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Signification clinique des corrélations pharmacocinétique/pharmacodynamie des antibiotiques chez les patients de réanimation The clinical importance of relationship between antibiotic pharmacokinetic/pharmacodynamic parameters in critical ill patients R. Garraffo *, T. Lavrut Service de pharmacologie et toxicologie, hôpital Pasteur, CHU de Nice, 30, voie Romaine, BP 69, 06002 Nice cedex 01, France Résumé Les patients hospitalisés dans des services de réanimation nécessitent régulièrement des traitements par antibiotiques et posent fréquem- ment des problèmes d’adaptation de posologie. En effet, les conditions physiopathologiques de ces patients et la nécessité de plusieurs traitements associés sont autant d’éléments susceptibles de modifier la pharmacocinétique des antibiotiques et d’accroître la variabilité de leurs concentrations sériques. C’est pourquoi, il est indispensable de développer des outils pharmacologiques capables de permettre de contrô- ler cette variabilité et de permettre le choix d’un schéma posologique adapté. Au cours des dernières années, la recherche de marqueurs prédictifs du succès bactériologique et clinique des traitements antibiotiques a été très active. Ces marqueurs ont été obtenus grâce à une approche intégrant la pharmacocinétique des antibiotiques chez les patients et leur pharmacodynamie vis-à-vis des principales espèces bac- tériennes à l’origine d’infections chez l’homme. C’est ainsi qu’ont été décrits la concentration et la temps-dépendance de la bactéricidie des antibiotiques, l’effet postantibiotique, la concentration de prévention des mutations. L’adaptation individuelle de la pharmacocinétique d’un antibiotique sur la base de ces données pharmacodynamiques est destinée à permettre une individualisation de la posologie propre au patient et aux bactéries responsables de l’infection. Le quotient inhibiteur, l’aire sous courbe inhibitrice et le temps au-dessus de la concentration minimale inhibitrice sont les paramètres les mieux à même de permettre l’optimisation des schémas thérapeutiques en pratique clinique. © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. Abstract Patients hospitalized in intensive care units frequently require a treatment with antibiotics and exhibit specific problems in term of deter- mination of the better dosage regimen to administer. Indeed, the physiopathologic conditions of these patients and the other treatments they receive are able to induce significant modifications of the pharmacokinetic profiles of several drugs and to increase the variability in their serum concentrations. Therefore, it is of interest to use all the approaches, which provide solutions to control the pharmacokinetic variability and to help in the determination of an adequate dosage. In the recent years, the research of surrogate makers able to predict the bacteriologic and clinical issue of an infection treatment has been a major tool in the pharmacology of antibiotics. These surrogate markers have been determined by defining the pharmacodynamics of the antibiotics, i.e. concentration or time-dependent bactericidal effect, the post antibiotic effect or the mutation prevention concentration and by combining them with their pharmacokinetics in order to calculate for each antibiotic/bacteria couple and each patient the optimal dosage regimen designed to obtain as soon as possible the better clinical outcome and also to minimize as much as possible the risk of resistant mutant strains selection. Inhibitory quotient, inhibitory area under the curve and time over minimum inhibitory concentration are the most important parameters able to modify the clinical issue of an infection in animal models and in humans and are increasingly used in clinical practice. © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. Mots clés : Pharmacocinétique ; Pharmacodynamie ; Antibiotiques ; Réanimation Keywords: Antibiotics; Pharmacokinetics; Pharmacodynamics; Intensive care units * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Garraffo). Réanimation 14 (2005) 264–275 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ 1624-0693/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française. doi:10.1016/j.reaurg.2005.04.006

Significationcliniquedescorrélations …...Service de pharmacologie et toxicologie, hôpital Pasteur, CHU de Nice, 30, voie Romaine, BP 69, 06002 Nice cedex 01, France Résumé Les

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Signification clinique des corrélationspharmacocinétique/pharmacodynamie

des antibiotiques chez les patients de réanimation

The clinical importance of relationship between antibioticpharmacokinetic/pharmacodynamic parameters in critical ill patients

R. Garraffo *, T. Lavrut

Service de pharmacologie et toxicologie, hôpital Pasteur, CHU de Nice, 30, voie Romaine, BP 69, 06002 Nice cedex 01, France

Résumé

Les patients hospitalisés dans des services de réanimation nécessitent régulièrement des traitements par antibiotiques et posent fréquem-ment des problèmes d’adaptation de posologie. En effet, les conditions physiopathologiques de ces patients et la nécessité de plusieurstraitements associés sont autant d’éléments susceptibles de modifier la pharmacocinétique des antibiotiques et d’accroître la variabilité deleurs concentrations sériques. C’est pourquoi, il est indispensable de développer des outils pharmacologiques capables de permettre de contrô-ler cette variabilité et de permettre le choix d’un schéma posologique adapté. Au cours des dernières années, la recherche de marqueursprédictifs du succès bactériologique et clinique des traitements antibiotiques a été très active. Ces marqueurs ont été obtenus grâce à uneapproche intégrant la pharmacocinétique des antibiotiques chez les patients et leur pharmacodynamie vis-à-vis des principales espèces bac-tériennes à l’origine d’infections chez l’homme. C’est ainsi qu’ont été décrits la concentration et la temps-dépendance de la bactéricidie desantibiotiques, l’effet postantibiotique, la concentration de prévention des mutations. L’adaptation individuelle de la pharmacocinétique d’unantibiotique sur la base de ces données pharmacodynamiques est destinée à permettre une individualisation de la posologie propre au patientet aux bactéries responsables de l’infection. Le quotient inhibiteur, l’aire sous courbe inhibitrice et le temps au-dessus de la concentrationminimale inhibitrice sont les paramètres les mieux à même de permettre l’optimisation des schémas thérapeutiques en pratique clinique.© 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.

Abstract

Patients hospitalized in intensive care units frequently require a treatment with antibiotics and exhibit specific problems in term of deter-mination of the better dosage regimen to administer. Indeed, the physiopathologic conditions of these patients and the other treatments theyreceive are able to induce significant modifications of the pharmacokinetic profiles of several drugs and to increase the variability in theirserum concentrations. Therefore, it is of interest to use all the approaches, which provide solutions to control the pharmacokinetic variabilityand to help in the determination of an adequate dosage. In the recent years, the research of surrogate makers able to predict the bacteriologicand clinical issue of an infection treatment has been a major tool in the pharmacology of antibiotics. These surrogate markers have beendetermined by defining the pharmacodynamics of the antibiotics, i.e. concentration or time-dependent bactericidal effect, the post antibioticeffect or the mutation prevention concentration and by combining them with their pharmacokinetics in order to calculate for eachantibiotic/bacteria couple and each patient the optimal dosage regimen designed to obtain as soon as possible the better clinical outcome andalso to minimize as much as possible the risk of resistant mutant strains selection. Inhibitory quotient, inhibitory area under the curve and timeover minimum inhibitory concentration are the most important parameters able to modify the clinical issue of an infection in animal modelsand in humans and are increasingly used in clinical practice.© 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.

Mots clés : Pharmacocinétique ; Pharmacodynamie ; Antibiotiques ; Réanimation

Keywords: Antibiotics; Pharmacokinetics; Pharmacodynamics; Intensive care units

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (R. Garraffo).

