'il pousse jusqu'à la dernière extrémité l 'un des t rai ts fondamentaux de la psycho­logie de l 'art baroque. Car presque chez tous on peut à de certains détours reconnaître que la raison pr imor­diale de la pulsation violente, souvent angoissée, qui se dégage de leurs écrits et en fai t la force et le char­me, est la tension au sein de laquelle ils n'ont cessé de vivre entre la morale sévère que leur imposait leur affectivité religieuse et l 'ardeur voluptueuse de leur tempérament. Dans mille passages de leurs méditations et de leurs chants pénitentiels il est explicité que le quasi-unique mais perpétuel obstacle qui se dresse devant leur salut est, pour reprendre le très expressif vocable polonais, leur krewkosc, les indomptables invi­tes d 'un sang généreux. Chez Twardowski la tendance

330 CLAUDE BACKVIS

aux conclusions désolées et la vigueur de la krewkosc atteignent d'un mouvement nécessairement parallèle au paroxysme.

Et, soit dit en passant, c'est de là que procède à mon gré ce sens exceptionnellement vif, prodigieusement inventif dans les moyens lit téraires de communication, de la couleur, de la lumière, des éclairages str idents et inattendus, de la déformation subjective des volumes, que Rôza Fiszerôwna a si bien mis en évidence. Twar-dowski n'a eu tant de „bonheur" esthétique quand il s'agit d 'évoquer la multiple splendeur des décors na tu­rels ou humains que parce que son oeil avait d'abord intensément joui à les surprendre dans la réalité ̂ , que parce que son oeil Imaginatif avait intensément joui à les combiner. Il voyait non pas comme Flaubert ou Maupassant (comme un critique l'a dit : ,,l'oeil de vache du réaliste"), non plus comme les peintres du Quattrocento, mais comme Rubens, au moins comme Rubens. La surabondance gratuite, la frénésie joyeuse et pantelante de ces ,,hors-d'oeuvre" descriptifs (on rougit d'employer à leur sujet une épithéte aussi banale que „descriptif") ne peut laisser de doute à cet égard.

Mais à prendre le terme , ,voluptueux" dans son sens le plus communément reçu, les constatations ne sont pas moins, si on ose dire, édifiantes. Passe encore pour Dafnis où le panérotisme pourrai t for t bien se „just i-f ie r" (mais pas nécessairement dans la mesure et selon les modes que nous allons indiquer bientôt!) tout à la

' Pour prendre un point de repère en dehors de l 'oeuvre de Twar-dowski , il n'y aura qu'à penser au prodigieux poème que .lan AndrzeJ M o r s z t y n a consacré à détailler les beautés de la , j u m e n t espa­gnole". Il y là un tel c r e s c e n d o qu'à la f in l 'élégant homme de Cour s'est métamorphosé imaginat ivement (et très poét iquement) çn étalon.

L ' E L é M E N T B U C O L I Q U E D A N S L A « D A F N I S » 331

fois par la genèse historico-philologique du thème ^ et par l 'ambiance d 'un spectacle de Cour qui se trouve à l 'origine immédiate de cette fantaisie littéraire. Mais que dire de VEpithalame pour Piotr et Anna Opalin-ski dont Alojzy Sajkowski vient de nous révéler le texte 9?

L'oeuvre est précisément datée, de mai 1661, c 'est--à-dire des tout derniers mois de l 'existence du poète — naguère encore, jusqu'à la découverte de son auto-épitaphe pa r Henryk Barycz, on le croyait mor t en 1660. D'un temps donc où, largement sexagénaire, il était selon les conditions psychologiques et physiologi­ques de l 'époque un vieillard. Mais ce que l'on a, c'est tout le contraire d 'un ,,brûlot éteint"! Deux longs pas­sages — p r é t e x t e s , l 'arrivée du char de Vénus dans le voisinage de Baczkôw et le voyage aérien de la déesse dans ce même char vers le château de Kotu-szôw, où elle a l'obligeance de se rendre en personne pour encourager la jeune épousée à ne pas trop défen­dre sa pudeur contre les entreprises amoureuses de son mari pendant la nui t de noces, donnent lieu à des feux d'art if ice qui en disent long. Que ce soient la ,,sieste" de la déesse aux vv. 19—23 et les ébats des ,,enfants", c 'est-à-dire des petits Amours, autour de son sommeil (vv. 28—36), que ce soit plus encore l 'accumulation

8 A savoir les Métamorphoses d'Ovide. Même quand tout est dit sur l 'ambiance de l 'Olympe païen, il reste qu'un spécialiste, rompu aux textes latins, se voit contraint de relever combien le mondain de mental i té alexandrine, rebelle aux consignes moralisantes d'Au­guste, a s ingulièrement tiré les données de la mythologie dans le sens unique de l 'évocation d'aventures galantes (René P i c h o n, Histoire de la littérature latine, 8-ème éd., Paris, Hachette, 1921: ..Mais à la longue, toujours de l'amour, au milieu m ê m e des scènes les plus tragiques, cela devient aussi monotone qu'invraisemblable", p. 423).

9 Pan? les Miscellanea staropolskiç de 1962, pp. 76—95,

332 CLAUDE BACKVIS

abondante et éclatante des scènes de provocation amoureuse empruntées à une mythologie plus ou moins authent iquement complaisante dans le second passage (vv. 505—544) d'une facture ext rêmement bril lan­te " — ce qui n 'est pas, et de loin, toujours le cas dans cette oeuvre de circonstance — on le sent ici tout à son affa i re Mais le plus f rappant sans doute, c'est l 'ample tableau de frénésie de tendresse qui saisit r u n i v e r s e n t i e r sous le passage du char de Vénus: figures mythologiques marines (parce que, peu t --être sans s'en douter tout à fait, il se rappelle à ce moment un passage parallèle de notre Dafnis), animaux et, bien entendu, de préférence les plus abracada­brants — léopards, lions „de Lybie", et même ichneu-mons et même crocodiles qui dans leur joie bat tent les eaux du Nil de leur queue et enfin, comme com­ble, les arbres:

10 Prof i tons de l'occasion pour signaler trois l iémistiches d'une pre­nante beauté:

A tu w wodach zarliwe blyskajq pochodnie Potonionycï i amorôw.. . Et dans les eaux ét incel lent les torches ardentes D'amours engloutis. . . (vv. 511—12).

11 Pour qui a conscience de l 'emploi concerté de l 'enjambement chez lui pour mettre v ivement en exergue un détail qu'il veut faire ressortir, il n'est pas indi f férent qu'il ait usé ici à deux reprises de cet artif ice de versif ication avec une intention voluptueuse évidente. De Vénus qui prend du repos au sein de la nature, il écrit:

Tak lozem siç rozbierze, wysmuknqwszy biat^ P i e r é n a w y m i o t . (vv. 19—20).

