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SAINT THOMAS D’AQUIN COMMENTAIRE DE L’ETHIQUE A NICOMAQUE D’ARISTOTE traduction par Yvan Pelletier 2000 (Les 10 livres complets) Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr , Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint- Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux. LIVRE PREMIER.............................................................4 Leçon 1.................................................................4 Leçon 2.................................................................8 Leçon 3................................................................11 Leçon 4................................................................13 Leçon 5................................................................15 Leçon 6................................................................18 Leçon 7................................................................21 Leçon 8................................................................23 Leçon 9................................................................24 Leçon 10...............................................................27 Leçon 11...............................................................29 Leçon 12...............................................................31 Leçon 13...............................................................34 Leçon 14...............................................................36 Leçon 15...............................................................38 Leçon 16...............................................................40 Leçon 17...............................................................43 Leçon 18...............................................................45 Leçon 19...............................................................47

Thomas d'Aquin - Commentaire de l'éthique à Nicomaque d'Aristote (1)

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SAINT THOMAS DAQUIN COMMENTAIRE DE LETHIQUE A NICOMAQUE DARISTOTE

SAINT THOMAS DAQUIN COMMENTAIRE DE LETHIQUE A NICOMAQUE DARISTOTEtraduction par Yvan Pelletier2000(Les 10 livres complets)dition numrique, http://docteurangelique.free.fr, Les uvres compltes de saint Thomas d'Aquin

Yvan Pelletier Yvan Pelletier (n en 1946) est professeur titulaire la Facult de philosophie de l'Universit Laval, o il enseigne depuis 1975 et o il a complt sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abb Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotlico-thomiste initie cette facult par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agenc de faon offrir aux tudiants du baccalaurat une prsentation des principes fondamentaux et de la mthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotlicienne : thique, politique, physique, mtaphysique - et aux tudiants de matrise et doctorat une rflexion critique sur les lments du credo contemporain - dmocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'tre et du devoir, primaut de la conscience, etc. - partir de ces principes fondamentaux. LIVRE PREMIER4Leon 14Leon 28Leon 311Leon 413Leon 515Leon 618Leon 721Leon 823Leon 924Leon 1027Leon 1129Leon 1231Leon 1334Leon 1436Leon 1538Leon 1640Leon 1743Leon 1845Leon 1947Leon 2049LIVRE DEUXIME52Leon 152Leon 254Leon 356Leon 459Leon 561Leon 663Leon 766Leon 868Leon 971Leon 1073Leon 1175LIVRE TROISIME77Leon 177Leon 279Leon 382Leon 484Leon 586Leon 688Leon 790Leon 892Leon 994Leon 1095Leon 1196Leon 1298Leon 13100Leon 14103Leon 15106Leon 16109Leon 17111Leon 18113Leon 19 111115Leon 20118Leon 21120Leon 22122LIVRE QUATRIME124Leon 1124Leon 2127Leon 3129Leon 4130Leon 5132Leon 6134Leon 7137Leon 8139Leon 9142Leon 10144Leon 11147Leon 12149Leon 13150Leon 14153Leon 15155Leon 16159Leon 17162LIVRE CINQUIME164Leon 1164Leon 2167Leon 3169Leon 4171Leon 5174Leon 6176Leon 7178Leon 8.179Leon 9182Leon 10184Leon 11186Leon 12188Leon 13192Leon 14195Leon 15197Leon 16199Leon 17202LIVRE SIXIEME205Leon 1205Leon 2208Leon 3212Leon 4215Leon 5218Leon 6220Leon 7223Leon 8227Leon 9230Leon 10234Leon 11238LIVRE SEPTIME241Leon 1241Leon 2244Leon 3248Leon 4253Leon 5256Leon 6259Leon 7263Leon 8267Leon 9269Leon 10273Leon 11276Leon 12278Leon 13281Leon 14284LIVRE HUITIME288Leon 1288Leon 2291Leon 3293Leon 4297Leon 5299Leon 6302Leon 7305Leon 8308Leon 9311Leon 10313Leon 11317Leon 12320Leon 13324Leon 14328Livre neuvime330Leon 1330Leon 2333Leon 3335Leon 4338Leon 5341Leon 6343Leon 7345Leon 8347Leon 9349Leon 10352Leon 11354Leon 12356Leon 13358Leon 14361Livre dixime362Leon 1362Leon 2363Leon 3366Leon 4369Leon 5370Leon 6372Leon 7375Leon 8377Leon 9379Leon 10381Leon 11384Leon 12386Leon 13389Leon 14391Leon 15394Leon 16395

LIVRE PREMIERLeon 1 #1. Comme le Philosophe le dit, au dbut de la Mtaphysique (982a17), il appartient au sage d'ordonner. La raison en est que la sagesse est la perfection la plus puissante de la raison, dont le propre est de connatre l'ordre. En effet, mme si les puissances sensitives connaissent les choses de manire absolue, cependant, connatre l'ordre d'une chose en regard d'une autre appartient la seule intelligence ou raison. Or on trouve deux ordres entre les choses: il y en a un entre les parties d'un tout ou d'une multitude, la manire dont les parties d'une maison sont ordonnes entre elles; il y a ensuite l'ordre que des choses entretiennent avec leur fin. Et cet ordre-ci est plus important que le premier. Car, comme le Philosophe le dit, au onzime livre de la Mtaphysique (1075a13), l'ordre entre les parties de l'arme a pour cause celui qu'entretient l'ensemble de l'arme avec son chef. Par ailleurs, l'ordre se compare la raison de quatre manires: il y a, en effet, un ordre que la raison ne fait pas, mais qu'elle ne fait qu'observer1, comme il en est de l'ordre des choses naturelles; il existe ensuite un autre ordre, que la raison, quand elle pense, met dans son propre acte, par exemple, lorsqu'elle ordonne entre eux ses concepts, ainsi que les signes des concepts, qui sont les phonmes dots de sens; il y a encore un troisime ordre que la raison, en y pensant, met dans les oprations de la volont; il y a enfin un quatrime ordre que la raison, en y pensant, met dans les choses extrieures dont elle est elle-mme la cause, comme dans l'armoire et dans la maison. #2. Puisque l'opration de la raison tient sa perfection d'un habitus, il existe des sciences diffrentes selon les ordres diffrents que la raison justement observe. En effet, il appartient la philosophie naturelle d'observer l'ordre des choses que la raison humaine observe mais ne fait pas, en comprenant aussi, sous la philosophie naturelle, la mtaphysique. Ensuite, l'ordre que la raison, quand elle pense, met dans son acte propre, appartient la philosophie rationnelle, laquelle il appartient d'observer l'ordre entre les parties du discours, et l'ordre entre les principes, et des principes aux conclusions. Ensuite, l'ordre des actions volontaires appartient la rflexion de la philosophie morale. Enfin, l'ordre que la raison met, en y pensant, dans les choses extrieures constitues par la raison humaine, appartient aux arts mcaniques. Ainsi donc, le propre de la philosophie morale, sur laquelle porte notre intention prsente, est de traiter des oprations humaines, en autant qu'elles sont ordonnes entre elles et une fin. #3. Par ailleurs, j'appelle des oprations humaines celles qui procdent de la volont de l'homme selon un ordre de la raison. Car s'il se trouve dans l'homme certaines oprations non sujettes la volont et la raison, elles ne sont pas dites proprement humaines, mais naturelles, comme il est vident des oprations de l'me vgtative. Et celles-l ne tombent d'aucune manire sous le regard de la philosophie morale. De mme, d'ailleurs, que le sujet de la philosophie naturelle est le mouvement, ou la chose mobile, de mme le sujet de la philosophie morale est l'opration humaine ordonne une fin, ou mme l'homme pour autant qu'il est en train d'agir volontairement en vue d'une fin. #4. On doit savoir par ailleurs que, parce que l'homme est naturellement un animal social, c'est- dire, qu'il a besoin pour sa vie de beaucoup de choses qu'il ne peut seul s'assurer lui-mme, il s'ensuit que l'homme fasse naturellement partie d'un groupe qui lui apporte de l'aide pour bien vivre. Et il a besoin de cette aide sous deux rapports. D'abord, certes, pour ce qui est ncessaire la vie, et dont la vie prsente ne peut se passer: c'est l l'aide qu'apporte l'homme le groupe domestique dont il fait partie.

1Considerare. Saint Thomas fait un usage abondant de ce mot qui nomme de manire trs commune l'acte dans lequel la raison se reprsente son objet, sans prcision de son intention, spculative ou pratique, ni de son mode rsolutif ou compositif. Il est difficile de se fixer sur un mot franais unique qui ne soit pas plus prcis. Aussi la traduction variera-t-elle dans les lignes suivantes: observer, penser, oprer, rflchir.

2 En effet, tout homme tient de ses parents la gnration et l'alimentation et l'ducation et, pareillement, les individus qui forment les parties de la famille domestique s'aident entre eux pour le ncessaire la vie. Il y a encore un autre rapport sous lequel l'homme reoit l'aide d'un groupe dont il fait partie, c'est pour une suffisance parfaite de sa vie, savoir, pour que non seulement il vive, mais aussi vive bien, disposant de tout le suffisant pour la vie: c'est ainsi que le groupe civil dont il fait partie aide l'homme, non seulement pour les choses corporelles, comme il y a dans la cit bien des ressources d'art qu'une maison ne peut suffire procurer, mais aussi dans le domaine morale, tant donn les jeunes insolents que l'avertissement paternel n'arrive pas corriger se trouvent contraints par le pouvoir public, par la crainte du chtiment. #5. On doit savoir, toutefois, que ce tout qu'est le groupe civil, ou la famille domestique, dtient une simple unit d'ordre, selon quoi une chose ne se trouve pas une absolument. C'est pourquoi une partie de pareil tout peut poser des actes qui ne soient pas l'action du tout, comme le soldat dans l'arme pose des actes qui ne relvent pas de toute l'arme. Nanmoins, le tout lui-mme pose des actes qui ne relvent pas en propre de l'une de ses parties, mais du tout, par exemple, l'attaque de l'arme entire. La traction du navire est aussi l'action du groupe de ceux qui tirent le navire. Il existe, par contre, un tout dot d'une unit non seulement d'ordre mais de composition, ou d'attache, ou encore de continuit, et selon cette unit une chose est une absolument; c'est pourquoi il n'existe alors aucune action de partie qui ne relve du tout. Dans ce qui est continu, en effet, le mouvement du tout et celui de la partie est le mme; semblablement, dans ce qui est compos, ou attach, l'action de la partie relve aussi principalement du tout; c'est pourquoi il faut que l'examen de pareil tout et de sa partie relve de la mme science. Nanmoins, il ne relve pas de la mme science d'examiner, avec ses parties, le tout qui dtient la seule unit d'ordre. #6. De l vient que la philosophie morale se divise en trois parties. Parmi elles, la premire examine les oprations d'un seul homme ordonnes leur fin, et elle s'appelle la monastique. La seconde, par ailleurs, examine les actions du groupe domestique, et elle s'appelle l'conomique. La troisime, par ailleurs, examine les actions du groupe civil, et elle s'appelle la politique. #7. Aristote, commenant donc traiter de la philosophie morale partir de sa premire partie, qu'on appelle l'thique, c'est--dire la morale, prsente en premier un prome, dans lequel il dveloppe trois points. En premier, en effet, il montre sur quoi porte son intention. En deuxime, le mode d'en traiter (1094b11). En troisime, de quelle qualit doit tre l'auditeur de cette science (1094b27). Sur le premier point, il en dveloppe deux autres. En premier, il avance certaines notions ncessaires pour montrer son propos. En second, il manifeste son propos (1094a18). Sur le premier point, il en dveloppe deux autres. En premier, en effet, il propose la ncessit de la fin. En second, il compare les habitus et les actes avec leur fin (1094a6). Sur le premier point, il en dveloppe trois autres. En premier, il propose que tout ce qui est humain est ordonn une fin. En second, [il affirme] la diversit des fins (1094a3). En troisime, il propose la comparaison des fins entre elles (1094a5). Sur le premier point, il en dveloppe deux autres. En premier, il propose ce qu'il vise. En second, il manifeste son propos (1094a2). #8. Sur le premier point, on doit tenir compte qu'il y a deux principes des actes humains, savoir, l'intelligence, ou raison, et l'apptit, qui sont les principes moteurs, comme il est dit au troisime livre du trait De l'me (433b31). Comme intelligence ou raison, par ailleurs, on distingue la spculative et la pratique. Et dans l'apptit rationnel, on distingue le choix et l'excution. Or tout cela est ordonn un bien comme une fin, car le vrai est la fin de la spculation. Pour l'intelligence spculative, donc, il parle de l'enseignement, par lequel la science passe du matre au disciple. Pour l'intelligence pratique, ensuite, il parle de l'art, qui est la dfinition correcte de ce qui est faire, comme on verra, au sixime livre de ce trait. Pour l'acte de l'apptit rationnel2, ensuite, il est question du choix. Pour son excution, enfin, il est question de