Réanimation 14 (2005) 264–275

http://france.elsevier.com/direct/REAURG/

1624-0693/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.doi:10.1016/j.reaurg.2005.04.006

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1. Introduction

Parmi les causes d’échecs de l’antibiothérapie une partienon négligeable est d’ordre pharmacologique, ce qui estd’autant plus regrettable que l’on a désormais les moyensd’éviter la plupart de ceux-ci. Les patients des unités de soinsintensifs sont particulièrement exposés aux infections bacté-riennes et la gravité de leur état général implique qu’un trai-tement antibiotique administré sans retard avec une posolo-gie adaptée soit instauré afin de produire d’emblée uneefficacité optimale. Cependant, ces sujets étant particulière-ment fragilisés, il faudra en même temps s’assurer que celui-cine risque pas d’entraîner des effets secondaires concentration-dépendants qui aggraveront encore l’état du malade. Si l’onconçoit que ces principes devraient s’appliquer à la plupartdes patients relevant d’une antibiothérapie, on comprend éga-lement que leur mise en œuvre dans des services de réanima-tion se heurte à des difficultés particulières dues aussi bien aupatient qu’à son environnement. En effet, l’état physiopatho-logique des malades, les traitements qui leur sont appliqués,l’utilisation éventuelle de systèmes d’épuration extracorpo-relle et/ou de ventilation mécanique sont susceptibles de modi-fier la pharmacocinétique (PK) de nombreux antibiotiques.De même, l’écologie bactérienne de ces services met souventen évidence la présence de bactéries très pathogènes à sensi-bilité réduite. Cela implique une bonne connaissance de lapharmacodynamie (PD) des antibiotiques prescrits afind’offrir au patient les meilleures garanties de succès cliniqueet bactériologique tout en préservant l’avenir par la préven-tion de la résistance bactérienne. Il s’agira donc d’appliquerau mieux les concepts pharmacodynamiques développés aucours des deux dernières décennies qui, en harmonisant leprofil pharmacocinétique d’un antibiotique et ses propriétéspharmacodynamiques, guident le choix d’un schéma posolo-gique le plus à même d’assurer au malade l’administrationd’un traitement d’emblée efficace. D’aucuns objecteront qu’enréanimation c’est souvent une antibiothérapie probabiliste quiest prescrite et dans ces conditions, l’optimisation PK/PD peutparaître secondaire, en fait, c’est tout le contraire. Si la pres-cription d’une antibiothérapie en l’absence ou en l’attented’une documentation bactériologique, légitime dans uncontexte d’urgence, reste un pari sur la nature et la sensibilitédu ou des germes en fonction de l’écologie bactérienne, de lapathologie et de l’état du patient, elle doit aussi être rapide-ment efficace car il existe une relation positive entre le pro-nostic des infections sévères et le caractère précoce et appro-prié de celle-ci [1]. La connaissance des relations PK/PD duou des antibiotiques utilisés sera donc un atout pour gagnerdu temps et prévenir le rôle délétère sur le pronostic d’uneantibiothérapie inadaptée. Nous évoquerons successivement,les caractéristiques spécifiques de la pharmacocinétique desantibiotiques chez les patients en réanimation, les paramètrespharmacodynamiques d’optimisation d’une antibiothérapieet les moyens disponibles pour administrer une thérapeuti-que présentant les meilleures garanties d’efficacité et d’inno-cuité.

2. Paramètres pharmacocinétiques importantsen antibiothérapie

La connaissance de la pharmacocinétique est un élémentprépondérant pour un bon usage des antibiotiques, particuliè-rement chez les patients de réanimation dont la variabilitépharmacocinétique est grande au cours des différentes pha-ses que sont l’absorption, la distribution, le métabolisme etl’excrétion. Cette variabilité accrue chez ces patients est dueà un état pathologique et/ou physiologique particulier tel quefièvre, perméabilité capillaire modifiée, ventilation mécani-que, dialyse... et instable, nécessitant souvent un suivi théra-peutique pharmacologique avec adaptation de posologie. Laconnaissance de quelques paramètres est nécessaire à unebonne compréhension de la pharmacocinétique des antibio-tiques.

2.1. Définitions

• Cmax (concentration maximale, pic) : la plus forte concen-tration plasmatique en principe actif obtenue après admi-nistration du médicament. C’est un paramètre majeur del’efficacité des antibiotiques concentration-dépendant(fluoroquinolones, aminoglycosides...).

• Tmax : temps nécessaire pour atteindre la concentrationmaximale après administration du médicament. Il est spé-cifique à chaque molécule et dépend de la voie d’adminis-tration. Plus le Tmax est court, plus la résorption du médi-cament est rapide et plus la Cmax sera élevée.

• Crés (concentration résiduelle) : elle correspond à laconcentration plasmatique en principe actif obtenue à lafin d’un intervalle d’administration d’un médicament soitjuste avant la prise suivante de celui-ci quelle que soit lavoie d’administration et après avoir atteint un état d’équi-libre (« steady state »). Bien sûr ce paramètre n’a pas desens dans le cas d’une perfusion continue. En pratique, laCrés est un bon témoin de l’efficacité des antibiotiquestemps-dépendant (pénicillines, céphalosporines, glycopep-tides...), elle permet aussi de juger du niveau d’accumula-tion d’un antibiotique dans l’organisme et donc du niveaude risque de toxicité.

• Cmin (concentration minimale) : il s’agit de la plus faibleconcentration réellement obtenue entre deux administra-tions. Lorsqu’elle est inférieure à la concentration mini-male inhibitrice (CMI) il peu y avoir risque de sélectionde mutants résistants.

• Css (concentration moyenne à l’équilibre) : c’est laconcentration obtenue au plateau d’équilibre lors d’une per-fusion continue. Sa valeur rapportée au niveau de sensibi-lité des bactéries va conditionner en partie l’intensité de labactéricidie des antibiotiques temps-dépendants.

• VD (volume apparent de distribution) : facteur de propor-tionnalité entre la quantité de principe actif dans l’orga-nisme et sa concentration plasmatique. Il est le reflet de larépartition d’un médicament dans l’organisme. Il dépendde la liaison aux protéines plasmatiques et cellulaires, du

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débit sanguin au niveau des tissus ou des organes, des volu-mes liquidiens de l’organisme et de la nature physicochi-mique de la molécule (les molécules liposolubles passentplus facilement les membranes cellulaires). Il s’agit d’unparamètre éminemment variable chez les patients de réa-nimation en particulier lorsqu’ils reçoivent de grandesquantités de solutés de remplissage.

• T 1/2 (demi-vie plasmatique d’élimination) : temps néces-saire pour que la concentration plasmatique d’un médica-ment à un instant t soit diminuée de moitié. Elle dépend duvolume apparent de distribution (VD) et de la clairancetotale (ClT), T1/2 = 0,693 × VD / ClT. La demi-vie plas-matique est parfois utilisée pour déterminer le temps néces-saire pour atteindre un état d’équilibre. Ce temps est estiméà cinq fois la demi-vie. Elle permet aussi de définir unedose de charge pour les molécules ayant une demi-vie lon-gue (supérieure à 20 heures). Ce paramètre varie énormé-ment chez les patients de réanimations puisqu’il va êtreinfluencé par la fonctionnalité des émonctoires et les tech-niques d’épuration ou d’assistances respiratoires éventuel-lement mises en place.

2.2. Absorption

L’absorption digestive est possible pour certains antibio-tiques comme les fluoroquinolones dont la biodisponibilitéapproche les 100 % même si la voie parentérale reste la voiede prédilection dans les unités de soins intensifs. L’absorp-tion orale est soumise à des variations dues à l’état de vacuitégastrique, l’état hémodynamique et les interférences médica-menteuses (antiacides, anti-H2...), l’existence de vomisse-ments et/ou de diarrhées. Ces facteurs ont pour conséquen-ces de diminuer la biodisponibilité et/ou de retarderl’absorption du principe actif entraînant un risque de sous-dosage avec des concentrations infrathérapeutiques favori-sant l’apparition de résistances bactériennes. De même, danscertains cas, le recours à des posologies élevées n’est pas com-patible avec une administration orale pour cause d’intolé-rance. Toutefois, un relais par la voie orale doit être envisagédès lors qu’il apparaît adapté à la prise en charge optimale dupatient. La notion de biodisponibilité devient alors essen-tielle pour le choix du schéma posologique. L’administrationd’antibiotiques par sonde gastrique est aléatoire et demandeà être validée par des dosages sanguins.