Et dans la , .série" mythologique, c'est à la m ê m e place du vers qu'il spéc i f ie que les Sirènes chantant pour ,,les Phorques" (toujours sa mytholog ie hors-série mais d'à-peu-près!) sont:

N a g i e p o p a s .

12 La l icorne y f igure aussi — mais pour fournir l'occasion de rap­peler sa chasteté. Exception unique donc, heureusement aménagée pour renforcer par le contraste isolé qu'elle crée le caractère ,,élé­mentaire" qui a f fec te à ce moment la nature entière.

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 333

Le Chêne se penche sur le chêne... le peuplier Lorgne de loin le peuplier... Ils se frottent de leurs branches...

c'est vraiment la na ture entière qui participe active­ment à cet hommage rendu à la toute-puissance de Cypris.

Or, si on compare par exemple avec les épithalames de Trembecki, bien qu'ici ne manquent pas dans le détail des t rai ts au fond plus pervers — ainsi la jolie Leucothée qui, uchyliwszy lona, aguiche (ludzi) le v i e u x Palémon — on n'a pas le moins du monde l 'impression de la gravelure. Certes, on se dit que les traditions de l 'épithalame et plus encore la mytholo­gie — les dieux païens sont de faux dieux et chacun sait qu'ils étaient immoraux — ont vraiment bon dos, fournissent un pavillon bien commode pour abri ter

13 II est d'autant plus en place d'évoquer ici ce passage qu'on a un peu plus que l ' impression qu'avec le droit qu'a tout artiste d'exploiter son propre fond (quand il ne le fait pas trop souvent) le v ieux Twardowsli i s'est souvenu en 1661 des strophes qu'à la scène VI de Dafnis les Sirènes chantent en l 'honneur de Vénus, tandis que la déesse, montée cette fois sur une baleine, traverse la scène de­venue marine (s. III—XIII). Les lions de Lybie de l'Epithalame, ap­paremment ,.polis par l'amour" c o m m e l'Arlequin de Marivaux, qui ,,lissent leurs énormes crinières"

ogromne wymusliuj^c grzywy.

répondent en écho à travers un quart de siècle aux l ions ,,de l'Ida" qui , ,jouent", , ,ayant aimablement peigné leurs énormes crinières"

Grzywy ogromne uczosawszy mile.

Ici aussi on aboutissait à un tableau de pan-érotisme universel . Mais quant aux arbres le Twardowski de 1636 ou 1638 s'était contenté de les mentionner presque par prétérition:

Miloéé gdzle st^pl, rozkoszy swe leje, W d r z e w a, kamienie, krysztalowe wody. . .

On le constate, revenant une dernière fois au thème, il a trouvé que cela n'avait pas suf f i !

334 CLAUDE BACKVIS

une cargaison frelatée. Mais on a ici l'explosion inco-ërcible d 'un tempérament à t ravers la soupape qu'of­f ra i t la culture littéraire du temps, et non pas un jeu. Au fond cette lasciveté demeure, à son étrange ma­nière, sérieuse; on va voir dans un instant combien elle a tendance à être tragique. C'est là toute la dif­férence de na ture et d'intensité entre le baroque et le rococo — ou encore, à t ravers l 'histoire du t rai tement d 'un même thème, entre Twardowski et Ovide.

La donnée narrat ive de l 'histoire de Daphné ouvrait toutes grandes les portes d 'une par t à des développements lyriques sur la beauté, sur le rôle créateur et fécondant de la lumière, du soleil (puisque le héros est Apollon), d 'aut re par t sur la toute-puissance de Cupidon (puisque la pauvre Daphné sert en quelque sorte de champ de bataille dans la querelle que livre le petit dieu pour se venger de ce qu'il considère comme une manifesta­tion d ' h y b r i s en même temps qu 'une in jure per ­sonnelle de la par t de son radieux confrère). Quiconque a lu la pièce a pu se convaincre amplement de ce que ces prétextes ont été avidement saisis, avec une exu­bérance sans pareille. Quiconque a lu les aut res oeuvres de l 'écrivain est convaincu d'avance de ce que Twar­dowski ne pouvait manquer de s 'abandonner à la joie d'évoquer inlassablement l 'aurore „à la traîne d'or", Phébus ,,à la crinière d'or", le feu ,,aux rayons d 'or" qu'il déverse sur les bois, les fleuves et les eaux mi­roitantes. Ne fût-ce que — très efficacement — à t r a ­vers l 'attente, la nostalgie de l 'ombre fraîche qu 'expri ­ment si souvent les personnages, le poète ne nous lais­se pas oublier un instant que l 'oeuvre entière baigne dans l ' irradiation tr iomphante et bientôt dans la touf­feur d'un soleil méridional.

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAPNIS» 335

Il n 'en est pas autrement pour l 'autre Kamerton majeur . Si le voyage mar in de Vénus est ,,fonctionnel-lement" nécessaire — et encore! — parce que c'est à ce moment que Cupidon lui fait par t de l 'outrage qu'Apollon vainqueur s'est gratui tement permis à son égard, les chants des Sirènes sont purement or­nants — mais ils permettaient à Twardowski de faire lever la vision d 'un monde tout entier joyeusement docile aux invites de la déesse de Paphos, une vision dont il a été tellement content, qu'il brûlait tel lement de l 'envie de déployer un jour, qu'il l'a reprise au soir extrême de sa vie. On admet sans peine que les Nym­phes étendues dans l 'herbe coulent des jours caressants avec leurs amants:

piçkne Nimphy po trawie zlozone Z kochanki swemi trawi^ dni pieszczone. (se. VI, str. X)

Mais était-il nécessaire que les biches, ces bêtes en général si délicatement poétiques, entrent en frénésie, ce qui fa i t un spectacle distrayant (!) pour les Faunes, ou que sous les jolis sapins les Satyres silvestres échan­gent des caresses avec les Dryades:

lanie siç wsciekajg, Zkgd swoje Fawni majq krotofile (!)