2Intellectus appetitivi. On doit lire appetitus intellectivi, comme on lit, un peu plus haut, appetitu rationali.

3 l'acte. Il ne fait toutefois pas mention de la prudence, qui, comme l'art, est dans la raison pratique, car c'est proprement par la prudence qu'on dirige le choix. Il affirme donc que chacun de ces principes tend manifestement un bien comme sa fin. #9. Ensuite (1094a2), il manifeste son propos par l'effet du bien. propos de quoi, on doit considrer que le bien compte parmi les premiers tres, au point que, selon les Platoniciens, le bien est antrieur l'tre. D'aprs la vrit objective, cependant, le bien se convertit avec l'tre. Les premiers tres, par ailleurs, on ne peut les faire connatre par des tres antrieurs, mais on les fait connatre par des tres postrieurs, comme les causes par leurs effets propres. Comme, ensuite, le bien est proprement le moteur de l'apptit, on dcrit le bien par le mouvement de l'apptit, comme on a l'habitude de manifester une puissance motrice par le mouvement [qu'elle entrane]. C'est pourquoi aussi il dit que les philosophes ont correctement affirm que le bien est ce que tout dsire. #10. Elle ne vaut pas, l'objection qui renvoie qui dsire le mal. Car il ne dsire pas le mal, sauf sous raison de bien, savoir, en tant qu'il le pense un bien: et ainsi son intention se porte par soi au bien, mais tombe par accident sur un mal. #11. Quant ce qu'il dit: Ce que tout dsire (1094a3), ce n'est pas comprendre seulement de ceux qui ont connaissance, et qui apprhendent le bien, mais aussi des choses auxquelles manque la connaissance; celles-ci tendent au bien par un apptit naturel, non pas comme si elles connaissaient le bien, mais parce qu'elles sont mues au bien par quelqu'un qui le connat, savoir, par l'ordination de l'intelligence divine: de la faon dont la flche tend au bien par la direction [que lui donne] l'archer. Or cela mme de tendre au bien, c'est dsirer le bien. Aussi a-t-il dit que tout dsire le bien, en tant qu'il tend au bien. Mais il n'y a pas un unique bien auquel tout tend, comme on le dira plus loin (1096b30). Et c'est pourquoi on ne dcrira pas ici un bien particulier, mais le bien pris communment. Comme, par ailleurs, rien n'est bon sinon en tant qu'il est une similitude et participation du bien suprme, le bien suprme lui-mme est dsir d'une certaine faon en n'importe quel bien. Ainsi encore, on peut dire que le vrai bien est ce que tout dsire. #12. Ensuite (1094a3), il montre la diffrence des fins. ce propos, on doit considrer que le bien final auquel tend l'apptit de n'importe quel tre un est sa perfection ultime. Or la premire perfection s'obtient par le moyen d'une forme. Et la seconde par le moyen d'une opration. Aussi faut-il qu'il y ait cette diffrence entre les fins, que certaines fins sont les oprations mmes, alors que certaines sont leurs uvres, c'est--dire, des rsultats part des oprations. #13. l'vidence de cela, on doit considrer qu'il existe une double opration, comme il est dit au neuvime livre de la Mtaphysique (1050a23). L'une demeure dans l'oprant mme, comme voir, vouloir et intelliger: une opration de cette sorte se dit proprement aussi action. Puis, il y a l'autre opration, qui passe dans une matire extrieure, et que l'on appelle proprement production. Parfois, en effet, on prend une matire extrieure seulement pour s'en servir, comme un cheval pour le monter, et une cithare pour en jouer. Mais parfois, on prend une matire extrieure pour lui donner une certaine forme, comme lorsque un artisan fabrique une maison ou un lit. La premire des oprations, donc, et la deuxime, n'ont pas un rsultat qui en soit la fin, mais l'une et l'autre est sa propre fin. La premire, toutefois, est plus noble que la seconde, en tant qu'elle demeure dans l'oprant mme. Mais la troisime opration est comme une gnration, dont la fin est la chose engendre. C'est pourquoi aussi, dans les oprations du troisime genre, les uvres mmes sont les fins. #14. Ensuite (1094a5), il prsente son troisime point, disant que n'importe o les fins sont des rsultats part les oprations, les rsultats sont ncessairement meilleurs que les oprations, comme la chose engendre est meilleure que sa gnration. En effet, la fin est plus puissante que les moyens qui la visent. Car ce qui vise une fin a raison de bien en rfrence la fin. #15. Ensuite (1094a6), il traite de la comparaison des habitus et des actes avec la fin. Et sur cela, il dveloppe quatre points. En premier, il manifeste que des choses diffrentes sont ordonnes des fins diffrentes. Et il dit que, comme il existe de multiples oprations, arts et enseignements, il est ncessaire que les 4 fins soient diffrentes pour eux. C'est que les fins et les moyens qui y visent sont proportionnables. Ce que, bien sr, il manifeste par ceci que la fin de l'art mdicinal est la sant, [celle de l'art] de fabriquer les navires la navigation, [celle de l'art] militaire la victoire, et [celle] de l'conomique, c'est--dire, des dpenses de la maison, les richesses, ce que, bien sr, il dit en se conformant l'opinion de la plupart. Mais il prouve lui-mme, dans le premier livre de la Politique, que les richesses ne sont pas la fin de l'conomique, mais ses instruments. #16. En deuxime (1094a9), il prsente l'ordre des habitus entre eux. Il arrive, en effet, qu'un habitus opratif, qu'il appelle vertu, se trouve sous un autre. Comme l'art qui produit la bride se trouve sous l'art de monter cheval, parce que celui qui doit monter prescrit l'artisan de quelle manire produire la bride. Et ainsi est-il architecte, c'est--dire artisan principal en regard de l'autre. La mme raison vaut aussi pour les autres arts qui produisent d'autres instruments ncessaires pour monter cheval, par exemple, des selles ou autre chose du genre. L'art questre, cependant, est ensuite ordonn sous l'art militaire. Anciennement, en effet, on disait soldats non seulement les cavaliers, mais n'importe quel combattant en vue de vaincre. Aussi, sous l'art militaire se trouve contenu non seulement l'art questre, mais tout art ou vertu ordonn l'opration guerrire, savoir, ceux de l'archer, du frondeur, et n'importe quel autre du genre. Et de la mme manire, d'autres arts se retrouvent sous d'autres. #17. En troisime (1094a14), il propose un ordre des fins en conformit l'ordre des habitus. Il dit que, dans tous les arts ou vertus, ceci est communment vrai, que les fins des [arts ou vertus] architectes sont simplement, face tous, plus dsirables que les fins des arts ou vertus qui se trouvent sous ces principaux. Il le prouve par ceci, que les hommes poursuivent, c'est--dire, cherchent celles-l, c'est--dire, les fins des arts ou vertus infrieurs, en vue de celles-ci, c'est--dire, cause des fins des [arts ou vertus] suprieurs. La lettre reste en suspens et doit se lire ainsi: Tous [les arts et vertus] qui portent sur de telles [fins], et se subordonnent une vertu unique, en toutes les fins des [arts et vertus] architectes, etc. #18. En quatrime (1094a16), il montre qu'il n'y a pas de diffrence quant l'ordre des fins, si la fin est une uvre ou une opration. Il dit qu'il n'y a aucune diffrence, quant ce qui concerne l'ordre, ce que les fins [des arts] soient des oprations ou un rsultat part des oprations, comme il en appert dans l'enseignement qui prcde. En effet, la fin de l'art de produire les brides est la bride qui en rsulte; mais de l'art questre, qui lui est principal, la fin est une opration, savoir, l'quitation. C'est le contraire, cependant, dans l'art mdicinal et dans celui de l'exercice. En effet, la fin de l'art mdicinal est un rsultat, c'est--dire, la sant. Mais de l'art de l'exercice, qui est contenu sous lui, la fin est une opration, c'est--dire, l'exercice.