2.3. Distribution

Le VD des antibiotiques est variable d’une classe à l’autre(Tableau 1). Celui-ci peut être faible comme pour les amino-sides avec une distribution essentiellement plasmatique etinterstitielle ou plus fort comme pour les fluoroquinolonesavec une large diffusion tissulaire et intracellulaire. Le VDpeut également changer entre les sujets sains et les patients etselon le type de pathologie [2–4] (Tableau 2). Le VD est sou-vent augmenté chez les patients de réanimation à cause des :• états septiques graves ;

• états hémodynamiques ou d’hydratation instables ;• neutropénies fébriles ;• insuffisances rénales, hépatiques et cardiaques ;• œdèmes localisés ;• ventilation mécanique [5] ;• brûlures étendues [6]...

Cette élévation du VD est sûrement due à une augmenta-tion de la perméabilité capillaire suite à la libération de nom-breux médiateurs (réponse de l’organisme à l’agression) avecune hypovolémie, une hypoalbuminémie [7,8] (hémorragie,dilution, malnutrition, atteinte hépatique, fuite urinaire oucutanée par brûlure...) et création d’un secteur interstitiel àforte pression oncotique. L’hypoperfusion tissulaire s’expli-que en général par l’utilisation de drogues vasoconstrictri-ces. En conséquence, les concentrations tissulaires d’antibio-tiques sont beaucoup plus faibles par rapport auxconcentrations plasmatiques et celles rencontrées chez levolontaire sain, avec une variabilité inter- et intra-individuelleaccrue. Ces concentrations apparaissent parfois comme insuf-fisantes et nécessitent une augmentation de posologie et/ouun rythme d’administration plus court.

Le deuxième paramètre expliquant cette augmentation duVD est la liaison aux protéines des antibiotiques (Tableau 3).Ces deux paramètres sont intimement liés car seule la frac-tion libre est active, éliminable de l’organisme et diffusible àtravers les membranes biologiques vers les cellules et les tis-sus. Elle est donc le véritable vecteur de l’activité pharmaco-logique.

Lors d’une diminution de la liaison aux protéines, la frac-tion libre augmente entraînant une hausse du VD, du passagetissulaire et une capacité accrue d’épuration par des techni-ques de dialyse. Cette hausse de la fraction libre peut-êtredue à des situations fréquemment rencontrées dans les servi-ces de réanimation :

Tableau 1Volume apparent de distribution (l /kg) de quelques antibiotiques

Aminosides 0,10 à 0,20Céphalosporines 0,15 à 0,30Pénicillines 0,20 à 0,50Glycopeptides 0,4 à 0,8Tétracyclines 0,8 à 1,2Macrolides, rifampicine 1 à 2Fluoroquinolones 1,5 à 3

Tableau 2Comparaison du volume de distribution (VD) et de la demi-vie (T 1/2) chezdes volontaires sains et des patients de réanimation

VD (l) T 1/2Ceftazidime [2] Patients de réanimation 56,9 4,8

Volontaires sains 13,6 1,8Pipéracilline [3] Patients de réanimationa 40,7 246

Volontaires sains 9,6 63Gentamicine [4] Patients de réanimationb 25,0 3,6

Volontaires sains 17,5 2,9a au cours d’un choc septique.b patients sous ventilation mécanique (triginer).

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• lors d’une hypoalbuminémie (hémorragie, dilution, mal-nutrition, atteinte hépatique, fuite urinaire ou cutanée parbrûlure...) ;

• d’un risque de saturation de la liaison protéine–principeactif en cas de concentration élevée en principe actif due àl’utilisation de fortes posologies ou à la diminution descapacités d’épuration de l’organisme ;

• d’une interférence médicamenteuse avec d’autres médica-ments ou des molécules endogènes (bilirubine) fortementliés. Ce sont plutôt les médicaments acides faibles forte-ment liés à une protéine (albumine) sur un nombre res-treint de sites qui sont susceptibles d’être défixés. Les basesfaibles comme l’érythromycine se lient préférentielle-ment à l’alpha-1 acid glycoprotein et leur fraction librevariera en fonction de l’état inflammatoire du patient.La ventilation mécanique perturbe aussi le VD en augmen-

tant la pression intrathoracique avec une diminution des débitshépatique et rénal entraînant une augmentation de l’eau extra-cellulaire et perturbant l’espace de diffusion (très grande varia-bilité inter- et intra-individuelle) des antibiotiques surtout s’ilssont très hydrosolubles (aminosides, céphalosporines).

Ainsi, le VD des aminosides peut être multiplié par deux àdix chez des patients ayant une augmentation du volume extra-cellulaire aboutissant à une réduction de la Cmax et donc deleur efficacité. Il est recommandé, dans ce cas, d’utiliser unedose de charge lors de l’instauration du traitement.

2.4. Métabolisme

La majorité des médicaments sont métabolisés au niveauhépatique par deux types de réactions enzymatiques. Lesenzymes du groupe des cytochromes P 450 donnant lieu àdifférents métabolites de phase I par réaction d’hydrolyse, deréduction ou d’oxydation. Les réactions de phase II dites deconjugaison permettent le transfert sur la molécule de restespolaires tels le D-glucuronate, sulfate... Ces réactions ren-dent la molécule plus hydrosoluble, permettant une élimina-tion plus facile par les émonctoires naturels, en particulier lesreins.

La métabolisation des antibiotiques est extrêmement varia-ble d’une classe à l’autre et plutôt faible en général. Ainsi,certains antibiotiques hydrosolubles ne sont que très peu méta-bolisés comme les aminosides, les bêtalactamines, l’ofloxa-

cine et les glycopeptides avec une élimination le plus sou-vent par voie rénale. Mais certains antibiotiques(érythromycine, péfloxacine, rifampicine, linézolide...) méta-bolisés par le foie sont sujets à de nombreuses interactionsmédicamenteuses dont il faudra tenir compte chez les patientsen service de réanimation habituellement soumis à des poly-chimiothérapies. De plus, certains de ces antibiotiques sonteux-mêmes inducteurs (rifampicine) ou inhibiteurs (macro-lides) de ces réactions enzymatiques ce qui nécessite unegrande prudence quant à leur utilisation en particulier en asso-ciation avec d’autres molécules, antibiotiques ou autres.

Cette métabolisation est donc soumise à une très grandevariabilité à la fois interindividuelle (origine génétique) etintra-individuelle consécutive à l’effet de facteurs environ-nants dont l’utilisation de certains antibiotiques (rifampi-cine, macrolides, imidazolés...).

2.5. Excrétion

L’élimination des antibiotiques est majoritairement rénaleet/ou hépatique. Elle se caractérise par la demi-vie d’élimi-nation (T1/2) et est définie par la clairance totale (ClT) qui estégale à la somme de toutes les clairances (hépatique, rénaleet autre).

2.5.1. La clairance rénaleL’élimination des molécules par le rein est la somme de

trois mécanismes :• la filtration glomérulaire ;• la sécrétion tubulaire ;• la réabsorption tubulaire.

Les deux premiers servent à l’élimination des molécules,le troisième mécanisme s’oppose à cette élimination par uneréabsorption active ou passive des molécules.