I pod gladkimi pieszcz^ siç jodlami Satyrzy lesni z swemi Dryadami. (str. VIII)

De même si nous nous étonnons tellement peu d 'en­tendre Cupidon claironner son universel pouvoir que nous abordons le passage de l'oeil lassé qui convient aux Zoci communes, observerons-nous encore ce nil mi-rari lorsque — soit dit en passant, au gré de cette p ra ­tique constante et calculée de l 'anachronisme énorme dont l 'art iste Twardowski se sert pour obtenir des ef -

336 CLAUDE BACKVIS

fe ts d'insolite, comme on le voit bien dans la Jolie Pas-qualine — parmi ceux qui n 'échappent pas à ses coups il prend à coeur de mentionner:

Ni vous non plus qui, enfermés à demeure dans une ombre déserte,

Traînez votre âge entier dans la piété, Ni vous qui captives sous la protection d'une rude clôture, Vivez dans l'épineuse soumission aux ordonnances

supérieures Et, faisant violence à votre tendre nature. Affirmez votre roide assurance en votre perfection,

car là aussi

Je suis présent, et plus d'une fois; on me trouve jusque sous la grumeleuse capuce

Et je glisse mes ailes duveteuses sous le cilice. (se. VIII, str. IX)

Car enfin l'âge où même le tendre et sérieux Janicius se permettai t des plaisanteries sur les diverses façons des moines d 'être „Pères" était à tous égards passé de­puis longtemps.

C'est bien simple. A lire l 'oeuvre vers par vers, mot à mot, comme on fait en l 'expliquant à des étudiants étrangers, on constate qu'à chaque moment du ,,dra­me", à chaque détour de strophe, il se trouve quelque mot, quelque image pour diriger notre sensibilité vers une f lambée de désir. Je ne citerai plus qu 'un détail. Au terme du magnifique monologue de panique noc­turne — et, on le sait, de nouveau Twardowski est ici à son affaire; il adore de et il excelle à rendre ces al ternatives et ces imaginations folles d 'un être éperdu de te r reur pa rmi les bruissements supects d 'une forêt enténébrée; il prélude en cet endroit à la perfection totale qu'il va at teindre dans l'épisode parallèle de la

L ' é L é M E N T B U C O L I Q U E D A N S L A « D A F N I S »

Jolie Pasqualine — Daphné, qui a perdu l'espoir de retrouver jamais son chemin s 'abandonne à l ' initiative de son coursier. Twardowski précise:

Et toi, mon étalon recru de fatigue, Porte ton infortunée maîtresse où tu le veux; Il se peut qu'ayant rencontré la trace de belles juments. Tu parviennes à quelque village ou à la cahute d'un pâtre.

A ty zmordowany Môj zawodniku, gdzie chcesz, nies niebogç. Mozesz napadszy klacz dorodnych tropy, Do wsi gdzie trafic lub pasterskiej szopy. (se. VII, str. XI)

Le lecteur (de cet article) qui ne serait pas au cou­rant de l 'oeuvre pourrai t s 'imaginer jusqu'ici que l'on a affa i re à quelque chose, en moins élémentairement éruptif , dans le genre du Venus and Adonis de Shake­speare. Il serait loin de compte.

Pour s'en persuader, il n'est que de prêter l'oreille aux accents singuliers du r e p e n t i r d'Apollon lorsque Daphné poursuivie vient de se métamorphoser sous ses yeux et quasi sous ses mains en laurier:

Les Cieux aussi, je le vois, ont leurs faiblesses. Mais moi pourquoi plutôt ne montré-je mon horreur Pour ma conduite, pour mon forfait? Pourquoi ne fais-je pas éclater ma honte devant l'univers,

grand comme il est? ...Je vois, ah! je vois qu'il est plus facile

De dégainer ses foudres contre les péchés d'autrui Et de céder aux siens ou bien de les cacher, (se. XIV,

str. XIV)

Hélas, qu'est-ce donc que ma raison folle Qui devait régenter une passion si honteuse. Mes Pâmasses, mes Hélicons? Et moi leur prince j'ai pu à ce point m'égarer!

22 — Kultura i literatura dawnej Polski

338 CLAUDE BACKVIS

A quel Rhadamante maintenant vais-je me livrer, Misérable accusé, pour en être jugé? Mais qu'est-il besoin d'un juge? Déjà ainsi je connais mon

crime, Je sui^digne de l'enfer et des tisons de Tantale. (str. XV)

Jupiter! lâche sur moi tes tonnerres du haut du Ciel, Ou bien serait-ce que de foudres, il n'y en a plus?

et après quelques allusions bien inutiles à des supplices in fe rnaux

C'est donc assez qu'il me faut vivre de force. (str. XVI)

Je dois vivre dans une erreur à jamais non-réparée, Souffrant des soucis et des inquiétudes éternels, L'ombre même du soleil m'épouvantera Portant devant mes yeux mon ignominie. Je ne regarderai pas le ciel et partout où je poserai le pied Ma conscience trouvera ses bourreaux

14 Boman P o 11 a k a indiqué que ce passage rappelle avec une f idél i té qui exclut la coïncidence un passage (ch. Xir, str, 77) de la traduction de la Jérusalem délivrée par Piotr Kochanowski . Il s'agit des lamentations de Tancrède, quand il constate que c'est Clorinde qu'il a tuée en combat singulier. Voici l'original italien, où nous soulignons les passages qui trouvent un écho chez Twardowski:

str. LXXVI Dunque i' v ivrô tra' m e r a o r a n d i e s e m p j — Misero m o s t r o d'intelice amore; Misero m o s t r o a cui sol pena è degna Dell' immensa i m p i e t à la v l t a indegna.

str. LXXVII Vivrô f ra i miei tormenti e f r a l e c u r e . Mie giusti furie, forsennato errante, Che '1 primo crror mi recheranno a v a n t e: P ' a v e n t e r ô 1 ' o m b r e sol inghe e scure, E d e 1 s o l che scopri le mie sventure, A schivo ed in orrore avrô il semblante. Temero me medesmo; e da me stesso Sempre fuggendo, avrô me sempre apresso.

On voit les similitudes. On voit aussi la di f férence: pour être plongé dans un tel désespoir le héros du Tasse sacrif ie bien exagé-

1,,'ÉLÊMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS»

Il remporte, ah! il remporte beaucoup auprès des Dieux Celui qui dans sa misère obtient la mort à force de prières!

(str. XVII)

E t e n f i n le p a s s a g e s a n s d o u t e le p l u s c a r a c t é r i s t i q u e , où i l s ' a d r e s s e à D a p h n é :

Et si pourtant il te reste quelque chose De ton esprit chevaleresque, pardonne, je te le demande, A mon impiété

( c ' e s t - à - d i r e : à m a c o n d u i t e d i g n e d ' u n impie) .

