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Nutr Clin Mdtabol 1997; 11:51-4 Supplements nutritifs chez les malades infect s par le VIH : int rSts et limites Franck Carbonnel Service d'H~patogastroenterologie et Nutrition, HSpital Rothschild, Paris. R(~sum(~ Les malades infect~s par le VIH sont souvent d~nu- tris. La d~nutrition aggrave le pronostic de l'infection VIH. Les travaux consacr~s ~ l'~valuation des supplements nutritifs chez ces malades sont tr~s peu nombreux. Ils sugg~rent que les supplements sont plus efficaces chez les malades pr~sentant une d~nutrition mod~r~e, ayant une prise alimentaire non effondr~e. Ace jour, il n'y a pas de preuve en faveur de la sup~riorit~ des supplements enrichis en nutriments sp~cifiques par rapport aux supplements standard. En pratique, au bout de quelques semaines, il peut ~tre utile d'~valuer l'influence de la prescription d'un sup- pl~ment nutritif sur les apports alimentaires, afin de v~rifier que le supplement entralne bien une augmen- tation des apports et non une substitution des calories alimentaires par le supplement. Mots cl#s : D6nutrition, pronostic, supplements nutritifs, VIH. La d6nutrition est fr6quente au cours de l'infection/t VIH [1, 2]. Des donn6es convergentes sugg6rent que la d6nutrition prot6ino-6nerg6tique et des apports suboptimaux en micronutriments aggravent le cours 6volutif de l'infection A VIH [3-51. Ces r~sultats justifient les tentatives de traitement pr6ventif et curatif de la d6nutrition. De nombreux malades infect6s par le VIH, sensibilis6s aux probl~mes nu- tritionnels, consomment des suppl6ments nutritifs prescrits par le m6decin ou la dibt6ticienne. Depuis 1995, ces suppl6ments sont pris en charge /t 100% par la S6curit6 Sociale, ~t un prix de 4,60 F pour 100 kcal. Que peut-on esp~rer des supplements nutritifs chez ces patients ? C'est la question/t laquelle nous allons nous efforcer de r~pondre, par une br~ve revue de la litt6rature. Correspondance : Dr F. Carbonnel, Service d'H~patogastroent&ologie et Nutrition, H6pital Rothschild, 33, boulevard de Picpus, 75571 Paris cedex 12. Re£u le 27 novembre 1996, accept6 apr6s r6vision le 24 d6cembre 1996. 51

Suppléments nutritifs chez les malades infectés par le VIH : intérêts et limites

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Nutr Clin Mdtabol 1997; 11:51-4

Supplements nutritifs chez les malades infect s par le VIH : int rSts et limites

Franck C a r b o n n e l

Service d'H~patogastroenterologie et Nutrition, HSpital Rothschild, Paris.

R(~sum(~

Les malades infect~s par le VIH sont souvent d~nu- tris. La d~nutrition aggrave le pronostic de l'infection

VIH. Les travaux consacr~s ~ l'~valuation des supplements nutritifs chez ces malades sont tr~s peu nombreux. Ils sugg~rent que les supplements sont plus efficaces chez les malades pr~sentant une d~nutrition mod~r~e, ayant une prise alimentaire non effondr~e. A c e jour, il n'y a pas de preuve en faveur de la sup~riorit~ des supplements enrichis en nutriments sp~cifiques par rapport aux supplements standard. En pratique, au bout de quelques semaines, il peut ~tre utile d'~valuer l'influence de la prescription d'un sup- pl~ment nutritif sur les apports alimentaires, afin de v~rifier que le supplement entralne bien une augmen- tation des apports et non une substitution des calories alimentaires par le supplement.

Mots cl#s : D6nutrition, pronostic, supplements nutritifs, VIH.

La d6nutrition est fr6quente au cours de l ' infection/t VIH [1, 2]. Des donn6es convergentes sugg6rent que la d6nutrition prot6ino-6nerg6tique et des apports suboptimaux en micronutriments aggravent le cours 6volutif de l ' infection A VIH [3-51. Ces r~sultats justifient les tentatives de trai tement pr6ventif et curat i f de la d6nutrition. De nombreux malades infect6s par le VIH, sensibilis6s aux probl~mes nu- tritionnels, consomment des suppl6ments nutritifs

prescrits par le m6decin ou la dibt6ticienne. Depuis 1995, ces suppl6ments sont pris en charge /t 100% par la S6curit6 Sociale, ~t un prix de 4,60 F pour 100 kcal.