Beaucoup d’antibiotiques ont une clairance rénale. C’estle cas des molécules hydrophiles non métabolisées tels queles aminosides, glycopeptides, ofloxacine et la plupart desbêtalactamines. Leur élimination est intimement liée à l’étatde la fonction rénale et du débit de perfusion. L’insuffisancerénale entraîne diverses modifications de la pharmacocinéti-que de ces médicaments :• diminution de leur filtration glomérulaire ;• baisse de la fixation aux protéines plasmatiques ;• augmentation du volume de distribution dans la plupart

des cas.Adapter la posologie des médicaments à élimination rénale

est une nécessité en cas d’insuffisance rénale modérée à sévèrecar la marge thérapeutique reste étroite compte tenu des poso-logies élevées utilisées et de la toxicité potentielle de certai-nes de ces molécules (aminosides, glycopeptides) même si lamarge thérapeutique reste grande pour une bonne partie desantibiotiques (bêtalactamines, macrolides...). Les modalitésdes adaptations de posologies sont habituellement inscritesdans les résumés des caractéristiques produits des moléculeset rapportées dans le Vidal. Mais parfois, le recours à desdosages sanguins de l’antibiotique s’avère nécessaire pour

Tableau 3Antibiotiques et liaison aux protéines plasmatiques

Gentamicine (et Aminosides) < 10 %Ceftazidime < 10 %Azithromycine 20 %Fluoroquinolones 10 à 40 %Amoxicilline, ticarcilline, piperacilline 15 à 45 %Vancomycine 55 %Erythromycine, clarithromycine 65 %Ceftriaxaone 80 à 95 %Rifampicine > 80 %Cloxacilline, oxacilline 90 %Teicoplanine 90 à 95 %

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choisir une option ou valider un choix posologique. Àl’inverse, sous l’effet de certaines molécules ionotropes posi-tives (dopamine, dobutamine et furosémide), l’éliminationrénale augmente suite à l’augmentation du débit sanguin rénalavec le risque d’avoir des concentrations subthérapeutiques.

Pour les aminosides, la réabsorption tubulaire joue un rôlemajeur car ceux-ci sont concentrés au niveau du cortex rénal(tropisme préférentiel) avec un risque d’accumulation intra-cellulaire tubulaire à l’origine de leur toxicité.

2.5.2. La clairance hépatiqueLa clairance hépatique résulte de deux mécanismes :

• la clairance métabolique ou le principe actif est éliminéaprès transformations par les enzymes hépatiques (réac-tions de phase I et/ou II) ;

• la clairance par sécrétion biliaire ou le principe actif estexcrété inchangé dans la bile.La variation du débit sanguin hépatique entraîne une modi-

fication de la clairance hépatique de façon proportionnelle etdans le même sens pour les molécules à fort coefficientd’extraction hépatique (ex. : rifampicine). La clairance hépa-tique des substances à faible coefficient d’extraction n’est pasaffectée par les variations de débit. De même, une moléculeayant une élimination rénale et hépatique (ciprofloxacine, liné-zolide...) est peu ou pas affectée en cas de défaillance de l’unde ces organes, l’un prenant le relais de l’autre.

Les adaptations de posologies en cas d’insuffisance hépa-tique sont complexes et souvent imprévisibles car elles concer-nent toutes les étapes de la pharmacocinétique. Elles dépen-dent de l’atteinte hépatique (nature et degré de gravité) maisaussi des caractéristiques propres du médicament (coeffi-cient d’extraction hépatique, liaison aux protéines plasmati-que).

3. Intérêt et place du suivi thérapeutiquedes antibiotiques

Dans un contexte particulier tel que celui des services desoins intensifs, le dosage des antibiotiques joue un rôle pré-pondérant dans la stratégie de choix posologiques et de priseen charge de l’infection du patient, suite aux modificationsdes paramètres pharmacocinétiques. Afin de permettre uneinterprétation optimale de ces dosages, il apparaît commeindispensable de connaître :• l’état physiopathologique du patient et son statut immuni-

taire ;• la nature et la sensibilité des bactéries responsable de

l’infection, la localisation anatomique ;• l’évolution de l’infection elle-même.

Les principales perturbations pharmacocinétiques chez cespatients concernent l’augmentation du VD avec une baissede la concentration des médicaments utilisés aux posologieshabituelles d’où un risque de sous-dosage pour les antibioti-ques temps dépendant mais aussi concentration dépendant.Un deuxième paramètre à prendre en compte est la modifi-

cation de la demi-vie d’élimination, parfois à la hausse avecl’insuffisance fonctionnelle des émonctoires mal compenséeet le risque d’accumulation et de surdosage, parfois à la baissesuite à des modifications hémodynamiques ou à la mise enplace d’une technique d’épuration et un risque d’atteindredes concentrations infrathérapeutiques entre deux adminis-trations d’antibiotique. Les dosages sont donc fortementconseillés surtout pour des molécules à marge thérapeutiqueétroite (aminosides et glycopeptides) dont le dosage est sim-ple et rapide. Pour les autres molécules dites à marge théra-peutique plus large (b lactamines), les dosages sont à réaliseren fonction de l’état physiopathologique du patient (insuffi-sance rénale ou hépatique, ventilation assistée...), des interac-tions attendues avec d’autres molécules, en cas de CMI éle-vée nécessitant de fortes posologies, de résultatsthérapeutiques insuffisants... Ces dosages sont à entrepren-dre le plus rapidement possible, dès les premières prises afind’optimiser le traitement le plus rapidement possible. Cetteapproche se justifie d’autant plus que les progrès récents enmatière de connaissances des mécanismes de l’activité anti-bactérienne des différentes familles d’antibiotiques donnentles éléments nécessaires au choix raisonné d’un antibiotiqueet de son mode et rythme d’administration. Ces progrès sontdus en grande partie à la validation de paramètres pharmaco-dynamiques applicables en routine pour la plupart et servantde base à l’optimisation des schémas posologiques. Ces para-mètres se distinguent en fonction de la nature de la bactérici-die de l’antibiotique comme détaillé dans le chapitre suivant.

Différentes adaptations posologiques sont possibles enfonction de la nature de la bactéricidie de l’antibiotique :• augmentation de la dose unitaire (antibiotiques concentra-

tion-dépendante) ;• augmentation de la fréquence d’administration (antibioti-

ques temps-dépendante) ;• utilisation d’une dose de charge en début de traitement

(antibiotiques à demi-vie longue comme la teicoplanine) ;• passage à la perfusion continue (vancomycine [9] et cef-

tazidime).On peut parfois être amené à modifier simultanément le

rythme d’administration et la dose unitaire.Si, par le passé, le suivi thérapeutique pharmacologique

des antibiotiques s’est cantonné la plupart du temps à limiterles effets secondaires iatrogènes (néphrotoxicité et ototoxi-cité) de quelques antibiotiques (aminoglycosides et glycopep-tides), il apparaît aujourd’hui comme un outil important pourfaire progresser le niveau de succès cliniques. Le but étant deproposer des schémas posologiques individualisés, c’est-à-dire adapté à chaque patient, pour obtenir le meilleur rapportbénéfice/risque lors du traitement. Cette démarche est d’autantplus utile que la pathologie est sévère et l’état du patient graveet instable.