Et ne m'interdis pas au moins D'embrasser mû par la pitié l'arbre froid N o n p l u s s o u s l ' i m p u l s i o n du f e u de C y p r i s M a i s de l ' a r d e u r d 'un a m o u r c é l e s t e . Déjà ma flamme est consumée, déjà mes lèvres se sont

attiédies. Mes lèvres (naguère) infectées du poison luxurieux, (str. XIX) "

rément à des jeux de préciosité verbale q u i n ' e n g a g e n t q u e l ' i n t e l l i g e n c e . A ce qu'il semble bien, il ne faut pas être amateur de sarmatisme pour préférer la plainte vraiment déchirante d'Apollon (encore qu'elle soit surchargée des inévitables bavures d'une rhétorique ^ccumulative). Encore une fois Twardowski nous semble plus fort.

15 Evidemment personne n'ira attendre d'Ovide qu'il ait pensé à quelque chose de semblable. Mais 11 vaut la peine d'ouvrir une pa­rallèle inutile pour montrer jusqu'à quel point on a affaire à deux mondes incommunicables . Chez Ovide, non seulement le dieu ne res­sent pas l'ombre d'un regret, il propose aussitôt à Daphné en guise de compensat ion que l'arbre qu'elle est devenue soit désormais l 'orne­ment du triomphe (comme on sait, c'est le thème que Twardowski a si dél ic ieusement traité à son tour, mais a p r è s l 'explosion de remords et la tendre supplication sous le signe d'un amour éthéré). Et chez Ovide, en réponse, à défaut de pouvoir fréti l ler de la queue comme un chien reconnaissant, le laurier agite au moins sa cime:

visa est agitasse cacumen (I, v. 567).

Et voilà combien faci lement tout , ,finit bien" dans cet univers imper-méablement futi le d'Ovide, dont René P i c li o n a eu raison de dire qu'il y a en lui quelque chose qui annonce la Belle Hélène (ubi supra, p. 424)!

Pour en revenir à Twardowski on notera que, surenchérissant encore sur la pudeur farouche de cette famil le de f igures , ,sportives"

22-

340 CLAUDE BACKVIS

Il serait tout à fait déplacé de prétendi-e ,.expliquer" pareil épilogue pa r le souci de ,.compenser" et de „ra-cheter" devant on ne sait quelle censure religieuse ou publique les saillies qui ont précédé. T o u t e c e t t e p i è c e qui vibre d 'une adoration païenne devant la beauté du monde inondé d'un soleil t r iomphant et de frissons voluptueux a é t é é c r i t e e n v u e d e c e t t e c o n c l u s i o n , d o n n é e c o m m e e x e m-p l a i r e ' " .

C'est ce que vont nous prouver les deux bucoliques — repoussantes parodies de bucolique, que, sans aucun rapport avec l'action, sans que leurs personnages jouent le moindre rôle actif même de comparses, Twardowski a insérées dans son opéra héroïco-mythologique.

Depuis l'Aminta et le Pastor fido (celui-ci, comme on sait, connu très tôt et aimé en Pologne) la grande pastorale dramatique n'était plus une nouveauté. En l'occurence il ne fallait même faire aucune violence

à laquelle Daphné appartient (elle se trouve sous le signe de Diane), le poète baroque lui a conféré une chasteté déclamatoire où la pureté chrét ienne s'enveloppe d'un badigeon d'outrance hispano-cornél ienne. Lorsqu'elle repousse les avances d'Apollon, il faut qu'elle dise, en con­clusion d'une strophe:

SI je ne me suis souillée d'aucun autre péché, Je suis pourtant coupable de ce que je t'aie plu. se. X, sir. XXIV)

Et en conclusion dernière ses compagnes diront: Heureuse es-tu, Daphné, de ce que les blandices traîtresses Du monde ne t'ont pas entravée Et qu'à travers les Scyllas aveugles et les obstacles tempétueux, Tu aies transporté intact ton dessein magnif ique, Quand enf lammée de la sainte colère de la pudeur Tu as préféré mourir en cet arbre. (se. XV, str. XIII) 18 C'est en e f fe t ce que proclament les derniers mots de Daphné au

moment de son suicide botanique: Voilà, tu l'as, v o i l à l ' e x e m p l e p o u r l e s s i è c l e s De ton désir téméraire. Otôz masz, oto z^dzy swej zuchwalej P r z y k l a d na w i e k i . (se. XIV, str. XII).

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 341

à la donnée. Au moment de son aventure avec Daphné, Apollon, en disgrâce à l 'Olympe, se trouvait exilé parmi des pâtres, en prince ..incognito" (au fait, de ce même genre de très relatif incognito sous lequel le prince Ladislas avait parcouru l'Occident). Il n 'a pas plus tôt abattu le ..dragon" Python que les bergers des environs reviennent à l 'une de leurs deux uniques occupations de pâtres de bucolique l i t térairement . .authentique":

Pasterz... Juz gra w fojarkç i flet swôj trzciniany

Déjà le pâtre joue du pipeau et de sa flûte de roseau (se. V, str. V).

Lorsque Cupidon ménage cruellement leur première rencontre. Daphné. au terme de sa nuit d 'épouvante, aux premiers feux de l 'aurore, voit descendre Apollon de la montagne et elle se dit que c'est . .assurément" quelque pâ t re — il est vrai, et cela est caractéristique dans le sens que nous allons indiquer, non sans se de­mander si ce ne serait pas plutôt un Satyre:

Ono i wczesnie spuszcza siç ktos z gôry, Jesli nie Satyr, pewnie pasterz ktôry (se. VII, str. XII). "

Non sans une certaine espèce de raison dans l 'univers particulier de la poésie de Twardowski. cette jeune fille emphatiquement pure s 'attend toujours à rencontrer un Satyre. Elle n 'a pas tout à fait tort car, comme pour donner raison à une hypothèse pour le moins ris-

17 Ap^oj^n lui-même, assez fâché tout d'abord de ne pouvoir re­courir aux procédés expédit i fs utilisés par les d ieux et notamment par Jupiter, doit bien reconnaître:

Alem pasterzem.. .

Mais (pour le moment) Je suis un berger (se. X, str. XI).

342 CLAUDE BACKVIS

quée du philologue Scaliger, les „Tityres" de Twar-dowski sont de plats, de quotidiens, d' , .humains — trop humains" Satyres.

Dès la scène IV l 'auteur laisse en plan une action qui au vrai n'est pas encore nouée et la consacre entière­ment à une conversation entre trois bergers-bouviers, Tyrinte, Philinde et Licinius, que l'on ne reverra plus jamais au cours de la pièce. Ils mènent ce qui a tout l 'air d 'un débat — heureusement sans que cela soit excessivement gâté par cette ambiance didactico-mora-lisante qui pour le genre au fond médiéval de la con-tentio est en général une véritable tunique de Déja-nire -— confrontant trois conceptions-réalisations de l 'amour.