Leon 2 #19. Une fois avances ces [considrations], qui sont ncessaires en vue de montrer son propos, le Philosophe accde ici manifester son propos, savoir montrer ce qui principalement regarde l'intention de cette science. Et ce sujet, il fait trois [considrations]. En premier, il montre partir de ce qui prcde qu'il existe une fin la meilleure dans les choses humaines. En second, il montre qu'il est ncessaire d'en avoir connaissance (1094a22). En troisime, il montre quelle science appartient sa connaissance (1094a26). Pour la premire [considration], il use d'une triple raison. Et la principale d'entre elles est comme suit. N'importe quelle fin qui est telle que nous voulons les autres [fins] en vue d'elle, et que nous la voulons, elle, pour elle-mme et non cause d'une autre [fin], cette fin non seulement est bonne, mais elle est la meilleure. Et cela appert de ce que toujours la fin en vue de laquelle d'autres fins sont recherches est principale, comme c'est vident partir de ce qui prcde. Or dans les choses humaines il est ncessaire qu'il existe une telle fin. Donc il y a dans les choses humaines une fin bonne et la meilleure. 5 #20. Il prouve la mineure par un raisonnement conduisant l'impossible, qui procde comme suit. Il est manifeste, partir de ce qui prcde, qu'une fin est dsire en vue d'une autre. Ou bien, donc, on peut parvenir une fin qui n'est pas dsire en vue d'une autre, ou bien non. Si oui, on tiendra le propos. Mais si on ne peut parvenir une telle fin, il s'ensuit que toute fin sera dsire en vue d'une autre fin. Et ainsi faut-il aller, l'infini. Mais cela est impossible, que l'on aille de fin en fin l'infini: donc, il y a ncessairement une fin qui ne soit pas dsire en vue d'une autre fin. #21. Que par ailleurs il soit impossible d'aller de fin en fin l'infini, cela aussi se prouve par un raisonnement qui conduit l'impossible, de la manire suivante. Si on va l'infini dans le dsir des fins, de sorte que toujours une fin soit dsire en vue d'une autre, l'infini, jamais on ne pourra parvenir ce que l'homme atteigne les fins dsires. Or c'est inutilement et en vain que quelqu'un dsire ce qu'il ne peut atteindre; la fin des dsirs serait donc inutile et vaine. Or ce dsir est naturel: on a dit plus haut, en effet, que le bien est ce que toutes [choses] dsirent naturellement. Il s'ensuit donc qu'un dsir naturel serait vain et vide. Mais cela est impossible. Parce que le dsir naturel n'est rien d'autre qu'une inclination inhrente aux choses de par l'ordination du premier moteur, qui ne peut dcevoir. Il est donc impossible que l'on aille l'infini de fin en fin. #22. Ainsi, il existe ncessairement une fin ultime en vue de laquelle toutes autres [choses] sont dsires et qui elle-mme n'est pas dsire en vue d'autres. Ainsi encore, il existe ncessairement une fin la meilleure pour les choses humaines. #23. Ensuite (1094a22), il montre que la connaissance de cette fin est ncessaire l'homme. Et ce propos, il fait deux [considrations]. En premier, il montre qu'il est ncessaire l'homme de connatre une telle fin. En second, il montre ce qu'il faut connatre d'elle (1094a25). Il conclut donc en premier, [partant] de ce qu'il a dit, que, tant donn qu'il existe une fin la meilleure pour les choses humaines, sa connaissance est ncessaire l'homme, parce que cela comporte un grand apport pour la vie, c'est--dire apporte beaucoup d'aide toute la vie humaine. Et cela, bien sr, devient vident dans un raisonnement comme le suivant. L'homme ne peut atteindre directement rien de ce qui est dirig autre chose sans connatre ce quoi il est diriger. Et cela devient vident par l'exemple de l'archer, qui envoie directement sa flche en visant la cible vers laquelle il la dirige. Or il faut que toute la vie humaine soit ordonne la fin la meilleure et ultime de la vie humaine. Il faut donc ncessairement avoir connaissance de la fin ultime et la meilleure de la vie humaine. La raison en est que toujours la raison de ce qui est en vue de la fin doit tre tire de la fin elle-mme, comme cela est prouv aussi au second [livre] de la Physique (200a19). #24. Ensuite (1094a25), il montre qu'est-ce qu'il y a connatre sur cette fin. Il dit alors que, tant donn qu'il en est ainsi, que la connaissance de la fin la meilleure est ncessaire la vie humaine, il faut apprhender quelle est cette fin la meilleure, et quelle science spculative ou pratique appartient sa considration. Il entend, en effet, par disciplines les sciences spculatives et par vertus les sciences pratiques, car elles sont principes d'oprations. Mais il dit que l'on doit tenter de dterminer, pour insinuer la difficult qu'il y a apprhender la fin ultime dans la vie humaine, comme [c'est le cas] en considrant toutes les causes les plus hautes. Il dit encore qu'on doit l'apprhender en la figurant, c'est--dire avec vraisemblance, car c'est un tel mode d'apprhension qui convient aux choses humaines, comme on le dira plus loin (1098a20). De ces deux [points], toutefois, le premier appartient bien sr au trait de cette science, car une telle considration porte sur la chose que cette science considre. Mais le second appartient au prome dans lequel on manifeste l'intention de cette science. #25. C'est pourquoi, tout de suite aprs (1094a26), il montre quelle science appartient la considration de cette fin. Et sur cela, il fait deux [considrations]. En premier il amne un raisonnement pour montrer son propos. En second, il prouve quelque chose qu'il avait suppos (1094b1). En premier donc, il amne un raisonnement en vue de son propos, et c'est le suivant. La fin la meilleure appartient la science principalissime et la plus architectonique. Cela est vident de par 6 ce qui prcde. On a dit en effet que sous la science ou l'art qui porte sur la fin sont contenus tous les [arts et sciences] qui portent sur ce qui est en vue de la fin. Ainsi faut-il que la fin ultime appartienne la science principalissime en tant qu'elle vise la fin premire et principalissime, et la plus architectonique, pour autant qu'elle prescrit aux autres ce qu'il [leur] faut faire. Or la science civile est manifestement telle, savoir principalissime, et la plus architectonique. Donc c'est elle qu'il appartient de considrer la fin la meilleure. #26. Ensuite (1094b1), il prouve ce qu'il avait suppos, savoir que la [science] civile soit telle. Et en premier il prouve qu'elle soit la plus architectonique. En second, qu'elle est principalissime (1094b8). Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier il attribue la politique, cest--dire la [science] civile, les [proprits] qui appartiennent la science architectonique. En second, il conclut son propos en partant de cela (1094b4). Or deux [proprits] appartiennent la [science] architectonique. L'un en est qu'elle prescrit elle-mme la science ou l'art qui est sous elle ce qu'il doit oprer, comme l'[art] questre prescrit [celui de] fabriquer les brides. L'autre, ensuite, est qu'il en use sa fin. Or la premire de ces [proprits] convient la politique, ou civile, tant en regard des sciences spculatives qu'en respect des pratiques; mais d'une faon et d'une autre. En effet, la politique commande la science pratique la fois quant son usage, savoir qu'elle opre ou n'opre pas, et quant la dtermination de son acte. Elle prescrit en effet l'ouvrier non seulement qu'il use de son art, mais aussi qu'il en use de telle manire, en faisant des couteaux tels. L'un et l'autre, en effet, est ordonn la fin de la vie humaine. #27. Mais la civile commande la science spculative seulement quant son usage, non toutefois quant la dtermination de son uvre. En effet, la politique ordonne que certains enseignent ou apprennent la gomtrie. Des actes de cette sorte, en effet, en tant qu'ils sont volontaires, appartiennent la matire morale, et sont ordonnables la fin de la vie humaine. Mais le politique ne commande pas la gomtrie quoi conclure concernant le triangle: cela en effet n'est pas soumis la volont humaine, ni n'est ordonnable la vie humaine, mais dpend de la nature mme des choses. C'est pourquoi aussi il dit que la politique prordonne lesquelles des disciplines il convient d'avoir dans les cits, savoir tant pratiques que spculatives, et qui doit les apprendre, et jusqu' quel temps. #28. - L'autre proprit, par ailleurs, de la science architectonique, savoir d'user des sciences infrieures, appartient la politique seulement en regard des sciences pratiques; aussi ajoute-t-il que nous voyons les plus prcieuses, c'est--dire les plus nobles des vertus, c'est--dire des arts opratifs, se trouver sous la politique, savoir la [science] militaire, l'conomique et la rhtorique, dont la politique se sert toutes en vue de sa fin, c'est--dire pour le bien commun de la cit. #29. Ensuite (1094b4), il conclut son propos partir des deux [considrations] prcdentes. Voici ce qu'il dit. Comme la politique use des autres disciplines pratiques, comme on l'a dit plus haut; et comme elle-mme institue la loi [qui impose] ce qu'il faut faire et de quoi [il faut] s'abstenir, comme il a t dit auparavant; il s'ensuit que l'on conoit sa fin comme [celle d'une science] architectonique, c'est--dire qu'elle contient les fins des autres sciences pratiques. De l il conclut que la fin de la politique est le bien humain, c'est--dire le meilleur dans les choses humaines. #30. Ensuite (1094b8), il montre que la politique est principalissime, de par la raison mme de sa fin propre. Il est manifeste, en effet, que toute cause est d'autant plus premire et puissante qu'elle s'tend plus [de choses]. De l aussi, le bien qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu'il s'tend plus [d'effets]. C'est pourquoi aussi, si la mme [chose] est bonne pour un homme seul et pour toute la cit, il sera manifestement beaucoup plus grand et plus parfait de susciter, c'est--dire de fournir et de sauvegarder ce qui est le bien de toute la cit que ce qui est le bien d'un seul homme. Il appartient certes l'amour qui doit exister parmi les hommes qu'on prserve mme le bien d'un seul homme. Mais il est bien mieux et plus divin d'avoir cette attitude envers toute la nation, laquelle contient de nombreuses cits. On dit par ailleurs que cela est plus divin en ce que cela appartient plus la ressemblance de Dieu, qui est la cause ultime de tous les 7 biens. Or c'est ce bien, savoir celui qui est commun une ou plusieurs cits, que vise la mthode, c'est--dire l'art, qu'on appelle civile. Aussi lui appartient-il suprmement, en tant que principalissime, de considrer la fin ultime de la vie humaine. #31. On doit savoir, par ailleurs, qu'il dit la politique principalissime non pas simplement, mais dans le genre des sciences actives, qui portent sur les choses humaines, dont la politique considre la fin ultime. Car c'est la science divine qui considre la fin ultime de tout l'univers et c'est elle qui est principalissime en regard de toutes [choses]. Il dit toutefois que la considration de la fin ultime de la vie humaine appartient la politique; et c'est d'elle pourtant qu'il dtermine dans ce livre-ci, car l'enseignement de ce livre contient les premiers lments de la science politique.