4. Paramètres pharmacodynamiques importants enantibiothérapie

La mise en évidence, in vitro, des différentes modalités del’activité antibactérienne des antibiotiques bactéricides vis-

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à-vis des principales espèces bactériennes retrouvées en patho-logie humaine et notamment dans les infections nosocomia-les, a été à l’origine de nombreuses études chez l’animal [10].Celles-ci ont confirmé, in vivo, la réalité de la bactéricidieconcentration ou temps dépendante de ces antibiotiques(Fig. 1). Il a ainsi été constaté que, comme l’ont montré lescinétiques de bactéricidie in vitro, certains antibiotiquescomme les aminoglycosides et les fluoroquinolones, tuaientd’autant plus vite et plus intensément les bactéries que leurconcentration sérique était plus élevée, alors que d’autres, telsque les b lactamines et les glycopeptides, demandaient untemps de contact antibiotique/bactérie suffisant pour exercerun effet similaire. Il est alors apparu très vite le bénéfice poten-tiel de faire concorder la pharmacocinétique de l’antibioti-que et ses propriétés pharmacodynamiques afin d’améliorerle résultat thérapeutique. Dans la mesure ou le profil pharma-cocinétique et les caractéristiques pharmacodynamiques sontdes propriétés intrinsèques de chaque molécule, vis-à-visd’une souche bactérienne donnée, il faut s’efforcer d’adapterle schéma posologique d’un antibiotique (dose et rythmed’administration) à son profil de bactéricidie en tenant comptede l’espèce bactérienne en cause et de la variabilité pharma-cocinétique propre aux patients. Pour cela il convenait derechercher des marqueurs biologiques qui, en tenant comptedes interrelations entre pharmacocinétique et pharmacodyna-mie des antibiotiques puissent être prédictifs du succès thé-rapeutique et bactériologique. Plusieurs paramètres ont étéproposés à la suite des études sur des modèles expérimentauxanimaux et validés dans ces mêmes conditions [11]. Malheu-reusement, seules quelques études, le plus souvent rétrospec-tives, sont actuellement disponibles chez l’homme mais, ellesconfirment la validité des données obtenues chez l’animal et,quoi qu’il en soit, l’approche PK/PD ne s’est jamais avéréeinférieure aux modalités usuelles de prescription des antibio-tiques. Les paramètres pharmacodynamiques les plus utiliséssont (Fig. 2) :

4.1. Pour les antibiotiques à bactéricidieconcentration-dépendante

4.1.1. Le quotient inhibiteur (Cmax/CMI)Ce rapport est le paramètre le plus prédictif de l’efficacité

de ces antibiotiques comme cela a pu être démontré avec les

aminoglycosides et surtout avec les fluoroquinolones. Toutesles études réalisées à ce jour qu’elles aient été pratiquées àl’aide de modèles animaux infectés ou dans le cadre d’essaiscliniques montrent qu’un rapport Cmax /CMI entre 8 et 12 estl’objectif à atteindre pour optimiser l’efficacité thérapeuti-que de ces antibiotiques [12,13].

Ainsi, dès la fin des années 1980, Moore et al. avaient misen évidence, de manière rétrospective, il est vrai, une corré-lation positive entre le succès clinique d’un traitement paraminoglycosides et le rapport Cmax/CMI chez des patientsatteints de pneumopathies sévères à BGN [12]. En effet, unrapport Cmax/CMI supérieur à 8–10 était associé à une pro-babilité de succès clinique de 90 % à sept jours. C’est une desraisons qui ont conduit à faire évoluer le schéma posologiqueconventionnel d’administration des aminoglycosides (2 à3 fois par jour) vers la dose unique journalière (DUJ). Cemode d’administration est bien adapté aux patients des uni-tés de soins intensifs qui, en plus de la variabilité intra etinterindividuelle de la pharmacocinétique de ces antibioti-ques présentent souvent un volume de distribution augmenté,par exemple lorsqu’ils sont ventilés ou plus généralement dufait l’aggravation du score APACHE II [14], en cas d’épura-

Fig. 1. Cinétiques de bactéricidie d’antibiotiques concentration et temps-dépendants.

Fig. 2. Profils pharmacocinétiques et rapport entre l’aire sous la courbe et laconcentration minimale inhibitrice (AUIC).C max : concentration maximale; CMI : concentration minimale inhibitrice ;AUIC : rapport entre l’aire sous la courbe et la concentration minimale inhi-bitrice; T > CMI : Temps pendant lequel la concentration de l’antibiotiqueest supérieure à la CMI.

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tion extrarénale ou encore lors d’utilisation massive de solutéde remplissage... La conséquence pharmacologique la plusfréquente dans ces situations est une diminution significative(jusqu’à 70 %) de la Cmax de ces antibiotiques et par consé-quent de leur quotient inhibiteur (QI). On comprend alorsaisément qu’administrer toute la dose journalière en une seulefois plutôt que de façon fractionnée permet de limiter ce ris-que. On peut cependant, légitimement se poser la questiondu risque de majoration de la toxicité rénale de ces antibioti-ques en cas de DUJ chez des patients aux fonctions vitalesdéjà fragilisées. L’expérience montre qu’il n’y a pas de majo-ration de ce risque, sous réserve de respecter les recomman-dations sur les règles d’utilisation de cette famille d’antibio-tiques : durée des traitements limitée à dix jours, suivithérapeutique pharmacologique bien conduit dès les premiè-res administrations, prudence vis-à-vis d’associations avecd’autres médicaments néphrotoxiques. Cela s’explique notam-ment par les caractéristiques de pénétration des aminoglyco-sides dans le parenchyme rénal qui se fait par un mécanismede transport actif avec seuil de saturation, conduisant ainsi àune moindre accumulation dans les reins après DUJ par rap-port à la même dose fractionnée en deux ou trois administra-tions quotidiennes. Sur un ensemble de plus de 4000 obser-vations documentées se rapportant aux principales indicationsdes aminoglycosides y compris chez des patients neutropé-niques, il a été démontré que le schéma en dose unique jour-nalière permettait une amélioration de l’efficacité accompa-gnée d’une réduction de la toxicité et des coûts journaliers,ces données étant confirmées par plusieurs méta-analysesd’études cliniques [15].

En ce qui concerne les fluoroquinolones, l’autre familled’antibiotiques avec une bactéricidie concentration dépen-dante, on a plutôt assisté à une augmentation des doses uni-taires pour améliorer le QI des molécules de « 2e généra-tion » comme la ciprofloxacine ou l’ofloxacine en particulieravec certaines souches à sensibilité réduite (P. aeruginosa, S.aureus...) sans en arriver à la DUJ. Néanmoins, les moléculesles plus récentes de cette famille comme la moxifloxacine età un degré moindre la lévofloxacine, ont des propriétés phar-macocinétiques qui ont d’emblée permis un schéma posolo-gique en DUJ. Là encore, un suivi thérapeutique pharmaco-logique rapidement mené doit permettre d’optimiserl’efficacité thérapeutique et de réduire le risque de toxicitéconcentration dépendante. Un début de validation cliniquede l’optimisation thérapeutique d’un traitement par fluoro-quinolones à l’aide du QI a été apporté par Preston et al. [16]dans une étude rétrospective sur une population de 313 pa-tients présentant les symptômes d’une infection respiratoire,cutanée ou urinaire. Le QI était le paramètre le plus prédictifde l’efficacité microbiologique et clinique des traitements parlévofloxacine. Ainsi, un rapport Cmax/CMI de 12,2 s’estrévélé être le point de rupture en deçà duquel les chances desuccès clinique étaient fortement compromises pour les infec-tions à cocci Gram positif, alors qu’au-delà l’issue est géné-ralement favorable, quel que soit le site de l’infection. Parailleurs, il existait une bonne concordance entre la valeur de

la Cmax et celle de l’AUC (r = 0,942), ce qui explique lavaleur prédictive de l’AUIC et c’est ainsi qu’une valeur de110 est également prédictive du succès microbiologique etclinique du traitement. En pratique clinique ce résultat estparticulièrement intéressant car il est plus aisé d’estimer unQI (un seul prélèvement) qu’une AUIC nécessitant plusieursprélèvements successifs ou le recours à des paramètres depopulation pas souvent disponibles.