Tyrinte est l 'amoureux transi, plaintif, admiratif et insatisfait destiné selon toute apparence à le rester. Il est poétique, joue évidemment de la f lûte (gram w fojar-îcç) et chante des „motets" [naspiewam mutet). Au

18 Oui, mais même dans pareil contexte l é g è r e m e n t p a r o ­d i q u e , combien nettement il apparaît comme les anciens Polonais restaient en dehors des catégories de l'amour platonique!

Ce Céladon a d'impatientes curiosités dignes d'un Monsieur de 1900 détenteur d'une ,,jolie couleur d'âme" et d'une canne à pommau re­présentant une f e m m e nue. Il dit de sa , .cruelle" (sroga) Testyl is que

Lub bialycli nôzek ostroznie ucliyii A Ja nie mogqc dalej dosigc wzrolî iem Nieszczçsny tonç w westel inieniu glçboltiem

Ou bien elle écarte prudemment (sa robe — apparemment une robe d'actrice de grand spectacle de Cour — de façon à laisser voir)

ses petits pieds blancs Et moi ne pouvant atteindre plus loin du regard Infortuné, Je m'abîme dans un profond soupir (str. II).

Et quand il décrit les charmes de sa belle, ii sait, tout en restant strictement dans les conventions (ce qui répond parfaitement à la s i lhouette du personnage) avpir l 'évocation Insistante dans l'entortil­l ement :

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 343

fond il est ne t tement ridicule, et ses camarades ne le lui envoient pas dire.

En contraste total, Licinius serait très simplement le „coq de village", allant d 'une amante séduite à l 'autre, en t i rant son plaisir insouciant et s'en t rouvant for t bien et s'en vantant et en faisant complaisamment la théorie, s'il ne s'avisait de justifier son comportement en t i rant prétéxte de ce qu'il connaît jusqu'au bout des doigts les ruses, les agaceries et les déloyautés propres au sexe féminin. Où a-t-il acquis cette infor­mation psychologique? Non pas dans le capital de la l i t térature misogyne du Moyen Âge, évidemment pas au village, m a i s à l a C o u r , où il a séjourné tout un temps (apparement comme domestique):

Przypatruj^c siç przy dworze czas dlugi.

Dés lors le cas est clair. Licinius est un paysan per­vert i par l 'ambiance de la Cour. La dénonciation de l'action démoralisante de la Cour est un lieu commun

Pleré w alabastrze, skqd cysterna zywa Serdecznych pociech przez moc siç dobywa

Sa poitrine d'albâtre, d'où sourd avec force Une citerne v ive de plaisirs cordiaux (!) (str. VII) 10 Dès la première strophe Phil inde le réaliste, après avoir constaté

object ivement que toutes les manoeuvres esthétiques et charmeuses de Tyrinte ne le mènent à rien:

Jeszcze podobno odbywa ciç s 1 o w y Harda Testyl i

ne tarde pas à lui dire la m ê m e chose en usant d'une image vulgaire dél ibérément dépréciative:

W co twoja ochota, Jesli nieboze prôzno c i q g n i e s z k o t a . Sur les vulgarismes délibérés, appartenant souvent au registre des

allusions erotiques populaires et faisant partie en tant qu'élément d'une mosaïque styl ist ique i iautement baroque d'un jeu de juxtaposit ion in­congrue et insolite du plus fin, du plus savant à côté dU plus autUçn-t iquement ,,rustique", je reviendrai un peu phis loin.

344 CLAUDE BACKVIS

de la bucolique -* mais plus encore de la poezja szla-checka. Pa r un piquant souvenir des conditions histo­riques de leur montée politique et sociale au milieu du XVI-ème siècle, les gentilshommes ont opposé plu­tôt cent fois qu 'une la s a n t é m o r a l e de leur pro­pre way of life à l 'existence compliquée, hypocrite et frivole des courtisans.

Mais le cas le plus typique — et le plus original — est celui de Philinde. Il est ,,sage" et il est moralement ,,en ordre", dans ce sens qu'il a une seule femme dont il se contente (et il a fallu, pour le piquant de la chose, qu'elle s'appelle Phyllis!) qu'il a choisie pas particuliè­rement belle. En conséquence, elle ne le fai t pas languir; avec elle il est parfai tement heureux, du bon-

20 Avec la réserve habituel le à S z y m o n o w i c le thème se re­trouve dans la touchante Pomarlica (L'Eplzootie, bucolique XIV). Won-ton a perdu soudain tout son bétail, mais c'est apparemment parce qu'il est allé à la Cour (en quelle qualité?) et que pendant son ab­sence les affaires de sa ferme, abandonnées à des domestiques, sont al lées à la malheure.

21 Et on savourera que pour signifier qu'elle n'a pas le teint blanc des élégantes d'alors, qu'elle est tanée par le soleil et que son teint porte les traces de la f u m é e (elle ne doit pas se laver très souvent), Twardowski dit qu'elle est , ,Grecque" — ceci dans un opéra mytholo­gique!

De plus, tout ceci constitue év idemment un souvenir des ,,Moisson­neurs" (Ergatinaj) de Théocrite, d'ailleurs si jol iment accl imatés par S z y m o n o w i c dans ses Faucheurs, bucolique IV. On le voit et on le verra encore, ces bouviers délibérément, parfois agressivement ,,rustiques", n'en ont pas moins des lettres, ou on en a pour eux. Qu'il suff ise , pour évoquer la valeur d'insolite que cela crée, de re­lever qu'entre la Greczka et le vers sur le hâle solaire Phi l inde re­connaît que sa Phyl l i s est ,,assez épaisse c o m m e le sont en général les f i l les de la campagne".

Choc i przygrubsza, jako to sielankl

et ici, cela va de soi, on ne songe plus à Théocrite mais à d'authen­t iques paysannes polonaises.

C ' e s t i c i l a r è g l e p e r m a n e n t e e t e s s e n t i e l l e d u j e u l i t t é r a i r e (pas seulement chez TWfardowski d'ailleurs). Ces bou­viers ont des lettres, Jouent de la f lûte, çvseillent des framboises pour

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 345

heur de l'a n i m a 1 qui satisfait sur sa femelle son désir dès que celui-ci le point:

I ledwie czasem Wenus rniç podburzy, Ani siç klaniam, ani nisko proszç, A swe, gdy zechcç, pociechy odnosz^.

Et à peine de temps à autre Vénus excite-t-elle en moi une bourrasque.