Leon 3 #32. Le Philosophe, aprs avoir montr ce qu'est le bien qui est principalement vis dans cette science, dtermine maintenant le mode qui convient cette science. Et en premier de la part de l'enseignant (1094b11). En second [de la part] de l'auditeur (1094b22). Concernant le premier, il amne un raisonnement comme suit. Le mode de manifester la vrit, dans n'importe quelle science, doit convenir ce qui tient lieu de sujet dans cette science. Il manifeste ensuite cela, certes, du fait que la certitude ne peut se trouver, ni n'est chercher de manire semblable dans tous les discours o nous raisonnons de quelque chose. De mme, il n'y a pas non plus pour les produits, c'est--dire pour ce qui rsulte de l'art, un mode semblable de [les] oprer tous; chaque artisan, au contraire, opre avec une matire, selon un mode qui lui convient; [il procde] autrement avec de la terre, autrement avec de la boue, autrement avec du fer. Or la matire morale est telle que ne lui convient pas une certitude parfaite. Et il le manifeste pour deux genres [de choses] qui appartiennent manifestement la matire morale. #33. En premier et principalement, c'est la matire morale qu'appartiennent les uvres vertueuses, qu'il appelle ici justes, et que vise principalement la science civile. Or, leur sujet, il n'existe pas une pense certaine chez les hommes; il existe au contraire une grande diffrence dans les jugements que les hommes portent sur elles. Et en cela une multiplicit d'erreurs se produisent. En effet, certaines [choses] qui sont rputes justes et honntes par certains [sont rputes] injustes et malhonntes par d'autres, pour une diffrence de temps, de lieux et de personnes. Quelque chose, en effet, est rput vicieux en un temps ou en une rgion qui n'est pas rput vicieux en un autre temps ou en une autre rgion. cause de cette diffrence, il arrive mme que certains pensent que rien n'est naturellement juste ou honnte, mais seulement d'aprs la loi institue. Mais il sera plus pleinement question de cette opinion dans le second [livre] de ce [trait] (#245-254). #34. En second ensuite, c'est la matire morale qu'appartiennent les biens extrieurs dont les hommes usent leur fin. Or concernant ces biens-l aussi, il arrive qu'on trouve l'erreur dont on a parl, du fait qu'ils n'entranent pas toujours les mmes consquences chez tous. En effet, certains sont aids par eux, alors que pour d'autres ce sont des dommages qui en proviennent. En effet, beaucoup d'hommes ont pri l'occasion de leurs richesses, par exemple tus par des bandits. D'autres encore, l'occasion de leur force corporelle, par confiance laquelle ils se sont exposs sans prcaution des dangers. Il en devient manifeste que la matire morale est varie et difforme et ne comporte pas une certitude tous gards. #35. Aussi, puisque selon l'art de la science dmonstrative il faut que les principes soient conformes aux conclusions, il est aimable et souhaitable, au sujet de telles [choses], c'est--dire si variables, qu'en en faisant le trait, on procde aussi en montrer la vrit partir de [principes] similaires, et d'abord certes grossirement, c'est--dire en appliquant des principes universels et simples aux [objets] singuliers et composs o se passe l'acte. Car il est ncessaire, en n'importe quelle science oprative, que l'on procde selon un mode compositif. l'inverse, cependant, dans une science spculative il est ncessaire que l'on procde selon un mode rsolutif, en rsolvant des 8 [objets] composs des principes simples. Ensuite, il faut montrer leur vrit de manire figure, c'est--dire avec vraisemblance; et c'est cela procder des principes propres de cette science. En effet la science morale porte sur les actes volontaires; or le motif de la volont est non seulement le bien, mais le bien apparent. En troisime, comme nous allons parler de [choses] qui n'arrivent que le plus souvent, c'est--dire d'actes volontaires, que la volont ne produit pas par ncessit mais peut-tre incline davantage d'un [ct] que de l'autre, il faut que nous procdions aussi de [principes] de mme qualit, de faon que les principes soient conformes aux conclusions. #36. Ensuite (1094b22), il montre qu'il faut que l'auditeur, en [matire] morale, accepte le mode de dterminer dont nous venons de parler. Aussi dit-il qu'il convient que chacun reoive chaque chose qui lui est dite par un autre selon le mme mode, c'est--dire selon qu'il convient la matire. Car il appartient l'homme disciplin, c'est--dire bien form, de ne chercher en chaque matire qu'autant de certitude que la nature de la chose en souffre. Il ne peut pas, en effet, y avoir autant de certitude dans une matire variable et contingente que dans une matire ncessaire qui se comporte toujours de la mme manire. C'est pourquoi aussi l'auditeur bien disciplin ne doit pas exiger une certitude plus grande, ni se contenter d'une moindre que celle qui convient la chose dont il est question. Car c'est manifestement une faute proche, d'accepter qu'un mathmaticien fasse usage de persuasion rhtorique et d'exiger d'un orateur des dmonstrations certaines comme doit en profrer un mathmaticien. L'une et l'autre [faute], en effet, provient de ce qu'on ne tient pas compte du mode qui convient la matire. Car la mathmatique porte sur une matire en laquelle on trouve une certitude en tout point, tandis que la rhtorique a affaire la matire civile, en laquelle se produit une variation multiple. #37. Ensuite (1094b27), il montre quelle qualit doit possder l'auditeur de cette science. Et en premier, il montre qui est un auditeur insuffisant (1095a1). En second, qui en est un inutile (1095a4). En troisime, il montre qui est un auditeur convenable (1095a10). Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. D'abord il prsente des [notions] qui sont ncessaires pour montrer son propos. Il dit donc que chacun ne peut avoir un bon jugement que de ce qu'il connat. Et ainsi, celui qui est form sur un genre quelconque [de choses] peut bien juger de ce qui concerne ce genre. Mais celui qui est bien form sur tout peut bien juger simplement de tout. #38. Ensuite (1095a1), il conclut son propos, savoir que le jeune n'est pas un auditeur convenable de la politique et de toute la science morale, qui est comprise sous la politique; c'est que, comme il a t dit, nul ne peut bien juger que de ce qu'il connat. Or tout auditeur doit bien juger de ce qu'il entend, de manire accepter ce qui est dit correctement mais non ce qui est mal dit. Il s'ensuit donc que nul ne soit un auditeur convenable s'il n'a pas dj quelque connaissance de ce qu'il doit entendre. Or le jeune n'a pas de connaissance de ce qui appartient la science morale, qui se connat surtout par exprience. Le jeune est sans exprience des oprations de la vie humaine, cause du manque de temps, et pourtant les raisonnements de la science morale procdent de ce qui appartient aux actes de la vie humaine et mme portent sur cela. Par exemple, si l'on dit que le libral garde pour lui la plus petite part et attribue aux autres la plus grande, le jeune, peut-tre, cause de son inexprience, ne jugera pas que cela est vrai; et il en va pareillement dans les autres [matires] civiles. Aussi est-il manifeste que le jeune n'est pas un auditeur convenable de la politique. #39. Ensuite (1095a4), il montre qui est un auditeur inutile de cette science. Et l on doit considrer que la science morale enseigne aux hommes suivre leur raison et rejeter ce qui incline aux passions de l'me, savoir la concupiscence, la colre et autres semblables. quoi, certes, certains tendent, de deux manires. D'une manire par choix: par exemple lorsque quelqu'un se propose cela, de satisfaire sa concupiscence. Aussi les appelle-t-il partisans des passions. Et d'une autre manire lorsque quelqu'un, bien sr, se propose de s'abstenir de dlectations nocives, mais se trouve toutefois vaincu entretemps par l'impulsion de sa passion, de sorte que contre son intention il suit l'impulsion de sa passion. Il appelle pareille [personne] un incontinent. 9 #40. Il dit donc que celui qui est partisan des passions, c'est vainement, c'est--dire sans aucune efficacit, qu'il entendra cette science, et inutilement, c'est--dire sans atteinte de la fin qui convient. Car la fin de cette science n'est pas la seule connaissance, laquelle, peut-tre, pourraient parvenir les partisans des passions. La fin de cette science est plutt l'acte humain, comme aussi pour toutes les sciences pratiques. Or ils ne parviennent pas aux actes vertueux, ceux qui prennent pour leurs passions. Ainsi n'y a-t-il aucune diffrence quant cela, si l'auditeur de cette science est jeune d'ge, ou jeune de murs, c'est--dire partisan des passions. Car comme le jeune d'ge manque la fin de cette science qui est la connaissance, de mme celui qui est jeune de murs manque cette fin qui est l'action. En effet, il ne la manque pas en raison du temps, mais en raison de ce qu'il vit selon ses passions et court les [choses] singulires auxquelles ses passions l'inclinent. Pour pareilles [gens], par ailleurs, la connaissance de cette science se fait inutile; comme aussi pour les incontinents, qui ne suivent pas la science qu'ils ont de ce qui est moral. #41. Ensuite (1095a10), il montre qui est un auditeur convenable de cette science. Et il dit qu'il est trs utile de savoir ce qui concerne les [matires] morales pour ceux qui satisfont tous leurs dsirs et oprent extrieurement selon l'ordre de la raison. #42. En dernier, il dit, en pilogue ce qu'il a dit dans ce prome, que voil ce qu'il y avait dire, en prome, de l'auditeur, ce qui est venu en dernier, et du mode de dmontrer, ce qui est venu au milieu, et sur ce que nous nous proposons, c'est--dire qu'est-ce que cette science vise principalement, ce qui est venu en premier.