Enfin, plusieurs études sur modèles expérimentaux ani-maux suggèrent que lorsque le QI atteint une valeur optimale(8 à 12), il pourrait aussi prévenir, de façon significative,l’émergence de sous-populations bactériennes résistantes lorsde traitements par aminoglycosides ou fluoroquinolones. Celas’explique aisément si l’on considère que la répartition desCMI au sein d’une population bactérienne est gaussienne, dèslors plus la Cmax est élevée, plus il y a de chances d’attein-dre un QI efficace pour une majorité de souches incluant cel-les à sensibilité diminuée). On réduira ainsi le risque de sélec-tionner, entre deux administrations successives, les souchesde plus faible sensibilité.

Il convient donc, chez des patients fragilisés et présentantdes conditions physiologiques qui influent significativementsur le profil pharmacocinétique des antibiotiques, de s’assu-rer, en particulier par le choix du mode d’administration etpar un suivi thérapeutique pharmacologique adapté (mesurede la Cmax par exemple), que la posologie prescrite permeteffectivement d’assurer les meilleures conditions d’effica-cité. Cela doit être fait très précocement (48 premières heu-res) et renouvelé si les conditions physiologiques (hémody-namique, émonctoires...) varient fortement.

4.1.2. Le rapport aire sous la courbe des concentrations(ASC/CMI) ou area under the inhibitory concentration timecurve (AUIC)

Ce rapport est étroitement relié au QI tant que les molécu-les concernées possèdent une demi-vie d’élimination relati-vement courte. Il traduit l’imprégnation globale de l’orga-nisme par un principe actif, mais n’est pas très discriminantquant au profil pharmacocinétique. En effet, deux moléculespeuvent présenter une même AUIC alors que l’évolution deleurs concentrations sanguines peut-être très différente(Fig. 3). Ainsi, pour une AUIC équivalente, un profil pharma-cocinétique avec un pic élevé suivi d’une diminution rapidedes concentrations plasmatiques sera bien adapté à un anti-biotique concentration dépendant alors qu’un profil avec unpic peu élevé mais des concentrations plasmatiques soute-nues dans le temps est idéal pour un antibiotique temps dépen-dant. Les études réalisées chez différents modèles animauxet chez l’homme montrent que la valeur prédictive de ce para-mètre est relativement constante quelle que soit l’espèceconcernée. Cela n’est pas étonnant dans la mesure où la ciblepharmacologique, les bactéries, est la même. L’AUIC, commefacteur prédictif du succès bactériologique et/ou clinique asurtout été évaluée avec les fluoroquinolones. Dans les infec-tions à bacilles Gram négatif (BGN) chez l’animal commechez l’homme, il apparaît qu’une AUIC24 h supérieure à

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125 est prédictive d’un haut niveau de succès bactériologi-que et clinique (Fig. 4) alors qu’avec une valeur supérieure à250, elle conduit en plus à une réduction significative du délaid’élimination des BGN dans les sécrétions bronchiques chezdes patients atteints de pneumonie nosocomiale [11,13]. Unautre travail réalisé avec 16 patients de réanimation montrequ’une posologie élevée (400 mg deux fois par jour) de cipro-floxacine s’est révélée insuffisante pour obtenir une AUICsupérieure à 100 pour quatre patients sur 28 qui étaient infec-tés par des bactéries de sensibilité réduite [17]. Cela s’expli-que à la fois par la variabilité de la pharmacocinétique denombreux antibiotiques et par celle de la CMI des bactériesconduisant à de grands écarts intersujets entre lesAUIC.Ainsidans les deux études déjà évoquées, les écarts d’AUIC obser-vées après posologies standard sont édifiants : 6 à 5500 dansl’étude de Forrest et al., 20 à 248 dans l’étude de Preston etal. Il est donc évident que la possibilité d’estimer en tempsréel les paramètres pharmacodynamiques prédictifs de l’issuethérapeutique d’un traitement est un atout important pour lemalade et l’équipe soignante. Dans les infections à cocci Grampositif les modèles animaux semblent indiquer que les valeursdes AUIC des fluoroquinolones requises pour optimiser leschances de succès pourraient être moins élevées, de l’ordrede 30–50 [18]. Cependant, cela n’a pas été confirmé dans lecas d’infections à S. pneumoniae traitées par lévofloxacine,

sur un faible nombre de patients il est vrai [16], alors qu’uneanalyse de deux essais comparatifs sur le traitement d’infec-tions respiratoires communautaires montre que si une AUICsupérieure à 33,7 (fraction libre) est nécessaire pour l’obten-tion d’une réponse microbiologique avec la gatifloxacine oula lévofloxacine, il n’a pas été possible de définir une valeurseuil pour le succès clinique [18].

Le rapport ASC/CMI pourrait également s’avérer un para-mètre intéressant pour la prévention de la résistance bacté-rienne [19]. L’impact de ce problème est particulièrement fortdans les unités de soins intensifs qui doivent faire face à unrisque accru de sélection de bactéries résistantes, ne serait-ceque du fait de l’utilisation de certaines techniques comme laventilation assistée et/ou de la nature des patients présentantdivers types de pathologie sous-jacents. L’analyse de quatreessais cliniques sur le traitement d’infections pulmonaires bas-ses nosocomiales incluant 107 patients sévèrement atteints,128 souches bactériennes et 5 traitements antibiotiques dif-férents, a pris en compte à la fois la pharmacocinétique séri-que des antibiotiques et l’évolution de la CMI des bactériesobtenue sur des aspirations bronchiques quotidiennes [20].Elle révèle que 32/128 (25 %) des bactéries initialement sen-sibles sont devenues résistantes en cours de traitement et leparamètre pharmacodynamique le plus prédictif (p < 0,001)du développement de cette résistance était un rapportASC/CMI inférieur à 100. Certes, l’association de plusieursantibiotiques réduit significativement le risque de sélection-ner des résistances mais cela est d’autant plus vrai que lasomme des AUIC est supérieure à 100 (Tableau 4). Cettenotion d’AUIC supérieure à 100 a également été retrouvéedans une autre étude avec la ciprofloxacine dans les infec-tions sévères à P. aeruginosa [21].

Fig. 3. Calcul des principaux paramètres pharmacocinétiques.QI : coéfficient inhibteur; C max : concentration maximale; C min : concen-tration minimale; CMI90 : concentration minimale inhibitrice 90 %; AUIC :rapport entre l’aire sous la courbe et la concentration minimale inhibitrice;AUC 24 : aire sous la courbe calculée sur 24 h.

Fig. 4. AUIC (Area Under the Inhibitory Concentration time curve) et succès clinique et bactériologique avec la ciprofloxacine dans les infections sévères àbacilles Gram négatif (d’après Forrest et al. [13]).