Que, sans faire de salutations, sans humbles requêtes, Je remporte mes plaisirs quand j'en ai envie, (str. X)

On voit comme l'innocence parfois un peu perverse mais toujours poétique (et pas seulement par l 'expres­sion) se trouve ici tout à la fois dérisoirement respectée dans les formes et éteinte ou bien plutôt démasquée quant au fond.

II en sera tout à fait de même pour l 'autre hors-d'oeuvre bucolique, la scène IX, annoncée dans l 'argu-

leur aimée, le ton qu'on leur prête est généralement au diapason de l 'ambiance générale de l 'oeuvre, c'est-à-dire d'une poésie , ,obvie" et f leurie , Tyrinte par exemple parle de la , ,chaîne adamantine" qui le tient prisonnier de sa Testylis, mais la scène s'ouvre par deux vers qu'un lecteur non-expérimenté peut fort bien considérer c o m m e par­fa i tement en situation pour amorcer une bucolique:

Juz zes Tyryncie napasl swoje wo ly Na nie koszonej piçknej Iqce owej

Il faut donc croire, Tyrinte, que tu as fait paître tes boeufs Sur cette belle prairie encore non fauchée.

En fait, 11 s'agit là d'une métaphore authentiquement populaire de type erotique: le boeuf, c'est l 'amant (en l'espèce, pas rassasié du tout) et la prairie est l' inaccessible Testylis.

De même le cynique Licinius a vu à la Cour comment les f e m m e s traitent leurs nieuki

Jako swe o w y traktujq nieuki (str. XIV).

Le mot peut très bien signifier des jeunes gens inexpérimentés. Mais il va on ne peut mieux dans la bouche d'un vrai paysan, puisqu'au vil lage il désignait de jeunç.s taureaux non encore accoutumés à tirer sous le joug.

346 CLAUDE BACKVIS

ment comme „les conversations que mènent Phyllis — rien de commun avec la raisonnable épouse de Phi -linde, celle-ci est une Njmiphe coquette (zalotna) — et le pât re Corydon.

Phyll is vient apporter au berger une couronne de romarin — ceci est encore un symbole folklorique à signification amoureuse. Comme d'ailleurs elle n'a pas froid aux yeux, ellq a joute aussitôt un mot de com­mentaire précisant:

Tu sais bien... Quand cette guirlande reposera sur ta tête, Ce qui ensuite ne pourra t'échapper.

Mais elle tombe mal. Corydon ne lui trouve plus aucun at trai t ; maintenant il est amoureux de Testylis (qui elle non plus n'est assurément pas l 'aimée inaccessible de Tyrinte). Et donc la „conversation" annoncée va être en fait une brutale et vulgaire scène de ménage d'un couple qui a échoué à en devenir un.

Phyllis outrée, s'écrie: \ ••

Où sont ta parole et ces offrandes Sous ce néfaste tilleul dans le bosquet. Que tu devais me conserver la foi une fois donnée Et me prendre pour femme d'un voeu éternel?

Mais Corydon est un abominable goujat qui réplique:

Si j'ai prononcé un voeu et si je me suis livré en paroles A ce sacrement sévère, je ne m'en souviens pas; Mais c'était pressant, le feu me peignait. J'aurais bien prêté serment sur le Ciel, sur les Dieux

et, comble d'effronterie, il lui dit que puisqu'elle a dé jà cédé à un homme — c'est-à-dire à lui-même, assuré­ment elle ne se montrera pas difficile avec un autre. Il lui rappelle en images superficiellement „poétiques",

L'ÊLËMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 34?

en fai t grossières, que si elle a eu des gentillesses pour lui, il lui a procuré des jouissances... paradisiaques:

Wiesz jakimci siç placilo to rajem... Wiesz, ze to spôlne byly nam uciechy. (str. VIII)

Elle a donc parfa i tement raison de lui dire que, après l 'avoir menée à l'accord qui se conclut aux dépens de la honte (c'est-à-dire: de la pudeur, le vers est ex t rê ­mement tarabiscoté) il l 'abandonne maintenant , sur­enchérissant ,,sur la coutume sauvage des animaux", car ceux-ci au moins ruminent jusqu'au bout l 'herbe de leur prairie:

Nad dziki zwyczaj porzucic zwierzçcy I to zwierzçta nazuj^ siç trawy. (str. V)

Enfin, dernier t rai t qui achève le tableau, Phyllis laisse entendre, toujours dans ce même style envelop­pé, allusif, orné et en définitive brutal, que la rencontre sous le tilleul n'a pas été sans dommage tangible pour elle:

Ayant séduit prématurément une infortunée florissante, Maintenant que l'été et la fleur ont déjà mûri, Tu abandonnes la misérable... (str. VII)

On le constate: sous le masque stylistique d 'une bu­colique nous avons la situation d 'une nouvelle à la ma­nière de Maupassant.

Et, cette fois encore, dans cette stylisation générale qui impose le ton ma jeu r jouent des ingrédients pas­sagers assez singuliers. Dans ses imprécations, Phyll is recourt, hélas, aux apostrophes les plus éculées: Cory-don est né assurément ,,d'un dur rocher" ou mieux „de sauvages tigresses l 'ont élevé dans une forêt profonde". Mais Corydon, a rgumentant un moment de son côté

348 CLAUDE BACKVIS

que par tout et toujours les femmes se donnent comme de faibles victimes alors qu'en fait elles disposent, la chose est bien connue, de moyens singuliers pour asseoir la domination qu'elles ne cessent de vouloir imposer aux hommes, fait allusion à un précédent sinon illustre du moins notable: le procédé par lequel, dans la Lysi-strata d'Aristophane, les Athéniennes ont contraint leurs maris à conclure une paix devant laquelle ils rechignaient:

Jako swych mçzôw ouzdaly wiele Achajskie zony...-'̂ (str. XII)

22 Cette érudition dans un registre très spécialisé, surprenante à première vue dans la bouche d'un pâtre — mais peut-on sérieusement s'étonner de quelque chose dans la bucolique? — e s t u n t r a i t p r o f o n d é m e n t s i g n i f i c a t i f . Elle dénote en e f fe t qu'à cet endroit a f f leure le climat d'une certaine l ittérature szlachecîca, à sa­voir de cette fraszka, „blague" érotique qui en constitue, nous l 'avons dit, le bas-fond, la face triviale. Peu f ine, nul lement spirituelle, jouant sur des équivoques ou même sur des précisions de l'ordre le plus dé­l ibérément pliysiologique, elle représente, comme on pouvait s'y at­tendre, le traitement littéraire de ce type de gaudriole que pratiquent dans tous les pays et à travers tous les temps les paysans (de temps à autre d'ailleurs, pas du tout avec la fréquence monomaniaque que semble avoir imaginée Émile Zola). On ne dira jamais assez en e f f e t à quel point le sriachcic vieux-polonais a été un paysan-é leveur, pri­vilégié, nourrissant avec passion des opinions politiques, mais demeuré dans les f ibres de son être psychique un paysan. Seulement ce pay­san-là avait assez souvent de solides lettres classiques. Et c'était l'une des manifestat ions les plus savoureuses de ce goût pour le coq-à-l'âne si caractéristique de l'âge baroque, qu'il aimait faire inopinément montre de cette richesse culturel le dans le cadre insolite de la copro-lalie de la Jraszka.