Leon 4 #43. Une fois le prome prsent, Aristote arrive ici au trait de la science. Celui-ci se divise en trois parties. Dans la premire, il traite du bonheur (1095a14), le plus grand parmi les biens humains, et aboutit, en cette considration du bonheur, conclure qu'il est une opration conforme la vertu. Dans la seconde partie (1102a5), il traite des vertus. Dans la troisime, il complte son trait sur le bonheur, montrant quelle opration est le bonheur, et quelle nature il a. Et cela, au dixime livre (1172a16). Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il dit quelle est son intention. En second (1095a17), il excute son propos. Il dit donc, en premier, en rsumant ce qui s'est dit plus haut [#9-13], que, comme toute connaissance et tout choix dsire un bien, c'est--dire, est ordonn un bien dsir comme sa fin, on doit dire quel est le bien auquel est ordonne la science civile; or celui-ci est le plus grand de toutes les uvres, c'est--dire, entre tout ce quoi l'action humaine peut parvenir. En effet, on a dit plus haut qu'il y a ces deux [choses] regarder, concernant la fin ultime des biens humains: ce qu'elle est, que l'on se propose de considrer ici, et quelle science elle appartient, ce dont on a trait plus haut, dans le prome. #44. Ensuite (1102a5), il traite du bonheur. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il recherche les opinions des autres propos du bonheur. En second (1097a15), il en traite selon sa propre pense. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il prsente les opinions des autres propos du bonheur. En second (1095b14), il enqute leur sujet. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il prsente les opinions propos de la fin ultime des [choses] humaines. En second (1095a28), il traite de quelle manire on doit enquter sur des opinions de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il montre de quoi tous conviennent. En second (1095a20), sur quoi ils diffrent. 10 #45. Il prsente donc en premier deux [lments] sur lesquels tous conviennent en rapport la fin ultime. En premier, il dit qu' la fois la multitude, c'est--dire, les gens du peuple, et les excellents, c'est--dire, les sages, ont nomm bonheur le plus grand des biens humains. En second, quant une dfinition commune du nom, car tous pensent que bien vivre et bien agir est la mme [chose] qu'tre heureux. #46. Ensuite (1095a20), il montre en quoi diffrent les opinions des hommes sur le bonheur. Il dit qu'il y a dispute, c'est--dire, diversit, entre les hommes, concernant ce que le bonheur est prcisment. Avec une triple diffrence, dont la premire se prend selon que la multitude des gens ne le voit pas de la mme manire que les sages. En effet, les gens du peuple pensent que le bonheur appartient ce qui est la vue et manifeste, comme l'est ce qui est connu parmi les [choses] sensibles, qui seules sont manifestes la multitude, et assez la vue pour ne pas avoir besoin d'une explication qui le rvle, comme le sont le plaisir, les richesses et l'honneur, et autres choses de la sorte. Ce que les sages en pensent, il le prsente en dernier [#49]. #47. La seconde diffrence intervient entre les gens du peuple. Les uns et les autres pensent que le bonheur est un bien sensible diffrent; ainsi, les avares [croient que ce sont] les richesses, les intemprants les plaisirs, les ambitieux les honneurs. #48. La troisime diffrence, elle, intervient entre soi et soi-mme. C'est, en effet, une condition de la fin ultime, qu'elle soit ce que l'on dsire le plus. Aussi, ce que l'on dsire le plus, on pense que c'est cela le bonheur. Or le besoin d'un bien en augmente le dsir. Aussi, le malade, qui a besoin de la sant, la juge le plus grand bien. Pour pareille raison, le mendiant [juge que de sont] les richesses. Pareillement, ceux qui reconnaissent leur ignorance admirent comme heureux ceux qui peuvent dire quelque chose de grand, et qui dpasse leur intelligence. Tout cela appartient aux opinions de la multitude. #49. Mais certains sages, savoir, les Platoniciens, en dehors de ces diffrents biens sensibles, ont pens qu'il y a un bien qui l'est en lui-mme, c'est--dire, qui est l'essence mme de la bont spare. De mme, en effet, qu'ils appelaient homme par soi la forme spare de l'homme, de mme [ils appellent] bien par soi le bien spar qui est cause, pour tous les biens, qu'ils soient des biens, en tant, savoir, qu'ils participent de ce bien le plus grand. #50. Ensuite (1095a28), il montre de quelle manire il faut enquter sur les opinions prcdentes. ce [sujet], il fait trois [considrations]. En premier, il montre sur lesquelles de ces opinions il faut enquter. En second (1095a30), dans quel ordre. En troisime (1095b4), de quelle manire il faut que l'auditeur soit dispos, pour qu'il reoive bien ce qu'il y a dire. Il dit donc, en premier, que scruter fond toutes les opinions que d'aucuns ont sur le bonheur serait plus vain qu'il ne convient un philosophe, car certaines sont tout fait irrationnelles. Mais il suffit de scruter surtout les opinions qui dtiennent en surface quelque raison, soit en raison de quelque apparence, soit au moins du fait que beaucoup les pensent. #51. Ensuite (1095a30), il montre dans quel ordre on doit raisonner sur les opinions de la sorte, et de manire absolue en toute matire morale. Il assigne la diffrence dans le processus de raisonner. Il y a des raisonnements qui procdent de principes, c'est--dire, de causes des effets, comme les dmonstrations pourquoi. Il y en a d'autres, par ailleurs, [qui procdent] l'inverse, des effets aux causes ou principes, lesquels ne dmontrent pas pourquoi, mais seulement que. Cela, Platon aussi l'a auparavant distingu, cherchant s'il faut procder des principes ou aux principes. Il prsente l'exemple de la course dans les stades. Il y avait, en effet, des athlottes, c'est--dire, des prposs aux athltes qui courraient dans le stade. Ces athlothtes se tenaient au dbut des stades. Tantt, donc, les athltes commenaient courir partir des athlothtes et allaient jusqu'au bout, tantt, par ailleurs, l'inverse. Et ainsi aussi, il y a double ordre dans le processus de la raison, comme on l'a dit [#51]. #52. Pour comprendre dans quel ordre il faut procder, en n'importe quelle matire, on doit considrer qu'il faut commencer au plus connu, parce que l'on parvient l'inconnu par le plus 11 connu. Mais on est plus connu de deux manires. Certaines [choses], certes, [le sont] quant nous, comme le compos et le sensible. Et certaines [choses le sont] de manire absolue et quant la nature, savoir, le simple et l'intelligible. Et comme nous acqurons connaissance en usant de raison, il faut que nous procdions de ce qui est plus connu de nous; et si, bien sr, c'est la mme [chose] qui est plus connue de nous et de manire absolue, alors, la raison procde des principes, comme en mathmatiques. Si, cependant, autre chose est plus connu de manire absolue, et autre chose quant nous, il faut alors procder l'inverse, comme en [matire] naturelle et morale. #53. Ensuite (1095b4), il montre de quelle manire il faut que l'auditeur de telles [choses] soit dispos. Il dit que, parce qu'en [matire] morale, il faut commencer de ce qui est plus connu quant nous, c'est--dire, de certains effets connus concernant les actions humaines, il faut que celui qui veut tre un auditeur suffisant de la science morale, soit conduit par la main et exerc dans les coutumes de la vie humaine, c'est--dire, concernant les biens extrieurs et les [choses] justes, cest--dire, concernant les uvres des vertus, et, universellement, concernant toutes les [choses] civiles, comme sont les lois et les ordres des constitutions3, et toutes autres choses de la sorte. Parce qu'il faut prendre comme principe, en [matire] morale, qu'il en est ainsi. Et cela, certes, se reoit par exprience et coutume; par exemple, que l'on surmonte les dsirs par l'abstinence. #54. Si cela est manifeste quelqu'un, il ne lui est pas bien ncessaire pour agir de savoir pourquoi. De mme, au mdecin, il suffit, pour gurir, de savoir que cette herbe gurit telle maladie. Savoir aussi pourquoi est requis pour savoir de science, ce que l'on recherche principalement, dans les sciences spculatives. Mais celui qui est un expert dans les choses humaines, ou bien a par lui-mme les principes des actions faire, comme en les considrant par soi, ou bien les reoit facilement de quelqu'un d'autre. Mais celui qui ni l'un ni l'autre de ces [principes] ne convient, qu'il coute la parole d'Hsiode le pote. Celui-ci a dit que celui-l est le meilleur, qui peut comprendre par lui-mme. Que celui-l aussi est bon, qui reoit ce qui est dit par un autre. Mais celui-l qui ni ne peut comprendre par lui-mme, ni ne peut trouver repos pour son me en entendant un autre, reste inutile pour ce qui est de l'acquisition de la science.

Leon 5 #55. Aprs avoir numr diffrentes opinions sur le bonheur, le Philosophe cherche ici la vrit sur les opinions qui prcdent. En premier, il examine l'opinion de ceux qui ont parl de manire morale du bonheur, du fait de mettre le bonheur dans l'un des biens de cette vie. En second (1096a11), il examine l'opinion de ceux qui ont parl du bonheur de manire non morale, en [le] mettant dans un bien spar. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il prsente ce qui est commun toutes les opinions de cette sorte. En second (1095b16), il examine les divergences entre les opinions. Le Philosophe a videmment fait une digression de son propos principal, le temps qu'il a trait du mode de procder. Il revient donc ce propos principal dont il s'tait cart, c'est--dire aux opinions sur le bonheur. Il dit que, non sans raison, on est port penser que le bien final, qu'on appelle bonheur, est quelque chose de ce qui appartient cette vie, cette vie humaine. Il est, en effet, la fin de toutes les uvres de la vie; or ce qui est en vue d'une fin est proportionn cette fin; aussi est-il probable que le bonheur soit du nombre des biens qui appartiennent cette vie. Mais il sera dit plus loin (#60; 64-65; 67-68; 70-72) ce qu'il y a de vrai en cela. #56. Ensuite (1095b16), il cherche la vrit prsente dans leurs divergences. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il examine les opinions qui, manifestement, s'approchent davantage de la vrit. Dans la seconde [considration] (1096a5), [il examine] une opinion qui s'loigne davantage de la vrit. 3Politicarum. Politiarum? 12 Sur le premier [point], il fait trois [considrations]. En premier, il examine l'opinion qui met le bonheur dans ce qui appartient la vie de jouissance. En second (1095b22), l'opinion qui met le bonheur dans ce qui appartient la vie civile. Dans la troisime [considration] (1096a4), il fait mention de la vie contemplative. Sur le premier [point], il fait trois [considrations]. En premier, il propose l'opinion. En second (1095b17), il distingue, en passant, les [styles de] vies. En troisime (1095b19), il cherche la vrit en rapport l'opinion propose. #57. Il dit donc, en premier, que, parmi les biens de cette vie, des gens optent pour la jouissance, mettant le bonheur en elle. Ce n'est d'ailleurs pas seulement le fait de la plupart, c'est--dire des gens du peuple, qui presque tous se laissent aller aux volupts; c'est mme aussi le fait de gens trs srieux, soit par l'autorit de leur science et de leur enseignement, soit par l'honntet de leur vie. En effet, mme les picuriens, qui estimaient la jouissance comme le bien le plus lev, cultivaient avec soin les vertus. C'tait cependant cause de la jouissance, de peur que des vices contraires ne mettent obstacle leur jouissance. La gourmandise, en effet, par l'excs de nourriture, engendre des douleurs du corps. cause du vol, on est mis en prison. Et ainsi, divers vices nuisent de diverses manires la jouissance. Bref, la fin ultime est la plus aimable; c'est pourquoi ceux qui mettent la jouissance comme le bien le plus lev, aiment le plus la vie de jouissance. #58. Ensuite (1096a4), il distingue trois styles de vies: [la vie] de jouissance, dont on parle maintenant, la civile et la contemplative. Ce sont ces dernires qu'il dclare les plus excellentes. Pour l'vidence de quoi il faut savoir que, comme il sera dit plus loin (#1944-1949), au neuvime livre, chacun consacre sa vie ce qu'il affectionne le plus, comme le philosophe philosopher, le chasseur chasser, et ainsi des autres. Or c'est sa fin ultime qu'on affectionne le plus; il est donc ncessaire que les vies prennent leurs diffrences d'aprs la diversit de la fin ultime. La fin, par ailleurs, a raison de bien. Le bien, quant lui, se divise en trois: en l'utile, le plaisant et l'honorable4. Deux d'entre eux, savoir le plaisant et l'honorable, ont raison de fin, parce que l'un et l'autre est dsirable pour lui-mme. On appelle honorable ce qui est un bien en rapport la raison; cela comporte bien sr du plaisir d'annex. Aussi, le plaisant, dans la mesure de sa division d'avec l'honorable, est le plaisant en rapport au sens. La raison, par ailleurs, est la fois spculative et pratique. #59. On appelle donc de jouissance la vie qui a plac sa fin dans la jouissance sensible. On appelle ensuite civile la vie qui a plac sa fin dans le bien pratique de la raison, par exemple, dans l'exercice des uvres vertueuses. Et enfin contemplative la vie qui a plac sa fin dans le bien de la raison spculative, soit dans la contemplation de la vrit. #60. Ensuite (1095b19), il examine l'opinion qui prcde. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il l'infirme. En second (1095b21), il donne une raison qui y conduit. Sur le premier [point], il faut prendre en compte que la vie de jouissance, qui dtermine sa fin en regard du plaisir sensible, doit ncessairement dterminer sa fin d'aprs les plaisirs les plus grands, ceux qui suivent les oprations naturelles, grce auxquelles la nature est conserve, individuellement par la nourriture et la boisson, et en espce par la rencontre des sexes. Or les plaisirs de cette sorte sont communs aux hommes et aux btes: aussi, la multitude des hommes qui mettent leur fin dans des jouissances de la sorte sont manifestement tout fait bestiaux, dans la mesure o ils optent pour une vie pareille, que les brutes ont en commun avec nous. Car, pour la mme raison, si le bonheur de l'homme consistait en cela, les btes seraient heureuses, en jouissant du plaisir de la nourriture et du cot. Si donc le bonheur est le bien propre de l'homme, il est impossible qu'il consiste en ces [jouissances]. #61. Ensuite (1095b21), il donne une raison qui conduit cette opinion. Il dit que ceux qui posent cette opinion en prennent comme raison que bien des [gens] constitus dans les plus grands 4Honestum. 13 pouvoirs, comme les rois et les princes, qui sont rputs pour trs heureux par la foule, s'assimilent un roi des Assyriens, du nom de Sardanapale, qui s'adonna aux jouissances. C'est cause de cela qu'on pense que la jouissance est ce qu'il y a de mieux, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus aim par les meilleurs. #62. Ensuite (1095b22), il examine les opinions qui appartiennent la vie active ou civile. En premier, quant l'honneur. En second (1095b30), quant la vertu. Et cela avec raison. En effet, la vie civile, ou active, se propose le bien honorable. On l'appelle d'ailleurs honorable, au sens de situation d'honneur; aussi, manifestement, la fois l'honneur lui-mme appartient ce [contexte], et la vertu, qui est la cause de l'honneur. Sur le premier [point], il fait trois [considrations]. En premier, il prsente l'opinion. Il dit que ceux qui sont excellents, c'est--dire vertueux et actifs, c'est--dire consacrs la vie active, mettent le bonheur dans l'honneur. #63. En second (1095b23), il donne une raison pour cela. C'est que presque toute la fin de la vie civile est manifestement l'honneur, qui est donn en rcompense ceux qui agissent bien dans la vie civile. C'est pourquoi il parat probable, ceux qui mnent la vie civile, que le bonheur consiste en l'honneur. #64. En troisime (1095b23), il rprouve cette opinion par deux raisons. Il en donne la premire en disant que, devant la dfinition assigne au bonheur, nous devinons, c'est--dire nous conjecturons, que le bonheur est un bien propre la [personne] heureuse elle-mme, en tant que c'est qui lui appartient le plus elle-mme, et qu'il est difficile de le lui enlever. Or cela ne convient pas l'honneur, parce que l'honneur consiste manifestement plutt dans un acte de celui qui honore et en son pouvoir que [dans un acte] de celui-l qui est honor. Donc, l'honneur est quelque chose de plus extrinsque et superficiel que le bien cherch, savoir le bonheur. #65. Il donne sa seconde raison (1095b26), qui va comme suit. Le bonheur est ce qu'il y a de meilleur, et il n'est pas cherch pour autre chose. Pourtant, il y a quelque chose de mieux que l'honneur: cela justement cause de quoi il est cherch. Manifestement, en effet, on cherche l'honneur pour tenir sur soi-mme une opinion ferme, comme quoi on est bon, et pour en avoir le tmoignage d'autres. C'est pourquoi on cherche tre honor par des [gens] prudents, qui ont un jugement droit, et par ceux dont on est connu, qui peuvent mieux nous juger. Et on cherche tre honor au sujet de sa vertu, par laquelle on est bon, comme il sera dit au second [livre] (#307-308). Ainsi, la vertu est quelque chose de mieux que l'honneur pour lequel l'honneur est cherch. Donc, [le bonheur] ne consiste pas en l'honneur. #66. Ensuite (1095b30), il examine l'opinion de ceux qui mettent le bonheur dans la vertu. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il prsente l'opinion. Peut-tre, dit-il, estimera-t-on, pour la raison qui prcde, que la fin de la vie civile est plutt la vertu que l'honneur. #67. En second (1095b31), il la rprouve pour une double raison, dont la premire va comme suit. Le bonheur est manifestement un bien trs parfait. Mais la vertu n'est pas ainsi, car elle se trouve ventuellement sans l'opration qui en fait la perfection, comme il appert chez ceux qui dorment tout en ayant l'habitus de la vertu et chez ceux qui, bien qu'ils aient l'habitus de la vertu, ne rencontrent de toute leur vie aucune occasion d'agir selon cette vertu, comme c'est surtout patent pour la magnanimit et la magnificence: qu'un pauvre ait ce type d'habitus, alors qu'il ne peut jamais faire d'[uvres] magnifiques. La vertu n'est donc pas la mme [chose] que le bonheur. #68. Il donne ensuite sa seconde raison (1095b33). Et elle va comme suit. Il arrive que, tout en ayant l'habitus de la vertu, on soit aussi malchanceux. Mais personne ne dira alors qu'on est heureux, moins de vouloir obstinment dfendre sa position l'encontre de raisons manifestes: le bonheur, donc, n'est pas la mme [chose] que la vertu. Puis, il dit que cela suffit pour son propos. Mais de ces [choses] il a t dit suffisamment dans ses Lettres, c'est--dire dans des circulaires en vers qu'il a composes sur le bonheur. 14 #69. Ensuite (1096a4), il fait mention de la vie contemplative. Il dit que, pour ce qui est de la troisime vie, savoir la contemplative, on l'examinera attentivement plus loin, savoir au dixime [livre] (#2086-2125). #70. Ensuite (1096a5), il examine une autre opinion, moins raisonnable, qui met le bonheur dans quelque chose qui a raison de bien utile, savoir dans l'argent. Cela rpugne la raison de fin ultime. En effet, quelque chose est dit utile du fait d'tre ordonn une fin. Comme, cependant, l'argent prsente une utilit universelle, en regard de tous les biens temporels, l'opinion qui met le bonheur dans l'argent conserve quelque probabilit. #71. Aristote, toutefois, la rprouve pour une double raison. La premire va comme suit. L'argent peut s'acqurir par violence, et se perdre par violence. Or cela ne convient pas au bonheur, puisqu'il est la fin des activits volontaires; donc le bonheur ne consiste pas dans l'argent. #72. Il donne sa seconde raison ensuite (1096a6). Et elle va comme suit. Nous cherchons le bonheur comme un bien qui ne soit pas recherch pour autre chose. Or on cherche l'argent pour autre chose, puisque, comme il a t dit (#70), il a raison de bien utile. Donc, le bonheur ne consiste pas en lui. #73. Il est ensuite conclu qu'on peut considrer les [biens] qui viennent d'tre numrs (57-72), savoir, la jouissance, l'honneur et la vertu, comme des fins ultimes, du fait qu'ils sont recherchs pour eux-mmes, comme il a t dit (#57, 61, 63, 70). Cependant, ce n'est pas en eux que se trouve la fin ultime, comme il a t montr (#57-72), mme si plusieurs ont compos bien des discours pour prtendre que le bonheur consiste dans les biens qui prcdent. Mais on doit maintenant abandonner ces opinions.