Tableau 4Relation entreAUIC et résistance bactérienne, intérêt des associations d’anti-biotiques (d’après Thomas et al. [20])

Traitement Pourcentage de patients avec résistanceAUIC Tous

patientsCiprofloxacine b

lactamineMonothérapie < 100 82(14/17) 71(12/17) 67(2/3)Monothérapie ≥ 100 20(17/84) 9(4/44) 31(13/40)Association ≥ 100 4(1/27) 0(0/16) 4(1/27)

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Dans la mesure où l’AUIC est un paramètre prédictif de laprobabilité des succès microbiologique et clinique pour lesfluoroquinolones, on conçoit qu’une ASC trop faible et/ouune CMI trop élevée peuvent êtres à l’origine d’échecs thé-rapeutiques. Ainsi, l’analyse de certains échecs avec la lévo-floxacine vis-à-vis de S. pneumoniae ont démontrés que l’évo-lution de la population bactérienne vers des souches mutantesde 2e niveau (2 mutations) était surtout observée chez les sujetsavec une AUIC inférieure à 20 et des CMI supérieures ouégales à 4 [21]. Il est donc essentiel, tant pour l’issue cliniqueimmédiate que pour le maintien à long terme de l’efficacitéthérapeutique des antibiotiques bactéricides concentration-dépendants, d’utiliser préférentiellement les molécules dontl’activité antibactérienne intrinsèque et la pharmacocinéti-que sont le mieux adaptées à l’obtention d’AUIC élevées. Cesrecommandations touchent particulièrement les patients deréanimation qui ont un risque plus élevé que d’autres d’êtrescontaminés par des souches bactériennes ayant déjà une résis-tance de bas niveau et pour lesquels les posologies standardssont parfois mal adaptées pour les nombreuses raisons quenous avons déjà évoqué.

4.1.3. Concentration de Prévention de Mutation (CPM)Un nouveau paramètre microbiologique qui pourrait avoir

un impact sur l’optimisation pharmacodynamique des traite-ments antibiotiques a été proposé récemment. Il s’agit de laConcentration de Prévention de Mutation (CPM) qui est défi-nie comme la plus faible concentration d’antibiotique qui pré-vient la pousse, in vitro, de toute colonie de souches demutants résistants à partir d’un fort inoculum bactérien [22].Les données initiales suggèrent une variation de ce paramè-tre en fonction des molécules et des bactéries. De plus, cettevaleur peut-être proche ou bien supérieure à celle de la CMI(4 à 7 fois pour S. pneumoniae par exemple). On comprendalors que lorsque la CPM est supérieure à la CMI, l’intervalleentre les deux niveaux de concentration représente un espacedans lequel la pression de sélection s’exerce le plus forte-ment et l’objectif pharmacologique sera donc de choisir uneposologie et/ou un mode d’administration capable de limiterle temps pendant lequel les concentrations d’antibiotique chezle patient restent dans cette zone dangereuse (Fig. 5). En effet,le temps pendant lequel les concentrations d’antibiotiques res-teront dans cette zone dépendra de l’activité bactéricide spé-cifique de l’antibiotique, de sa demi-vie d’élimination et desa posologie (dose et rythme d’administration). L’essentieldes travaux présentés à ce jour concerne les fluoroquinolonesmais il n’y a pas encore de validation clinique de l’intérêtd’optimiser ce paramètre avec quelque famille d’antibioti-que que ce soit [23].

4.2. les antibiotiques à bactéricidie temps-dépendante

Ce sont pour l’essentiel les b lactamines dont la bactéri-cidie lente est relativement indépendante de la concentration,une fois le seuil de vitesse maximale de bactéricidie atteint (4à 6 fois la CMI), et, à un degré moindre, les glycopeptides.

Là encore, de nombreuses études ont été réalisées in vitro etsur modèles animaux. Elles convergent toutes vers l’observa-tion que pour les antibiotiques à bactéricidie lente, le para-mètre pharmacodynamique prédictif de l’issue thérapeutiqueest le temps pendant lequel les concentrations sériques d’anti-biotiques se situent au-dessus de la valeur de la CMI(T > CMI) [24]. Les modèles animaux s’accordent pour mon-trer que le T > CMI doit couvrir au moins 40 % de l’inter-valle entre deux administrations successives, mais celui-ciaugmente avec la gravité de l’infection. Les conclusions aux-quelles les travaux in vitro et in vivo conduisent sont :• à dose totale identique, des injections plus fréquentes de b

lactamines sont plus efficaces que des injections plus espa-cées ;

• ce phénomène est encore plus marqué chez des animauximmunodéprimés ;

• un T > CMI élevé obtenu soit par administrations rappro-chées ou par perfusion continue est le paramètre le mieuxcorrélé au succès thérapeutique (Tableau 5).Ainsi, pour des infections par des bactéries très pathogè-

nes et/ou présentant des CMI élevées comme pour des caté-gories particulières de patients tels que les neutropéniques etles patients de réanimation, le T > CMI doit tendre au plusprès possible vers 100 % ce qui est loin d’être acquis avec lesschémas posologiques usuels. Compte tenu des caractéristi-ques de bactéricidie des antibiotiques temps-dépendants (lenteet relativement indépendante de la concentration au-delà d’unseuil d’efficacité, absence d’effet postantibiotique) les solu-tions pour optimiser leur pharmacodynamie sont de troisordres :• utiliser une molécule dont la demi-vie d’élimination est

longue (il y en a très peu, on peut citer la ceftriaxone et lateicoplanine) ;

• raccourcir le délai entre deux administrations successivespour les antibiotiques à demi-vie courte (c’est ce qui s’esttoujours fait avec les b lactamines) ;

• avoir recours à une administration par perfusion continue(avec où sans dose de charge).C’est sur cette base scientifiquement solide mais qui

demandait à être confirmée en thérapeutique humaine que les

Fig. 5. Représentation graphique de la notion de fenêtre de sélection.CPM : Concentration de Prévention de Mutation; CMI : concentration mini-male inhibitrice.

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premiers essais ont été entrepris chez l’homme. Un nombrerestreint d’études cliniques dans des indications réduites anéanmoins permis de confirmer l’impact positif d’un T > CMIprolongé sur l’issue thérapeutique favorable [25]. Cela n’estpas facile à obtenir chez les patients de réanimation, notam-ment lorsque l’on est confronté à des bactéries à CMI élevée.On est alors amené à discuter de la posologie à administrer etil n’est pas rare d’en arriver à administrer des antibiotiques àune posologie beaucoup plus élevée que celle standard. Par-fois même, pour ces patients, les schémas posologiques paradministration discontinue s’avèrent totalement inadaptés etil faut alors envisager le recours à la perfusion continue. Bienque la différence attendue entre la perfusion continue etl’administration par injection itérative, tout patients et bacté-ries confondus est a priori relativement faible, le bénéficeescompté doit être plus significatif chez les patients de réani-mation. C’est la raison pour laquelle, les essais thérapeuti-ques visant à documenter le bénéfice de la perfusion conti-nue de céphalosporines se sont focalisés sur les groupes depatients qui, a priori, devraient le plus bénéficier de ce moded’administration : les neutropéniques, les patients de soinsintensifs et ceux atteints de mucoviscidose. Les résultats deces essais laissent entrevoir que le bénéfice de la perfusioncontinue sera d’autant plus grand que la situation clinique estsévère soit parce que les bactéries ont une sensibilité dimi-nuée à l’antibiotique, soit parce que le patient a des défensesnaturelles altérées, soit par la nature même de l’infection.Enfin, on sait que les variations interindividuelles des concen-trations d’antibiotique sont très importantes dans les situa-tions cliniques sévères et/ou compliquées. Dans cette opti-que s’il est clair que le monitorage pharmacologique desconcentrations d’antibiotiques est indispensable, on peutadmettre que la perfusion continue permet une adaptabilitéplus aisée à des conditions complexes, avec des objectifs devaleur cibles simplifiés [26]. Ce mode d’administration peutnéanmoins modifier la pharmacocinétique extravasculaire descéphalosporines qui diffusent de manière passive. On observenéanmoins que l’effet principal, la réduction du pic extravas-culaire n’a pas d’impact significatif pour des antibiotiquestemps-dépendants. Deux questions importantes subsistent :• faut-il utiliser systématiquement une dose de charge ?• quelle doit être la concentration cible de la concentration

moyenne à l’équilibre (Css) ?