Dans le cas présent, il est particulièrement intéressant de comparer avec Jan G a w i r i s k i , demi-szlacficic égaré dans la bucolique, qui a publié parmi ses Slelanki une Rozmowa iartowaina qui, e l le aussi, respecte e x t é r i e u r e m e n t le schéma théocrit ien: une manière plaisante de concours-amébée où les bergers Thyrsis et Damon font assaut de plaisanteries l'un aux dépens de l'autre, à propos du long nez de Thyrsis et de l'épaisse tignasse rousse de Damon. Or, la série de lardons sur le nez de Thyrsis, si d'une part el le pourrait f igurer très avantageusement dans la , ,généalogie" de la fameuse tirade du

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DArNIS»

Et Phyllis, pour stigmatiser l 'orgueil égoïste des hommes, s'écrie qu'au gré d 'un Corydon Ève a dû être tirée non pas de la côte d 'Adam mais de la plante de son pied:

2e i tak wazysz, jakoby nas z piçty A nie z twojego ziebra Bôg formowal. (str. XIII)

Ces deux étranges bucoliques introduites in crudo (ah, vraiment oui, sous tous les sens!) dans le texte d 'un opéra héroïco-mythologique ne constituent pas le moins du monde de la pa r t de l 'auteur une incartade gratuite ni dépourvue de signification.-^ Jusque dans une oeuvre

nez de Cyrano de Bergerac, ne tarde pas à filer dans le sens de l'équi­valence grivoise que dans tous les pays les hommes ont introduite entre le nez et une autre partie de leur anatomie à laquelle ils s'in­téressent beaucoup. C'est-à-dire qu'on glisse dél ibérément dans l'am­biance de la fraszha. Il est donc significatif que c'est dans ce dernier registre qu'on rencontre une allusion piquante à une historiette d'Hé­rodote (III, 87) — allusion qui prouve tout à la fois avec quelle atten­tion GawiAski avait lu ses auteurs grecs et comme il avait observé les chevaux.

-'i Alors qu'il y a incartades pures dans deux pièces du recueil Lesny gwar (Les Murmures de la forêt) de Henryk C h e l c h o w s k l , autre szlachcic égaré dans la pastorale. Qu'on en juge.

Le ton largement prédominant est celui d'une gentil lesse reélle mais un peu douçâtre, chantant, à grand renfort de diminutifs atten­drissants dans le goût de Mikoiaj Re], la roskosz, l 'aimable jouis­sance que l'on tire du spectacle enchanteur de la forêt, des arbres, des feuil lages. Dans le deuxième gwar Cinaedus, un paysan-berger, f i ls unique assez riche à ce qu'il semble, raconte à Aegaean com­ment, poussé par une marieuse, il a épousé une jeune f i l le qu'on lui recommandait . Au bout de deux jours de vie en commun, il remarque qu'elle ne fait rien, paresseusement af fa lée dans un coin de la chau­mière:

Je lui dis: Lève-toi, va au travail. Elle ne bouge pas le moins du monde.

Je prends un bâton, je lui en donne une fo is sur la tête, le bois se casse dans ma main,

Et elle, el le tressaille seulement de la jambe: elle n'était pas très forte. Du premier coup el le avait défailli , au point qu'elle ne vivait plus. Je vais prendre dans le corridor un broc d'eau, je le lui vide sur

la tête ,

ÊLAUDE BACKVIS

dont la s t ructure dramatique est si faible, Twardowski, dramaturge d'occasion, est resté fidèle au trait fonda­mental de la dramaturgie baroque, pour laquelle il

Je la secoue, je l'appelle : pas le moindre murmure, déjà sa parole était coupée.. .

Je la retourne sur le dos, je lui donne un second coup dans les épaules Et elle, elle avait l'air de rebondir sous le bâton, Mais pourtant elle ne vivait plus...

Il a jeté le cadavre ,,au plus vi te" dans un coin, derrière le poêle, et s'est enfui dans le forêt de peur de son beau-père, un , ,paysan mé­chant". Aegaean lui répond à la lettre qu'il ne doit pas s'en faire (nie frasuj s iç przecie), se propose de l 'emmener vers un groupe de ses camarades et enchaîne immédiatement: ,,Nos pipeaux si lvestres vien­dront à bout de ta douleur. Maintenant, couvre tes tempes d'un cha­peau plat contre le soleil. Que ce soit lui qui recueil le la chaleur, car Sirius brûle et parfois il rend soudainement fou les gens tombés dans le souci (kiopot!)".

Ici il y a peut-être juxtaposit ion d'ambiances esthétiques v io lem­ment hétérogènes. Mais reconnaissons que dans cette atmosphère non plus à la Maupassant mais à la Rieszetnikow introduite parmi les gen­ti l lesses de la bucolique littéraire il y a surtout et tout uniment pro­digieuse inconscience tout à la fois artistique et morale.

L'homme était coutumier du fait. Dans le c inquième g w a r une rencontre amoureuse entre Atalante et Méléagre commence sous le signe d'une équivoque de fraszka pour le moins gail larde: Méléagre parle d'une huppe (masculin en polonais: dudeh) alerte, munie d'un long bec avec lequel elle picotte dans les arbres, et Atalante lui tient tète dans ce singulier , ,marivaudage". Un peu plus loin d'ailleurs, quand il sera question du sous-bois et de la pièce d'eau où Atalante est conviée à se baigner sous les y e u x de Méléagre, on retrouvera le ton d'une poésie jolie, charmeuse, délicate en dépit de sou arrière-fond de lasciveté péril leuse (on est forcé de se souvenir de l'histoire d'Ac-téon) et d'autant plus tentatrice.

Ces deux incartades ont leur valeur documentaire touchant l'esprit et l ' imagination des hommes du temps. Ce serait peine perdue que de vouloir y chercher les raisons profondes, les motivat ions sérieuses, qui éclatent chez Twardowski.