Leon 6 #74. Aprs avoir rprouv les opinions de ceux qui mettent le bonheur en l'un des biens manifestes, le Philosophe s'attaque ici l'opinion de ceux qui mettent le bonheur en un bien spar. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il montre qu'il est ncessaire d'investiguer cette opinion. En second (1096a17), il commence s'attaquer elle. Sur le premier [point], il fait trois [considrations]. En premier, il propose l'utilit de cette investigation. En second (1096a12), il montre ce qui paratrait s'opposer cette investigation. En troisime (1096a14), il montre que cela ne devrait pas retenir de l'investigation de cette vrit. Sur le premier [point], on doit tenir en considration que ce bien spar, en lequel ils prtendaient que consiste le bonheur de l'homme, les Platoniciens disaient qu'il constitue un bien universel, par la participation duquel tout se dit bien. Il dit, donc, que scruter, propos de ce bien universel, s'il existe, et investiguer de quelle manire on prtend qu'il est, vaut peut-tre mieux qu'investiguer les opinions prcdentes; en effet, son investigation est plus philosophique, dans la mesure o [elle est] plus pertinente que les prcdentes la considration du vrai bien et de la fin ultime, considrer les opinions en elles-mmes. les considrer, en outre, selon qu'il relve de notre propos d'investiguer les opinions prcdentes, il parat avoir t plus propos [de les considrer d'abord]5. Et c'est pourquoi il a dit peut-tre, qui est un adverbe de doute. #75. Ensuite (1096a12), il prsente ce qui pourrait le retenir de l'investigation d'une telle opinion. Il dit que l'investigation de celle-ci contrarie sa volont, pour la raison qu'elle avait t introduite par ses amis, savoir, par les Platoniciens. Car il fut lui-mme disciple de Platon. En s'attaquant, ensuite, l'opinion de celui-ci, il paraissait manquer l'honneur qu'il lui devait. Pourquoi, par ailleurs, il dit cela ici plutt que dans les autres livres o il s'attaque l'opinion de Platon, c'est que 5Quel est le sens de cette remarque? 15 s'attaquer l'opinion d'un ami ne va pas contre la vrit, [chose] que l'on recherche principalement dans les autres sciences spculatives; mais cela va contre les bonnes murs, dont il s'agit principalement, dans ce livre. #76. Ensuite (1096a14), il montre que cela ne doit pas le retenir. C'est qu'il semblera mieux, c'est- dire, plus honorable et plus pertinent aux bonnes murs, et toujours faire, qu'on s'en prenne sans peur ses familiers pour le salut de la vrit. Celle-ci est, en effet, ce point ncessaire aux bonnes murs, que la vertu ne pourrait se garder sans elle. Car si on ne prfrait pas la vrit ses familiers, il s'ensuivrait que l'on profrerait des faux jugements et de faux tmoignages pour la dfense de ses amis. Et cela va contre la vertu. En outre, quoique ce soit pour une raison qui vaut universellement pour tous les hommes que la vrit est prfrer ses amis, le philosophe, cependant, doit spcialement le faire, lui qui est professeur de sagesse, laquelle est la connaissance de la vrit. #77. Que, par ailleurs, il faut prfrer la vrit ses amis, il le montre avec cette raison. C'est que l'on doit plus grande dfrence qui est davantage ami. Or comme nous avons de l'amiti pour les deux, savoir, pour la vrit et pour l'homme, nous devons aimer plus la vrit que l'homme, puisque nous devons aimer l'homme principalement cause de la vrit et de la vertu, comme on le dira au huitime [livre] de ce [trait] (#1575-77). Or la vrit est une amie assez excellente pour mriter d'tre rvre avec honneur. Mme que la vrit est quelque chose de divin; c'est en Dieu, en effet, qu'on la trouve en premier et principalement. C'est pourquoi il conclut qu'il est saint d'honorer la vrit avant ses amis hommes. #78. Andronicus le pripatticien dit, en effet, que c'est la saintet qui rend fidle et fait servir ce qui touche Dieu. ct de cela, il y a aussi la pense de Platon, qui, en rprouvant l'opinion de son matre Socrate, dit qu'il faut prendre davantage soin de la vrit que de quelque chose d'autre. Et l il dit: Socrate est mon ami, certes, mais elle est davantage mon amie, la vrit. Et en un autre lieu, que de Socrate il y a peu avoir soin, mais de la vrit, beaucoup. #79. Ensuite (1096a17), il s'attaque la position de Platon, qui dit que le bonheur de l'homme consiste en une ide commune du bien. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il montre qu'il n'existe pas d'ide commune du bien. En second (1096b30), il montre que mme s'il en existait une, le bonheur humain ne consisterait pas en elle. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il montre qu'il n'existe pas d'ide commune du bien. En second (1096a34), il investigue la manire de parler conformment laquelle les Platoniciens nommaient cette ide. Sur le premier [point], on doit tenir en considration qu'Aristote n'entend pas s'attaquer l'opinion de Platon quant ce qu'elle posait un bien spar duquel dpendrait tout bien. En effet, Aristote lui-mme, au douzime [livre] de la Mtaphysique, pose un bien spar de tout l'univers, auquel tout l'univers est ordonn, comme l'arme au bien du chef. Mais il s'attaque l'opinion de Platon quant ce qu'elle posait que le bien spar serait une ide commune de tous les biens. Il se sert de trois raisons pour s'y attaquer. #80. La premire se tire de la position mme des Platoniciens, qui ne faisaient pas une ide dans les genres o on trouve de l'antrieur et du postrieur, comme il appert dans les nombres. En effet, le binaire est naturellement antrieur au ternaire; c'est pourquoi les Platoniciens ne disaient pas que le nombre commun serait une ide spare; ils posaient, par ailleurs, des nombres singuliers idaux spars, par exemple, le binaire, le ternaire et autres semblables. La raison en est que ce en quoi on trouve de l'antrieur et du postrieur ne parat pas appartenir un seul ordre et, par consquent, ne pas participer galement non plus d'une seule ide. Or on trouve de l'antrieur et du postrieur dans les biens, ce qu'il manifeste partir du fait que le bien se trouve dans ce qu'une chose est, cest--dire, sa substance, et pareillement dans la qualit, et aussi dans les [autres] genres. Or il est manifeste que ce qui est tre par soi-mme, savoir, la substance, est naturellement antrieur tout ce qui n'a l'tre qu'en comparaison la substance, comme la quantit, mesure de la substance, et la qualit, disposition de la substance, et la [relation] autre chose, relation de la substance. Il en va de mme dans les autres genres, qui s'assimilent tous un rejeton de l'tre, c'est--dire, de la 16 substance, principal tre, dont se propagent et drivent tous les autres genres. Mme qu'on les dit des tres dans la mesure mme o ils concident avec la substance. De l, il conclut qu'il ne peut exister d'ide commune du bien. #81. Il prsente ensuite sa seconde raison (1096a23). Pour son vidence, on doit savoir que Platon posait que l'ide est la raison et l'essence de tout ce qui participe d'une ide. D'o il s'ensuit qu'il ne peut y avoir d'ide de ce dont il n'y a pas de raison commune. Or il n'y a pas de raison commune pour les diffrents prdicaments. En effet, rien ne s'attribue univoquement eux. Or le bien, comme l'tre, puisqu'il se convertit avec lui, se trouve dans n'importe quel prdicament. Par exemple, dans ce que la chose est, c'est--dire, dans la substance, le bien s'appelle Dieu, en qui ne tombe aucune malice, et l'intelligence, qui est toujours droite. Dans la qualit, c'est la vertu, qui rend bon celui qui l'a. Dans la quantit, c'est le commensurable, qui est le bien en tout ce qui est soumis une mesure. Dans la [relation] autre chose, c'est le bien qui est utile, qui est le bien reli la fin due. Dans le moment, par ailleurs, c'est le temps opportun, et dans l'endroit, c'est le lieu congru pour marcher, comme la dite. La mme chose appert dans les autres genres. Il est donc manifeste qu'il n'y a pas un bien unique qui soit ide ou raison commune de tous les biens; autrement, il faudrait qu'on ne trouve pas le bien dans tous les prdicaments, mais dans un seul. #82. Il prsente ensuite sa troisime raison (1096a39). Pour son vidence, on doit savoir que, de mme que Platon posait que les choses qui existent en dehors de l'me obtiennent forme de genre ou d'espce du fait de participer d'une ide, de mme [il posait] que l'me ne connat la pierre que du fait qu'elle participe de l'ide de pierre, et de mme [que] l'me participe la science et la connaissance de ces [choses] du fait que les formes ou ides des [choses] mmes se trouvent imprimes en elle. D'o il s'ensuit qu'il y a une seule science de tout ce dont il n'y a qu'une seule ide. Si, donc, il y avait une seule ide de tous les biens, il s'ensuivrait que tous les biens appartiendraient la considration d'une seule science. Or nous voyons que cela est faux, mme quant aux biens qui sont dans un seul prdicament. Ce qu'il ajoute pour qu'on n'attribue pas les diffrenciations des sciences la diffrenciation des prdicaments. Nous voyons, par ailleurs, que le temps congru, c'est, bien sr, la [science] militaire qui le considre en matire de guerre, la [science] mdicinale, en matire de maladie, la [science] exercitative, en matire d'effort. Il reste donc qu'il n'existe pas d'ide commune des biens.