Que peut-on esp~rer des supplements nutritifs chez ces patients ? C'est la question/t laquelle nous allons nous efforcer de r~pondre, par une br~ve revue de la litt6rature.

Correspondance : Dr F. Carbonnel, Service d'H~patogastroent&ologie et Nutrition, H6pital Rothschild, 33, boulevard de Picpus, 75571 Paris cedex 12. Re£u le 27 novembre 1996, accept6 apr6s r6vision le 24 d6cembre 1996.

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F. CARBONNEL

La composition des suppl6ments di6t6tiques est tr6s variable (Tableaux I et II). Les avantages potentiels des suppl6ments dibt6tiques sont :

un apport 61ev6 en protides et micronutriments dans un petit volume ; - l a forme liquide, int6ressante chez les patients souffrant d'odyno-dysphagie, de trouble de la vi- dange gastrique des solides ou d 'un dbgofit des viandes ; -enf in , le cofit mod6r6, inf6rieur fi celui des autres th~rapeutiques nutritionnelles. A notre connaissance, trois 6tudes ont tent6 d'6va- luer l'int~r~t des suppl6ments di~t6tiques chez les malades infect6s par le VIH (Tableau III) [6-8]. Au total, 178 malades, au stade A, B e t C ont 6t6 inclus. Le poids 6tait sup6rieur ~i 90 % du:poids usuel dans deux ~tudes et infbrieur/t 95 % dans une ~tude.

Tableau I : Teneur en macronutriments des supplkments didt4tiques

(valeurs extrOmes pour 200 mL)

Energie (kcal) 120-300

Prot6ines (g) 10-20

Lipides (g) 2,2-13

Glucides (g) 21-43

Tableau H : Teneur des suppl4ments di4t4tiques en micronutriments (valeurs extrOmes exprimdes en

pourcentage des RDA am4ricaines) dont l'apport peut avoir une incidence sur le pronostie de l'infeetion fi VIH

Vitamine A 11-37 Vitamine C 13-125

Niacine 8-38

Zinc 10-25

Quels sont les malades susceptibles de bdn~ficier des suppldments nutritifs ?

Dans le travail de Pichard et al. [8] (donn~es non encore publi6es), portant sur des patients au stade A

ou B de l'infection, ayant un poids sup~rieur ou 6gal ~t 90 % de leur poids usuel, les malades ont pris, en moyenne, 2 kg en 6 mois ; il n'y eut que 9 malades exclus sur 64. Dans le travail de Chlebowsky et al. [6] portant sur des patients aux stades A, B et C, ayant un poids moyen 6gal ~i 96 % de leur poids usuel, les malades recevant un suppl6ment polym6rique ont, en moyenne, perdu 750 g en 6 mois ; 24 malades ont ~t6 exclus sur un effectif initial de 80. Dans le travail de Bfirger et al. [7], portant sur des malades au stade B ou C, ayant un poids inf6rieur ~i 95 % de leur poids usuel, le poids moyen n'a pas chang6 ; sur un effectif initial de 34 malades, 10 seulement sont parvenus au terme des trois mois d'6tude. Enfin, dans l'essai contr6t~, multicentrique frangais sur la nutrition parent6rale/t domicile dans le SIDA [9], les malades du bras contrble recevaient des conseils di6tbtiques et 6taient encourag6s fi prendre des suppl6ments. Ces malades btaient tous au stade C de l'infection et avaient un poids moyen 6gal fi 76 % de leur poids usuel. Au bout de 2 mois, les malades du groupe contr61e avaient perdu 6 % de leur poids de dbpart et 12 % de leur masse cellulaire active.

Les supplements spdcifiques sont-ils sup(Meurs aux supplements standard ?