La dose de charge utilisée en début de traitement est géné-ralement recommandée au plan pharmacologique lorsque l’onest en présence d’une molécule à demi-vie longue et/ou avecun forte liaison (restrictive) aux protéines plasmatiques et/ouprésentant un effet de premier passage hépatique important(voie orale). Ces caractéristiques concernent peu ou pas lesC3G. La justification de la dose de charge est essentiellementd’ordre pharmacodynamique. Il s’agit en effet de savoir si ledélai, généralement faible, qui existe entre le début de la per-fusion et le moment où la concentration sanguine de l’anti-biotique atteint la concentration bactéricide est suffisant pourpermettre l’apparition d’une mutation de résistance des bac-téries infectantes. Il n’y a pas à ce jour de réponse claire à cesujet. L’utilisation d’une dose de charge en permettant l’obten-tion d’emblée de concentrations élevées donc d’emblée bac-téricides, tant au niveau sanguin qu’extravasculaire permetthéoriquement de s’affranchir de ce risque et peut donc êtrerecommandée chez les patients sévères comme ceux de réa-nimation. Quant à la valeur cible de la Css, lorsque l’on décidede choisir la perfusion continue d’une b lactamine, elle devraitêtre suffisante pour permettre une activité bactéricide maxi-male et prévenir la sélection de souches mutantes sans pourautant faire courir un risque de toxicité au malade. La ten-dance est à proposer une Css égale à quatre à six fois la CMI.Ce choix découle d’observations réalisées tant in vitro qu’invivo qui montrent qu’à partir d’un rapport Css/CMI supé-rieur ou égal à 4–6, on n’améliore plus significativement labactéricidie des b lactamines. Néanmoins cette cible est touterelative, en effet dans certains cas particuliers comme lesinfections à P. aeruginosa chez des mucoviscidosiques unrapport concentration/CMI supérieur à 10 semble mieuxapproprié et peut même dépasser 50 pour certaines souchesmucoïdes [27].

La sélection de mutants résistants s’effectue par étape et àchacune de ces étapes correspond une fréquence de mutationet une concentration maximale d’antibiotique au-delà delaquelle le risque de sélection d’un mutant devient quasi nul.Cette concentration correspond à la CPM. Par ailleurs, lesmodèles expérimentaux suggèrent que l’existence et la fré-quence de trous thérapeutiques (temps pendant lequel laconcentration d’antibiotique dans le plasma est inférieure àla CMI) au cours de périodes plus ou moins longue du traite-ment favorisent l’échec bactériologique et clinique. Un des

Tableau 5Principaux paramètres d’optimisation pharmacodynamiques des antibiotiques

Classe d’antibiotique Modalité de bactéricidie Paramètre en relation avecl’efficacité

Optimisation de l’efficacité Prévention desrésistances

Effet postantibiotique

Bêtalactamines Temps dépendant T > CMI # T > CMI # T > CMI Faible(AUIC) # AUIC

Glycopeptides Temps dépendant T > CMI # T > CMI # T > CMI Faible(AUIC) # AUIC

Aminosides Concentration dépendant Cmax/CMI # Cmax/CMI # Cmax > CMI +(AUIC) # AUIC

Fluoroquinolones Concentration dépendant Cmax/CMI # Cmax/CMI # Cmax > CMI +(AUIC) # AUIC

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moyens de prévenir la sélection de souches résistantes seradonc de combiner l’exigence d’un T > CMI adapté avec unniveau de concentration au moins égal à celui de la CPM desbactéries concernées. En effet, on peut penser que chezl’homme, le temps pendant lequel la concentration d’antibio-tique est supérieure à la CMI et inférieure à la MPC corres-pond à une fenêtre de sélection. Celle-ci sera d’autant plusimportante que le rapport CPM/CMI sera grand. Cependant,les CPM des b lactamines ne sont pas encore systématique-ment connus.

Les glycopeptides ont une activité bactéricide clairementtemps-dépendante, ce qui a conduit à entreprendre, chez lespatients à risque, des études cliniques examinant l’intérêt del’administration de la vancomycine sous forme de perfusioncontinue [28], la teicoplanine de part sa demi-vie d’élimina-tion intrinsèquement très longue (70 à 100 heures) n’étantpas concernée par ce mode d’administration. Par ailleurs, cettefamille d’antibiotiques a un effet post-antibiotique prolongé,en particulier la vancomycine, mais le maintien d’une concen-tration résiduelle supérieure à CMI (c’est-à-dire un T > CMIde 100 %) apparaît comme un élément important du succèsthérapeutique. En pratique, le plateau de concentration àl’équilibre préconisé pour la vancomycine est de quatre à huitfois la CMI des bactéries à éradiquer. L’utilisation d’une dosede charge lors d’administration de vancomycine par perfu-sion continue dans des infections sévères est actuellementpratiquée par plusieurs équipes. Pour la teicoplanine, c’est laCres qui est la cible de l’optimisation thérapeutique avec desvaleurs de 20 à 30 mg/l.

Signalons que le rapport ASC/CMI a également été mis enavant comme facteur prédictif de l’efficacité thérapeutiquede certaines b lactamines et de la vancomycine. Cela n’estpas contradictoire avec une bactéricidie temps-dépendantepuisque comme nous l’avons indiqué ce paramètre repré-sente surtout le rapport entre la quantité d’antibiotique dansle sang et la CMI sans préjuger du profil pharmacocinétiquede chaque molécule. Ainsi une longue demi-vie d’élimina-tion ou, plus encore l’utilisation de la perfusion continue, vontnaturellement augmenter la valeur de l’AUIC pourvu que laCMI des germes soit suffisamment basse.

5. Conclusion

Le recours à l’antibiothérapie est fréquent en réanimationet son efficacité rapide est indispensable car le pronostic vitalest souvent en jeu. Cette thérapeutique est particulièrementcomplexe dans ces unités de soins car les bactéries retrou-vées sont très pathogènes, l’état des patients préoccupant etla pharmacocinétique des antibiotiques difficiles à identifieret à stabiliser. Dans ces conditions, l’optimisation thérapeu-tique est une vraie gageure. Les travaux développés au coursde ces dernières années sur les relations PK/PD des antibio-tiques donnent les bases rationnelles pour améliorer le choixdes antibiotiques et leurs modalités d’administrations en fonc-tion des bactéries en cause et des caractéristiques pharmaco-

cinétiques du patient. Bien que les essais cliniques destinés àvalider cette approche, sont encore peu nombreux quelquesobjectifs pharmacologiques peuvent êtres retenus. Ainsi, uneAUIC de 25 à 50 devrait permettre d’optimiser l’activité desfluoroquinolones (et probablement d l’azithromycine) sur S.pneumoniae, alors que des valeurs plus élevées (au moinssupérieures à 100) sont indispensables pour les fluoroquino-lones avec les bacilles à Gram négatif. Le QI doit dans tousles cas de figure se situer au-dessus de 8 à 12 avec les fluo-roquinolones et les aminoglycosides. En plus d’optimiserl’efficacité thérapeutique, une AUIC supérieure à 100 et unQI supérieur à 8 sont aussi susceptibles de réduire le risquede sélection de mutants résistants. Le même résultat peut êtreobtenu avec les b lactamines, la clindamicyne, la clarithro-mycine et le linézolide si le T > CMI dépasse au moins 40 à50 % de l’intervalle d’administration. Quant aux glycopepti-des ils ont besoin pour agir de manière optimale d’une Créssupérieure à la CMI. L’application à la pratique clinique deces données récentes, même si elles ne sont pas encore vali-dées en toutes circonstances, représente néanmoins un pro-grès significatif et un espoir sérieux d’améliorer la prise encharge des patients sévères.

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