Leon 7 #83. Le Philosophe a montr, plus haut, qu'il n'existe pas d'ide commune de tous les biens. Mais comme les Platoniciens n'ont pas appel ce bien spar seulement ide du bien, mais aussi bien par soi, Aristote entend investiguer, partir d'ici, si c'est parler avec convenance. ce [sujet], il fait deux [considrations]. En premier, il montre qu'on ne nomme pas le bien spar avec convenance bien par soi. En second (1096b8), il montre que de prtendre que le bien spar est le bien par soi rpugne ce que l'on considre comme l'ide commune de tous les biens. Sur le premier [point], il fait trois [considrations]. En premier, il montre que le bien spar ne se dit pas avec convenance bien par soi. En second (1096b3), il exclut une rponse. En troisime (1096b5), il compare ce dire l'opinion des Pythagoriciens. #84. Sur le premier [point], on doit tenir compte que le bien spar, parce que cause de tous les biens, doit se placer un plus haut degr de bont que les [biens] qui nous sont proches, puisqu'il est la fin ultime de tous les autres. Or de le nommer ainsi ne le fait pas paratre d'un plus haut degr de bont que les autres biens. Il manifeste cela du fait que chaque tre spar s'appelait par soi, comme l'homme par soi, et aussi le cheval par soi, alors qu'il est manifeste qu'une seule et mme dfinition appartient l'homme qui nous est proche et l'homme par soi, c'est--dire, spar. Cela, il le manifeste du fait que l'homme spar et l'homme prsent dans la matire ne diffrent pas en tant qu'hommes, mais diffrent en rapport autre chose, par exemple, en ce que tel homme est dans la matire. De mme, l'animal commun et l'homme ne diffrent pas quant la dfinition de l'animal, mais diffrent en ce que l'homme ajoute le rationnel l'animal. De mme aussi, il est clair 17 que l'homme spar ne diffre pas de tel homme quant la dfinition de l'homme, mais en ceci que tel homme ajoute l'homme la matire. Pour la mme raison, le bien que l'on a nomm bien par soi ne sera pas d'une autre dfinition pour sa bont que tel [bien] particulier; mais il pourra y avoir une diffrence quant autre chose, en dehors de la dfinition du bien. #85. Ensuite (1096b3), il exclut une rponse. On pourrait rpondre, en effet, que le bien par soi est meilleur, car il est perptuel, alors que tels biens sont corruptibles. Or ce qui est plus durable est manifestement meilleur et prfrable. Pour exclure cela, cependant, il dit que pas mme le fait d'tre perptuel ne fait que le bien par soi soit meilleur. En effet, le perptuel diffre du non perptuel par la dure. Or la diffrence de dure d'une chose est en dehors de sa dfinition spcifique, comme la vie d'un jour et la vie durable ne diffrent pas quant la dfinition de la vie, mais diffrent seulement en dure. Ainsi donc, si on prend le bien comme une espce, la dure sera en dehors de la dfinition du bien. Ainsi, du fait qu'une chose dure davantage, elle ne diffre pas quant la dfinition de bien pour se trouver meilleure que si elle ne durait qu'un jour. #86. Mais si nous posions qu'il n'y a pas une unique espce ou ide de bien, comme les Platoniciens l'ont prtendu, mais que le bien se dit, comme l'tre, en tous les genres, la dure mme sera le bien dans le temps. Aussi cela ajouterait-il la bont. Ainsi, ce qui dure davantage sera meilleur. Mais cela ne peut se dire si le bien est une espce par soi. Ainsi, il s'ensuit qu'il ne sera pas meilleur non plus du fait d'tre perptuel. #87. Ensuite (1096b5), il compare la position prcdente la position des Pythagoriciens. ce sujet, on doit tenir compte que, selon les Platoniciens, c'tait la mme dfinition que celle du bien et celle de l'un. C'est pourquoi ils prtendaient que l'un par soi et le bien par soi taient la mme [chose]. Aussi, il leur tait ncessaire de poser un seul premier bien, ce que les Pythagoriciens ne faisaient pas. Ils posaient plutt comme un l'une des choses contenues sous la coordination du bien sous lequel ils les posaient: Lumire Masculin Un Droit Intelligence Fini Repos Pair Droit Carr Et au contraire, sous le mal, ils posaient: Tnbres Fminin Multitude Gauche Opinion Infini Mouvement Impair Courbe Plus long d'un ct. #88. Il dit donc qu'en rapport cela, les Pythagoriciens ont parl avec plus de probabilit que les Platoniciens, parce qu'ils n'taient pas forcs de poser une seule dfinition du bien. Aussi, mme Speusippe, qui fut le neveu de Platon, le fils de sa sur, et son successeur en l'cole, n'a pas suivi Platon en cela, mais plutt Pythagore. Il dit toutefois qu'il y a lieu de faire un autre discours ce propos, savoir, en la Mtaphysique (I, 5; #124-133). #89. Ensuite (1096b8), il montre que de dire que le bien spar est le bien par soi rpugne au fait qu'il y ait une seule ide de tous les biens. ce [sujet], il fait trois [considrations]. En premier, il montre que le bien par soi ne peut tre l'ide commune de tous les biens. En second (1096b14), que cela ne se peut pas qu'une ide commune appartienne tout ce qui se dit bien par soi. En troisime (1096b26), il rpond une question. Il dit donc, en premier, que, contre ce que prtendent les Platoniciens, une difficult apparat mystrieusement, du fait que, puisque quand on parle de ce bien par soi, il est clair que les paroles ne se vrifient pas de tout bien dj dans l'apparence verbale mme, ni ne se ralisent dans la convenance des choses. La raison en est que les espces ou dfinitions des biens sont multiples. 18 #90. On parle, en effet, d'aprs une espce ou dfinition de bien, quand on dsigne ce qui est poursuivi pour soi, c'est--dire, recherch, ou dsir, ou quoi on porte dilection, c'est--dire, qu'on aime [pour soi]. On parle d'aprs une autre dfinition, quand on dit bon ce qui,d'une certaine manire, est en vue de ce qui est bon par soi. C'est d'une troisime manire que l'on dit bon ce qui est prohibitif des contraires. Ainsi donc, il est manifeste que le bien se dit de deux manires. Telle chose, en effet, est bonne en elle-mme, savoir, la premire, dont il a t dit (#9-13; 58) qu'elle est recherch pour soi. L'une et l'autre autres choses, cependant, savoir, la factive, ou conservative, et aussi la prohibitive des contraires, se disent bonnes cause de ce qui est bon par soi. Ainsi devientil est manifeste que la dfinition du bien par soi ne peut convenir tous les biens. #91. Ensuite (1096b14), il montre que la dfinition du bien par soi ne peut convenir tous les biens par soi. En premier, il dit sur quoi porte son intention. ce sujet, on doit tenir compte que ce qui est productif ou conservateur des biens en soi, ou prohibitif des contraires, se dit bien comme utile, et tel bien ne convient pas la dfinition du bien par soi. Sparons-en donc, dit-il, ce qui est bon en soi, et voyons s'il peut se dire bon d'aprs une seule ide, qu'on appelle bien par soi. #92. En second (1096b16), il prsente une question, pour investiguer cela: savoir, que faut-il poser comme bien en soi? Puis, il divise cette question en deux membres, dont le premier est: si on doit dire bien en soi tout ce que l'on recherche bien que solitaire, savoir, mme si cela tait seul, c'est--dire, si aucune autre utilit ne s'ensuivait d'eux, comme savoir, voir, et certains plaisirs et honneurs? Des choses de la sorte, en effet, quoique quelquefois on les cherche pour autre chose quoi elles sont utiles, seraient cependant bonnes et dsirables en elles-mmes, mme si elles ne servaient rien d'autre. Puis, le second membre de la question est: est-ce que rien d'autre n'est bon par soi sinon la seule ide? #93. En troisime (1096b20), il retranche le second membre peine indiqu. Il conclut que si rien d'autre n'st bon par soi sauf l'ide, l'ide sera comme un exemplaire dont la similitude serait imprime d'autres. Or l'exemplaire est superflu, s'il n'est assimil rien. Aussi s'ensuit-il que l'ide sera vaine, si rien d'autre n'est bien en soi. #94. En quatrime (1096b21), il retranche le premier. Il dit que si tout ce que l'on a nomm antrieurement est un bien en soi en participant une ide qui est le bien par soi, il faudra qu'en tout apparaisse la mme dfinition de la bont, comme dans la neige et la cruse on trouve la mme dfinition de la blancheur, du fait qu'elles participent une seule forme. Mais cela ne parat pas vrai pour ce que l'on a nomm antrieurement. En effet, l'honneur, et la prudence, et le plaisir ont non seulement des dfinitions propres diffrentes, pour autant que la dfinition de l'honneur, en tant qu'il est honneur, diffre de la dfinition de la prudence, en tant qu'elle est prudence, mais aussi en tant que biens. En effet, on ne trouve pas une dfinition unique de la bont en toutes ces choses, et elles ne sont pas non plus dsirables selon la mme dfinition. Aussi reste-t-il que ce que l'on nomme bien par soi n'est pas quelque chose de commun, ni une ide commune de tous les biens. #95. Ensuite (1096b26), il rpond une question. Cette question surgit parce qu'il arrive de deux manires que quelque chose se dise de plusieurs choses selon des dfinitions diffrentes. D'une manire, selon des dfinitions tout fait diffrentes, n'ayant pas un rapport une chose unique. On les nomme des honomymes par hasard, parce que c'est par hasard qu'il arrive qu'un homme a impos un nom une chose, puis qu'un autre l'a impos une autre chose, comme il appert principalement quand plusieurs hommes possdent un nom unique. D'une autre manire, un nom ne se dit pas de plusieurs choses totalement selon des dfinitions diffrentes, mais avec convenance en quelque chose. Tantt en cela qu'elles renvoient un seul principe, comme une chose se dit militaire soit parce qu'elle est un instrument de soldat, comme le glaive, ou parce qu'elle est son vtement, comme la cuirasse, ou parce qu'il est son vhicule, comme le cheval. Tantt en ce qu'elles renvoient une seule fin, comme le mdicament se dit sain en ce qu'il est producteur de la sant, et la dite en ce qu'elle est conservatrice de la sant, et l'urine en ce qu'elle est significative de la sant. Tantt en raison de proportions diffrentes avec un mme sujet, comme la qualit se dite tre parce qu'elle est la disposition de l'tre par soi, c'est--dire, de la substance, tandis que la 19 quantit en ce qu'elle est la mesure de la mme chose, et ainsi des autres, ou en raison d'une proportion unique des sujets diffrents: en effet, la vue, quant au corps, et l'intelligence, quant l'me, ont la mme proportion. Ainsi, de mme que la vue est une puissance de l'organe corporel, de mme aussi l'intelligence est une puissance de l'me sans la participation du corps. #96. Ainsi dit-il donc que le bien se dit de plusieurs [choses] non pas selon des dfinitions tout fait diffrentes, comme il arrive en ce qui est homonyme par hasard, mais plutt selon une analogie, c'est--dire, une proportion, en tant que tous les biens dpendent d'un premier principe de bont, ou en tant qu'ils sont ordonns une fin unique. En effet, Aristote n'a pas voulu que le bien spar soit une ide et dfinition de tous les biens, mais leur principe et fin. Ou encore, tout bien se dit plutt d'aprs une analogie, c'est--dire, une mme proportion, comme la vue est le bien du corps, et l'intelligence est le bien de l'me. La raison pour laquelle il prfre cette troisime manire, c'est qu'elle se prend d'aprs la bont inhrente aux choses, tandis que les deux premires manires se prennent d'aprs la bont spare, partir de laquelle on n'est pas dnomm aussi proprement.