Deux essais contr61~s ont compar+ un suppl6ment nutritif standard /t un supplement sp6cifique. Dans le travail de Chlebowsky et al. [6], 80 malades ont 6t~ tir6s au sort pour recevoir un suppl6ment polym6- rique (Ensure ®) ou un suppl6ment contenant des petits peptides, enrichi en huile de poisson, en zinc, en fibres et en ~3-carot+ne (Advera ® [6]). Apr6s 6 mois de suivi, sur les 56 patients ~valuables, ceux qui avaient regu l'Advera ® avaient en moyenne pris 2 kg tandis que ceux qui avaient regu l'Ensure ® avaient perdu 750 g. L'~paisseur cutan6e tricipitale 6tait maintenue chez les malades recevant l'Advera ® et 16g~rement diminuee chez les malades recevant l'En- sure ®. Le taux d'hospitalisation dans les trois der- niers mois ~tait significativement plus faible chez les malades recevant l'Advera ® que chez ceux recevant de l'Ensure ®, mais ce crit6re parait avoir 6t6 choisi r6trospectivement ; pour l'ensemble des 6 mois de

Tableau I I I : Principales ~tudes consacrkes aux supplements nutritifs ehez les malades infect4s par le VIH

R6f6rence Stade CDC Poids (% usuel) Prise calorique (kcal/j) Exclus Delta poids (kg)

[6] A, B, C 96 430 24/80 - 0,75

[7] B, C < 95 496 24/34 0

[8] A, B > 90 500 9/64 + 2 kg

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SUPPLI~MENTS NUTRITIFS ET VIH

l'~tude, le taux d'hospitalisation 6tait semblable dans les deux groupes. Dans le travail de Pichard et al. [8], 64 malades ont 6t~ tir6s au sort pour recevoir 500 kcal/j d'un m6- lange standard ou enrichi en acides gras ~-3 et arginine. Dans les deux groupes, les malades ont pris 2 kg, dont 500 g de masse maigre. Le hombre de lymphocytes T CD4 +, la charge virale, la concen- tration s6rique de TNF et la qualit6 de vie n'ont pas chang~ dans les deux groupes.

pratique, les suppl6ments nutritifs ont toutes les chances d'etre des substituts alimentaires chez les malades anorexiques. I1 paraR n~cessaire de v6rifier apr~s quelques semaines, que la prescription d'un suppl6ment nutritif entra~ne bien une augmentation des apports oraux et non une substitution des ap- ports alimentaires par le supplement.

Conclusion

Supplementation ou substitution nutritionnelle ?

Chez les malades infect~s par te VIH, les variations pond~rales sont corr616es/t l'apport 6nerg6tique [10]. Les malades qui perdent du poids ont un apport ~nerg~tique faible, ceux qui en gagnent ont un ap- port +nerg6tique 61ev& Dans le travail de Biirger et al. [7], portant sur des patients n'ayant pas r6pondu aux conseils di6t6tiques, l'absence de corr61ation entre la prise de supplement nutritif et l'6volution pond~rale sugg~re que l'6nergie apport6e par les suppl6ments prenait la place de l'~nergie apport6e par l'alimentation. De m~me, dans l'6tude de Chle- bowsky et al. [6], la perte de 750 g chez les malades prenant l'Ensure ® sugg6re qu'ils remplagaient les aliments par les suppl6ments nutritifs [6]. Dans la maladie de Crohn, la prescription de suppl6ments nutritifs entra~ne une augmentation de la prise calo- rique quotidienne et du poids chez les malades d~nu- tris [11], mais ne modifie ni la prise alimentaire nile poids des malades normonutris [12]. En d'autres termes, les patients amaigris tendent fi rattraper leur poids usuel en augmentant leurs apports (suppl6- mentation), tandis que ceux qui sont fi leur poids usuel le maintiennent en substituant les aliments par les supplements nutritifs. Chez certains patients infect~s par le VIH [6, 7, 13], la perte de poids n'entra~ne pas une augmentation des apports tendant/t r~tablir le poids habituel. Tout se passe comme si les m6canismes de r~gulation pond~rale /t long terme ne fonctionnaient plus. En

Plusieurs enseignements peuvent ~tre tir6s des r6sul- tats des rares travaux disponibles. Les suppl6ments nutritifs sont d'autant plus efficaces qu'ils sont administr~s fi des patients peu immuno- d6prim6s, peu d6nutris et non anorexiques (Tableau IV). Ace jour, les suppl6ments sp~cifiques n'ont pas prouv6 leur sup~riorit~ par rapport aux suppl6ments standard.

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Tableau I V : Place sehdmatique des suppl4ments nutritifs dans le traitement de la d4nutrition associde ?l l'infection V IH

Supplements Orexig~nes Nutrition Nutrition nutritifs ent~rale parent6rale

80% < 80% < 80% < 80% Apports oraux (% d6pense 6nerg6tique totale)

Poids (% usuel)

Diarrhbe importante

90-100 90-100 < 90 < 90

non non non oui

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