Ce faux parallél isme méritait d'être invoqué ici, d'abord parce que rien n'éclaire mieux une situation qu'une comparaison qui fait saillir des dif férences , ensuite et très secondairement parce qu'il semble as­suré que Twardowski a lu le Gwar lesny (paru en 1630) e t s ' e n e s t s o u v e n u .

Tout d'abord, cette lecture attentive de l 'oeuvre d'un col lègue mi­neur peut rendre compte d'une partie du mystère que suscitent les fameuses , ,Napées" qui f igurent dans pas moins de treize passages de Dafnis. Il y a d'une part le fait que, comme on sait, Twardowski les

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «ÎDAÎ'NIS» 351

s'agit bien moins d'édifier une action qui, nouée à l'occasion d 'un incident-accident, se développe en­suite avec la rationalité mécanique d'une ,.machine infernale", que de suggérer et d'imposer une certaine a t m o s p h è r e , sous le charme magique de laquelle le spectateur-lecteur accepte irrationnellement la cer­t i tude de l ' inévitabilité d 'un dénouement donné.

On le verra au mieux en invoquant encore le té­moignage de la scène III, logiquement tout aussi inutile, qui elle aussi bloque une action qui n'est pas encore entamée et qui, elle aussi, dans un registre générale­ment assez différent , „a n n o n c e" le climat affectif et moral dans lequel va se dérouler cette action encore in spe.

a prises erronément pour des Naïades f luviales et qu'avec son goût du bizarre il les a m ê m e pourvues de branchies:

Trzepiq sltrzelami pod wodq Napee

(Sur une possible explication de ce pataquès mythologique j'ai ma pe­tite idée — mais non est hic locus) Le deuxième problème qu'elles posent, c'est que, si les vraies Na-pées fréquentaient les vallons boisés, el les ne fréquentent guère, comme le savent tous ceux qui ont eu une formation classique, les textes littéraires (Elles f igurent, il est vrai, dans u n vers de Virgile). Dès lors d'où a pu venir à Twardowski la démangeaison de parler si assi­dûment de petites divinités quasi- inconnues, attestées surtout par des glossateurs antiques qu'il n'a certainement pas lus, et que lui con­naissait si mal? Je constate que l'on rencontre ces mêmes Napées à au moins deux reprises chez Chelchowslti — la mytholog ie de ce dernier étant abondante comme chez Twardowsl<l mais précise à sa di f férence , il n'y a pas chez lui la méprise amusante dont il vient d'être question.

Ajoutons que dans la scène du bain d'Atalante on rencontre deux vers (131—132)

Juz wlos zloty od siebie blask w cienlu podaje, Juz siç éwiecq od twojej biaioéci te gaje

où, à travers une express ion parfois assez mal venue (le faible po­daje), joue le magnif ique e f fe t d'irradiation dans la pénombre d'un sous-bois qui connaîtra son grand jour quand Twardowski évoquera la queue du paon de Junon dans la Jolie Pasqualine.

352 C L A U D E B A C K V I S

Le fleuve Pénée, père de Daphné (voilà le seul lien de causalité!) s'éveille. On a d'abord un couplet de louange au soleil, tr ibut obligé au culte solaire nourri par le poète. Puis le f leuve invite les Napées, justement, à chanter. Elles commencent par une éloge de l'âge d'or — thème fondamental de l 'univers bucolique, dont on comprend donc l 'opportunité, tout en reconnaissant de bonne foi que le lecteur est tout content de le voir interrompu si vite, tant il traîne ici dans une phraséo­logie convenue. On a alors la surprise de voir les Napées virer inopinément vers un tout autre thème, vers une ambiance opposée: elles évoquent assez longuement une série d'histoires mythologiques roulant sur l 'amour--passion et qui toutes débouchent sur un dénouement atroce (et il f au t avouer qu'il n 'y avait qu'à se baisser pour en cueillir à foison). Or, on remarquera qu' a-V a n t encore les épouvantables aventures des Dana-ïdes, de Médée, de Philomèle et Procnè, se rencontre un passage qui dans les catégories faussement nobles de la mythologie annonce le mécompte naturaliste essuyé par la Phyll is de la scène IX. La première Napée rappelle en effe t :

Qu'a donc reçu en rétribution Tout récemment la belle Déiopée Quand, ayant voulu goûter un peu ce que c'est que l'amour. Elle a joué avec un Triton dans la forêt ténébreuse! Voilà qu'elle pleure de ce que son corsage brodé de fleurs Ne peut plus enserre^ sa poitrine qui n'est plus intouchée.

(str. VII)

Les scènes III et IV ont été placées a v a n t la victoire d'Apollon sur le Python et donc avant encore sa f lambée d'hybris qui va déclancher la vengeance de Cupidon, la scène IX a été insérée i m m é d i a t e -

L'ÉLÉMENT BUCOLIQUE DANS LA «DAFNIS» 353

m e n t a v a n t l a p r e m i è r e rencontre entre Apol­lon et Daphné, parce qu'il s'agissait de donner l 'accent prémonitoire. Apollon, dieu intellectuel et li t téraire, a beau, dans son monologue et dans ses déclarations à la jeune fille, observer impeccablement — et avec un incontestable éclat dans le conventionnel — le ton du madrigalisme (notamment aux strophes III, XVII, XXI, XXIII, XXV et XXVII de la scène X, capitale), avers supérieur, éthéré, idéalisé, de ce dont la jraszka szla-checka fourni t l 'envers bourbeux, l 'auteur nous intime que le dieu solaire n'est pas si essentiellement d i f férent du Corydon de la scène IX ou du Triton de la scène III; la seule différence, c'est que lui ne réussira pas. Daphné ne s 'était pas tellement trompée dans sa première hy­pothèse: tout comme les Tityres démasqués, il n 'étai t qu 'un Satyre — au moins jusqu'à son repentir.

Si Twardowski ne peut être donné comme un modèle de goût, personne de ceux qui l 'ont prat iqué ne pourra lui dénier d'avoir été profondément artiste. Dans celle de ses oeuvres qui est la plus esthétisante et la plus esthétisée, cet art iste n 'a t rai té l 'aimable et tendre buco­lique sous l'aspect imprévu de parodies grinçantes, qui ne sont que plus grinçantes du fait qu'il leur a laissé leurs oripeaux traditionnellement poétiques, que parce que, dès le début de son oeuvre, ce poète éclatant, luxur iant et voluptueux qui était un homme sombre, sévère, probablement parce qu ' int imement bourrel/é, a voulu nous persuader à propos d'une histoire d 'a­mour fameuse de ce qu'il n 'y a pas d 'amour heureux, de ce que l 'amour est toujours une affaire tragique­ment sordide.