Leon 8 #97. Aprs que le Philosophe ait montr qu'il n'existe pas d'ide commune du bien, il montre maintenant que mme s'il en existait une, il ne relverait pas de notre propos qu'il faille chercher le bonheur d'aprs elle. ce [sujet], il fait trois [considrations]. En premier, il prouve son propos. En second (1096b35), il propose une rponse. En troisime (1097a3), il l'exclut. Il dit donc, en premier: il faut maintenant laisser cela, savoir, de quelle manire le bien se dit selon une seule ou plusieurs dfinitions du bien, car en traiter avec certitude appartient plutt une autre philosophie, savoir, la mtaphysique. Pareillement aussi, la considration de l'ide du bien n'est pas approprie notre prsente intention. Il en assigne la raison: c'est que, si un seul bien tait attribu de manire univoque tous, ou mme s'il en existait un par soi spar, il est manifeste que ce ne serait pas une telle entit qui serait ni faite ni possde par l'homme. Or c'est une telle chose que nous recherchons. #98. Nous recherchons, en effet, le bonheur, qui est la fin des actes humains. Or la fin de l'homme, est ou bien son opration lui, ou bien une chose extrieure lui. Et celle-ci pourrait tre la fin de l'homme ou bien parce qu'il la produit, comme la maison est la fin de la construction, ou bien parce qu'il la possde, comme une chose qui passe son usage. Or il est manifeste que le bien commun ou spar ne peut pas tre l'opration mme de l'homme, ni non plus une chose faite par l'homme. Et il n'est manifestement pas non plus une chose possde par l'homme, comme il possde les choses qui passent son usage en cette vie. Aussi est-il manifeste que le bien commun ou spar n'est pas le bien humain que nous cherchons maintenant. #99. Ensuite (1096b35), il propose une rponse. On pourrait dire, en effet, que le bien spar, quoique l'homme ne le fasse ni ne le possde, est cependant l'exemplaire de tous les biens qu'il fait et possde. Or il est utile de considrer l'exemplaire, pour qui veut atteindre ce qui se conforme lui. Aussi parat-il tre utile de connatre le bien spar en vue des biens possds et produits. Car, tenant le bien spar comme exemplaire, nous pourrons mieux connatre, et par consquent mieux atteindre, ce qui est bon pour nous, comme on peut mieux peindre l'effigie de l'homme en le regardant. #100. Ensuite (1097a3), il exclut la rponse prcdente avec deux raisons, dont la premire se prend de ce que l'on observe communment. Il dit que l'nonc de la raison prcdente parat probable. Nanmoins, elle est manifestement en dissonance avec ce que l'on observe en toutes les sciences. Toutes les sciences et tous les arts, en effet, dsirent un bien, comme on en a trait plus haut (#8). Et chacun utilise ce qui lui est ncessaire pour atteindre la fin recherche. Or aucune 20 n'utilise la connaissance du bien spar. Mais cela ne serait pas raisonnable, si quelque aide pouvait en provenir. Donc, la connaissance du bien spar ne sert rien pour les biens faits et possds. #101. Il prsente ensuite sa seconde raison (1097a8), qui se prend de la nature mme de la chose. Il dit que le bien considr est tout fait inutile pour les sciences et les arts, la fois quant leur exercice, car le tisserand et l'ouvrier ne sont aids en rien pour l'opration de leur art de par la connaissance du bien spar, et aussi quant l'acquisition de la science ou de l'art, car personne ne devient davantage mdecin ou davantage soldat du fait qu'il ait contempl l'ide spare du bien. Il en assigne la raison: c'est qu'il faut que l'exemplaire regarder soit conforme l'uvre. Or l'art ne ralise pas un bien commun ou abstrait, mais concret, dans le singulier. En effet, le mdecin ne vise pas la sant abstraite, mais concrte, celle qui appartient l'homme; car il ne soigne pas l'homme universel, mais singulier. Aussi reste-t-il que la connaissance du bien universel et spar n'est ncessaire ni l'acquisition des sciences ni leur exercice. #102. Enfin, il conclut que c'en est assez dit sur les opinions concernant le bonheur.

Leon 9 #103. Aprs que le Philosophe ait trait entirement des opinions des autres propos du bonheur, il en traite ici selon sa propre opinion. Cela se divise en deux parties. Dans la premire, il montre ce qu'est le bonheur. Dans la seconde (1101b10), il traite d'une proprit du bonheur. La premire partie se divise en deux parties. Dans la premire, il montre ce qu'est le bonheur. Dans la seconde (1100a5), il supprime une difficult. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il montre ce qu'est le bonheur. En second (1098b9), il montre que toutes les penses prcdentes sur le bonheur concordent. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il propose des raisons communes et des conditions du bonheur, manifestes presque tous. En second (1097b22), il enqute sur l'essence du bonheur. Sur le premier [point], il fait deux [considrations]. En premier, il pose que le bonheur est la fin ultime. En second (1097a24), il pose les conditions qui touchent la fin ultime. #104. Il dit donc, en premier, que, ceci fait, en ce qui concerne les opinions des autres, il faut encore revenir au bien sur lequel roule notre investigation, savoir, au bonheur, de manire investiguer ce qu'il est. ce sujet, on doit prendre d'abord en compte qu'il est clair qu'en des oprations et arts diffrents, c'est autre chose et autre chose qui constitue le bien vis. Ainsi, en l'art mdicinal, le bien vis est la sant, et en l'art militaire, le bien vis est la victoire, tandis qu'en d'autres arts, c'est un autre bien. #105. Si l'on cherche quel est le bien vis en chaque art ou en chaque affaire, on doit savoir qu'il est ce en vue de quoi on fait tout le reste. En mdecine, en effet, tout se fait en vue de la sant. En [art] militaire, tout se fait en vue de la victoire. Et en construction, tout se fait en vue de la maison construire. Pareillement, en n'importe quelle autre affaire, il y a un autre bien vis en vue duquel tout le reste se fait. Or ce bien vis en chaque opration ou choix s'appelle la fin. Car la fin n'est rien d'autre que ce en vue de quoi on fait le reste. #106. Si on tombait tout de suite sur une fin laquelle serait ordonn tout ce que font tous les arts et oprations humains, une pareille fin serait le rsultat bon de manire absolue, c'est--dire, celui qu'on vise en toute action humaine. Mais si on tombait sur plusieurs biens auxquels soient ordonns diffrentes fins de diffrents arts, il faudrait que l'investigation de notre raison transcende cette pluralit, jusqu' ce que l'on parvienne celui-l mme, c'est--dire, un autre [bien] unique. Ncessairement, en effet, il n'y a qu'une unique fin ultime de l'homme en tant qu'homme, cause de l'unit de la nature humaine, de mme qu'il y a une fin unique du mdecin en tant que mdecin, 21 cause de l'unit de l'art mdical. Et cette fin ultime de l'homme s'appelle le bien humain, le bonheur. #107. Ensuite (1097a24), il pose deux conditions de la fin ultime. La premire, bien sr, qu'elle soit parfaite. La seconde, qu'elle soit suffisante en elle-mme. En effet, la fin ultime est le terme ultime du mouvement naturel du dsir. Pour que quelque chose soit le terme ultime du mouvement naturel, deux [conditions] sont requises. En premier, certes, qu'il possde l'espce, et ne soit pas en chemin pour possder l'espce. Ainsi, la gnration du feu ne se termine pas la disposition de la forme, mais la forme mme. Or ce qui a la forme est parfait, tandis que ce qui n'est que dispos la forme est quelque chose d'imparfait. C'est pourquoi il faut que le bien qui est la fin ultime soit le bien parfait. En second, il est requis que ce qui est le terme du mouvement naturel soit intgral, car la nature ne fait pas dfaut dans le ncessaire. Aussi, la fin de la gnration humaine n'est pas l'homme avec un membre en moins, mais l'homme intgral. Pareillement, la fin ultime, qui est le terme du dsir, se suffit ncessairement en elle-mme, la manire d'un bien intgral. #108. Par ailleurs, propos de la perfection du bien final, on doit tenir compte que de mme que l'agent meut la fin, de mme la fin meut le dsir de l'agent. Aussi faut-il que